Son énervement n’était égalé que par sa curiosité aux abois. Le Maître-Espion avait été très vague – un peu plus vague et il se serait transformé en croûte abstraite de celles qu’aimaient arborer les nobles dans leurs grandes demeures luxueuses – quand aux raisons pour lesquelles il souhaitait que son petit espion aille prêter ses services au Commandant de la Garde. Calixte suspectait un manque actuel de missions à la hauteur – ou petitesse – de sa médiocrité, le possible résultat d’une soirée alcoolisée entre ses supérieurs, ou simplement un je-m’en-fou-tisme global du Maître-Espion qui pouvait bien prêter quelques de ses petits poussins au Commandant – et à la Couronnes – si cela lui chantait.
D’ailleurs Calixte n’était pas certain que ce soit vraiment pour ses talents – limités – d’espion qu’on l’avait convié à ce rendez-vous improbable. Peut-être était-ce uniquement concernant son travail en tant que coursier de la Garde. Arban Hölz avait-il un courrier, ou un coli, particulier à faire livrer et ne voulait pas s’abaisser à passer par le bureau de poste de la Caserne comme tout soldat lambda – et en même temps il n’était pas tout soldat lambda – ? Ou peut-être avait-il un nouveau statut officiel au sein de la Garde à lui proposer, encore moins complexe et plus avantageux pour son activité officieuse d’espion que celui de coursier ?
Ou peut-être avait-il besoin d’un babysitteur pour ses chats. Toutes sortes de rumeurs concernant le nouveau Commandant étaient parvenues aux oreilles de l’espion. Des plus factuelles aux plus exotiques, des plus cocasses au plus macabres, des plus professionnelles aux plus intimes. Calixte n’était pas là pour les juger, même s’il gardait un esprit critique. Il se contentait de les engranger pour le bon plaisir du Maître-Espion et le salut de la Couronne. Arban Höls pouvait aimer bouloter des pâtisseries en dansant nu autour d’un sacrifice de béhémot que l’espion n’en aurait personnellement que faire – bon ceci n’est pas exactement vrai car sa curiosité naturelle le pousserait à en savoir plus – ; par contre l’information remonterait fissa à son chef vénéré le Maître-Espion.
Calixte avait deux amours : le Maître-Espion et la Couronne. Et il espérait que le Commandant fraîchement nommé n’allait pas remettre sa loyauté en question. Par interrogation ou pas ordre, volontairement ou pas.
Arrivé à hauteur du bureau de son très haut supérieur, l’espion hésita un instant. Il savait que derrière la porte se trouvait le lieu de travail, anciennement de Fergys Joestar, et maintenant d’Arban Höls. Néanmoins il s’était attendu à plus de cérémonie à son arrivée. Il savait que l’on n’accédait pas au Commandant – tout comme au Maître-Espion – juste en toquant à la bonne porte. Et pourtant… Avec le décès de Joestar, il semblait que non seulement la Garde était désorganisée, mais en plus les services proches du haut commandement étaient aux abonnés absents. Encore une fois, Calixte se demanda si cela avait à voir avec la raison pour laquelle on l’avait convoqué. Ou envoyé. Ou bref ; il n’aurait probablement jamais le fin mot de l’histoire entre le Commandant et le Maître-Espion.
Se remettant de ce manque de personnel aux abords du bureau du Commandant, il rajusta sa tenue vestimentaire standard, respira profondément, et toqua à la porte.
Vous devez être Calixte Alkh’eir, j’ai déménagé hier soir, suivez-moi.
Oui, j’ai été poli, j’aurais pu le traiter d’imbécile, qu’il aurait dut se renseigner avant de venir, mais je m’efforce de rester calme, d’après certaines personnes, je suis trop « sans filtre »et je dois me « calmer ». A l’entré se trouve le bureau de ma nouvelle secrétaire et je lui présente rapidement le nouvel arrivant :
Dame Krowle, je vous présente le garde Alkh’eir, il risque de venir souvent à partir de maintenant, vous lui permettrez d’entrer quand il le souhaite.
