Le stress commençait à monter chez la ministre de la justice. Elle qui avait pourtant l’habitude d’être si calme et assurée était anormalement perturbée. Il faut dire qu’il y avait de très bonnes raison à cela. En effet, elle avait obtenu une entrevue avec la reine, et pas pour n’importe quel sujet : l’abolition de la peine d’exil au profit de la peine de mort. Le sujet était controversé et difficile à plaider. Il s’agissait évidemment là de son plus gros dossier depuis qu’elle était ministre, et il lui tenait tout particulièrement à cœur.
Pour cela, elle n’avait évidemment rien laissé au hasard. Elle avait tout fait pour passer la meilleure nuit possible, elle avait choisi ses vêtements avec soin, et surtout le dossier était béton. Elle avait essayé d’anticiper toutes les questions et inquiétudes que la reine pourrait avoir et espérait ne pas avoir oublié cet argument important qui ferait pencher la balance.
Vêtue de cette robe majoritairement beige, mi-courte, lui donnant un air très professionnel, elle avançait dans les couloirs du palais, accompagnée de son pupitre flottant sur lequel reposait tous les papiers qu’elle jugeait potentiellement utiles à l’entrevue. Cela lui permettait d’avoir les mains libres, de pouvoir respirer paisiblement pendant le peu de chemin qu’elle avait à faire pour aller rencontrer la reine.
Arrivée devant la porte, elle prit une dernière profonde inspiration avant de frapper à celle-ci. Elle ne lui avait pas annoncé le sujet de l’entrevue, seulement que c’était professionnel. En effet, si elle lui avait dit en avance, la reine aurait eu beaucoup plus de temps pour préparer son argumentaire, ce qui aurait rendu le dossier beaucoup plus difficile à plaider. Cela risquait d’affecter la vie de beaucoup d’individus, et pas seulement des criminels, alors il ne fallait pas ignorer les détails, ils avaient leur importance.
"Nyx Anger, ministre de la justice."
Un ton formel, rien de plus, rien de moins.
Alors qu'elle venait de relire quelques lignes, on lui annonça la venue de la ministre de la justice, , elle se remit droite sur sa chaise. Elle était vêtue d'une robe pourpre aux liserés blancs qu'elle portait souvent lors de ses rendez-vous dans la salle du trône. Elle avait toute la majesté d'une personne venant de se présenter à ses sujets. La seule différence était que cette pièce était plus petite que la salle du trône et que sur la table fumait le thé. Le téh état prêt à être dégusté, la reine ne savait pas quant à elle ce que lui réserverait les prochaines minutes. Elle avait ce regard inflexible tourné vers la porte jusqu'à ce qu'elle entende les salutations de son invité.
" Asseyez vous Madame Anger, vous avez requis ma présence pour m'évoquer un sujet important....? Je vous écoute. N'hésitez pas à demander du thé, il vient tout juste d'être fait."
Ses ministres étaient tous des personnes avec qui elel se flattait de travailler. Ils avaient à leur charge des domaines précis qui pouvaient faire évoluer tout un peuple. La reine avait pour rôle de les entendre pour les appuyer ou non dans l'application de leur rôle. Étant adolescente, elle avait toujours été touchée par les valeurs de justice, mais aussi fascinée. Cette idée d'exil pour les condamnés par exemple, elle la trouvait rigoureuse parfois en se disant que peut-être qu'il était possible de leur offrir une vie plus adaptée... Mais où ? Et comment ? Au final cette décision était à ses yeux la plus sage même si entre nous ils étaient promis à une vie difficile suite à leur exil... Elle ne se voyait pas les condamner comme d'autres prédécesseurs à une peine plus grande... Elle ignorait que cet échange porterait sur cet aspect, sinon elle aurait pris soin de lister toutes ces affaires où on avait dû rattraper des convois avant qu'il n'expatrie un innocent. Elle était partie du principe que soit elle voulait lui poser une question sur une affaire ou une réunion...
" Donc que me vaut votre visite ... vous avez une affaire épineuse en cours ? "
La ministre entra lorsqu’on le lui permit. La reine était, comme à son habitude, ravissante. Cela pouvait avoir un certain côté intimidant, mais ce n’était pas le moment d’y penser. Elle prit alors place comme elle venait d’y être invitée.
