Avançant contre son gré dans les couloirs du manoir des Veriano, c'est sans surprise qu'elle arriva, quelques minutes plus tard, dans un des salons de la demeure. La salle était complètement vide, à l'exception d'une longue table en bois et de deux chaises. De multiples tonneaux s'entassaient dans l'arrière de la pièce. Rebecca ne savait toujours pas pourquoi elle était ici. Keith lui avait demandé de venir, elle et cette autre personne, et la conseillère se devait de ne pas refuser.
La jeune femme s'avança dans le salon pour se mettre en face de la table et des chaises. Seul le bruit de ses pas venaient rompre le silence de mort du lieu. Un bout de papier posé sur la table lui expliquait sa présence dans ce lieu. La compagnie Veriano voulant se diversifier, Keith envisage d'acheter une taverne, et à besoin de l'aide de ces deux amies pour pouvoir choisir quels boissons mettre sur le menu. Ses amies Rebecca était intérieurement contente qu'il utilise ce mot pour désigner la relation qu'ils ont tous les deux. Mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi elle. Il est vrai qu'elle aime les boissons et qu'elle se rend fréquemment dans la taverne à côté de chez elle, seule pour travailler ou avec Arthorias pour se détendre. Mais elle n'avait vraiment pas une réputation de bonne buveuse. Au contraire ! Elle se laisse rapidement emporter par l'alcool, et roule facilement au bout du troisième verre. Mais, il est vrai, elle commençait à avoir une bonne connaissance des réputations des alcools, et elle ne pouvait tout simplement pas refuser une demande qui venait directement de son patron.
Rebecca s'avança vers les tonneaux. Il y en avait tellement ! Ça allait prendre des jours et des jours pour tout goûter, surtout s'il faut être en état pour critiquer le goût...Sur chacun des tonneaux, le nom de l'alcool et leur date de fabrication y étaient apposés. La conseillère sortait son carnet et un fusain pour marquer ses remarques.
Rebecca s’asseyait sur une des chaises, laissant libre celle en face d'elle. Elle attendait patiemment l'arrivé de sa "nouvelle camarade de jeu", qui ne se fit pas attendre. Oubliant sans trop de difficulté la politesse, la conseillère ne se leva pas en présence de la noble, et ne lui jetait que brièvement un regard.
-Moi qui pensais être au calme pendant encore quelques minutes, je suis bien peinée.
Cela n'avait bien entendu pas échappé au maître des lieux. Plusieurs plaintes des travailleurs, chose plutôt courante jusqu'alors, mentionnait leur incapacité à effectuer correctement leur besogne à cause de cette "caractérielle" sœur, plus présente qu'à l'accoutumée. Cela s'expliquait bien évidemment par son manque d'occupation mais l'homme n'avait que difficilement possibilité de leur en donner la raison. Pire, il ne pouvait pas remédier au problème en l'état, ses différents projet étant déjà couverts pas d'autres individus et la rousse ne supportant pas le travail d'équipe lors de ses "escapades". Lui vînt finalement l'idée de proposer à Mysora une dégustation d'alcool - qu'il jugeait indispensable avant l'acquisition prochaine d'une taverne. Ce n'était certes pas une mission qui pouvait la distraire au même titre qu'un assassinat, mais elle n'était pas le genre de personne à refuser un bon verre de vin ou quelques choppes de bières lorsque l'occasion se présentait. Il frissonna pourtant en s'imaginant le désastre que pourrait causer la jeune femme, ivre et totalement désinhibée, au sein du domaine. S'il n'y avait aucun obstacle à lui opposer, la "mission" avait de fortes chances de se terminer d'une manière qu'il n'osait qu'à peine imaginer !
La solution fut trouvée en la personne de Rebecca, l'une des seuls individus qui, au delà de ne pas chanceler face à Mysora, arrivait à lui opposer une résistance qui impressionnait Keith lui même. Elle était la candidate idéale pour maintenir les possibles débordements et en lui proposant de prendre part à la dégustation, il obtenait également un second avis. D'une pierre deux coups, comme on dit !
Avant son départ, la seule consigne qu'avait formulé le noble à ses employés était de mesurer la consommation de ses deux amies. Si Rebecca se laissait entraîner par l'alcool, plus rien ne se mettrait en travers du chemin de l'imprévisible voleuse ; ils devaient ainsi lui rappeler régulièrement sa mission première, sans obligation d'en faire de même pour Mysora.
C'est ainsi que la demoiselle arriva dans la pièce où étaient entreposés de nombreux barils, entourée par deux jeunes serviteurs dont elle se débarrassa d'un claquement de doigts. Bien qu'atteints dans leur fierté, ils obéirent sans broncher, ne laissant dans la pièce que les deux femmes et quelques autres domestiques - à qui la tâche de surveillance avait été confiée.
