KNIGHT Melody

Le soleil venait de se coucher. Il était encore tôt, mais le ciel à l'horizon présentait déjà des signes d'obscurcissement. Ce même ciel était couvert de nuage, et un vent puissant remuait les arbres. Chaque sons, collés un à un, formait une mélodie typiquement sylvestre, très rapidement interrompue par un mélange de grognement, de rire et d'insultes. Au milieu d'une clairière, dans une forêt, se dressait un campement, rempli de tentes en peaux, de draps sales au sol, et d'animaux ensanglantés, cuisants au-dessus de feux de camps. Rempli de bandits à l'air patibulaires, fatigués et colériques, ce baraquement regroupait une foule de parias, d'alcooliques et de psychopathes. Tous réunis autour d'une sorte de banquet, des enfants servants de domestiques, s'occupaient de distribuer de la nourriture et de l'alcool. Ces jeunes individus furent enlevés dans les nombreux raids qui ont été effectués au fil des années. Gardés captifs, les bandits les utilisaient notamment pour leurs corvées, mais également pour se "soulager", ou se défouler en les frappant, condamnés à obéir aveuglément, et avec le sourire. Ce banquet marquait la veille d'un Raid qui allait être effectué dans un village voisin. Ce Clan s'installait généralement pendant quelques jours à un endroit aléatoire, pas loin d'un village, puis l'attaquait le dernier jour, avant de reprendre la route le soir même. Trop limités par leur nombre, et donc la vitesse à laquelle ils voyageaient, les attaques étaient, certes, vraiment très rares, mais, malgré tout, destructrices.

Quand le jour vint, la "bataille" se passa sans encombre pour les bandits. Des têtes volaient, des maisons brûlaient, des cadavres et "trésors" en tout genre s'empilaient, et certains habitants étaient enchaînés et emmenés comme esclaves… La routine, en somme. Dans le chaos qu'était ce champ de bataille, certains des enfants qui suivaient les Bandits fouillaient dans les maisons. Ils n'étaient que très rarement utilisés dans les batailles. Leurs rôles étaient à la fois de se faufiler pour faire de la récupération dans les logements détruits et incendiés grâce à leurs petites tailles, de repérer des potentiels esclaves, notamment de bas-âge. Leurs âges permettaient aux autres enfants, futurs esclaves, d'être plus enclins à coopérer, et donc, à suivre les esclavagistes.

Parmi tous ces "petits éclaireurs" se trouvait une petite fille. Âgée d'environ dix ans, elle était vêtue de simples vêtements de tissus sales, négligemment recousus entre eux. Elle entra dans une maison aléatoirement, et y repéra une femme, recroquevillée dans son lit, pleurant, et serrant contre son cœur une petite fille aux cheveux étrangement roses. Sans réellement y prêter attention, la jeune éclaireuse se retourna.

« Y'a une femme et une enfant ici. » hurla-t-elle de toute ses forces.

Il ne fallut que six secondes pour qu'un bandit n'arrive en fracassant la porte, déjà ouverte, d'un coup de pied, et attrape la femme par les cheveux.

« Alors on se cache, hein? On a peur? » gronda-t-il

Dans les larmes et la douleur, cette dame n'avait pas lâché sa fille. Elle la gardait, serrée contre elle, tentant de la protéger tant bien que mal. Les secousses du bandit s'intensifièrent, jusqu'à qu'il finisse par s'énerver

« Putain, mais tu vas le lâcher ce truc?! »

Sans attendre, l'homme dégaina sa lame et se servit de l'angle qu'il avait pris en tirant la mère par les cheveux, et lui trancha horizontalement le visage en deux. Dans l'action, la jeune éclaireuse posa les yeux sur la petite fille, qui, étrangement, souriait. Pleine de larmes, et de tristesse, elle souriait tout de même. Une fois le cadavre jeté sur le côté, l'homme se dressa devant l'enfant. Il délia sa ceinture, et se tourna vers sa jeune complice.

