Décidément, Zéphyr semblait abonné aux bonnes œuvres ! Bien que naturellement bienveillant, il ne s'était jamais jugé particulièrement altruiste - surtout pas envers des inconnus. Mais c'était la deuxième fois en peu de temps qu'il acceptait d'accorder son aide à autrui; un événement assez rare pour être noté. Enfin, cette fois, ce n'était pas uniquement par charité de cœur : Athena lui avait demandé une faveur, et jamais il n'aurait pu dire non à sa petite sœur.
Il n'avait même pas encore eu le temps de se poser avec elle pour lui parler... La demande avait été brève et rapide; Zéphyr, culpabilisant déjà de son silence, avait accepté sans hésiter. Mais aujourd'hui, il était déjà moins sûr de lui, et il faisait les cent pas dans son appartement au palais avec nervosité. Ses ailes légèrement entrouvertes frôlaient inlassablement les meubles devant lesquels il passait - la table basse, le fauteuil, le pied de la lampe, la table basse, le fauteuil, le pied de la lampe, la table basse... Le pauvre s'inquiétait de pouvoir mener sa mission à bien : il oubliait bien trop souvent combien son handicap pouvait le freiner, surtout quand il était question de mots.
En effet, Athena lui avait demandé de venir en aide à une collègue de la garde. Rien de très compliqué : il fallait juste l'entraîner à rédiger de beaux rapports, car la soldate était peu instruite. Et qui de mieux que Zéphyr pour partager son savoir littéraire ? Eh bien, quelqu'un de voyant, pour commencer. Mais c'était trop tard. Plus tôt dans la journée, il avait envoyé un billet à la caserne, à l'attention de Riley Adilys, pour l'informer qu'il serait disponible le jour même pour cette fameuse session d'apprentissage. Il y avait joint des indications pour trouver son appartement dans l'aile annexe du palais, et une permission écrite de sa main au cas où les gardes postés là seraient enclins à de l'excès de zèle et lui refuseraient l'entrée.
Il faisait encore les cent pas quand on frappa à la porte de ses quartiers, et le nobliau s'empressa d'aller accueillir l'arrivante. Une expression paisible sur le visage et la démarche mesurée, il ne laissait rien paraître de sa nervosité précédente.
— Demoiselle Adilys, je suppose ? l'accueillit-il avec un sourire bienveillant, une main posée sur le torse avec tout le raffinement qui entourait habituellement sa personne. Entrez, je vous prie, et sentez-vous la bienvenue ici. Sur quoi il se rangea sur le côté afin de la laisser découvrir son appartement de travail.
En parlant d’Athéna. Elle la maudissait intérieurement. Personne jusqu’alors -hormis Thépa- n’était au courant de ses difficultés en matière de lecture et d’écriture. Elle avait réussi par on ne sait quel miracle à faire passer cette tare inaperçue. Pourtant la petite garde royale si jeune soit-elle, l’avait débusquée en un tour de main. Pire encore elle avait dévoilé son secret a une tierce personne. Un noble qui plus est. Les nobles étaient souvent instruits eux. Et souvent moqueur aussi. Riley se souvenait encore du frisson qui l’avait parcouru lorsqu’elle avait finalement réussi à déchiffrer le message qui lui était adressé. L’envie de se taper la tête sur la table avait été d’ailleurs encore plus présente lorsqu’elle avait vu les lettres d’une grande précision encrées sur le papier. Par Lucy pourquoi donc cette jeune garde avait-elle eu l’idée saugrenue de demander l’aide de son frère ?
La blanche secoua la tête nerveusement. Elle ne devait pas lui en vouloir. Après tout c’était pour l’aider qu’elle avait fait ça et non pour autre chose. Pourtant, à mesure qu’elle avançait dans l’enceinte du château, à mesure qu’elle gravissait les marches qui la séparaient des appartements du noble, un fort sentiment d’humiliation naissait en elle. Peu de garde à son âge était aussi mauvais dans ces domaines. Pourtant ils avaient tous suivit le même cursus, les mêmes études et la même éducation. Mais Riley avait toujours été différent. Peu importe les efforts qu’elle faisait, cela ne la menait à rien. Pire encore, quand les autres s’amusaient alors qu’elle, prenait le temps de travailler ; leurs notes étaient toujours meilleures que les siennes. Et elle s’en donnait du mal pour réussir. Puis elle avait grandi et ses progrès n’avaient, eux pas suivi le rythme. Maintenant il lui fallait le double, voir le triple du temps que mettaient ses collègues pour rendre un rapport qui à ses yeux n’avait rien de convenable. Si au début son supérieur s’était énervé, il avait finit par en prendre l’habitude au bout de quinze longues années ne s’en offusquait plus. Mais la jeune Adilys, si.
