Le fratricide n’était pas ici pour le tourisme cependant il avait d’ores et déjà fait le tour du village perché. Contrairement à la capitale, cette cité avait un certain charme et ne laissait pas indifférent l’épéiste. L’architecture ainsi que la forêt rendaient tout plus sympathique aux yeux du de l’Épée. Ici, même un simple temple prenait des airs de bâtiment d’exception. Moins bondée de monde et plus intimiste, cette ville était définitivement plus agréable que celle dans laquelle l’ancien chevalier avait fait ses classes.
Marc-Antoine était arrivé la veille du rendez-vous en repérage. Pour cause ce n’était pas lui mais bien Legion qui s’était employé à contacter la trésorière du royaume. C’est aussi lui qui avait choisi le village perché. Jusqu’à il y a peu le fugitif ne connaissait pas bien la ville. Bien sûr, il en avait vu quelques peintures. De même, on lui avait raconté des histoires à propos de cette bourgade née au plus haut des arbres. Malgré cela, à aucun moment il n’avait eu le temps ou la curiosité de visiter la ville lors de ses jeunes années. Il rectifia cette grave erreur et analysa les différentes places. Après avoir fait la rencontre d’un homme ressemblant à s’y méprendre à son aîné, Marc-Antoine s’afféra. Le grand gaillard s’évertua à retenir quelles étaient les rues les plus fréquentées, à quel moment de la journée et vers quel autre axe de communication elles menaient. Cette fois-ci, il ne voulait rien laisser au hasard. Sa mésaventure à la capitale lui avait suffi. Désormais, il ne ferait plus aveuglement confiance à son acolyte, quand bien même la compétence de ce dernier n’était pas à remettre en question.
Paranoïaque, il ordonna aux Legion mis à sa disposition de vérifier les entrées de la ville. Il ne voulait surtout pas être victime d’un guet-apens et envisageait déjà des moyens de fuir en cas de piège. Après tout, si les parents de la demoiselle avaient des velléités malfaisantes à l’encontre du pouvoir, rien n’indiquait qu’il en fut de même pour leur fille. Quand bien même tout laissait à penser que Queen pouvait être une bonne alliée, Marc-Antoine préférait jouer la carte de la prudence. Lors de son invitation à rejoindre la ville, le jeune homme n’avait précisé ni quartier, ni ruelle, ni établissement. En somme, il n’y avait aucun point de rencontre précis.
Vêtu d’habits amples de couleur mat et d’une cape carmin recouvrant en partie son visage, le fratricide attendit qu’un Legion le contacte, lui annonçant l’arrivée de l’intéressée. Lorsqu’on lui confirma qu’aucun mouvement curieux de soldats ou d’hommes louches n’avait eu lieu autour de la ville, Marc-Antoine partit à la rencontre de la trésorière. C’est sur les coups de midi qu’un homme dépassant de deux têtes tous les autres interpella sur la place centrale une femme de quelques années son aînée. Sa chevelure blonde ainsi que sa taille ne laissaient pas de place au doute. Queen l’avait probablement reconnu. Marc-Antoine pour sa part ne prit pas la peine de s’arrêter.
▬ Avançons. Mêlons-nous à la foule.
La « foule » en question n’avait rien à voir avec celle qu’il était possible de rencontrer dans la Capitale néanmoins, à cette heure-ci, l’affluence était plus que suffisante pour se fondre dans une masse informe composée de personnalités toutes plus différentes les unes que les autres. Alors qu’il gardait un œil sur les faits et gestes de son interlocutrice, il demanda :
▬ J’espère que vous avez fait bon voyage ? Vous avez pris un risque en venant ici.
Tous deux avaient pris un risque en vérité. D’autant que la lettre que lui avait remise Legion n’était pas des plus explicite. Du reste, il se fichait pas mal de savoir si elle avait fait bon voyage ou non.
