Rebecca avait fini son travail très tard, aujourd'hui. C'est habituel oui. Mais là, la nuit était tombée depuis très longtemps, on ne pouvait pas forcément voire où on mettait les pieds. Seules les réverbères pouvaient montraient la voie.
Seule dans la rue, Rebecca n'accélérait pourtant pas son pas. Elle faisait ce trajet depuis des années, et ce, presque tous les jours. Elle n'avait pas à stresser, ni à avoir peur des moindres bruits. Même si personne n'était là, il y avait toujours du mouvements dans la ville. Aucun quartier ne pouvait arrêter de vivre une fois la nuit tombée. chats qui rôdent, habitants essayant de regagner leur demeure, les branches bougeant sous le vent.
La conseillère se demandait si son mari serait là, ce soir. Cela faisait deux jours qu'il n'était pas rentré à la maison, et il commençait peut être un peu à lui manquer.
Continuant son trajet légèrement, elle aperçu un couple devant elle, qui ne marchait vraiment pas droit.
- Ahaha Tony, alleeeez !!
- Non Roxy, j'peux paaas !!
- Hahaha
Ils parlaient beaucoup trop fort, et Rebecca n'avait pas forcément la foi et l'envie de les rencontrer. Elle choisit de prendre un autre chemin, beaucoup moins éclairé, mais au moins, sans ces deux personnes alcoolisées.
La ruelle était sombre, sans éclairage, entourée de poubelles et ne sentant pas forcément la rose. Un chat traversa en courant, peut-être effrayé par quelque chose. Ce n'est rien, Revy. Avance un peu plus vite et tout va bien se passer
Rebecca serrait un peu plus son sac prés d'elle. Elle ne connaissait pas le taux de criminalité dans la capitale, mais beaucoup de voleurs sévissent dans les environs. La conseillère arrivait presque à la sortie de la ruelle. Elle voyait les lumières de la rue principale.
- Bonjour ma p'tite dame, on se ballade ?
Un homme avec une capuche se trouvait derrière elle, les mains dans ses poches. Rebecca savait ce que cette rencontre allait engagé. Elle se baladait toujours avec une petit arme dans son sac, une petite dague que son mari lui avait offert, au cas où ce genre de situation pouvait arriver.
Dans son dos, elle le sentait approcher. Sans perdre une seconde, et préférant fuir que de combattre, Rebecca couru dans l'allée principale. Comme elle pouvait s'y attendre, personne à l'horizon. Personne pour l'aider. Rien.
- Reviens ici !
- Aidez moi !
Mais pourquoi demander de l'aide ? Personne ne pouvait l'entendre, et encore moins de personne allait lui ouvrir la porte pour l'aider. Elle espérait tout de même trouver quelqu'un, sinon elle serait bien obligé de se retourner et d'essayer de garder son sac...
La Capitale, la nuit, c’est quelque chose. Dans les beaux quartiers de ceux qui s’appellent nobles, c’est des rues larges, pavées, éclairées et patrouillées régulièrement pour s’assurer que les fêtards qui récoltent le fruit d’une bonne action effectuée des générations auparavant n’aient pas de problèmes –ou n’en occasionnent pas- sur le chemin du retour.
Dans les quartiers marchands, quelques lumières sont encore allumées, pour négocier de sombres contrats que la lumière du jour rendrait un peu trop brûlants à manipuler. Les escortes son soupçonneuses, et il vaut mieux s’occuper de ses oignons si on veut pas être pris pour la concurrence venue fouiner d’un peu trop près.
Dans les quartiers des artisans et travailleurs, c’est davantage partagé. D’un côté, ceux qui se lèvent tôt et tentent de mener une vie saine sont couchés après avoir joué avec le petit dernier ou la petite dernière, tandis que ceux qui essaient de mener une vie valant la peine d’être vécue ou de fuir une qui n’en vaut pas la peine boivent leur argent au troquet du coin, s’exposant aux racontards et critiques à peine voilées de leurs femmes.
Dans les bas-quartiers, c’est là que ça travaille vraiment, à ces heures, sur et sous les toits, qu’on se rencontre, qu’on échange, qu’on s’embrouille, qu’on se venge ou qu’on se réconcilie, le tout dans une débauche de corps vivants ou non, pour des espèces sonnantes et trébuchantes ou cette illusion qu’est le pouvoir à laquelle nous sommes tous inféodés.
Parfois, j’décide de pas travailler après avoir raccroché mon manteau d’examinateur de la Guilde. Donc au lieu de chercher un contrat, j’me promène dans la ville, pour prendre le pouls de mes congénères. Suivant l’inspiration, j’admets volontiers qu’il m’est déjà arrivé de commettre quelque larcin ou petit délit ou délicat crime. Car l’occasion fait le larron, et qu’il faut bien s’occuper pour se sentir en vie.