« J'vais me soulager un peu, garde la porte, ok? Puis, il reprit sa position initiale. Et toi, sois obéissante, tu veux? »

L'éclaireuse posa un dernier regard vers cette petite fille, et son radieux sourire n'avait pas disparu, malgré ce qui se passait devant ses yeux. Enfin, elle prit la parole, d'une voix brisée, mais toujours souriante

« Je suis désolée si nous avons fait quelque chose de mal… Mais si j'obéis, tout se passera bien, pas vrai? »

Une seconde. Pendant une seconde, l'éclaireuse ressentit un pincement au cœur. Cette petite fille, âgée peut être de six ou sept ans, venait de voir la tête de sa mère se diviser, son village brûler,  et toute sa vie partir en fumée, le tout devant ses yeux… Et elle gardait quand même le sourire, et gardait espoir. Prise de regret, le jeune bandit prit la parole le plus rapidement possible, avant que son "collègue" ne sorte son "outil", tout en se dirigeant vers lui

« Arrêtez, Viktor, vous avez pas le droit…! » lui dit-elle, en lui tirant la manche pour l'arrêter.

Cependant, sans même la regarder, le bandit projeta la petite en arrière en la tirant par les cheveux, les lui arrachant par la même occasion, et, prise de peur, celle-ci tenta de s'accrocher à la première chose sous sa main, et finit donc par s'écrouler au sol en ayant en même temps attrapé et dégainé la lame du scélérat par la garde, qui pendait négligemment à sa taille. Ni une, ni deux, elle se releva et lui planta le flanc pour le faire tomber, puis immédiatement lui planta le cou par le côté. C'était une fois l'adrénaline légèrement retombée que cette jeune fille comprenait dans quel pétrin elle venait de se mettre.

Pas le temps de réfléchir. Le raid est toujours en cours, et si elles restent là, quelqu'un viendra probablement très bientôt. Après une profonde inspiration, l'éclaireuse se précipita et s'agenouilla devant la petite fille aux cheveux rose, qui, pleine de larmes, restait souriante.

« Écoute moi bien, je suis désolé pour ce qu'il t'arrive, mais il faut faire vite… Comment tu t'appelles? » interrogea la jeune bandit, en en tentant parler le plus vite possible.

« Amelia…» répondit-elle doucement

« Enchantée de faire ta connaissance, Amelia! Je m'appelle Melody. Les copains de ce monsieur veulent te faire du mal, il faut donc vite te faire partir! Allez, prend ma main, il ne faut surtout pas trainer! »

Ni une, ni deux, elle prit la main de la petite Amelia et sortit de la maison en courant. Après plusieurs mètres, elles tombèrent sur un des nombreux bandits, qui, contrairement aux autres, leur adressa la parole.

« Hey, Melody, où tu vas? Et pourquoi il manque la partie gauche de tes cheveux »

« Ah, Roy! J'vais amener cette gamine avec les autres esclaves, on l'a trouvée dans la maison, là-bas. Sa mère m'a arraché les cheveux en voulant la protéger. » lui répondit Melody, en pointant la maison du doigt

Concentré, le bandit observait Amelia d'un regard intrigué, rendant chaque seconde plus effrayant que la précédente.

« Et en parlant de cheveux, pourquoi toi, t'as les cheveux rose, petite? » questionna-t-il

Un léger moment de silence plus tard, la petite fille lui répondit, en regardant le criminel droit dans les yeux.

« Ce soir, il devait y avoir un festival, je devais chanter, et ma maman m'a coloré les cheveux avec des baies…»

Déçu et indifférent à la réponse, l'homme se tourna presque immédiatement vers sa collègue.

« Et mon frère, Viktor, tu sais où il est? »

« Il se soulage avec la mère de cette fillette dans la maison. »

Frustré, l'homme s'en alla vers la dite maison, probablement furieux que son frère "utilise" une des futures prisonnières, alors que les règles l'interdisaient. Profitant de ce moment, Melody et Amelia reprirent leur course, et finirent ainsi loin que possible de la sauvagerie, cachées dans la forêt. Après avoir repris leurs souffles, la petite aux cheveux rose s'effondra en larme et serra Melody dans ses bras. Pour la première fois de la journée, son sourire s'était effacé. Encore une fois, le cœur de l'ancienne bandit se serra. La voir sourire était déjà difficile. Mais voir son sourire s'effacer était encore pire. Sans vraiment réfléchir, elle la rassura

« Je ne laisserais plus jamais personne te faire du mal… C'est promis! »

Après sa phrase, les larmes s'arrêtèrent brusquement. Lentement, la petite leva les yeux vers sa "protectrice", et, tandis que son sourire revenait petit à petit, déclara

« Je trouve que ça te va bien, le crâne rasé à moitié! Tu devrais garder cette coupe! »

« Quoi? Mais jamais de la vie, tu rigoles?! Je sais même pas si ça va repousser, en plus… »

Enfin, elle explosa de rire, larmes aux yeux, malgré le bruit des lames, et le cri de son village au loin.

