Avant l’incompréhension ou la curiosité, ce fut l’effroi qui s’empara d’elle. Le cri lui échappa avant même qu’elle n’ait le temps d’y accorder la moindre pensée. Son corps se tournait déjà pour jeter un regard derrière elle. Qui était dans sa chambre ? L’ombre qu’elle avait vue dans le miroir n’était pas la sienne. Y avait-il quelqu’un qui la guettait dans un coin de la pièce ? Les rideaux étaient pourtant ouverts et aucune présence autre que la sienne ne vivait à l’instant dans cet endroit. Les battements irréguliers de son cœur ne se calmaient pas alors qu’elle risquait un nouveau coup d’œil vers la glace. Elle y vit à nouveau cet étranger. Elle sentit des sueurs froides l’envahir. C’était impossible. Elle était seule et… Ses réflexions furent coupées par une soudaine réalisation. Cette vitre… ne lui renvoyait pas son image. Elle s’approcha, mais jamais elle ne put voir son visage. Et elle ne reconnut pas le seul reflet qui daignait s’afficher à elle.
Des mèches sombres, une couleur rappelant les plumes d’un aigle qui de foncé, s’éclaircissaient vers les pointes. Une couleur différente de celle de la demoiselle, si pâle et si pure. Une couleur qui pouvait se fondre dans les ombres, et pourtant, ces mèches lisses scintillaient sous la lumière. La chevelure qu’elle apercevait semblait si légère, si soyeuse que l’envie d’y glisser ses doigts la prenait soudainement. Elle était certaine que cette douceur serait comparable à la soie. Les mèches délicates jouaient dans le vent, sans jamais s’entremêler, et Elyssia ne pouvait qu’en être envieuse. Elle adorait ses cheveux, sa couleur rappelant le plumage des colombes, le rosé qui se reflétait parfois sous la lumière, la délicatesse de ses mèches contre ses épaules nues. Néanmoins, elle ne pouvait s’empêcher d’envier les longues mèches de cet inconnu.
Puis, un coup contre la porte la tira brusquement de ses pensées. Ne lui laissant pas le temps d’admirer davantage ce qu’elle croyait être un mirage, elle tourna ses pupilles de couleur claire vers la porte de sa chambre.
- Tout va bien, Mademoiselle ? C’était une petite voix, douce et inquiète, qui s’élevait du corridor.
Oh. Son cri avait dû alerter l’entourage et elle s’obligea à reprendre ses esprits. Elle était probablement encore endormie. Tout simplement. Elle secoua la tête et décida d’oublier ce qu’elle avait pu voir de si bon matin.
Cependant, la tâche fut plus difficile qu’elle n’aurait pensé. Que son regard croise un miroir, une vitre ou même une simple cuillère, le visage qu’elle voyait était celui d’un homme qu’elle ne connaissait pas. Et jamais elle ne pouvait voir sa propre image. Les deux mêmes questions tournaient sans cesse dans son esprit. …Pourquoi ? Et qui était-il donc ? Hors de question de rester sans rien faire. Elle devait savoir. Elle devait comprendre. Elle entreprit de dessiner le portrait de celui qui se montrait à elle. Si Elyssia n’était pas une artiste, elle avait malgré tout suivi des cours d’art étant plus jeune et elle se sentait confiante de couler sur papier l’apparence de cet homme. Ensuite, elle pourrait demander à tout ceux qui croisaient son chemin s’ils connaissaient cette personne. Car elle avait bien l’intention de découvrir qui il était et de le trouver pour mettre un terme à cette mauvaise blague.
Et c'est ainsi que ses paupières s'ouvrirent. Froid... Ses yeux brûlés par la lumière de l'aube le firent rouler de l'autre côté un instant, mais au moins, il avait pu voir que la porte fenêtre de son étude était ouverte. Le vent du petit matin s'engouffrait avec perfidie dans son antre. Même la peau de bête ne parvenait pas à le maintenir au chaud. La peau ? Keith rouvrit les yeux. Doucement, tout doucement. Il essayait de s'habituer à la luminosité, et petit à petit, il voyait où il était, enveloppé dans la peau d'ours qui lui servait de tapis décoratif devant la cheminée. Les classiques, que voulaient vous.
Un frisson le parcours et la sensation était étrange. Ou plutôt inattendu. Quoi que dans son état, il n'attendait rien de bien particulier. Peut-être de l'eau ? Mais le frisson, il baissa lentement les yeux vers ses mains pour y découvrir des manches. Il était encore habillé, il avait dormi comme ça, sur le sol de son bureau.
"Mrglglglglgl..."
Se retournant encore un peu, il ferma les yeux. Les oiseaux chantaient, si haut et si beau dans le ciel. Keith avec un seul oeil entrouvert pouvait les voir. L'un s'était même perché sur la rambarde de son balcon, il était magnifique. Il piaillait gaiement !
"Dégage, borpeurh..."
Un relent l'interrompit, et il se mit sur le dos quelques instants. Bon... Le jeune homme n'allait pas rester comme ça toute la journée, il faudrait bien se lever à un moment ou un autre. Teeellement pas envie... Rejetant vaillamment la maigre chaleur que lui apporté la peau, dans des gestes mal assuré, voire même ridicule, il roula encore et se mit sur le ventre. Il poussa avec courage sur ses bras pour se redresser, quand une bouteille vide sapa tous ses efforts ! Sa main gauche glissa dessus et il retrouva le plancher des vaches en un instant ! Grommellant à nouveau, avec la sensation d'avoir la tête sous les roues d'un carrosse, il attrapa furieusement la bouteille. Comme si elle s'était placée là sciemment...