"Je prendrais bien un thé, merci."
Elle prit alors la pile de documents qui reposait sur son pupitre afin de les déposer doucement sur son côté de la table. Il était particulier de se dire que c’était dans ces quelques feuilles que reposait potentiellement la vie de nombreuses personnes. Mais c’était précisément pour cette raison que tout cela était important.
"Ce n’est pas vraiment pour une affaire que je viens vous voir. A vrai dire je viens vous consulter pour un dossier qui concerne la peine d'exil..."
N’entrant pas trop vite dans le vif du sujet, elle prit le temps de saisir une feuille en particulier pour la mettre sur le dessus de la pile. Il s’agissait de la proposition de loi en elle même, rédigée au propre.
"Les escortes nécessaires à l’exil des criminels sont particulièrement pénibles et dangereuses, ce qui commence à créer des mouvements contestataires de la part de certains concernés. Il y a des interrogations grandissantes sur l’intérêt de cette pratique pour un résultat qui ne laisse que peu de doute, et qui ne fait plus vraiment illusion auprès du peuple."
Elle parlait plutôt lentement mais sans hésitation, prenant soin de choisir chacun de ses mots. Elle regardait la reine droit dans les yeux, afin de ne pas montrer de signe évident de faiblesse que cette dernière pourrait exploiter dans le débat qui se profilait.
"C’est pourquoi je suis venue vous proposer l’abolition de cette peine d’exile au profit d’une peine de mort, dont l’exécution se ferait en privé et sans douleur."
Le mot était prononcé, il n’y avait plus de retour en arrière. Bien sûr, elle prenait soin de ne pas déballer tous ses arguments d’un seul coup, ce qui ne ferait que faciliter le travail de la reine pour les contrer. Au contraire, il fallait les envoyer au compte goutte en réponse à chaque inquiétude de cette dernière, afin de la rassurer.
" Les escortes sont dangereuses...? Si elles le sont, nous pouvons y remédier bien autrement en multipliant des points de surveillance. Je ne comprends pas ce qui fait arriver à une telle issue... d'autant que vous saviez pertinemment que l'erreur judiciaire peut se manifester. Vous voulez prendre un tel risque ? Si l'exil représente une source de contestations, je suis ouverte à un compromis, mais votre proposition me semble radicale et très éloignée de ce que nous pratiquons."
Si les mots de la ministre de la justice avaient été prononcés avec lenteur, ceux de la reine trahissaient une certaine surprise contenue. Elle ne s'imaginait pas revenir à un système si implacable. La reine avait retenu qu'elle lui parlait d'exécution dans un cadre privé sans une exposition aux yeux d'une populace de la souffrance d'un criminel.
" Je ne comprends pas votre proposition. Il serait inconcevable de faire une exécution publique, mais même privée j'ai du mal à le concevoir. Sans douleur...? Vos termes me font redouter le pire."
Une exécution sans douleur... une victoire rapide.. tant de mots pour cacher une réalité beaucoup plus fourbe. Elle posa sa tasse pour pouvoir mieux s'adosser dans son siège. Elle eut un regard vers ce lourd dossier...
" Ce dossier rassemble t-il des témoignages de contestataires ....? "
Dans ce cas, elle les lirait pour en prendre connaissance, mais elle ne prendrait pas l'initiative. Si sa ministre l'avait emmené pour leur rencontre, elle devait savoir quand la reine pouvait en disposer. Quelque chose lui vint à l'esprit, sa ministre devait sans doute réfléchit à cette éventualité depuis un moment déjà. Elle devait se douter que l'accueil de cette nouvelle allait la surprendre.
" Et puis comment procéderiez-vous ? Quels crimes seraient condamnables de cette façon...? J'avoue associer cette pratique à une sorte de retour en arrière pour ma part... " Elle fit un léger regard de côté en ne sachant pas trop où irait cette discussion ni même l'envergure de cette contestation. Mettre la peine de mort lui apparaissait une mauvaise solution, mais elle voulait savoir ce que la ministre avait en tête.
