A la Guilde, on n’est pas des bêtes.
Ouais, pas mal, ça, comme devise.
Un grand ponte avait décidé de faire une petite sauterie à la Guilde des Aventuriers. C’était pour fêter un truc ou un autre, j’ai pas bien suivi les détails, parce que y’avait que la première et la dernière phrase du courrier qu’étaient vraiment importantes : « Vous êtes invités à la soirée costumée blablabla tralala tsoin tsoin votre présence est obligatoire sous peine de retenue sur salaire. ». Forcément, ça pose l’ambiance.
J’me suis trouvé une brusque motivation à aller faire du corporatisme avec mes petits collègues, qui pour la plupart étaient ravis d’avoir une occasion de se rincer un peu le gosier aux frais de la princesse. Pas littéralement la princesse, les patrons. Et de faire les beaux, aussi. Y’en a qui pensent encore avoir une carrière, et quelque part, ça fait chaud au cœur de voir que les rigueurs de la vie n’ont pas encore détruit leurs petites âmes d’enfants qui aspirent à un avenir meilleur qui leur semble, inexplicablement, atteignable.
Après avoir lu ces deux phrases, j’ai lu ce qu’il y avait au milieu, quand même, par principe. C’est pour ça que maintenant, j’suis sapé tout en noir, avec un masque de tête de mort dans mon sac. J’mettrai les touches finales en arrivant, j’veux pas avoir l’air d’un débile dans les rues, encore que personne s’en rappellera. J’ai quand même creusé un peu. La petite-fille du ponte aime bien les livres qui font peur, donc il a décidé de lui faire une soirée sur-mesure en utilisant les gens de la Guilde, tout en vendant ça comme une occasion de resserrer les liens entre les équipes. Paraît même que la Haute se pointera, vu qu’elle est à moitié nobliau, la jeunette.
Paraît aussi qu’elle est sacrément mignonne.
Quand j’arrive à l’entrée de la Guilde, y’a même un service d’ordre. Y’a pas à dire, ça a râtissé large pour le petit personnel et les figurants. Par réflexe, j’me renfonce dans mes vêtements, pour esquiver le froid qui commence à se faire sentir. Les gens qui ont un pouvoir de type oracle météorologique ont annoncé qu’on aurait quelques jours de frimas, bien en avance sur l’hiver. Résultat, la nuit commence à peine à tomber que mon souffle fait déjà de la buée. Il fera meilleur à l’intérieur, au moins, c’est déjà ça.
Ça devient mon tour d’entrer, alors j’enfile mon masque, mes colifichets de squelette, et j’tends mon invitation.
« Amuse-toi bien, collègue.
- Hé, pas dit que ce soit mieux dedans que dehors, que j’rétorque.
- Ouais, méfie-toi des plans du vieux Raul.
- Tu seras au chaud et t’auras à boire, au moins, intervient un autre.
- C’est déjà ça de pris, c’est sûr. »
Et Raul, il a mis les petits plats dans les grands. Tentures sombres, fenêtres cachées, décorations censément effrayantes avec des citrouilles, des potirons taillées pour faire des crânes souriants qui ressemblent vachement au mien, chauve-souris empaillées qui pendent au plafond et… Tout d’un coup, une dizaine d’entre elles prennent leur envol et me frôlent le haut de la tête, donc j’me baisse par réflexe, ainsi que mes voisines les plus proches, dans des petits cris suraigus.
Joli. Il a même invité des pouvoirs de dresseurs de petits mammifères ? C’est plus les petits plats dans les grands, c’est les grands dans les énormes.
Début de la saison fraîche, début des festivités en tout genre et cette fois-ci mais c’était surtout l’anniversaire d’un des plus grands mécènes de la Guilde des Aventuriers, un membre de la famille d’un des fondateurs de celle-ci, la famille Meridius a depuis pris des galons et a obtenu le précieux sésame du titre honorifique de noble. Cette famille avait souvent vu les choses en grand depuis quelques années, surtout avec cette nouvelle génération dont le grand-père a décidé d’utiliser le Grand Hall pour faire ses traditionnels bals masqués mais cette fois-ci le thème fut différent, c’était quelque chose de moins festif on va dire, pas ses longues robes de princesse à tout va ou autre plume délicate qu’on ajustait avec nos masques, non il fallait quelque chose qui faisait peur enfin pas trop non plus, un aventurier serait capable de s’enfiler une tête de Koutoulou pour l’amusement alors que ces bestioles sont hideuses..
Je fus donc l’heureuse élue du Gouvernement à devoir pointé mon bout de mon nez à cette petite fête d’anniversaire d’une jeune fille, dans tous les cas, il m’était impossible de refuser l’invitation, d’une ma famille avait donné de l’argent cette année à la Guilde et de deux, en tant que Première Ministre, je devais y aller également, double peine et ma pupille a insisté pour m’aider à trouver le déguisement adéquat, elle a mis du sien même, j’ai trouvé que c’était extravagant mais elle ajoute que je serai parfaite, je ne sais pas si c’était le mot pour cet accoutrement qu’elle vient de me décrire...
Ma tenue consistait d’avoir un pantalon en cuir noir moulant peut-être un peu trop mes courbes, je ne sais même pas d’où elle a sorti ça et je suppose que Nyx était aussi sur le coup quand je vois la chemise à jabot en soie blanche qu’elle pose délicatement sur mon lit avec la veste noire aristocrate mais ce qui m’inquiétait le plus c’était cette poudre blanche ainsi que la peinture rouge non loin de là sur la coiffeuse.
- Sekyung, tu es sûre ?
Elle sourit alors à pleines dents, chose rare mais je finis par succomber et j’enfile la tenue qu’elle me propose pour me retrouver ensuite sur la chaise proche du miroir. Elle me fait enfiler un peignoir ainsi qu’une serviette autour de mon cou pour ne pas tâcher mes vêtements et attrape subtilement mes cheveux pour commencer à les teindre en blanc ainsi que mon visage. Ça grattait le nez, je voulais me frotter mais à chaque fois, elle arrêtait ma main en plein vol et je m’avoue vaincue pour l’instant, elle s’arrange pour noircir le contour de mes yeux ainsi qu’une pointe de faux sang à la commissure de me lèvres.
- Est-ce bien utile, on dirait que j’ai mangé un rat sur la route ?
Mais elle ricanna de nouveau car c’était l’effet qu’elle voulait, que je ressemble à une créature qui pourrait sucer le sang des humains pour leur donner de la force… Les jeunes de nos jours ont une imagination débordante, cette idée était morbide mais ça lui faisait plaisir, c’est tout ce qu’il compte.
- Donne moi juste un masque pour cacher une partie de mon visage, je tiens encore à ma dignité Sekyung s’il te plaît.
Je la vois farfouiller dans ma commode, un peu trop proche du tiroir interdit, celui ou Nyx s’amuse à cacher tenues et objets dont je ne suis pas prêt de faire éclater au grand jour et encore moins devant les yeux de ma “ fille “, je tenais à son innocence et moi à ma dignité. Elle me tendit alors un masque fin typique de bal masqué, de la dentelle noire tout autour qui mettait subtilement en valeur mes yeux et elle ajoute même que le mieux c’est que j’active mon pouvoir continuellement pour garder cet effet mystérieux avec mes yeux couleur doré.
- Je verrais ça mais merci du conseil.
Maintenant fin prête, elle me donne une canne longue avec un pommeau rond ainsi que de longues bottes noires qui étaient encore une fois beaucoup trop sexy surtout pour le poste que j’occupe.
- Mais ne t’en fais pas, c’est une soirée déguisée, le but c’est de s’amuser puis peut-être que Nyx y sera aussi et je suis sûre qu’elle adorera te voir ainsi !
Je me retourne alors aussitôt, cette fille grandit trop vite voilà qu’elle a des idées déplacées à moins que mon amante lui soumets trop d’informations bizarres à mon encontre, je vais devoir lui toucher deux mots à celle là.
- Bon j’y vais, pas de bêtises et on reparlera de tes après-midi avec Nyx, elle a mauvaise influence sur toi jeune fille !
Embrassant le sommet de son front, j’accroche le masque et descends les escaliers pour rentrer dans la calèche qui m’attends pour me diriger vers la fameuse Guilde. Le voyage fut calme et le cocher ne disait rien sur ma tenue et il avait intérêt, le moindre commentaire et il ne travaillait plus demain, ceci était une soirée pour le travail rien que cela et lorsqu’on fut enfin arrivé, je tombe nez à nez sur la décoration du bâtiment pour l’occasion et je fus épater, ils ont fait des efforts incroyables, on se croirait presque dans une soirée mondaine, le service avait l’air impeccable pour une fois.
Quelqu’un me réceptionne et je tends mon invitation, j’avais un accueil de haut dignitaire et je me retiens de sourire à cette douce attention, je commençais à m’habituer peu à peu à toute cette attention à mon égard, c’était déroutant au début mais on s’y habitue même si j’avais que des sourires hypocrites certains étaient heureusement sincères.
- Merci bien jeune homme.
Je rentre dans le bâtiment, la décoration est à la fois… comment dire effrayante mais quelques peu ridicules mais l’attention y est et je sens déjà les regards sur moi, je prie intérieurement qu’on ne me reconnaisse pas toute de suite, qu’on me laisse tranquille avant que le père Meridius m’attrape pour ses longs discours ennuyeux mais quelque chose tout d’un coup ma tête, je me baisse par instinct et pousse sans le vouloir la personne a côté de moi.
- Oh excusez-moi Monsieur, je fus surprise par ces chauves-souris, je n’ai pas fait attention, j’espère que je n’ai pas abîmé votre tenue.
D’ailleurs sa tenue, il avait des goûts étranges avec son masque ainsi que ces bouts d’os qui traînent sur lui, je ne sais pas trop si il portait ça tous les jours ou si il était déguisé, avec ses aventuriers, on ne sait jamais !