La fuite des jeunes filles se passa sans réels encombres. Melody était convaincue qu'elle serait oubliée, au vu de la quantité d'enfants que le Clan "possède", et principalement dû au fait qu'ils soient forcés de fuir le plus tôt possible pour éviter des représailles royales, qui ne devaient tarder. Ainsi, les deux nouvelles compagnes purent sans réel soucis concentrer leurs problèmes sur d'autres… Malgré le fait qu'elle restait "contente" d'avoir pu lui sauver la vie, Melody se sentait horriblement coupable de la destruction de l'univers dans lequel Rose évoluait.

Toute sa vie, Melody avait appris à s'adapter. L'adaptation était d'ailleurs son point fort. Dans la forêt, dans laquelle les demoiselles durent se cache pendant plusieurs mois, elle avait appris, en observant plus ou moins les animaux, quelles plantes étaient nocives ou non. Durant ces nombreux jours qui passaient, entourées d'arbres et de dangers du matin au soir, Melody avait essayé tant bien que mal d'apprendre à défendre sa jeune amie. Armée d'une dague rouillée qu'elle avait trouvé dans la forêt, et d'un bâton, Melody avait pu se fabriquer une sorte de lance, qui, malgré tout, était parfaitement solide et fonctionnelle. Ainsi, armées à la fois d'une Arme, de quelques notions d'herboristerie, et de quelques bases de combat de son temps chez les Bandits, elle arrivait à chasser assez de monstres pour que la nourriture ne soit jamais réellement un problème. Restaient cependant d'autres problèmes à régler rapidement: Elles étaient perdues, et sans réel avenir, but ni lieu de refuge. Survivre était le plus important pour elles. Et, malgré cette constante pression, cet environnement dangereux et cette peur permanente, Amelia gardait le sourire. Et c'était ce sourire qui poussait Melody à continuer.

Au fil du temps, à se côtoyer tous les jours, les deux filles avaient fini, inévitablement, par se lier fortement d'amitié, jusqu'à entretenir une relation quasi fusionnelle. Telle deux sœurs, elles s'entraidaient du mieux qu'elles pouvaient, et s'aimaient profondément. Melody, qui n'avait jamais eu d'espoir ou de but, vivait pour voir le sourire d'Amelia tous les matins, et de tenter lui rendre la vie qu'elle avait perdu.

De son côté, Amelia s'adaptait comme elle le pouvait. Sa relation avec Melody évoluant petit à petit, elle avait progressivement appris à lui faire confiance, jusqu'à lui quasiment lui "confier sa vie". Amélia était une petite fille très intelligente, à la bonté probablement inégalée. Malgré son jeune âge, elle avait très rapidement compris la situation. Elle avait compris que Melody était indirectement responsable de son état, mais qu'elle essayait de changer, de s'améliorer chaque jour, et que ses intentions était pleines d'amour. Elle avait aussi compris que son futur ne serait probablement pas aussi brillant que se sa grande sœur lui promettait. Mais malgré tout ça, Amélia gardait le sourire. Elle gardait espoir, et essayait, tant bien que mal, de le transmettre à sa partenaire. Mais derrière cette joie restaient des cicatrices. Même si elle ne la mentionnait jamais, la mort de sa mère l'avait fortement touché. Elle refusait d'inquiéter Melody avec ces problèmes, et donc se contentait de pleurer uniquement les rares fois où elle était seule. Elle avait ainsi trouvé ses propres moyens de faire son deuil. Le plus évident était sa chevelure. Depuis le départ précipité de son village, Amélia avait continué à colorer ses cheveux en rose, de la même manière que sa mère l'avait fait, avec des baies. C'était, pour elle, un des souvenir qu'elle chérissait.

Ainsi, les mois passèrent, jusqu'à que les demoiselles, lassées par l'immense forêt qui les maintenait prisonnières, finissent par tomber sur un petit village. Assez rustique, il était construit au bord d'une rivière, pas très loin de la zone sylvestre, et fait quasi entièrement en bois. L'atmosphère semblait très calme, et les habitants plutôt heureux. Il ne fallut pas plus longtemps pour que les deux sœurs y accourent.

Pleines d'espoir, le village les accueilli chaleureusement. Expliquant que, survivantes d'un raid de bandit qui avait eu lieu récemment (et qui, d'après les habitants, s'était déroulé à une centaine de kilomètres, il y a environ trois lunes), elles avaient été forcées de vivre en forêt en attendant de trouver un nouveau foyer. Sous les faux noms de Rose pour Amélia et River pour Melody, les jeunes sœurs demandèrent "asile", en attendant de reprendre la route. Attristés, les habitants acceptèrent même qu'elles vivent avec eux, dans une maison récemment abandonnée. En contrepartie, elles travailleraient, un peu plus tard, pour aider le village à prospérer, en même temps tous les autres habitants.

Ainsi, d'un accord commun, elles décidèrent de n'utiliser que leurs nouveaux noms, même entre elles, pour s'y habituer. Selon elles, leurs anciennes vies étaient finies, et c'était leur moyen de tourner la page. Et d'être également discrètes.

Et les années passèrent.

Au fil du temps, River (anciennement Melody), avant prit les devants très rapidement. Vers ses treize ans, la jeune fille avait déjà, grâce aux quelques livres qu'elle avait trouvé à la bibliothèque du village, apprit à lire, et s'est ainsi acharnée à perfectionner ses connaissances sur les herbes. Ainsi, grâce à la présence d'une forêt à proximité, elle avait réussi à récolter une énorme quantité de plante, et convaincu les habitants d'accepter qu'elle les accompagne à la capitale pour revendre ses récoltes. Chaque pièce qu'elle récoltait était destinée au sourire de sa petite sœur. Donc, quand elle revenait au village, River y apportait avec elle de l'argent, des vêtements et des livres.

Rose (anciennement Amelia), de son côté, avait évolué à sa manière. Plus rapide, plus studieuse et plus patiente que sa grande sœur, il ne fallut que très peu de temps pour que la jeune orpheline n'apprenne à lire. À huit ans déjà, elle feuilletait des romans et autres livres de science. Enjouée et souriante, Rose était très populaire dans le village. Toujours prête à rendre service, à remonter le moral à tout le monde, elle avait fini par réellement aimer aider son prochain. Petit à petit, sa passion se tourna vers la médecine. D'abord simplement par curiosité, la jeune fille avait vraiment fini par désirer du fond de son cœur en apprendre plus, et devenir un médecin hors-pair. River, lui apportant des livres de médecine de ses voyages à la capitale,  lui permis de progresser, jusqu'à que son niveau atteigne, alors qu'elle n'avait que treize ans, celui d'un médecin professionnel. Ainsi, elle opéra pendant plusieurs années comme Médecin Officiel du village, succédant au précédent, trop âgé pour poursuivre.

Leur vie continua donc leur cours. Âgée de vingt ans, River avait continué son commerce en capitale, et n'a jamais changé ses routines de récolteuses/revendeuse. Rose, en revanche, avait pu évoluer plus rapidement. Âgée de seize ans, elle fut remarquée assez rapidement, pour son jeune âge et ses compétences de médecin, et avait été invitée à travailler dans une section privée dans une ville côtière. Son avenir était maintenant brillant. Préparée depuis des semaines, le jour de son départ arriva finalement. Attristée de son départ, River supplia sa petite sœur de retarder son départ au lendemain, pour passer encore un peu de temps ensemble avant leurs séparation. D'abord réticente, la jeune fille accepta finalement assez rapidement, pour le sourire de sa grande sœur. Leur dernière journée se passa sans encombre. Puis la nuit tomba. Et leur monde s'écroula en une nuit.

Au coucher du soleil, alors que tous les villageois s'apprêtaient à rentrer chez eux après cette journée de travail, une armée étrange fit son apparition aux portes de la ville. Un villageois s'approcha d'eux, méfiant, et leur adressa la parole, calmement, mais fermement

« Qui êtes-vous? »

« Bonsoir monsieur, enchanté, nous sommes un groupe de mercenaires, et, aussi bizarre que cela pourrait vous paraitre, nous recherchons une jeune fille aux cheveux roses. Son père est à sa recherche, et nous a chargé de retrouvé sa fille. Cela va sans dire que nous vous récompenseront d'une belle somme si vous nous présentez cette demoiselle! » Répondit l'homme.

Une seconde de confusion, une seconde de grabuge, et les villageois s'en allèrent chercher la seule personne aux cheveux magenta du village. Surprise, elle et sa grande sœur suivirent le groupe, et arrivèrent donc devant les voyageurs.

« Oh merde, chef, regardez, ça a marché! On a retrouvé Melody! »

Devant les deux sœurs se dressaient des bandits avec lesquels River était associée. Une vague de peur l'envahit immédiatement

« … Roy…? Qu'est-ce que tu fais là? Comment tu m'as retrouvé? » interrogea-t-elle

Le bandit descendit de son cheval, et s'approcha d'elles, qui étaient observées de très près par les villageois.