La jeune femme acquiesce sans un mot, ni une seule question, et je me félicite une nouvelle fois de mon choix, car j’ai trouvé là une perle rare. Elle fut la seule à convenir à mes exigences. Après plusieurs jours d’auditions, avec une dizaine de jeunes femmes ayant déjà réussis les tests d’aptitudes et d’admissions de l'administration de la Garde Royale, c’est elle qui parvint à décrocher le fameux sésame, un exploit en soit. Compte tenu de mes traits psychorigides, de ma propension à organiser mes journées à la minute prêt et aussi de mes habilités sociales quasiment inexistantes, satisfaire à mes exigences et réaliser un travail qui conviendrait à l’immense cahier des charges du poste, est exceptionnel. Et me supporter tous les jours, plusieurs heures par jour, n’est pas chose aisée. Mon manque de tact, l’absence de convention sociales, et mes propos sans aucuns filtres font de ce poste de secrétaire personnel, un poste à hautes responsabilités, certes, mais également un poste à hautes pénibilités.
Je passe donc dans mon bureau personnel et indique à mon invité :
Fermez la porte derrière vous et prenez une chaise.
Il faudrait sans doute que je lui offre quelque chose à boire, mais je n’ai pas soif et je n’ai aucune envie de voir une personne boire devant moi, ce serait une complète perte de temps, je commence donc immédiatement notre entretien en commençant pas les raisons de sa venue ici :
D’après le Maitre-espion, vous êtes une personne de valeur et qui sais tenir sa langue. J’ai besoin de vous pour une mission, et il est nécessaire que le moins de personne possible soit au courant.
A ce moment-là de mon récit, je m’interromps, plongeant mon regard dans celui du garde qui me fais face, essayant ainsi de voir à quel point je peux lui faire confiance, les yeux étant le miroir de l'âme, puis satisfais de mon examen, je continu :
Une de mes anciennes connaissances aurait rejoins une espèce de secte qui ferait des sacrifices humains. Une de leur cérémonie aurait lieu ce soir et j’ai besoin que vous y entriez et que voyiez par vous-même si c’est vrai ou pas. S’ils s’avèrent qu’ils commettent ce genre d’atrocité, vous me ferez pénétrez et nous devrons tous les envoyés rejoindre la déesse Lucy qui se chargera de les juger. La seule exception sera notre cible principale qui aura le choix de se suicider pour ne pas que le nom de sa famille soit sali par le scandale qui ne manquera pas de suivre.
Je m’arrête une minute, espérant que tout ce que j’ai entendu ne sont que des rumeurs mais c’est mon devoir de vérifier :
Pour cette première mission, et de manière exceptionnelle, je vous laisse le choix d’accepter, il y a quelques candidats, moins qualifier que vous à qui je pourrais proposer. C’est pourquoi j’ai besoin d’une réponse maintenant, car une fois passer de l’autre côté du miroir, il ne sera plus possible de faire marche arrière.
- Liens:
- La description complète de mon bureau, le plan et l'image de la secrétaire sont sur mon livre de bord.
Après un acquiescement de la tête, respectueux mais aussi un peu tendu, les pas de Calixte empruntèrent ceux d’Arban Höls. Visiblement le Commandant appréciait assez peu que son rendez-vous soit avec un espion dont les données étaient désuettes, mais le jeune homme ne pouvait décemment pas lui en vouloir sur l’ironie de la chose. Sa loyauté envers le Maître-Espion ne l’empêchant pas de le traiter silencieusement de tous les noms.
Prêtant attention au chemin menant au nouveau bureau du Commandant, Calixte mémorisa l’inhabituel parcours avant de parvenir à l’entrée de celui-ci, et de se laisser introduire sans plus de palabres à l’assistante d’Arban Höls : dame Krowle. La saluant poliment avec un sourire prudent, il nota qu’il ne la connaissait pas. Rien dans son visage, ni dans sa silhouette, ne lui était familier. Elle était de physique relativement commun, bien que d’un certain charme, et se dégageait d’elle une douce aura de professionnalisme efficient. Et de discrétion. Talent certainement indispensable aux services de la haute sphère. L’espion était cependant quasi certain que la jeune femme n’était pas issue de la Garde, et il ne lui semblait pas l’avoir croisée au sein de la Guilde. Était-elle apte à se défendre, et à défendre le Commandant, en cas de besoin ? A nouveau, il n’était pas de son ressort de juger le choix d’Arban Höls – d’ailleurs avait-il sélectionné la jeune femme ou le lui avait-on imposé – en matière d’assistant, mais c’était encore une myriade d’informations qui finiraient dans les oreilles du Maître-Espion.
