Cette sorcière à la chevelure ébène, aussi sombre que les malheurs que peuvent apporter les corneilles. Cette voix si fluette, qui pourtant sonne avec une si belle harmonie, simplement diseuse des plus grandes outrances pour ces gens. Alors à son plus grand damne, elle avait fini par faire demi-tour se forçant ainsi à revenir en un meilleur jour. Ainsi, elle n’avait pas fait la même erreur, bien trop effrayée à l’idée d’être reconnue une fois encore ; Tala avait gardé sa capuche autant durant toute la montée qu’une fois à l’intérieur du palais. Elle avait même fait l’effort de faire une grande partie du chemin d’elle-même, afin de ne pas effrayer un marchand ou une quelconque personne qui aurait pu avoir la gentillesse de l’y conduire.
Finalement, elle avait parcouru le temple sans réellement savoir ou chercher sa victime. Tala en avait reçu une description physique assez abstraite, ainsi qu’un nom. Mais le plus impressionnant devait être la valeur de son rang. Il était prêtre. Rien que ça. Un initié dont la jalousie semblait être dès plus propice, jaloux de ce titre qui, en son sens, devait lui revenir. Alors, il désirait malheur au prêtre espérant que celui-ci se détourne de Lucy, pensant qu’il en avait été abandonné.
Du moins, telle avait été l’idée. Car il était fort probable que le prêtre connaisse l’existence de la sorcière ainsi que les rumeurs qui tournaient sur sa personne. Alors, s’il la voyait arriver dans son lieu de travail, le rapprochement ainsi que les paroles qu’elle lui destinait, suffisait à faire un étroit rapprochement. Mais ça, ce n’était malheureusement pas son problème. La discrétion n’était pas de son fait, du moins, pas face à la finalité de ses actes, elle n’était que gage de résultat et non pas de délicatesse.
Alors, elle essayait tout de même de parler aux moins de personne possible afin de ne pas mettre la puce à l’oreille de sa victime, Tala savait que les informations pouvaient se déplacer bien plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer. Pourtant, malgré quelques longs couloirs interminables et des pièces vides dénués d’once de vie. Presque dépitée face à l’évidence qu’il n’était pas ici aujourd’hui. La sorcière était prête à baisser les bras et revenir un autre jour. Du moins, après avoir ouvert cette dernière porte qui libéra la carrure d’un homme assez imposant. Une courte chevelure d’or qui correspondait plus ou moins à la vulgaire description qu’on lui avait cédé.
« Hohenzollern ? »
« Pitié pour moi, ô Lucy, on me harcèle,
Tout le jour des assaillants me pressent.
Ceux qui me guettent me harcèlent tout le jour :
Ils sont nombreux ceux qui m’assaillent là-haut. »
Le Prêtre de Lucy était sorti d’une séance de prière idéale, il avait longtemps profité des ressources qu’apportait un tel édifice. Transporté des années en arrière, il déambulait au milieu des couloirs, se remémorant chaque petits instants passés dans sa dévotion la plus parfaite. Il était ravi, un sourire éclairait son visage d’une lueur quasi-ensorcelante, et buvait du regard les statues alignées et les peintures ornant les murs des salles. Son pas était lent, profitant de son moment de quiétude afin de collecter ses pensées disséminées au fil de ses divagations. Passant la tête par les portes entrebâillées, il constatait que certaines recueillaient déjà quelques initiés, voire parfois des Frères et des Sœurs en étude alors il continuait son chemin, espérant trouver salle vide afin d’y travailler en solitaire, comme il en avait l’habitude. Changeant d’aile, il répéta la même démarche, cette fois-ci, les pièces étaient vides, totalement. Il s’amusa un instant, les passant en revue, faisant semblant d’hésiter parfois. Il était heureux et cela se voyait. Entrant dans une pièce finalement choisie au hasard, las de son manége ridicule, il s’installa à un petit bureau de bois, trônant dans un coin de la salle, éclairée par une trouée embellie par les vitraux l’ornant.