- Votre masque me dit vaguement quelque chose, il représente quoi ?
Puis comme la dit si bien Sekyung, je m'amuse alors à activer mon pouvoir pour parfaire ma si belle tenue comme elle me l'a répété des centaines de fois avant de partir...
J’jette un coup d’œil à la jeune femme à côté de moi, dont la tenue n’est pas sans flatter des courbes qui rappellent le vol gracieux des aigles, au gré de courants aériens fascinants. Bref, elle est sacrément jolie avec ses yeux dorés au milieu de son masque de dentelle noire. Finalement, j’ai bien fait de venir. Après un tour de salle, les chauves-souris repassent en criant au-dessus de nous, de manière audible à dessein je pense, pour rajouter à l’ambiance. Puis une musique mystérieuse s’élève de plus loin à l’intérieur du grand hall.
« Pas de souci pour m’avoir bousculé, mademoiselle. Ou… madame ? Ma Dame, assurément, en tout cas. »
Je lui adresse un large sourire qui ne se voit naturellement pas derrière mon masque à la con, alors j’enquille avec un clin d’œil un brin plus malicieux.
« Le vendeur m’a assuré qu’il s’agissait d’un masque d’arktigor, mais j’ai un peu de mal à y croire. Et comme ces bêtes sont relativement dangereuses, les colifichets sont censés représenter les ossements de leurs victimes. »
Après, j’me vois mal m’en plaindre. Après tout, au prix que ça m’a coûté, le résultat est tout à fait respectable. Nan, il est même plutôt satisfaisant.
« En tout cas, dans les rapports de la Guilde, les arktigors sont censés ressembler plus ou moins à ça… En beaucoup plus gros, cela va sans dire. »
J’me râcle la gorge. C’est que, je bavarde, je bavasse, et j’en oublie la curiosité la plus élémentaire. Et ça serait dommage.
« Et vous, votre costume ? Son effet est saisissant mais j’admets volontiers ne pas reconnaître de prime abord ce qu’il représente. »
Hé, pas pasque j’suis né petit artisan que j’sais pas parler. J’attrape à la vollée deux coupes sur le plateau d’un collègue qui passe avec la mine un peu raide de celui qui s’est fait avoir alors qu’il sait pertinemment que ses potos sont cachés dans la foule à se gaver de petits fours et de champagne. J’tends son verre à ma voisine, et on commence à avancer pour dégager l’entrée. Maintenant, faudrait éviter d’attirer l’attention du vieux Raul Meridius, encore qu’il a pas la moindre raison de vouloir me faire la causette. J’suis qu’un quota, ici.
J’le serai moins quand j’aurai vidé les placards de tout ce qui est édible.
La musique d’ambiance prend un peu son essor plus loin, et la majorité des convives doivent être arrivés maintenant. La lumière devient magiquement un peu plus sombre, tamisée. Eclairage magique, ça : l’ensemble de petites boules lumineuses qui donnaient l’impression d’une chaude après-midi d’été se sont calmées, sont devenues considérablement plus froides, et on se croirait presque en montagne au milieu de l’hiver. Pas de doute, y’aura d’autres surprises du même genre, histoire de parfaire l’ambiance.
J’adresse une courbette à ma première rencontre de la soirée.
« Vrenn Indrani, Examinateur au service de la Guilde. Ravi d’avoir fait votre connaissance, ma Dame. »
J’ai l’habitude de me présenter, hé.
« Je ne voudrais pas vous retenir si des obligations vous attendent ? »
Il sera toujours temps de refaire connaissance du début si on se recroise, la soirée ne fait que commencer, après tout.
Un arktigor donc, cette bête monstrueuse qui est connu pour être redoutable, oh grand jamais j’aimerai croiser sa route et c’était bien pour ça que je m’aventurais jamais dans nos montagnes qui regorgeaient de créature plus ou moins monstrueuses les unes que les autres…
- Oui effectivement, vous ne faites heureusement pas plus de six mètres même si le Hall pourrait accueillir pareil monstre mais on va essayer de se passer de ce genre de détails et profiter de votre simple masque.
La Capitale n’a jamais eu d’attaques de monstres venus d’autres contrés, notre armée a toujours fait le nécessaire pour contenir ses bestioles pour que nous soyons toujours à l’abri depuis maintenant quelques siècles. Ca n’a pas été toujours comme ça, on peut le voir à la taille de la muraille qui encercle la ville, deux ceintures qui nous permettent de nous défendre de l’envahisseur, pour l’instant elle nous ne sert à rien mais on ne sait jamais ce qu’il pourrait nous arriver et je ne préfère pas y penser loin de là de compter les morts par milliers.
- Mais j’avoue qu’il est très réussi, l’artiste a fait du bon travail, il manquerait plus que vous soyez recouvert de poils et pousser des hurlements, vous pourriez faire peur à n’importe qui dans les ruelles sombres...
Non pas que je lui donne une étrange idée mais si il pouvait éviter de créer un effet de monde et de créer une sorte de Arktigors-garou dévorant les enfants à chaque pleine, non on va éviter ce genre d’histoire, on dirait les livres de Sekyung et même si il avait l’air presque charmant avec son déguisement, je pouvais deviner à l'intonation de sa voix que c’était un grand blagueur, j’ai presque décelé un clin d’oeil à l’instant.
- Mon costume… hum...
Comment lui dire que je n’en sais rien de ce qu’elle m’a fait…
- Ma fille a décidé de m’habiller comme une de ses héroïnes préférées dans un bouquin qu’elle a lu récemment, ça doit être certainement le même type de lecture de la Petite-Fille Meridius d’ailleurs, cette série Crépuscule, quelque chose de ce genre là…
Une histoire alliant amour, horreur, créature mystérieuse et j’en passe, j’ai demandé à Nyx si elle connaissait cet auteur pour avoir une dédicace mais rien…
- Elle m’a dit que j’étais une buveuse de sang humain, une créature obscure du nom de Belphégor, me nourrissant essentiellement du sang de beau jeune homme lorsque le soleil se couche, elle a bien insisté sur ce point d’ailleurs, j’espère que personne n’a lu ce bouquin sinon tout le monde risque de me regarder de travers si il me prenne pour une pareille créature.
Mais a part des adolescentes, personne ne lit, je l’espère bien puis l’auteur qui a décidé de créer des créatures buveuse de sang, des Aktigors-garou, des humains au pouvoir surnaturel, cette histoire d’imprégnation, ma pupille en est fan, elle dévore les bouquins tous les soirs, je suis obligée d’arracher le bouquin si je veux qu’elle dorme.
- Oh, c’est la première fois que je croise un examinateur puis ne m’appelez pas ma Dame tout le temps, je m’appelle Haru Kumira, historienne.
Un pseudo de longue date que j’utilisais plus jeune pour qu’on me laisse tranquille, je me faisais pour une archéologue ou historienne lors de convoi d’aventuriers ou de marchands pour aller de ville en ville, mes parents m’avaient refusé que je prenne un pass de téléportation pour rejoindre le village perché et j’avais trouvé que cette ruse pour aller me balader partout dans le royaume.
- Vous pouvez rester Monsieur Indrani, je suis là pour figuration et vous me semblez de bonne compagnie sauf si vous avez à faire, vous avez certainement des bonnes histoires à me raconter sur vos aventures en tant qu’examinateur.
Il va surtout être un prétexte pour qu’on ne me dérange pas, seule je suis sujet à que des gens indésirables viennent me parler et rien qu’à l’idée de penser qu’un Meridius vienne me voir me donne des frissons.
- Vu le thème de la soirée, ça pourrait être amusant de raconter quelques histoires qui font peur, vous ne trouvez pas ?
Affichant mon plus grand sourire, je finis ma coupe pour attraper un amuse bouche qui ressemblait à un doigt découpé avec une sauce tomate en guise de sang, j’essaye de me retenir de ne pas rire mais je me contente de regarder mon vis à vis et de montrer ma trouvaille.
- Il me faut absolument l’adresse de votre chef cuisinier, il a le don de la mise en scène !
Je dévore alors mon butin d’une seule bouchée attendant que ce cher Vrenn m’aide à passer du temps agréablement au lieu de m’occuper de toutes ses mondanités.
J’ai une grimace involontaire.
« Je vais éviter de hurler dans les rues à la pleine lune, au-delà d’un aspect mauvais genre qui me vaudrait sans doute une nuit en cellule suite à l’intervention de la Garde, à raison, n’est-ce pas, évidemment… Je préfère être discret. Une question de caractères. »
Ça, c’est sûr que vaut mieux pas se faire remarquer quand on vient de suriner un type dans une ruelle sombre parce qu’il vous a cherché des noises ou que le travail le demande, que j’garde pour moi avec un ricanement intérieur satisfait. Puis, de manière générale, à part ce bon vieux Boucles d’Or, j’me dis qu’il vaut mieux pas croiser la maréchaussée, ils sont fantasques et risqueraient de me faire le coup du délit de sale gueule. C’est déjà arrivé à un collè… ex-collègue, choppé par hasard parce que sa tronche revenait pas au sergent, fini à l’exil pour la palanquée de crimes qu’il avait commis par ailleurs.
La mort peut taper n’importe quand, et parfois par les angles les plus improbables.
Puis j’ai l’explication du costume, et j’suis encore davantage dans le flou que la personne qui le porte. Et une fille, hein ? J’regarde soigneusement sous le maquillage, à la recherche des signes d’un certain âge, mais y’a rien de très flagrant. Ça veut rien dire, elle pourrait avoir mon âge ou dix ans de plus qu’on s’en rendrait pas plus. C’est comme ça que les femmes font, elles sont fortes pour tricher, sinon elles pourraient jamais travailler plus de cinq ans : elles seraient trop usées.