« Comment on a fait? Pendant un Raid, j'ai rencontré une fillette avec les cheveux roses. Et ça m'est revenu. Cette gamine avec toi aussi, avait des cheveux roses. Mais j'me suis souvenue que… C'était sa mère qui lui avait teint les cheveux? C'est spécial pour elle, vu que sa mère est morte. C'était maigre, mais bon, j'voulais tenter le coup quand même. Du coup, partout où on s'installe, après un Raid, je fouille les villages aux alentours. C'était long. Mais te voilà, Melody! » lui répondit-il.

D'un coup d'œil, il observa les habitants, et s'approcha de son ancienne amie, avant d'éclater de rire.

« Alors c'est pour ça que tu t'es enfuis? Pour une gamine et un village de paysans? C'était quand même meilleur chez nous! »

Serrant son poing de toutes ses forces, River lui attrapa le col, et lui hurla

« Ce village, c'est ma famille, alors dégage, Roy. Je ne reviendrais pas avec vous. »

Trente secondes. Pendant trente secondes, un silence général fut "entendu". Enfin, le bandit mit un coup de tête à la jeune fille qui lui tenait le col, et s'accroupit vers elle

« … Famille? Revenir? Espèce de sale… C'était nous, ta famille. Et tu as égorgé Viktor, comme un vulgaire animal. Je suis allé dans cette cabane dont tu m'as parlé. Et mon frère y était, agonisant et gisant dans son propre sang. Il a simplement pu prononcer ton nom, "Melody", et quand j'ai vu tes cheveux dans sa main, j'ai compris. Alors non, je ne suis pas venu te ramener au campement, Melody. Je suis venu venger mon frère. MAIS! On a eu de bon souvenir, toi et moi! Et nos nuits! Donc, par respect pour toi, je vais te ramener à la réalité, et te montrer que tu n'as jamais eu de famille. »

Roy se redressa, alluma une torche, puis secouant la flamme pour attirer l'attention, qu'il avait déjà, annonça, amusé

« Je vous laisse maintenant le choix, très chers paysans: Soit vous tuez cette fille aux cheveux roses de vos mains, et nous partons d'ici, soit nous attaquons ce village. Nous ne blesserons personne, mais nous brulerons par contre TOUTES vos maisons, vos plants et voleront vos économies avant de nous en aller. Mais quoi qu'il arrive, mis à part elle, tout le monde sera en vie quand la nuit sera terminée. Je vous laisse quinze secondes… Quatorze… Treize… »

Dans un élan de panique, les villageois se retournèrent l'un vers l'autre, et se mirent à discuter bruyamment. Pour River, au sol, et Rose, agenouillée à ses côtés pour l'aider, rien de ce qu'ils disaient n'était audible… Mais ils discutaient. Donc, ils y réfléchissaient, ou pesait le pour et le contre… Une rage commença à monter dans le cœur de River, mais elle garda son calme…

« Attendez, vous êtes VRAIMENT en train d'envisager de tuer Rose, là? » leur cria-t-elle malgré tout.

« … Zéro. Ok, les gars, on y va, volez et détruisez tout. »

« … Attendez! »

Un second silence survint. Les deux sœurs, au sol, observaient cet homme, qui semblait s'opposer à l'attaque du village…

« … River, Rose… Nous sommes désolé, notre village est très pauvre… Nos enfants n'auront rien à manger… Nous ne savons pas nous battre… Nos familles, nous n'y survivront pas… Nous ne pouvons pas nous permettre de tout perdre… et de mourir de faim…»

« MAIS C'EST DE ROSE QU'ON PARLE! hurla la jeune fille. Elle qui restait à vos côté quand tout allait mal! Celle qui a soigné gratuitement vos enfants! »

« Bon, du coup, vous le faites ou on charge? »

Dans un élan de panique, une villageoise en pleur fonça droit sur Rose et la transperça dans le dos à l'aide d'une fourche. Un hurlement de sa part,puis un autre villageois la transperça, puis un autre, puis un autre, avant qu'elle ne finisse empalée dans tous les sens, couverte de trous et de sang. Enfin, son corps tomba à terre. Plus aucun son n'arrivait aux oreilles de River. Son cœur venait de bruler. Une douleur immense à l'estomac, et elle regardait dans les yeux la fille qu'elle aimait, la seule personne qu'elle avait, qui s'éteignait petit à petit. Le mélange de choc, de tristesse et de haine empêchèrent River de réagir. Son regard restait figé, stoïque, et dans l'impossibilité de regarder ailleurs. Prononçant ses derniers mots, Rose s'éteignit. Et jusqu'à la dernière seconde, elle souriait à sa grande sœur. Jusqu'au bout, jusqu'à que l'espoir quitte son regard, elle refusait de l'inquiéter.