Alors qu’elle marchait sans savoir vraiment dans quelle direction elle devait aller, la jeune Milan se mit à penser à ce qui l’avait décidée à remettre les pieds dans ce lieu maudit. Jusque là même les lettres insistantes de sa mère n’avait pas réussi à l’extirper de son superbe palais. Depuis son départ contraint et forcé cinq ans auparavant, elle n’avait daigné rentrer à la maison qu’en de rares occasions et uniquement parce que son père l’avait expressément fait demander. Et quand Père demandait, il fallait obtempérer. C’était bien la seule chose dont Queen était sure à son sujet. De plus sa mission première en ayant été envoyée à la capitale avait été d’informer les siens au sujet de la royauté. Elle était leurs yeux et leurs oreilles. Elle avait d’ailleurs dû faire des pieds et des mains pour accéder au siège de trésorière royale et elle avait dû vendre plus que sa dignité à cette époque. Chose qu’elle ne pourrait au fond jamais pardonner à ses parents. Encore moins à sa mère, qui, si elle l’avait surprotégé les dix-sept premières années de sa vie n’avait pas mis longtemps à retourner sa veste lorsque la possibilité d’entacher les royaux s’était présenter.
Elle bifurqua dans une ruelle à droite.
Les années passant, les échelons grimpants. Queen était devenue par la force des choses celle que tous connaissaient aujourd’hui. L’éducation de sa mère couplée aux opportunités et à son ambition avait fait d’elle une ennemie sournoise et redoutable de la couronne. Couronne qui l’employait aujourd’hui et semblait ne pas se douter de ce que la jeune femme pouvait ruminer. Enfin jusqu’ici, jamais elle n’avait échafaudé quelconques plans ou autre vilenies. Cependant le jeune De L’épée n’avait fait que mettre le feu à des braises déjà ardentes et c’est sous sa demande qu’elle avait finit par délaisser le palais le temps de quelques jours de « repos » bien mérité. Pas d’établissement, pas d’heures, rien. Juste une ville et un jour. Ce qui n’avait d’ailleurs pas beaucoup plu a la jeune femme. Parfois, elle avait pensé à ne pas s’y rendre. Et si tout ceci n’était autre qu’un gué-tapent pondu par ces maudits garde pour la piéger ? Sans compter que selon les rumeurs, l’un des frères De L’Épée avait une capacité extraordinaire à agir sur les esprits. Or Queen tout aussi dotée de masques qu’elle était, ne pouvait s’empêcher de penser et avait toujours redouté ce membre. Aussi elle avait finit par venir non sans une once d’angoisse. Si elle se faisait prendre, ce n’est pas à la case départ qu’elle retournerait mais bien plus bas voire en exil si la royauté l’exigeait. Et il était facile de savoir qu’à ça elle n’y survivrait certainement pas.
Dans un premier temps elle ne remarqua pas l’homme qui s’approchait d’elle, elle ne releva la tête que lorsqu’il l’interpella et elle ne pipa mot tout en lui emboîtant le pas. Il n’était pas difficile à reconnaître. Principalement parce que son appartenance à sa famille se trahissait sur son physique mais aussi parce qu’il était recherché par tout le royaume. Ou du moins une bonne majorité. Elle marcha donc à ses côtés un petit sourire sournois étirant le coin de ses lèvres.
- Je vous imaginais plus jeune. Ne put-elle s’empêcher de lui rétorquer alors que son regard polaire glissait sur toute la silhouette qui se tenait à ses côtés. Elle l’imaginait plus petit également. Elle qui était déjà grande de nature se voyait rarement dépassée d’autant. - Plus qu’un risque c’est ma vie et ma carrière qui sont en jeu. Ainsi que mon avenir. Néanmoins… Elle lui glissa un nouveau regard en coin avant de le poser droit devant elle. - Comme vous avez dû l’apprendre. Ma famille vit non loin d’ici. Aussi je n’ai fais que prendre quelques jours de repos après une année éreintante à la trésorerie. Comme pour imager ses innocentes vacances, elle lui offrir un sourire faussement amical. - Maintenant que je suis ici, mon cher, vous allez devoir m’expliquer pourquoi est-ce que j’ai parcouru tous ces kilomètres et de façon un peu plus explicite. Parce que cette lettre qui avait éveillé la Queen sournoise et vil, ne contenait aucune précision et sa curiosité avait été mise à rude épreuve depuis un trop long moment déjà. Sur ces dernières paroles, elle se tue et poursuivit sa route au côté du fugitif, attendant de voir. En espérant pour lui qu’il serait à la hauteur. Sinon cela n’annonçait rien de bon. Pour l’un comme pour l’autre.