« Euh, ouais, c’est original, comme idée de déguisement. Après, on peut espérer que la plupart des invités ne connaissent pas ce genre de livres… d’écrits… d’œuvres… Enfin… De mots sur parchemin, quoi. Moi, en tout cas, je vous assure que je n’en avais jamais parlé. »
Mais que subitement ça m’intéresse, à voir la femme qui fait quasiment ma taille. Puis cette pensée est remplacée par une autre, plus narquoise.
« Quoi qu’il y aura la fille du vieux Raul… Monsieur Meridius, pardon, et toutes ses amies qui seront présentes. Elles trouveront sûrement une sorte de… Fascination pour une adepte de la saga Crépuscule. Par conséquent, elles éprouveront peut-être la Tentation de se rapprocher de vous, faisant fi de l’Hésitation qu’elles éprouveraient, pour avoir la Révélation à la question qu’elles se poseront inévitablement : êtes-vous l’auteure de ces ouvrages ô combien interdits ? »
Quoi qu’à la réflexion, elles auront peut-être toutes le même genre de costume, quitte à aller par là.
« A faire ? Non, non, en tant qu’Examinateur, mon rôle premier est de m’assurer du bien-être de tous les convives. Quant à mes aventures, croyez bien qu’elles sont bien moindres que ce qu’on pourrait croire. C’est beaucoup de contact humain, d’investigation, mais les vraies aventures reviennent aux aventuriers, évidemment. Cela dit, j’ai pu tomber au hasard de mon travail sur quelques histoires que vous trouverez peut-être truculentes… »
J’me creuse les méninges, avant d’en trouver une qui pourrait coller à l’ambiance.
« C’était il y a une dizaine d’années. Une famille qui comptait deux filles et un benjamin ont acheté une nouvelle grande maison, le genre immense. Chacun des enfants avait sa propre chambre, et le garçon était encore petit. Dès qu’il est arrivé dans la chambre, enfin, dès les premières nuits, il a commencé à faire des cauchemars. »
Je laisse retomber un petit effet, et j’en profite pour soulever mon masque le temps de prendre une gorgée de champagne.
« Enfin, plus précisément, un cauchemar. Toujours le même. Dedans, une femme blonde d’une quarantaine d’années était assise dans sa chambre et le fixait avec une expression mauvaise. »
J’attrape un petit four, j’en propose à mon vis-à-vis.
« Bon, évidemment, les cauchemars d’un enfant de cinq ou six ans, tous les parents les minimisent, pas vrai ? Je ne sais pas si vous avez eu pareil avec votre fille, mais voilà. Toujours est-il que cela a duré des années, au moins quatre ou cinq. Le fantôme marchait parfois dans l’escalier, autour du lit dans la chambre du garçon, se rapprochait de façon menaçance… »
Regard alentour, de petits groupes se sont formés assez naturellement, avec un camp qui occupe plus nettement la table où la majorité des assiettes sont posées. Faudra aller faire un tour là-bas à l’occasion, quand tout le monde sera occupé par le discours de l’autre empaffé qui aime beaucoup trop s’écouter parler.
« Toujours est-il que, comme ça ne s’arrangeait pas, les parents qui disposaient de quelques moyens ont fait appel à un genre d’exorciste, un prêtre de Lucy qui avait la réputation de résoudre ce genre de problèmes. Ils ne lui ont pas donné d’indications particulières, mais dès que le prêtre est rentré dans la maison, il a demandé qui était la femme d’âge moyen, la blonde qui était en train de remonter l’escalier vers la chambre du petiot. »
J’crois pas trop à ce genre d’histoires, mais le prêtre a plutôt un historique solide, et c’est de notoriété publique que certains pouvoirs s’activent après la mort du porteur, alors un ectoplasme qui hante un gamin… ça ou autre chose, on n’a jamais su.
« Moralité, les parents ont appris peu après que le couple qui occupait la maison avant eux était parti après que l’homme ait poussé sa femme dans les escaliers pour la tuer, et que depuis elle hantait la chambre du gamin parce que c’était la chambre dans laquelle ils avaient prévu de mettre leur lit deux places. Et suite à la venue du prêtre, le fantôme n’est plus jamais reparu. »
J’frissonne, pas de froid.
« Y’en a des plus horribles, c’est sûr, mais quand on pense à tout ce qui aurait pu se produire… Mais vous avez peut-être vous-même une histoire qui irait à l’ambiance ? »
Moi, l’auteure de ce genre de livres ? Ca ne fait pas partie de mes talents, la belle plume était pour Nyx, moi je me contente a des rapports et autres expertises historiques, les romances adolescentes, on va éviter de les approcher trop près et je n’aurai aucun soucis puis je ne manquerai pas d’étrangler Sekyung en rentrant pour son idée de déguisement.
- Non mes écrits sont plus classiques on va dire, je ne suis pas sûre que je les intéresserait.
C’était même sur ! Je pouvais leur raconter toute l’histoire des reines et rois du Royaume, le tout ponctué de quelques anecdotes sympathiques, c’était mes petites trouvailles, j’ai mis du temps à mettre la main dessus mais j’ai fais en sorte de les consigner dans les archives royales.
Je constate qu’il en fallu de peu pour motiver l’aventurier à me raconter quelques histoires, j’étais certainement de meilleur compagnie que le préposé à la porte, peut-être il se sert de moi pour éviter de faire son boulot pour la Guilde, dans tous les cas, ça m’est égal, je préfère ça qu’autre chose et continue de déguster les quelques amuses bouches qui apparaissent devant mon nez et prends une nouvelle coupe de ce cocktail léger.
- J’adore toutes les histoires alors allez-y je vous écoute Monsieur Indrani.
Il commence alors son récit, posant l’ambiance dès le début, lui aussi, il attrape une boisson et j’entre aperçois son visage, sa tête me dit vraiment rien mais il m’a dit qu’il s’appelait Vrenn quelque chose, peut-être que je regarderais dans les archives de la Guilde pour connaître son parcours, il a l’air d’être un bon baroudeur, peut-être que demanderai ses services pour une expédition mais écoutons son histoire avant tout.
- Oui ma fille a eu une période sombre, une mauvaise passe dirons-nous...
Je venais surtout de la récupérer après ces multiples sévices, son bourreau l’avait abandonné dans une ruelle, à moitié morte après avoir abusé d’elle de nombreuses fois mais maintenant il croupit en prison et je fais tout pour qu’il mérite l’exil pour tout ce qu’il a fait mais j’essaye de penser à autre chose et me concentre sur la voix de mon partenaire du soir mais son histoire était sordide… Je ne m’attendais pas à ça ! Rien d’y penser, j’ai des frissons et lui aussi d’ailleurs. Je m’imagine chez moi avec des bruits de la sorte et ce fantôme qui hante Sekyung toutes les nuits, entendre ses cris et j’en passe. Mais il n’y a eu aucun meurtre dans ma maison, j’en suis sûre, je l’ai fait construite et je ne vais pas m’amuser à lui dire que j’ai mon propre manoir sans dévoiler ma couverture.
- Vous avez le don de mettre la barre haute Monsieur… Houdini !
Enfin je crois qu’il s’appelle ainsi ou enfin bref, c’était le Arktigor-garou.
- Je n’ai pas d’histoire de fantôme à vous raconter ni en tant que Bélphégor, le nombre de victimes que j’ai pu de vider de son sang, non j’ai une histoire comment dire, angoissante, enfin je ne sais pas trop.
Je pose mon verre et affiche un petit sourire mystérieux à l’évocation de ce succube buveur de sang, j’imagine que dans le bouquin de Crépuscule que cette femme doit bien en profiter et si je ne demanderai pas à Nyx de faire un récit osé sur cette thématique, ça pourrait être sympathique.
- Alors ça s’est passé il y a quelques années déjà, c’était les débuts de la médecine expérimentale, vous savez, certains enchanteurs se sont alliés avec des médecins pour essayer de découvrir la vie éternelle, se régénerer après une blessure ou tout autre, il y avait même un certaine Jaime D. Cooper qui était très fort pour ça mais ce n’est pas lui que je parle, c’était dans une sombre histoire de groupuscule qui profitait de la faiblesse de jeunes femmes pour obtenir ce qu’il souhaitait.
J’ai lu ce rapport de la Garde il y a peu, ils ont démantelé un trafic d’humains qui avait ce genre de pratique mais il n’en fallait pas en rire non… ce fut réel et on ne connaît pas le nombre de victimes exacte.
- La technique était assez simple, un beau jeune homme faisait la cour à des jeunes femmes près du Grand-Théâtre de la ville, il propose ensuite de les suivre dans la taverne après quelques verres, il mettait toujours une sorte de produits pour désinhiber la personne jusqu’à le rendre inconsciente mais il faisait ça tellement bien que le tavernier ne se rendait compte de rien, il faisait en sorte de toujours draguer sa proie au comptoir, montrer sa proximité, on pourrait penser à un jeune couple amoureux, les barrières tombent, la proie est pris au piège, il dit qu’il la ramène chez elle, elle a trop bu et il l’a prends telle une princesse et l'emmène loin d’ici.
Prenant un air plus sombre, nous avons maintenant la partie sombre de l’histoire, on peut penser qu’il a abusé d’elle ou autre mais non c’était tout autre, il avait un protocole tellement minutieux que la victime se rendait longtemps après.
- L’histoire peut paraître simple mais non, la fille se retrouvait alors à Grand-Port le lendemain matin, près du quai d’embarquement avec une douleur au niveau du ventre, elle voit une grosse brûlure de la taille de la main mais rien de plus. Bien entendu, elle va au premier dispensaire du coin pour savoir son état de santé, les médecins expliquent qu’elle n’a eu aucun sévice sexuelle et autres puis la Garde l’escorte de nouveau à la Capitale mais cette histoire se répètent plusieurs fois quand justement le célèbre Docteur Cooper met son grain de sel et décèle sur la dernière fille le pot aux roses...
Lui laissant un certain temps pour essayer de deviner la suite, je regarde l’assemblée, un groupe de jeunes filles nous regardent depuis tout à l’heure, nous pointent du doigt et ricanent mais je fais abstraction pour finir mon histoire.
