C'est à cet instant que ton oreille capte le premier son, venant de ton dos, secouant un instinct de survie qui s'agitait depuis quelques secondes. Dans un geste fluide, suivant ton buste qui se retourne, trois flèches d'encre viennent remonter ton bras droit avant de se rejoindre dans un javelot solide qui se matérialise au sein de ta paume.
Étonné, tu peux l'être, car ce n'est autre qu'un très cher ami qui se tient en face de toi. Du moins, pas exactement le plus cher, peut-être même le moins cher de ces fameux amis, mais au moins c'en est un. Te voilà rassuré, enfin... pas vraiment, car tu restes perdu au milieu d'une poudreuse qui s’étend sur des kilomètres.
- Putain mais qu'est-ce qu'on fout là ?
Des paroles qui t'échappent naturellement, tandis que l'inquiétude est palpable dans ta voix. Tes réflexions s'enchaînent, théorisant la raison de ton apparition sur cette montage. Un rêve ? Plutôt un cauchemar... Mais tout semblait si réel...
- On s'est fait exilé ? Tu penses qu'on s'est fait exilé ?! Sérieusement putain, qu'est-ce qu'on fout là. C'est toi qui m'a ramené là ?
Vu l'accoutrement de Pinplume, tu savais pertinemment qu'il n'était pas l'auteur de cette mystérieuse téléportation. Beaucoup de questions se soulevaient mais tu allais devoir te concentrer sur quelque chose de plus important que les réponses: ta survie.
Tout d'abord, tu te rends compte du froid perçant tes vêtements. Tu rapproches tes bras autour de ton corps comme pour essayer de le réchauffer mais tu n'as rien d'autre qu'une vieille chemise tâchée. Tu n'as pas pu te préparer à cette attaque surprise ce qui,en même temps, est le but de ce genre d'embuscade.
- Je ne sais pas, chapardeur. Mais tu as raison cela ressemble à l'exil.
Ton regard se perd à travers l'horizon pour ne laisser paraitre aucune trace humaine à l'horizon. Aucune ? Non. Tu as l'impression d'entendre un son bien distinct.
- Me dis pas que tu as été suivi par un garde ou pire ... Qu'un noble t'en veux personnellement ?
Te retrouver dans les magouilles est la dernière chose dont tu as envie. Tu as déjà bien assez de soucis à gérer par toi même avec la mort récente de ta mère qui te rend plus de mauvais humeur que d'habitude. Une remarque qui lui ferait surement Ptitdodo. La sorcière ne possède pas la gentillesse à ton égard comme pouvait l'être Unicorne ou le petit nouveau.
- En tout cas, je peux entendre des bruits de pioches non loin. Tends l'oreille et tu vas voir.
Même si tu es jaloux de sa réussite il reste, au fond, ton frère d'idéologie avec qui vous avez affronté la rue ensemble. Des anciens orphelins se serrant les coudes.
- Et tu t'en doutes que je ne suis pas responsable. Si j'avais trouver un moyen de téléportation pour partir de ce royaume pourri d'Aryon je ne l'aurais pas fait partager ? Serais-tu en train de douter de ma loyauté après toutes ces années ?
Profondément affecté par ce que son collègue pense de toi, tu n'en montres rien mais même en cherchant à le dissimuler tu ne peux répondre que par un ton acerbe.
- Bien sûr que non, ne dis pas n'importe quoi sérieux... Personne m'en veut et personne m'a suivi, j'espère que c'est pas toi qui nous a vendu sans faire exprès à force de pleurer à droite à gauche, bref...
Tu te sentais obligé de le piquer, c'était ainsi depuis toujours entre vous. Peut-être était-ce simplement votre manière de vous montrer votre affection, car au fond, tu savais que Pinplume était cher à tes yeux. Tes yeux, d'ailleurs, voyagent sur la neige que tu voyais pour la première fois de ta vie, cherchant une hypothétique échappatoire à cette prison de glace.
- Tu as raison... Je les entends aussi... Non loin je ne sais pas, mais je les entends.
Des échos de coups de pioche venaient titiller tes tympans, avant qu'une explosion ne vienne les ébranler. Il y avait définitivement quelque chose dans les kilomètres aux alentours, tout n'était pas perdu. Ta main droite se serre sur le javelot précédemment formé tandis que ta main gauche vient frotter ton épaule, pour la réchauffer.
- Si on reste là on va geler ou finir dévorés par je ne sais quelle connerie, on ferait mieux de se bouger.
