Caesar Hohenzollern

 Sous la faible lueur de l’unique bougie allumée dans la chambrée, un petit journal, ouvert à sa cinquante-septième page, un stylo plume reposant en son milieu, reposait sur une table de bois de cèdre, bellement ouvragé. Une tentative de rédaction d’un poème : une exhortation à l’amour, à la consommation de la chair dans l’étreinte amoureuse. Parfois, la déception littéraire du rédacteur était telle que l’on pouvait observer quelques traits de stylos plus profonds que d’autres, marquant la feuille comme une cicatrice, traits ravageurs de sa recherche inlassable de la perfection et de sa propre satisfaction. Son propriétaire était assis dans un fauteuil à bascule, à côté de la fenêtre, à observer la pluie diluvienne frapper sans relâche la vitre carrelée. Ses yeux étaient rivés vers les nuages noirs s’étant amoncelés sur la ville depuis quelques jours maintenant, pas une once de lumière ne semblait pouvoir traverser l’épais rideau nuageux, de telle manière à ce qu’on ne pouvait pas savoir de manière exact s’il faisait jour ou nuit. Ses pensées divaguaient au rythme changeant de l’eau ruisselant dans les gouttières.

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 Le vingtième jour de la troisième lune fraîche de l’an 974, ses cris s’étaient répercutés pour le plus grand bonheur d’un couple amoureux. Une famille venait de naître dans les sanglots, les gémissements, le sang, la douleur mais, surtout, la joie. Un fils, unique, mais un fils tout de même, aimé par ses parents. Elevé dans le monde de l’écriture, de la littérature, de la poésie et du culte à la Déesse Chance, il sût lire et prier avant de savoir marcher. Il sût ce qu’était l’amour avant de faire la différence entre une cuillère et une fourchette ; il connût le désir avant de connaître l’amitié. C’est à l’âge de six ans qu’il manifesta les premiers signes d’un pouvoir lumineux ; il brillait, tout simplement. Petit à petit, sa mignonnerie enfantine laissait place à la beauté juvénile d’un adolescent puis au charme d’un jeune homme. Toujours bercé par les récits fabuleux de ses parents libraires, toujours exalté par les sermons du Frère de son quartier, il entra dans le Temple âgé de dix-huit ans. Son initiation fut longue, douloureuse, torturé de plus en plus par une envie irrépressible de s’adonner aux plaisirs inhérents aux jeunes de ce monde ; au fur et à mesure que son pouvoir grandissait, le tiraillement s’amplifiait car avec l’interdiction suprême, vient l’envie irrésistible. Il se retira dans un ascétisme profond, dévorant avec une avidité sans fin les écrits saints, s’entraînant sans relâche pour contrôler à la perfection sa forme d’être lumineux, se châtiant lorsqu’une pensée impure lui traversait l’esprit, priant avec ferveur, multipliant les offrandes à la Déesse afin de le soulager du mal le tourmentant, s’affublant lui-même d’un surnom lui rappelant sa condition imposée ; il devint un modèle impressionnant de ferveur, une chose si rarement vue qu’elle en forçait le respect. A l’âge de vingt-quatre ans, il fut nommé Prêtre du Culte de Lucy. Sa mission divine pouvait commencer : la protection du peuple de la capitale contre la dépravation criminelle et la rédaction de grandes compilations regroupant tous les écrits saints.

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 S’ébrouant un peu, Caesar Hohenzollern reprit un peu de ses esprits, sorti de sa chaise à bascule pour aller se placer devant le bureau ; feuilletant les pages noircies par l’encre, il lut :

« Vers un bonheur m’étant impossible,
Je guide les amoureux.
Ce sentiment qui m’est si pénible,
Je le veux.
De tout mon cœur,  je t’admire,
De toute mon âme, je t’envie,
De tout mon corps, je te désire,
Sans amour, telle est ma vie. »