La reine s'était parée de ses plus riches atours, elle souhaitait évoluer à cheval au coeur de la ville. Elle serait bien entendu accompagnée par ses gardes. Sa présence était requise pour inaugurer un bateau qui allait parcourir les flots et ainsi la sécurité du royaume. Voilà bien des années qu'elle surveillait sa construction. Le projet avait été soutenu d'autant que de nombreux larcins avaient été commis sur les côtes. Ces voleurs n'avaient qu'à bien se tenir. La reine ne supportait pas l'idée qu'on puisse en insécurité à ce point en son royaume. Au matin, elle avait évolué dans la ville pour signaler qu'elle se rendait au port pour fêter la mise à flots de ce qui les protégerait tous. Elle aimait ces moments où la population fêtait leur passage. Elle ne se sentait que plus encouragée à aller de l'avant. Lorsqu'elle monta dans son carrosse pour cette route bien plus longue, elle salua une nouvelle fois la foule le sourire aux lèvres. Ils avaient aimé cette belle parade ornée de façon cérémoniale. A présent, il faudrait se rendre sur les lieux. Elle ne regrettait qu'une chose... la présence de son mari à côté d'elle qui avait été retenu pour une affaire urgente. Sa seule présence changeait une longue attente en des instants de joie. Sa plus grande joie était de l'avoir auprès d'elle. Elle tira sur les rideaux dès qu'elle sentit le carrosse partir comme si elle regrettait déjà de le quitter.
Elle soupira en se disant que cela ne durerait que quelques heures et que bientôt elle retrouverait la chaleur de ses bras. C'était plus fort qu'elle elle sentait la distance comme un poids dès qu'elle devait s'écarter des personnes qu'elle aimait. Et s'il leur arrivait quelque chose ? Elle pouvait en devenir malade d'angoisse. Rien que d'imaginer qu'un de ses proches puisse s'évanouir dans la nature. Elle ne le supporterait pas. Doucement, elle retira ses gants de soie blancs pour sortir son meilleur associé lors de ses solitudes : son calepin à dessins. Elle allait dessiner de son mieux des images rassurantes pour suppléer celles qui l'étaient beaucoup moins. Son crayon s'agitaient en décrivant des courbes en fonction non pas seulement de son poignet mais aussi de l'état de la route. Heureusement ces moments ne duraient pas une éternité. Elle sourit en dessinant l'expression de son mari. Allyss se souvint de leur plus belle rigolade, enfin de leurs plus belles, car il y en avait tant. Ils allaient voyager pour plusieurs jours alors autant s'y faire. Ils faisaient des pauses pour retrouver l'usage de leurs jambes et se restaurer, mais rien de plus. La reine ne s'éloignait jamais de la calèche. Elle avait assez en tête l'attaque dont ils avaient réchappé sa famille et elle et ce qu'il en avait coût à ce commandant qu'elle chérissait de tout son coeur. Même si elle savait que c'était aux gardes de prendre des risques, elle préférait ne pas avoir à poser encore un regard sur des vies brisées... L'événement se déroula comme prévu : somptueux, impressionnant. Elle espérait au moins que son discours avait redonné confiance aux personnes vivant sur la côte.
" Notre rôle sera toujours de préserver Aryon pour que personne ne sente menacé et puisse vivre en paix" conclut elle son discours en souriant.
Son rôle était essentiellement de rassurer tout en montrant l'implication de tous dans ce projet. Elle siégeait au côté de son premier ministre qui renchérit sur ce même élan. Elle aimait cet effort conjoint, cette volonté de ne pas faiblir devant l'adversité. Allyss se sentait à sa place et n'aurait pas douté de rien n'y personne. Elle se sentait remplie de détermination comme si rien ne pouvait faire obstacle à une paix durable. C'était sans doute utopique, mais elle aimait se nourrir de ce moment. Au moment du départ, les gardes discutaient encore entre eux. Allyss se sentait fatiguée et se glissa dans sa calèche satisfaite de sa journée. Elle avait laissé la porte ouverte pour entendre quand sonnerait l'heure du départ. Un garde vint vers elle. Elle passa la tête par la porte entrebâillée.
