Silas sleipnir

Comme tous les jours tu es pressé... mais ce matin l'éclat d'une de tes boucles d'oreilles dans le miroir attire ton oeil et tu te figes. Ton regard se plante dans les iris dorés de ce double qui t'observe. Il y a longtemps que tu n'as pas pris le temps de te dévisager toi-même... de t'admirer dans cette surface réfléchissante. Tu ne parles pas d'arranger tes cheveux ou d'essayer différentes tenues. Tu entends par là t'observer réellement, attentivement.  Tu veux parler de cet instant ou ton esprit se focalise sur ce que tu es, sur ces yeux qui sont, paraît-il, le miroir de l'âme. A quoi ressemble la tienne d'âme? Est-elle aussi lumineuse que tes yeux veulent le laisser croire? Tu traces le contour de ton orbite de tes doigts fins et tu redescend sur ta pommette gauche, t'arrêtant à ce qui te semble être de façon lointaine un endroit bien précis. Pourquoi? Ton questionnement intérieur est balayé par un violent flash-back. Face à toi dans ce grand miroir, ce n'est plus un jeune homme au sourire énigmatique qui apparaît mais un jeune garçon au visage violacé. Tu l'observes de façon méthodique et comme à ton habitude, ton oeil capte rapidement chacun des détails de ce déplaisant tableau.

La longue chevelure noire est retenue en un chignon guerrier laissant s'échapper de nombreuses mèches emmêlées, comme si quelqu'un avait essayé de le défaire en tirant brutalement dessus. La peau est d'une pâleur si extrême qu'il semblerait qu'aucun rayon de soleil n'ait jamais osé caresser la chair. Puis il y a ces yeux. Ces yeux habités d'une lueur jaune quasi bestiale ; les pupilles se sont étrécies sous le joug de la colère -ou peut-être est-ce du désespoir?- et laissent toute la place à cette citrine qui apparaît légèrement dorée à la lumière de la chandelle posée non loin. Les traits du visage sont fins, si fins! Les longs cils viennent appuyer les étranges cernes noires et reptiliennes qui bordent les yeux, formant une élégante courbure. Le nez quant à lui est petit et discret et les lèvres pratiquement inexistantes. Surplombant ce miroir du passé, tu te fais alors la réflexion que toute personne se fait en voyant cet enfant. Il ressemble à une fille, même si tu sais que il n'en est pas une. C'est d'ailleurs la même réflexion qui a dû traverser l'esprit de ses camarades de l'Académie, ceux qui ont laissé ces marques violâtres sur son visage d'opaline. Le premier coup porté par l'un d'entre eux a rompu la chair au niveau de l'os de la pommette et laisse apparaître du sang qui commence déjà a coaguler. Tu ressens presque cette douleur diffuse dans ta chair et tu comprends mieux ton geste. Instinctivement tu reportes ta main à ta joue mais tout s'efface dans un tourbillon de souvenirs.

Il n'y a plus que toi, face à ton miroir. Ton sourire mesquin a disparu pour laisser place à une légère perplexité. Il n'y a plus de petit fantôme du passé, seulement toi et ta silhouette finement musclée. Ce sont pourtant les mêmes yeux qui te regardent, c'est le même nez, légèrement plus prononcé, les mêmes lèvres toujours aussi minces et les mêmes cheveux, toujours plus longs qui apparaissent dans le miroir. Tu te plais à croire que ta longue tignasse corbeau est moins terne que celle que tu avais auparavant... qu'elle brille un peu plus grâce aux huiles que tu as appliquées la veille. Ton sourire en coin reprend sa place habituelle et tu laisses tomber la chemise de lin avec laquelle tu dors, découvrant un torse blanc et musclé. Bien évidemment, ce torse n'a rien à voir avec la musculature de ton frère aîné. A côté de Tarek, tu as l'air d'un ver de terre pâle aux muscles abdominaux tout juste apparents... mais c'est le fruit de ton labeur que tu observes là: une musculature discrète travaillée pour permettre une rapidité d'exécution hors paire et une discrétion à toute épreuve.  Des muscles élastiques, propices à une souplesse et une agilité nécessaires à ton métier, car tel un serpent, tu dois pouvoir te faufiler partout.