Elle vînt s'installer à table et posa ses coudes sur celle-ci, face à sa camarade, avant de déposer sa tête aux creux de ses mains. Elle la fixa ainsi quelques secondes avant de s'adresser à ses servants.
Une femme et un homme, postés sur les côtés de la porte, partirent exécuter les autres de Mysora. Leur façon de bouger montrait clairement qu’ils avaient peur, mais qu’ils devaient tout faire pour leur…lui donner le meilleur service possible.
Ainsi, les deux premiers verres de dégustations ainsi que le premier fût arrivèrent très rapidement. L’homme leur servit un demi-verre, bien assez pour pouvoir goûter et juger le liquide. Une fois fini, il reprit sa place à côté de sa collègue, bien au fond de la pièce, de telle façon que personne ne pourrait entendre des messes basses prévenant des deux femmes.
Rebecca prit le verre dans sa main droite et commença la dégustation. Vu la couleur et les premières odeurs senties, il s’agit de whisky. Bien, super. Commençons fort, alors. . D’un geste presque professionnel, elle fit tourner le liquide dans le verre. Des traînées grasses coulaient lentement le long de la paroi. La texture lui paraissait impeccable. La jeune femme continuait donc sa dégustation. Elle commençait par approcher petit à petit son nez du verre, pour laisser le temps aux arômes de monter. On pouvait déjà sentir les arômes fruités de la boisson. Plus le nez de Rebecca s’habituait à l’odeur, plus elle pouvait remarquer les arômes les plus primaires, terreux, épicés et boisés du whisky.
Après plus de 3 minutes à regarder la couleur de la robe et à sentir ses arômes, tout en réussissant à ne pas se laisser déconcentrer par mademoiselle Veriano, Rebecca fit glisser une petit gorgée sur sa langue, puis dessous, laissant sa salive envahir son palais. Elle gardait le produit en bouche pendant une vingtaines de secondes, 21 même, pour être précis. Pendant ce lapse de temps, elle pouvait apprécier encore plus les arômes se développer dans sa bouche. Mais n’étant pas une grande experte, elle ne pouvait donner la texture du whisky. Etait-il gras, huileux, souple ou léger ? Elle ne pouvait pas répondre à cette question, mais une chose était sûr : putain, mais c’est bon ce truc
La conseillère fini sa dégustation par une deuxième gorgée, tout aussi longue. Elle se laissa perturber par le fracas d’un verre posé avec force sur la table. C’était la première fois depuis qu’elle est arrivée que Rebecca décide de regarder Mysora dans les yeux. Aucune des deux ne voulait flancher. Ne pas lâcher son regard, continuer à la regarder . Rebecca n’avait décidément pas envie de perdre. Elle décida donc de feinter.
- Vous allez bien sinon, ma chère chère chère Mysora ? Pas trop dur le travail ? Il parait que vous avez encore fait des foliiies ♫♪
Elle faisait exprès d’appuyer sur le dernier mot. La conseillère, malgré son rang et sa relation avec le maître des lieux, ne connaissait pas bien le rôle que pouvait tenir cette femme. Elle connaissait parfaitement son caractère, oui, pour devoir le supporter et supporter ses méfaits depuis plus de six ans. Mais sa place, elle, restait complètement floue. Elle espérait réussir à faire sortir la « gentille » Mysora de ses gonds. En espérant que cela ne se retourne pas contre elle.
Que la chance soit avec elle.
Malgré ce détail, elle ne pu qu'en reconnaître l'excellente saveur. Elle ne se priva d'ailleurs pas pour terminer le verre, esquissant une seconde grimace nettement moins visible maintenant que ses papilles semblaient s'être habituées. Reposant le godet sur la table, elle sentit au même instant un frisson la parcourir des cervicales jusqu'aux lombaires. Elle s'étira pour l'évacuer, puis lorsqu'elle reprit une position plus adaptée à sa position, son regard croisa celui de Rebecca.
Les yeux de la concernée, au large ouverts, se désintéressèrent de la conseillère pour venir interroger tour à tour chaque personne présente dans la pièce. Que diable venait-il de se passer ? Qui donc l'avait fait boire quelques barils avant de commencer la dégustation ?
Il déposa également deux sceaux à leur portée, destinés à recracher les vins qui allaient leur être proposés afin d'éviter tout risque d'alcoolémie. Mysora dévisagea l'individu, celui-ci accéléra alors son retour et se replaça prêt des autres fûts, prêt à apporter la prochaine cuvée au moindre de ses signes. Le regard de la noble se porta sur le sceau à sa droite qu'elle finit par repousser du pied avec dédain.