"J’entend vos arguments, mais je me permet d’y répondre. Actuellement, le système en place possède l’avantage de combattre l’erreur judiciaire de par la durée incompressible entre la délivrance de la peine et son application, dû à la durée du voyage. Pour pallier à cela, il suffirait de mettre en place une durée équivalente d’emprisonnement, ce qui reviendrait au même sur ce point tout en réduisant drastiquement le risque pour la garde ainsi que les coûts pour le royaume. De plus, l’utilisation du sérum de vérité dans ces cas extrêmes peut limiter les cas d’erreurs judiciaire. Une personne avouant son crime sous sérum sera toujours sincère. Le seul cas où cet aveu sincère peut être faux, ce serait une magie mentale visant à faire croire à cette personne des choses fausses. Cependant, nous devons déjà faire avec cette éventualité, donc ce soucis, bien qu’assez improbable, ne changerait pas d’un système à l’autre. Heureusement, l’utilisation de menottes anti-magie rend ces scénarios bien difficile à mettre en place pour qui voudrait réussir à berner notre tribunal."
La reine semblait également exprimer des réserves sur la méthode d’exécution. Du moins, elle allait en partie dans son sens, mais semblait dans le flou à cause du manque de détails.
"Il existe de nombreux poisons, et certains sont capables d’infliger une mort semblable à celle d’un parent partant paisiblement dans son sommeil à la fin de sa vie. De ce fait, nous évitons toute ébauche de sang ou autres cris de douleurs qui témoignerait d’un barbarisme de notre part. Pour être tout à fait honnête, le peuple commence à comprendre ce que signifie la peine d’exil. Bien que nous manquons d’observations et de témoignages précis, nombreux se doutent du type de mort affreux qui attend les exilés par delà la frontière. Se voiler la face et utiliser l’ignorance comme argument a fonctionné un temps, mais désormais cette méthode ressemble de plus en plus à une exécution barbare non assumée dans le cœur des citoyens. La seule différence est qu’elle nourrit chez certains criminels un espoir de survie bien vain, et les laisser dans ce mode de pensée peut non seulement les inciter à passer à l’acte, mais peut également faire penser à une forme de sadisme."
Des mots durs venant de la part de la ministre, mais ils n’en reflétaient pas moins la réalité. Elle prit alors quelques papiers dans son dossier et les mit à la disposition de la reine. Ceux-ci rassemblaient effectivement des témoignages de gardes et autres personnes ayant conduit des escortes d’exil et dont l’avis sur la pénibilité de la tâche ne faisait que peu de doute. Sur les documents ainsi proposés, on pouvait en lire une dizaine, tous venant de profils différents.
"Effectivement, et en voici quelques-uns. On peut également remarquer que certaines escortes ne sont même pas conduites intégralement par des gardes ou des aventuriers. Cette absence de moyens est d’autant plus alarmante que pendant ces escortes, la baisse d’effectifs peut se montrer préjudiciable pour la sécurité des citoyens. De plus, cela témoigne également de l’incapacité que l’on aurait à multiplier les points de surveillance sur le chemin sans impacter notablement et négativement le reste du royaume."
Nyx était tellement bien partie dans son argumentaire qu’elle en oubliait même jusqu’à la tasse de thé qui lui avait été servie. Le thé était tout de suite moins bon lorsqu’il se rapprochait de la température ambiante, mais pour cette fois ce n’était pas très grave. Il restait désormais la question basique mais pas moins importante de l’application de la peine.
"Sur l’application de cette peine, le système serait en tout point similaire à l’actuel. Les crimes condamnables seraient les même que pour la peine d’exil et seraient toujours délivrées par vous ou votre mari. C’est également pour cela qu’un tel changement ne peut se faire qu’avec une certaine volonté d’agir de votre part. Si vous vous contenez davantage pour délivrer ces peines que pour les peines d’exil, la transition sera bien évidemment désastreuse. C’est pourquoi, à l’image de ce royaume, vous êtes l’élément central de cette mesure."
Pendant tout ce temps, Nyx évitait de prononcer le terme de "peine de mort". Le sujet avait déjà été posé et donc tout le monde savait de quoi il était question. Et comme le terme semblait déranger la reine de façon évidente, le rabâcher ne pourrait que la mettre dans de mauvaises dispositions.