En effet, le froid s'en prenait à tes muscles et tu savais pertinemment que quelques jours suffiraient pour t'éteindre à jamais. Ainsi débute ta marche en direction des bruits, le seul indice qui te permettait d'encore croire à ta survie au milieu de ce désert de neige.
- Je vois pas ce qui a pu nous balancer ici, tu faisais quoi avant d'apparaître au sommet de cette montagne à la con ?
- C'est toi qui dis n'importe quoi. Comment tu le saurais si personne ne t'en veux ? Tu penses vraiment que toutes les rancunes se disent tout haut ? A haute voix ? Maintenant, tu es garde, tu as d'office des ennemis. Et ces ennemis sont nos potentiels futurs alliés.
Cette dernière phrase te mets encore plus en colère. Syn peut voir plein de rides apparaitre sur ton front comme si tu avais pris en un coup une cinquantaine d'année.
- Pleurer ? Moi PLEURER ? Qui allait tout le temps pleurnicher chez le Père ?
Ton ton se hausse, comme interloqué par ces paroles puis tu finis par un peu te calmer. Tu es l'ainé même si ce n'est que de quelques mois, tu dois t'assurer de la bonne marche de la mission. Tu termines ce sujet d'un ton las, comme si tu en avais déjà assez de la présence de Syn, même si ce n'est pas le cas.
Mais, j'assume. J'ai en effet pleuré récemment. Sais-tu pourquoi ? Parce que j'ai perdu quelque chose que tu ne connaitras jamais : une mère. Tu en as de la chance.
Dit-il ironiquement. Cela t'étonnerais qu'il soit blessé le connaissant. Tu le trouves souvent beaucoup trop léger par moment mais il a peut-être raison, rien n'a vraiment d'importance à part la famille peut-être.
- Oui, mort par des loups dans une montagne enneigée. Ce n'est pas une mort que souhaite n'importe quel héros ou aventurier, n'est-ce pas ? Mais, alors, c'est quoi le plan ? On se dirige vers une mine et on dit la vérité ? "Coucou, désolé on ne sait pas comment on est arrivé dans les montagnes et nous sommes perdus". Tu sais quoi ? Ça pourrait fonctionner parce qu'on a vraiment l'air de deux idiots en ce moment. Deux idiots armés mais deux idiots quand même.
Tu as en effet du mal à te souvenir de ce que tu faisais tellement c'était ennuyeux. Comme si tu souhaitais effacer ce souvenir de ta mémoire.
- Apparemment un gros poisson est en train de terroriser tous les petits poissons dans un lac et les pécheurs se sont plaint... La quête est de le pêcher et le tuer pour que les gens puissent à nouveau pécher. C'est ridicule mais dans tous les cas je ne pourrais jamais la finir.
- Tu me prends pour un abruti ? Fais ton travail - si on peut qualifier ça de travail -, je fais le mien. Et ne pense pas être en mesure de pouvoir me donner des conseils.
La colère de ton interlocuteur, tu la ressens, elle te contamine et te force à répondre même si ce petit jeu ne t'amusait guère. Un pas, puis un deuxième, la distance qui te sépare de Pinplume se réduit tandis que tu prends la peine de répondre à chacune de ses attaques.
- Pleurer car l'attardé qu'il avait ramené à la maison m'avait explosé un doigt, est-ce illogique ? Je suppose que pour toi ça l'est vu ton putain de problème cérébral.
Cette escapade improvisée se transformait lentement en règlement de compte, un vrai danger lorsque les deux frères se retrouvaient isolés du reste du groupe. Les remarques du plus vieux t'atteignent et ta main vient choper son col sans que tu n'ailles plus loin. L'envie de le frapper était présente, certes, mais ses mots t'avaient touché. Alors qu'Akhlys pouvait s'attendre à une nouvelle bagarre, ton poing droit qui s'apprêtait à l'assaillir se détend et passe dans son dos pour le serrer contre toi.
- Désolé... Pour ta mère. J'en savais rien.
Tu ne lui en voulais pas pour ses remarques, ce n'était pas la première fois qu'il t'attaquait sur ce sujet et ça ne t'atteignait plus vraiment. Cette courte étreinte fraternelle se conclut par un soupir, avant que tes quelques pas en arrière ne te ramènent à une distance raisonnable. Toute cette scène te paraissait bien ridicule, et c'est ainsi qu'un léger sourire gagne de nouveau tes lèvres.
