Vous savez ce que c'est que l'instinct ? Cette petite lueur qui survient instantanément dans notre esprit sans trop qu'on la comprenne ? Cette petite voix inconnue mais pleine de confiance qui nous murmure une vérité qu'on veut suivre sans comprendre pourquoi ? Erwin lui avait pourtant expliqué. C'était d'ailleurs une des premières leçons qui était sorti de la bouche du capitaine de la garde. Se fier à son instinct. Il y a encore quelques mois, voir quelques jours, Grimvor ne savait pas ce que cela signifiait. C'est quoi, l'instinct ? Comment on sait quand on doit le suivre ? Ce n'était pas quelque chose qui était écrit noir sur blanc, oh non. C'était bien plus abstrait, une sorte de force insoupçonnée que certains appellent 6è sens et qui apparaît sans trop qu'on comprenne pourquoi.
En tout cas, ce soir là, Grimvor avait compris ce que c'était que l'instinct. Sous les ordres de son capitaine, le garde Rothbaern suivait à la lettre la mission qui avait été assigné à la petite escouade. Pour la première fois, il était sous les ordres direct d'Erwin. Un mec impressionnant, dont l'âge avait bonifié les traits endurcis d'un homme qui avait l'air d'avoir déjà tout vécu. Ce n'était pas un grand parleur, préférant les gestes aux paroles, le silence au brouhaha inutile. C'était ce genre d'homme qu'on aimait écouter, car dès qu'il l'ouvrait, on pouvait être sûr qu'une parole précieuse allait en sortir. Ce mec, c'était le respect incarné, et personne voulait le faire chier. Car il était aussi très craint, et pas reconnu pour sa bonne humeur, mais plutôt pour son tempérament froid et grincheux. Alors, quand la mission est sensée être terminée, et que les gardes ne pensent qu'à la bière qu'ils ingurgiteront au bar du coin, c'était très mal vu qu'un novice comme Grimvor interpelle le capitaine.
- Mon capitaine... On a loupé quelque chose. Ne me demandez pas comment je le sais, mais j'ai l'impression qu'on peut pas partir déjà maintenant. On a pas rempli notre mission.
Erwin le regardait en silence, comme toujours, alors que les 3 autres gardes qui formaient leur escouade grognaient déjà de ce revirement inattendu. Le capitaine ne semblait rien laisser paraître, préférant observer le futur roi droit dans les yeux, comme s'il espérait détecter une certaine idée qui se cachait derrière sa tête. En soit, la mission avait été terminé. La petite équipe devait descendre dans les bas-fonds de la capitale pour y démembrer un service de prostitution illégale. Rien d'incroyable non plus, en somme, et leur mission avait d'ailleurs été une franche réussite, en témoignait le prisonnier qu'ils tiraient derrière eux, qui étaient la tête de cette petite organisation clandestine d'après les rapports. Non, ce qui intriguait Grimvor, c'était cette petite maison, au coin de la rue. Quelque chose en émanait. Ils y étaient pourtant rentrés, et ils l'avaient fouillé, il fallait dire que le spectacle qu'ils avaient alors trouvé n'était pas des plus joyeux... Un cadavre d'une femme, malheureusement, gisait dans la cuisine, un couteau dans le thorax. Les ravages d'une partie pauvre de la population, malheureusement. Mais Grimvor se refusait de s'en contenter. Pourtant, et comme c'était coutume lors de meurtres, ils avaient fouillé chaque pièce de la maison. Et même s'ils n'avaient trouvé aucune trace vivante, quelque chose le poussait à y retourner. L'instinct.
Car depuis qu'ils avaient quitté cette maison, Grim avait cette étrange sensation d'un travail bâclé. Comme un manque qu'on n'arrivait pas à combler, le garde était persuadé que quelque chose d'autre se cachait dans cette maison. Il le pensait avec une telle puissance qu'il avait osé changer les plans de son propre capitaine. Et quand on connaissait le bonhomme, c'était quelque chose.
- On y retourne, alors. Vous trois, escortez le prisonnier jusqu'au palais.
Une décision toute simple, qui avait su hausser les sourcils d'un Grimvor qui ne s'y attendait pas du tout. Non, il s'attendait à se faire ignorer, ni plus ni moins, par son capitaine, et l'idée se serait envolé dans le ciel de la capitale, entre deux railleries de ses compagnons gardes. Ces derniers ne se faisaient d'ailleurs pas prier pour se dépêcher de ramener le prisonnier en cellule et profiter ainsi de leur soirée, pendant que Grimvor et Erwin prirent la direction opposée, rentrant à nouveau dans les quartiers populaires de la capitale.