"Toi...!"
Mais Keith, dans le reflet ambré de sa copine d'un soir, cru discerner quelque chose de bien étrange. Une jeune femme. Son portrait s'animait dans le miroitement du verre. Ses cheveux blancs étaient magnifiques, portés par une vague brise. Elle montrait diverses émotions, parfois boudeuse en quémandant des sucreries, puis de suite enjouée en les ayant entre ses mains. La Demoiselle du verre semblaient irradier de bonheur en attrapant chaque confiserie disposée devant elle, pour son plaisir. Ses traits étaient d'une douceur extravagante, et dans le reflet, on aurait cru qu'elle avait été taillée dans de la glace pure. Voilà, de la pureté. Elle ressemblait à une jeune femme douce, délicate et pleine de vie. L'insouciance et l'innocence l'avaient trouvées et avaient fait d'elle une ravissante personne.
"Je dois encore être sacrément torché..." Avant qu'un autre relent ne l'agite.
Assise à sa coiffeuse, seule dans cette pièce qui était la sienne, elle fixait le portrait devant elle. Rien. Pas une réponse n’avait-elle reçu en ces derniers jours. Ses doigts tapaient avec énervement le bois du meuble. Parfois, elle se prenait à se tenir immobile devant la glace, à observer cet inconnu avec curiosité. Et elle se demandait si cette personne existait réellement, ou si ce n’était que les méandres de son esprit. Était-elle proie à la folie, à la magie ? Une malédiction, peut-être ? Elle ne comprenait pas et elle n’aimait pas cette impression qu’on jouait avec elle. Ne jamais voir son visage la désorientait et la rendait mal à l’aise.
Elle ne pouvait plus coiffer ses cheveux avec tant d’attention ni admirer ses nombreuses robes lorsqu’elle les enfilait. Oh, elle savait qu’elle lui allait bien. Chacun de ses habits épousait sa silhouette, lui donnant un air gracieux et charmant. Ses accessoires s’agençaient parfaitement, sans artifice, mais toujours choisis avec attention. Une journée, elle portait un collier dont la pierre faisait sortir le bleu de ses yeux. Le lendemain, ce pouvait être un bracelet à pierre blanche. Elle qui aimait prendre son temps pour se préparer ne pouvait plus passer de longues minutes à tourner devant son miroir. Non. Car le reflet qu’elle y voyait était celui de cet homme. Elle l’imaginait noble, même s’il n’y avait aucune extravagance dans ses habits. Il paraissait en contrôle. Une éloquence naturelle l’entourait, et l’arrogance aussi. Mais par moment, quelque chose semblait osciller dans son regard. Une ombre, sombre et funeste, dont elle n’était pas certaine de vouloir découvrir la cause. Elle observait cette personne se mouvoir et vivre par-delà la vitre de ses miroirs. Étrange et fascinant tout à la fois. Sans prendre conscience de son geste, sa main se posa contre la glace.
- Qui es-tu… ?
Un soupir quitta ses lèvres et elle obligea son regard à s’éloigner du miroir. Il retomba sur le portrait. Personne n’avait pu lui donner les réponses qu’elle cherchait. Et elle se retrouvait devant sa dernière option. Demander à ses parents. Son père avait un réseau de connaissances et partenaires aux quatre coins du royaume. Il pourrait probablement l’aider, mais elle avait voulu éviter de devoir expliquer pourquoi elle cherchait l’identité de cet homme. Comment expliquer à ses parents qu’il était celui qu’elle voyait dans la glace ? Ah… Elle ferait mieux de trouver une autre raison.
Relevant les yeux, elle remarqua soudainement un anneau porté par l’homme. Ou plutôt une chevalière. Pourquoi ne l’avait-elle pas remarquée plus tôt ? Avec presse, elle chercha encre et plume afin d’ajouter le symbole à son dessin. Indice en main, elle n’attendit pas une seconde de plus avant de courir au bureau de son paternel.
Veriano. Ces armoiries appartenaient à cette famille de la capitale, lui apprit son père. Cet homme existait donc vraiment. Il vivait à la capitale. Elle pouvait le rencontrer. Et surtout, comprendre ce qui lui arrivait. Elyssia n’était pas femme de patience. Dès qu’elle avait su où se diriger, elle avait déjà sorti ses valises. Avec une raison boiteuse pour ses parents, elle sauta dans une calèche pour cette quête personnelle.
Une semaine plus tard, elle se trouvait devant le manoir Veriano. Déterminée et confiante, elle attrapa sa petite valise et marcha jusqu’à la porte d’entrée. Il était hors de question qu’elle quitte cet endroit avant de savoir exactement le pourquoi du comment, et elle avait la ferme intention de pouvoir admirer son propre visage dans la glace lorsqu’elle serait de retour chez elle. Elle cogna trois coups à la porte et se tint droite et fière lorsque l’entrée s’ouvrit.
- Bonjour. Pardonnez ma visite improvisée, mais l’urgence de la situation me pousse à me présenter en personne, et ce, sans avoir pris le temps d’écrire sur mon arrivée. Je souhaite rencontrer M. Veriano.
L’impatience bouillait en elle depuis maintenant trop longtemps. Elle n’allait pas attendre qu’on lui demande qui elle était et la raison de sa présence. Elle avait ouvert la bouche rapidement, voulant s’assurer d’avoir la parole en premier. Elle souhaitait mettre fin à cette étrange situation. Une situation qui la déstabilisait et la bouleversait plus qu’elle ne voulait l’avouer. Elle se sentait voyeuse à force d’observer cet homme. Encore plus depuis qu’elle avait confirmation qu’il était bien réel.
