La cellule
On le jeta presque dans la cellule froide. Le procès avait eut lieu le matin même et il n'avait pas tout compris. Il était accusé de meurtre, d'homicide volontaire. La sentence pour lui était la prison pour une durée indéterminée et un reconditionnement théorique. Mais à cet instant, Shane n'était qu'une coquille vide. Son pouvoir n'étant guère utile pour s'échapper d'une cellule, on lui avait passé de simples menottes, et isolé au fin fond de la prison. Sentant qu'il allait rester là un moment, le brun à la peau tristement pâle s'assit contre le mur, grimaçant sous la douleur familière des cicatrices encore vives sur son dos.
Il ne comprenait pas vraiment la situation, comment l'aurait-il pu ? Depuis l'âge de six ans, Shane n'avait connu que les coups et la violence, puis ce formatage pour tuer quiconque ment. Où était le mal ? Et le bien ? Avant ces six ans, il s'en souvenait encore, il était frappé, laissé à lui seul... On venait, ce matin-même, de lui donner un nom ainsi qu'une identité pénitentiaire. Shane, c'était son identité pour le moment. Le juge lui avait expliqué qu'il aurait un nom de famille à sa sortie potentielle. Il avait pu choisir dans une liste, et voila, il avait un nom.
Il sursauta la première fois qu'on lui donna à manger. Une assiette ainsi qu'un plateau avec de l'eau, du pain, et un repas. Un vrai repas. Au début, habitué à être privé de nourriture, il mangeait peu. Maigre, ses côtes apparentes, des joues creuses. Il était la marque même de la famine et de l'abandon. Le premier jour, un prêtre vint lui parler de Lucy, déesse de la chance. Mais le brun, stoique, ne bougeait pas, les yeux dans le vague et le corps voûté, adossé au mur. Les gardes se relayaient, mais lui ne bougeait pas, ou à peine. Seul, toujours seul, confronté à cette mémoire infinie qui n'était qu'un fardeau à ses yeux. Il ne pouvait pas dormir, sa vie le rattrapait toujours. Avec les visites du prêtre, il commençait à saisir le bien et le mal. Il était le mal. Mais on lui répétait que ce n'était pas sa faute.
Cela faisait à présent un mois que Shane était dans sa cellule. On lui avait apporté régulièrement des affaires de rechanges et un médecin passait souvent pour surveiller les blessures, infligées par magie et donc longues à guérir. Pour dire, parfois certaines cicatrices saignaient encore. Il n'avait presque pas bougé, sa peau avait repris quelques couleurs et son corps semblait en meilleure condition, ravitaillé par la nourriture. Quand il s'endormait, Shane criait d'horreur avant de revenir à cet état de statut. Il n'avait aucune notion du temps à vrai dire. Il jetait des regards aux gardes quand ils changeaient. Et ce jour-là, il ne reconnut pas la jeune femme qui fut mise en poste devant sa cellule.
Le changement de gardes arriva. Tu t'avançais silencieusement dans le couloir, le bruit de tes pas et le froissement de ta robe raisonnaient contre les murs. Une fois à la hauteur de ton camarade, tu le saluas d'un signe de la tête avant que celui-ci ne quitte son porte pour te laisser la place. Tes pupilles azurées se posèrent sur le garçon assis au fond de la cellule. Sans le quitter des yeux, tu posas Balmung - ton épée à deux mains - contre le sol, prenant appuie contre le pommeau. Et aussitôt, tu te demandas ce qu'il avait bien pu faire pour se retrouver là. Tu n'avais pas posé de questions à ton supérieur. En fait, tu t'attendais à un criminel des plus... effroyables. Physiquement parlant. Sauf que là... C'était tout le contraire. « Quel est ton nom? » Ta voix était douce, sans aucune agressivité. À vrai dire, à le regarder ainsi, tu ne savais pas vraiment quoi penser. Pourtant, tu avais bien conscience que les apparences peuvent être trompeuses et s'il était là, c'est parce qu'il y avait une bonne raison. Ne sachant pas s'il allait te répondre ou non, tu décidas de te présenter. « Je suis Sariah. » Inutile de faire une longue présentation, peut-être qu'il n'avait même pas envie de te parler ou de te connaître.
Tu t'éloignas alors de quelques pas pour aller t'adosser contre le mur en face de la cellule. Tu ne désirais pas lui tourner le dos. Ta mission était de le surveiller, alors tu le surveillerais. Tu l'observerais dans le moindre de ses faits et gestes.