Le chemin du retour s'était fait en silence. Difficile de dire ce qu'Erwin pensait à cet instant précis. Est-ce qu'il s’apprêtait à engueuler d'une violence sans pareil le pauvre petit novice qui avait osé faire perdre du temps au capitaine ? Ou bien suivait-il simplement l'instinct d'un bleu dont il avait confiance ? En poussant la porte de ladite maison, le silence régnait dans la pièce qui menait à la cuisine. Le cadavre de la femme était malheureusement encore là, un service spécial se rendra bientôt sur place pour nettoyer le tout. Non, ce n'était pas ce dont Grimvor était intéressé ce soir là.
- Eh bien, Grimvor ?
Le garde parvenait à observer un maigre sourire qui s'était dressé au fond de la barbe de son supérieur. Il semblait être amusé par la situation, comme s'il s'attendait à trouver une chose que même Grimvor ignorait. Ce dernier se dirigeait dans le couloir, puis dans une pièce à vivre. Il s'accroupissait à terre pour y ramasser une petite peluche représentant un chapardeur, dont l'oreille était abîmé et menaçait de tomber à même le sol. Il en était désormais certain : Quelqu'un d'autre habitait ici, et cette personne venait très probablement de perdre sa mère. Un regard vers Erwin, qui lui aussi, semblait avoir compris, tous deux hochèrent la tête et continuèrent leur exploration de la maison. La prochaine pièce était la chambre familiale, dont les draps défaits et les meubles sans dessus dessous donnaient une première hypothèse de ce qui s'était passé ici. Erwin hochait la tête négativement, et les deux hommes avançaient finalement vers la dernière pièce dont la porte était encore entrebâillée.
Grimvor l'ouvrait dans un grincement qui rappelait les vieux manoirs maudits. Le parquet, vieux et qui commençait à pourrir, donnait une odeur nauséabonde dans la pièce vide dont seul le lit occupait un espace, en plus d'un ancien placard en bois. Le sommier était sale et défait, mais le regard des deux hommes avaient rapidement ciblé le dernier meuble présent. Ce meuble, cette même pièce, ils l'avaient déjà exploré, mais n'avait trouvé qu'un endroit si sombre que personne ne pouvait y vivre, qu'aucune lueur ne pouvait s'y invité. Une pièce qu'on préférait d'habitude ignorer tant la probabilité d'y trouver quelque chose était nulle. Mais ce soir là, Grimvor en était persuadé : Quelque chose d'autre se trouvait là dedans. Tout deux hochèrent la tête, et de pas qui se voulaient silencieux, ils s'approchèrent de la fameuse armoire, trahi par le bruit grinçant du parquet vieillis...
L’enfant était restée plus d’une fois des heures durant enfermée. Cela ne lui posait plus vraiment problème, si ce n’était cette étroitesse dans laquelle elle se sentait engoncée. Mais aujourd’hui c’était différent. Maman l’avait poussé de force dans le placard lorsqu’une voix avait retentit sur le palier de la maison close où elles vivaient. Elle n’avait pas pipé mot et ses yeux écarquillés par elle ne savait quelle émotion avait suffit à ce qu’elle ne pose aucune question. De toute façon, l’enfant ne posait pas de question. Jamais. En vérité elle ne parlait pas ou presque. Son vocabulaire était très limité et surtout maman lui disait toujours « sois belle et tais toi » alors bien souvent elle se contentait de répondre par oui, non ou maman. Elle s’était laissée enfermer sans rechigner. Puis il y avait eut de grand bruit qui avait même fait trembler les parois de sa cachette mais elle n’était pas sortie. Puis il y avait eut un cris, déchirant, macabre. C’était celui de maman, elle en était sûr. Mais elle ne devait pas bouger, alors elle ne bougea pas et après quelques heures, après des bruits de pas incessant qui passait à quelques centimètres d’elle et même après que l’on ait ouvert le placard une fois sans chercher à l’en sortir, elle n’esquissa pas le moindre mouvement et le calme retomba. Les minutes passèrent, peut-être même les heures, les jours ou les semaines. Elle n’en savait rien. Elle ne savait même pas ce que c’était qu’une heure. Personne ne lui en avait jamais expliqué le concept.