Les quelques cicatrices de morsures aux crocs acérés disparaissent sous la nouvelle chemise de toile légère que tu enfiles. Des vêtements simples mais élégants, souvent du noir ou du violet. Tu accroches à ta ceinture ta longue dague dentelée soigneusement rangée dans son fourreau et vérifies les poches secrètes de tes vêtements: un poignard dans la botte et tes précieuses aiguilles de métal dans leurs compartiments de tissus à l'intérieur de ta chemise. Tu jettes alors un ultime regard au miroir au centre de la pièce: ce ne sont pas tes yeux jaunes que tu aperçois mais les deux iris fendus de Jörmung car le serpent blanc s'est hissé sur ton épaule. Il vient lover sa tête dans le creux de ton cou nu et tu laisses glisser tes doigts fins sur ses écailles aussi blanches que ta peau. Il est tant d'y aller.

"Tu sais, je ne pense pas avoir mauvais fond. A vrai dire... je suis simplement piquant avec les autres, avec une légère pointe de sarcasme mais rien de méchant..."

Tes yeux brillent de malice à l'instant même où tu prononces ces mots et pourtant tu y crois dur comme fer. Tu n'es pas quelqu'un de foncièrement mauvais, tes valeurs sont les mêmes que les plus fervents défenseurs de la Garde... Ce sont les mêmes que celles de Tarek, tu le sais. Mais ce sont tes méthodes qui diffèrent. Il faut dire que vous n'avez pas le même tempérament, et la Nature ne vous a pas offert le même type de don. Forcément, il est plus aisé de s'intégrer dans un groupe de jeunes soldats lorsque l'on possède d'énormes muscles saillants et une peau à toute épreuve... et bien évidemment il est un tout petit peu plus compliqué de nouer des liens avec des inconnus lorsque ton don à toi consiste à vomir d'énormes serpents baveux. Rien à voir avec de la jalousie. Simple constatation. Tu soupires un instant avant de te tourner vers ton interlocuteur.

"J'ai dû apprendre à me faire une place dans ce monde. J'ai toujours été mhh comment dirais-je... -tu marques une légère pause pour choisir tes mots avec le plus grand soin- disons, différent. Et j'ai fait de cette différence une force. Petit, je me rendais malade à essayer de faire partie du groupe, de lui ressembler, tu te souviens? Désormais je m'en contre fiche, j'aime mettre les autres mal à l'aise pour commencer et ensuite ça passe tout seul. C'est ce que je te disais: un soupçon de sarcasme et d'autodérision et le tour est joué."

Tu lèves un instant les yeux vers le ciel et laisses ton éternel sourire en coin étirer tes lèvres fines pâles. Un rire léger s'échappe de ta gorge: aujourd'hui tu te sens bien.

"Je ne suis pas un vrai solitaire, parce que je n'ai jamais choisi de l'être. J'y ai été forcé pour survivre mais maintenant c'est fini. Je me sens vraiment bien je t'assure. Il y a des gens qui m'apprécient pour ce que je suis. Qui m'acceptent et qui m'on compris... qui me comprennent! Je ne suis plus seul."

Tu prends une grande inspiration, fermant tes yeux quelques instants pour savourer ce moment: oui, tu as su trouver de réels amis. Bien sûr, ils te connaissent, ils savent que tu n'es pas de ces soldats remplis de bravoure et de franchise. Ils savent que tu n'es pas le premier à te battre pour défendre ton honneur ou celui des autres, que tu n'es pas le genre bagarreur ou grande gueule à la Taverne... que tu n'es pas non plus le gars jovial, optimiste ou vaillant. Tu passes une main distraite dans ta longue chevelure noire:

"Je ne suis pas comme toi à... à pouvoir sauter dans le vide pour sauver les gens, à risquer ta vie pour porter secours à un inconnu, je... je ne suis pas courageux."