Les employés apportaient le deuxième tonneau dans un silence de plomb. On pouvait entendre les mouches voler, mais malheureusement, même elles ne voulaient pas faire de bruit. Deux personnes faisaient rouler la boisson jusqu'à la table, ouvraient le couvercle et prirent une grosse louche.
Une fois les deux nouveaux verres servis, Rebecca nota -- encore une fois-- soigneusement les informations de cette boissons. Du vin rouge, cette fois. Un vin assez vieux, en plus ! La conseillère n'avait pas encore pris conscience de la chance qu'elle avait de goûter des produits aussi bons et chers.
- Je sais ce que vous faîtes. Vous êtes le petit démon sur l'épaule de Keith.
Rebecca se souvenait d'une conversation qu'elle a eu avec son patron, dans un bar, il y a des années. C'est Mysora qui l'avait fait hésité, c'est elle qui lui donnait les pires idées.
- Je vous prie donc d'arrêter de lui envoyer de mauvaises ondes.
La conseillère dégusta son nouveau verre, sa compagne faisant de même. Elle continua à noter ses impressions sur son calepin. Il était sûr que ce qu'elle venait de dire aller faire réagir la femme en face d'elle. Mais, sincèrement, quoi qu'elle puisse dire, elle ne changera pas d'avis sur elle : elle est le diable sur l'épaule de Keith. Et en tant que conseillère et ange sur l'autre épaule, elle fera tout pour reprendre le contrôle de son patron, qu'il ne se laisse plus influencer par l'enfer de Mysora.
La voix de Rebecca la sortit alors de sa "dégustation". Insinuait-elle que la jeune noble était à l'origine des mauvaises actions de Keith, sorte de sombre conseiller menant l'homme sur un chemin qu'il n'aurait pas emprunté sans ses obscures manigances ? Sa manière d'aborder la chose semblait démontrer qu'elle en connaissait beaucoup sur les occupations de la voleuse, mais cela pouvait tout aussi bien être du bluff visant à confirmer de simples soupçons...
Elle termina celui-ci en une troisième gorgée conséquente, loin des manières d'une noble, puis reposa le verre brusquement. Tout sourire aux lèvres, elle reprit la parole : « Mais je suis effectivement un petit démon, pour ne rien vous cacher. Le diable en revanche n'est pas la personne à laquelle vous pourriez penser. Je ne suis que son humble serviteur ! » rajouta-t-elle finalement avant de faire signe à l'un des domestiques d'apporter la bouteille ouverte précédemment.
« Je vous ressers, démone ? »
Mais il y avait bien un problème dans ce plan. Un petit, rien qu'un tout petit. Rebecca ne tenait pas l'alcool. Elle pouvait bien en boire un peu, oui, mais elle atteignait vite ses limites, beaucoup trop vite. Il fallait donc trouver un plan supplémentaire pour que Mysora boit plus qu'elle. La conseillère regardait la pièce sous tous les angles possible, et trouva une solution adéquate.
- Ho regardez par la fenêtre !
Pendant le peu de laps de temps que cette diversion lui procura, elle renversa son verre de vin dans un tonneau lambda qu'elles avaient déjà goûter. Elle reprenait vite son sérieux quand sa fenêtre d'intervention se referma.
- J'ai cru voir un dragon de cerisier. On dirait que ma vue est devenue mauvaise avec le temps. Ho ! Votre verre et le mien sont vides. S'il vous plait !
Pendant qu'un employé leur resservait un nouveau verre, Rebecca n'arrêtait pas de fixer Mysora, espérant presque -- peut-être -- que celle-ci s'étouffe avec sa prochaine gorgée.
Se reconcentrant sur sa tâche, elle aperçut le verre vide de sa camarade et claqua des doigts pour interpeller un domestique. Celui-ci apporta une nouvelle bouteille de vin qu'il s'apprêtait à dé-bouchonner, mais elle l'interrompit avant qu'il ne puisse s'exécuter.
« C'est que, M. Veriano n'avait pas prévu de vous faire goûter au Rhum. Nous devions nous contenter d'un peu de whisky, et principalement de vin. Nous avons aussi du... »
« Apportez le rhum. » exigea-t-elle, avant de sourire à Rebecca.
Les employés présents dans la pièce échangèrent de rapide regard, puis l'un d'eux se mit en mouvement. Sortant de la pièce, il y revînt quelques instants plus tard avec dans ses mains une bouteille de rhum et deux nouveaux verres. Il les déposa devant les deux femmes, ouvrit la bouteille et déversa son contenu dans les godets. Mysora, du bout du doigt, poussa celui destiné à Rebecca dans sa direction et s'empara du sien. Fixant sa partenaire de beuverie, elle lui adressa un sourire sincère.