" Vous souhaitiez me dire quelque chose de précis...?
Du haut de ses vingt-et-un ans, Casian était un jeune homme avec un avenir prometteur. Cette place, les honneurs qu'il a reçu n'étaient pas tombés du ciel. Tout ceci étaient le fruit de ses efforts et d'un esprit de revanche envers lui-même. Il pouvait désormais regarder son père en face sans baisser les yeux. Mais il préférait éviter, au risque d'être déraisonnable. Pour l'heure, il avait un devoir à accomplir envers son supérieur hiérarchique et surtout auprès de la reine. Ils avaient pour mission de l'escorter dans le cadre d'une inauguration d'envergure. Un bateau qui, par sa mise en flotte, allait apporter un bénéfice certain pour le Royaume. C'était avec une fierté non-dissimulée qu'il s'apprêtait à marcher derrière le carrosse, observant la foule acclamant leur reine bien aimée à travers son regard azur encadré par de longues mèches blondes. Il arborait un faciès qui plaisait assurément, notamment lorsqu'un sourire venait rendre son expression moins sévère. Voir tout ces visages réjouis prêtaient à le faire. Toutefois, il se devait de garder une certaine contenance et rester attentif. L'envie n'y manquait pas pourtant.
Et alors qu'il tournait la tête en direction de la reine qui été en train de monter dans son carrosse, Casian fut frappé par un violent vertige. Cette sensation, bien trop familière, signe d'un mauvais présage. D'un avertissement envoyé par ce pouvoir aussi utile que maudit. Son intensité était telle que sa vision se troubla l'espace d'un instant. Il porta une main tremblante à son visage pour tenter d'apaiser son mal. Ce fut finalement une tape sur son épaule porté par un de ses frères d'armes qui le ramena à la raison.
— « Hé...Tout va bien ? » Demanda calmement l'autre garde.
— « Oui...Oui. Ce n'est rien. Juste un léger vertige qui m'a pris au dépourvu, voilà tout. La sécurité de la reine est notre priorité, ne vous en faites pas pour moi. »
A ces mots, le grand blond entama sa marche en suivant l'escorte de la reine d'une démarche droite et assurée comme si de rien n'était. Seulement au fond, l'inquiétude le gagnait. Et cette horrible sensation ne l'avait pas quittée; elle se faisait persistante, allant au rythme de ses pas. Son cœur cognait tellement fort contre sa cage thoracique qu'il l'entendait battre dans ses oreilles. Tout ces signaux de signifiaient qu'une seule chose : un malheur allait arriver. Quelque chose de grave. Il en était persuadé. A chaque fois que son regard se posait sur la forteresse mobile où se trouvait la détentrice de la couronne, ses craintes ne faisaient que se confirmer. La reine était en danger. Qui voudrait intenter à sa vie ? Où ? Comment ? Il l'ignorait. Alors le jeune garde avança dans l'angoisse, l’appréhension. Restait malgré tout à l'affût du moindre mouvement suspect. L'idée de confier ses suspicions lui avait effleuré l'esprit, mais qui le croirait ?
Ils arrivèrent sur les lieux de l’événement sans encombres. Ce n'était justement pas le moment de baisser sa garde. Tandis que ses protecteurs étaient aux aguets, la reine donna un magnifique discours qui réussit même à arracher un sourire à son anxieux de garde. A croire que son enthousiasme était contagieux. Mais cela, en ce qui le concerne, ne fut de courte durée. En attendant que le cortège reprenne sa route, Casian ne quittait pas du regard l'ouverture de la calèche où s'engouffra la reine tandis qu'il faisait les quatre cent pas, pensant le pour et le contre si oui où non il devait dévoiler à l'intéressée ce qu'il redoutait depuis leur départ. Le blond finit par quitter la position dans laquelle il se trouvait, et, à coup de grandes enjambées dans une démarche audacieuse, se présenta devant les marches. Sentant sa présence, la royale se pencha et tomba nez à nez avec le jeune garde qui gardait une posture soignée malgré l'inquiétude qui ne faisait que croître au fil des minutes qui s'écoulaient.