- Il lui manquait un rein… oui, oui, en une nuit ils avaient opéré leur victime avait fait en sorte que c’était une sorte de brûlure, une sorte d’accident ou un jeu qui a dérapé…Bon je vous fais la version courte, ils ont essayé de trouver des traces de magie et autre et c’est finalement une fille sous couverture qui a permis de retrouver ce groupuscule, enfin tout ça pour dire qu’il faut se méfier des jolis garçons dans les tavernes, ça paraît toujours louche les hommes trop parfaits !
Mais a peine que je finis ma phrase, une horde de jeunes adolescentes se collent à nous, les yeux brillants, la plus grande de tous qui ressemblent à la petite-fille Meridius prends la parole devant ses copines.
- Regardez les filles ! Papy m’a fait venir les personnages du livre, regardez c’est Belle et Jack ! Si regardez, vous êtes trop beaux ! Allez mettez vous à côté et refaites la scène du baiser !
Je cherche des yeux mon partenaire, pourvu qu’il refuse et c’était mort, même pas en rêve j’embrasse un mec barbu puis je ne sais pas même pas qui sait ce Ken… Indi ?
- Vous vous méprenez mademoiselle, vous faites erreur, c’est un simple déguisement pour la soirée, c’est tout….
- Allez s'il vous plaît pour mon anniversaire !
- J'ai dis non, ce n'est pas possible !
L’histoire racontée par Haru Kumira est suffisamment prenante et horrible pour que je regrette plusieurs fois que ma coupe soit vide. C’est qu’elle est bien racontée et qu’elle pourrait arriver à n’importe qui, pas uniquement à une femme. Finalement, le plus étrange avec cet événement, c’est que je n’en ai pas entendu parler. Généralement, dès qu’il y a un mauvais coup dans lequel traîner, j’me retrouve toujours plus ou moins au courant. C’est d’abord beaucoup de travail, hein, évidemment, mais c’est surtout pour se tenir informé, rester à la pointe.
Encore que jamais j’aurais fait ce genre de trucs, c’est quand même sacrément crade.
Ou alors pour une somme d’argent considérable, peut-être.
Alors que j’me creuse la soupière pour essayer de trouver une nouvelle histoire à la hauteur, on est interrompu par l’arrivée de la basse-cour pour laquelle ma présence a été requise. J’suppose que la p’tite de Raul doit être dans le lot, mais franchement, avec la fraîcheur de la jeunesse –allez, dix-sept ou dix-neuf ans ?- c’est difficile de reconnaître ses traits dans n’importe laquelle des jeunes femmes soigneusement apprêtées qui nous font face. J’ai envie de dire que y’a que chez les riches que ça glousse comme ça, mais quiconque passe du côté des lavandières sait bien que non.
Sale coïncidence, apparement, mon costume fait la deuxième moitié de celui de séductrice de… ben, ma séductrice, hein, disons-le. Ça doit être pour ça que le vendeur m’a dit que ce serait à la mode. Et si j’serais pas contre embrasser ma charmante invitée, ses dénégations féroces et immédiates mettent un terme à l’envie. J’ai des principes, après tout.
C’est toujours une personne qui est d’accord, généralement en échange de quelques cristaux, mais, hé, parfois c’est gratuit.
J’range ma déception au placard et j’m’incline élégamment devant les petites poules.
« Allons, mesdemoiselles, jour d’anniversaire ou non, il est indélicat de brusquer une jeune femme. »
Dommage, elles arrivaient deux heures plus tard, j’suis sûr ça passait.
« Et puis, tout de même, demander à deux inconnus de s’embrasser… »
L’une d’elles plisse les yeux, la lumière se faisant enfin à travers les brumes du demi-verre de rosé qu’elles ont peut-être bu il y a une heure.
« Vous voulez dire que… ce n’est pas Papy qui vous a demandé de venir ?
- C’est bien Raul Meridius qui nous a invités, mais il n’avait pas la moindre idée de nos costumes. »
Coups de coudes et chuchotements, moue douteuse d’une autre de la joyeuse troupe.
« Et vous ne vous connaissez pas ?
- Absolument pas, Mademoiselle. »
Gêne, maintenant, mais tout ça est vite interrompu sans un mot d’excuse quand les lumières se baissent brusquement toutes pour ne laisser éclairée qu’une petite estrade au fond de la pièce. Les jeunes filles se retournent dans un bel ensemble de froufroutements, et un lourd effluve de parfums m’arrive aux narines. Y’en a qu’ont joué avec la bouteille de maman, on dirait, heh ?
Sur l’estrade, devant le groupe de quatre musiciens, une personnalité que tout le monde connaît entrechoque une petite cuillère en argent avec une coupe en cristal. J’repartirais bien avec un souvenir, moi… Sa voix encore puissante malgré l’âge retentit dans tout le grand hall de la Guilde.
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, c’est un plaisir de vous avoir parmi nous. Je suis ravi de fêter avec vous les dix-sept ans de ma petite-fille, Fidelia. »
Les lumières s’allument autour d’elle pour que toute la foule rassemblée puisse la contempler. Dix-sept ans ? Le maquillage la vieillit juste ce qu’il faut, alors, et confirme tout à fait les rumeurs : elle est sacrément mignonne. J’m’éloigne doucement du cercle lumineux histoire de laisser les admirateurs faire leur travail, et pas risquer de me retrouver pris dedans.
« Je tiens à remercier la Guilde des Aventuriers, dont je fais partie, pour m’avoir laissé utiliser le grand hall à titre exceptionnel. C’est avec une joie non-dissimulée que je fête l’anniversaire de Fidelia dans ce lieu dans lequel j’ai tant vécu, et… »
Il en profite pour voler un peu la vedette à sa gamine, qu’avait qu’à vouloir son propre discours. Elle-même doit en avoir un peu conscience, parce qu’elle se met à chuchoter avec ses copines au lieu d’écouter religieusement ce que raconte papy. Il nous rappelle ce qu’il a pu faire dans sa vie, à quel point il est important et qu’il aime la Guilde et son pays. Bref, le tremblement habituel. Le plus gros souci, c’est que les serveurs écoutent aussi et que y’a pas moyen de chopper un petit four ou une coupe quelque part.
« … et je tiens d’ailleurs à remercier notre chère Première Ministre, Haru du Lys, qui se trouve sans nul doute parmi nous. Certains d’entre vous l’ont peut-être croisé, pour leur plus grand bonheur, même si je dois confesser que ce n’est pas encore mon cas ce soir. Peut-être nous adressera-t-elle quelques mots ce soir et… »
Ah ouais, les petits plats dans les grands, même la ministre en chef vient nous gracier de sa présence.
Ça fait chaud au cœur, de voir les puissants se rassembler tous ensemble autour du pognon.
Ces jeunes femmes ne semblaient pas en démordre et je ne voulais surtout pas hausser le ton de ma voix, ce n’était pas mon genre, j’étais de nature calme et posée, enfin c’est que je m’efforce de me faire croire à moi-même mais il y a des jours ou je voudrais tout simplement tout jeter par-dessus la fenêtre et me morfondre dans mon canapé comme toute fille à papa riche qui ne fait rien de ces journées à part dilapider son argent et courir derrière les beaux et riches prétendants… je pouvais en compter par dizaine des filles de ce genre et celles que j’avais devant moi étaient de la même trempe, pourries gâtées qui pensent que tout leur ai dû mais c’est Vrenn qui réussit à prendre la main de la chose, tiens je me rappelle de son prénom… peut-être un mouvement de faiblesse toute à l’heure, certainement une sorcière qui a dû me jeter un sort éphémère, le cuistot a pu faire la blague de nous pimenter un peu les cocktails, les aventuriers ont toujours eu un humour… particulier dirons-nous.
L’arktigor-garou qui me sert de chevalier on va dire pour la soirée, parle presque avec délicatesse pour arranger le coup, je le remerciait chaleureusement plus tard, il aurait pu profiter de la situation, peut-être il y a encore quelques années, je l’aurai fait mais je ne sais pas qui se cache derrière ce masque, cette petite part de mystère rend toujours les choses plus… appréciables dirons-nous. Maintenant que les enquiquineuses ont décidé de rebrousser chemin, je souffle intérieurement, il reste encore quelques heures à tuer quand l’autre balourd de Meridius monte sur l’estrade, voilà qui va parler pendant des heures et montrer ses richesses aux yeux de tous.
Je finis par chuchoter tout doucement à mon voisin.
- Je n’ose pas imaginer le jour où elle a dix-huit ou si elle se marie, il va vouloir louer le Palais le connaissant.
Et il en serait totalement capable mais même si il continue à faire son beau devant la Couronne et quelques hauts fonctionnaires, ce n’est pas comme ça qui pourra obtenir ce qu’il veut loin de là… mais j’ai cru qu’il m’avait oublié quand tout d’un coup dans son long discours ennuyant, mon nom apparaît soudain… j’étais fichue, les têtes se tournent dans l’assemblée, essayant de rechercher ma présence, mon déguisement avait réussi son job une partie de la soirée mais je sentis maintenant quelques regards insistants sur moi, c’était fichu, je vais devoir y aller.
Je tends alors ma coupe à mon compagnon du soir et adresse mon sourire le plus chaleureux tout en lui glissant quelques mots.
- J’étais ravie d’avoir fait connaissance avec vous Monsieur Indrani ce soir. Puis j’espère qu’on aura l’occasion de se revoir dans des tenues plus conventionnelles dirons nous.