Après son rapide examen de dame Krowle, le regard de Calixte parcourut le reste de la pièce. En dépit d’une organisation visiblement axée sur l’efficacité, régnait une certaine impression paradoxale de confort grandiose. Peut-être dû au doux parfum de café diffusant dans le vaste espace, aux reflets chaleureux du parquet ciré, ou aux toiles imposantes ornant les murs et dissimulant l’austérité usuelle des salles de la Caserne. La lumière pénétrant par la grande baie vitrée de ce qui semblait être une salle d’attente, aussi frappante de sérénité majestueuse, accentuait l’éclat accueillant de la pièce.
Calixte enregistra distraitement la mention de ses prochains passages à venir. Fréquents, à en croire le Commandant. La curiosité déjà attisée par ces nouvelles circonstances, et le regard occupé à décortiquer tout ce qui s’offrait à lui, l’espion n’eut pas l’occasion de paraître surpris. Il se reprit juste assez lorsque son supérieur poursuivit son chemin – et qu’il le suivit donc – jusqu’à ce qui s’avéra être le fameux nouveau bureau. Obéissant aux ordres d’Arban Höls, il ferma la porte derrière lui et s’assit sagement sur la première chaise à sa portée.
Le nouveau Commandant ne perdit pas de temps pour lui donner la raison pour laquelle il avait été convoqué – ou envoyé – et Calixte rit intérieurement à la mention de sa « valeur ». Il était tout à fait au courant de ses limites – nombreuses – et de sa médiocrité habituelle, et doutait que la mission qui allait lui être confiée fût d’une importance majeure. Ou alors les supérieurs n’avaient plus d’autres espions sous la main et avaient dû se résoudre à utiliser leur dernière – et lamentable – carte. S’il pouvait apprécier l’effort de formes du Commandant, il n’aurait pas été vexé de se voir ordonner sa mission sans cette effusion de politesse. La curiosité bourdonnant doucement sous chaque pore de sa peau, Calixte attendit patiemment la suite des propos d’Arban Höls.
Qui ne le déçurent pas. Mais qui le surprirent davantage, dans leur tournure. Il n’avait pas besoin de savoir tout ça. Bon, c’est pas son usuelle indiscrétion qui criait au scandale, elle était bien heureuse d’avoir tous ces petits détails, mais techniquement Calixte n’avait pas besoin de savoir tout ça pour mener sa mission à bien – ou à mal d’ailleurs –.
- Il n’est pas ma place d’accepter ou de refuser ; si je suis ici – dans votre bureau – c’est pour vous servir, répondit Calixte sans émotion. Tout comme il n’est pas ma place de savoir ce que vous ferez de mes informations, si vous ne souhaitez pas divulguer vos plans plus que nécessaire. Car comme vous l’avez-vous-même dit : il est nécessaire que le moins de personne possible soit au courant.
Il ne savait pas trop quoi faire de tous les détails que lui avait donnés Arban Höls et, encore une fois, ça n’était pas à lui de les juger. Il lui sembla néanmoins adéquat de préciser :
- Je serai vos yeux et vos oreilles là où vous souhaitez que j’aille. Je vous rapporterai les données qu’il vous faut. Mais permettez-moi de vous rappeler que je ne suis ni qualifié comme garde du corps, ni comme assassin. Même si je peux, effectivement, servir de guide ; tant que cela ne met pas à mal ma couverture.
Attendant la réponse du Commandant, il se demanda s’il avait dépassé les bornes en insistant sur ce point.