Quand un cri d’appel à l’aide retentit une rue plus loin, j’suis arraché à ma contemplation d’un couple complètement torché qui essaie de rentrer quelque part ensemble. Chez l’homme, chez la femme, chez eux deux ? Aucune idée, mais à mon avis, vu son état, m’étonnerait que monsieur arrive à grand-chose ce soir, si ce n’est vomir sur le dos de madame pendant qu’elle se videra les tripes sur l’oreiller. Une affaire entendue, un véritable cadeau, et même sans mon pouvoir, c’était pas dit qu’ils se rappelleraient de moi le lendemain, même sans leurs objets précieux respectifs.
Mais c’était sans motivation, juste histoire de dire que j’avais pas fait que déambuler sans but de nuit, alors j’suis plutôt aller voir ce qui se passait derrière moi, laissant les chanceux amoureux retrouver la cuvette de leurs chiottes. La curiosité est un mauvais défaut, hé, mais aussi une de mes meilleures qualités.
J’attends qu’ils soient passés, tassé contre un mur, puis j’me coule dans la pénombre de la ruelle qui me fait face pour me rapprocher du cri de femme que j’ai entendu. On sait jamais, p’tet que la princesse se promène et est tombée sur un gros rat, et qu’elle a peur, ce qui ferait de moi un noble avec un beau manoir et des serviteurs. Un homme peut rêver.
Rien de si merveilleux, ou en tout cas la tronche de la victime me rappelle que dalle. Bien sapée, plus grande que moi donc au bas mot immense, blonde et yeux clairs, mais son faciès est rendu un peu moins séduisant par la peur qui s’y lit. Un devant et un derrière, du boulot classique mais efficace pour récupérer un sac et partir avec en courant. J’me demande s’ils l’ont suivi longtemps, ou s’ils sont juste à l’affût dans cet ensemble de ruelles.
Comme c’est toujours bien d’observer comment les collègues travaillent, j’m’adosse à un mur pour regarder la suite des événements. Voilà qui devrait bien occuper ma nuit.
Rebecca est stoppée net dans son élan. Un autre homme se tenait au milieu de la rue, devant elle. Un devant un derrière et aucune ruelle perpendiculaire. Elle était pris au piège.
- Bien bien bien ma p'tite dame, tu t'es enfin calmée. Maintenant, tu vas gentiment nous donner ton sac.
Rebecca serrait encore un peu plus son sac contre elle. Aucune des affaires qu'il n'y avait à l'intérieur n'étaient importantes, c'était juste une question de principe. Une question de morale même : choisit-on de donner son sac sans se battre au risque que ça recommence ? Ou battons-t-on jusqu'à la fin, quitte à être blessé ?
Peut-être que la conseillère à mit trop de temps à répondre. En tout cas, les deux voleurs se rapprochaient de plus en plus. Bientôt, elle n'aura plus aucune possibilité, elle va devoir se séparer de son sac...
Elle fit une croix sur l'aide extérieure. Appeler son mari à la rescousse aurait été tellement bien, mais elle habitait trop loin et n'avait aucun moyen pour le joindre. Rebecca décidait alors de combattre. Ça n'allait pas être deux pauvres gamins des rues qui allaient lui faire peur. Utilisant son pouvoir pour transformer le simple gloot en smilodon grâce à l'ombre environnante, elle sorti sa petite dague, prête pour le combat.
La créature se mit a tourner autour d'elle et a feuler.
- Je vous déconseille de venir vers moi. Le smilodon va croire que vous l'attaquez.
Rebecca espérait que son pouvoir suffirait à décourager les deux hommes à continuer. Elle priait même Lucy pour.
Y’a une bonne ambiance dans cette ruelle. Après avoir essayé de fuir, ce qui est un comportement tout à fait normal, la nana a essayé l’intimidation. Dans l’obscurité, c’est pas forcément évident à voir, mais son pouvoir semble invoquer un genre d’animal en ombre, probablement qui lui obéit. J’suppose qu’il doit faire des trucs tangibles, et pas juste de l’esbrouffe, ou en tout cas j’espère pour elle.
En tout cas, les deux racketteurs, eux, ils sont pas très intimidés. Ils ont probablement des pouvoirs qui vont bien pour leur boulot, ou alors des pouvoirs totalement inutiles qui font qu’ils se retrouvent à voler les vieilles dames dans les ruelles sombres. J’dirais que c’est quitte ou double. D’un autre côté, les bandits seraient probablement davantage méfiants si elle avait fait preuve de confiance au lieu de commencer à s’enfuir, j’suppose.