La faim vint en premier. Son ventre émit un gargouillis des plus audibles et elle passa une main dessus tout en priant pour avoir un repas aujourd’hui. Maman n’était pas très riche, elle le savait et pour cette raison elle savait aussi qu’il était rare d’avoir un repas consistant ou même un repas tout court. Parfois maman riait et disait qu’elle était un véritable cas d’école, qu’il était possible de compter ses os et que les médecins seraient ravis d’observer une étrangeté pareille. Alors l’enfant riait avec elle. Elle ne savait ni ce que c’était qu’un cas d’école et encore moins une étrangeté. Et lorsqu’elle posait la question, maman répondait toujours « Tu apprendras quand tu seras grande » alors elle ne posa plus la question. Un long moment après se fut la soif qui commença à la tirailler. La bouche pâteuse elle fit mine de mâchonner dans l’espoir de se faire saliver. Il faisait terriblement chaud dans son abris et elle dû se faire violence pour ne pas en sortir ne serais-ce que pour attraper une grande goulée d’air frais. Alors elle essaya de s’étirer un peu sans faire de bruit ; sans grand succès non plus. Trop grande, voilà ce qu’elle était et ce qui l’empêchait d’être à l’aise dans cet endroit qu’elle affectionnait tant. Après quelques tentatives infructueuses, elle reprit sa place initiale et s’endormit.
Elle fut réveillée en sursaut par une crampe qui lui tordit deux orteils. Dans un mouvement relevant du pur réflexe elle envoya un coup de genoux dans l’un des murs suivit par un craquement bruyant qui lui coupa la respiration. Si le choc de son genoux avait bien produit un bruit, le craquement venait lui de l’extérieur de la boite. Dans un premier temps elle pensa à maman ; un sourire se dessina sur ses petites lèvres charnues. Mais bientôt elle dû se rendre à l’évidence. Maman ne faisait quasiment jamais craquer le sol, elle était trop légère pour ça et surtout, elle ne le faisait pas craquer par deux fois quasiment au même moment. Il n’y avait donc pas une mais deux personnes. Maman ne revenait jamais accompagnée. C’était les autres qui la rejoignait une fois qu’elle était installée. Alors, l’enfant plaqua une main sur sa bouche dans l’espoir d’étouffer le souffle qui franchissait ses lèvres et qui ne cessait de s’accélérer.
Comme dans un livre d’épouvante, les pas avançaient et l’enfant sentait ce sentiment qu’elle connaissait lui déchirer les entrailles. Les choses approchaient et se retrouveraient bientôt juste en face de sa cachette. La première fois qu’ils avaient ouvert, ils ne s’étaient pas saisie d’elle mais cette fois, ils étaient revenu la chercher elle en était sûre. Tétanisée, elle posa ses mains sur ses yeux. Un réflexe bien stupide mais qui lui donnait l’impression d’être caché aux yeux de tous. Presque à s’en enfoncer les yeux dans les orbites, elle pressa encore un peu plus ses paumes sur son visage. Drapée de cette solitude dont elle avait fait son amie, elle pria pour qu’ils ne s’en saisisse pas lorsque la porte s’ouvrit. Ce que l’enfant ne savait pas c’est qu’elle était effectivement cachée à leur yeux, lorsqu’ils ouvriraient, ils ne verraient qu’un sombre fond de placard. Il ne verrait pas la petite fille cachectique dont les cheveux terriblement long et naturellement blanc était depuis bien des années devenue grisâtre à cause de la crasse, ils ne remarqueraient sans doute pas non plus son teint de porcelaine, son regard d’opaline et sa robe déchirée, trouée et bien trop grande pour une enfant de son âge. Non tant qu’elle ne les voyait pas, ils ne la voyaient pas.
Mordant ses lèvres pour retenir les cris de panique qui s’agglutinaient dans sa gorge, elle ne put s’empêcher de trembler, tout en espérant que comme la première fois, ils referment la porte.
Un réseau de prostitution. Un individu capturé et probablement l'auteur de nombreux délits. Un meurtre non élucidé dans la maison dont le corps gisait encore dans une marre de sang. En s'approchant du placard, Grimvor ne savait pas vraiment ce qu'il allait découvrir. Un simple enfant complètement apeuré ? Un énième corps sans vie qui n'avait rien demandé ? Ou bien, autre chose ? La vie de garde était particulièrement calme, d'habitude. Mais une descente dans les quartiers les plus populaires de la capitale était une chose dont tous les gardes redoutaient. C'était un lieu où la criminalité régnait encore, et la pauvreté, comme dans chaque société, était particulièrement élevée.