Les mots s’enchaînaient avec une rapidité qu’il n’avait pas connu depuis un moment. La joie que lui procurait le son léger du grattement de sa plume sur son carnet lui permettait d’abattre les pages de ses quantiques de morales. L’esprit vidé de toute luxure, la plénitude du moment l’avait transporté dans un état quasi-second. Caesar se sentait enfin libre de ses entraves, il n’était pas confronté à la brutalité de ses propres songes, ni même aux situations éprouvantes inhérentes à celle d’un Prêtre de Lucy. Il fallait avouer, que, parfois, sa tâche divine lui semblait inatteignable de par son aspect colossal. C’est pour cela, dans ses moments de faiblesses, qu’il se recueillait et se confondait en prière afin de gagner en courage et d’éclairer le chemin à prendre.
Se relevant, après une heure de rédaction idéale où il avait pu s’épancher sur l’Amour dans la morale et dans la vie de chacun, il se dirigea vers la porte afin de partir du Temple, son but était fixé : il se dirigerait vers le Village Perché afin d’y mener ses recherches. Alors qu’il allait pour actionner la poignée, la porte s’ouvrit d’elle-même. Non, une femme de haute stature, encapuchonnée avait pénétré dans la pièce, l’air un peu surprise de voir Caesar ici. « Hohenzollern ? » Le ton sonnait étrangement faux, mélodieux et en même temps très sinistre, prometteur de mauvaises aventures. Malgré ce premier aspect, que le Prêtre associait à une surprise diffuse contenue dans son ouïe, il répondit. « Madame ? Que puis-je faire pour vous ? » Un sourire éclatant illuminait son visage, toujours ravi d’une journée aussi fructueuse pour lui, il radiait de bonheur. Une rencontre à ce stade-là ne pouvait être que synonyme de bienfait. Enfin…
« Il était temps. »
Sans même enlever sa capuche de sa tête, gardant encore une grande partie de son visage dissimulé sous ce tissu noir, la sorcière s’appuya d’un coup de bras sur le prêtre afin de pouvoir passer et entrer dans la pièce. Sans la moindre once de retenu, elle en fit le tour assez silencieusement durant un temps pour finalement prendre place sur la chaise en face du bureau.
« Je ne sais depuis combien de temps, je vous cherche. »
Elle soupira d’une longue traite, comme si la sorcière avait fini par prendre fatigue de ses recherches. Il n’en était aucunement, Tala n’était pas le genre de femme à se fatiguer pour si peu. Du moins, jamais elle n’aurait été capable de s’occuper de certaines de ses missions si tel était le cas. Parfois, des victimes étaient pour le moins complexe à approcher, demandant de longues journées de marche dans l’épuisement le plus complet. Alors ici, ce n’était qu’une partie de plaisir sur le plan physique. Pour celui du psychologique, un peu moins. Son dos totalement posé sur le dossier de la chaise, la femme décida finalement d’enlever sa capuche d’un air dramaturgique.
Peut-être que le prêtre ignorait totalement sa personne. Où du moins, qu’il était incapable de la reconnaître parmi les nombreuses rumeurs qui existaient sur son fait. Du moins, tant est-il que sa chevelure de corbeau ainsi que la façon de se vêtir pouvait amener un léger doute. Tout autant de la ressemblance flagrante qu’elle possédait avec son paternel.
« On m’a engagé pour vous maudire, mon père. »
D’un air narquois, l’appellation de sa personne déformée d’une raillerie. Les syllabes prononcées avec douceur pour une sonorité des plus sauvages en fin de vie. Son regard, toujours posé sur l’homme qui lui faisait face, la sorcière se redresse de son piédestal pour feuilleter les différents papiers qui dormaient sur le bureau.
« Ce qui est pour le moins amusant, n’est-ce-pas ? »
Parce qu’elle était bien persuadée que sa malédiction ne soit pas inconnue de cet homme. Et la sorcière ne pouvait s’empêcher de jouer un peu avec sa victime, avant d’abattre ses mots sur son futur. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on a affaire à un tel prestige de Lucy.
