Début de la saison fraîche, ça faisait maintenant deux saisons que j’avais pris mon nouveau poste, celui de Premier Ministre, quelque chose que je ne m’y attendais pas car avoir eu le poste de Ministre de la Culture a toujours été mon rêve, quelque chose qui me plaisait. Mêlée histoire, art et culture, des disciplines que j’affectionne tout particulièrement puis il faut avouer que ce n’est pas un ministère renommé, d’après les dires de Mademoiselle Milan qui prône que la Trésorerie fait fonctionner le Royaume et non des toiles d’artistes… l’Histoire avec une grande H, ça c’est important, on retiendra les noms, les oeuvres, les bâtiments, pas les gens qui ont rendu un livret comptable avec des intercalaires rouges ! Enfin… c’était jadis, la Reine Allys avait décidé autre chose pour moi, je n’ai pas pu lui refuser ça, pouvoir l’accompagner dans son règne, pouvoir la conseiller, pouvoir faire tant de choses pour rendre le Royaume encore meilleur, essayer de rendre notre Capitale et tout le pays bon à vivre, c’était utopique mais je voulais faire tout ça pour la Reine et aussi son mari, le roi mais je lui parlais peu, j’étais essentiellement avec Allys et nous avons noué des liens particuliers, elle m’avait avoué il y a quelques jours sa rencontre avec un artiste de la cour royale, un certain Kagami, je n’ai pu retenir mon sourire à l’évocation de ce peintre, un homme assez mystérieux mais aux talents multiples, je connaissais son travail, entre aperçu dans diverses représentations mais ça s’arrêtait là…
Ma curiosité fut donc piquée quand la Reine m’a dit qu’elle a reçu quelques conseils du jeune homme au masque, il me rappelle étrange le jeune Veriano aux toilettes toujours aussi remarquable et à la longue chevelure brune, lui ce monsieur Ukiyo avait toujours de longues robes aux motifs fleuris, sa longue chevelure blonde avait le don de faire des centaines de femmes mais son masque a repoussé plus d’une sachant qu’entamer une conversation avec l’artiste a toujours été soi disant difficile mais je voulais relever le challenge, il a bien parlé avec notre Régente pourquoi pas moi...
Je décide alors de rejoindre les ateliers d’art du Palais, une aile est allouée pour eux, il y a tout à disposition, une idée de la reine Mihana la onzième, elle voulait absolument que les peintres royaux soient dans le palais pour lui permettre d’avoir ses portraits à la demande et qu’elle trouvait qu’on ne faisait pas assez d’effort pour eux, autre extravagance de sa part, elle a demandé qu’on installe au-dessus d’un buste du Roi Edwart le Premier, une inscription, le nom qu’elle a donné à ce lieu unique, “ Le Carrousel “. Dans les archives, il était mentionné qu’elle appelait cette aile le Carrousel des Artistes de la Rose car à l’époque, cette aile donnait directement sur une grande esplanade dite l’Orangerie, un jardin magnifique avec des roses de toutes les couleurs, je n’ai pas compris pourquoi ça s’appellait du coup l’Orangerie, encore une fantaisie de sa part mais ce nom donnait un note exotique mais cette partie de jardin fut refaite de nombreuses fois suite aux caprices de chaque couple royal ou autres princesses ou princes mais ça nous permettait d’avoir des changements et les érudits de l’époque avaient produit à l’époque des centaines de notes et autres plans à chaque modification, les archives étaient un savoir inestimable pour les bâtisseurs mais ces données sont heureusement confidentielles pour éviter toute dégradation.