Je ne sais pas votre supérieur vous a mis au courant, mais je suis resté de nombreuses années au poste de maître-espion, c’était alors une époque troublée et une obscure organisation essayais de faire main basse sur le Royaume, j’ai donc du prendre des mesures que d’aucun auraient qualifiées de radicale, faisant appel aux meurtres, aux chantages et autres moyens tous plus ragoutant les uns que les autres, pour la combattre.
Je m’arrête quelques secondes, car les souvenirs de cette époque remontent instantanément à la surface, comme des chiens avides de chair fraiche, mais par un effort de volonté, je les renvoie au fond de mon esprit, avant de reprendre :
Les hommes que j’envoyais faire des missions étaient tous des assassins chevronnés, des hommes prêts à se salir les mains pour que le Roi et la Reine puisse vivre un jour de plus. Comme me l’a expliqué l’actuel Maitre Espion, les choses ont bien changé de nos jours et vos paroles m’en fournissent une nouvelle preuve. Je pense que c’est une bonne chose et j’espère que cela continuera, mais je reste persuadé qu’il faut de temps en temps se salir les mains.
Je m’arrête une minute le temps de boire un verre d’eau et d’en remplir un autre pour mon invité.
J’avais coutume de bien expliquer à mes agents tous les tenants et aboutissant d’une mission, pour qu’ils puissent décider par eux-mêmes jusqu’où, ils pouvaient aller. C’est ce que j’ai continuer à faire aujourd’hui et si cela a cassé vos petites habitudes tant pis. Si vous voulez entrer dans la cour des grands, là où la lumière n’existe pas, vous devrez me suivre et être au courant de tout, si à l’inverse vous souhaitez rester en dehors des ténèbres, vous pouvez quitter mon bureau.
Je continu donc, sans le lâcher des yeux une seconde :
C’est pourquoi la décision vous appartient, car une fois que vous serez dans mon équipe, ce n’est simplement servir que je vous demanderai, mais également de prendre la vie d’autres hommes et femmes.
Voilà, je pense avoir tout dit, il est encore temps pour lui de garder son innocence et de quitter mon antre, l’antre d’un assassin.
Continuant d’écouter les propos du nouveau Commandant, ne relevant pas ceux sur le passé de celui-ci car ça n’était pas sa place de le faire – même si sa curiosité naturelle était toute contente de confirmer certaines rumeurs et de voir que de temps à autres le Maître-Espion ne lui lançait pas que des vannes douteuses – il passa distraitement ses doigts sur le verre qu’Arban Höls venait de lui servir. Au moins avait-il le mérite d’être franc, et de savoir ce qu’il voulait. Plutôt de bons points pour quelqu’un au sommet de la hiérarchie militaire. Et qui invitèrent Calixte à ne pas passer par quatre chemins à son tour :
- Comme la plupart de mes collègues d’armes, je suis plus sensible aux idées qu’aux détails. Même connaissant votre passé, cela reste impersonnel. Je n’ai pas la prétention de connaître le Maître-Espion, mais je crois en sa supervision, en ses ordres. Donnez-moi le temps, et les raisons, de croire en l’homme que vous êtes, en l’idée que vous incarner, et ce ne sont pas des questions d’éclairage qui me feront hésiter. En attendant, je demande juste l’approbation usuelle de mon supérieur hiérarchique direct, le Maître-Espion.
Ce qui ne devait pas poser de soucis, s’il s’agissait effectivement de la nouvelle ligne directrice de la Garde. A moins d’un conflit au sommet ; auquel cas, comme il l’avait expliqué, sa loyauté allait actuellement entièrement au Maître-Espion. Mais bon, vu qu’il avait été convoqué – envoyé – avec la bénédiction de ce dernier, il se doutait qu’a priori celui-ci était complètement au courant. Un petit « surtout dis amen à tout ce que le Commandant te proposera » ou « et je suis complètement en phase avec sa politique vas-y tranquille » aurait été le bienvenu avant de l’envoyer se convertir à ces homélies un peu inhabituelles. Et si son attachement à l’avis du Maître-Espion malgré ses cachoteries et ses envois au casse-pipe n’étaient pas un gage de fidélité…
Et au-delà de l’éventuelle valeur morale, Calixte comptait aussi sur cette garantie de son intégrité. Pas seulement mentale, mais surtout physique. Déjà que le statut d’espion entraînait un tas de ramifications administratives et de protocoles en cas de pépin – en passant du fuitage d’information au décès du Maître-Espion – alors en tant qu’assassin… Il n’était pas certain que son étiquette de pion allait prendre du galon – ce qui en soi ne lui faisait ni chaud ni froid, s’il avait voulu briller il aurait choisi les paillettes de la Royale – et tenait à ne pas devenir trop rapidement à son tour une cible à éliminer. Chose en laquelle il faisait confiance à son supérieur direct actuel, parce que franchement vu sa médiocrité, il aurait pu l’envoyer se faire pendre en place publique déjà un certain nombre de fois.