— « Vous souhaitiez me dire quelque chose de précis...? »
Elle était disposée à l'écouter. C'était le moment ou jamais. Il s'inclina, comme l'imposait ce formalisme qu'on lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance.
— « Je...Veuillez m'excuser de vous importuner votre Majesté. Il y a en effet quelque chose qui me tracasse et j'estime qu'il est de mon devoir de vous en informer. » Ce dernier se redressa, ses yeux bleus perçants qui brillaient à la lueur du soleil. Casian faisait tout pour ne rien laisser transparaître. Mais au fond, il était profondément inquiet pour sa reine.
" Le devoir est une chose que nous ne pouvons ignorer. Que souhaitiez vous donc me signaler ? ...
Au vue de son hésitation, elle en savait pas trop à quoi s'attendre. Elle avait bien remarqué qu'il cherchait ses mots sans pour lui dire avec le plus de précisions possible son message. La reine le regardait dans l'attente qu'il lui réponde en imaginant ce qui pouvait retarder leur départ et ce qui pouvait faire qu'un garde puisse s'adresser à elle directement. Il avait des supérieurs à qui s'adresser. En plus, elle l'avait déjà vu lors de certains déplacements. Il était donc parfaitement au courant des procédures. La reine songeait qu'il tenait peut-être à dire son ressentis sur la cérémonie mais au vue de sa réaction, il devait s'agir d'autre chose. Allys n'aimait pas que les choses trainent surtout quand elle sentait que quelque chose arrivait.
" Parlez-moi sans détour, je suis à votre écoute. L'information doit avoir une certaine ampleur pour que vous veniez me trouver" compléta t-elle simplement.
Si elle devait savoir quelque chose, elle préférait que les choses soient dites. S'il avait vu ou entendu quelque chose de suspect qui pourrait entraver leur retour, mieux valait qu'il reporte à un autre moment... S'il s'agissait de quelque chose de vraiment sérieux du moins. La reine avait à la fois hâte de rentrer pour retrouver Grimvor et lui dire qu'il avait échappé à un discours et devait s'occuper de ses affaires royales qui dormaient encore sur son bureau. Elle lui fit signe de se lever pour se focaliser sur cette discussion si pressante.
Se présenter à la reine fût un véritable dilemme. Nul doute qu'il risquait de se faire réprimander par son supérieur pour ne pas l'avoir averti en premier lieu, au lieu de déranger la déranger dans sa quiétude. Mais son instinct l'avait poussé à prendre cette initiative ou plus exactement, il écoutait son sixième sens qui ne l'avait jamais trompé. La difficulté résultait en l'interprétation de ces signaux qu'on lui envoyait, comme une énigme que le jeune garde se devait de résoudre. Seulement là, l'enjeux était d'autant plus important qu'il s'agissait de la reine.
Heureusement, elle eut la noblesse d'esprit d'être à son écoute. De ne pas le renvoyer à son poste sans prendre le temps de savoir pourquoi il avait entrepris de venir personnellement à sa rencontre au lieu d'en avertir son capitaine. Sa réaction aurait été légitime, quand bien même il n'aurait pas eu autant de sympathie pour Allys qu'à cet instant. Elle était réellement la monarque bienveillante que l'on décrivait dans les commérages populaires et au sein de l'aristocratie. Un peu trop gentille même, et là était sa plus grande faiblesse que d'avoir trop de coeur. Les vautours devaient être nombreux à en profiter. Casian en savait quelque chose. Il était l'héritier d'une famille noble influente et il n'était pas rare que l'on cherche à s'attirer ses faveurs, notamment de la part de femmes de bonnes familles qu'il soit déjà ou non promis à quelqu'un depuis longtemps. Quel milieu de charognards.
— Le devoir est une chose que nous ne pouvons ignorer. Que souhaitiez vous donc me signaler ? ...
Maintenant qu'il avait toute son attention, le garde royal avait champ libre pour faire part de son inquiétude et de ses soupçons. Toutefois, le blond semblait encore quelque peu récalcitrant.
— Hé bien...