Je passe cette grande porte en fer forgé, des motifs de roses sont apposé dessus ainsi que les symboles des différentes saisons, la porte pèse son poids mais les bâtisseurs ont trouvé un moyen de faciliter l’ouverture et celle-ci devient presque automatique suite aux différents contrepoids disposés en arrière, j’étais toujours en admiration face à un nouveau système de pont-levis mais bon ce n’était rien face à l’allée, les portraits de nos différents dirigeants de chaque génération, des poutres avec et autres colonnes avec toujours le même nombre de motifs, tout était parfait, tout était exacte, pour les esprits cartésiens un rêve, pour un artiste ? Peut-être ça les rendaient fous, je n’ai jamais eu à me poser à cette question, mes seules activités artistiques sont le violon et la lecture, des choses normées et sans possibilité d'extravagance, une fausse note n’est pas beau à l’oreille alors qu’une autre interprétation sur une toile, c’était toute autre. Je continue ma lente marche, jetant un oeil au tableau de la femme de mon aïeul, Luna la Cinquième avec son roi consort Thorn Du Lys, une jolie histoire d’amour de ces deux-là, petite, j’adorais quand ma grand-mère me racontait leur rencontre ainsi que tout le reste, le début de l’empire des Du Lys, dans les années quatre centre soixante dix et nous racontons encore cette histoire comme si c’était un fait héroïque mais c’était notre fierté, être Du Lys, c’est respecter certaines valeurs mais j’avoue que pour certains… ce n’était pas ça !
Je passe la troisième porte à gauche qui donne dans un grand atelier vers l’Ouest, vu sur l’Orangerie, quelques artistes étaient déjà là, effectuant de la restauration mais aussi des reproductions de tableaux mais aussi de la création, je cherchais si je trouvais le maître des lieux, il devrait pourtant être reconnaissable avec son masque mais je ne le trouve pas, peut-être dans la réserve, je continue alors mon petit tour pour rejoindre un jeune homme, il faisait de la restauration sur le cadre, replaçant des feuilles d’or dans l’angle, un travail d'orfèvre minutieux, m’annonçant pour éviter de lui faire peur, le jeune homme me regarde avec des grands yeux, étonné de me rencontrer ici mais je l’invite alors de manière chaleureuse à continuer.
- Non non, continuez Monsieur, j’admirais votre technique, pouvez-vous me donner les grandes lignes de votre travail ?
Un sourire s’affiche sur son visage, il était rassuré, je ne lui voulais aucun mal et le voilà qu’il rentre dans une discussion intéressante sur son travail, j’étais alors captivée moi aussi par sa discussion, il me propose même d’essayer mais je refuse poliment, je laisse faire les professionnels ! Croisant alors les bras autour de ma poitrine, je m’amuse à le regarder tour à tour, lui mais aussi le tableau, ses expressions étaient amusantes et je me retiens de sourire, je garde mon sérieux mais ça ne va pas durer longtemps quand je vois un bout de langue apparaître à la commissure de ses lèvres.
- Ca n’a pas l’air facile, en tout cas je suis impressionné ! D’ailleurs j’en profite, vous savez où se trouve Monsieur Ukiyo ?
Il lève ses épaules, il ne le savait pas, ce n’était pas grave, je continue alors de le regarder un peu, je changerai de victime au pire ou peut-être il finira bien par pointer le bout de son masque...
Mais comme tout enfer digne de ce nom, le palais royal comportait un certain nombre de cercles. Certains d’entre eux étaient presque respirables. D’autres, à l’inverse, étaient tout bonnement insoutenables. L’ironie du sort avait voulu que le « Carrousel des artistes de la Rose », plus communément appelé « Carrousel », aile du palais entièrement dédiée aux artistes royaux, soit l’un des pires cercles de cet enfer. Partout, ce n’était qu’une débauche de lumière, de motifs kitsch et tape-à-l’œil, de symétrie implacable et d’aveuglante majesté. Aucune ombre. Aucune subtilité. Aucun contraste.