Le cœur de Grimvor battait la chamade pour ce qui était une des ses premières réelles missions de garde. Il redoutait ce qu'il allait découvrir en ouvrant ses portes. Mais d'un autre côté, il savait qu'il était de son devoir d'aider quiconque se cachait là dedans. Car oui, Grimvor en était désormais persuadé. L'instinct, dont on parlait avant, était de plus en plus fort. Si fort qu'il aurait pu parier qu'il trouverait quelque chose. Nul ne savait depuis combien de temps l'enfant se cachait ici, et les gardes ne pouvaient attendre plus longtemps avant de le découvrir. Alors, les épaisses mains de Grimvor touchait la poignée du placard et l'ouvrait délicatement dans un grincement distinctif...
Rien. Le regard du garde se décomposait. Comment se pouvait-il qu'aucune vie ne se cachait dans cette armoire ? Tout cela n'avait pas de sens, la mère, la chambre, la peluche qu'il avait encore en main... Pourquoi ce placard était-il vide ? En regardant plus précisément, et au fur et à mesure où ses yeux devaient déjà s'habituer à l'obscurité des lieux, il fut étonné d'observer une absence de lumière bien plus prononcée qu'à l'accoutumé. Des véritables ténèbres qui ne laissaient passer aucune once de lumière recouvrait la quasi totalité du placard. Grimvor eut un mouvement réflexe vers l'arrière, et son regard rejoignait celui de son capitaine, qui parlait d'une voix monotone et calme.
- A toi de jouer, fiston. Je vais sécuriser les lieux et nettoyer la maison.
Et c'est ainsi qu'Erwin quittait la pièce, laissant seul Grimvor face au placard d'apparence vide. Se doutait-il qu'un enfant s'était dissimulé dans ce meuble ? Etait-ce une sorte d'épreuve du feu que Grimvor devait ainsi passer ? Probablement. Mais à l'instant T, le garde ne pensait qu'à une chose : Déceler le mystère de ce placard.
Car il ne s'agissait pas seulement d'enlever un potentiel enfant de force. Depuis combien de temps était-il ici ? Qu'avait-il vu et entendu ? Voir... Qu'avait-il subit pendant tout son début de vie ? Quoi qu'il ait vu et entendu, il ne méritait absolument pas de mourir ainsi en étant abandonné par la vie elle même. La première étape était de s'assurer de l'hypothèse de Grimvor. D'un mouvement lent et ample, il levait sa main libre. Presque instantanément, son index se métamorphosait en une petite griffe de Phénix dont la lueur naturel du plumage enflammé devait éclairer les environs. Ainsi, il ne fut pas surpris de voir que l'obscurité était totalement présente, et qu'elle n'avait rien de naturel. Quoi qu'il se cachait ici, il devait le découvrir.
Alors approchait-il à l'aide de son autre main le petit chapardeur en peluche, dont l'oreille abîmée était caractéristique. Il le dépoussiérait quelque peu avant de le plonger délicatement vers l'obscurité. Si la vue était un sens qui avait disparu, le toucher n'en était surement pas un. Dans ce placard étroit, plonger la main serait quelque chose qui traumatiserait l'enfant à vie. La volonté de sortir de sa petite maison devait venir de l'enfant lui même.
- Tu n'as rien à craindre, mon petit. Je veux t'aider, ni plus, ni moins.
En ayant déposé la peluche qu'il n'apercevait dorénavant plus, il reculait légèrement, laissant au petit être qui vivait à l'intérieur des ténèbres la possibilité de lui donner un signe de vie. Rien ne brusquait, et dans cette optique, le futur roi s'asseyait en tailleur devant l'armoire d'apparence vide. Ses oreilles tendues vers l'armoire, il attendait la preuve qu'une once de lumière dormait bien dans ces ténèbres profond.
Elle retint un soupir de soulagement quand enfin les premiers pas disparurent dans l’escalier au bout du couloir. Cela voulait dire qu’il n’en restait qu’un seul et que peut-être il ne l’avait pas vu. La seule chose qu’elle savait c’est qu’il se tenait pile en face de sa cachette. Peut-être aurait-il était judicieux de jeter un petit regard à l’extérieur afin de s’en assurer mais elle ne voulait pas, elle avait bien trop peur. « S’il ne me voit pas, je ne le vois pas » se répétait-elle en boucle sans avoir conscience que c’était exactement ce qu’il se passait. Ensuite il y eut ce petit bruit caractéristique de crépitement, comme si quelqu’un venait de faire s’embraser une allumette. L’enfant ne pouvait certes pas la voir mais le silence qui régnait dans la maison semblait amplifier le bruit de chaque mouvement. Immobile elle priait quelconque dieu de bien vouloir lui venir en aide. Et comme si ce dieu muet avait décidé de répondre à ses attentes, elle sentit une sensation de douceur éphémère contre l’un de ces bras. Si tant est qu’une peluche émaillée depuis des années puisse être douce.