D'un geste, elle avala le contenu de son verre et le fit claquer sur la table.
Rebecca n'a donc pas dit non u verre de rhum posé devant elle. Il était même descendu trop vite, la dégustation étant clairement passé au deuxième plan.
- Alors il va falloir que je vous fasse boire beaucoup pour tout savoir, hum ?
Elle dit cela avec un petit sourire au coin. Est-ce à cause de l'alcool ? Mais elle a l'impression que Mysora devenait un peu plus simple. Ca devrait vraiment être l'alcool, elle ne voit pas d'autre raison.
- Commençons à faire la conversation, voulez-vous ? Elle repris un autre verre, qui disparue aussi vite que sa venue. Je ne connais rien de votre passée...
C'était vraiment une question à risque. Elle voulait en connaître plus sur sa vie, pour savoir pourquoi elle est comme ça. Mais en même temps, elle n'a pas envie que cette question revienne vers elle. Hmm, il va falloir attendre de voir comment elle va prendre cette question. Et espérer qu'elle ne va pas dire "et vous".
Rebecca, étrangement, proposa de faire un peu de conversation. Diantre, cette femme devenait de plus en plus agréable… L’alcool aidant plus que certainement, bien entendu. Mysora rit de bon cœur à cette proposition, et fit – encore – signe aux domestiques de leur apporter un verre. Lorsqu’elle vit qu’il tenait dans ses mains des choppes, elle le congédia aussitôt et fit appel à un autre.
« Mais, mademoiselle… » fit l’un des hommes dans la pièce.
« Faites ce que je vous demande. Et laissez la bouteille sur la table. Ce rhum a besoin de plus d’un verre pour être jaugé. »
L’individu ne rajouta rien et obéit, ramenant la bouteille précédemment ouverte dont il déversa le contenu dans les verres vides des deux femmes. Mysora s’en empara et, cette fois-ci, prit soin de le déguster.
« Celui-là est parfait. » fit-elle remarquer, visiblement satisfaite par la boisson. « Et si vous pouviez nous ramener de quoi manger, également. Je déteste boire le ventre vide ! » Ordonna-t-elle avant que l’homme disparaisse en direction des cuisines. « Alors comme ça, vous voulez connaître mon passé ? Quel est donc votre intérêt soudain pour la peste Veriano, madame ? »
Le domestique, revenus des cuisines, déposa devant elle une planche où saucisson, fromage et pain avaient été découpés pour le plus grand plaisir de leurs papilles.
« Le cuisinier avait déjà prévu que vous désireriez un repas. »
Sans remerciements, la rouquine s'empara d'un morceau de pain et de saucisson qu'elle s'empressa de dévorer. Au diable les "principes", son estomac était prioritaire !
Ho ! Du saucisson ! , pensa Rebecca. Elle observe les tranches, et note dans un coin de son esprit d'aller féliciter la cuisine pour avoir fait des tranches aussi fines. Voilà quelqu'un qui a bon goût !
- Ce n'est un intérêt que purement sociable, Mysora. Je me disais juste qu'une dégustation dans le silence était moins plaisante qu'une dégustation à conversation. voilà tout.
Rebecca ne prend même plus la peine de remercier les domestiques qui remplissent leur verre, tellement ceux ci descendent rapidement. Comparée à son adversaire de beuverie, la conseillère ne prend même plus le temps de déguster les boissons, l'alcool commençant à faire un peu trop de dégâts.
- Après, si vous voulez par parler, comme vous voulez hein. Moi, ça me dérange pas, j'aime pas trop parler. Surtout parler pour rien. Je trouve que ça fait du bruit qui sert à rien. Juste un blablabla incessant, un bzzzzz de fond. Comme les mouches. A les mouches, c'est fou comment elles disparaissent quand on veut les tuer, mais arrivent à nous déranger quand on ne pense plus à elles. Comme les moustiques, quoi. En plus, à quoi ça sert, les moustiques ?
Rebecca, l'alcool faisant BEAUCOUP plus de dégâts qu'elle aurait pensé, continuera à parler tant que Mysora n'aura pas le courage de l'interrompre. Et qui pourrait avoir le courage de le faire ? Surtout avec des sujets aussi intéressants que les mouches et les moustiques....
La séance de dégustation dû s'arrêter rapidement. Même pas eu le temps de finir à plat ventre par terre. Mysora était demandé autre part, et Rebecca avait encore beaucoup de papier à remplir. Mais fallait-il vraiment envisager de remplir quoi que ce soit d'important dans cet état d'ébriété ?
C'est bien dommage que tout doit s'arrêter maintenant. Les langues commençaient à se décoincer, les visages étaient moins figés. Mais voilà, comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin.