Profitant d'un soleil somme toute appréciable, Perceval avait décidé de rassembler les serviteurs de la maison pour procéder à un grand nettoyage de saison. Ainsi, plumeaux, serviettes et seaux virevoltaient dans toute la maison en quête de saleté à chasser.
Comme il aurait été dommage de s'arrêter en si bon chemin, le chef de famille avait décidé de jouer sur l'absence des maîtres de maison pour aller ranger le grenier. Là-haut, une multitude de souvenirs et d'objets en tous genres s'entassaient dans un labyrinthe poussiéreux et percé de quelques rayons de soleil.
Or, s'il était bon de connaître ses aptitudes, il n'en demeurait pas moins nécessaire d'identifier ses limites. En tout bon chevalier, Perceval n'avait pas assez de mains pour ranger tout ce bazar à lui tout seul, et c'est sûrement pour ne pas y passer d'interminables heures qu'il se mit en quête de trouver une âme à asservir.
Bien entendu, la chance sourit aux audacieux, et il ne lui fallut pas longtemps pour tomber sur sa victime.
Luna, la belle Luna. Esthétique, comme disaient les bureaucrates. Pour lui, c'était avant tout une petite-sœur pleine d'entrain, et ça tombait bien, car il faudrait bien du courage pour ranger cette myriade de camelote.
« Ah, Luna. Tu tombes bien. Viens m'aider à ranger le grenier. »
Tout en douceur, comme d'habitude.
Un autre jour, elle aurait peut être trouvé une répartie astucieuse pour l'ôter de cette corvée, mais elle n'avait pas la volonté de contester ce jour-là. Elle se contenta d'une moue désapprobatrice en se relevant, effectuant une révérence en guise de salut.
« Bien entendu, Perceval. »
Elle n'avait plus été au grenier depuis des années. Elle se souvenait pourtant y avoir passé un temps considérable avec Nox, lorsqu'ils étaient enfants. Toutes leurs cachettes pour les farces partait de là, si sa mémoire était bonne. La curiosité prévalut, et elle se demanda pourquoi Perceval pensait pouvoir mettre de l'ordre là haut. Personne ne s'en servait plus de toute façon.
« Es-tu bien sûr de vouloir aller là-haut, mon frère ? Elle hésita un instant. Perceval ne savait peut être pas pour toutes les farces. Nox et moi nous sommes beaucoup servi du grenier comme d'une cachette, enfants. Je ne sais pas s'il ne restera pas quelques surprises à nous, là haut. »
Demie-vérité, car Luna était presque sûre qu'il en restait. Elle voulait avant tout éviter de contrarier son aîné, qui semblait plutôt de bonne humeur, pour l'instant. Elle lui emboîta néanmoins le pas dans son ascension, avant que la vieille porte en bois aux milles gravures du grenier ne leur fasse face. Probablement fermée à clé, depuis le temps. Percy n'avait pas dû vouloir que M-A puisse y accéder à toute heure du jour et de la nuit.
Oh, il savait de quoi ils étaient capables. S'il venait à voir quoi que ce soit outrepassant son imagination, il serait fort bien disposé à appliquer la punition qui s'impose.
« S'il y a bien une chose dont tu devrais te méfier là-haut, c'est du fantôme. »
Oui, il était sûr, il était même convaincu... le spectre avait élu domicile dans le grenier. Parfois, le soir, il entendait taper, gratter... murmurer, même. Ce n'étaient pas les rats, ils avaient été éradiqués. Non, c'était bien cette dame menue, le visage livide, qui depuis son enfance, sa tendre enfance, se baladait dans les couloirs de la vieille maison.
Or si l'objectif principal était bel et bien de ranger le grenier, il n'aurait aucun scrupule à purifier l'impie de sa demeure si l'occasion se présentait.
Perceval glissa sa main sur la poignée, tournant un quart de tour. Le loquet bloqua, et l'homme fronça les sourcils. « Ma foi, j'avais demandé à Rowen de l'ouvrir. » Il poussa un léger soupir, et tourna les talons. « Attends ici, je vais chercher la clé dans mon bureau. »
En tournant le dos, il manqua comme une ombre fugace dans l'entrebâillement de la porte. Il commença dès lors à se diriger vers les escaliers, bien décidé, d'aventure, à passer un savon à son majordome...