La cellule
Il l'observa d'un regard passif, sans la détailler. Il remarqua cette chevelure blanche, son jeune âge. Pourquoi on l'envoyait ici, à la cellule qui attestait qu'il était un grand criminel. Elle avait une grande épée, loin des armes que lui avait connu. Il remarqua son coefficient criminel et juste essayer d'y voir plus précisément lui fit mal au crâne. Sa vision manichéenne étant biaisée, son pouvoir ne pouvait pas facilement s'activer depuis qu'il était là. Mais il se sentait en sécurité. Sans bouger, il frissonna quand la jeune femme lui demanda son nom. Au début il ne sut quoi répondre, puis réalisa qu'il ne pouvait répondre. Elle se présenta : Sariah... Il aimait bien, le nom sonnait joli à ses oreilles. Il leva son regard bleu, mais vide, vers elle, la tête bougeant à peine. Doucement, il tendit la main vers la verre d'eau qui se remplissait toujours magiquement, éblouissant le jeune homme de cette magie douce, et bu une gorgée.
Shane. Mon nom est Shane
On pouvait ressentir le vide et l'instabilité dans sa voix d'ado de seize ans, brisée par les années à crier ou à se taire, brisée par des conditions inhumaines qui pour lui était une norme. Il tremblait de s'être juste présenté. Le plus grand criminel d'Aryon d'après les juges était un môme de seize ans que Lucy avait apparemment abandonné. Il n'en était rien, mais nul ne le savait.
Le brun inclina vers la droite doucement la tête pour observer la jeune femme, ses cheveux en batailles et sales tombant devant ses yeux. Pourquoi, au contraire des autres gardes, elle lui avait posé une question ? Etait-ce un ordre ? En se redressant, les blessures de Shane s'appuyèrent contre le mur et lui arrachèrent une grimace. Mais il se força à reprendre la parole :
Pourquoi ? Pourquoi tu me poses la question ?
Sa voix brisée et son manque de syntaxe attestait encore de ce passé misérable.
Il te posa alors une question en retour. Pourquoi? Un léger sourire étira tes pulpes roses. « Je désirais seulement connaître ton nom. Par simple curiosité. » Bien que tu en aies entendu parlé, tu ne savais pas exactement ce qu'il avait fait. Quels étaient les crimes qu'il avait bien pu commettre pour se retrouver ici? Ils devaient être nombreux et terribles dans tous les cas. « Dis-moi, qu'as-tu bien pu faire pour te retrouver ici? » Tu parlais toujours d'une voix douce. Tu ne lui donnais pas d'ordre, loin de là. Il pouvait te répondre s'il le désirait, mais tu étais bien curieuse. Tu voulais savoir. Après tout, les adolescents de son âge devaient être en train de rire et profiter de la vie. Pas être en train de croupir et moisir dans une cellule. Tu croisas alors les bras sous ta poitrine. Pas une seule fois tu ne l'avais quitté des yeux. C'en était presque troublant, voir irritant. Tu avais pris cette habitude de toujours observer les alentours et ceux qui t'entouraient. Cela t'était plutôt utile, car tu pouvais découvrir leur point faible ou leur point fort. « Dans tous les cas, tu ne sembles pas avoir eu la vie facile. » Il s'agissait là d'une simple supposition, et pourtant, si seulement tu savais à quel point tu étais proche de la vérité. Il ne devait pas avoir connu une vie comme la tienne, entourée des siens et d'amour en abondance. Enfin, la vie n'était pas toujours rose, tu ne pouvais pas le nier, mais certains l'avaient plus difficiles que d'autres.
La cellule
Allez savoir pourquoi, mais cette jeune femme l'obsédait pour le moment. Le dos douloureux de ces cicatrices qui ne partiraient jamais, Shane fit l'effort de se redresser et appuya sa tête sur le mur, comme s'il était trop faible pour la tenir seul. Sariah affirma seulement vouloir connaitre son nom, par curiosité. Il était étonnamment étranger à ces sentiments, comme atrophié. Il ne connaissait rien et n'importe qui en dehors de cette cellule devait être désolé. Jusqu'à connaitre son crime. Quand Sariah lui posa la question, il répondit d'un ton neutre, comme s'il avait annoncé la météo :
J'ai tué quatre personnes. Mes maîtres.
L'enquête était en cours pour déterminer le nombre de victime qui avait succombé aux coups et blessures des interrogatoires du jeune homme, pour qui la violence et la mort était la normalité. Dans ses maîtres, l'un avait le pouvoir d'insuffler un comportement à un homme en en faisant une banalité. Il avait usé de son pouvoir sur Shane, et sa mémoire et son origine avait fait le reste. Il n'avait pas connu ses parents, ou plutôt si, mais il ignorait ce qu'était l'amour parental. Ses géniteurs devaient être morts sous la drogue ou la folie, peut-être.
La vie facile ? Il n'avait connu qu'une vie, avec ses géniteurs ou avec ses maitres, une vie où à la tombée du jour, on redoutait le fouet, ou on espérait un bout de pain. Le bout de pain c'était le bonheur, il n'en fallait pas plus à l'enfant qu'il était. On l'avait empêcher de sortir dès la naissance de son pouvoir, alors il ne connaissait que la maison délabrée et sa chambre, un miteux matelas. Mais souvent, il avait le fouet et finissait enfermé dans sa chambre. Il ferma les yeux, chercha à déglutir et finalement, reprit une gorgée d'eau.
Je sais pas. Je dirais que si. Les juges ont dit que c'était monstrueux. Alors je ne sais pas. J'ai vécu, je dirais que c'était facile, parfois un peu compliqué.
Sa notion du monde était faussée, on pouvait aisément s'en rendre compte. Sa voix, avec quelques phrases, cherchait à se fluidifier.
Tes paupières se fermèrent quelques instants, le temps d'imaginer ce qu'il avait vécu. Avait-il été maltraité? Avait-il été forcé de faire quelque chose contre son gré? Ce n'était pas une vie cela. Pourtant, il n'aurait pas dû les tuer, même si c'était pour se libérer. Il y avait la justice pour cela. Les gardes étaient là pour cela. Tu étais là.
Tu ouvris finalement les yeux, ton regard se posant à nouveau sur Shane. Il déclara qu'il ne sais pas s'il avait eu une vie facile, enfin il le pensait peut-être. Les juges disaient que c'était monstrueux, alors il ne savait pas trop quoi penser. Il avait vécu, mais c'était un peu compliqué. Doucement, tu secouas la tête. « Je ne sais pas ce que tu as vécu jusqu'à présent, mais tu n'aurais pas dû vivre ça. Personne ne le devrait. » Tu en étais certaine simplement en l'entendant parler. Simplement en l'observant. Il semblait lui manquer quelque chose, à ce gamin. Il semblait sans vie. Sans émotion. Comme s'il n'avait jamais réellement vécu autre chose que la misère. « As-tu tué d'autres personnes, à cause de tes maîtres? » Cette question était clairement déplacée. Certaines personnes auraient préféré ne pas savoir même. Sauf que toi, tu l'avais posé. Même si ton coeur se serrait dans ta poitrine, car au fond, tu redoutais sa réponse. Tu avais mal pour lui.
Plusieurs le considéraient certainement comme un monstre, mais toi, tu n'en voyais pas un. À vrai dire, tu ne savais même pas ce que tu voyais. Un gamin qui avait lutté pour sa liberté, peut-être? Un adolescent aux mains souillés? Ou alors un criminel, le pire de tout le royaume? Tu n'aimais pas ceux qui faisaient le mal. Tuer était un crime capital. La justice était là pour venger les citoyens, mais parfois, lorsqu'il s'agissait de l'autodéfense, c'était une autre histoire. S'était-il défendu? Ou les avait-il tués sous l'impulsion? Tant de questions qui restaient sans réponse.
La cellule
Elle ne s'était pas enfuit, n'avait pas vomi, ne s'était pas effondré. Il avait eut ces réactions dans la salle d'audience. Mais Sariah ferma seulement les yeux, redonnant à la cellule ce silence pesant. Shane ignorait qu'en Aryon, pays dont il venait de connaître le nom, le crime le plus haut était le meurtre. Il en avait commis quatre. Pendant le procès, on lui avait fait boire de la potion de vérité et on lui avait demandé son histoire. Il avait pu être précis grâce à sa mémoire, et la délibération avait été longue. Il ne savait pas lui, mais les juges, sous influence du couple royal, avaient voulu essayer de rendre à ce jeune homme une chance. Il avait subi sa vie, on voulait voir s'il pouvait être sauvé. Quiconque dira que Shane était un être abandonné de Lucy se trompera, car la déesse semblait veiller sur lui avec ferveur.
Sariah rouvrit les yeux et Shane eut un très léger mouvement, à peine perceptible. Il l'observait, il l'a regardé. Il n'avait pas connu de femmes, jamais. Mais si elles ressemblaient à Sariah, il adorait les femmes. Sariah était jolie. Elle l'informa que personne ne devait vivre ça, sans pour autant savoir ce qu'il avait vécu. Il ne comprenait pas, où était le malheur dans sa vie ? Elle lui posa une question à risque : combien de victimes ?
Je ne sais pas. Je dirais personne. Ils mentaient, mais on m'empêchait de les tuer.
Il semblait d'un seul coup plus fatigué. Pendant le début de sa captivité, on était venu lui expliquer ses crimes, le bien et le mal. Il n'y comprenait pas grand chose mais il saisissait peu à peu l'horreur de ses actes, de ce sang sur les mains. Il voulait comprendre pourquoi les gens y voient le mal.
Sariah, pourquoi les gens disent que je suis un monstre ?
Une curiosité neuve, poussée par ce début de travail de l'état sur sa personne. A l'avenir, il comprendrait, mais là il ignorait qu'un crime aussi grand puisse le faire apparaître comme un monstre.
Tu l'observas alors silencieusement, ne sachant pas vraiment quoi dire suite à un tel aveux. Et puis, il semblait soudainement fatigué. Tu préféras ne rien ajouter. Autant pour toi que pour lui. Cependant, à ta grande surprise, il te posa une question qui te laissa sans voix. Pourquoi les gens disent qu'il est un monstre? Tu déglutis péniblement, passant une main sur ta nuque. Comment le lui expliquer? Tu souhaitais trouver les mots justes afin de ne pas le blesser.
Après de une minute de silence qui te semblait une éternité, tu finis par prendre la parole. « Commettre un meurtre est un crime grave, mais je ne pense pas que ce soit seulement ça qui pousse les gens à te considérer comme un monstre. » Des meurtriers, il y en avait eu et il y en aurait probablement toujours. Ils sont des criminels détestés par tous, mais tu pensais qu'il y avait autre chose. Ce n'était pas aussi simple que cela. « Tu as tué quatre personnes, mais le pire dans tout ça, c'est plutôt le fait que ce soit normal pour toi. Pour les autres, tuer n'est pas un geste normal que l'on fait tous les jours » C'était même inhumain. De ce que tu avais entendu - les rumeurs circulent vite - et de ce que tu voyais, il ne connaissait pas la notion du bien et du mal. Ou du moins, pas la même que toi ou les autres habitants du royaume. Tu pris alors une profonde inspiration. « Je pense qu'il y a aussi le fait que tu ne sois qu'un gamin. » Les enfants ne commentaient pas de meurtre. Ils jouaient, ils riaient, ils pleuraient, mais ils profitaient de la vie et de leur enfance.
Tous ces facteurs mis ensemble expliquaient pourquoi les gens le considéraient comme un monstre. Cependant, tu tenais à le rassurer un peu, alors tu lui souris. « Mais si les juges t'ont laissé une chance, c'est parce qu'ils croient en toi. Ils croient que tu peux devenir quelqu'un de bien. » Il était jeune, il avait encore toute la vie devant lui pour se racheter, pour changer.
La cellule
On pouvait sentir la tension qui peu à peu apparaissait chez Sariah. Que faire face à un criminel de cet ampleur. Un meurtre suffisait à faire exiler un homme, alors quatre... Mais Shane sous entendait qu'il y en avait peut être plus que quatre. Et sa question n'eut que le silence... Puis Sariah répondit. Le meurtre était un crime, ça il l'avait compris. Normal pour lui ? Il n'avait rien connu d'autres. Le jeune homme expira, comme s'il avait retenu l'air dans sa poitrine. Un de ses mèches brunes vola sous son souffle et il l'observa retomber sur son front. Il méditait les paroles de la garde.
La normalité est une notion relative, mais sans cette référence qui est la loi ou le modele social, la normalité devient faussée par le sujet. Shane était bourré de ces contre intuitions. La jeune femme souligna aussi le fait qu'il était jeune, et il ne comprenait pas ce point : quel rapport avec son âge ? Que faisaient les jeunes de son âge dehors ? Il ne demanda pas, au fond il s'en foutait. De ses yeux bleus, le jeune homme observait la garde. Une chance ? Oui on lui répétait qu'il avait de la chance, qu'on lui laissait une ultime occasion de prouver sa valeur.
C'est ce qu'on m'a dit. J'ai de la chance.
Un pas au bout du couloir lui fit redresser la tête. Le médicomage venait pour vérifier l'état de santé du prisonnier. L'état avait prévu de cette captivité pour le remettre sur pied mais les blessures dans son dos inquiétait les médecins. Le brun se leva avec difficulté tandis que le médecin, avec un regard pour Sariah, entrait dans la cellule. Shane retira son haut, il avait l'habitude depuis un mois, tous les deux ou trois jours. Le médecin s'attela à retirer le bandage magique du dos du garçon, qui se tenait les mains contre le mur. Le blanc du pansement laissa place à des traces rouges de coups, certaines encore sanglantes malgré le mois de soin déjà utilisé. La magie du frappeur était puissante et aucun soin n'avait été apporté, expliquant l'état du jeune homme. Le médecin lança à la garde :
Je vous déconseille de regarder demoiselle. Ou même de lui parler. Je ne sais pas d'où il revient, mais ce n'est pas beau à voir...
Il appliqua un onguent magique sur les blessures du brun, qui serra les dents et les poings contre le mur. L'exercice fut bref et Shane pu remettre son haut, encore à vif de ce qu'on lui disait être pour son bien. Le médecin salua la garde et quitta la prison d'un pas rapide, de toute évidence mal à l'aise. Appuyé au mur, Shane resta un peu débout. Il jeta un regard en coin à la garde avant de rebaisser son regard vers le sol.
Ils n'ont pas prévu de me libérer, pas vrai ?
Même si on disait sa vie misérable, que maintenant on le soignait et on lui donnait à manger et même des douches, il ne se faisait pas à cette petite fenêtre donnant sur le monde. Un échantillon qu'il aimerait découvrir un jour.
Du bruit au bout du couloir attira ton attention. Tu tournas légèrement la tête et tes pupilles azurées se posèrent sur un homme. Tu ne le reconnaissais pas, mais d'un simple regard, tu sus ce qu'il était venu faire. Il était probablement le médicomage qui s'occupait de Shane. Tu le saluas de la tête et le laissa faire à sa guise. Tu devais néanmoins surveiller ces faits et gestes tout comme ceux du prisonnier. Après tout, tu étais là pour que rien n'arrive à qui que ce soit. Tes yeux ne quitta pourtant pas l'adolescent. Tu le vis retirer son haut, le médecin retirer les bandages et... ces blessures. Affreuses. Épouvantables. Tu étais si abasourdie que tu n'entendis même pas les paroles de l'homme qui te conseillait de ne pas regarder. Trop tard. Déglutissant péniblement, tes paupières se fermèrent quelques secondes avant de s'ouvrir à nouveau. Vraiment, tu te demandais ce qu'il avait bien pu vivre jusqu'à aujourd'hui. C'était presque mieux pour lui d'être enfermé ici plutôt que de retourner là d'où il venait.
Le médecin termina et reparti aussi rapidement qu'il était arrivé. Tu lui jetas un coup d'oeil. Le pauvre semblait décidément mal à l'aise. Tout comme toi à l'heure actuelle. Shane reprit alors la parole et tu reportas ton attention sur lui. Il te demanda alors s'ils avaient l'intention de le libérer. Tu lui répondis avec honnêteté. « Je ne sais pas. Pour être franche, je n'ai aucune idée de ce qu'ils vont faire, mais dis-toi une chose. S'ils t'ont gardé, c'est que tu as l'espoir. » Tes yeux se levèrent vers la petite fenêtre. Il devait avoir envie de sortir, de voir le monde extérieur, de vivre tout ce qu'il n'a pas pu vivre jusqu'à aujourd'hui. « Le jour où tu sortiras, je serai là pour t'accueillir dehors. » C'était une promesse. Pourquoi dire de telles paroles? Tu en avais aucune idée. Tu voulais seulement le faire. Malgré ce qu'il était, il pouvait encore changer. Tu le savais, au fond de toi.
La cellule
L'espoir. Sariah avait parlé d'espoir. Il ne savait pas trop ce que c'était. Pas à cette échelle du moins. Il découvrait à peine les conventions sociales, sa voix n'avait jamais autant résonné dans une pièce. Il n'avait jamais eut de conversation. Pas comme ça... Pas si douce.
Il ne savait pas ce qui l'attendait mais cette mise à mort était plus douce que celle qu'il avait infligée à ses quatres victimes, les éventrant, tranchant leur gorge ou plantant un couteau dans le coeur. Il était nourri, propre. Il ne pouvait dire reposé car ses nuits, comme depuis toujours, étaient affecté par ses rêves, horribles et horrifiques. Des cauchemars qu'il n'arrivait à encore à identifier.
Le jour où tu sortiras, je serai là pour t'accueillir dehors.
Il releva cette fois-ci clairement la tête, croisant de son regard bleu les yeux de Sariah. Il y avait un sentiment neuf dans ce regard, la gratitude, même si elle était encore inconnue du jeune homme. Mais au fond luisait ce doute, cette éternelle question.
Pourquoi tu ferais ça ?
Il se reprit immédiatement avec un sourire gêné, détachant son regard de celui de la jeune femme.
Pardon, je pense que la question n'a pas à etre posée. On essaie de m'apprendre la norme ici... Et j'essaie de m'y plier
Il lui lança un maigre sourire, adossé au mur comme si son équilibre était sans cesse menacé et qu'il préférait souffrir de vieilles blessures plutôt que tenir debout sur ses deux jambes.
Tu ne fus donc guère surprise de la question de Shane. Bien qu'elle fut un peu directe. Cela te fit même sourire, car il s'excusa avec un petit sourire gêné. Tu secouas alors la tête et lui répondis. « Tu n'as pas à t'excuser. Tu as raison de vouloir savoir. Nous venons tout juste de nous rencontrer, après tout. » Tu plongeas ton regard bleu dans le sien, toujours souriante. « Sache seulement que je ne veux pas te laisser seul lorsque tu sortiras. C'est bien, d'avoir quelqu'un pour nous accueillir. » Que ce soit lorsque l'on sort de prison ou lorsque l'on rentre à la maison. C'était réconfortant. Chaleureux. Agréable même. On se sentait aimé ainsi. « Et tu devrais sourire plus souvent. Ça te rend plus mignon. » Tu étais sincère dans ce que tu disais. Shane n'était pas laid, seulement un peu frêle. Sauf qu'avec un peu d'entraînement et une bonne alimentation, cet adolescent deviendrait un homme.
Tu t'éloignas alors du mur sur lequel tu t'étais adossée pour t'étirer. Mine de rien, rester planter debout longtemps n'était jamais confortable. Tu fis donc quelques pas pour te dégourdir les jambes. « Tu sais, ils essaient de t'apprendre la norme, mais le plus important, c'est qu'en sortant d'ici, tu apprennes qui tu es vraiment. Que tu deviennes la personne que tu veux être. » Le plus important, c'était cela. Être soi-même. Faire ce que l'on voulait faire. Vivre, tout simplement.
La cellule
Cette fille le connectait pour la première fois avec le monde, les gens. Avec les gentils de ce monde. Shane n'échapperait pas à la vision manichéenne du monde extérieur. Quand elle souligna qu'ils venaient de se rencontrer, il haussa les épaules et posa son regard au sol. Il la trouvait gentille, il n'arrivait pas à mettre les mots dessus, il ne les connaissait pas, petite âme égarée. Mais néanmoins, un sourire franc traversa son visage blafard quand elle souligna qu'il était plus mignon avec le sourire. Au ton de sa voix, il comprit que cela était quelque chose de bien, qui le mettait en valeur. Alors il souriait, mais le sourire naturel s'effaça peu à peu, comme si Shane s'en trouvait fatigué.
Sariah fit quelques pas pour se dégourdir les jambes, le jeune homme la regarda du coin de l'oeil et l'écouta quand elle lui expliqua qu'il devait être qui il voulait être. Comment pouvait-il le savoir ? Est-ce qu'on lui laisserait le temps ou la chance d'avoir une réponse à cette question ? Il releva le regard vers la belle garde, la suivant des yeux.
Pourquoi tu as choisi d'être garde ? Tu n'as pas peur ?
En disant cela, il se leva et se rapprocha de la grille qui le séparait du couloir. Ses pas avaient beau être rouillés, on comprenait par son attitude qu'il lui demandait si elle avait peur... de lui. Beaucoup avaient peur de lui, pourquoi pas elle ?
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