[Pv : Shane O’Malley]
La nuit bruissait d’une vie sauvage imperceptible. Luz aimait ces heures lunaires où rien ne venait troubler la quiétude des lieux, la vaste étendue des plaines baignée dans cette lueur irréelle qui leur donnait un aspect tout à fait magnifique. Enfin, cela, s’il n’en était les cris de goret étranglé. Ils avaient subitement déchiré le silence, arrachant dans un sursaut notre vagabonde nocturne à sa contemplation. Ne pouvait-on donc plus rentrer paisiblement d’une difficile journée de labeur ?! Aux aguets, ses prunelles avaient fouillé l’obscurité de la route de terre sinueuse qu’elle longeait. Ses muscles étaient tirés par l’effort fourni un peu plus tôt, fatiguée par ces heures écoulées à soigner la grippe virulente de l’enfant d’une des fermes environnantes.
Une silhouette sombre était repliée en chien de fusil sur le bas-côté, à quelques mètres de là. Un souffle rauque lui échappait par intermittence, suivi d’une plainte basse et lugubre qui s’échelonnait invariablement en un cri de souffrance évident. Une attaque… ? Des brigands, aussi près de la capitale… ? Luz accéléra néanmoins le pas d’une foulée légère, habituée à répondre inconsciemment à la faiblesse d’un corps écorché. Ses semelles dérapèrent à moitié dans la poussière tandis qu’elle s’agenouillait vivement auprès de sa toute désignée patiente. Car c’était une femme, et on ne peut plus femme au vu du ventre sacrément rondouillet qui lui ceignait les reins !
« Ah oui, en effet. »
« Par tous les vices de l’humanité, lui aboya immédiatement la jeune femme, vous allez m’aider ou rester à me contempler benoîtement ?! »
Sa phrase s’acheva dans un énième gémissement souffrant, ses mèches de cheveux brunes plaquées par la sueur sur son front et la bouche tordue d’une courbe disgracieuse fort véhémente.
Elle se redressa, scruta la campagne environnante. Il était hors de question de l’ausculter là, sur la terre battue. Encore moins d’y négocier un accouchement. Elle n’avait pas le quart des outils nécessaires, et que dire des conditions hygiéniques… !
Elle chassa d’un vague mouvement de la main indifférent l’insulte qui fusa immédiatement à son encontre, et vint se saisir du corps flageolant de sa patiente. Elle saignait, ce n’était pas exactement bon signe. L’hémorragie semblait encore mineure, mais elle ne pourrait pas aller beaucoup plus loin que ces quelques mètres… Il n’y aurait donc pas de seconde tentative. Luz se mordit la lèvre inférieure, invoquant la bienveillance de Lucy pour qu’une âme charitable soit présente à cette heure dans cette ferme.
Qui était de toute évidence un Haras. Porte contre laquelle Luz se retrouva à tambouriner avec virulence, aussi poussiéreuse et débraillée que sa patiente, à une heure tout à fait indue pour le commun des mortels.
Ça, où elles ne se gêneraient pas pour recouvrir son porche d’hémoglobine, ce qui était toujours peu ragoutant pour la décoration locale.
Shane avait passé la journée à débourrer un jeune poulain. A savoir donc qu’il l’avait fait courir pendant des heures avant d’espérer lui mettre une selle sur le dos. L’animal s’était montré coopératif et avait accepté la selle, mais pour ce qui est du cavalier, le poulain avait céder à la brutalité et Shane avait passé son après-midi à tomber du haut du jeune cheval. Une véritable plaie ! Il avait fini par lui céder la victoire, lui retirant la selle pour aller nourrir les autres bêtes. Il avait près d’une quinzaine de chevaux, tous indépendant de l’entreprise Belacqua qui ne lui avait pas demandé de chevaux depuis un moment.
Après avoir amené les balles de foin vers les prés et les boxs, il avait réparti la nourriture et avait enfin fini sa journée tandis que le soleil déclinait. Poussant un soupir de soulagement, le métis alla flatter l’encolure de ses deux chevaux personnels, inspectant au passage la grossesse de sa jument Kala. Elle mettrait bas cet hiver et Shane ne pouvait nier la joie en lui d’avoir cette naissance !
Après avoir verrouillé l’écurie et la sellerie, Shane fit un rapide tour du paddock, ferma la porte d’accès au haras et gagna finalement sa maison, face à l’écurie. Il retira ses bottes, sa chemise et s’empressa d’aller à la douche pour se défaire de l’odeur du travail. Ses cheveux encore humide, Shane alla se faire à manger avant de se poser sur le perron de sa maison, face à l’écurie et au paddock ou il pouvait observer les chevaux qui passaient la nuit dehors. Mais alors qu’il finissait son assiette et allait se coucher, il entendit du bruit à l’entrée du haras, quelqu’un qui appelait et qui battait la porte. Surpris, Shane posa rapidement son écuelle sur sa table à l’intérieur et sortit en enfilant rapidement ses bottes à cloche pied.
En jean, toujours torse nu - merci la chaleur de la saison chaude -, le jeune homme s’empressa d’ouvrir et fut surpris de tomber sur deux femmes, dont une apparemment enceinte jusqu’au cou et sur le point d’accoucher.
- Ah ! Entrez venez ! fit-il en les laissant passer.
Il referma rapidement la porte et s’empressa d’aller aider la souffrante en la dirigeant vers la maison en remplaçant l’autre jeune femme comme soutien. Il ouvrit la porte de la maison d’un coup de pied. Il avait dans son salon deux divans et s’empressa de laisser la future mère s’asseoir dessus. Il se tourna vers l’autre :
Et maintenant ?