Le véritable miracle tenait dans le fait que cet endroit ait été rénové pas moins de cinq fois depuis sa création sans que cela ne lui fasse perdre son caractère abominable. En conséquence, je m'y rendais aussi peu souvent que possible, lui préférant de loin le petit atelier qu’occupait notre école depuis sa fondation par notre premier maître: Ukiyo no Hansha. Cependant, mes obligations de peintre au service de la cour royale d’Aryon me forçaient parfois à me rendre au palais et d'occuper le « Carrousel ». Cette obligation m’était beaucoup plus facilement supportable depuis ma rencontre avec la Reine Allys, dont la sensibilité en matière de questionnement artistique ne cessait de m’émerveiller. Dommage, toutefois, que je n’aie jamais eu l’occasion de rendre le palais encore plus facilement supportable en exerçant une… autre forme d’art entre ses murs. Malheureusement, il s’agissait de l’un des endroits les mieux protégés d’Aryon – voire même le mieux protégé – et je savais bien que vouloir y assassiner quelqu’un revenait à signer mon arrêt de mort.
Je pensais à ces choses, et à bien d’autres choses encore, alors que – indolent et effacé, cherchant à plonger mon esprit dans une sorte de demi-assoupissement qui soit à même d’émousser ma conscience et, par la même, l’horreur que je ne pouvais manquer de ressentir entre ces murs – je rénovais une toile datant du règne de Bregon le Légitime avec tout l’enthousiasme et la fluidité d’un automate lobotomisé. La tâche ne requerrait d’ailleurs pas une concentration extrême : dépoussiérer le tableau à l’aide de brosses, nettoyer sa surface au citrate de sodium, alléger les vernis avec un solvant, éliminer les surpeints et les mastics, refixer les peintures, effectuer la retouche esthétique en utilisant la méthode du trateggio ou du puntinato, puis rentoiler et parqueter le tableau.
Bref, rien de très compliqué.
Je m’apprêtais à commencer le rentoilage, étape consistant à doubler la toile d’origine – sévèrement abîmée – par une toile neuve, lorsque je m’aperçus soudain que je n’avais pas emporté la colle en résine acrylique dont je me servais habituellement pour ce genre de tâche. Je poussai un juron sous mon masque et me retournai en tous sens, fouillant des yeux la petite pièce dans laquelle je travaillais tout en maudissant mon étourderie. Rien à faire. La colle n’était tout simplement pas là. Je compris qu’il me faudrait regagner le grand atelier donnant sur l’Orangerie si je voulais avoir un espoir de finir mon travail. En effet, il ne manquerait pas là-bas d’autres artistes prêts à me faire don d’un fichu pot de colle. Ainsi, après avoir longuement soupiré, je me levai et passai dans le couloir pour gagner le grand atelier.
Une surprise m’attendait là-bas, incarnée par une grande femme à la chevelure brune. Même de dos, je n’eus pas de mal à la reconnaître. Il s’agissait de Haru du Lys, issue de la noble famille du Lys, ancienne ministre de la culture du royaume et actuelle première ministre. Sa taille inhabituelle, les pointes blondes de ses cheveux ainsi que les somptueux bijoux qu’elle arborait – en particulier ses nombreuses bagues – suffisaient à l’identifier clairement. De plus, si je n’avais pas eu la chance de lui avoir été officiellement présenté, j’avais tout de même eu l’occasion de la voir de loin, au cours de quelques réceptions et d’évènements de nature culturelle. Cependant, je ne l’avais jamais croisée ici. Que pouvait bien faire une Lys parmi les roses du Carrousel ?
Intrigué, je me rapprochai d’elle en silence, les pans de mon long kimono traînant légèrement dans la poussière de la salle. La tête penchée sur le côté, je me mis à observer la tâche à laquelle elle s’intéressait. Il s’agissait là aussi d’une rénovation, mais elle ne concernait que les dorures du cadre. Mon estimé confrère s’y appliquait avec une minutie et une attention toute professionnelle, si bien que lui non plus ne me remarqua pas. Je restai derrière la ministre et l’objet de son attention pendant plusieurs secondes, attentif et silencieux, avant de signaler ma présence.
Continuant à observer le travail de l’artiste, je me dis que je ne pourrai jamais faire ce qu’il fait. Minutie, patience, expertise, mes doigts ne savaient faire cela, mon côté artistique n’avait pas cette fibre mais j’aimais particulièrement regarder. J’admirais ses gens qui continuaient de faire vivre l’histoire de notre pays par leur art. Je ne m’amuse pas comme certains à déchiffrer toutes les pensées ou messages que voulait nous faire passer l’artiste, certains érudits prennent à écrire de nombreuses pages sur un soi-disant éclat sur le côté du cadre qui serait là pour casser la la régularité du tableau alors que mon instinct me dit que c’était juste une étourdie et un léger coup a créé cet éclat mais que voulez-vous. Ce tableau va de nouveau être accroché dans la galerie pour mon plus grand bonheur.
Quelqu’un nous interpelle tout doucement derrière nous. D’une délicatesse que je ne me connaissais pas, je me tourne pour trouver mon interlocuteur. Je trouve enfin cet homme avec le masque, il n’y a aucun doute, c’était l’homme que je cherchais. Prenant une voix calme et m’éloignant d’un pas de l’artisan. J’essaye de prendre à part l’artiste.
- Monsieur Ukiyo, je vous cherchais justement !
Peut-être que ma venue l’étonne grandement, pourquoi je viendrais mettre les pieds ici ? J’avoue avoir fait quelques sauts l’année dernière mais je n’avais jamais pris le temps d’observer le travail des locataires des lieux. Une bonne Ministre de la Culture l’aurait fait, je l’avoue.
- La Reine Allys m’a parlé de vous et je fus surprise de savoir que vous lui a donné quelques conseils. Vous, l'illustre peintre de la cour.
Elle m’avait dit quelques jours plus tard qu’elle voudrait se consacrer un peu de temps pour ses travaux car l’artiste lui avait suggéré de surtout revoir sa technique et pour cela, c’est de la régularité qu’il faut.
- Donc, je voulais vous remercier pour ses prodigieux conseils. Ce n’est pas tous les jours que le fameux Ukiyo no Kagami prends du temps. Enfin, je connais surtout le travail de votre prédécesseur, Gakyo Rokin Manji enfin Saburo Hachiya.
De nombreux grands peintres venaient de l’école Ukiyo, je n’ai pas toujours compris tout le fonctionnement de celle-ci. Il y avait plusieurs grandes écoles d’art dans le Royaume, chacune vouant une rage féroce pour développer le plus de talent. Saburo Hachiya avait une histoire plus intéressante car il avait l’âme d’un aventurier dirons nous. Il a voyagé et ça se ressentait dans ses peintures. Notre pays avait la chance d’avoir plusieurs cultures différentes. On pouvait le ressentir dans la cuisine, l’architecture mais aussi coutume, chose qu’on pouvait voir dans ses peintures car telle ou telle région avait des “ ingrédients “ ou couleurs différentes. A la différence de Kagami qui peint les choses d’un réalisme hors pair, on voyait de nombreuses différences dans leur art.
- J’avoue que je ne connais pas toute l’histoire des Ukiyo aussi bien que nos régents mais je suis tombée sur plusieurs ouvrages concernant l’histoire de cette école. Est-ce une personne particulière qui doit écrire dans vos archives car la plume est parfaite ! A faire rougir les archives royales !
Peut-être que cet homme pourrait m’en dire plus enfin si il avait le temps.
Je n’eus cependant pas le loisir de poursuivre mon examen de sa personne bien longtemps. La première ministre venait de me saluer, moi qui n’étais qu’un simple roturier, et il me fallut tout naturellement m’incliner devant elle. Les conventions sociales l’exigeaient. Je baissai donc les yeux et courbai l’échine, dévoilant une nuque que ne recouvraient pas mes longs cheveux, ayant pris soin de les nouer en un chignon serré qui dégageait mon cou et mes épaules.