J’veux dire, si ton pouvoir c’est de faire exploser un crâne humain par la pensée, a priori, tu vas pas courir face à deux clampins qu’essaient de gratter de quoi s’acheter un fix ou payer des dettes de jeu. Ou qui que ce soit d’autre, au demeurant.
L’un des deux ricane sournoisement, avant de faire un geste bizarre avec les mains. C’est celui qu’est derrière la blonde, j’ai vachement bien ses dents jaunies en champ de vision. Il s’passe un truc, mais j’vois pas bien, alors j’me rapproche tout doucement. J’voudrais pas qu’ils me remarquent, pas tout de suite en tout cas. C’est que, une fois qu’ils auront commis leur forfait, j’exclue pas de commettre le mien.
Ça serait ironique.
De plus près, y’a un genre de bulle qui semble être apparue autour de la bestiole d’ombre. C’est transparent, ça semble tout fin, mais suffisamment solide pour empêcher la créature de faire quoi que ce soit. Plutôt marrant, comme pouvoir. Et diablement emmerdant. Ça va être le premier que j’vais poignarder, si j’ai l’occasion.
Pendant ce temps, la nana a pas l’air serein. Ah ben c’est sûr que quand ton pouvoir se fait contrer alors que tu tablais dessus pour t’en sortir, ça la fout mal. L’autre malfrat fait pas grand-chose, lui, se contente d’avoir l’air menaçant.
« Donne ton sac, et tout ira bien, assure-t-il. »
J’ai connu des arracheurs de dents plus convaincants alors même qu’ils approchaient les tenailles de la bouche de leurs clients.
Rebecca ne savait pas quoi faire. Plus quoi faire, même. Elle avait espéré que la vue du smilodon aurait suffit à faire fuir les deux agresseurs, mais on dirait qu'ils en veulent vraiment à son sac. Son cerveau fumait, réfléchissant à toute vitesse. Cela valait-il vraiment la peine de se prendre un coup de couteau pour un sac à main bon marché, une pomme et une dague ?
Elle jetait un oeil rapide à sa créature. Il serait facile de la faire redevenir ombre et d'en créer une autre un peu plus loin, mais le résultat restera le même. En plus, les deux hommes étaient beaucoup trop loin pour espérer faire une attaque directe avec son pouvoir.
Après analyse, son choix n'allait pas être compliqué.
- Tenez. Prenez le et laissez moi partir !
- Ta dague aussi, p'tite femme.
Elle jeta le sac et l'arme aux pieds de l'homme devant elle. Celui-ci le pris du bon des doigts. Elle le fixait, comme pour voir ce qui pourrait penser de ce sac trouvé aux puces. C'est alors qu'elle vit une ombre derrière lui. Une silhouette d'homme, tapis dans l'obscurité environnante. Il regardait la scène, les bras croisés sur la poitrine. Rebecca se demandait depuis combien de temps il était là. Depuis le début ? Alors pourquoi n'était-il pas venue l'aider ? Peut-être fait-il équipe avec ces deux agresseurs, ce qui, du coup, la foutrait encore plus dans la merdouille.
L'homme qui avait attrapé son sac à main inspecta l'intérieur, puis le jeta à terre. On dirait qu'il n'était pas content du résultat de sa chasse.
- Y'a rien là d'dans ! Tu t'fous nous, c'est ça ?!
- Une noble comme toi peut pas rien avoir de valeur sur elle !
Voilà. Encore une fois, ces vêtements lui faisaient défaut. On la prenait souvent pour ce qu'elle n'était pas. [i] Pourquoi une simple citoyenne ne pourrait pas s'habiller de façon classe et distinguée ? |/i]. Mais Rebecca ne posait pas la question, trouvant que le moment était mal choisie pour faire un débat.
- Je ne suis que citoyenne, je ne possède rien de valoir.
- P'têt qu'elle cache tout sur elle, Rick ?
- Pas bête, Morty. Allons fouiller tout ça...
Tandis que l'homme en face commençait à approcher, Rebecca essayait de reculer. Mais elle savait qu'elle en avait un autre derrière elle. Elle ne pouvait rien faire. Oui, mais rien faire signifierait beaucoup trop de chose, des choses qu'elle n'ai vraiment pas prête à donner, ou à se faire voler.
Dans un dernier espoir et dans un dernier cris de détresse, elle regardait droit dans les yeux (si on puis dire) l'ombre qui se tenait non loin de là. Pleurant presque, elle rassembla tout le courage qui lui restait. Elle ne savait pas qui il, ou elle, était. Peut être un autre bandit, un mendiant. Mais une seule chose pouvait réunir tout le monde, et faire de deux ennemis les plus grands amis du monde.