Bientôt elle arriva face à une porte. Une dernière fois elle jeta un regard au papier lui indiquant la direction, elle le relut plusieurs fois d’ailleurs pour être sure de ne pas s’être trompée. Puis elle leva le bras, prête à toquer. Son geste resta en suspens. Elle ne savait pas ce qu’elle allait découvrir derrière cette porte. L’envie de rebrousser chemin fut forte mais la bienséance voulait qu’elle se présente et Riley était une personne qui aimait suivre les règles. Elle laissa donc son point s’abattre sur la porte, sans force, comme si elle espérait que la personne a l’intérieur ne l’entendrait pas. Malheureusement, la porte s’ouvrit.
La garde resta un long moment interdit, ses yeux pâles fixant celui qui venait de lui ouvrir. Si elle avait dû imaginer le frère d’Athéna, elle ne l’aurait jamais imaginé de cette façon. Droit, fier et dégageant une aura à laquelle elle n’avait jamais été confrontée jusque-là. Si elle avait pu se ratatiner sur place et disparaître elle l’aurait sans douter fait. Face à elle, Zéphyr, représentait tout ce qu’elle n’était pas et malgré ses paroles et son air bienveillant elle ne put empêcher son sentiment d’humiliation de lui tordre violemment l’estomac.
- Riley… Murmura-t-elle en hochant la tête. - Riley suffira. Elle s’inclina alors bien bas, plus bas qu’elle ne le faisait d’habitude. Puis elle releva la tête et prit une grande inspiration avant d’entrer dans l’appartement, laissant bien malgré elle ses yeux courir autour d’elle. Elle ne se sentait pas la bienvenue ici. Pas que cela vienne de son hôte. Mais tout était décoré avec raffinement à l’instar de son occupant. La garde elle avait l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle remercia d’ailleurs intérieurement ses colocataires de l’avoir non pas obligée mais presque à délaisser ses armes pour cette fois. Si elle les avaient prise, elle n’imaginait pas les dégâts qu’elle aurait pu créer. Elles avaient aussi tentées de lui faire porter une tenue plus convenable mais Riley avait été intransigeante sur ce point. Peu importe que ses robes soient un peu trop affriolantes, elles étaient faites pour le combat tout comme leur propriétaire. Cependant elle se sentait encore une fois tâche dans ce milieu et c’est une moue défaite qui trahit ce qu’elle pouvait bien penser.
- Merci… Articula-t-elle avec difficulté et à voix basse tout en se retournant vers Zéphyr. Ses yeux d’habitude inexpressifs s’agrandirent de surprise. Et pour cause, la grande paire d'ailes immaculées qui trônaient fièrement dans le dos de son professeur improvisé et qu’elle n’avait jusque là par remarquer faute de concentration. - Aehm… Je euh… Elle secoua la tête et détourna les yeux. Ce n’était pas le moment de paraître impolie ni curieuse. Elle finit par poser les yeux sur un meuble qui se trouvait sur la droite. - Merci de votre sollicitude. Je saurais m’en souvenir. Réussit-elle finalement à lâcher, redressant le dos elle remit en l’espace d’un instant ce masque d’impassibilité qui était le sien. Prenant son courage à deux mains, elle plongea également son regard dans le sien en attendant la suite.
La pauvre n'avait pas fière allure. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'en rendre compte et, heureusement, Zéphyr ne l'était pas encore tout à fait. Ses yeux parvenaient à se centrer sur le visage de Riley et, si tout le reste devenait alors extrêmement flou, il réussissait encore à voir distinctement les traits de son visage crispé et la tension qui lui faisait serrer la mâchoire. Il ne voulait pas la défigurer de la sorte, et réussit d'ailleurs à le faire assez discrètement - mais l'expérience de la cour lui avait donné ces réflexes. Les intrigues politiques allaient bon train au palais et, autant pour les maîtriser que pour s'en préserver, il fallait être capable d'analyser son adversaire d'un coup d’œil. Même d'un œil diminué.