Elyssia s’était jetée dans le premier carrosse jusqu’ici, sans même réfléchir au moment où elle se retrouverait devant l’homme du miroir. Elle voulait simplement comprendre. Mais maintenant qu’elle se tenait là, elle ne put empêcher la question de se former dans son esprit : Et lui… croirait-il qu’elle était complètement folle ? Elle aurait peut-être dû y penser avant de se pointer ainsi à sa porte d’entrée. Ha, et puis tant pis. Elle voulait des réponses et elle ne voyait pas de meilleurs moyens pour les obtenir.
"Quand faut y aller..."
Sa voix était toujours aussi faible. Il n'avait décidément rien d'un matin glorieux. Plusieurs fois il s'était réveillé avec des trous de mémoires de la veille. Ce n'était pas nouveau pour lui. Mais on ne s'y habituait pas pour autant, la sensation de crâne qui passait sous un carrosse... Ce n'était en rien agréable. Comment des boissons aussi agréables, chaudes et revigorantes pouvaient avoir de tels effets secondaires ? Quel triste coup du sort ! Au final, Keith s'étira un peu de partout. Inutilement, de partout. Même ses petits orteils. Et il posa un doigt sur chacune de ses oreilles.
"EMILIA !"
Il retira ensuite ses mains. Non, ce n'était pas lui qui avait crié. Ce n'était que l'un de ses souvenirs où il avait crié dans le manoir pour qu'elle vienne. Keith eut un rire solitaire en contemplant son oeuvre. Quelques minutes à peine après, ladite Dame le rejoignit. S'empressant de le retrouver, elle semblait entre inquiète et furieuse. À peine arrivée, qu'elle le sermonnait, réajustant ses vêtements et ses cheveux. Elle disait qu'elle allait préparer une bassine d'eau chaude et des habits propres, et qu'un café ne lui ferait pas de mal.
Et pourtant il n'avait rien dit ! Peut-être fut-ce à ce moment qu'il se rendit compte qu'il buvait trop... Pour ce que ça change... Emilia le secoua un peu avant de partir, et après qu'elle eut claqué volontairement fort la porte, Keith agrippa le rebord du bureau. Il se hissa avec courage, faisant fi de son corps qui hurlait les bienfaits de rester au sol ! Son ascension fulgurante le porta si haut qu'il eut des vertiges ! Posant ses deux mains sur le bois, il ferma les yeux pour éviter de retomber. Une fois passé, Keith fit le tour et s'assit sur son siège. Par terre, à ses côtés, une flaque de... Je me souviens même pas avoir... Oh... Maintenant que je suis à côté, quelle odeur immonde !
Il se leva et parti s'effondrer sur le canapé, là où sa veste se trouvait d'ailleurs. Sa main s'aventura au-dedans, et n'y trouva qu'une flasque vide. Et m...
Quelques jours plus tard, Keith désormais sobre et ayant reprit toutes ses activités sans se laisser tristement aller, il avait remarqué quelque chose d'anormal. Cette fille. Elle était partout ! L'argenterie, les miroirs, les bouteilles, les armures de la milice, partout ! Chaque surface réfléchissante était comme une projection de cette Demoiselle ! Comment déterminée de qui il s'agissait et de par quelle magie il pouvait la voir. Et elle, que voit-elle ? Cela l'intriguait au point de perturber ses pensées durant son travail, et c'était insupportable ! Chaque mauvaise idée ou faux calcul étaient autant d'épines dans son pied.
Sauf que l'on le fit mander. Un employé du manoir vint le quérir dans son étude, où il s'évertuait à garder le contrôle sur lui-même malgré la frustration. Au début, Keith demanda de qui il s'agissait, mais l'invitée n'avait rien dit sur elle. J'espère que ce n'est pas encore une de ces roturières qui vient quémander... Cela arrivait de plus en plus avec l'intérêt croissant qu'il avait pour le peuple, mais certains voulaient profiter et réclamer davantage pour leur bien personnel. Sauf que l'employé commença à la décrire, et Keith écarquilla les yeux. Il se leva de son bureau, et se rendit dans le hall de son manoir. Et il la vit.
Une jeune femme, tel qu'il la voyait dans chaque reflet depuis des jours. Jeune, belle, aux émotions aussi lisibles que les mots d'un livre. Sa pureté et sa fraîcheur dues à sa candeur rappelées une petite fille. Elle était adorable à contempler. Fragile, svelte, mignonne, aux courbes de demoiselle juvénile. Son corps était accompli, mais gardait une silhouette d'adolescente. C'était comme la fille que l'on souhaitait toujours avoir. Mais cette fois, elle ne souriait pas. Elle semblait plus confuse, mais tout autant débordante de vitalité ! Alors qu'il descendait quelques marches, l'intendant du manoir arriva, et Keith parla à haute voix pour que chacun entende.
"Je vais m'entretenir avec notre invité dans le salon. Je vous prie, Rahan, de nous apporter une collation s'il vous plaît."
Et une fois arrivé en bas, fixant la petite demoiselle avec un faible sourire, il lui souhaita la bienvenue, l'invitant à le suivre jusqu'au salon avant d'engager toute conversation.
Finement plié en quatre, le portrait reposait au creux de sa main gauche. Elle était prête à présenter le dessin à celui ou celle de la famille qui l’accueillerait, à demander s’ils connaissaient cet homme, si c’était bien un Veriano et, plus important, quel était son prénom. Elle n’avait pas pris le temps de s’informer sur cette famille. Elle s’était simplement présentée et elle ne savait pas à quoi s’attendre. Elle ne savait pas non plus comment expliquer la raison de sa présence pour trouver un homme qu’elle ne connaissait, de toute évidence, pas.