Tu bats rapidement des cils comme pour masquer cet aveu, cette douloureuse introspection au cours de laquelle tu avoues ta lâcheté. A l'Académie c'était pourtant une qualité mise en avant et recherchée, mais elle t'a toujours fait défaut, malgré tes efforts. Tu as toujours préféré la fuite, la survie, l'auto-préservation devant un danger trop grand pour toi. Tu n'as jamais compris comment ordonner à ce corps sinueux qui semble créer pour fuir à se jeter dans la gueule du loup quand tes calculs t'indiquent que tu seras perdant. Tu as cependant profité de cette carence pour améliorer les quelques qualités que la Nature t'avait octroyé...

"J'ai compris que ça n'était pas fait pour moi. Mais je suis perfectionniste: je ne laisse rien au hasard, hors de question de me faire prendre, hors de question de laisser le moindre soupçon peser sur ma personne. Je suis intelligent et un parfait menteur, or la dissimulation et la stratégie sont mes meilleurs atouts. C'est pourquoi je ferais un mauvais soldat, tout en faisant un bon espion."

C'est pourquoi tu as enfin trouvé un but, un moyen d'aider les autres sans avoir à gonfler tes muscles pour sauter tête la première dans un feu et en sauver les innocents. Tu préfères de loin observer les cibles susceptibles de déclencher le feu et les arrêter avant qu'elles n'agissent. Toujours avoir un coup d'avance, c'est aussi ce que tu as appris à l'Académie.

"Je suis agile à défaut d'être fort ; méfiant, mais surtout prudent à défaut d'être optimiste."

Les yeux clos, tu serres les poings en te laissant emporter par tes mots:

"Non je ne suis pas courageux, et je doute l'être un jour mais ça n'empêche pas d'être un battant. Je persévère et n'abandonne jamais, tu le sais bien. Ma différence, ma monstruosité a quelque chose de fascinant, c'est ce que m'a dit l'un de mes Instructeurs."

Tu marques une courte pause. C'est surtout ce que disait ton père. Même si tu n'en as aucun souvenir.

"Je suis astucieux et dévoué! Et pour quelques rares personnes, à défaut d'être prêt à mourir, je suis prêt à tuer!"

Tu achèves ta tirade, bouillant de passion.

"Je réussirai à me frayer un chemin jusqu'au rang de Maître Espion tu sais... J'ai l'ambition et la détermination qu'il faut. Est-ce que tu m'en crois capable Tar..."

Tes mots s'étouffent sur tes lèvres: en face de toi, un filet de bave s'échappant de ses lèvres, ton enfoiré de frère aîné s'est endormi...

 

Tu es un meurtrier

Silas est né dans une famille extrêmement modeste; les Sleipnir menaient une vie simple dans les Montagnes, un milieu dur et souvent dangereux mais apprécié de ses habitants. Loin des villes et de la Capitale, Silas est né dans un rassurant chalet aux odeurs de pins... et la première chose qu'il a faite a été de tuer. L'enfant n'avait poussé que quelques cris, avant de perpétrer ce crime... il n'était pas responsable directement mais il se sent pourtant encore coupable car sa mère est morte en lui donnant la vie. Il a beau chercher un sens à cette perte dont il ne devrait pas souffrir, essayer d'y voir un juste équilibre de la Nature mais rien ne peut lui ôter ce poids. A celui-ci, déjà conséquent, vient s'ajouter la mort de son père seulement deux années plus tard. Un poids qu'il partage avec son frère aîné Tarek car ce dernier a fait le choix de le sauver lui plutôt que leur défunt géniteur.