Elle entra à son invitation, d'un pas hésitant, presque penaud. Il referma la porte derrière elle sans un bruit, craignant presque de l'effrayer comme s'il s'était agi d'un petit animal farouche. Et, en vérité, c'était bien ce à quoi elle lui faisait penser : un animal pris au piège, qui voulait sans doute recouvrer sa liberté à tout prix. Il sentit son cœur se serrer de pitié; parce que d'une certaine façon, il avait l'impression de se voir lui-même. Non pas le lui actuel, mais le petit Zéphyr, l'enfant faible et sans valeur. Le petit garçon incapable de tenir une épée et qui, sur le terrain d'entraînement de la famille Winterhound, avait sur son visage la même expression de honte que Riley en ce moment.
Mais il se trompait sûrement. Peut-être était-elle juste mal à l'aise de se retrouver ainsi dans les appartements d'un homme inconnu - c'était même une justification beaucoup plus plausible. Il était surpris de constater qu'elle avait l'air presque aussi âgée que lui - il avait supposé qu'elle devait être de la génération d'Athena, et que c'était ce qui justifiait sa difficulté à écrire. Mais il s'était visiblement trompé... Soit. L'heure n'était pas aux jugements.
— Mais je vous en prie, répondit-il humblement à ses remerciements. Il faillit ajouter un "c'est tout naturel", avant de se souvenir qu'en vérité, ça ne l'était pas du tout. Recevoir l'enseignement d'un conseiller royal et non d'un simple précepteur tenait plutôt du privilège et de l'exception - mais que ne ferait-il pas pour sa chère petite sœur ? Installez-vous donc. Son sourire bienveillant toujours présent sur ses lèvres, il indiqua d'un ample geste du bras le fauteuil qui trônait dans le séjour. Et n'hésitez pas à vous mettre à l'aise : nous ne sommes pas à l'école, ici ! tenta-t-il un brin d'humour pour détendre l'atmosphère. Il ne voulait pas avoir l'air d'un professeur strict et rébarbatif, et préférait établir un premier contact aimable avant de passer aux choses sérieuses. Ainsi, il disparut dans la petite pièce qui lui servait de cuisine (mais qui était plutôt un simple garde-manger, car il n'y cuisinait rien à proprement parler) le temps que Riley s'installe, et revint dans le séjour avec un petit plateau de biscuits. De quoi briser la glace.
— N'hésitez pas à grignoter si vous en avez envie, fit-il en posant les victuailles sur la table basse. Ils sont au miel. Et dites-moi si vous avez soif. Nouveau sourire maladroitement lancé un peu trop à droite de la garde, car son regard était concentré sur la table, et il voyait donc le reste trop flou pour bien viser. Tant pis.
Il s'assit alors en face d'elle - non pas dans un fauteuil confortable, mais sur un modeste tabouret à trois pieds au siège si haut que lorsqu'il s'y asseyait, les jambes de Zéphyr étaient à peine fléchies. Il aimait être plus haut que ses interlocuteurs - non pas par envie de domination ou par prétention, mais tout simplement parce que ça lui permettait d'avoir une vue d'ensemble de la pièce : un élément vital pour un malvoyant ressentant le besoin de contrôler son environnement. Un peu comme un rapace sur son perchoir.
— Quand vous sentez-vous à l'aise avec votre lecture ? entra-t-il finalement dans le vif du sujet, mais avec la voix la plus douce qui soit. Un ordre de mission ? Un conte pour enfants ? Une liste de courses ? Avant de commencer, il avait besoin de savoir où elle en était. Et avant de juger son écriture, il voulait savoir comment elle appréhendait la lecture - car les deux allaient évidemment de pair. Était-elle complètement analphabète, ou maîtrisait-elle le sujet tant que le texte n'était pas trop long ? Savait-elle lire des phrases complètes, ou avait-elle besoin d'une liste de mots courts et simples ? Il y avait tant de facteurs à prendre en compte...
- Ça ira, merci… En retour elle lui offrit un maigre sourire puis tiqua légèrement. Son regard. Il y avait quelques choses qui ne collaient pas.