- Par ailleurs, dans l'état actuel des choses, je ne suis vraiment pas qualifié comme assassin, et certainement pas comme assassin chevronné. Je sais employer le verbe pour délier les secrets, mais j’imagine qu’il y a tout un art oratoire pour pousser au meurtre ou au suicide. Je sais utiliser les plantes et les minéraux pour endormir la vigilance et être discret, mais je pense que pour un assassinat propre, ou contrôlé, simplement majorer les doses des substances ne doit pas être suffisant. Je sais tuer, salement, bêtement, mais dans toutes les nuances auxquelles je suppose qu’un assassin doit être capable… certainement pas. Pas actuellement.
Le verre était froid sous ses doigts, et la pensée qu’il n’avait pas remercié le Commandant pour celui-ci lui vint soudain. Pas à la bonne porte, pas au courant de l’accord éventuel du Maître-Espion pour son nouveau job officieux, pas poli… Calixte s’efforça de ne pas sourire. Ironiquement. En matière de maladresse, il était sur une bonne moyenne.
- En la condition d’être assuré de l’accord du Maître-Espion, et celui d’être formé de manière adéquate pour ce type de mission, ma décision est la vôtre, conclu-t-il en continuant de rendre à son supérieur le regard franc qu’il lui adressait.
Il m’indique qu’il ne ce voit pas en tant qu’assassin, car il ne sait comment un assassin doit agir. Dire que c’est lui que m’a recommandé le Maitre-espion, je ne sais pas quoi en penser, est-ce que l’on a vraiment plus besoin d’assassin et qu’on les a envoyés tous à la retraite, sans en garder un par mesure de sécurité ? C’est possible après tout, mais le jeune homme semble désireux d’apprendre et je peux bien m’assurer complètement de la partie exécution. C’est pourquoi je lui réponds sans sourire :
Vous serez donc de cette mission, voilà le dossier.
Je pousse vers lui une chemise contenant une dizaine de pages, et je lui laisse quelques minutes pour en survoler les grandes lignes avant de continuer :
Cette secte n’est composée que de cinq membres, deux hommes et trois femmes, même si je suspecte que ce ne soit qu'une partie d’un groupe plus vaste, vous avez leurs pouvoirs individuels détaillés en annexe, pas de grosse difficulté à ce sujet là et aucun ne semble savoir se battre. Notre cible prioritaire est un des hommes nommés dans le fichier Alpha, vous n’aurez pas accès à son nom, il est inutile pour votre mission car il s’agit d’un nouvel adepte, mais pour votre infiltration, toutes les autres informations sont présentes.
Je m’arrête une minute, car je rentre dans le vif du sujet :
Comme je vous l’ai dit, votre tache sera de vérifier s’ils font des sacrifices humains ou s’ils comptent réaliser une de ces atrocités et me faire rentrer. Pour cela, il n’y a pas 36 possibilités, il faudra m’ouvrir un accès, et je me charge du reste. Leur cache est dans un vieux bâtiment près du dispensaire et dont l'arrière est au bord de l’eau, je pense que c’est ainsi qu’ils choisissent leurs victimes et qu’ils s’en débarrassent après.