Sa venue me surprenait, il me fallait bien l’avouer. Au cours des deux années pendant lesquelles j’avais officé en tant que peintre de la cour – poste que j’avais repris après la mort de mon maître – je n’avais pas eu l’occasion de la croiser une seule fois. Gérer le Royaume aux côtés de la Reine n’était pas une mince affaire, et j’en étais venu à supposer qu’elle n’avait tout simplement plus le temps de se rendre au Carrousel des Artistes de la Rose. Apparemment, je m’étais trompé. Je portai la main au masque tressé de fils d’or qui recouvrait mon visage et le réajustai légèrement avant de me redresser.
Alors que je commençais tout juste à me remettre de ma surprise, elle m’en causa plusieurs autres. Après m’avoir révélé qu’elle n’ignorait pas l’entretien que j’avais eu avec notre souveraine, elle me parla de mon maître et de son style, ainsi que de l’école Ukiyo dans sa globalité. Était-ce pour cette raison qu’elle avait choisi de nous rendre visite aujourd’hui ? Une discussion sur l’art et l’histoire de l’art ? Si c’était en effet une surprise, du moins en était-ce une bonne. Visiblement, Haru du Lys n’usurpait pas sa réputation d’amatrice d’art.
Je me fendis d’une autre révérence avant de poursuivre.
Un peu trop bien renseigné, même. Lorsque j’avais tenu ce livre entre mes mains, je n’avais pu m’empêcher de remarquer que certaines des anecdotes qu’il narrait n’auraient pas dû être connues par son auteur. En effet, il y avait des secrets qui n’étaient connus que de notre école et des disciples qui la composaient. Ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose : soit Manfred Von Hauser était un ancien membre de l’école écrivant sous un pseudonyme, soit il avait eu l’occasion de rencontrer des disciples lui ayant révélé ses détails. La seconde hypothèse étant la plus probable.
Un soupir manqua de m’échapper à l’idée que l’un de mes disciples ait pu s’abaisser à révéler les secrets de notre école pour de l’argent. Bien que le mal ne soit pas très grand, cela dénotait un manque de loyauté et d’éthique professionnelle navrants. Heureusement, certains secrets refusaient d’être révélés.
J’esquissai un sourire qui se perdit sous mon masque, mais qui – du moins je l’espérais – gagna suffisamment mes yeux pour que cela puisse se remarquer. Puis je rebondis sur l'un des sujets qu'elle avait abordé.
Bien que je travaillasse parfois dans le palais, je n'avais pas accès à toutes les ailes qu'il comprenait. A mon grand dam, les archives royales faisaient partie de ces endroits dans lesquels je ne pouvais me rendre. On disait que seuls les membres de la famille royale et les ministres de haut rang avaient le privilège de consulter les précieux ouvrages qu'il recelait. Si je ne connaissais pas la véridicité de cette information, du moins savais-je que l'accès aux archives était extrêmement restreint. Je profitais donc de la présence de la première ministre pour poser quelques questions sur ce sujet. Les archives royales m'avaient toujours grandement fasciné. Dieu seul savait la valeur artistique que représentait cet endroit ! On devait certainement y trouver des ouvrages n'existant plus qu'en très peu d'exemplaires, voire uniques. Des incunables dont le contenu devait avoir été soigneusement calligraphié et enluminé par les maîtres d'antan. Cette pensée à elle seule suffisait à faire courir un frisson le long de mon échine...
Alors que je pensais que cet homme n’était pas un grand bavard en vu des propos de la Reine Allys, je fus surprise de voir que non. Comme deux grands passionnés qui viennent de comprendre mutuellement leur attrait à l’histoire, je ne peux que sourire quand il m’invite à poser les questions que je voulais sur cette fameuse école.