« Plus jeune. » Par ces mots, Queen entendait probablement « moins grand » ou « au faciès plus immature. » Cette remarque fit esquisser un sourire au de l’Épée. Marc-Antoine n’avait que seize ans et pourtant il avait en effet l’allure d’un homme ayant dépassé de beaucoup la vingtaine. Il n’y a pas si longtemps le fugitif ressemblait pourtant à bon nombre d’adolescents de sa génération. Ses traits et mimiques juvéniles s’étaient effacés au rythme des crimes commis. De même, sa carrure, sa voix ainsi que sa taille ne laissaient en rien deviner son jeune âge.
Le grand blond ne prit pas la peine de répondre à son interlocutrice et laissa celle-ci poursuivre. Elle avait en effet pris un risque conséquent en venant ici. Cette histoire de visite à ses parents était certes une bonne couverture néanmoins jamais cela ne tiendrait devant une cour de justice. Si d’aventure le roi venait à apprendre ses manœuvres, l’espérance de vie de la trésorière chuterait de façon drastique. Ni son joli minois ni son faux sourire ne l’aiderait à faire face à la punition réservée aux traitres. En effet l’exil était le châtiment réservé aux criminels et aux complotistes. Aussi, elle invita rapidement Marc-Antoine à être plus explicite sur ses intentions. Ni elle, ni lui n’étaient ici dans le but de s’échanger des banalités. C’est pourquoi, après avoir rapidement jeté un coup d’œil autour de lui, Marc-Antoine rétorqua non sans une certaine ironie :
▬ Pour visiter vos parents bien sûr, vous l’avez dit vous-même il marqua un temps d’arrêt. Un tantinet paranoïaque, il vérifia de nouveau autour de lui qu’aucune oreille indiscrète ne parvienne à capter l’essence de leur conversation. De là, il poursuivit. J’ai beaucoup de points communs avec eux. Nous avons tous les deux certaines difficultés avec le pouvoir en place. Et nous avons tous les deux envie que les choses changent.
Lui probablement plus qu’eux mais c’était un détail sur lequel il ne souhaitait pas s’épancher. Sans pour autant prononcer les mots « coups d’état » et « révolution » Marc-Antoine pensait avoir fait passer le message. Ou au moins une partie de celui-ci. Aryon n’avait pas connu la guerre depuis longtemps. Les criminels, bien qu’il y en ait, n’étaient pas majoritaire et n’auraient jamais obtenu le soutien du peuple. Tout ceci ne jouait pas en la faveur de Marc-Antoine. Il le savait, générer un mouvement capable de soulever le régime en place était une tâche complexe. Loin de vouloir passer pour un simple rebelle ayant la folie des grandeurs, il tenta de justifier ses ambitions par des faits.
▬ Si comme vos parents vous avez un ressenti identique, sachez que nous ne sommes pas seuls. En vérité nous sommes assez nombreux. Il y a notamment des gens dans la capitale qui s’affairent dans l’ombre.
Il ne souhaitait pas citer de nom pour le moment mais il eut une pensée pour l’oncle de sa chère et tendre. A ses yeux Derek était un utopiste et un fou mais un utopiste utile. Ou en tout cas un homme qu’il espérait pouvoir manipuler afin d’arriver à ses fins. Si jusqu’à présent, il s’était contenté de parler par énigme, Marc-Antoine – toujours après s’être assuré que personne ne les épiait – se montra plus catégorique :
▬ La noblesse et les privilégiés d’aujourd’hui doivent disparaître. De même que la famille royale.