J’ai fini de donner toutes les informations pertinentes et je pourrai continuer en insistant sur la dangerosité de la mission et autres blablas, mais je suis sûr que mon interlocuteur a pleinement que s’il se fais attraper par les cultistes, c’est lui qui servira de sacrifice. C’est pourquoi, je me contente de lui demander :
Avez-vous des questions ?
Un rapide coup d’œil lui apprenant que les informations que lui énumérait le Commandant étaient effectivement présentes, ainsi que celles nécessaires au bon déroulé de la mission, Calixte referma méticuleusement la pochette. Il aurait été dommage qu’une feuille se perde dans les couloirs de la Caserne, voire tombe entre les mauvaises mains.
Après un court instant de réflexion aux propos finaux d’Arban Höls, il demanda :
- Dans quel délai optimal souhaitez-vous que je revienne vous porter les informations dont vous avez besoin ? Et s’il s’avère effectivement que les conditions requièrent une intervention, à quel moment préféreriez-vous agir ?
Il avait besoin de savoir à quel point la situation était urgente. Devait-il juste s’assurer du caractère meurtrier des cérémonies et trouver une voie d’entrée rapide mais potentiellement peu fiable pour son supérieur ? Ou son supérieur préférait-il au contraire une analyse plus complète de l’activité de la secte – et des accès de la bâtisse où se déroulaient ses actions –, mais qui allait demander plus de temps à l’espion ?
- Dans l’hypothèse où il vous faille intervenir, et si la situation y est propice, me permettrez-vous de participer à l’action afin de débuter mon apprentissage en la matière ?
Calixte n’était pas certain qu’une première mission de ce type était le meilleur moment pour s’éduquer au métier d’assassin, et simplement observer son supérieur à l’œuvre devrait déjà être très intéressant ; mais sa curiosité s’interrogeait sur le modus operandi pédagogique du Commandant. En passant rapidement en revue les différents instructeurs de l’Académie Militaire, aucun nom en rapport à cet art ne lui venait à l’esprit. En même temps, il n’avait pas non plus connu ceux qui enseignaient l’art de l’espionnage avant d’y avoir été convié, et encore à ce jour n’avait-il pas connaissance des autres pions du Maître-Espion.
Une fois passée la surprise et la méfiance vis-à-vis de l’incongrue demande morbide d’Arban Höls, Calixte sentait à nouveau tourbillonner le frisson de la curiosité sous les pores de sa peau. Tellement de nouvelles possibilités, tellement de nouveaux horizons d’ouverts. Et tout un pan du savoir à acquérir. Devait-il s’attendre à, non seulement réaliser davantage de missions de ce type pour le Commandant, mais aussi à appendre de son aîné cette discipline nouvelle ? Ou serait-il confié à d’autres instructeurs de la Garde ? Alors qui, sous feu l’ancien Commandant Joestar, maîtrisait encore cet art ?
J’en ai besoin le plus vite possible, ce soir si c’est dans vos capacités, je vous accompagnerai jusqu’au site quand vous allez faire votre infiltration et je patienterai camoufler à l’extérieur, jusqu’à ce que vous m’ouvriez la porte ou la fenêtre ou quoi que ce soit comme moyen d’approche. Nous parlons ici de potentiels sacrifices humains et si je peux sauver une vie, j’aimerais autant le faire, après tout, çà reste notre travail.
Là, je mens un peu, notre principale mission est de protéger le Royaume, mais j’ai déjà vu assez de personnes se faire tuer pour le restant de mon existence, alors si je peux en sauver une que je sais innocente, cela ne peut qu’être bénéfique pour mon karma personnel. La réponse à la prochaine question va peut-être faire baisser ce fameux karma, car le jeune homme veut que je l’initie à l’art du meurtre.
Je le regarde droit dans les yeux, car il a manifestement changé d’avis et le voilà prêt à « participer à l’action », charmant euphémisme pour signifier passer son épée à travers le corps de sa victime qui ici, seront surement sans défense. De toute façon, si je veux rétablir mon réseau et éliminer les menaces potentielles, j’ai besoin de ce type de personne, prêt à tuer sur commande et je ne peux que hocher en lui disant :
C’est d’accord, je vous montrerai comment égorger quelqu’un sans bruit, étrangler un cultiste sans que celui-ci puisse se défendre et autres techniques. Préparez-vous à faire des cauchemars les premiers temps, mais après on arrive à les gérer, avec l’expérience.