L’enfant l’aurait reconnu entre mille. Elle n’avait pas besoin de la voir, ni de la toucher pleinement pour savoir de quoi il s’agissait. Sa peluche, l’unique cadeau que maman ne lui ait jamais fais. Elle ne savait pas vraiment depuis combien de temps elle l’avait, elle l’avait c’est tout. A défaut d’avoir des amis, elle avait cette peluche qu’elle traînait toujours derrière elle, qu’elle câlinait lorsqu’elle se sentait trop seule ou serrait avec force lorsqu’elle était en colère. Parfois même elle lui parlait de sa voix enrouée qui n’a pas l’habitude de parler. Avec les années, la peluche s’était grandement détériorée mais cela n’enlevait rien de son charme, ni de l’amour inconditionnel que l’enfant lui portait. Alors même si elle savait qu’elle ne devait pas, même si la voix rauque qui venait de retentir aurait du l’en dissuader malgré ces paroles rassurante, elle tendit la main et l’arracha des griffes de la créature à l’extérieur, la pressant ensuite contre sa poitrine comme pour s’assurer qu’elle allait bien. Bien entendu, elle n’avait pas ouvert une fois les yeux mais en la touchant elle ne put s’en empêcher. La peluche avait toujours été dans un état lamentable et prête à tomber en poussière mais là c’était une autre affaire. Sans réfléchir elle ouvrit enfin les yeux et ne pu que constater avec horreur que les coutures au niveau d’un bras étaient entrain de se défaire.
Ses yeux furent attiré par une lueur, une toute petite lueur qui dansait devant l’entrée et éclairait maintenant ses traits fins et crasseux. Son regard d’opale se posa dessus avant de transformer son visage en celui d’un enfant terrifié. Pourtant assit en tailleur elle avait l’impression qu’il était aussi haut que le plafond, une partie de lui prenait feu et elle était presque sûre que ses cheveux de la même couleur que son doigt était aussi constitué de flamme. Bouche bée pendant un instant, elle reprit vite ses esprit, se roula de nouveau en boule et ferma les yeux, pressant ses paumes tout contre afin d’être sûre de ne pas les rouvrir.
Cette fois elle avait le souffle court et était parfaitement incapable de le maîtriser. Elle l’avait vu, il l’avait vu, elle en était sûre. Sa seule stratégie avait échoué et en plus elle n’était pas tombée sur un humain comme elle, non il était autre chose. Que lui voulait-il ? Était-ce le dieu qu’elle avait prié ? Ou quelqu’un de l’extérieur qui lui voulait du mal ? Maman disait toujours que l’extérieur était mauvais, que les gens qui y vivaient été dangereux, qu’à l’intérieur, elle serait toujours en sécurité. Mais maman ne lui avait jamais dit quoi faire si l’extérieur s’invitait à l’intérieur. L’enfant n’avait pas voulu désobéir, alors elle se mit a implorer sa mère dans l’espoir que cette dernière s’interpose, lui fasse un signe ou quoi que ce soit qui la sortirais de ce pétrin. Elle aurait voulu l’appeler à plein poumons mais en plus du fait que ses cordes vocal était faible et fragile, elle était complètement sidérée par la peur. Alors elle se contenta de rester blottit au plus profond de sa cachette. Peut-être qu’il finirait par s’en aller. Ou pas.
La petite créature avait finalement mordu à l'hameçon du garde, et un petit bras semblait être visible alors qu'il agrippait la peluche, traînant cette dernière dans l'obscurité la plus total jusqu'à disparaître. Grimvor eut un petit mouvement de tête vers l'arrière. Ce geste brusque était attendu mais à la fois surprenant, tant le placard sombre ne semblait contenir aucune forme de vie à première vue. Un petit sourire satisfait se dessinait sur le visage de l'homme. Satisfait, car la seule chose à laquelle il pensait à l'instant T était le soulagement de ne pas avoir fait perdre plus de temps que cela à son capitaine. Que son instinct ne l'ait pas trompé, et qu'un petit être vivait bel et bien là dedans.