Je me glisse alors dans la foule pour me retrouver aux pieds de l’estrade, je prends une grande inspiration intérieure pendant que j’entends le public m’applaudir, le vieil homme me tends alors son bras pour m’aider à monter et ensuite me serrer la main avec beaucoup trop de rigueur. Il m’accompagne jusqu’au milieu de la scène, sa main dans mon dos, le frôlant légèrement, si il descends, je le tue et je m’en fiche de la politique et de mon éducation, il n’est pas le maître du monde celui-là mais je garde mon sourire ne fit rien et me place au centre, la lumière en plein dans les yeux, je ne vois pas l’assemblée mais ce n’est pas grave, je prends le porte-voix magique et commence mon discours que je dois encore improviser pour l’occasion.
- Bonsoir à tous, merci de votre accueil ainsi qu’à Sir Meridius qui nous a concocté un magnifique banquet costumé pour sa petite-fille Filédia, joyeux anniversaire encore Mademoiselle.
Je fis un signe de tête à la jeune femme, ses copines gloussent à côté d’elle, j’évite de lever les yeux au ciel mais l’intention y est.
- Je vais essayer de ne pas prendre trop de votre temps mais la Couronne est heureuse de participer chaque année à ce traditionnel banquet, comme chaque année, l’organisation est parfaite, on peut remercier l’ensemble du personnel de la Guilde, j’ai cru comprendre que certains Examinateurs ont même mis leur petite touche avec ce thème. D’ailleurs comme vous pouvez le voir, ma fille adore également cette série, ce soir on m’a prise plusieurs pour cette célèbre Belle ou encore l’auteure directement Typhaine Meyer, je tiens à rétablir la vérité ce n’est pas moi mais si elle est dans la salle, je serai ravie de la rencontrer !
Un sourire s’affiche sur mon visage, Sekyung serait plus qu’heureuse de savoir que son écrivaine préférée pourrait prendre le thé chez nous, je vais y penser sérieusement, une idée de cadeau, ça pourrait être pas mal.
- En tout cas, n’oubliez pas de montrez vos grimaces les plus terrifiantes sinon vous allez devoir donner des gourmandises ou autre apéritif en échange ! Voici la règle du jeu de la soirée !
Effectuant une courbette d’usage, je quitte de nouveau la scène laissant le vieux continuer son discours, je file en douce vers une grande table pour reprendre un autre cocktail couleur sang ainsi que souffler un peu...
J’manque de m’étouffer sur le petit four avocat-épices-œufs de poissons quand le vieux Raul appelle la ministre en chef et que c’est ma voisine qui se dirige d’un pas maîtrisé vers l’estrade. Pas qu’elle soit à l’aise qu’est surprenant, ça c’est bien le minimum. Non, plutôt que j’étais en train de discuter à bâtons rompus avec, quoi, la troisième personne la plus puissante du royaume ? Et que ça s’est pas joué à grand-chose pour que nous échangions un baiser fougueux ?
Les collègues vont pas en revenir quand j’vais raconter ça, un coup à s’faire payer des verres. Ils me croiront pas, mais l’histoire sera croustillante quand même.
Par contre, j’espère bien qu’on se recroisera pas avec nos tenues habituelles, j’risquerais de pas être dans l’ambiance, hé.
Bon, j’vais pas mentir, son discours est aussi inintéressant que celui de Meridius, mais en même temps, dans ce genre d’événements, c’est davantage une formalité socialement obligatoire que le moment de faire des révélations capitales. J’fais passer l’amuse-bouche avec une gorgée de champagne, et j’envisage sagement de retourner me couler parmi les ombres au lieu d’attirer le regard des puissants, ce qui est beaucoup trop dangereux pour ma carrière.
D’un autre côté, je suis là en capacité officielle d’Examinateur, mon nom est sur les parchemins, et à la fin d’une bonne nuit de sommeil, elle m’aura de toute façon oublié. Le maître-mot de la soirée, c’est de s’amuser, et j’pense que ne pas profiter de l’occasion pour rigoler avec la haute serait un peu du gâchis. Engoncé dans mon pouvoir, ma sérénité revient, et je me prépare à la rejoindre au niveau du buffet.
En fait, j’aurais dû m’en douter, mais tout le monde a eu la même idée, encore que pour d’autres raisons. Tout le monde veut parler à la patronne de la soirée, donc l’attroupement qui s’est constitué est au bord de l’émeute. Ils sont pas censés être bien élevés et éviter de se jeter sur elle comme un fenrir sur citoyenne alcoolique ?
J’esquive une femme d’une cinquantaine d’années avec un chapeau noir pointu et un chat couleur nuit sur l’épaule, et j’attrape fermement un blini recouvert d’une mousse indéfinissable au premier coup d’œil. Deux secondes plus tard, un goût étrange en bouche, je regrette mon choix et cherche quelque chose qui pourrait le faire passer.
Mais v’là-t’y pas que le vieux ponte de la Guilde remonte sur scène pour nous raconter ses salades interminables. Les lumières prennent une teinte davantage froide, et un des instruments émet un long son lugubre, mais j’ai pas vu lequel ni comment.
« Chers invités, donc… »
Toutes les lupiottes magiques s’éteignent brusquement, ce qui risque de rendre le concours de grimaces de Haru du Lys un poil plus compliqué, ou au contraire un brin plus effrayant. Quelques cris retentissent quand les chauves-souris refont un passage juste au-dessus des convives, voire arrachent quelques chapeaux qui ont attiré leur convoitise.
Une brume spectrale monte au niveau du sol, nous empêchant de voir sous nos genoux. Y’a pas à dire, l’animation est à la hauteur. J’sens un truc frôler brusquement mes mollets avant de filer plus loin, et à voir les réactions de mes petits camarades dans la pénombre, j’suis pas le seul. J’évite de marcher dessus par réflexe, quand même, ça ferait mauvais genre.
Un long hurlement retentit alors, pour s’achever dans un borborygme étouffé. La lumière se rétablit Raul, le visage couvert de sang sur la scène, qui s’effondre au sol, avant que dans un clignotement il n’en reste plus qu’un petit quart qui éclairent difficilement le grand hall.
Hé, si j’avais quelqu’un à assassiner, ça serait le bon moment. Si j’avais su, j’aurais creusé les contrats…
Les tentures tendues en travers des fenêtres remuent, agitées par un vent pourtant inexistant. Et toute la salle, malgré le bruit, entend des grattements de griffes aux fenêtres.
J’ai fais mon travail, petit discours qui n’a aucun sens, j’ai remercié les hôtes de la soirée, l’organisateur et tout le reste, tout le monde s’en fiche mais c’est en mon devoir de le faire comme tout représentant de la Couronne, faire jolie était mon autre fonction et j’avais réussi à me camoufler dans la masse pendant quelques temps, ça m’a valu peut-être une heure de tranquillité mais maintenant que je suis repérée, tout le monde va essayer de cirer mes bottes, pourvu que des têtes connues viennent me voir, la conversation aura au moins le mérite de me faire plaisir et je n’aurai pas besoin de feindre l’intéressement.
D’ailleurs deux femmes d’un certain âge viennent me parler, louant la qualité de mon costume et que leurs filles du même âge que la fille Meridius étaient timide et voulait absolument prendre un souvenir avec un cadre magique, être avec leur idole… un rêve… Je me contente d’accepter par pure politesse,qu’elles pourront venir me voir tout à l’heure si elle le souhaite mais pour l’arktigor-garou, c’est une autre histoire, je ne pouvais pas leur promettre d’avoir aussi mon “ amoureux “, si Nyx savait ça, je pense que je vais passer une excellente soirée même avec toutes les explications au monde.
Comme sauver par le gond, le grand-père se replace sur l’estrade et commence un nouveau discours, qu’est-ce qu’il va nous dire encore, je pose alors ma coupe de champagne sur le buffet, si je dois encore y aller pour une quelconque courbette, autant ne pas s’encombrer pour rien. Attentive, je regarde la foule qui écoute de manière plus ou moins sérieuse, la mise en scène est de retour, les chauves-souris certainement contrôlés par un aventurier avec ce genre de pouvoir, elles frôlent avec précision les cheveux de certaines personnes, quelques cris hystériques se font entendre, je souris légèrement, c’était plutôt amusant, j’étais dans un coin de la salle, je risquais pas grand chose. Mais le clou du spectacle, c’est la brume qui surgissent sous nos pieds, j’étais contente de ne pas avoir des nu-pieds, la saison ne s’y prêtaient pas de toute façon, je me crispe instantanément quand je sens quelque chose me passer entre les jambes, mon rythme cardiaque augmente, ça ne va pas le faire, allez Haru ne panique pas, joue ta ministre forte mais quand on entends le cri d’un homme ou une femme, on n’en savait rien mais ce n’était pas prévu, les lumières se rallument en trombe et on trouve un corps inerte couvert de sang sur le visage au sol.
La situation est critique, Lancelot, mon garde, n’est pas là, je suis sans protection et ce n’est pas avec mes petits bras que je vais faire quelque chose, quelqu’un a réussi à atteindre le maître de la soirée devant les yeux de tout le monde, j’étais peut-être la prochaine cible, qu’est-ce qu’il m’a pris de venir ici seule.. La panique m’envahit mais rien ne me dit que Raul soit mort mais m’exposer n’était pas une bonne idée surtout qu’on voit les rideaux de la scène virevoltée, la porte était pourtant fermée, bon… soit c’est une comédie et c’était de très mauvais goût, soit nous étions dans une mauvaise situation, je ne connaissais personne pour me sortir de cette situation sauf…
Je reconnais ce masque c’est Monsieur Indrani, l’examinateur de la Guilde, il doit connaître les lieux comme sa poche, j’arrive à son niveau et lui attrape le bras, j’essaye d’être discrète, ne pas montrer que j’étais paniquée merci le maquillage qui doit cacher une bonne partie de mes émotions.
- Monsieur Indrani, j’aurai besoin de votre aide s’il vous plaît.
Du bruit à l’extérieur fait tourner les têtes vers le côté Est du bâtiment, comme des griffes qui essayent de gratter la vitre.
- Ne me dites pas qu’on se fait attaquer en pleine ville, rassurez moi, c’était dans le programme non ?