Casian détourna ses yeux azurs de sa Majesté et sans doute avait-elle remarqué le malaise de ce dernier, puisqu'elle tenta d'assurer que sa confidence ne sera pas que de vastes paroles ignorées.
— Parlez-moi sans détour, je suis à votre écoute. L'information doit avoir une certaine ampleur pour que vous veniez me trouver.
Il releva le nez, plus confiant cette fois, ses yeux rempli d'une détermination nouvelle sous ses mèches dorées qui rayonnaient à la lumière du jour. La brise caressait gentiment son visage, mais il était trop préoccupé pour n'y faire ne serait-ce qu'un peu attention.
— Je crains que vous soyez en danger. Je ne saurais comment vous l'expliquer, ni même vous dire avec certitude ce qu'il va se passer car je ne le sais pas moi-même...Mais je puis vous assurer que quelque chose vous concernant va se produire.
Dit comme cela, n'importe qui tomberait des nues d'entendre une telle révélation. Au mieux elle le croira au pire, elle le prendra pour un aliéné. Après tout, il s'était présenté à la royale sans preuve concrète de ce qu'il avançait. Elle était libre de prendre son avertissement ou non en considération. Lui n'était qu'un simple garde royal, un de ses sujets, de ses serviteurs. Rien de plus. Il n'avait aucun pouvoir sur sa personne contrairement à elle.
Néanmoins, la sincérité se lisait sur son visage. Malgré son aveu, son mauvais pressentiment ne l'avait pas quitté. A chaque fois qu'il posait les yeux sur elle, Casian se sentait mal. Il voulait éviter l'inéluctable. Ne pas être témoin, mais celui qui agira pour empêcher le pire d'arriver. C'était à lui seul de le faire. S'il devait échouer à nouveau, jamais il ne s'en remettra. Il avait perdu sa mère à un jeune âge, à une époque où n'importe quel enfant aurait besoin d'avoir sa maman pour le protéger, notamment face à un père un peu trop strict. Son pouvoir de prescience était déjà éveillé. Puis un jour, il fut victime de violents vertiges. Un peu comme ce qu'il ressentait à ce moment précis. Le soir même, sa mère s'était mal après le dîner. Elle s'était retirée dans la chambre parentale...Et n'en ressortit jamais. Son fils aîné l'avait senti mais fût incapable de réagir à temps et jusqu'à aujourd'hui, se rendait coupable pour cela. Ce pouvoir qu'il voyait comme un don devint dès lors, à ses yeux, un fardeau. Une malédiction qui finit même par changer la personne qu'il était.
Il était hors de question d'échouer à nouveau.
— Il est vrai que j'aurais dû faire part de mes soupçons à mon capitaine en premier lieu. Et pour avoir troublé votre tranquillité et manqué aux ordres qui m'aient été donnés, je suis prêt à être blâmé pour cela. Croyez-le ma Reine, votre vie m'importe bien plus que de simples remontrances que l'on pourrait porter à mon égard. J'ignore ce qui m'a poussé à vous mettre ainsi en garde, seulement j'en ressentais la nécessité de le faire.
Casian tentait de contenir cette appréhension qui le rongeait depuis leur départ. Il resserra sa prise sur le pommeau de son épée accrochée à sa ceinture et pria intérieurement pour que Lucy, de là haut, leur accorde sa divine protection.
" Très bien mais d'où tenez-vous cette information ? Je suis touchée par votre sens du devoir mais avouez que cette information reste imprécise. Comment avez-vous obtenu des information d'une menace inconnue qui n'est pas identifiable... "
Pourtant il semblait partir d'un bon sentiment, se moquer des répercussions de ses actes, mais que pouvait-elle faire d'une parole si pleine de sentiments soit-elle. Elle soupira en se mordant la lèvre.
" Pardonnez-moi, mais ... je vous oriente vers votre supérieur. Si vous avez senti une présence, il saura procéder aux procédures habituelles. Cet événement vous a sûrement un peu tendu... Il est vrai que beaucoup de monde était rassemblé, j'en étais bien satisfaite mais aussi étonnamment surprise..."