Cependant, ce petit être avait une conscience. Des sentiments. Des peurs, des angoisses, mais aussi des attentes et des volontés. Celle de vouloir sa peluche, par exemple. Mais aussi celle qui explique sa localisation assez original, c'est le moins qu'on pouvait dire. Grimvor ne savait rien de la vie de ce petit garçon, ou de cette petite fille. Il y avait fort à parier qu'elle n'était qu'une victime collatéral de la pauvreté que leur offrait ce coin reculé de la capitale. Toutes ces inégalités régnaient dans le royaume alors que les nobles se la coulaient douce dans leur humble demeure. Comment ne pouvaient-ils pas se rendre compte de ces différences ? Pourquoi restaient-ils immobiles et inactifs face à tous ça ? Ah, s'il était roi, au moins, il pourrait changer les choses. Forte heureusement, son moment n'était pas encore venu !
Et puis, elle apparu. Comme ça, tout d'un coup. L'obscurité qui remplissait le meuble avait entièrement disparu. De ces ténèbres naissait un tout petit bout de femme. Une petite fille, blanche comme la neige et frêle comme une brindille, se tenait là, regardant de ses grands yeux l'imposant garde qui lui faisait face. Elle devait avoir sept ou huit ans, tout au plus, même s'il était très difficile de déterminer son âge tant sa morphologie était d'une minceur sans pareil. Ses cheveux, d'un blanc probablement éclatant, étaient tâchés de poussière et de crasse, et ressemblaient très fortement à ceux de sa défunte mère qui gisait encore dans la cuisine. Depuis combien de temps cette petite fille vivait-elle là dedans ? Depuis quand remontait son dernier repas ou sa dernière gorgée d'eau ?
Le visage de Grimvor se transformait en un mélange d'incompréhension et d'étonnement. Avant qu'il ne puisse dire ou faire quoi que ce soit, la petite avait déjà pris peur et s'était renfermé dans son obscurité caractéristique. Il était désormais certain que ces ténèbres étaient tout sauf naturel, et provenait du pouvoir de la petite fille. Le garde ne pouvait penser que cette magie serait un outil des plus redoutables si elle parvenait à s'en servir correctement. C'était probablement son côté de guerrier qui ressortait. Mais la question n'était pas à l'ordre du jour. Ce qu'il lui était indispensable, maintenant, était de secourir cette petite, vouée à une mort certaine, ou pire, si elle restait ici.
Toujours sans parler, le garde mettait la main dans une petite poche accrochée à sa ceinture. De laquelle, il sortait une petite gourde à moitié vide, qu'il présentait à l'intérieur même du placard. En recherchant plus profondément, Grimvor sortait un bout de pain qu'il le lui restait. Ce n'était pas grand chose, et il y avait fort à parier que le pain ne soit pas de grande qualité en plus de ne pas être frais, mais nul ne savait depuis quand cette petite n'avait rien eu dans son estomac. Alors, le petit morceau de pain rejoignait la gourde, et Grimvor prit enfin la parole. Malgré sa voix grave et son teint autoritaire, il essayait tant bien que mal de l'adoucir pour paraître le plus doux possible. Allys lui disait souvent qu'il ressemblait à un gros doudou avec Athéas, alors espérons qu'il ait le même effet aujourd'hui.
- Coucou toi. Je m'appelle Grimvor, mais appelle moi Grim'. Je ne veux que ton bien. Je suis là pour t'aider. Mange et bois ce que tu veux, tu dois avoir faim.
Il y a encore quelques années, il n'aurait jamais su comment parler à une gamine de cet âge là. Heureusement, Aeron et surtout Athéas étaient passés par là, et le garde avait déjà un peu d'expérience dans le domaine. Malheureusement, il n'avait encore jamais secouru de petite fille enfermé dans un placard, mais ça, ce n'était surement qu'une question de temps !
Grim reculait de quelques pas pour laisser plus d'espace à la petite fille, pour ainsi qu'elle soit la plus à l'aise possible. Il savait qu'Erwin était dans le coin. Si par malheur, la situation durait jusqu'au lever de la lune, il faudra partir, de force s'il le faut. D'un autre côté, brusquer une petite créature déjà fragile n'aurait rien de bon, bien au contraire. Il prendrait le temps qu'il faudra pour ramener cette petite fille en sûreté, c'était là toute sa mission.
- Peux-tu me dire ton prénom ? Tu peux garder les yeux fermés si tu préfères, ça ne me dérange pas.