La garde avait toujours été très -trop- observatrice et avait la fâcheuse tendance d’analyser en excès les personnes à qui elle s’adressait ou qui piquait son intérêt. Si lors de son arrivée son esprit avait été trop occupé à paniquer pour qu’elle ne remarqua quelconques détails au sujet de Zéphyr -pas même les ailes gigantesques- elle arrivait maintenant à s’attarder un peu plus sur des détails qui auraient dû lui sauter aux yeux. Comme la gestuelle terriblement agile et précise du jeune homme ou encore sa façon de se mouvoir dans son environnement. Cependant elle ne chercha pas plus loin, peut-être était-ce l’angle de vu qui lui avait donné cette impression. Toujours en silence elle le regarda contourner l’endroit où elle était assise et prendre place en face d’elle. Jucher la haut sur son siège, elle avait l’impression que son aura l’écrasait d’autant plus bien que cela ne semblât pas être son but. Et lorsqu’il reprit la parole, elle ne put qu’affiche un air déconfit.
- Jamais. Je ne suis jamais à l’aise quand je dois lire. Contre toute attente elle n’avait pas cherché à enjoliver la réalité. Elle y avait pensé dans un premier temps avec l’espoir de ne pas passer pour une idiote incapable mais après réflexion il se serait bien vite aperçu de son mensonge et elle détestait par-dessus tout mentir. Elle n’était d’ailleurs pas très douée pour ça et lorsqu’elle s’y essayait, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. - Je ne lis quasiment que des ordres de mission… Elle plongea la main dans les pans de sa robe et en sortie le billet qu’il lui avait fait parvenir. Plié avec soin le papier était néanmoins corné par endroits. Elle le déplia doucement et le poussa vers lui. - Je dirais que j’ai mis environ… Dix minutes à comprendre exactement de quoi retournait votre mot. Si ça n’avait tenu qu’a elle, elle se serait immédiatement nouée son foulard autour des yeux et se serait terré au sein même de son pouvoir. Malheureusement elle ne le pouvait pas. Elle prit alors une grande inspiration avant d’ouvrir de nouveau la bouche. - Vous savez, j’essaie d’avoir le même niveau que les autres. Ce n’est pas par fainéantise que je n’y arrive pas. Mais… Lorsque je lis ou que j’écris. Il m’arrive d’oublier des mots, de les confondre ou pire encore de confondre leur lettre. Parfois même lorsque je lis un mot que je connais, je n’arrive pas à le saisir et suis obligée de relire plusieurs fois afin d’en comprendre le sens. Ces dernières paroles avaient été marmonnées a la vitesse grand v mais c’était là, la stricte vérité. Elle avait beau faire tous les efforts du monde son cerveau ne semblait pas vouloir faire ce qu’elle lui demandait.
Inconsciemment elle avança le haut de son corps plus près de la table avant de lancer un regard dans la direction de Zéphyr. - Certains de mes professeurs disaient que le manque de stimuli lors de ma croissance pouvait en être la cause. Pour la première fois, Riley avouait d’elle-même une partie de son passé tumultueux et aussi petite soit cette partie c’était une preuve gigantesque de bonne volonté. Encore plus grande que l’effort qu’elle faisait pour ne pas lui répondre uniquement par oui ou par non. Elle abandonna aussi quelques instants son masque froid et fronça légèrement les sourcils, l’air soucieux. Était-elle si cassée que ça ? Mais surtout, si c’était le cas, Zéphyr pouvait-il la réparer ? Ne serais-ce qu'une toute petite partie de ce qui avait été brisée chez elle depuis la naissance ?
— Jamais. Je ne suis jamais à l’aise quand je dois lire, avoua-t-elle avec une honnêteté remarquable. Je ne lis quasiment que des ordres de mission… continua-t-elle alors en sortant un morceau de papier plié de sa poche. Zéphyr pencha légèrement la tête sur le côté, reconnaissant finalement son papier à lettres. Petite fantaisie de sa part : il en avait commandé tout un bloc, en souhaitant que chaque page soit décorée d'une série de plumes. Évidemment, elles furent toutes tracées à la main par un dessinateur chevronné - inutile de préciser que ça lui avait coûté une petite fortune. Je dirais que j’ai mis environ… Dix minutes à comprendre exactement de quoi retournait votre mot. Il sourit doucement : il en avait mis autant à l'écrire. Il s'était extrêmement appliqué et avait pris tout le soin nécessaire pour former ses jolies lettres alambiquées. Plus les années passaient, et plus il avait de mal à écrire autrement qu'en utilisant son code - ne souhaitant pas laisser paraître son handicap, il acceptait donc de prendre de très longues minutes à s'exercer tous les jours. Et la missive pour Riley avait justement rempli ce rôle d'exercice journalier.