Il devrait être au courant, je connais le patriarche Raul farceur mais faire trembler toute une assemblée, simuler sa mort, c’était trop extrême, plus jamais je lui donne l’autorisation de faire une soirée de ce genre, plus jamais.
- Dites moi que tout ça est faux !
Resserrant un peu plus sa prise sur son bras car la fouille paniquait tout autour de nous, on a du mal à se faire entendre, des hurlements se font maintenant entendre, la foule part dans la direction opposée, les lumières s’allument et s’éteignent quand des pas lourds se font entendre sur le toît, les lustres s’agitent, la poussière tombe, les chauves-souris sont incontrôlables…
- Connaissez vous un lieu sûr Indrani, il faut qu’on trouve un moyen de prévenir la Garde aussi ?
Mes yeux lui implorent de m’aider, je n’aimais pas être redevable à un total inconnu mais je n’avais pas le choix...
La patronne revient me voir, s’accroche à mon bras. Hé, mon charme légendaire aurait-il fini par faire effet ? Elle a même besoin de mon aide, ça attise suffisamment ma curiosité pour que je me détourne du spectacle quelques secondes. Dans ce qui est maintenant la pénombre ambiante, son visage est difficile à distinguer, mais pas les lignes de son corps. En tout cas, dans la salle, on assiste à un mélange de stupeur, un début de peur, un zeste d’expectative.
« Mais bien sûr, Madame la Première Ministre, que vous faut-il ? »
Puis elle évoque une attaque, alors j’fais l’effort d’y accorder un brin d’attention. C’est vrai que les pontes sont là, aussi bien de la Guilde que du Gouvernement. Y’a moyen de taper un grand coup, y’a pas à dire, pour foutre le bordel dans la fourmilière. Si j’faisais partie d’un groupuscule anarchiste, si j’étais un opposant politique, ou juste un déséquilibré, c’est vrai que ce serait le moment idéal pour se farcir la du Lys. A sa place, j’serais inquiet.
Je tourne la tête pour la regarder bien en face, mon masque d’arktigor sûrement bien plus intimidant maintenant que l’ambiance est plus tamisée. Et je souffle d’une voix un peu rauque :
« Un programme ? Quel programme ? »
Et là, c’est une forme d’épiphanie. Haru du Lys est là, en face de moi, elle a l’air d’être inquiète, méfiante, à défaut de terrifiée. Elle trône au sommet de la grande meute d’Aryon ou presque, elle préside aux destins de centaines de milliers de gens, des tas de chiffres sur des parchemins qu’elle doit rayer ou valider d’une fioriture de sa plume. Et pourtant, elle est au milieu de la foule, seule et plus ou moins sans défense, et tout peut s’écrouler comme un château de cartes.
J’essaie de pas me faire intimider par le genre d’apprentissage pavlovien qu’on se fait inculquer depuis la naissance sur les gens qui valent mieux que nous autres du bas-peuple, mais force est de constater que c’est pas facile. Nan, ce qui serait facile, ça serait qu’au prochain clignotement des rares loupiotes magiques, je lui glisse un surin entre les côtes, et que je m’écarte de quelques pas. J’joue avec la pensée, fascinante, presque hypnotisante, avant de la laisser tomber.
C’est que, d’une, j’tue pas par plaisir, uniquement pour le travail ou pour régler des problèmes. Et de deux, malgré les craintes de notre chère première ministre, on doit pas être loin de se trouver dans le lieu le plus sûr de la Capitale actuellement. En tout cas, la concentration de Saphyrs doit être impressionnante, et si y’a bien un endroit où pas faire le malin, c’est sous leur nez.
Mais, hé, ça n’empêche pas de s’amuser un peu, pas vrai ? Le vieux Raul l’a bien compris, et en tant que son subordonné, je me dois de faire en sorte que tout se déroule comme il l’avait prévu.
« Mais Haru, tout ce que vous voyez ici est vrai, voyons. Vous ne sentez pas ce courant d’air d’une fraîcheur spectrale ? »
Et, effectivement, les rubans, cheveux sortis des coiffures et autres décorations se sont mises à s’agiter dans un vent qui rappelle la Frontière à ceux qui ont eu la malchance d’y aller. De l’air froid, qui fait se dresser les poils de la nuque et des avant-bras, et sur lequel, en tendant bien l’oreille, on a l’impression d’entendre un genre de cri lointain, terrorisé, agonisant. Ça, c’est du Saphyr ou j’m’y connais pas.
« Un lieu sûr ? Mais nous sommes en lieu sûr, que j’souffle en me penchant sur elle. Qu’est-ce qui pourrait arriver de pire, après tout ? »
Les loupiottes s’éteignent à nouveau, seulement quelques instants ont passé depuis la vraie, ou fausse, qui sait ? mort de Raul. Et à côté de lui, quand elles se rallument, un huitième cette fois au lieu d’un quart, on peut voir un grand échalas à côté du cadavre. Il porte ce qui est manifestement un masque en porcelaine, avec un grand sourire fin comme une lame. Fin comme la lame à morsure dentelée couverte de sang qu’il tient dans sa main droite et qu’il agite doucement en direction de la foule. Les musiciens derrière lui sont pétrifiés, et le violoniste laisse tomber son archet qui, dans le silence, résonne beaucoup trop en tombant par terre.
Puis l’inconnu soulève son masque, et en dessous, au lieu d’un visage, il n’y a qu’une bouche béante et une langue noire qui vient goûter le sang du poignard. Pas d’yeux ni nez, je réprime, puis me laisse aller à un mouvement de dégoût histoire d’encourager du Lys.
Puis je chantonne doucement.
« C’est chacun son tour, Haru. Et c’est peut-être le tien qui vient. »
J’étais heureuse d’avoir trouver une tête connue en quelque sorte mais encore une fois, dans cette lumière sombre, cette brume qui nous permettait plus de voir ce qu’il se passe à nos pieds, j’avais les méninges qui fonctionnaient à vive allure, qu’est-ce qu’il pourrait bien m’arriver, je suis dans la Guilde, les entrées ont été contrôlé puis avec tous ses saphirs, on risque rien même si il y avait ces bruits qui semblaient provenir du toit puis si c’était un coup monté, Vrenn me l’aurait dit non ?
Cette pénombre n’arrange pas les traits de son masque, ni cette voix qu’il prends. Je ne sais pas si j’étais plus choquée qui m’appelle par mon prénom ou les suggestions qu’il me fait sous ce doux murmure. J’ai eu à peine le temps d’y réfléchir à une quelconque remarque que voilà que les lumières s’éteignent de nouveau, nous plongeant dans une obscurité qui ne dit rien qui vaille, je sens des bestioles se faufiler autour de mes pieds puis la salle est allumée avec juste quelques sources de lumière pour nous offrir un nouveau spectacle.
Je ne sais pas comment qualifier la chose avec ce masque et ce couteau ensanglanté mais les musiciens tout autour prennent peur, une cacophonie se fit entendre, les gens crient lorsqu'il soulève le masque pour voir quelque chose de monstrueux. Je me raidis aussitôt, me demandant ce qu’il se passe quand j’entends les paroles de Vrenn, je fis aussitôt un bond mais la table me bloque, je me sens prise au piège et mon esprit me joue des tours, j’entends des hurlements, des pas derrière moi, de nouvelles chauves-souris font leur apparitions.
- Qu’est-ce que vous racontez Monsieur Indrani, je ne vous comprends pas.
J’essaye de reculer, contournant la table quand je sens quelque chose me grimper sur l’épaule puis sautiller partout, il avait la taille d’un Gloot, ressemblait à un Gloot mais était tout noir et des pattes sur son abdomen, comme si on voulait imiter des araignées puis tout un régiment arrive dans mon dos, poussant des cris étranges et s’amusent à courir partout dans la salle.
- Qu’est-ce qu’il se passe encore ! C’est bien des Gloots qu’on voit là non ?
Puis des lumières apparaissent entre les personnes, des feu-follets ? Celles-ci s’amusaient à s’éteindre et s’allumer dans une sorte de danse calculée, il y en a une qui se met devant mon nez, je pousse un cri de surprise et bascule sur la table, je ne m’y attendais mais je me relève aussitôt et je sens une présence derrière mon dos, je me tourne et je retrouve la chose qui était sur scène, je ne réfléchis pas une seconde pour me baisser et passer sous la table pour m’échapper dès que possible mais mon masque s’accroche avec la nappe quand je me soulève, toute la vaisselle tombe et mon masque finit sur mes yeux. Je prends tout de même la peine de courir pour taper dans quelque chose….
Je suis sonnée quelques secondes lorsque je tombe au sol, je ne vois plus rien mais à peine les yeux ouverts, je tombe nez à nez avec un Arktigor, je ne contrôle alors plus rien, je suis sur mes fesses, je tremble et j’hurle de tout mon corps...
- Va-t’en sale bête !
Putain ce qu’on se marre !
Après l’apparition du tueur mystérieux de Raul, on a eu droit à une invasion de gloots mutants, noirs et davantage proches d’un genre d’araignées. Ils grimpent le long des tentures, des jambes, des dos. J’frissonne visiblement quand j’sens leurs petites pattes grouilles le long de ma nuque. Pour improbable que cela soit, jouer sur les instincts primaires des convives fonctionne : les femmes aux déguisements révélateurs hurlent ou sanglotent, ce qui gâche passablement leurs maquillages.
Ceux qui sont plus dégourdis tentent de les éjecter au sol, de les claquer, de les déloger. Mais c’est peine perdu, pour un qui retombe dans la brume qui recouvre les dalles, y’en a dix qui grimpent en s’accrochant dans les cheveux avant de sauter plus loin. C’est le moment où, quand même, ça risque de dégénérer un brin si un aventurier un poil trop énergique décide de jouer de son pouvoir et envoie un truc massif…
Mais au-delà de quelques actions qui tiennent davantage du pétard mouillé, heureusement, il n’y a pas grand-chose.