Elle avait posé sa valise dans le hall, près d’elle, et elle se tenait droite. Intriguée par l’endroit, elle laissait son regard parcourir la pièce, admirant la décoration et l’architecture. Ses pensées tournaient en boucle dans son esprit, les mêmes questionnements, les mêmes réflexions, mais elle essayait de s’occuper ailleurs pour un moment. Car l’attente et l’impatience commençaient à la rendre anxieuse. Et elle n’aimait pas se sentir ainsi.
Ce fut une silhouette qui la tira de ses pensées et ses pupilles claires se posèrent sur l’homme qui venait d’apparaitre. L’aurait-elle voulu, elle aurait été incapable de détourner le regard. Comme un papillon attiré par la lumière, Elyssia l’était par la curiosité qui entourait ces circonstances inhabituelles. Elle était… fascinée. Confuse. Étonnée. C’était… lui. L’homme du miroir. Était-ce réel ? Ou est-ce que son esprit lui jouait un tour ? Elle avait la soudaine impression que si elle avançait, elle heurterait une vitre, et elle prendrait alors conscience qu’il n’était en réalité qu’un reflet, que tout cela n’existait que dans sa tête. C’était si irréel. Elle en était déstabilisée. Elle était figée dans le moment et ses grands yeux ne pouvaient cacher l’incompréhension et la confusion qui l’emplissait à l’instant. Elle était curieusement surprise. C’était si étrange. Comme voir une peinture prendre vie devant ses yeux. Comme une image qui se matérialisait dans le monde réel.
Elle était si envoutée par ce qu’elle considérait comme une apparition que la voix de l’homme la fit sursauter lorsqu’elle s’éleva dans la pièce. Car oui, ce n’était pas une image. C’était une personne réelle, qui existait, qui vivait dans le même monde que le sien. Il était là, devant elle. Son regard marron se posait sur elle. Véritablement sur elle. Il la dévisageait autant qu’elle le dévisageait à l’instant. Alors qu’il avançait, elle ne put s’empêcher de le détailler, comme elle l’avait fait de nombreuses fois dans le miroir. Sauf que tout était différent maintenant. Elle n’arrivait pas à comprendre.
Elle qui avait normalement le sourire si facile aux lèvres n’arrivait pas à délaisser son air ahuri. Captivée, elle se laissa guider au salon, ne pouvant empêcher ses yeux de jeter de nombreux coups d’œil à l’homme. Ce n’est que lorsqu’elle posa le pied dans le salon qu’elle sembla reprendre ses esprits. Elle avança dans la pièce avec lenteur, observant ce nouvel endroit. Lorsque son regard croisa son reflet, ou enfin celui de l’homme, elle s’immobilisa. Elle sentait le malaise grimper soudainement en elle. Ils étaient identiques. Cette image dans le miroir et l’homme qui se tenait non loin d’elle. Et pourtant, ils étaient différents tout à la fois. Il n’y avait aucun doute à y avoir, c’était bien la personne qu’elle ne cessait d’apercevoir, mais…
Elle se tourna pour poser ses yeux océan sur le maître des lieux. Elyssia était impressionnée, intimidée même, par sa présence et sa prestance. Tout son être dégageait cette impression de dominance, de contrôle. L’élégance et la distinction gouvernaient chacun de ses gestes. C’était encore plus flagrant, plus écrasant que d’observer son reflet. Il était identique au visage qu’elle voyait dans la glace, mais son regard brun ne contenait pas cette ombre qu’elle avait déjà vue. Par moment, le reflet présentait un homme hanté par les démons du passé, elle y avait vu une once de douleur, une once de déséquilibre. Mais rien de cela ne paraissait à l’instant dans le visage de son hôte.
Elle ne connaissait rien de lui. Elle ne pouvait rien deviner. Que ce soit dans son regard, dans son sourire. Elle avait observé une apparence, le couvert d’un livre qui renfermait de nombreux secrets, elle en était certaine. Elle ne savait pas qui se cachait réellement derrière ce visage. Celui qu’elle observait chaque jour existait-il réellement ou n’était-ce que son imagination qui avait créé une illusion ? Mêlé à toute cette étrangeté. Elle ne savait plus. Elle reporta son attention sur le reflet qui n’était pas le sien dans la vitre.
Finalement, elle se décida à ouvrir la bouche. Sa voix était douce, légèrement incertaine alors qu’elle cherchait les mots pour bien s’exprimer. Elle était encore confuse par la situation. Même si elle était celle qui s’était présentée, elle ne savait pas comment réagir à tout ça.
- Je suis désolée de m’imposer ainsi à vous. Je peux être un peu… spontanée lorsque quelque chose me préoccupe. Oh… la raison de ma présence est… délicate à expliquer, mais s’il vous plait, prenez le temps de m’écouter. Voyez-vous, depuis quelques jours, je n’aperçois plus mon reflet dans la glace. Je… vois celui de quelqu’un d’autre.
Son regard quitta le miroir pour croiser celui de l'homme. Elle laissa le silence s’étirer un moment, avant de froncer les sourcils, et poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis son arrivée son manoir :
- …Qui êtes-vous ? Puis-je demander votre prénom ? J’aimerais savoir qui est celui dont l’image me suit sans cesse.
Allait-il lui répondre ? Allait-il la dévisager et lui demander de partir aussi vite qu’elle était arrivée ? Il ne savait même pas qui elle éta… Oh. Elle avait oublié ce détail. Il ne la connaissait pas, tout comme elle qui avait longuement cherché l’identité de ce visage.
- Ah ! Je suis si bouleversée par cette étrange situation que j’en oublie les convenances. Veuillez me pardonner. Je me nomme Elyssia, deuxième enfant de la famille Venwarin.
Elle se présenta humblement, avec une courbette de courtoisie, avant de se taire pour de bon.
Quand elle eut fini de parler et de faire preuve de politesse, le Maître des lieux incita la Dame à le suivre dans une salle à côté, un petit salon.
"Nous y serions plus à l'aise pour discuter."
Il poussa une porte après quelques pas et découvrit un petit salon tourné vers une baie vitrée. Keith progressa dans sa demeure avec une assurance certaine, et vint s'asseoir dans l'un des canapés qui se faisaient face. Son ton était calme mais ferme.
"Je vous en prie, vous êtes mon invitée. Prenez place." Il désigna la place en face de lui et son sourire commença à apparaître. Il attendit qu'elle soit confortablement installée. "Tout d'abord, bienvenue dans mon manoir. Je suis Keith Veriano."
Les Venwarin, il avait eu affaire avec le patriarche. Il resta serein, alors qu'il était en présence d'une jeune femme tout à fait inattendue. Celle qu'il voyait boudeuse, rieuse, joueuse... Celle-la même qui absorbait ses reflets était désormais là, avec sa petite robe et sa valise. Elle semblait être partie à la hâte, et surtout en quête de réponse. Et maintenant elle était devant lui, avec son petit air d'enfant abattu qui ignore ce qu'elle cherche. Enfin, ce ne devait être qu'une impression, car elle devait vouloir la même chose que lui. Des réponses. Keith sorti un petit miroir de poche qu'il traînait depuis la veille. Il le mit à hauteur de son regard, à côté du visage de la jeune femme. Oui, c'est bien elle. Il posa le miroir sur la table et le fit glisser à Elyssia.
"Je suppose que nous sommes victime des mêmes circonstances. Après vos... Explications, je comprends votre confusion, j'ai éprouvé la même. Et je dois dire que je ne m'attendais pas à vous voir pousser la porte de chez moi. Je ne sais pourquoi, mais je vois votre reflet partout, et je suppose que c'est pareil pour vous."
L'intendant toqua à la porte et vint par la suite déposer une tasse de thé devant Venwarin et Veriano, avec quelques petits biscuits. Keith le remercia, et il repartit aussitôt.
"Prenez le temps de vous calmer, Elyssia. Personne ne vous veux du mal, ici. Reposez-vous un peu, après votre périple. Cela vous requinquera."
Keith continuait de l'observer. Elle était vraiment identique au reflet. Les mêmes éclats de roses dans les cheveux, les mêmes yeux empli de douceur et de joie. Cet aspect juvénile qui lui allait comme un charme. Aucun doute n'était possible.
Il était grand. Ce n’était que maintenant qu’elle le réalisait, mais elle devait lever le menton pour voir son visage. Ce n’était pas nouveau pour la jeune noble ; Elyssia était bien souvent celle qui devait lever les yeux afin de croiser le regard d’un autre. Ce qu’elle faisait à l’instant pour plonger ses pupilles grisâtres dans celles marron de l’homme. Il était grand, mais il n’avait pas une carrure imposante. Ce n’était pas sa stature qui l’intimidait. Non, c’était autre chose. Ce qu’il dégageait.
À ses côtés, elle se sentait comme une jeune enfant. Frivole et impulsive. Elle était une véritable boule d’énergie qui ne cherchait qu’à éclater. Lui était calme et posé. Impassible. Beaucoup trop au goût de la jeune femme. Son visage ne laissait aucun indice sur ce qu’il pensait intérieurement alors qu’il posait son regard sur elle. Elle ne savait pas sur quel pied danser, en se tenant devant lui.
Il mit fin à sa réflexion lorsqu’il l’incita à suivre dans une autre pièce. Avec un bref hochement de la tête, Elyssia se mit en marche. D’abord lent et curieux, son pas devint rapidement décidé alors qu’elle se laissait guider. La nouvelle salle qu’elle découvrit eut droit au même intérêt de la part de la jeune femme, son regard parcourut les décorations et surfaces de l’endroit. Son attention se porta sur son hôte à nouveau lorsqu’il lui proposa une place assise, et elle put remarquer un léger sourire qui commençait à étirer ses lèvres. « Merci », dit-elle simplement avant de prendre place face à l’homme. Elle lissa sa robe une fois assise, mais son mouvement s’interrompit lorsqu’il se présenta. Keith Veriano. Elle avait tant cherché à savoir qui il était, mais le découvrir lui semblait soudainement…étrange.
Lorsqu’il glissa vers elle un miroir de poche, Elyssia le prit délicatement entre ses doigts pour y observer une nouvelle fois ce reflet qui ne la lâchait pas. Ces traits fins, cette peau pâle, ces cheveux qui en feraient jalouser plus d’une. Elle le reconnaissait. Elle l’avait observé durant de longues minutes. C’était embarrassant de l’avouer, maintenant qu’elle savait qu’il n’était pas une invention de son esprit dérangé. Et… il était victime de la même malédiction. Elle ne sut pas comment elle voulait réagir, à savoir que son reflet l’avait fui pour se montrer à un autre. Devait-elle être gênée ? Confuse ? Fâchée, peut-être ? Elle resta silencieuse. Incapable de savoir ce qu’elle ressentait exactement. Qu’avait-il vu en la regardant ? Voyait-il une différence entre l’image qui se présentait à lui et la personne qui s’était montrée à sa porte ?
L’intendant la tira de ses réflexions qui tournaient chaotiquement. Elle posa doucement le miroir qu’elle serrait toujours dans ses mains et attrapa la tasse dans un mouvement délicat. Elle remercia avec calme, presque trop doucement, l’intendant avant de lever la tasse à ses lèvres. Elle y souffla doucement. La chaleur du breuvage était agréable contre ses paumes et elle laissa un soupir lui échapper. Toute la tension qui crispait encore ses membres se détendit. Elle se sentit dès lors plus calme, plus en contrôle d’elle-même. Elle but une première gorgée, fermant les yeux pour savourer le parfum du thé.
-Nous sommes tous deux à la recherche de réponses, sans même savoir où tout cela a commencé... Je vous remercie de votre hospitalité malgré la façon dont je me suis présentée.
Enfin, un véritable sourire étira la commissure de ses lèvres. Elle reprenait peu à peu contenance. Elle acceptait peu à peu la vérité. Elle ne comprenait pas, mais elle pouvait en découvrir le plus possible, et essayer par la suite de donner un sens à tout cela. Elle était aussi sincèrement reconnaissante envers Keith de l’avoir accueillie dans sa demeure.
- Si vous me le permettez, je vais donc profiter du calme et apprécier le thé.
Le sourire de retour sur ses lèvres, elle se sentait redevenir elle-même. Laissant le silence prendre place, elle dégusta sans se presser le thé et n’hésita pas à goûter avec plaisir aux biscuits mis à sa disposition. Elle avait conscience qu’elle s’imposait. Sa présence était peut-être désagréable, importune, mais elle ne pouvait faire autrement que rester. Elle avait besoin de réponses. Puis, elle posa son regard sur le noble.
- Quand cela a-t-il commencé pour vous, Keith ?
Keith ajouta un peu de sucre dans son thé et apporta la tasse à ses lèvres. Elle lui posa une simple question, une petite phrase qui s'échappa de ses lèvres rosées. Il sourit, reprit une gorgée et reposa sa boisson. Keith ne disait toujours rien, réfléchissant à comment aborder les choses. Il croisa les jambes et s'enfonça dans le dossier du canapé.
"Cinq jours auparavant, à mon réveil, les choses étaient ainsi. Je ne voyais plus mon reflet, mais le vôtre. J'ai demandé à ma gouvernante de m'aider à me coiffer pendant ce laps de temps pour être honnête." Keith parlait avec légèreté et gentillesse, incitant son invitée à se sentir plus à l'aise. "Cela n'a pas drastiquement changé mon quotidien, mais si je dois avouer avoir été pas mal préoccupé par un tel changement. Et c'est ainsi que j'ai pu me rendre compte qu'il y avait beaucoup plus de surfaces polies que je ne le croyais tout autour de moi." Le jeune homme fit une pause pour reprendre sa tasse en main et s'imprégner de sa chaleur. Il pencha un peu la tête et continua avec le sourire. "Et pour vous, ma chère Elyssia ?"
Le Maître des lieux continuait de l'observer, ses bras semblaient si fragiles. Des brindilles. Tout petit. Avec des mains tout aussi fines, et des doigts chétifs. Il avait l'impression que même la tasse était trop lourde. L'impression frêle qui émanait de la jeune femme poussait Keith à agir avec précaution et à se montrer plus prévenant que d'habitude, ce qui était une surprise compte tenu de son caractère ! D'ordinaire, il aurait plutôt été du genre à passer à autre chose, ou bien de la traiter comme une enfant. Peut-être que son besoin de réponse le poussait à être davantage patient ? Allez savoir. J'espère qu'à son départ, j'aurais retrouvé mon reflet...
Elyssia l’observait. Elle ne pouvait s’empêcher de chercher une différence entre l’homme du miroir et celui assis devant elle. Elle ne pouvait s’empêcher de le dévisager, même si elle essayait de diriger ses pupilles bleutées ailleurs, elle revenait sans cesse sur le maître des lieux. Depuis qu’elle avait posé les pieds dans ce manoir, ses yeux faisaient le même manège et son esprit ne décrochait pas des histoires qu’il avait imaginé lors de ses nombreuses observations.
Son regard passa du reflet pâle et trouble présent dans sa tasse à la personne en chair et en os. Il n’était pas particulièrement bâti, il avait plutôt une stature tout en finesse. C’était en tout cas l’impression qu’elle avait en le regardant, mais détailler davantage son corps était ardu puisque, contrairement à Elyssia, lui portait de plus amples vêtements. La jeune noble de son côté avait enfilé une robe serrée à la taille, courte aux genoux et sans manche, laissant paraître ses bras dont la musculature n’avait rien d’exceptionnel et ses petites jambes fines. Le vêtement était léger et adapté pour le voyage malgré ce qu’on pourrait penser, tout comme les bottes chaussées à ses pieds.
Elyssia prit une nouvelle gorgée de thé, se concentrant sur les paroles de son hôte. Un petit rire vint même étirer ses lèvres devant l’anecdote. Oui, elle aussi avait dû faire appel à un peu d’aide par moment. Pour s’assurer d’être présentable. Mais rien de bien dramatique. À son tour, elle donna sa réponse à la question qu’elle avait initialement posée :
- Hum… Quelques jours avant mon départ du Grand Port. Je n’ai pas votre patience, Keith. J’étais plus troublée que je n’aimerais l’avouer. Et… au final, je ne pouvais pas laisser les choses ainsi. J’aimerais beaucoup comprendre ce qui nous arrive.
Une part d’elle était contente que ce ne soit pas une folie de son esprit. Ils étaient deux pris dans le même problème. Ne restait qu’à trouver comment s’en sortir. Il fallait y réfléchir un peu. Beaucoup, plutôt, car il n’y avait rien d’ordinaire dans cette situation. Hum. S’était-il passé quelque chose d’étrange ou de particulier dans les jours précédant cette malédiction?
- Comment cela a-t-il pu arriver ? Avez-vous déjà entendu une histoire aussi loufoque ?
Alors qu’elle avait été au début intimidé et incertaine, elle se montrait de plus en plus à l’aise, ne cherchant qu’à comprendre et arranger la situation. Car elle souhaitait par-dessus tout retrouver son image dans le miroir.
De son côté, la jeune femme montra encore une fois une preuve de son impatience. Ou était-ce aussi de la curiosité ? Probablement. Toute frêle et chétive qu'elle était, elle avait prit sur elle pour venir rencontrer un inconnu, potentiellement sur une intuition plutôt qu'une véritable preuve. Cela demandait du courage ou de l'inconscience. Après tout, les aventuriers bradaient bien leurs instincts de survie pour aller affronter des monstres dangereux et vicieux, cela ne faisait pas une grande différence avec la Dame en soi. Elle aurait pu rencontrer des abominations, des brigands, être prise en otage pour faire chanter son père ou qu'en savait-il encore ? Il était d'ailleurs surpris que sa famille et ses domestiques ne l'aient pas dissuadés. Keith n'aurait sans doute jamais laissé un membre de sa famille aussi fragile partir seul. Encore moins une personne comme Elyssia. Avec son caractère de bambin en découverte constante de son environnement, sa curiosité acharnée, son impatience toute relative, et sa candeur apparente, elle pourrait se faire manipuler par n'importe quel badaud ! La jeune femme apparaissait comme un danger pour elle-même aux yeux de Keith, qui s'inquiétait pour elle. Sans doute que lorsqu'elle rentrerait, il insisterait pour que des gens à lui l'accompagne pour la sécuriser. C'était la fille d'un associé, quand même, il n'allait pas lui manquer de respect ou la mettre en danger.
"Je l'ignore totalement, ma chère. Un objet magique qui a dysfonctionné, le mauvais tour d'une personne avec ses pouvoirs, ou encore l'oeuvre d'une créature farceuse ? Je ne sais pas du tout. Cela ne fait pas une semaine, peut-être que le temps est un remède suffisant et qu'il nous faudra être patient. Je suis disposé à vous accueillir un temps en ma demeure pour que l'on soit fixé, Elyssia." Il reprit une gorgée de sa tasse avant de la reposer sur la table. "Vous pourrez circuler librement, mais je crains que je ne sois pas d'un grand divertissement pour vous. Je dois m'occuper de mes affaires et cela me demande beaucoup de mon temps, malheureusement."
Keith réfléchissait tout en observant la petite Demoiselle aux cheveux blancs. Le reflet dans sa crinière était magnifique. Malgré la beauté naturelle qu'on connaissait aux cheveux du jeune homme, il avouait volontiers trouver ceux d'Elyssia superbes, eux-aussi. Même si la robe lui donnait encore plus un air d'enfant. Ses bras et ses jambes étaient si fines, un coup de cuillère en bois et ils se cassaient... Si petite, si innocente, si fragile... Keith avait du mal à se dire qu'il s'agissait d'une adulte, mais il garda quand même cette information en tête avant de se montrer irrespectueux.
Le temps passait, mais l'homme d'affaires commençait déjà à repenser à ses papiers, à son travail, et toutes les activités plus ou moins légales qu'il avait encore à accomplir. Enfin, tout ce que le Royaume ignore sur ses activités ne peut pas lui faire de mal. Il toussota un peu, et se leva avec une certaine lourdeur. Comme s'il commençait à évacuer ce qu'il venait de se passer.
"Sur ce, je vais retourner à mon étude. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez à mon intendant Rahan. Il est très compétent et je vous l'enverrai dès que je sortirai. Il vous aidera à vous installer et prendre en compte vos goûts." Le Maître des lieux s'inclina doucement avec le sourire. "Encore une fois, vous êtes la bienvenue ici. Je vous revois plus tard, chère Elyssia."
Et sur cette courtoisie, Keith délaissa la Dame à la peau si pâle pour s'en retourner à ses préoccupations principales.
Hypothèses. Théorie. Il n’y avait aucune réelle réponse. Aucune conclusion concrète. Comment comprendre la situation ? Vraiment comprendre. Comment trouver l’élément déclencheur ? La raison de tout cela. À qui jeter la faute ? Cette rencontre la rapprochait-elle de la vérité ? Elle ne pouvait que l’espérer. Son regard pâle était retombé sur sa tasse, fixant inconsciemment ce reflet qui n’était pas le sien et auquel elle commençait à s’habituer sans le vouloir. Ce visage qui la suivait depuis quelques jours n’était plus aussi curieux. C’était certes toujours troublant, mais moins effrayant qu’au début. Peut-être parce qu’elle avait pu rencontrer à qui appartenait ce portrait ? Elle ne savait pas.
Être patient. C’était un trait avec lequel Elyssia avait de la difficulté. Jeune femme impulsive, susceptible, dynamique, elle détestait attendre le dénouement. Malgré tout, elle hocha lentement la tête. Incapable de trouver une bonne raison de nier cette affirmation. Elle n’avait rien à proposer. Elle avait pris l’initiative de trouver le propriétaire de ce visage, mais maintenant… elle ne savait plus ce qu’elle devait faire pour saisir les circonstances.