« L’insensé a dit en son cœur :
« Non, plus de Lucy ! »
Corrompues, abominables dans leurs actions :
Personne n’agit bien. »
L’encapuchonnée le bouscula vivement afin de pénétrer dans la salle qu’il avait souhaité quitter. Intrigué, il la regarda faire le tour de la pièce, observer les divers atours, peintures et tentures, avant de se tourner vers la chaise qu’il avait occupée quelques instants plutôt. Caesar en profita pour l’observer un peu, un sentiment de malaise progressant silencieusement, sinueusement le long de son échine. Elle était entièrement vêtue de noir et d’un vert profond rappelant une émeraude brute. Le couplement des couleurs étaient harmonieux mais assez sinistre, associé rapidement aux maladies dévastatrices comme la peste dans l’iconographie du Culte. Ce mélange coloré avait quelque chose de charmant, d’envoutant presque. Le visage toujours caché par sa capuche, le Prêtre percevait tout de même des cheveux de jais, pendant par quelques mèches devant ses traits visibles. Chaque détail lui donnait l’impression d’être face à une peinture, une peinture sinistre faite par un crayonné obscur.
Lorsque son interlocutrice enleva son couvre-chef, il découvrit un visage atypique, marqué par une fatigue morale, une tristesse évidente et un sentiment familier naquit dans l’esprit du croyant. Caesar cessa d’observer les traits de la dame, un peu déboussolé – il n’arrivait pas à mettre un nom sur ce visage -, ferma la porte et s’avança un peu dans la pièce afin de notifier qu’il était intéressé par la conversation – même si celle-ci n’avait pas encore débuté. Pourtant, il suffit de quelques mots, deux phrases précisément pour qu’il sache qui elle était. Une rumeur amplifiée par des ragots et des peurs d’initiés, une sorcière maléfique qui maudissait chaque personne qu’elle croisait. Parfois, quelques illuminés l’avaient qualifié d’anti-Lucy. Il n’y avait jamais réellement cru. Malheureusement, elle se tenait face à lui, dans son propre fief, en plein Temple, impunie. Les mots lui firent l’effet d’un alcool fort, brûlant progressivement le long de sa trachée, de son œsophage, de ses intestins, liquéfiant ses émotions dans un concentré amer. Il sourit malgré tout, amusé par la situation et au lieu de s’enfuir – ce qu’il aurait probablement dû faire – s’avança dans la pièce, prit une chaise et s’installa en face de la sorcière. Etrangement, Caesar ne ressentait pas de haine ni de peur face à la maudite. Il était intrigué – quitte à y perdre la raison.
« Allons bon, me voici face à celle que tout le monde craint… Je ne pensais pas que vous seriez aussi jolie, votre apparence a été déformée par les vilains propos de mes confrères et consœurs. Enfin, je trouve votre abnégation remarquable, entrer ici, au Temple, compte tenu de votre position ne semble pas tâche aisée. Admirable. » Il marqua une petite pause, un sourire chaleureux, les yeux pétillants, frétillant à l’idée d’avoir conversation avec une femme clairement identifiée comme l’opposée de Lucy. « Si vous me parliez de vous ? Racontez-moi tout puis vous pourrez délivrer votre malédiction, je ne fuirais pas. Promis. Avons-nous un marché ? » Sur ces mots, il tendit sa main droite, le corps un peu penché en avant, le même sourire sur ses lèvres.