Quand la marée de gloots noirs baisse enfin un peu, c’est le retour des feux-follets qui fournissent un éclairage absurde, vert, rouge, orange, au grand hall maintenant méconnaissable. Par réflexe, j’évite de foutre les doigts dedans, tout en étant intimement… ou presque, persuadé qu’il s’agit d’une illusion extrêmement réussie. Mais ça veut pas dire que j’ai envie de prendre le risque de me brûler au troisième degré.
C’est notre chère du Lys qui goûte un peu moins l’humour du vieux Raul. Bon, humour qu’on admettra assez limite, mais sa petite-fille pourra pas se plaindre qu’elle aura pas eu sa dose de spectacle. Avec tout ça, il a dû magouiller sec auprès des saphirs de la Guilde pour qu’ils lui fassent une animation du tonnerre. Et on sait tous que les vieux monstres aiment bien rigoler de temps en temps, ça les change des moments où ils combattent d’autres vieux monstres à la frontière.
Parfois, j’suis content de pas avoir un pouvoir qui sert à ça.
Bon, j’avoue, quand Haru se vautre par terre en essayant d’échapper au faux tueur tout à fait dégueulasse, j’me sens un peu désolé pour elle. La vue est sympathique mais une blague d’anniversaire devrait davantage cibler la gamine dont on fête la naissance plutôt que la taulière qui vient ajouter un peu de prestige à la soirée. Faut dire que y’a pas vraiment de raison de tuer les autres, d’où l’inquiétude de la première ministre. C’est une vie avec une saine paranoïa, ça, pas si éloignée de la mienne finalement, hé.
Puis toute la vaisselle tombe au sol dans un grand fracas et le meurtrier me donne un coup de coude en me soufflant « C’est à toi ! ». Bon, j’vais pas empêcher le type de s’amuser non plus, pas vrai ? En tant qu’arktigor-garou sorti tout droit de Crépuscule de la mère Meyer, j’me dois de tenir mon rôle et pas décevoir les attentes exprimées plus tôt par notre première ministre.
J’pousse un hurlement dément, douleureux, qui part dans les aigus avant de redescendre dans un grondement rauque que mon voisin, que je ne vois plus mais que je sens confusément encore, amplifie afin de s’assurer que tout le monde ait la chance de l’entendre. Les tentures qui couvrent les fenêtres sont arrachées violemment –par qui, par quoi ?- et laissent briller une lune beaucoup trop ronde, blanche, et gigantesque pour être réelle.
Puis mes mains semblent devenir des pattes, les ongles des griffes. Je me les plante dans le masque, sans rien sentir. Puis je tire vers le bas tandis que les échos de mon cri retentissent encore. Les gloots s’agitent, pépient, les chauves-souris semblent paniquer tout autour. J’me plie presque en deux, et j’vois autour de moi mes vêtements comme se déchirer alors que je les porte toujours, puis un large dos couvert de poils drus en jaillir. Transformation, donc.
J’tombe à quatre pattes, mon museau s’allonge, je grossis considérablement… ou plutôt, l’illusion autour de moi grossit considérablement. Moi, j’suis dedans, et ça suit un petit peu mes mouvements. Mes voisins s’écartent précipitamment, et quand Haru du Lys repointe la tête de sous la table, elle se trouve face à l’arktigor, le vrai, le méchant, celui qui tue des gens. Un hurlement bestial lui souffle une haleine probablement délétère au visage, illusion encore : la mienne ne sent que les cocktails et les petits fours.
Si j’me goure pas, ça devrait être le clou du spectacle. Aucune idée de comment la situation est censée se désamorcer, mais j’suppose que Meridius avait prévu un truc. J’aurais bien aimé être courant, cela dit, si c’était pas de la pure improvisation. Ou toucher un bonus, qui sait ? Nan, ça m’paraît faire preuve d’un optimisme déraisonné.
« On finit comment ? Que j’chuchotte. »
Petit ricanement d’un voisin qui est là sans l’être, dans l’illusion de l’arktigor.
« Aucune idée, on verra bien. Je pourrais continuer des heures. »
Je suis au sol, la gueule béante du monstre en face de moi, il pousse alors un rugissement sorti de nul part, je n’avais jamais approché un Arktigor de près même de loin, je ne mets pas les pieds près de la Frontière, plus loin j’étais, mieux je me portais mais cet hurlement qui était étrange au début se voit décupler au fur et à mesure de ce long cri. Ca me retourne les entrailles mais ma raison me dit encore que ce n’est pas possible que je sois face à une bête au sein de la Capitale et encore moin dans le Grand Hall de la Guilde, ce n’est pas possible qu’une telle chose arrive surtout avec tous les Saphirs dans les environs qui se feraient une joie de détruire l’animal d’un coup d’épée majestueux !
Mais je n’étais pas au bout de mes peines quand la lumière de la Lune frappe le monstre, quelque chose avait arraché les rideaux et on voyait alors l’astre gigantesque à la fenêtre, même un peu trop grosse, je suis étonnée, je ne comprends pas, est-ce un événement astronomique dont je n’ai pas eu connaissance ? Quoi qu’il en soit, le monstre grossit à vue d’oeil, prenant l’allure de la bête qu’on décrit dans les bouquins, l'odeur en moins certainement. L’homme qui semblait s'appeler Vrenn il y a quelques instants se transforme devant mes yeux, non ce n’est pas possible, ça n’existe pas les Aktigor-garou, ce n’est qu’une pure fiction ! C’est un cauchemar, tous les animaux autour percevaient la menace, eux aussi prenaient peur, les gens s'éloignaient de moi au fur et à mesure, personne ne va venir m’aider ça c’est sûr…
Un autre cri encore plus redoutable se fait entendre, sa gueule est trop près de mon visage, j’essaye de m’éloigner mais je suis prise au piège contre un pilier, je ne sais plus quoi faire, j’entends des chuchotements, je ne comprends pas leur parole tant que mon coeur bat dans ma poitrine, j’aime même l’impression que si mes côtes n’étaient pas là, ça ferait longtemps qu’il aurait quitté son emplacement, je sens les sueurs froides dans mon dos, ça en était fini pour moi et je me dis que j’aurai dû investir dans un enchantement qui me permettrait de fuir dans une telle situation mais non rien, je suis venue avec mon collant, ma belle gueule, les mains dans les poches, voilà ce que je gagne…
La bête prends l’initiative de vouloir me dévorer ou du moins approcher sa truffe près de mon visage et mon seul réflexe fut d’essayer de parer le coup avec mon pied en avant, il pourrait en faire que d’une bouchée, c’est sûr mais mon pied traverse le museau sans aucune difficulté, je ne comprends pas…Je reste béat quelques secondes, il y a qu’une explication à cela.. Je tends la main pour faire l’expérience et pareil, je traverse encore, c’était une illusion !
- C-c-e n’est p-p-p-ossible !
Prenant appui sur mes mains, je me redresse, l’air sévère, mes jambes encore tremblantes mais ma colère l’emporte sur mes peurs, je me dirige aussitôt vers ce Vrenn, pour l’attraper aussitôt au col, en tant normal je ne l’aurai jamais fait mais je sens ma force se décupler sur le coup. J’active aussitôt mon pouvoir, lui soulève son masque pour voir son visage, le regard dans les yeux.
- Vous avez vingt secondes pour m’expliquer la situation sinon vous allez devoir trouver des arguments pour je ne vous fasse pas enfermer dans un cachot sous le palais, Monsieur Indrani.
Je sens encore mon coeur battre, mes jambes sont droites comme un piquet mais je ne dois pas relâcher la pression, je dois absolument régler ce soucis...
La première fois que, de l’intérieur de l’illusion, j’vois le pied de Haru traverser le museau de l’arktigor, j’suis juste surpris, sans plus. Faut dire que le monde a une perspective super bizarre, de l’intérieur de la bête : je vois le reste du monde comme à travers un filtre, et je distingue assez nettement ce que le saphir fait faire à son mirage. La panique qui avait commencé à gagner la salle baisse un petit peu, parce que c’est trop, trop vite, trop impossible, comme la première ministre est en train d’en faire l’expérience.
Mais le but, c’était pas que le tout soit crédible, si ?
En tout cas, ça l’est vachement moins quand cette fois c’est sa main qui passe assez nettement me faire coucou, rapidement suivi de la femme passablement énervée. Pris au col, j’hésite à me défendre, mais j’pense que ça ferait mauvais genre de coller un taquet à la patronne, surtout vu comme elle a l’air en pétard. Hé, c’pas ma faute, ok ? J’suis pas venu ici pour souffrir, merde.
A côté de moi, l’illusionniste reste soigneusement caché, ce salaud, alors que j’sens sa présence juste là. Il a intérêt à pas me laisser finir au cachot sinon… Sinon… Sinon rien, putain.
En vrai, j’suis un peu désolé pour du Lys. Elle avait rien demandé à personne, elle venait juste à une soirée un peu chiante pour le devoir de représentation, et voilà qu’elle est devenue le clou d’un spectacle qu’elle goûte pas des masses, le dindon d’une farce pour laquelle elle avait pas signé. M’est avis que le vieux Raul va en entendre parler, de ça, mais c’est p’tet fait exprès, pour préparer sa retraite paisible loin de tout.
« J’suis au courant de rien, j’ai improvisé pour que la fête de Meridius soit un succès, rien n’était prévu pour moi, et j’sais pas pour vous. M’dame la première ministre. »
Il me reste dix secondes, à vue de nez.
« C’est l’illusionniste juste là qui a tout manigancé. »
Ouais, ça fait un peu délation, dit comme ça, mais j’vais pas finir au cachot pour une fête à laquelle j’ai été forcé de venir. Alors, certes, j’ai bien rigolé et j’étais clairement pas du mauvais côté de toute l’histoire, mais c’pas une raison pour que j’finisse au trou. J’y suis déjà allé et j’avais pas trop apprécié l’expérience, alors j’vais éviter de réitérer. Rien que de penser qu’ils pourraient me filer un sérum de vérité… ça serait l’exil direct.