- C'est vrai qu'on a l'air de deux idiots, ça passera. Et puis, pour une fois qu'on est pas obligé de mentir, contentons-nous de leur raconter ce qu'il c'est passé, avec un peu de chance ils nous ramèneront gratuitement à la capitale.
Ainsi commence la marche dans la direction des bruits de pioche, dont tu n'arrivais toujours pas à évoluer la distance qui vous en séparait. Le froid ne t'épargne pas et le bout de tes doigts commençaient à doucement s'engourdir, ce qui te pousse à souffler plusieurs fois dans le creux de ta main. Courage Syn, c'est ce que tu te répètes en espérant croiser autre chose que de la neige dans les prochaines minutes.
- Ah.. Je vois... Rien en commun avec moi. Je me disais qu'on aurait peut-être fait quelque chose de lié, ou vu truc en commun, je sais pas... Moi j'étais juste en train de manger au bord d'un lac, donc rien d'exceptionnel non plus.
- Apparemment mon travail est reconnu par la Guilde. Mais tu as raison, chacun de son côté et tout ira pour le mieux. C'est vrai que tu as toujours pensé mieux savoir que tout le monde. Pourquoi ai-je cru qu'aujourd'hui serait différent ?
Ton agacement se fait de plus en plus ressentir alors que ton interlocuteur continue de prendre la parole. Pour tenter de t'enfoncer. Comme il l'a toujours fais. Comme vous vous le faites tout le temps entre frères.
- Oui mais toi au moins tu n'as plus aucune marque et ça se soigne après SEULEMENT trente secondes ! Alors que moi j'ai des cicatrices à vie de tes bêtises ! Tu sais très bien que mes paumes sont complétement détruite à cause des clous que tu te fais pousser dans la main.
Quelque chose que même Satyre n'aurait pu prédire. Comment savoir que ces deux là allaient se retrouver en milieu hostile et même coopérer ? Tu le sens que le froid est de plus en plus épais. Comme si celui-ci peut écorcher ta gorge. Pourtant une chaleur émane de ton cœur alors que ton frère te serre contre lui. Tes yeux sont écarquillés. S'il y a bien une chose pour laquelle tu ne t'attendais pas c'était bien celle là. Comme si vous aviez tous les deux grandis récemment et compris certaines choses de la vie. Comme si cette famille était dans un certain sens imposée par le chef c'est, aujourd'hui, tout ce que lui et toi vous avez.
- Tu n'en peux rien. Ce n'est pas ta faute et c'est une bien drôle d'histoire. Si on survit je vais partir quelques jours. Si tu veux ou a envie on en parle lorsque je suis de retour. Mais concentrons nous d'abord sur ce que nous pouvons faire maintenant. Oui tu as raison. De toute façon, tu as l'insigne des gardes. C'est peut-être mieux que tu passes devant et que nous nous voyons pas à deux. Étonnement lorsqu'on est un sujet de ce royaume qui part en miettes on préfère obéir à un garde qu'à un aventurier.
Dis-tu avec ton sarcasme habituel mais, cette fois-ci, il n'est pas accompagné de l'amertume ou de l'agressivité dont tu as l'habitude. Comme si quelque chose c'était détendu en toi, pour le moment. Tu as froid, vraiment. Et ta chemise blanc cassé a l'air encore plus sale que d'habitude entouré de cette neige si blanche.
- C'est peut-être ce lac qui doit être maudit. Il n'y a que le lieu qui semble similaire. Si tu le signales à tes supérieurs tu risques d'avoir une promotion non ? Je me demande comment on fait pour désenchanter un lieu. Tu penses que les portails fonctionnent comment ?
C'est une interrogation soudaine qui te perturbe. Quelque chose dont tu n'avais jamais pensé avant et maintenant te frappe comme en pleine figure.Alors que vous marchez vous entendez les coups de pioches réellement proche. Tu as l'impression de rêver mais ce n'est pas le cas : Devant vous se dresse ce qui ressemble l'entrée d'une mine.
- Partir ?
Tu aimerais lui demander où, l’accompagner dans cette épreuve qui ne doit pas être simple à affronter seul, mais tu ne peux pas. Telles sont les lois de La Boussole, le privé reste privé.
- Je suis là, si jamais. Enfin,… surtout si t’as des ennuis, si c’est pour du blabla va plutôt voir du côté d’Unicorne ou Ptidodo.
