Il y a quelque temps, c'était la famille Veriano... Mes espoirs et envies étaient maintenant donc hauts. Je rêvais de me voir en tête-à-tête avec un noble tout aussi fortuné, pour qui mes prix pourraient être facilement et nettement revues à la hausse.
Prudence était tout de même de mise, je me préparais plusieurs jours avant le bal, enquêtant sur la dite soirée, l'hôte, etc... Je notais que rien d'étrange ne se décernait... Bien. Après la reconnaissance, les achats. Je me vêtais d'une robe noire très habillée, d'un maquillage tout aussi sombre ainsi qu'un masque représentant un corbeau.
Le soir venu et ma tenue préparée, je partais en direction du lieu hôte. Je prenais soin de poster un corbeau à l'entrée, et un plus loin au cas où la soirée venait à se gâter. L'invitation tenait un faux nom et il ne me fut pas difficile d'entrer. Pour la soirée, je serais Dame Ashton.
Je fis un petit tour de la salle, cherchant le détenteur du fameux masque sans vraiment trouver. Finalement, c'est un verre à la main que je me tenais seule dans un coin à attendre. Ma tenue était suffisamment voyante pour que l'on puisse faire un lien...
Cette dernière, néanmoins, ne faisait pas qu'appâter le client. J'eus le droit à plusieurs prétendants aventureux qui osèrent s'approcher pour me faire la cour... Argh... À ce train, je sens que la soirée va être longue.
Un espion. Cela faisait un moment que Nyx essayait en vain de trouver une personne à la fois qualifiée et discrète pour ce poste. Il y avait certes des espions à la solde du royaume qu’elle aurait pu envisager mais ça ne correspondait pas à ses attentes. Non, là elle souhaitait que personne ne soit au courant, pas même son amante et supérieure première ministre. Seul son secrétaire était dans la boucle à sa plus grande discrétion et elle avait toute confiance en lui. Après tout, on dit que pour tromper ses ennemis il faut d’abord tromper ses amis, et c’était précisément ce dont elle avait besoin.
Ce n’est que récemment qu’elle put avoir par Timothée, son secrétaire, des informations qui pourraient bien la mener où elle voulait. De plus, il y avait ce bal qui arrivait rapidement, c’était là l’opportunité parfaite. L’invitation fut rapidement lancée, à la discrétion du plus grand nombre, à ce parfait inconnu. Elle n’avait absolument aucune information sur son sexe, son âge ou quoi que ce soit.
L’événement arriva si vite que la ministre n’eut que peu de temps pour se préparer avec son travail à côté. Cela dit, ça faisait un moment qu’elle savait à peu près ce qu’elle voulait, donc elle ne s’en inquiétait pas tellement. Elle sortit sa plus belle robe rouge ainsi que son masque de renard, toujours réservés pour ce genre d’occasions importantes. Petite ombre au tableau, elle arriva légèrement en retard, ayant besoin de finir un dossier avant de partir.
Sur place, n’ayant que peu d’idées de la personne vers qui elle devait se tourner, elle se contenta de faire un tour non exhaustif des invités, accordant plus d’importance à ceux qui étaient seuls. Pour ce soir, elle se ferait appeler dame Shelly. Ce genre d’endroit était un lieu de choix pour les affaires plus ou moins légales, dont la vocation était la discrétion. A vrai dire, elle n’espérait pas de ce lieux qu’elle reste dans l’anonymat total. En effet, même si sa chevelure rose était coiffée différemment qu’à son habitude, elle restait néanmoins plutôt reconnaissable, sans compter le nombre notable de personnes qui pourraient obtenir son identité par le biais d’un pouvoir quelconque. Non, la véritable raison de ce genre d’événements c’était la banalité de ces choses justement. Tout le monde le savait, et tous avaient la décence de faire la sourde oreille. Chacun s’occupait de sa personne et personne n’avait l’air choqué ou intrigué de quoi que ce soit. Et c’est là tout ce qu’il lui fallait. Pas de mouvement de foule, juste de potentielles rumeurs ici et là qui ne seraient pas bien importantes.
Après quelques minutes d’échanges avec diverses personnes, elle arriva devant une jeune femme tout de noir vêtue. Un profil qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Cela dit, on ne pouvait pas réellement dire que Nyx était une habituée de ces manifestations, mais à coup de participations ponctuelles, elle commençait à reconnaître un nombre notable de masques et de profils.
"Bonsoir doux corbeau. Je suis dame Shelly, enchantée de faire la connaissance d’un si noble messager."
La demoiselle se permit même une petite courbette devant cette invitée, parlant sur un ton légèrement charmeur. Après tout, c’était là l’intérêt numéro un des bals masqués que de pouvoir faire des rencontres sans conséquences. Elle était dans son rôle et elle jouait le jeu jusqu’au bout.
La femme se joignit à moi et ses paroles me confirmèrent son identité. J'avais en face de moi la cliente. Enfin. Les négociations pourraient commencer. Je jetais un œil autour de nous, nous étions suffisamment excentrées pour ne pas être dérangées soudainement.
"Bonsoir, vous êtes ravissante ! Dame Ashton, honorée d'enfin vous rencontrer."
Je terminais en renvoyant la courbette, pour reprendre directement ensuite.
"Ce n'est pas chaque jour que l'on peut converser avec une fine entrepreneuse comme vous. D'ailleurs, j'ai cru entendre que vous souhaiter développer votre fond de commerce. Permettez-moi donc de vous conseiller de devenir mécène. Financer d'habiles artistes est d'un positif ! J'en suis moi-même une, et même si mon art n'est pas reconnu, je suis persuadée qu'une femme comme vous saura l'apprécier."
Ma voix était mielleuse, et je prenais soin de choisir mes mots. Discuter travail dans un endroit comme celui-ci impliquait d'être subtile. Il serait après tout regrettable que les oreilles d'une personne mal intentionnée traînent par ici et perçoivent des informations importantes, et ce même si ma cliente se disait être quelqu'un d'autre. "Dame Shelly"... J'avais beau avoir enquêté sur la soirée, l'hôte et les invités, je n'avais pas entendu une seule fois parler de cette famille.
Je portais mon verre jusqu'à ma bouche, arborant toujours mon léger sourire aux lèvres. C'était d'ailleurs la seule partie de mon visage à ne pas être recouvert par mon masque sombre. Le côté mystérieux me mettait en valeur, et j'appréciais porter ce voile protecteur.
"Enfin" ? Voici donc la personne qu’elle devait rencontrer. Une bien ravissante jeune femme avait l’air de se cacher sous ce masque, mais elle espérait surtout avoir affaire à une personne compétente. Si c’était le cas, elle devrait sûrement passer outre quelques tentatives sournoises de prendre l'avantage dans la négociation. D’ailleurs, elle ne tourna pas longtemps autour du pot, rentrant directement dans le vif du sujet. Ou du moins, dans un sujet détourné, elle avait visiblement envie de prendre plus de précautions que ce dont Nyx avait besoin. Cela dit, cette dernière n’avait aucune objection à suivre ce mode de fonctionnement. Après tout, brosser la dame dans le sens du poil ne ferait que faciliter l’accès à ses services.
"Madame semble savoir ce qu’elle veut. Hélas, ce serait hypocrite de ma part de financer des travaux que je n’ai jamais vu. Peut-être auriez vous un moment de libre pour me les présenter ? Vous savez, je connais un nombre d’artistes non négligeables, quelle serait la raison pour laquelle je devrais vous choisir plutôt qu’un autre ?"
Récupérant un verre au passage, Nyx portait un regard attentif à cette dame Ashton. Elle essayait de remarquer un détail, un geste, quelque chose qui pourrait lui donner un indice sur sa fiabilité. Sa véritable identité ne l’intéressait que peu, au contraire, elle préférait même presque ne pas la connaître. Ce qu’elle allait lui demandait allait être assez délicat comme ça, connaître son vrai visage pourrait lui desservir plus qu’autre chose si elle venait à la croiser hors de ce bal.
"A ce propos dame Ashton, puisque le sujet est abordé. Avez vous actuellement d’autres mécènes ? Vous savez, avant de confier mon argent à une artiste, aussi brillante soit-elle, je me dois de m’assurer de son capital. J’espère que vous en comprenez l’importance"
La métaphore faisait son bout de chemin et semblait toujours pertinente. Cependant, tôt ou tard, il faudra passer au concret. Il restait principalement à voir où cela se passerait.