Je n’ajoute pas les mots plus ou moins à la fin de ma phrase, car je sens toujours au fond de mon esprit, toutes ces voix qui me crie que je les ai tués, directement ou indirectement et qu’il me faut me concentrer pour éviter qu’elles me submergent comme un raz de marée. Après avoir laissé passer quelques secondes pour bien que mon interlocuteur prenne en compte les conséquences de sa décision, je me concentre à nouveau sur la mission pour lui dire :
Je vous laisse examiner le dossier le temps qu’il faudra, vous pouvez le prendre avec vous tant qu’il ne sort pas de la caserne. Une fois que vous aurez pris votre décision, venez me voir et nous pourrons planifier notre intervention.
Je n’ajoute rien de plus, faisant ainsi comprendre à mon interlocuteur, qu’il est temps de partir.
- Alors vous ne me croiserez probablement pas sous ce visage, ce soir, se permit de déclarer Calixte.
Même s’il aimait se travestir – phrase à ne pas sortir de son contexte – l’espion effectuait tout de même un certain nombre de missions sous sa véritable apparence. Mais dans ce contexte demandant une rapidité d’action, et donc une préparation plus légère et versatile de l’organisation, le jeune homme tenait à s’exposer au minimum.
- S’il y a besoin de contact, ou de confirmation, la phrase clef sera « avec regrets brûlent (d’)anonymes noms » et sa réponse « clients aux larmes », continua-t-il sans douter de l’adhésion de son supérieur à ses propos.
S’il était rare que Calixte implique d’autres personnes dans ses missions – après tout, l’espionnage se passait tout de même mieux en solo – le secret entourant son supérieur le Maître-Espion l’avait formé à l’art des rencontres dans l’anonymat, et de ses tournures lexicales permettant à deux êtres de se retrouver sans se reconnaître par les sens usuels. C’était une certaine gymnastique de trouver des mots clefs, des phrases anodynes ou alambiquées, à la fois vides et pleines de sens. De sens pour les interlocuteurs concernés. En l’occurrence pour Arban et Cal.
Il fût à la fois soulagé et surpris que le nouveau Commandant accède à sa demande de formation. Et surtout, qu’il prenne le temps de l’informer du risque de premières nuits compliquées après passage à l’acte. C’était étonnamment attentionné de sa part. Et, plus que les propos en eux-mêmes, c’était peut-être cette touche d’humanité dans des projets manifestement funèbres qui aurait pu faire davantage hésiter Calixte. Mais qui confortèrent finalement sa décision. Même si sa loyauté allait avant tout, et surtout, au Maître-Espion, Arban Höls paraissait totalement ouvert aux tenants et aboutissants de sa politique aux ramifications funestes, que ce fut sur le papier comme sur le terrain. Et il y avait quelque chose de rassurant à savoir que la main qui pouvait vous pousser dans les ténèbres, proposait non seulement de vous y guider, mais aussi de vous ramener à la frontière de la lumière au besoin.
Hochant la tête aux propos finaux du Commandant, Calixte répondit fermement :
- Sous réserve de l’accord du Maître-Espion, ma décision est prise. Il me faudra environ deux heures pour vérifier son aval et préparer les données que vous m’avez fournies. Au terme de celles-ci, je repasserai vous rendre le dossier et vous confirmer ma participation. Dans l’hypothèse où ce soit le cas, il me faudra entre six et huit heures pour une inspection globale, succincte mais correcte, du lieu et des personnes y passant, ainsi que de ses accès. Ce qui nous fait effectivement arriver sur la soirée pour passer à l’action.
Après une seconde de réflexion, l’espion estima qu’il n’y avait rien de plus à dire, et qu’il n’avait pas intérêt à traîner s’il devait effectivement participer à la mission. Après s’être levé pour saluer correctement son supérieur, il quitta le bureau d’Arban Höls, le dossier fermement calé dans les bras. Il était temps d’aller trouver le Maître-Espion.