River se releva. Les larmes voulaient couler, mais ne coulaient pas. Son corps voulait hurler, mais ne hurlait pas. Roy, surprit, explosa de rire une nouvelle fois, avant de se tourner vers sa "cible"

« … Je vais être honnête avec toi, je ne pensais VRAIMENT pas qu'ils accepteraient… Mon plan était qu'ils refusent, et de là, j'aurais en fait menti et tué tout le monde sauf toi. Mais là, putain… Bon, bah du coup, Melody… On fait quoi, nous? »

Toute sa vie, River avait cherché à rendre Rose heureuse. Manquant de réel objectif dans la vie, le sourire de sa sœur lui remontait le moral, et rendait les souffrances du quotidien insignifiantes. Ce village était ce qu'elles recherchaient. Des personnes gentilles, de l'entraide, de l'amour, du beau temps, de la nature et des amis. Tout cela n'était qu'un mensonge. Encore une nuit, et Rose vivait son rêve. Il ne restait qu'une nuit à tenir. Son monde s'écrasait, et sans se retourner pour regarder les traitres qui avait empalé sa partenaire, répondit, froidement

« … Tuez-les tous. Violez leurs femmes. Torturez-les. Brulez-les. Faites ce que vous voulez, mais je veux les entendre hurler. Je veux que les enfants baignent dans le sang de leurs parents. »

Après cette demande, le bandit soupira, puis remonta à dos de cheval.

« Bien reçu. Quand t'en aura marre, quitte le village avec le cadavre de ton animal de compagnie. Et sur cette merveilleuse rencontre, Melody, je te souhaite une agréable soirée! On se revoit bientôt, je suppose? BON, LES GARS, VOUS ÊTES PRÊTS ?! CHARGEEEEEEEEZ!!! »

Et la panique commença. Des têtes volaient, des maisons brulaient… La routine, en somme. Mais c'était le cadet des soucis de River. La jeune fille restait au sol, au milieu de la bataille, serrant le corps de son amie dans ses bras, couverte de sang. Elle la récupéra cependant quelques minutes après, puis, suivant les "ordres" du criminel, quitta le village. L'ancienne bandit pouvait entendre, au loin, les hurlements de ses anciens amis, tandis qu'elle s'éloignait. Le corps de son amie à protéger couplé à leur nombre rendait toute tentative de vengeance impossible pour l'heure.

C'est après avoir enterrée sa sœur que les larmes lui vinrent enfin. De toute sa vie, River n'avait jamais pleuré. Jamais. Même pendant ses pires expériences avec les bandits. La jeune fille gardait toujours la tête haute, particulièrement depuis sa rencontre avec Rose.

Elle erra pendant un long moment, sans but. Les derniers mots de sa sœur résonnaient sans cesses dans sa tête: « Merci, pour tout, Riv… Melody…! Ne te reproche rien… Tu m'as rendu vraiment heureuse…! »

Et River avait compris pourquoi elle lui avait dit ça: La défunte pertinemment savait que sa grande sœur se sentirait coupable. Pour tout. Et c'était le cas. Elle se répétait sans cesses « Si je ne l'avais pas retenue ou suppliée de resté encore une nuit, elle serait loin, et rien de tout ça ne serait arrivé », «J'aurais dû savoir qu'il ne m'oublierait pas », ou «Si je ne l'avais pas provoqué et ne l'avait pas dirigé vers le cadavre de son frère, il ne l'aurait peut-être jamais su. », et d'autres.

Les mêmes phrases, qui, à force d'être répétées sans cesses, ont fini par la charger de remords et de tristesse. Enfin sa peine se transforma en haine. Et, pleine de haine, River avait décidé de traquer des bandits qui réussissaient à fuir l'Armée Royale depuis presque vingt ans. Et elle savait aussi pertinemment que c'était l'exact opposé que Rose aurait voulu.

… Mais, aveuglée par sa colère, elle n'abandonnerait pas pour autant. Pour River, inconsciemment, c'était aussi pour elle le seul moyen de faire son deuil.