— Il faut dire que mon écriture n'est pas des plus simples, fit-il d'un ton léger pour dédramatiser la situation. Encore une fois, il tentait la carte de l'humour - mais il n'avait pas totalement tort, car son écriture de noble instruit n'avait rien à voir avec les pattes de mouche de la populace. Il fallait voir les courbes et les entrelacs que formaient ses lettres ! Un œil non entraîné pouvait avoir du mal à comprendre du premier coup.
Mais la pauvre commença à se justifier en une longue tirade. Elle expliqua en détails où résidait le problème, et Zéphyr en fut reconnaissant. Il préférait qu'elle soit parfaitement honnête avec lui - ça lui faciliterait le travail et les aiderait tous les deux. D'un autre côté, ce qu'elle lui disait ne le réjouissait nullement. Trop habitué à sa propre aisance, il ne comprenait pas qu'on puisse avoir tant de mal avec les arts littéraires - mais il voyait bien que Riley n'avouait pas ça de gaieté de cœur, et qu'elle était loin d'en être fière.
— Certains de mes professeurs disaient que le manque de stimuli lors de ma croissance pouvait en être la cause, termina-t-elle ses explications. Zéphyr sentit son cœur se serrer à l'entente de ces paroles - il ne pouvait même pas imaginer ce que cela impliquait, mais il n'avait pas besoin de savoir pour saisir la gravité de ce que la garde laissait transparaître. Mais tel était souvent le lot des enfants des bas-quartiers. Aryon était un royaume prospère, sa capitale une ville commerciale et cultivée; mais la pauvreté régnait partout, et nombre d'enfants erraient encore dans les rues.
— Athena ne vous aurait jamais envoyée ici si vous étiez fainéante, assura doucement l'ailé. S'il faisait alors preuve d'une extrême patience, c'était parce que Riley lui semblait volontaire, et honteuse. Il aurait eu tôt fait de jeter un élève insolent et irrespectueux hors du palais, dans le cas contraire. Athena n'avait finalement pas eu tort en lui demandant son aide : elle connaissait son grand frère, et avait sans doute compris qu'il ne résisterait pas au courage de Riley. Car il en fallait, du courage, pour vouloir s'améliorer de la sorte malgré l'injustice de l'enfance. Plus que du courage, d'ailleurs, c'était sûrement de la rage de vivre.
— Écoutez... commença-t-il en laissant étonnamment tomber ses réserves de noble. S'il restait tout à fait digne, il laissa sa posture se faire plus détendue, et sa voix moins bridée par les principes des bonnes manières. ... je vois bien que vous vous sentez mal. A vrai dire, il le ressentait plus qu'il ne le voyait, mais bon. La tension ambiante était oppressante de non-dits, et Zéphyr détestait ça. C'était pourtant souvent le cas dans le milieu de la noblesse, et le conseiller y était habitué - mais il trouvait cela ridicule en cet instant. L'étiquette aurait voulu qu'il taise ce qu'il soupçonnait, mais ça ne suffirait qu'à freiner l'apprentissage de Riley et les garder tous deux mal à l'aise toute la journée. Il n'y aucune honte à avoir, dans votre cas, assura-t-il d'une voix à la fois douce mais ferme. Regardez-moi : si je maîtrise la plume, je suis incapable de tenir une épée. Nous sommes quittes.
On disait souvent de Zéphyr qu'il se croyait plus haut que le petit peuple - et c'était le cas, quand il se retrouvait confronté à la masse de la plèbe. Mais il était rarement aussi mauvais face à des individus. Là, il pouvait compatir et être aussi doux qu'un agneau, comme en cet instant.
— M'est d'avis que seul un entraînement régulier pourra remédier à ce problème de lecture. Mais nous verrons cela plus tard... Il se leva, prit le bloc de feuilles décorées de sur une étagère, et alla le poser devant Riley - ainsi qu'une plume et un encrier. Cette fois, il ne retourna pas s'asseoir sur son perchoir, mais s'installa en tailleur à même le sol, de l'autre côté de la table basse. La seule façon pour lui d'avoir à la fois le papier et l'écrivaine en herbe dans sa ligne de mire. Je veux voir comment vous écrivez. Notez ce qui vous passe par la tête - ce n'est pas le contenu qui m'intéresse. Une pause. Puis, il rajouta, d'un ton qui se voulait rassurant : Et prenez tout le temps qu'il vous faudra...