- Je n’y manquerais pas alors et je pense qu’on devrait continuer notre discussion plus loin. Je ne souhaite pas déranger cet homme avec nos propos
Tendant le bras pour lui indiquer un lieu plus adéquat pour discuter, je vois à travers les vitres la fameuse Orangerie. Un jardin composé de milles roses avec ses allées et quelques bancs.
- Pourquoi ne pas marcher tout en racontant diverses anecdotes ? Je pourrai vous raconter quelques histoires amusantes, si ça vous tente.
Il semblait intéressé même si je pense qu’il était venu dans cette pièce autre que de perdre du temps avec moi. Mais bon, il faisait si beau et ça serait cruel de ne pas en profiter, moi aussi ça me fait du bien de sortir de mon cabinet et j’avoue que je ne profite pas assez de cette partie du palais. Les mains derrière le dos, je marche dans le long couloir du Carrousel avant de prendre sur ma droite. Une grande porte vitrée était ouverte, les moulures en bois étaient sculptées avec des motifs de roses. Cette sortie donnait sur une longue allée en gravier fin blanc qui est délimitée par une série successive de rosiers buissons dit Polyantha. Ils étaient tous blancs et de nombreuses petites allées s’échappaient de cette allée centrale. Le paysagiste de l’époque n’aimant pas les choses rectilignes à façonner de nombreux chemins serpentés qui donne vraiment un aspect de balade quand on ose mettre les pieds dedans. Pour délimiter chaque chemin, une petite haies au ras du sol nous accompagne dans ce mélange de verdure et de couleur.
- Je trouve cet endroit apaisant non ? Peu de gens y vont et du coup, on pourra parler librement donc… par quoi je vais commencer...
Posant mon index sur mon menton, je cherchais une petite histoire à raconter qui ne serait pas compromettantes en soit.
- Oh si, vu que nous sommes dans un jardin, voici l’histoire de la Reine Swan, la quatrième dit l'Inquisitrice. Ce n’est pas forcément une histoire joyeuse mais c’est elle qui a décidé de mettre fin à la peine de mort et instaure l’exil qui en soit est presque la même chose mais nous n’allons pas polémiquer sur ce sujet. Donc du coup, à l’époque, la plupart des sentences étaient par pendaison, dans de nombreux villages, la potence trônait sur la place de la justice. Personne osait toucher cet objet de malheur. Elle a donc décidé de faire appel à des artisans pour transformer le bois en banc et de planter un érable à côté. L’érable étant le symbole de la liberté et de l’indépendance, c’était la façon de faire de la Reine pour dire qu’une page était tournée, tout ça était derrière nous. Etrangement, après cela, la criminalité à baisse lors de son règne comme quoi la répression ne fait pas tout.
Je choisis alors la deuxième allée à notre droite. Les fleurs étaient essentiellement de couleur orangé. Des teintes saumon, vermillon, carotte jusqu’au rouge feu qui était perdu. Des teintes qui représente l’énergie, le soleil et j’en passe.
- Enfin, je trouve son initiative amusante et elle a marqué l’histoire.
Je m’abaisse pour voir la petite coccinelle qui trônait sur l’une des pétales de roses. Instinctivement, je m’amuse à compter les points sur sa carapace avant de me relever pour continuer la balade.
- Du coup, maintenant que j’ai répondu. A vous de faire votre part et je voulais savoir comment deux rivales on peut finir Maître - Disciple. Quand j’ai commencé le livre, on parle de Hansha qui est mort d’une manière inconnu et Setsu qui prends sa place ensuite. Drôle d’histoire, vous ne trouvez pas ?
C’était la chose qui m’avait plus étonnée au début et peut-être que “ L’Ukiyo “ que j’avais à côté de moi avait la réponse à cela.