"Vous questionnez mes capacités ? Je peux comprendre votre peur de tomber sur une arnaque Dame Shelly, mais à mon avis, la recherche a été faite en amont de la soirée. Je n'ai pas été invitée ce soir pour rien et je ne suis là que pour discuter travail. Du moins, si cela vous intéresse vraiment."
Mon ton était plus froid, sec, mais il le fallait bien pour redresser la conversation. Que "Dame Shelly" se mette en tête que je ne suis pas là pour rien, et que si elle a fait appel aux ombres elle en avait des raisons. J'adoucissais ma voix pour continuer.
"Tout de même, pour vous donner un avant-goût de ce que je sais faire..."
Je pris mon carnet et notai l'hôte de la soirée, dans quelles circonstances la soirée a-t-elle été organisée, la liste des invitées pour qui bon nombre d'entre eux se voient reliés à une courte description de masque. Rien de trop impressionnant, mais cela montre que je suis informée, c'est déjà ça. Je déchirai la feuille et la lui tendis.
"Bien évidemment, cela est un moindre effort. Sachez simplement que vous n'êtes pas ma première cliente, et que dans cet art, je ne pense pas avoir besoin de faire mes preuves. Faites vos recherches si vous doutez de ma parole, en utilisant mon pseudonyme ce ne sera pas bien compliqué."
Je laissais un petit temps avant de reprendre sur sa deuxième interrogation.
"En toute honnêteté, ces derniers temps, les affaires tournent bien. J'ai effectivement plusieurs commanditaires et ne compte pas me focaliser sur un, à moins que l'offre en vaille vraiment le coup. Si la question est "êtes vous affiliée à une organisation ou à une famille noble", la réponse est non. Je suis une artiste neutre. Mais lors de nos affaires, nous pourrions très bien discuter d'un monopole sur certaines œuvres."
Oh, la convive semblait froissée par la question de Nyx. Elle n’avait vraiment pas l’air d’apprécier que l’on remette en doute ses capacités, ce qui était en soi tout à fait compréhensible.
"Nul besoin de s’insurger Dame Ashton, vous devriez comprendre aussi bien que moi que lorsqu’il s’agit d’argent, aucune précaution n’est de trop."
Elle se voulait rassurante, pour ne pas l’agacer davantage pendant que celle-ci lui tendait une note qu’elle venait d’écrire. Celle-ci contenait un certain nombre d’informations sur la soirée, mais le plus important à noter était que la réelle identité de la ministre n’y figurait pas. Grand bien lui fasse, cela ne ferait qu’un potentiel argument de plus pour conclure son affaire, si son interlocutrice se montrait réticente.
"Je me doute que je ne peux avoir ici qu’une ébauche, ne vous en faites pas."
Mais maintenant que les bases étaient posés et les quelques détails réglés, il était temps de parler du concret. Bien entendu, il n’était pas question de le faire en plein milieu de cette réception pleine de monde, mais les méthode les plus anciennes étaient toujours aussi efficaces, alors on n’allait pas se priver pour les utiliser.
"Le monopole m’intéresse nullement. L’activité de mécénat se doit d’être désintéressée, sinon quelle horrible femme je ferais. Et puis un artiste a besoin de liberté, vous serez certainement d’accord avec moi sur ce point. Je ne veux aucunement vous brider dans votre expression, ça ne pourrait qu’impacter négativement le résultat."
Elle but alors une gorgée avant de continuer.
"La chaleur ici devient étouffante Dame Ashton. Auriez-vous une quelconque objection à continuer notre discussion sous une légère brise quelques instants ? Je vous en serez reconnaissante."
Dehors, il était facile de s’éloigner. Même si l’on augmentait le risque de croiser des regards indiscrets, on diminuait surtout celui des oreilles, et c’était là tout ce qui l’intéressait. Et puis sa demande n’étant pas des plus conventionnelles, elle se disait qu’un bol d’air frais ferait le plus grand bien à cette espionne, pour l’aider à garder son calme.