L’art est une chose volatile. Chercher à le classifier, à en catégoriser les infinies nuances, à l’enfermer dans des cases arbitraires et rassurantes, revient à vouloir compter les grains de sable dans un désert, ou à tenter d’attraper l’air en se servant d’une épuisette. Cette tâche aussi absurde que vaine ne semble pourtant pas lasser certains de nos intellectuels, qui, années après années, soumettent à l’attention du public des listes répertoriant les différentes formes d’expression artistiques, et établissent des distinctions entre ce qui, selon eux, relève du domaine de l’art et ce qui n’en relève pas.
Inutile de préciser qu’aucun de ces censeurs n’est d’accord avec l’autre, et qu’en fonction des personnes, des siècles et des écoles de pensée, les définitions et les classifications qu’on attribue à l’art varient et se transforment, acquérant une multiplicité presque égale à celle des disciplines qu’elles prétendent répertorier. Certains s’accordent sur trois formes d’art : poésie des sons, poésie des idées, poésie des formes. D'autres préfèrent en voir cinq : architecture, sculpture, peinture, musique, poésie. D'autres, encore, insistent sur la nécessité de différencier les Arts libéraux (rhétorique, grammaire et musique) des Arts mécaniques (architecture, sculpture et peinture). D’autres, non moins arbitraires dans leur démarche, préfèrent établir une distinction entre les Beaux-arts, les Arts décoratifs et les Arts appliqués.
Une telle prolifération de définitions et de classifications a fini par produire l’effet inverse de celui qui avait présidé à leur création, c'est-à-dire l’éclaircissement définitif de la nature de l’art. Si la plupart des gens ne voient pas – ne veulent pas voir – les causes d’un tel échec, une petite minorité de personnes a fini par comprendre. L’art est comme l’eau, qui adapte sa forme à chacun des récipients dans lesquels il est versé. Le définir relève de l’impossibilité dialectique et matérielle. Les structures qu’il peut adopter sont si diverses que l’imagination humaine ne les épuise pas, et que des siècles après sa naissance – si on peut parler de naissance – on invente encore et toujours de nouvelles formes d’art.
C’est avec raison que le plus grand écrivain de notre siècle, exposant par l’intermédiaire de l’un de ses héros l’une de ses convictions les plus profondes, a écrit ces mots : « Il lui semblait que la bonne littérature était chose commune, et que c’était à peine si la rumeur urbaine ne la valait pas. » En vérité, on ne dira pas mieux ce qu’il a dit là. De plus, et c’est sans doute l’essentiel de ma pensée, ce qu’il dit de la littérature en particulier peut s’appliquer à l’art en général : l’art est chose commune, et c’est à peine si on peut trouver un seul instant de notre vie qui n’en soit saturé. L’art est infini, omniprésent. Il n’existe pas une action qui, accomplie au bon moment et d’une certaine manière, ne puisse se révéler emplie d’une signification artistique.
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