Sur fond de justice sociale, la rébellion de Marc-Antoine avait en vérité un seul et unique but : lui permettre d’accéder au trône. Ces histoires de privilégiés, de nobles … Il n’en avait cure. Le de l’Épée souhaitait capitaliser sur les frustrations de la société afin d’entamer une ascension jusqu’au plus haut rang. Et, il en était certain, Queen avait un rôle a jouer dans cette histoire.
▬ Avez-vous, comme vos parents, ce type de désir ? Ou me suis-je trompé ?
Oh, il imaginait – et espérait – qu’elle ait elle aussi un ressentiment envers le roi et ses sujets. Avoir un allié au palais était un avantage de poids. En l’occurrence, il souhaitait faire de la trésorière ses yeux et ses oreilles. Lui se chargerait d'être l'épée prêt à fendre sur le royaume, et notamment sur le roi.
- Avez-vous bien conscience Monsieur De l’Épée que vous vous adressez à l’une de ces… Privilégiées ? Grogna-t-elle tout en tournant vers lui son regard de glace qui se voulait fin et aiguisé comme une lame de rasoir. Elle s’en détourna rapidement et reprit tout en continuant de marcher, lui laissant le soin de surveiller les environs. - Mes parents comme moi, n’avons pas envie de voir notre fortune et notre place remisent en cause. Elle marqua un léger temps d’arrêt avant de reprendre. - Néanmoins, vous dire que nous apprécions la monarchie actuelle serait vous mentir je ne peux le nier. Je ne peux pour autant pas me résoudre à vous laisser détruire ce que ma famille et moi avons construit de nos mains. En vérité elle se fichait bien de ce qu’il pouvait advenir de la famille Milan. Père comme mère. Même sa sœur pouvait bien disparaître que cela n’éveillerait en elle aucun émoi. Mais il y avait son frère qui lui aussi perdrait tout et rien que pour cela elle ne pouvait se permettre ni d’accepter, ni de refuser sans creuser plus profondément. - Alors, que sous-entendez par disparaître ? Comptez vous reléguer nos nobles personnes aux rangs des citoyens lambda ? Ai-je l’air de pouvoir m’accommoder d’une douche par mois et de pain rassis ? Vous n’avez pourtant pas l’air sot ! Poussant un long soupire elle se mura une nouvelle fois dans le silence sans cesser de marcher, jetant à son tour des regards à la dérober. Pouvait-elle se permettre de refuser une telle offre ? Si elle la refusait, ne le regretterait elle pas ? Et surtout, pouvait-on refuser l’offre d’un fratricide recherché par le pays entier ? Toujours sans piper mot elle passa un doigt sur ses lèvres tout en réfléchissant.
- Nous partageons bien un désir commun. Finit-elle par trancher, rompant le silence dont ils s’étaient enveloppés. - Mais je ne puis me résoudre à le partager entièrement. Elle aurait aussi pu accepter dans le seul but de lui voler sa place sauf qu’elle n’en savait que trop peu sur cette rébellion encore endormie qu’évoquait Marc-Antoine. - Qu’adviendra-t-il de nous si votre projet venait à aboutir ? La réponse qu’il lui offrirait pèserait lourd dans la balance, pour ne pas dire qu’elle serait l’épée qui trancherait en sa faveur ou pas. Cette fois elle arrêta de marcher et posa son regard sur son vis-à-vis. - Je ne pourrais vous soutenir sans que mon avenir soit assuré. Alors ? Que proposez vous ? Et au-delà du sien, celui de ceux qu’elle aimait aussi peu nombreux soit-ils.
Il avait parlé longuement, sans jamais lui laisser l’opportunité de rétorquer et, évidemment, il y avait un hic. A son tour, Marc-Antoine s’était tu, laissant à son interlocutrice le soin de développer sa pensée. Puisque, précisément, il n’était pas totalement sot, l’ancien garde comprit bien vite où était le problème. Si elle et les membres de sa famille souhaitaient effectivement la fin des Renmyrth, il n’était pas pour autant envisageable de détruire tout ce qui avait été fait au cours des décennies passées. Le de l’Épée ne possédait plus rien. Certes, il avait été noble autrefois mais il était dorénavant facile pour lui, compte-tenu de sa nouvelle position, de militer pour la fin du système en place. Elle en revanche ainsi que tous les Milan voyaient d’un mauvais œil l’idée de remettre à plat tous les privilèges acquis jusqu’à présent.