La mine déconfite, la blanche fixait le visage de Zéphyr. Il avait percé à jour le masque qu’elle avait tenté de revêtir et cela lui flanqua un coup dans l’estomac. D’habitude personne ne se souciait ou même ne remarquait ses états d’âme. Elle eut même du mal à contrôler le rougissement de ses joues et son regard se fit immédiatement fuyant. Elle restait droite, immobile et fière mais tout son être lançait un appel à l’aide. Elle ne daigna relever les yeux vers lui que lorsqu’il évoqua son incapacité à combattre. Grands ouverts, ils le fixaient l'air un peu éberlué. Comment un homme de sa carrure ne pouvait donc pas être capable de tenir une épée ? Bouche bée elle ne détachait plus son regard de sa personne. En plus d’être un homme bienveillant voilà qu’il révélait l’une de ses facettes dans l’espoir de briser la glace. Ce qui eut d’ailleurs l’effet escompté puisque les épaules de Riley s’affaissèrent légèrement. Peut-être pourrait-elle payer sa dette de cette façon, en lui apprenant à se servir d’une épée ou ne serait-ce qu’à garantir sa propre sécurité ? Dans tous les cas il ne lui laissa pas le temps de réagir et se leva prestement pour aller chercher un bloc de papier qu’il déposa sous son nez. Interdite elle l’observa un moment. Les instants passés avant n’avaient plus rien de honteux, c’était maintenant que la véritable humiliation allait commencer. Puis d’un mouvement lent elle retira les gants qui couvraient ses mains. Fines et blanches, elles étaient ornées de maintes cicatrices. La garde saisit la plume avec habilitée et la trempa doucement dans l’encrier sans pour autant commencer à écrire.
- Merci de ce que vous faites. Je me répète mais merci. Pour une fois elle lui sourit doucement certes mais un sourire sincère comme elle n’en faisait plus. Puis elle griffonna un premier mot. Simple. Qu’elle ratura immédiatement pour le réécrire juste à côté une nouvelle fois. - Pardonnez-moi si je suis indiscrète, je n’ai pas l’habitude de m’entretenir avec une personne comme vous… Elle replongea sur le papier et tenta cette fois une petite phrase. Plissant les yeux tout le temps de l’écriture. - Pourquoi êtes-vous incapable de tenir une épée ? Trop curieuse. Voilà l’un de ses principaux défaut. Dès lors que son environnement lui semblait plus familier, elle ne pouvait s’empêcher de s’intéresser à tout et rien à la fois. Loin d’être malsaine, cette curiosité ne faisait que représenter l’envie qu’avait Riley de comprendre ce monde qui à ses yeux ne tournait pas rond. Cette fois ses iris se levèrent de la feuille et vinrent se poser sur le jeune homme. - Je veux dire… Aimeriez-vous que je vous apprenne ? Elle tritura ses doigts de sa main libre. - Il n’y a pas de domaine où je sois meilleure que celui-là. Et je n’aurais jamais assez de cristaux pour payer les cours que vous me donnez. Elle écrivit un nouveau mot. - J’ai une dette envers vous. Ainsi qu’envers votre sœur. C’était surtout là qu’elle voulait en venir. C’était la le seul moyen qu’elle avait de rembourser ce que le frère et la sœur lui offrait. Bien sur, elle ne rembourserait jamais Athéna à coup d’entraînement mais Zéphyr, lui, elle le pouvait peut-être.
Noble
Jevais faire un rabbort
Dette
Son écriture en patte de mouche la fit grimacer avant qu’elle ne lâche un bruyant soupire résolut. Doucement elle reposa la plume dans l’encrier en prenant bien gare à ne pas tâcher la table, ni sa feuille. Puis elle posa les doigts tour à tour sur les différents mots qu’elle avait écrits avant de reprendre la plume et raturer à nouveau.
Noble
Sourcils froncés, elle risqua un regard vers Zéphyr avant de lui lancer : - Je suis sincèrement désolée par avance mais connaissant mon incapacité, vous risquez de vous brûler les rétines. Elle aussi s’essayait à l’humour pour dédramatiser la situation, tout en sachant pertinemment qu’elle avait dû louper quelque chose quelque part. Elle loupait toujours quelques choses, même quand elle relisait dix fois. Finalement après avoir de nouveau précautionneusement rangé la plume, elle tendit le papier à l’ailé, le visage crispé.