Elle releva finalement les yeux vers Keith, laissant un mince sourire étirer ses lèvres pour ne pas se montrer abattu par l’absence de réponses. Elle était aussi reconnaissante à l’homme pour sa patience et son accueil. Une inconnue débarquant ainsi, dérangeant les projets de la journée et cherchant une explication sans vouloir décrocher, ce n’était pas le genre d’invité qu’on souhaitait. Un peu plus, et on lui imaginait une moue sur le visage à la petite Elys. Mais elle n’en était pas là. Après tout, c’était bel et bien une adulte, quoi qu’on puisse en penser en la regardant. Elle ne réalisait pas totalement l’impression chétive et fragile qu’elle renvoyait aux autres. Cet air enfantin, peu sérieux. Par moment, elle pouvait ressembler à une enfant qui cherchait à comprendre ce qui échappe à sa compréhension et cette impression d’innocence était davantage accentuée lorsqu’elle se trouvait auprès du Veriano. Tant physiquement que psychologiquement, ils étaient différents. Là où l’un était calme et sérieux, l’autre était énervée et frivole. L’énergie qu’ils dégageaient, l’impression qu’ils renvoyaient ; ils étaient opposés. Comme s’ils évoluaient dans des mondes différents. Comme si une glace existait réellement entre leurs deux réalités. Peut-être avait-elle réellement traversé le miroir pour se retrouver dans son monde à lui ? Si loin de son innocence. Affaires, argent, secrets. Si différent de l’insouciance qui la berçait jour et nuit.
Puis, il se leva. Tirée de sa rêverie, Elyssia se leva à sa suite et, sourire aux lèvres, elle s’inclina à son tour, gentiment et avec respect.
- Merci pour votre temps et votre hospitalité. Je vous suis reconnaissante et je vais gracieusement accepter cette invitation. Je vous souhaite une bonne journée et de bonnes nouvelles dans vos affaires, Keith.
Elle le salua avec le sourire, et il quitta la pièce. Néanmoins, son reflet restait avec la jeune femme. Et elle ne pouvait qu’être en accord avec Keith sur le sujet des surfaces réfléchissantes. Elle avait aussi remarqué à quel point il y en avait dans ces derniers jours… Ah là. Passant sa main nerveusement dans ses mèches d’un blanc rosé, elle s’approcha de la fenêtre pour observer les jardins magnifiquement entretenus. Que faire maintenant ? Elle ne se sentait toujours pas calme. La situation lui échappait complètement.~
Elyssia avait tranquillement profité d’une visite guidée du manoir. Elle avait pris une collation dans les jardins avec plaisir et elle avait essayé de se trouver quelques occupations, mais son esprit ne voulait pas taire ses questionnements. Finalement, elle avait décidé de s’enfermer, avec l’autorisation, dans la bibliothèque. Ce qui était bien surprenant pour qui connaissait la jeune femme. Mais elle ne pouvait tout simplement pas attendre. Ces recherches furent malheureusement en vain et elle se retrouva à s’assoupir contre les pages d’épais bouquins qui s’avéraient trop souvent ennuyeux. Tout cela ne menait à rien. Aussi bien finir la journée dans sa chambre, mais après avoir mis le nez dans la cuisine, car son ventre commençait à crier famine.
La journée passa vite, mais lentement tout à la fois. Sans aucune réponse. Il faudrait attendre au lendemain…
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, le soleil l’aveugla par la fenêtre. Un paysage qu’elle ne reconnut pas tout de suite s’offrait à elle. Puis, la journée d’avant lui revint en tête. Avec un profond soupir, elle quitta le confort des couvertures avec lourdeur. Elle choisit un nouvel ensemble à enfiler et coiffa ses longues mèches. Quelques gestes habiles pour tresser ses cheveux et un coup d’œil au miroir pour s’assurer que ses mèches rebelles tombaient bien autour de son visage. Parfait. Elle posa la main sur la poignée pour quitter la chambre avant de s’immobiliser complètement.
Air ébahi, elle se tourna d’un bond pour courir vers la glace. Ces cheveux de la pureté des colombes, ces yeux de la pâleur d’un ciel nuageux, ces traits d’une douceur insouciante. C’était… elle. Son propre reflet. Elle n’arrivait pas tout à fait à y croire. Elle fit le tour de la pièce, s’observant dans toute surface réfléchissante. C’était bien elle. Son visage, son corps, son reflet. Une fois la constatation faite, elle fut incapable d’attendre une minute de plus avant de courir hors de la chambre. Après quelques détours de couloir, elle croisa le maître des lieux. Avec un immense sourire, elle le salua poliment, mais son plaisir était évident sur son visage.
- Keith ! Vous aviez raison. La patience est parfois l’attitude à adopter et le temps, le seul remède. Je vous remercie de votre hospitalité et je ne vous dérange pas plus longtemps.
La joie débordait du moindre pore de sa peau. Elle était heureuse, rassurée et enfin, les choses reprenaient le cours normal. Il ne lui restait qu’à rentrer au Grand Port. À son étonnement, Keith offrit de la faire accompagner. Amusée, Elys refusa gentiment la proposition. Inconscience et confiance. Elle ne pensait pas avoir besoin de plus que ceux qui l’avaient accompagnée jusqu’ici. Valise en main, elle quitta donc le manoir avec le but de retrouver sa vie paisible sur les côtes. Cette histoire terminée, elle se sentait… bien. Enfin !