C’était une équation difficile à résoudre pour le fratricide. Peut-être même qu’elle était insoluble. En effet s’il voulait enrôler la jeune femme, Marc-Antoine allait devoir lui offrir des garanties. D’un autre côté, il ne pouvait totalement dénaturer son discours pour des raisons évidentes. D’une part car cette organisation n’était pas la sienne – du moins pas pour l’instant – et d’une autre part car il voyait mal le peuple le soutenir sans vrai combat de fond. En l’occurrence, il se fichait pas mal des nobles, de leurs privilèges et de la fortune qu’ils avaient accumulés. Lui n’avait qu’une ambition : devenir roi. Marc-Antoine n’avait pas encore pris la parole pour répondre aux interrogations de la trésorière qu’il voyait déjà une multitude d’ennuis à l’horizon. Malgré tout, il s’élança, à la manière d’un homme de cirque prêt à marcher sur un fil.
▬ J’aime à croire que, quoique l’on fasse, il y aura toujours une élite pour encadrer et donner des ordres aux esprits les plus faibles.
En somme lui-même ne croyait pas en une société utopique où tout le monde pouvait vivre sur un pied d’égalité. Une situation d’équité parfaite ne pouvait être maintenue très longtemps. Quoiqu’ils fassent, il était dans l’ordre des choses pour une société de générer – de façon insidieuse parfois – une classe dominante et une classe dominée.
▬ En ce qui me concerne, je souhaite effectivement voir un bon nombre de familles alliées au roi chuter. Et je pense cela nécessaire si l’on veut avoir le soutien du plus grand nombre. Mais tôt ou tard, de nouveaux visages vont forcément émerger. Un pays ne se gère pas tout seul, sans quelqu’un pour fixer un cap, des règles et des personnes autour de lui pour s’assurer que tout le monde se tienne à carreaux. Tout n’a pas à disparaître. Et il n’est pas exclu que ce qui est censé être détruit se reforme bien plus vite qu’on ne le pense, sous une forme ou sous une autre.
Il était tout à fait possible de voir l’appellation et le titre de noble disparaître sans pour autant abandonner le concept décrit par ledit terme. Les deux complotistes poursuivaient leur marche quand Marc-Antoine s’arrêta :
▬ Il va sans dire que ceux qui auront aidés à la formation de ce nouveau-monde seront plus propice à occuper une place importante dans celui-ci.
Depuis tout à l’heure, le blond se montrait énigmatique sur cet hypothétique monde futur. De plus et sans vraiment le vouloir, Marc-Antoine communiquait de façon cryptique. S’il n’osait pas clairement dire que toute cette histoire de révolte sur fond de justice sociale était un prétexte pour faire abdiquer le roi, il était néanmoins convaincu que Queen voyait où il voulait en venir. Aussi, comme pour compléter son propos, il termina :
▬ Si le monde auquel j’aspire vois le jour, vous ne serez pas lésés.
Pour la première fois depuis bien cinq minutes, il avait tenu un propos clair, honnête et non-ambiguë.
Fort heureusement pour le blond, il ne semblait pas stupide et paraissait manier ses paroles avec dextérité. Même s’il était aisé de voir qu’il y allait à tâtons, il choisissait bien ses mots et si la trésorière avait été un tant soit peu plus naïve elle aurait probablement foncé tête baissée dans ce vague plan. Mais elle était d’une nature méfiante et réfléchit aussi venimeuse soit-elle. Alors, une fois qu’il eut fini d’épiloguer, ce fut à son tour de prendre une nouvelle fois la parole, à croire qu’ils s’affrontaient tous deux dans un concours d’éloquence. L’un défendant sa cause, l’autre essayant de comprendre où était l’entourloupe.