Luz marcha pour sa part droit vers la table. Sa dextre fusa en direction de la vaisselle qui s’y trouvait encore avec la volonté évidente de tout jeter à terre. Elle s’immobilisa pourtant à quelques millimètres à peine de son futur forfait. Et finit par attraper délicatement l’assiette pour la poser un peu plus loin sur le sol.
… Et le tissu était moins sympathique à nettoyer.
Elle aida sa patiente à s’installer le plus confortablement possible sur la surface de la table et prit le temps d’ôter les ongles férocement plantés dans sa peau sous une pluie d’invectives.
« Je… Vous jure… Que je vais lui mettre une raclée à cet enfant quand il sera là ! »
« Vous devriez viser un nom plus court. »
Tout en lui enjoignant de respirer calmement, Luz chercha leur hôte du regard et le héla à travers la masure :
Elle eut un silence, et prit la peine d’ajouter lorsque sa patiente lui retourna un écarquillement des yeux fort impressionnant :
Cela ne tarderait guère. Au visuel, elle paraissait suivre un rythme normal pour sa condition et Luz ne percevait aucune hémorragie véritable, outre ce qu’on était en droit d’attendre de la part d’un accouchement qui faisait par nature violence au corps.
Sa question s’adressait cette fois-ci à leur hôte. Dans la nuit, elle n’avait pu voir que sa demeure s’accompagnait d’un vaste haras et que ce type de problématiques faisait donc partie de son quotidien.
La rouquine qui semblait s'y connaitre en accouchement s'empressa de retirer l'assiette de la table pour indiquer au brun qe ce serait mieux que le divan. Puis elle lui donna des instruction : une grande quantité de torchons et une bassine d'eau chaude. Shane ne disposait pas d'un incendie pour faire chauffer l'eau, mais il déposa une bassine en fonte sur le foyer au coeur de sa maison, la fumée s'évacuant par la cheminée. Il ramassa l'assiette et lui fit faire une plongée dans l'évier pour ne pas qu'il marche dessus. Il ramena en vitesse les serviette et torchons. La femme lui demanda d'emprunter sa cuisine et il hocha la tête. Il débarassa le plan de travail où il avait laissé trainé un morceau de cuir, u clou et un marteau, tandis que l'autres s'affairait.
La maison était comme une fourmillière ou travaillaient des fourmies. Après trois mots pour sa patiente, celle qui apparemment était médecin laissa le relais à Shane qui tentait de calmer la femme. Ses yeux suivaient néanmoins attentivement les gestes de l'autre demoiselle, mémorisant à la perfection la recette et procédé de l’anesthésiant - tout est bon à prendre. Un cri de la future mère le força à se reconcentrer. Elle avait les yeux ronds comme des pizzas et Shane pressa la jeune femme :
- De ce que je vois le bébé est là dans... pas longtemps. Mais vraiment pas longtemps.
Il avait déja fait accoucher plusieurs de ses juments, mais avec son passif, il n'osait pas trop agir sur cette jeune femme ; un homicide involontaire lui aurait valu l'exil. Il pouvait apercevoir la tête du bébé qui commençait à sortir. Ils n'avaient de toute évidence pas de minutes supplémentaires pour préparer l'anesthésian, à moins que l'autre demoiselle l'ait terminé
La jeune femme n’eut guère l’occasion de lui répondre, trop occupée qu’elle était présentement à énumérer son dictionnaire d’insultes à brefs hurlements répétés. Par Lucy, si quelqu’un du voisinage passait à cette heure autour de la masure, elle n’osait imaginer quelles idées farfelues lui passeraient par l’esprit… Assurément, ce serait un contingent entier de l’armée qui débarquerait chez notre charment propriétaire des lieux.
Elle jeta le torchon sur la table et prit place aux côtés du grand brun.
Elle le gratifia de l’un de ces sourires humoristiques dont elle avait le secret, en réalité tout à fait ravie d’avoir croisé le chemin de sa demeure. A cette heure de la nuit, qui sait ce qu’il serait advenu d’elles dans la poussière des routes ? Luz ne se voyait pas annoncer la mort prématurée de l’enfant … La chaleur et l’hygiène de quatre murs constituaient de ce fait un luxe inégalable.
Elle lui tendit un bout d’écorche séchée de lhant airne avec lequel elle s’était elle-même frotté les paumes. Elle n’avait pas le loisir de faire davantage et utilisa ce qu’il subsistait de sa concentration pour invoquer quelques puissances tutélaires : faites que la mère ne décède pas d’une infection à cause de cet accouchement par trop précipité !
Elle avisa la tête de l’enfant, et tâcha de motiver ses troupes de quelques encouragements virulents. Alors, la couleur anormalement violacée du nourrisson lui sauta aux yeux. De même que son tour de cou improvisé, autrement dit le cordon ombilical anormalement enroulé autour de sa frêle ossature. Immédiatement, elle glissa délicatement un doigt entre son lien et sa peau, tâchant de maintenir du lest. Fort heureusement, le cordon disposait d’un brin de mou et n’était pas suffisamment étriqué pour être source d’ennuis mortels. Il n’empêche que c’était un problème, et qu’il n’était pas non plus assez long pour être ôté directement par le crâne du bébé… Préférant anticiper toute difficulté future, Luz ôta de sa sacoche son scalpel et le tendit à Shane :
Le reste serait un vrai jeu d’enfant. Il suffirait de nettoyer l’enfant, nettoyer la place, et de rendre son dû à la jeune maman. Leur hôte semblait avoir la tête sur les épaules et prêt à mettre la main à la patte : le moment était venu pour lui de faire ses preuves.