- Vue de l'ensemble:
Nous parcourons lentement une allée bordée par des rangées de rosiers Polyantha qui s’étirent aussi loin que l’œil puisse les suivre. La jeune femme continue à deviser à côté de moi et mon regard alterne entre les Rose qui m’encadrent de toute part et le Lys qui marche à mes côtés. Des images intempestives envahissent mon esprit. Je me figure le corps de la Première Ministre allongé entre ces fleurs, sa majesté parfaite par l’embrasse éternelle de la mort. Un Lys parmi les Roses. Un Lys parmi les Roses…
Je reviens brutalement à la réalité. Nous avons quitté l’allée principale depuis un certain temps pour nous engager dans un sentier secondaire, et les roses ont disparu pour laisser place à des gerbes de fleurs multicolores. Un frisson me parcoure l’échine à mesure que je réalise la folie des pensées qui m’ont envahi. Faire participer la Première Ministre à l’une de mes performances ? En plein cœur du Palais Royal ? Cela s’apparenterait à un suicide en bonne et due forme. Comment ai-je pu laisser dériver mon esprit à ce point ?
Pour me calmer, je tire de mes poches le carnet de croquis qui ne me quitte jamais ainsi que la petite boîte qui l’accompagne. Après avoir ôté un fusain de son écrin de bois et de soie, je commence à dessiner l’une des nombreuses fleurs qui s’épanouissent devant mes yeux. Mon choix s’est instinctivement porté sur un camellia japonica de couleur rose et, tout en continuant à écouter la jeune femme, j’essaie de rendre justice à cette fleur magnifique et à son élégante corolle de pétales charnus. Les images qui empoisonnaient mon esprit se dissipent peu à peu à mesure que la fleur prend forme sur le papier.
Du coin de l’œil, je remarque que la Première Ministre s’est penchée, son attention accaparée par une petite coccinelle. Je profite de ce court interlude pour me rapprocher du camélia et le détailler sous toutes ses coutures. Quand nous repartons, j’ai la forme de la fleur gravée de manière suffisamment nette dans ma mémoire pour pouvoir continuer à la dessiner sans avoir à me tourner de nouveau vers elle. Tandis que je dessine, la jeune femme continue à parler et. Soudain, elle soulève un point auquel je n’avais jamais pensé. Je m’interromps un instant pour prendre le temps de réfléchir.
Si je comprends bien le raisonnement de la Première Ministre, celle-ci pense que Setsu aurait pu assassiner Hansha pour prendre sa place. Cette possibilité ne m’avait jamais effleuré. Cependant, plus j’y pense et plus je comprends pourquoi elle a pu venir à l’esprit d’Haru du Lys. Une rivalité légendaire, deux hommes si proches et pourtant si opposés… Oui, il n’aurait pas été étonnant que cette histoire se termine en tragédie. Malgré tout, je ne crois pas que cela soit ce qui s’est réellement passé.
Chaque mot dont se compose ma réponse est ponctué par un coup de fusain. Je penche la tête sur le côté pour observer mon œuvre. La connexion est ténue mais bien présente. Je me concentre brièvement. Soudain, un frémissement parcourt la feuille et, l’espace d’un instant, elle ressemble plus à la peau d’un être humain qu’à un vulgaire morceau de papier. Puis je tends la main vers la tige de la fleur et, au lieu de simplement glisser à la surface de mes doigt, elle vient se loger dans ma paume.
Je fais tournoyer la tige entre mes doigts et les pétales roses tournoient avec elle. Le papier sur lequel était couché le camélia un instant auparavant est désormais vierge. Mon esprit lui aussi est vierge, débarrassé de ses obsessions compulsives grâce à l’effet cathartique de l’art. Je me tourne vers la première ministre et lui tend la fleur.
Le carnet de dessin et la boîte de fusains, ayant rempli leur fonction, retrouvent bientôt mes poches et je croise mes mains à présent inoccupées devant moi.
Je ne finis pas ma phrase, préférant la laisser en suspens. En effet, pour une personne appréciant l’art et l’histoire comme semble l’être Haru du Lys, le poste de Ministre de la Culture semble tout indiqué. Ne regrette-t-elle par parfois de ne plus pouvoir être en contact avec la beauté ? Préfère-t-elle vraiment gérer les vicissitudes triviales de la vie politique ? Mais peut-être tenté-je trop de calquer sa psyché sur la mienne. J’ai tendance à oublier que pour certains, mes obsessions ne signifient rien. Ou presque rien.