- Je constate donc que vous n’êtes pas complètement stupide, cela fait déjà un point en votre faveur. Plus qu’un véritable commentaire c’était là une pensée exprimée à voix haute. - Malheureusement, vous êtes encore une fois trop vague. Maintenant qu’ils étaient arrêtés, Queen pouvait l’observer sans détour et c’est ce qu’elle fit sans se priver, le transperçant de part en part et peu importait qu’il trouvât ça déplacé. - Quel est le monde dont vous me parlez et auquel vous semblez terriblement attaché ? Qu’elles sont vos motivations ? Je suis trésorière, comptable ou argentière, peu importe le terme qui vous sied le mieux. Dans tous les cas je ne m’attache qu’aux faits pas à de vagues élucubrations. Cessez donc de prendre des chemins détournés. Au-delà d'une véritable explication, Queen voulait le pousser un peu plus dans ses retranchements, elle voulait voir s’il allait céder que ce soit à la panique, à la colère ou à n’importe quelle émotion qui aurait pu le trahir. Puis elle poursuivit. - Aussi si je venais à rejoindre vos rangs, mes proches y auraient-ils leur place ? Question anodine mais essentielle à laquelle elle n’attendait certainement pas une réponse favorable, quoi que s’il voulait se la mettre dans la poche il valait mieux pour lui ne pas répondre et un simple « non ».
La jeune Milan devait l’avouer, l’offre de Marc-Antoine était plus qu’alléchante. Le pouvoir actuel ne lui permettait pas de gravir les échelons assez vite et surtout elle redoutait le pouvoir de la reine. Même si elle savait manier les mots, elle n’était pas à l’abri d’une erreur et cela lui serait sans aucun doute fatal. Alors si elle pouvait mettre sur le trône une personne bien moins capable et la faire tomber ensuite cela serait du pain béni pour la Milan. - Alors expliquez-moi, pourquoi, un ancien garde cherche à faire tomber le système en place ?
Pas complètement stupide. Ce devait être une forme de compliment pour elle. En tout cas, il décida – un peu naïvement – de prendre cette formulation comme telle. S'il semblait avoir avancé, la trésorière du royaume restait néanmoins sceptique. Aussi, la demoiselle fit comprendre à notre protagoniste que ce dernier demeurait bien trop vague à son goût. De son côté, Marc-Antoine préférait pas trop en dire. D'une car il ne savait pas s'il pouvait faire pleinement confiance à cette inconnue et de deux car il ne souhaitait pas trahir ses réelles ambitions. Quand bien même, il n'était pas difficile de les deviner, il avait quelques difficultés à se dire qu'on allait le suivre s'il se comportait d'ores et déjà comme un futur despote avide de pouvoir. Quoiqu'il en soit, c'est sans trop réfléchir qu'il engagea une réponse qu'il espérait plus claire.
▬ Je crois l'avoir déjà dit. Un monde sans les Renmyrth, déjà. Sans un bon nombre de familles qui leur sont fidèles, ensuite.
« Et un monde où je serai le roi, enfin ». C'est ce qu'il voulut ajouter mais évidemment il s'abstint. Quand vinrent les questions sur le sort que serait réservé à l'entourage de Queen, Marc-Antoine se montra peu explicite, là encore.
▬ J'imagine que oui. À la mesure de leurs efforts et de leur implication, bien entendu. S'ils nourrissent les mêmes désirs que vous et moi et s'ils ne s'opposent pas à ce que nos desseins deviennent réalité alors … Ils ont leur place. S'ils sont en mesure d'aider, c'est évidemment encore mieux.
Pour le coup, il n'avait pas eu à réfléchir longuement. En soi, s'il venait à diriger ce pays, tout ses alliés seraient récompensé proportionnellement au travail fourni. Bien sûr, dans l'idéal, ils demeureraient tous bien en dessous de sa personne mais, là encore, il s'agissait d'un détail qu'il passa sous silence.
À la dernière question posée, Marc-Antoine grimaça. Ce petit jeu commençait à lui courir sur le haricot et l'espace d'une seconde, cela put se voir sur son visage.
