RUBIS AMNELL

Le vent se levait et soulevait des vagues depuis le début de la matinée ; celles-ci s’échouaient au bord de la plage sous un soleil de plomb. Les remouds perpétuels de l’eau de mer contre la plage faisaient un son iconique, comme un murmure lointain et apaisant des flots. Une autre journée commune aux Archipels du Sud du Royaume d’Aryon. Les orteils nus de Rubis se recroquevillaient dans le sable, elle pliait ses genoux pour se mettre sur ses appuis et levait haut les bras, les agitant vigoureusement pendant qu’elle criait des appels à la balle –Ici ! Ici ! Ici !-
Pas de réponse.
Son cœur se serrait, ses intestins se nouaient, des gouttes de sueurs perlaient de sa peau blanche. L’adolescente aux cheveux rouge détestait tout ça, cela durait depuis plusieurs jours et elle en souffrait nuit après nuit ; mais interdit de le montrer à quiconque qu’elle pouvait être blessée. Désespérément, Rubis continuait ses appels vocaux et ses mouvements amples des bras pour se faire remarquer. –Ici ! Ici !-

Imperturbables, ses amis l’ignoraient malgré toutes ses tentatives. Même Libra, surtout Libra enfaite (son amie d’enfance) l’ignorait. Dépitée, abandonnant l’idée de voir arriver la balle vers elle pour jouer, la jeune fille détendait ses muscles et tournait le dos aux autres adolescents de son village. Rubis, les poings fermés et les larmes à l’œil retenues par la seule force de sa fierté, se tournait vers la petite forêt de l’île alors que le ballon venait soudainement s’écraser contre l’arrière de son crâne. La jeune fille claquait férocement ses dents, son corps partant en avant sous le choc, la tête qui tournait, elle courait dans les bois pour disparaitre sous un tonnerre de rires moqueurs.

Déjà la plus belle demoiselle du village, son beau visage se déformait sous la rancœur et la colère, elle grognait et plantait un couteau dans l’écorce d’un arbre, déchirant la membrane sous des coups enragés de son arme blanche. « Allez tous vous faire foutre !! » S’écriait la rousse en détournant sa rage intérieure par des excès de colère physique.

Ce qui l’embêtait le plus, finalement, ce n’était pas d’être ignorée et seule, mais c’était l’humiliation. Elle avait seize ans et ses parents étaient morts depuis deux ans, deux ans qu’elle vivait avec son oncle célibataire et alcoolique, lui aussi la risée du village à cause de sa connerie.

Néanmoins, vivre avec son oncle n’était pas ce qui lui avait donné le coup de grâce auprès des autres du village. Rubis ne connaissait pas son pouvoir, elle ne savait pas, elle ne pouvait pas deviner que sa bêtise pouvait prendre des proportions dramatiques. S’acharnant sur un pauvre arbre innocent, la vue de la jeune fille se troublait, une mauvaise sensation de nausée s’emparait d’elle, quelque chose qu’elle ne pouvait décrire sur le moment. Elle se revoyait cette nuit-là subir l’irréparable.

Sur la même plage qu’elle venait de fuir, la nuit tombait et elle était seule en présence d’un garçon de son âge. Cette nuit-là, Rubis avait été violée à cause de son pouvoir, mais ça n’aurait jamais dû se passer comme ça. Cela devait être une simple mise au net avec ce garçon. Il l’avait invitée à se promener tous deux au clair de la lune, les pieds dans le sable. Rubis n’était pas amoureuse de lui, mais elle savait que sa meilleure amie l’était. Cette nuit, Rubis comptait le rejeter. Jusqu’à ce que le jeune homme dont elle ne veut plus se souvenir du nom s’approche d’elle pour caresser sa joue et lui voler un baiser. Le charme avait opéré et il était trop tard. Il était bucheron et elle n’était qu’une paysanne, comment aurait-elle pu fuir ? Elle rompu tout contact entre son corps et son esprit, ne devant qu’une poupée de chiffon qui ne se débattait pas.

Le soir même, Rubis n’en parla à personne. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que parallèlement à cela, Libra avait vu une partie de la scène ; suffisamment pour se méprendre sur ce qui s’était vraiment passé et considérer Rubis comme une pute. Le garçon utilisait cette chance, et le lendemain matin la vérité avait été cachée, disparue sous les mensonges. C’était Rubis la fautive, tout ça parce qu’elle ne s’était pas débattue et que Libra pensait que l’acte avait été consentant. Rubis avait été affectueusement surnommée "La Garce"

La jeune adulte se réveillait en sursautant. Couchée sur une botte de paille, puant l’alcool aux alentours, elle jetait sa bouteille en verre vide contre un pieu en bois et se levait en titubant de gauche à droite. Les larmes coulaient de ses yeux sans qu’elle ne s’en aperçoive, encore bien trop bourrée par l’alcool. Rubis souriait jaune. Au moins, son enfance en compagnie de ses parents avait été particulièrement bonne et amusante, et puis, avant de partir du village, elle avait libérer le bétail et brûler quelques maisons ; laissant un souvenir aux connards de sa terre natale. Puis, elle disparut dans l’eau et le destin mit Arya sur sa route.

La voilà en Aryon, à se saouler tous les soirs comme son oncle.