La vision de l’artiste était amusante comme si l’art changeait toutes les règles communes dans la vie. Si cela concernait deux épéistes ou autre, la théorie du meurtre aurait été tout à fait tangible. Cette amitié fraternelle et tout ce qui allait avec, rendait peut-être cette histoire plus mystérieuse et encore plus intéressante.
Alors que je continue d’exprimer mon avis sur la chose, je le vois faire un croquis d’une fleur dans les environs, un joli camélia, fleur qui exprime tout aussi bien la perfection, le désir, généralement offerte pour la personne aimée. Je souris quand je le vois extraire son oeuvre. C’était donc ça son pouvoir, donner vie à ses dessins, je l’enviais sur le coup et je m’imagine déjà l’âme d’une artiste si j’avais pareil don. Rien n’égal son savoir-faire certes, il avait reproduit d’une rapidité affligeante cette fleur et quand je finis par l’attraper, je m’étonne de la douceur.
J’observe sous toutes les coutures la fleur quand Kagami retient de nouveau mon attention.
- Question forte intéressante Monsieur Ukiyo.
Il y avait mille et une façons d’y répondre. C’est vrai que ce poste était une aubaine pour moi. J’avais plus de temps libre que maintenant, la possibilité de rencontrer de nombreux artistes, érudits et autres personnes qui touchaient de près ou de loin l’art, la culture ou l’histoire. J’ai pu pendant deux ans exercée ce poste mais avant cela j’ai fait quelques années au côté du précédent ministre pour m’apprendre les ficelles du métier. Peut-être j’avais fait le tour mais il faut avouer que je ne pouvais rien refuser à la Reine.
- Oh si je regrette, j’ai beaucoup plus de paperasse maintenant mais un poste comme Premier Ministre ne se refuse malheureusement pas. Peut-être c’était un rêve de pouvoir travailler auprès de la Reine puis pouvoir l’aider à rendre meilleur notre Royaume, n’est-ce pas une chose incroyable ?
L’histoire ne mentionne jamais ses ministres, peut-être je voulais changer ça mais je voulais que le règne d’Allys soit aussi remarquable que ses illustres aïeux. Ca ne fait pas si longtemps qu’elle est au pouvoir, sa mère est encore vivante, elle n’as pas encore la maturité nécessaire pour faire de grandes choses mais je sais que son heure viendra et je souhaiterais être encore auprès d’elle quand ça arrivera.
- Puis même je n’appartiens plus au ministère de la Culture, je peux tout aussi bien travailler en étroite collaboration avec mon remplaçant. Je suis autant impliquée qu’avant, les conseils de ministres me permettent de voir les différents projets et même mettre mon grain de sable si nécessaire. Mais ne vous inquiétez pas, l’art a toujours une grande place dans mon coeur !
Je continue à marcher tout en gardant la fleur dans la main. Je prends une autre allée où on voit quelques arbustes de Lilas.
- Je vais vous paraître curieuse mais cette fleur, combien de temps va-t-elle rester en vie ? Je ne connaissais pas ce don et je le trouve merveilleux !
Je prends alors le temps de sentir cette nouvelle fragrance. Les fleurs étaient exquises cette année ! Continuant de comprendre son art, nous marchons ainsi pendant quelques minutes quand le temps nous rattrape trop rapidement. Un conseiller venait de m'attraper et me demandait de rejoindre le bureau du ministre de la justice pour une affaire urgente. Nyx avait le don d'inventer des réunions de ce genre.
- Je suis désolée Maître Ukiyo mais le devoir m'appelle malheureusement.
Il me fit une dernière révérence avant de quitter le jardin resplendissant pour rejoindre mes quartiers...