... et laissa la pauvre Luna derrière, seule, alors que le grenier, pourtant verrouillé à clé, semblait habité...
« Mon frère, tu as encore beaucoup à apprendre dans l'art de la farce, mais je suis ravie de voir que même à ton âge, tu possèdes un sens de l'humour. »
Tout lui paraissait normal. Elle fit quelques pas, observant l'endroit poussiéreux et sombre. Mmh. Elle attrapa le cristal de lumière sur le meuble à côté d'elle. Une fois enfoncée dans le grenier avec sa petite lampe, la porte se referma. Evidemment.
« Je trouve ça vraiment puéril, Perceval. »
En fait, même un peu trop. Son frère n'avait jamais été du genre à faire des farces. Nox n'était pas là, et de toute façon ils avaient pour règle d'or de ne jamais se faire de farces entre eux, d'être toujours complice. Bizarre, bizarre. Elle tourna la poignée. La porte refusa de s'ouvrir. Luna inspira. De nombreux objets du grenier répondaient à son pouvoir. Le lien était poussiéreux, mais fort. Elle pourrait se défendre contre l'intrus qui tentait de lui jouer un tour. Elle ignorait comment il avait passé la sécurité de Perceval, mais il y avait quelqu'un qui tentait de l'intimider. Malheureusement pour lui, elle était une de l'Epée et rien n'était plus effrayant que les entraînements de Percy.
« Qui que vous soyez, montrez-vous et vous vous en sortirez sans trop de dégâts. »
Mais seul le cri de Luna se fit entendre dans le manoir.
Si la maison n'avait jamais vraiment été des plus calme, les De l'Épée n'étaient pas pour autant des animaux. Ainsi, tout enfant hurlant avait traditionnellement été reçu d'une torgnole dans la figure afin qu'il ne recommence pas. Mais cette fois, c'était différent. Il connaissait bien la voix de ses comparses, et celle de Luna ne pouvait pas le tromper. Qui plus est, aussi facétieuse qu'elle pouvait être, la demoiselle n'était pas du genre à crier ses poumons.
De par ce cheminement, le chevalier émit une conclusion. Elle avait été attaquée par le fantôme. Il pressa le pas, attrapant son fourreau au vol, avant d'arriver de la porte massive du grenier. À nouveau, il tenta de tourner la poignée, en vain. Il glissa alors la clé dans la serrure, pour se retrouver face à une autre tentative infructueuse. Quelqu'un se jouait de lui, dans sa propre maison, et il n'aimait pas cela.
« Les impies n'ont pas leur place dans ma demeure. » Sur ces mots, il scinda l'entrée d'un grand coup de lame agrémenté d'une fraction de son pouvoir. Les deux parties en chêne massif vinrent s'amasser sur le sol dans un gros bang sonore, et la silhouette du chevalier, baignée de lumière, fut projetée au centre de la salle.
Il posa ses yeux sur la jeune femme, là, entourée d'objet et apeurée, alors qu'un grand drapé rouge était venu se poser sur son épaule gauche. Toutefois, Perceval n'était pas dupe, et il comprit sans trop de mal que tout cela n'était point le fruit du hasard.
« Je ne tolérerai aucune engeance en ces lieux. » Il pointa sa lame vers le drapé, qui retomba doucement au sol.
En quelques secondes, la salle retrouva un peu de sa chaleur. Le blond entendit du bruit dans son dos, et très vite, un serviteur essoufflé vint se précipiter jusqu'à lui. « Maître, que s'est-il passé ?! Nous avons entendu un grand bruit, et... oh mon dieu, la vieille porte de votre grand-père... »
« Souillée par l'obscurité, Rowen. Nous la ferons refaire. Vous pouvez disposer, je m'occupe de tout. »
Un peu hésitant, le vieil homme obtempéra. Il descendit les escaliers, faisant signe aux serviteurs et autres femmes de ménage de reprendre leur besogne.