La reine ne savait pas trop comment interpréter l'avertissement de cet homme aux cheveux blonds. Jamais encore, il ne lui avait adressé la parole. La première fois, il lui fait part de cette missive impérative... Que dire ou que penser de cette initiative ...? Elle en était presque désolée, car peut-être se méprenait-elle...
" Vous avez rempli votre devoir... Comment vous nommez-vous ? "
Malgré tout son sens du devoir avait attiré son attention, il semblait très dévoué à sa fonction, elle voulait au moins le remercier en soulignant son nom. C'était une façon de marquer ce premier échange, plutôt placé sous le signe du mystère. Elle le remercia en s'excusant de ne pouvoir prêter foi à son témoignage, puis remonta dans la calèche pour s'y installer. Un domestique s'avança vers les marches pour refermer le transport. Elle eut depuis l'intérieur de la calèche un regard insistant vers cet homme comme si elel hésitait toujours ... c'était assez fumeux comme aveu, elle ne pouvait pas y prêter et pourtant qui viendrait la déranger pour des broutilles ? Personne. De toute façon, le convoi était surveillé. Le convoi finit par partir. Le soleil déclinait de plus en plus, bientôt il en viendrait à se coucher. Des bruits nocturnes commençaient à faire leur apparition : des hululements de chouettes, des lucioles qui commençaient à voler dans un vent naissant.Les roues commencèrent à grincer lorsque chacun se remit en marche. Le capitaine de l'escorte vint à la rencontre de Casian en le toisant vaguement.
" Quelque chose vous préoccupe mon brave...?"
Autant dire les choses... il lui avait semblé contrarié de loin autant mettre les choses à plat./ Il voulait que tout le monde évolue comme un seul homme, de façon organisée avec le moins possible de préoccupation autre qu'assurer la sécurité. De son côté, la reine Allys avait hâte d'arriver à leur prochain arrêt. La journée avait longue, riche en événement. Elle s'endormait de plus en plus jusqu'à ce qu'elle sente que son transport s'arrête d'un coup. Un arbre était tombé sur la chaussée obligeant la cohorte à progresser a travers un chemin plus étroit entouré par des talus importants ainsi que des énormes rochers. A y bien réfléchir ce chemin rétréci pouvait donner lieu à une prise en tenaille aisée. Autour des créatures commençaient à évoluer tranquillement. Des hurlements de dafresk résonnaient au loin, elle ne semblait pas au meilleur de sa forme. Des grognements suivaient de plus en plus proches... Puis le silence.. Les bandits avaient eu raison d'elle... Elle avait failli faire capoter le plan... Ils étaient là embusqués en attendant le passage du convoi. Ils n'auraient ensuite qu'à disperser les soldats, vu l'heure personne n'avait voulu faire demi-tour pour emprunter un autre chemin.. Tout marchait sur des roulettes.
— Très bien mais d'où tenez-vous cette information ? Je suis touchée par votre sens du devoir mais avouez que cette information reste imprécise. Comment avez-vous obtenu des information d'une menace inconnue qui n'est pas identifiable...
Elle avait raison. A vrai dire, tu lui donnais parfaitement raison. Tu n'avais plus le choix que d'avouer d’où venait la véritable source de cette information sensible, aussi imprécise soit-elle.
Le dos droit, ton regard rempli de détermination, tu lui révélas alors :
— Je possède un sixième sens votre Majesté.
Ce pouvoir, tu aurais bien aimé t'en passé parfois. A ce stade des choses, tu le voyais plus comme un fardeau qu'un cadeau de la Déesse. Ta prescience n'emportait la plupart du temps qu'angoisses, vertiges, migraines. Quand tu avais de la chance, une certaine plénitude t'emportait quand les bonnes nouvelles pointaient le bout de leur nez. Mais en tant que garde royal, les bonnes surprises n'étaient pas toujours au rendez-vous. A force, tu t'y es fais. De toute façon, on ne t'en donnait pas tellement le choix.
— Pardonnez-moi, mais ... je vous oriente vers votre supérieur. Si vous avez senti une présence, il saura procéder aux procédures habituelles. Cet événement vous a sûrement un peu tendu... Il est vrai que beaucoup de monde était rassemblé, j'en étais bien satisfaite mais aussi étonnamment surprise...