▬ Mais voyons. Vous savez très bien pourquoi … Il s'arrêta net, esquissa un sourire des plus malaisant tant il transpirait la malhonnêteté et reprit. Je le fais pour le peuple et pour moi-même. Car je ne crois plus en nos nobles et en ceux qui nous gouvernent, en ceux que j'étais censé servir.
Certes ce n'était pas la seule raison – ni la principale – néanmoins il y avait du vrai dans son propos. À ses yeux, la majorité des nobles étaient de grands paresseux inaptes et tout juste bon à cirer les pompes d'un roi tout aussi inutile. Parfois, il en venait même à se demander comme il était parvenu à conserver le pouvoir aussi longtemps. À quelques mètres d'une intersection, Marc-Antoine ralentit.
▬ Vous semblez vouloir des garanties et des faits. C'est quelque chose que je comprends et respecte. Ce que je propose est en effet risqué, flou par moment et peut-être même complètement fou. Mais je pense qu'il n'y a que comme ça que certaines choses ici vont changer.
Sans forcément faire l'apologie du risque pour le risque, Marc-Antoine était d'avis que les solutions les plus drastiques étaient souvent les meilleures. En l'occurrence, agir comme il le faisait était dangereux mais il s'agissait pour lui du meilleur moyen de parvenir à ses fins. Il espérait qu'il en soit de même pour Queen. Et alors que l'intersection était de plus en plus proche, il conclut :
▬ Je tourne à gauche, vous tournez à droite. Dans une semaine, je me trouverai à Rives-la-Garde, à l'auberge. Vous pourrez me communiquer votre réponse finale là-bas, en envoyant un messager de préférence.
Quoiqu'elle réponde, il imaginait que cela n'avait rien de définitif. De même, son niveau d'implication était encore à définir. De préférence, il attendait d'elle une activité et un soutien réel mais il se contenterait d'aides ponctuelles dans le pire des cas.
- Je vois… Lui offrit-elle pour toute réponse. S’il voulait être aussi vague elle allait en faire de même. Premièrement parce qu’elle ne se voyait pas lui répéter une énième fois qu’il manquait toujours de précision, ce qu’elle comprenait en un sens. Si elle-même ne voulait pas prendre plus de risque, il était évident que le jeune homme voulait en faire de même. La trésorière savait comme il était facile d’étouffer une rébellion dans l’œuf. De plus, si elle était un très bon parti pour Marc-Antoine, elle était aussi tout à fait apte à causer sa perte. Même cette rencontre pouvait tourner à son avantage si elle s’y prenait bien. Qui donc irait remettre en cause la parole de la trésorière face à celle du fratricide. Sincèrement, elle comprenait l’ancien garde mais fort heureusement pour lui, elle n’avait pas encore en tête de s’en débarrasser.
- C’est exact. J’ai besoin de garantis et de fait. J’ai bâti de mes mains tout ce que j’ai aujourd’hui, je ne suis aucunement prête à tout perdre sans garantis et je pense que vous le comprenez aisément. Tout comme je comprends la fâcheuse position dans laquelle vous vous trouvez actuellement. Elle marqua un temps d’arrêt sans pour autant s’arrêter de marcher. – Cependant vous avez raison sur certain point et même si je ne partage pas complètement votre opinion je pense que l’un comme l’autre pouvons-nous apporter de nombreuses choses. Si lui pouvait lui offrir du pouvoir, elle pouvait lui offrir un soutien qu’il soit financier ou moral, la famille Milan était une des familles les plus aisées du royaume et surtout Queen faisait partie des quelques personnes séjournant régulièrement à la cour. Il aurait été mentir que de dire, qu’elle n’était pas un bon parti.
-Très bien. Répondit-elle simplement à ce qui semblait s’apparenter à des instructions. – Je vous contacterais dans une semaine. Je ferais venir l’un de nos messagers. J’espère que nous trouverons un terrain d’entente. Puis, lui offrant un vague sourire, elle bifurqua sur la droite et disparu adroitement dans la foule jusqu’à ce que même sa tignasse blonde s’y perd totalement.