« Allons, Luna. Tu aurais dû être sur tes gardes. Comment te sens-tu ? »
« Je l'étais. J'ai vu une ombre et je n'ai pas perdu de temps pour réagir. Je n'avais pas d'armes, mais des dizaines d'objets dans le grenier étaient liés à moi. Au moment où j'allais le toucher, j'ai vu des choses. Ce... Ce truc m'a montré quelque chose que je ne comprends pas. La seconde suivante, tous mes objets se sont brisés en même temps et j'ai senti quelque chose qui m'attrapait. »
Elle savait que Perceval devait la trouver ridicule. Lui qui était si fier, si fort, si parfait. Et elle, qui avait l'air d'une lâche. Elle ne pouvait s'ôter la vision qu'elle avait eu de l'esprit.
« J'ai vu quelqu'un mourir, je crois. Une femme. Sa gorge a été tranchée, je l'ai vu, je l'ai entendue crier. »
Elle n'admettrait pas ouvertement qu'elle se croyait légèrement folle en cet instant, mais le chevalier à ses côtés pouvait le deviner. Elle s'écarta enfin de lui, la tête baissée, penaude. Elle retint ses larmes du mieux qu'elle le put, imaginant déjà les réprimandes à venir.
« Je suis désolée de m'être laissée abusée, mon frère. J'ai manqué de prudence. »
Elle ne souhaitait pas revoir cette chose.
« Je te crois. » Il posa sa main sur ses cheveux. « Luna. Certaines forces dépassent notre entendement. Tu dois rester forte en leur présence. » D'un geste ample de la main, il alla glisser Avalon dans son fourreau. « Même la peur personnifiée devient inoffensive si elle ne terrorise plus personne. »
Sur ce, il alla découvrir les rideaux, et en profita pour débloquer l’œil de bœuf. La lumière pénétra la salle et dévoila des monticules de poussière, ainsi qu'une multitude d'objets de toutes les provenances. L'endroit était tellement sale que Perceval manqua d'éternuer.
Après leurs recherches, il ordonnerait aux serviteurs d'y mettre un coup de chiffon.
Pendant un instant, son regard se perdit.
« Tu es la seule au courant. Peut-être devrions-nous chasser cette... chose. Je pense qu'en fouillant un peu, nous pourrions trouver des informations qui nous seraient utiles. Pendant trop longtemps, j'ai laissé ce problème irrésolu. »
Il se tourna vers elle.
« Mais cela pourrait être dangereux. Pour cette fois, tu n'es pas obligée d'accepter. Je peux m'en charger seul. »
« Je t'aiderais. Mais laisse moi attraper mon épée, d'abord. Aucun des objets ici n'a fait l'affaire, je me sentirais plus rassurée avec une vraie lame. Elle se retourna, mais attendit une seconde avant d'hésiter à révéler le fond de sa pensée. Par respect pour l'attitude de son frère, elle osa formuler sa phrase. Je n'aurais pas peur si je suis avec toi. »
Elle virevolta sur ses deux pieds et descendit à toute allure vers sa chambre. Un peu pressée, à peine le seuil de la porte passé qu'elle l'appela à elle. L'objet vint donner sa garde dans la main de Luna, qui accrocha le tout à sa taille, remontant ensuite rapidement vers le grenier.
« Bon ! Par où on commence...? »
Le grenier était vaste, et la pile d'objet à fouiller plus encore. Elle observa les environs, cherchant quelque chose de familier sur lequel accrocher son regard. Rien ne lui parlait spécifiquement, mais des tonnes de choses avaient été entreposés là par d'autres membres de la famille.
« Perci--eval. Elle avait failli lâché son surnom. Je n'ai plus mis les pieds ici depuis que je suis enfant, est-ce que quelqu'un s'est déjà donné la peine de... trier tout ceci ? En faisant des piles qui appartiennent à certains membres de la famille, par exemple ? »
Cela pouvait faciliter leurs recherches, et Percy devait en savoir plus sur ce grenier qu'elle. Sur la maison en général. Elle fronça les sourcils.
« Si tes histoires de fantômes étaient vraies - car cela ne pouvait être autre chose... Pas vrai ? - où as-tu croisé cette chose avant, mon frère ? »