Eléonore Mary-Jane Somerset

Grandir chez les Somerset signifiait toujours avoir un grand destin, du moins c’est ce que les parents d’Eléonore lui avaient répété toute sa vie. Ils s’étaient toujours attribués tous ses succès, et c’était bien probable qu’ils en soient la cause après tout. Leurs méthodes étaient discutables, cependant.
Déjà, il avait toujours fallu se comporter au mieux afin d’être digne de son rang. Elle n’était pas une simple roturière et devait toujours le montrer, mais le vice allait bien plus loin que ça. A l’âge de cinq ans, âge de début d’apparition des pouvoirs chez certains, ses parents la soumirent à une batterie de tests, qu’ils soient physiques ou mentaux. On l’enfermait plusieurs heures par jour dans une annexe de la demeure familiale, on l’entraînait au combat malgré qu’elle n’ait même pas quitté l’enfance, on avait cherché à voir si elle avait des dons de télépathe, de télékinésiste… Jusqu’à ce qu’on trouve enfin son don.

Il est bon de préciser que la famille d’Eléonore était très croyante, ils étaient même de fervents adorateurs de Lucy et participaient à la vie religieuse de manière très active. Ainsi, lorsqu’on découvrit des dons de guérisseuse à cette dernière, les parents de l’enfant racontèrent à tout le monde que c’était un cadeau de la déesse en personne.
Mais cela ne pouvait leur suffire, car ce don apportait avec lui quelque chose de terrifiant : ces cornes qui poussaient sur le crâne de leur fille, le temps qu’elle utilisait son don, puis repartait au bout d’un certain temps. Mary, sa mère, en avait horreur, c’est pourquoi elle demanda qu’on les coupe, purement et simplement. Cela ne fit pas mal à la jeune fille mais son pouvoir devint incontrôlable pendant des mois, infectant des serviteurs innocents qui assistaient aux essais orchestrés par ses géniteurs. Un autre problème était qu’elles finissaient toujours par repousser, plus longues, plus dures, jusqu’à un point, au début de sa puberté, où elles devinrent totalement incassables malgré les moyens mis en place pour les détruire.

A ce moment là de sa vie, Eléonore suivait une formation religieuse dans laquelle on l’avait bien sûr envoyée sans son avis. Elle grimpa rapidement les échelons, d’initiée à sœur. Bien que la décision n’ait pas été la sienne, elle s’y plaisait sincèrement. Lucy était devenue sa guide, sa propre déesse, et sa foi fut à nouveau renforcée par un événement marquant de sa vie : sa première rencontre avec la Grande Prêtresse. Celle-ci n’était que de passage dans le temple où elle officiait mais avait apparemment eu vent du pouvoir de la fidèle. Elle l’avait alors prise à part et lui avait parlé longuement. Jamais personne n’impressionna autant Eléonore, jamais personne ne reçut sa confiance et sa loyauté en si peu de mots. Elles se rencontrèrent à d’autres reprises, à tel point que la jeune femme finit par lui donner son amour car c’était ce qu’on lui offrait aussi, du moins elle en avait l’impression, et ce manque qui avait été là toute sa vie était comblé par les douces paroles de la Grande Prêtresse, qui acceptait tout d’elle, même son apparence lorsque son don était utilisé.
Puis, la proposition de sa nouvelle guide changea une nouvelle fois sa vie : suivre ses enseignements, survivre à ses épreuves, pour enfin devenir prêtresse et appliquer sa volonté.
Cela lui donna une occasion de s’éloigner de ses parents, dont les desseins avaient depuis longtemps déçu leur fille : ces derniers pensaient qu’il fallait utiliser son don pour châtier les criminels en leur infligeant des souffrances parfois pires que la mort. Ils avaient aussi, une fois, évoqué le fait d’utiliser des hérétiques comme victimes. Heureusement, Eléonore n’était pas aussi folle qu’eux...
Alors elle fit tout ce que la Grande Prêtresse lui demanda. Elle voulut abandonner mais Lucy fut de son côté et sa chance couplée à son énergie eurent raison de tout ce qui put être mis au travers de son chemin. Elle sortit de tout ça épuisée, mais victorieuse.

C’est ainsi qu’elle devint prêtresse, du haut de ses trente ans. On lui confia la direction du temple du Village Perché où on lui laissait faire ce qu’elle voulait, tant que cela restait dans le cadre de la religion. Ainsi, elle mit en place des cérémonies où elle tentait de guérir tous ceux qui se présentaient à elle, ou au moins à transférer leur maladie sur des proches, volontaires. Ce travail aurait pu en rendre fou certains : imaginez-vous, toutes les semaines, voir des familles se présenter. Une femme qui vient demander qu’on rende la vue à son enfant même si cela signifie qu’elle perde l’usage de ses yeux, un vieillard qui vient sacrifier le peu d’années qui lui restent pour guérir un membre de sa famille que la maladie risque d’emporter, et le pire des scénarios : le venin, que l’amoureux vient supplier qu’on retire de sa promise, quitte à partir dans une agonie sans fin. Eléonore, elle, restait forte. Elle avait confiance du devoir qui pesait sur ses épaules. Ainsi, les cérémonies se poursuivaient inlassablement, de la même manière à chaque fois : on peignait sur son corps des motifs étranges, on l’aidait à s’habiller de cette grande tenue en soie qui lui donnait un air mystique, et puis elle arrivait avec ses cornes visibles. On pourrait se poser la question : « Pourquoi en faire autant ? » Sauf qu’en y réfléchissant bien, la réponse était évidente : La mort et la maladie sont deux choses à prendre au sérieux. Bien que cela puisse nous dépasser, Lucy guidera ceux qui font tout pour lui rendre toute la grandeur qu’elle mérite. D’ailleurs, elle récompensait parfois les plus fervents, emportant avec elle la maladie, laissant ainsi quelques familles retourner chez elles le cœur léger.

Ses parents se faisant vieillissant, c’était aussi Eléonore qui gérait les affaires familiales à présent. Elle était devenue la fière descendante des Somerset et prenait ce rôle-ci très au sérieux, aussi. Cela lui faisait une vie bien remplie, mais cette vie n’était dédiée qu’à sa déesse adorée.