Voilà que tu tournais en ridicule. La reine ne te croyait absolument pas. Pire, que tu étais sous pression à cause de la masse populaire qui s'était rassemblée. Tu es claustrophobe, pas agoraphobe ! Mais ça, elle l'ignorait. Si elle n'était pas ta reine, tu lui aurais donné immédiatement tort. Dès cet instant, tu as réalisé que tu avais sûrement pris une mauvaise initiative en ne t'adressant pas directement à plus au placé que toi, bien que tu ne regrettais pas au fond d'avoir tenté autrement d'avertir l'intéressée du danger.
Tu pris donc sur toi pour lui adresser tes sincères excuses.
— Je vous pris de me pardonner pour vous avoir importunée. Je vais aller en informer mon supérieur hiérarchique.
Nul doute qu'on risquait de te passer un savon. Tu t'y préparais déjà mentalement, et tu n'avais aucune objection à faire à ce sujet. Mais sa majesté semblait complaisante à ton égard qu'autre chose. Cela avait de quoi te mettre un peu de baume au cœur mine de rien.
— Vous avez rempli votre devoir... Comment vous nommez-vous ?
Elle te faisait l'honneur de demander ton nom. Comme ta stricte éducation nobiliaire te l'avait appris, tu mis un bras derrière le dos, un autre devant et tu courbas l'échine avant d’élégamment te redresser.
— Casian. Casian Landel, puîné de cette même maison ma Reine.
Votre échange s'arrêta après avoir dévoilé ton identité. Tu n'insistas pas davantage, pensant déjà que tu en avais trop fait. Le convoi repartit. C'est avec le coeur lourd et un goût amer que tu repris ton post. Ton malaise était palpable, et nul doute que quelqu'un avait remarqué ton étrange comportement. Cette personne, c'était justement ton capitaine. En tout cas pour cette mission. Vous ne vous connaissiez pas tant que cela et fatalement, il ignorait que tu étais en possession d'un tel pouvoir de prescience. Il te questionnait, et tu te disais que tu n'avais plus d'autre choix que de parler.
— Quelque chose vous préoccupe mon brave...?
Poussant un long soupire, tu relevas tes yeux clairs vers l'homme aguerri qu'était ton interlocuteur. Tu t’apprêtais à révéler le fond de tes inquiétudes mais le destin en avait voulu autrement. Une secousse interrompit votre discussion, et ton supérieur accouru pour voir ce qu'il en était. Un arbre s'était abattu sur leur chemin. Il ordonna immédiatement de changer d'itinéraire et tous ses hommes s'exécutèrent. Toi y compris sans qu'il n'ai pris la peine de revenir vers toi pour en savoir plus. Seulement à peine avez-vous emprunté cette nouvelle route lugubre que ton mauvais pressentiment se fit plus persistant. Serait-ce à cause des dafresks qui vous surveillaient perchés sur leurs rochers ?
Alors que vous vous engouffriez de plus en plus, un violent vertige te frappa. A peine avais-tu eu le temps de reprendre tes esprits qu'une attaque fût lancée sur le convoi. Armé de ta lance, tu bondis vers le premier assaillant que tu éliminas en un clin d’œil d'un geste parfaitement maîtrisé. D'autres débarquèrent et avec l'intervention des autres gardes, ils furent vite mis hors d'état de nuire. Ton capitaine t'avais brièvement jeté un regard suspicieux, te faisant comprendre que tes explications, il voudra les entendre juste après. Tout du moins, c'est ainsi que tu l'avais compris.
Des corps sans vie jonchaient à vos pieds. L'incompréhension régnait, le silence aussi. Ton souffle se faisait court. Ton cœur tambourinait violemment contre ta poitrine. Mais ton détecteur de danger s'agitait toujours avec la même intensité. C'est là qu'on ombre sortit des ténèbres, dague en main. Bénie soit la Déesse, ta prescience d'avait permis de réagir avant les autres. Tout se passa très vite. L'homme fût tué.