Grimvor attendait que la petite réagisse avant de faire quoi que ce soit d'autre. La submerger d'information n'était pas une chose à faire, et encore moins la brusquer. La meilleure des choses serait qu'elle comprenne d'elle même que Grimvor n'est là que pour son bien. Ainsi, elle s'ouvrira à la seule personne en qui elle a confiance. Les enfants ont ce besoin constant d'attention, d'autant plus lorsqu'on passait des heures voir des jours seuls dans un placard sombre...
Bientôt il y eut du son à l’intérieur même du placard et l’enfant sursauta brusquement. Il venait de poser quelque chose. Un piège ? Peut-être. Quoi d’autre sinon ? Il venait de l’extérieur, il fallait qu’elle s’en méfie. C’est ce que maman lui aurait dit de faire. Puis il eut un deuxième objet posé non loin du premier. En cet instant, elle aurait aimé pouvoir ouvrir les yeux pour voir au-delà mais ce n’était pas possible, si elle le faisait, il l’a verrait à nouveau et elle aussi. L’enfant ne voulait pas croiser son regard, un regard mordoré et perçant, elle ne voulait pas non plus revoir ses cheveux qui ressemblait aux feux de cheminée que maman allumait parfois pendant la saison froide. Finalement, toujours les yeux clos, ils roulèrent sous ses paupières vers ses bras et elle retint un nouveau sursaut. Si elle avait cru qu’il avait posé les deux objets à l’entrée seulement du placard, c’était une erreur. Il les avaient posé tout près d’elle, si près qu’elle n’avait même pas à tendre la main pour s’en saisir. Mais elle ne le fit pas.
La même voix rauque mais qui semblait se vouloir douce retentit à nouveau et la petite fille se pressa contre le bois comme si elle tentait de ne faire qu’un avec. Son timbre l’incitait à manger et à ce moment là elle pensa « je n’ai pas faim. » ; un grognement d’estomac lui répondit. En vérité elle mourrait de faim. La soif se faisait de plus en plus féroce mais elle tint bon. « Ca vient de l’extérieur et l’extérieur c’est mal » se répéta-t-elle en boucle. Pas démontée par son manque de réaction la voix poursuivit.
Qu’est ce que c’était donc que ça, un prénom ? Elle avait entendu ce mot là une fois, au détour d’une conversation. Une femme disait à maman « Bon sang Camélia ! Trouve donc un prénom a cette enfant ! » et maman disait « Elle n’en a pas besoin. » alors la petite fille avait décrétée que c’était une chose futile, dont elle n’avait effectivement pas besoin. Toute sa vie elle avait été désignée comme l’enfant, la fille de la catin, le microbe parfois. Mais seule sa mère l’appelait enfant d’hiver, lorsqu’elle était dans les bons jours et qu’elle lui accordait de l’attention, parfois même une simple caresse sur la joue. La petite repartait alors se terrer dans son placard, un sourire aux lèvres. Enfin, la voix lui autorisa à garder les yeux fermés. Comment savait-elle ? Qu’elle avait les yeux fermés ? Il l’a voyait ? Toujours était-il que l’eau et le pain aussi vieux soit-il étaient, seconde après seconde, entrain de démonter toute la volonté de l’enfant.
Ce fut après un long moment de silence et d’immobilité, qu’elle finit par se redresser vivement, saisissant le pain qu’elle avala en deux coup de dent. Loin d’être rassurée, elle ne s’arrêta pas en si bon chemin et vida la gourde jusqu’à la dernière goutte. Malheureusement ce n’était pas suffisant et son estomac le lui fit remarquer par un grondement encore plus assourdissant que le premier. Maintenant assise, le dos voûté vers l’avant à cause de sa taille, elle passa une main sur son ventre dans l’espoir de calmer ses ardeurs.
« Tu dois toujours rendre ce que l’on te donne. »
La phrase de sa mère lui revint en tête et c’est avec timidité qu’elle fit glisser la gourde sur le sol, en direction de l’endroit ou elle semblait possible que ce trouve le géant de feu. Pour ce qui était des miettes du pain, un peu égoïste, elle décida de les garder pour elle, les picorant avec ses doigts sur le bois.
Après tout, peut-être que lui, il ne venait pas de l’extérieur. Sinon, pourquoi aurait-il cherché à l’aider ? Elle retourna plusieurs fois la question dans sa tête, sans pour autant trouver la réponse. De nouveau, elle se mit à attendre.