« C’est peut-être pour cela que rentrer ici m’est si facile. »
Lâcha-t-elle en lâchant sans la moindre once de respect le document qu’elle avait auparavant récupéré. En vérité, se faufiler à l’intérieur du temple ne lui était jamais très facile. D’une part, parce qu’elle risquait à chaque pas de tomber nez à nez avec l’un de ses géniteurs, mais surtout parce que malgré diverses rumeurs, la vérité savait planer entre ces murs. Certains initiés l’avaient déjà aperçu à plusieurs reprises, que cela soit à la capitale où dans n’importe quel autre lieu. Certains avait même été victime de son sort, dans leur plus grand malheur. Mais surtout parce que chacun sait que parmi les mensonges détournés, il y existe toujours un brin de vérité. La seule difficulté était donc de savoir l’entendre dans ce flot d’informations. Puis s’enchaîne d’un haussement de sourcil, lorsque son bras gauche, appuyé sur l’accoudoir, soutenait sa tête.
« C’est bien la première fois que j’entends cela. Les prêtres sont-ils si vaniteux, qu’ils ne craignent même pas l’abandon de leur bien-aimé ? »
Véritable question. La sorcière interrogative, c’était bien la première fois qu’elle faisait face à l’un des trois prêtres du culte. Elle n’était jamais rentrée en contacte avec l’une des prêtresses non plus, ou du moins, dans son âge de raison. Peut-être que les anciens l’avaient connu autrefois, avant l’abandon de ses parents. Mais ce n’était pas l’un des détails importants de sa vie, alors elle n’en avait strictement aucun souvenir. Un fait bien sans importance pour son développement, comme Lucy n’avait que faire de sa personne.
« Je n’ai pas l’habitude de perdre mon temps inutilement. »
D’autant plus qu’il était fréquent que la sorcière doive enchaîner les missions, mais pourtant aujourd’hui semblait être particulier. Sa prochaine cible n’était pas encore arrivée à la capitale et la sorcière se devait de profiter de l’instant qui lui était offert. Bien qu’elle n’en vît aucun intérêt, pouvoir discuter avec l’un des prêtres n’étaient pas donnés à tout le monde. Du moins, pas à une personnalité comme celle de Tala Saw.
« Mais pourquoi pas, après tout, je ne peux pas cracher sur un bonus si la violence de ma malédiction dépasse les attentes de mon client. »
Un léger coup de bluff, parce que la sorcière savait qu’une simple conversation n’était -en temps normal- pas assez profonde pour pouvoir augmenter la puissance de ses mots maudits. Sa tête toujours supportée par sa main, son corps toujours assis au fond du fauteuil. Un rictus au bout des lèvres.
« Et que voulez-vous savoir exactement ? Que mes parents m’ont abandonnée, souhaitant offrir un avenir à mon frère de peur que tous leurs espoirs soient anéantis par ma simple présence ? Est-ce une sorte de thérapie pour comprendre pourquoi Lucy a décidé d’abandonner la famille Saw. »
Comme un cracha au fond de la gorge.
« Malheureusement, je ne suis pas convaincu que vous puissiez comprendre l’essence de ma personne. »
Le mensonge n’y était pas, sa main qui s’élève pour passer dans sa chevelure.
« Tout comme je n’ai aucune envie d’entre quoique ce soit d’une personne de votre espèce, j’ai déjà assez donné. »
Une rancœur sans fin à l’égard de ses parents, fervent adorateur de la déesse Lucy. Bien qu’elle aurait pu en avoir envie, rester aussi longtemps dans un tel lieu lui donnait des nausées. Seuls ses mots comptaient en vérité, une simple malédiction faussement tournée. Le client n’avait pas été très précis, dans l’idée il souhaitait obtenir la place d’un prêtre afin de gagner du prestige dans le culte de la déesse. Pourquoi pas. Un prêtre malchanceux, qu’elle terrible idée.
« D’autant plus qu’il est dommage d’accepter un tel sort. »
La sorcière qui quitte le siège, s’approcher du prêtre afin de lui murmure des mots maudits. Une chance qui s’évaporerait dans les jours à venir, une malchance citée sans réelle importance. Un événement sordide qui lui ferait regretter d’avoir offert sa vie à une entité sans le moindre intérêt. Et les talons tournés, d’un léger rire, Tala rouvrir la porte afin de sortir du bureau sans même adresser un dernier regard à sa cible.