Et toi, tu sentais un liquide chaud s'écouler abondamment sur ton visage. Une vive douleur te secoua, et t'arracha un cri effroyable. Un genou à terre, tu ne voyais presque plus rien.
Le carrosse reprit sa lente progression vers leur lieu de passage. La route était longue, trop longue aux yeux de la souveraine. Elle repensait à ce fidèle soldat qui ne semblait vouloir que faire le bien, même son regard insistant ne voulait qu'être entendu. Elle avait juste secoué la tête à son nom comme si elle était rapidement passée à autre chose. Il n'en était rien. Que voulait-il dire par l'idée de ce danger ...? Son sixième sens...? Les dafresk semblaient se tenir à l'écart de tout ce déchainement jusqu'à ce que l'un d'eux se mette à se joindre au conflit. La reine n'entendait plus que des cris, des entrechoquements d'armes... Ses mains posées sur sa robe semblaient bien plus tendues... Le sixième sens s'était réalisé et elle n'avait fait que être aveugle. Elle s'en voulait tellement. Allys voulut ouvrir le rideau de sa fenêtre mais la vue en était atroce. A cet instant, elle aurait voulu pouvoir les rejoindre, servir à quelque chose... Elle ne pouvait que serrer les dents et les regarder mourir pour la sauver... Son regard s'attarda sur un dafresk qui prenait en chasse des bandits tandis que son groupe s'éloignait au loin... Elle n'en avait jamais vu, mais cette vue fut hélas bien brève. Un bandit finit par le prendre à revers, mais il eut le mérite d'avoir fait une belle diversion... C'était fou, elle n'avait jamais vu de monstre se battre aux côtés des humains....
Dans tout ce chaos, elle n'avait remarqué que cela... comme une lueur d'espoir d'un affrontement touchant presque à sa fin. Un bandit s'approcha de sa porte, il fut aussitôt repoussé par ce même jeune homme qui avait comme bondi avant qu'il n'ouvre l'habitacle où se trouvait la reine. C'était comme s'il le savait... comme s'il luttait contre ce sixième sens en effet. C'était trop de coïncidence pour la même personne, elle en venait à envisager qu'il détenait peut-être un don unique et l'encourageait en braquant son regard sur son combat. Même si la vue l'effrayait, elle assumait sa fâcheuse décision en étant une spectatrice impuissante... Alors qu'il se battait admirablement bien, elle vit un autre bandit venir derrière lui. La reine ouvrit sa porte pour lui hurler de se retourner... C'était trop tard... Le mal était bel et bien fait. Il hurlait de douleur en ayant subi un coup d'épée à bon portant. Allys sortit, prit une épée au passage. Tout ce qu'elle souhaitait était le mettre à l'abri le temps qu'il se reprenne au moins. Il ne devait pas mourir, lui par qui tout cela aurait pu être évité. Voyant la reine à l'extérieur, les soldats survivants se regroupèrent autour d'eux. C'était un risque à prendre, mais elle savait que son escorte se réorganiserait autour du blessé dès qu'elle sortirait lui sauvant du même coup la vie. Les deux bandits se mirent à lutter quelques temps contre des survivants. Ils avaient au moins quelques minutes pour trouver une parade.
" ... Monsieur Landel... reprenez-vous... je suis près de vous. "
Des mots vides de sens, mais voilà ce dont elle était capable de faire en cet instant. Elle pouvait juste tenter d'insuffler du courage. Le jeune homme avait été salement touché à l'oeil. Une longue estafilade de sang ruisselait jusqu'au bas de sa mâchoire. Elle prit son bras pour tenter de le mener à sa loge dans le carrosse pour qu'il se reprenne.
" Agrippez vous à moi que je vous mène en lieu sûr... "
La reine lui prenait à présent le bras en dérogeant à beaucoup de règles dues à son rang, mais les règles n'avaient plus leur place dans ce chaos. Le seul impératif était de mettre le blessé à l'abri, là où son manque de vigilance ne serait pas achevé par un autre coup beaucoup plus fatal. Le combat semblait se jouait sur ses derniers instants, mais elle craignait l'appui de renforts en ayant soudainement conscience que toute cette obscurité ne jouait pas en leur faveur.