Si Grimvor n'en était pas persuadé, et s'il n'avait pas vu lui même qu'un enfant vivant dans ce placard obscure, il aurait parié que des rats y vivaient, tant le bruit du pain qu'elle grignotait lui était familier. Une petite créature affamé qui avait sauté sur le premier petit bout de nourriture qu'il lui avait été présenté. La situation était d'une très grande tristesse, et pourtant, elle était bien réelle et probablement plus ordinaire qu'il ne le pensait. Cette petite fille avait vécu une enfance de misère, entre la pauvreté, ce qu'elle avait pu entendre ou voir. Le garde était obligé de faire un parallèle avec ses propres enfants. Athéas et Aeron avaient ce dont ils avaient besoin, et même plus. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'était la pauvreté, la solitude, et la tristesse.
Le bruit cessait dans un temps record. La petite fille devait avoir une faim de loup, et pourtant, Grimvor n'avait rien d'autre sur lui pour le moment. Il devrait la faire sortir d'ici coûte que coûte, se refusant de laisser cette pauvre âme errer ici sans défense. C'était cruel, en y repensant, peut-être même égoïste. Elle n'était pas la salle dans une telle situation. Grimvor était tombé sur elle, mais tant d'autres attendaient d'être libéré de leur vie sans avenir.
Puis c'était son ventre qui trahissait la petite pousse. Un grognement, bien plus imposant qu'elle, avait rugit de l'armoire ténébreuse. Grimvor ne put s'empêcher de sourire tristement.
- Excuse-moi, je n'ai rien d'autre sur moi. En revanche, je sais où on peut en trouver. Oh non, pas du pain. Des vrais repas chauds, de la viande, des patates jusqu'à ce que ton estomac n'en peuve plus. Ca te donne envie, non ?
Il ne s'attendait pas vraiment à une quelconque réponse. La petite n'avait pas l'air très bavarde, pour peu qu'elle soit muette. En tout cas, elle avait apprécié son petit repas, en témoignait la gourde qui traversait la zone d'ombre du placard. C'était mignon, si la situation n'était pas complètement dramatique et assez urgente, malheureusement.
Soupirant légèrement à cause de cette situation, ses neurones avaient été mises à rude épreuve. A la garde, on n'apprenait pas à parler à des enfants dans une telle situation. Non. On apprenait à se battre, à manier l'épée, à mettre un individu hors d'état de nuire. A faire respecter les lois, également. Mais ça... C'était impossible à apprendre. C'était ce genre de chose qu'on apprenait sur le terrain, et c'était d'ailleurs pour ça que le vieux l'avait laissé seul face à la gamine. Au fond de lui, il savait que cette gamine, c'était sa petite mission personnelle. Mais alors, comment pourrait-il la faire sortir d'ici ? Non, la vraie question était : Comment la petite fille sortirait d'elle même de son trou ?
- Je ne te veux pas de mal, petite. Au contraire. Je suis là pour t'aider. T'emmener dans un endroit où tu n'auras plus à te cacher. Un endroit où tu te feras des amis, et où tu pourras aller où tu voudras. Il faut que tu me fasses confiance. Est-ce que je peux te montrer que je ne te veux pas de mal ?
Sur ses mots, il s'approchait lentement de l'armoire. Dans le but de mettre un geste sur ses paroles, sa main venait tout doucement entrer dans l'armoire de la petite fille. Pas le choix, il devra rentrer dans sa petite bulle pour qu'elle comprenne qu'il ne lui veuille pas de mal. Une petite fille ainsi enfermée ne devrait pas voir beaucoup de monde, pour ne pas dire personne. Sa confiance devait être très réduite, pour ne pas dire inexistante.
Alors, délaissant la gourde qui gisait toujours sur le sol, sa main venait rentrer dans l'obscurité la plus total de l'armoire. Il la déposait au sol, prenant soin de ne pas faire de mouvement brusque. Dans cette position, il ne regardait plus l'armoire sombre, mais le mur d'en face.
- Tu as tout ton temps. Tu as peut-être pu sentir que ma main est toute proche de toi. Ne prend pas peur, et n'hésite pas à t'y accrocher quand tu te sens prête. Je suis de la garde d'Aryon. Je suis là pour te protéger et pour prendre soin de toi.
Ainsi, il patientait, attendant une réponse de la petite fille. Evidemment, elle n'avait pas tout son temps comme il la lui avait dit, mais il était mieux de ne pas la brusquer plus que ça.