ALNA SOLIDOR

« Ministre Solidor, vous êtes demandé. »
Le regard du jeune garçon se déposa sur son père qui quittait la pièce sans même offrir attention à sa mère et lui. Il était sur départ pour une énième fois et la culpabilité ne semblait en rien l'enlacer, bien au contraire. Il se devait d'agir ainsi, c'était pour le pays, pour la famille royale disait-il. Alna se fichait des arguments de son géniteur — son esprit d'enfant se contentait de faire de ses têtes couronnées des ennemis, des êtres à critiquer, se railler.
Contrairement aux idées reçues il n'avait en rien ce manque de la figure paternelle comme certains s'amusaient à le prétendre. Il faisait avec mais elle était là, oui sa mère semblait-elle accablée par ses absences, ses départs. Elle ne disait rien, sa langue ne se déliait jamais mais son regard parlait pour lui-même. Le jeune garçon lisait en elle, comme dans un livre.

Cette famille pouvait se targuer d'être membre de la noblesse depuis des temps immémoriaux. Le nom de Solidor possédait une certaine saveur — les porteurs de se sang avaient pour la quasi-totalité tous prouvés leur valeur pour le pays. Des ministres, des conseillers et bien d'autres postes de renoms que de nombreux membres de cette lignée avaient pu toucher des doigts. La père de Alna n'était pas exempt de ce passif — il avait tout au long de sa vie travaillé dur pour atteindre des sommets. Devenu ministre et proche des souverains l'homme possédait une excellente image et réputation. Histoire glorifiante pour beaucoup mais le vivre de l'intérieur se voulait bien plus ardu.

Enfant timide et réservé le garçon avait bien du mal à sentir la pression appuyer sur ses épaules munie d'une vigueur que nul ne pouvait imaginer. Il pouvait briller de par son niveau social, il ne manquait en rien de nourriture, son lieu de vie frôlait le paradis et pourtant à l'intérieur de son être Alna se sentait comme grignoté. Des leçons reçues par son géniteur, un avenir tout tracé prenant l'apparence d'une prison.
L'ombre le constatait tous les jours, à longueur de temps et pourtant cela ne suffisait guère. Il était coincé dans un carcan, il ne pouvait pas agir. Alna avait poings et mains liés. Il laissait son visage s'habiller d'un sourire en coin, de faux-semblants prenant l'apparence de l'enfant modèle. Souvent il avait été frappé par des difficultés, une timidité à surmonter, des angoisses à achever mais c'est ainsi que le ministre l'avait éduqué.

Peu à peu il se détacha de son père, de son image. Génie de la politique, des décisions il avait su agir avec parcimonie et sagesse. Apprécié par ses proches de la noblesse Alna pouvait se sentir fier du rendu qu'il offrait. Pourtant, oui pourtant il n'avait pas réussi à se défiler de l'emprise passive de son paternel. En secret il appuyait son adhésion au rôle de ministre à son départ futur et proche. L'âge venant il était temps pour lui de tirer sa révérence mais il était hors de question que le nom des Solidor ne soit plus présent. L'ombre devait prendre la suite.

Refus. Rejet.
La réponse d'Alna fût catégorique — jamais il n'emprunterait se chemin. Jouer les apparences avait été un moyen de survivre pourtant loin de lui l'idée de se retrouver à une telle position. La rage du paternel se montra des plus vive, la discussion emprunta d'ailleurs une étrange tournure. De la menace, celle de devoir quitter la capitale, de se retrouver bien loin de celle qu'il protégeait depuis toujours ; sa mère.
Sur l'instant l'ombre ne comprit pas mais le piège venait de se refermer sur sa personne. Il avait voulu vivre des années de tranquillité en jouant le rôle d'un autre mais son jeu d'acteur avait été trop probant. Son père refusait que sa famille et son sang soient bafoués, il fallait de fait un poste important pour conserver cette lumière tout en donnant une leçon à sa progéniture.
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C'était il y a trois années.

L'homme était las, assis sur son fauteuil son regard se voulait joueur avec l'extérieur. Sa pupille observait les branches se mouvoir au rythme du vent. Devant lui sa main frêle tenait une lettre qu'il laissa filer au sol sans prendre la peine de la retenir en pinçant les doigts. Non, autant qu'elle se retire autant que ses pensées. Longtemps qu'il n'avait pas eu cette sensation parcourir ses veines. Un soupir las se permit alors de quitter ses lèvres.

Il avait été figé là par son paternel, son importance avait fait penché la balance et l'image d'Alna n'avait fait que convaincre les souverains de placer l'homme à cette position. Gouverneur au sein de cette montagne, proche de la frontière. Au départ frappé par le désespoir l'ombre prit vite position dans son nouveau rôle et très vite il se prit au jeu. Continuait-il les apparences comme il le faisait depuis maintes années ? Peut-être mais le rendu le confortait et lui convenait, pour l'instant en tous les cas.
Puis il y a eu cette missive cachetée du sceau de sa famille ; sa mère avait poussé son dernier souffle emporté par une maladie brutale. Aucune larme ne dévalèrent ses joues, il se contenta de le constater d'un air blasé. La noblesse et les apparences lui avaient pris bien des choses — du temps, sa vie de famille et bien d'autres points qu'il préférait ne pas énumérer. Aujourd'hui il était là, gouverneur et fier de ses obligations ; seul l'avenir dira ce qu'il fera de son temps et quels sont ses réels objectifs sur le long terme.