Accompagnée d’un sourire moqueur, la remarque ne semblait pas tout à fait sérieuse, bien qu’Akhlys savait pertinemment que tu n’étais pas friand du bavardage. La tristesse, tu la fuyais comme la peste, et l’étreinte donnée précédemment semblait être à l’apogée de tes efforts. Et puis, il fallait bien que tu joues un peu de ton côté macho.
- Honnêtement j’en sais rien… Et je t’avoue qu’il y a tellement d’hypothèses plausibles que j’n’ai pas l’envie de toutes les énumérer. On exposera tout ça à la sorcière, y a qu’elle qui pourrait avoir une idée de comment marchent ces trucs-là.
Du moins… C’est ton avis et ta vision des choses. T’exprimant, tes pas s’enchaînent dans la neige inviolée et te rapprochent lentement de votre but, jusqu’à ce que celui-ci n’apparaisse comme un mirage. Tes yeux, plissés et agressés jusqu’ici par le blanc aveuglant, s’écarquillent légèrement pour s’assurer de l’existence de la mine observée. Non, tu ne rêves pas, en contrebas se trouve une véritable exploitation minière devant laquelle se tient un petit groupe de nobles. Oh, ces gens-là, il ne te faut pas grand-chose pour les reconnaître.
- Regarde, c’est d’la racaille ça, sûrement les patrons.
L’air de dégout présent dans ta voix en est presque palpable. Quelques secondes passent avant qu’un premier ouvrier n’apparaisse, poussant un chariot rempli de cristaux et bien trop lourd pour lui. Exténué et crasseux comme Akhlys, le mineur te fait de la peine, te rappelant que sans le Satyre tu serais sûrement dans cette situation aujourd’hui.
- Retourne bosser, ce ne sont pas tes pauses qui vont nourrir tes gosses. lui grommelle un des hommes en épaisse fourrure présent devant la mine.
- Oui, pendant quelques jours, je vais voyager en dehors de la Capitale pour des histoires de famille. La mort de ma mère a apporté un lot de plein d'autres choses.
Tu as en effet appris beaucoup de choses ces derniers temps. L'histoire d'un père qui ne souhaite pas rencontrer son fils et qui en a honte, même sans le connaître apparemment. Mais ce n'est pas tout. Tu as également une sœur qui a été élevée parmi la noblesse. Une sœur qui n'a pas du supporter que ta mère tapine dans les rues mal famées de la Capitale.
- Ptitdodo... On a jamais été proche et tu le sais bien. Ça a toujours été plus ta grande sœur. Mais je vais en parler à Unicorne si on réussit à rentrer. Tout le monde la trouve froide et distante sans sourire mais n'importe qui serait dans cet état à force de s'occuper d'autant de gosses criards. Ma vie d'aventurier est clairement plus tranquille que la sienne.
C'est vrai que parfois tu trouves que Cyrthisia a de bonnes idées pour les quêtes. Mais jamais tu n'avoueras à personne. Tu la vois comme celle qui s'alliait toujours au plus fort pour t'embêter. Une personne profondément injuste envers toi.
- Si tu le dis. Je ne sais pas trop si elle sait comment fonctionne la magie. Toute façon si ce n'est pas dû à une potion ou un plante je doute qu'elle en sache mieux que nous.
Tu es rapidement interrompu par ce que tu considères comme une sale race : les nobles. En train de jacasser et s'en prendre au pauvre petit ouvrier qui tente de faire de son mieux. Tu donnes un léger coup de coude à ton frère pour lui désigner un peu plus loin plusieurs lanternes à plusieurs niveaux de la même montagne.
- Soit il y a beaucoup de mines ici soit c'est une mine géante.
Dis-tu en chuchotement le plus doucement possible dans l'oreille de Syn pour éviter de faire remarquer.
- Aujourd'hui on ne peut pas frère grand chose mais un jour le monde sera libre de leur emprise.
Éreinté et épuisé, l'ouvrier se remet péniblement au travail. Il pousse un chariot vide en direction de la mine en grelottant et fini par tomber. Un homme en épaisse fourrure, le même qui lui avait aboyé son ordre, se rapproche de lui d'un air menaçant et ça ne semble pas que ce soit pour l'aider.
L'histoire s'arrête ici. Pour l'instant. Ils ne peuvent pas réellement agir pour aider ce pauvre bougre sans compromettre leur couverture. Ils réussissent à identifier la mine et à retrouver leur chemin vers la Capitale.
|
|