Celui que j’suspecte être un saphir pour la puissance de sa magie a décidé de pas être une p’tite pute, et dans une ondulation lumineuse, il apparaît à ma droite. Taille moyenne, rien de bien particulier, des cheveux couleur sable, la quarantaine. J’sais même pas si c’est sa vraie apparence ou une autre illusion, en réalité. Pas mal, comme pouvoir, j’devrais creuser dans cette direction…
« Madame la première ministre, je suis un des aventuriers chargés de l’animation de la soirée, commence-t-il en chuchotant. »
Autour de nous, l’arktigor s’agite, grogne, éloigne le public et couvre globalement le bruit de la conversation. De ce que j’perçois, il a donné l’impression de gober tout rond Haru du Lys. Notre animateur préféré reprend.
« Effectivement, il s’agit d’improvisation pour faire plaisir à Raul Meridius et sa petite-fille. Donc la présence –fortuite- de l’arktigor et de votre costume a donné naissance à l’idée de rejouer quelques scènes des livres. La série est fort sympathique, d’ailleurs, et… »
J’lui jette un regard interloqué, un peu surpris qu’un fier aventurier lise des nouvelles de midinettes, mais après tout, chacun ses goûts, hein ? Enfin, il doit s’en rendre compte, parce qu’il se tait rapidement.
« Bon, le but, c’était que tout finisse bien, mais on va peut-être partir sur autre chose en terme d’effets spéciaux, histoire de ne pas gâcher la fin de la fête ? Si vous le voulez bien, Madame la première ministre… »
Visiblement, c’est pas lui qui se fait menacer physiquement pour le moment, mais il doit sentir qu’il est pas forcément en odeur de sainteté non plus.
« Puis, finalement, le mieux, ça serait que vous parliez avec Raul, non ? Enfin, je veux dire, c’est lui l’organisateur. »
J’vois que la dénonciation, c’est assez contagieux, mais pour le coup j’suis assez d’accord. J’vois pas pourquoi ça devrait être moi qui ramasse la merde alors que c’est les autres qui ont tout manigancé.
« Pour finir proprement, la bête peut redevenir humaine. Elle apparaît vous avoir mangé tout rond, sans croquer, donc ça permettrait de mettre un terme à cette petite parenthèse. Puis vous pourrez aller voir Raul Meridius et échanger avec lui sur l’intérêt de faire des farces à la première ministre quand celle-ci daigne vous grâcier de sa présence, que j’propose. »
Et si lui finit au cachot, sûr que j’verserai pas une larmichette.
- Vous croyez sincèrement que votre argument va suffire ainsi que de dénoncer votre camarade de la sorte.
Je finis par le lâcher et regarde le soi-disant illusionniste s’approcher de moi, je ne le connais pas spécialement, de toute façon, ils sont un certain nombre à la Guilde et je ne tiens pas forcément au courant des nouvelles attributions de décoration du précieux titre. Ce qui est marrant, c’est que cet homme a certainement combattu des centaines de bêtes mais en face de moi, il barbouille quelques mots d’explications sans forcément me regarder droit dans les yeux mais il continue son charabia d’excuse et finit par l’arrêter.
- Ne vous inquiétez par pour ce cher Meridius, il va comprendre qu’on ne se moque pas de la Couronne ainsi, ni d’abuser des biens publics de la sorte.
Mais l’homme par un excès de courage soudain continue d’énoncer le scénario de son improvisation pour faire plaisir au vieux Raul. J’ouvre les yeux en grand, essayant de me calmer mais une folle envie de l’étriper me vient, je regrette amèrement que mon pouvoir ne puisse pas contrôler aussi ses émotions de ses gens et qu’ils finissent par terre par une soudaine vague de détresse.
- Vous êtes convaincu que je vais continuer cette mascarade ? Vous ne croyez pas que vous en avez déjà assez fait de vos illusions, vous voulez rejoindre votre ami ici qui présent dans la cellule qui vous attends ?
Imaginer ces deux lascars au frais pour les prochains jours me donne une folle envie de sourire mais je n’avais pas tous les pouvoirs non plus malgré qu’ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs, je dois trouver une accusation plausible mais le plus important c’est de régler le compte à l’autre.
- Alors vous, Monsieur Indrani, vous allez me chercher ce pauvre Raul soi-disant mort sur l’estrade et avec la force de vos bras, l’amener direct à la Garde de la Caserne la plus proche et je m’en fiche royalement de savoir que cet homme pèse un poids conséquent.
Je me tourne maintenant vivement vers l’illusionniste.
- Quant à vous, vous allez l’aider et utilisez votre magnifique illusion pour aller “ porter “ ce cher Meridius. Vous n’avez pas intérêt à me faire faux bond car je le saurai si vous ne déposez pas le colis.
Je les laisse en plan allant quérir des saphirs que je connaissais et avec qui j’avais déjà travaillé dans le passé pour leur donner comme mission de surveiller ces loustics, maintenant dire au revoir à la petite-fille Meridius, prendre une douche pour aller ensuite aller à la Caserne pour faire comprendre à ce Raul qu’être riche ne lui permet pas tout...
Ouais, bon, fallait p’tet s’attendre à ce que la première ministre soit pas qu’une femme effrayée par les gros monstres et la peur de mourir, et qu’à un moment, sous le costume aiguicheur, y’aurait un peu d’acier qui se montrerait. J’dois dire que j’aurais préféré qu’il se montre plus tard, avec mon pote aventurier et le vieux Raul pendant que j’serais tranquillement rentré chez moi, cela dit.
J’manque de m’exprimer sur l’injustice incroyable que ça serait de m’envoyer au cachot même pour une heure, mais j’sens assez nettement que c’est pas le moment d’ouvrir ma gueule. Là, le mot de trop, c’est directement agrandir une sentence. Dans le meilleur des cas, tout ça est un gigantesque bluff, mais si la garde commence à foutre le nez dans mes affaires, même avec mon pouvoir, on sait pas ce qui peut se passer.
Donc je hoche la tête en faisant des petits bruits d’assentiment, oui m’dame, tout ce que vous dites j’vais le faire, m’dame la première ministre, vous le voulez comment votre cocktail, je peux donner des coups de pied à Meridius sur le chemin si vous voulez, ou faire semblant de le laisser tomber au sol tête la première, et puis un petit massage, aussi ?
Marrant, elle se comporte comme ces parrains de la pègre. Toute en autorité, en certitude que ça va être obéi. J’suis carrément mauvais esprit, et j’déteste qu’on m’pousse dans une direction. Ça déclenche des mauvais réflexes chez moi, comme de faire pile l’inverse de ce qu’on me demande. En plus, le vieux Raul, c’est un sale con, il note tout dans un petit carnet avec sa scribouilleuse. Il serait foutu de m’en vouloir alors qu’il s’est mis dans la merde tout seul.
Ouais, elle se souviendra à peine de ma gueule, du Lys, là, et dans quelques heures plus de rien.
« J’y vais, madame la première ministre. »
Bon, si les saphirs s’en mêlent, ça sera un peu plus cotton, mais la mémoire des gens, c’est pas tout ça, hein ?
Mon pote illusionniste sent lui aussi que le vent a tourné, et que les farces sont p’tet pas drôles pour le dindon qui se fait remplir. Et quand le vent tourne, les oiseaux qui volent, pas les dindons donc, ils tournent avec. Avec un air un peu penaud, on y va sous la surveillance de la première ministre, debout dignement.
Pour le public, ça doit être un peu bizarre. L’arktigor pousse un grondement, un haut-le-cœur, et s’écarte d’un mètre. Dans un flash de lumière un peu daubé, Haru du Lys réapparaît sous le regard ébahi du public, tandis que le monstre, dans lequel j’me trouve avec mon nouveau binôme, marche pesamment vers l’estrade.
Les lumières se rallument progressivement pour signaler que le spectacle s’achève. J’pense pas que mon nouveau copain fasse tout ça tout seul, donc il doit être en communication avec d’autres gars. Reste que j’vais pas pouvoir me tailler s’il reste à me mater. P’tet que juste faire profil bas ce coup-ci, fermer ma gueule et m’exécuter, ça serait mieux.
L’arktigor donne un coup de museau joueur à la carcasse de Meridius, puis un coup de langue. Avec ce qui semble presque être un ronronnement appréciateur, il gobe le vieux que j’soulève et cale sur mon épaule comme un sac à patates. Il émet un bruit de protestation mais le gars à pouvoirs lui dit de la boucler avec une expression qui signale que ça va pas être la fête bientôt.
On marche vers la sortie, et timidement d’abord, puis avec davantage d’enthousiasme, le public applaudit. J’suppose que pour eux, tout s’est bien passé, le spectacle était à la hauteur, et si Haru a l’air d’applaudir poliment aussi, son maquillage semble avoir un peu coulé et ses yeux sourient pas des masses.
La double-porte qui mène aux jardins s’ouvre enfin, et l’air froid du milieu de la nuit vient taper brusquement contre nos visages. J’pose Meridius au sol, et on le met rapidement au courant de ce qui l’attend : un séjour à la caserne, et plus si affinité. Il calcule rapidement, et nous assure qu’aucun de nous risque quoi que ce soit. J’en doute pas une seconde, j’suis pas inquiet pour lui.
« Par contre, faut que j’aille me soulager… trop de cocktails et d’émotions. »
J’sors de l’illusion pour aller derrière un arbre. Et j’me soulage effectivement. Puis j’soulage cette petite sauterie de ma présence, en me faufilant dans les buissons et différentes haies. Ils vont sûrement se demander où je suis passé, avant de se demander qui je suis, puis pourquoi j’étais là… Et ils marcheront gentiment à la caserne sans moi.
N’empêche.
Ce jour restera celui où j’ai failli embrasser la première ministre, hé.