Tu es un petit frère

Silas a donc été élevé par son grand frère, il n'est pas seulement son frère par les liens du sang, il est son protégé et leur relation fusionnelle est unique. Tarek a eu pour l'enfant-serpent le rôle de frère mais aussi celui de père et de mère. Il est son unique famille et son instinct de conservation s'est formé autour de lui: il y tient plus que tout au monde. Il n'a que Tarek... Tarek et ses serpents. Sa vie s'est donc poursuivie bon gré mal gré, mais en dehors des Montagnes: à la Forteresse. Si le Serpent en a d'abord été effrayé, ne comprenant guère où était passé les plaisirs calmes des Montagnes, il n'avait que deux ans et grandit donc dans la ville. Il apprit à voler brillamment avec l'aide de ses compagnons rampants et malgré l'éducation que son frère tentait de lui inculquer. Il fallait dire que les tentations étaient partout, or Tarek devait assumer un logement et de la nourriture pour deux alors qu'il entrait à peine dans l'adolescence. Il ne pouvait donc avoir les yeux constamment sur un petit frère si doué dans l'art de se faufiler partout et particulièrement là où il n'avait rien à faire.


Tu es une jeune recrue

L'entrée de Silas à l'Académie est certainement liée à ses écarts aux valeurs que son frère essayait de lui donner. Et au désir de ce dernier de faire mieux que ces quelques travaux censés les nourrir et les loger. La Garde avait tellement fait pour eux! Il était évident que Tarek souhaite les rejoindre: son caractère et son don s'y prêtaient d'ailleurs bien et malgré son absence de cursus à l'Académie, le colosse passa les tests de recrutement avec succès. Ce fut plus compliqué pour Silas. Du haut de ses douze ans, le serpent n'avait aucune envie d'offrir ainsi sa vie à la Garde, ou pour l'instant, à l'Académie. Peu sociable, renfermé à cause de la peur ou des moqueries qu'il inspirait, quitter son petit cocon pour vivre une vie en internat lui apparaissait comme un cauchemar. Il était d'ailleurs déterminé à rater volontairement chacun de ses tests, mais il se ravisa à la dernière minute: sa mère était morte en lui donnant la vie, son père était mort parce qu'on avait préféré le sauver plutôt que lui...Et Tarek qui avait dû sacrifier son père pour lui, qui l'avait élevé, protégé, aimé... il n'était pas question qu'il le remercie en l'empêchant de suivre son rêve. Silas devint donc une jeune recrue. Et il le regretta amèrement les deux premières années. Mis à l'écart, peu doué au combat et pendant les exercices physiques, il n'avait pas les qualités que l'on remarque à l'Académie. Jusqu'à ce qu'un Instructeur plus persévérant brise sa coquille et lui montre qu'il y avait beaucoup de chemins pour une même ambition.


Tu es un combattant

Dès lors, il sut trouver ses marques et se faire sa place. Ses bras n'avaient pas assez de force pour soulever une hache ou manier l'épée? Il excellerait donc au maniement de la dague et du poignard. Il se trouva une aisance et un goût particulier pour les armes de jet: d'abord couteaux de lancer, mais il atteignit son paroxysme dans le domaine martial par le maniement des aiguilles. Armes de poing ou de jet, sa maîtrise est aussi létale que celle d'un chirurgien est précise. Ayant peur d'attaquer de front, il apprit à esquiver et à se déplacer silencieusement pour affronter ses adversaires dans le dos. Son agilité et son intelligence l'ont doucement guidé vers un statut qui lui convenait enfin.


Tu es un espion

Si ces premières années à l'Académie ont été une véritable épreuve laissant le pauvre Silas en queue de promotion, son achèvement de la formation martiale l'a vu se hisser en tête. Il n'a raflé aucun prix, et ne figurait pas dans les majors de son année, mais il n'en était pas loin. Et de toutes façons, cette gloire là ne l'intéressait pas car il avait goûté aux choses de l'ombre, à l'humilité et à la puissance de l'obscurité. Il voulait en faire partie, rejoindre ces hommes et ces femmes silencieux qui tirent les ficelles et il savait que c'était sa façon à lui d'apporter une pierre à l'édifice: de rendre ce monde plus sûr pour tous les petits gars bizarres qui comme lui ne comprenaient pas quelle était leur place dans ce monde et comment y survivre.