- Je vous paierai si vous m'aidez !
Ma nouvelle copine est fauchée.
Globalement, c’est un peu le résumé de cette sombre affaire. En tout cas, les voleurs ont pas l’air hyper satisfait de ce qu’ils ont trouvé dans son sac à main, vu qu’ils se plaignent et exigent de recevoir du vrai argent pour fruit de leur dur labeur. J’avoue que pas grand-monde se fait chier à braquer des clochards, en même temps, à part pour des informations ou un peu de came. Y’a rarement plus intéressant à en tirer, de toute façon.
En tout cas, ses velléités de résistance ont pas fait long feu : dès que la bestiole d’ombre s’est faite emprisonner dans la bulle mystérieuse, y’avait plus personne. Normal aussi, une femme seule dans des ruelles obscures, en infériorité numérique, pas de possibilité de s’enfuir si ce n’est en donnant ce qu’elle possède… C’est les réflexes reptiliens. Ça demande un certain doigté, mais faut juste pas pousser les gens trop à bout, certains craquent et deviennent fous après. Puis ça griffe, ça mord, ça hurle… Tout le potentiel de la bavure, quoi.
Les bandits s’préparent à tâter la marchandise avec leurs mains pleines de doigts pour vérifier qu’ils sont pas menés en bateau, et en retirer à tout le moins un peu de satisfaction, quand elle m’interpelle. Enfin, j’suppose que c’est moi, parce qu’à ma connaissance, y’a personne d’autre dans cette ruelle à part nous quatre. Ouais, nan, personne derrière moi.
Celui qu’est derrière elle regarde dans la même direction et m’calcule. L’autre se retourne même pas. Il a bien raison, c’est une tactique assez basique qui marche plutôt bien, de façon surprenante, pour détourner l’attention. Donc il garde les yeux fixés sur sa proie. Ouais, à la limite, pourquoi pas, maintenant que j’suis là…
Celui qui me voit prend la parole.
« Reste en dehors de ça si tu veux pas d’emmerdes. »
Ouais, solution la plus simple pour lui. Je hausse les épaules, mais j’suis pas certain que ça se voie dans le noir.
« Casse-toi, d’ailleurs, qu’il crache. »
J’l’ignore et j’regarde la nana en panique.
« Ça paye combien ? »
Comme j’sens que ça fera un peu léger, et qu’il faut profiter du moindre avantage qu’on pourrait avoir, j’m’avance rapidement de trois pas pour être dans le dos du deuxième mec. Il commence à se retourner en levant le bras, et j’distingue un éclat métallique. Manque de bol pour lui, j’suis un brin plus rapide, et il se fige quand il sent la pointe de mon surin juste en-dessous de ses côtes.
« Shhh, shhh. Si je renifle le moindre millimètre de pouvoir, t’peux dire adieu à ton foie. »
Hé, pas de raison qu’on continue pas à s’amuser, pas vrai ? Après tout, j’suis aussi un peu là pour ça.
« Et c’est parti pour les enchères. Soyez imaginatifs, d’acc’ ? »
Toujours tenue par le premier bandit, Rebecca regardait la scène qui se passait sous ses yeux. En à peine quelques secondes, l'ombre prit forme humaine et se plaça derrière le deuxième homme, en le pointant avec une arme. La conseillère était contente de son geste, presque miraculeux. Elle en oublierai presque sa situation.
L'homme qui l'avait attrapé resserrait son étreinte autour de son bas ventre, et passa son autre bras, armé d'une arme blanche, autour de son cou.
- Un pas d'plus, mon ami, et la p'tite dame y passe.
Chacun un prisonnier, les deux groupes se regardaient, attendant qu'un ou l'autre fasse le premier pas. Rebecca supportait de moins en moins cette situation. Mais elle n'était plus la seule dans ce cas. Le deuxième bandit devenait blême, au fur-et-à-mesure que le temps passait.
- 100 cristaux.
L'offre que la jeune femme venait de faire était simple, et pas forcément chère pour ses économies. Elle espérait secrètement que cela suffira, ne voulait pas forcément mettre plus pour un simple sac à main et un stylo.
- Rick ! Il va me tuer ! Fais quelque chose, quoi !
- Mais quoi, Morty ! On va pas jouer aux enchères, si ?
Le prisonnier essayait de bouger, mais la poigne du sauveur était trop importante pour qu'il bouge, un temps soit peu. Il regardait tour à tour son camarade de vol et Rebecca.
- 200 cristaux.
- Non mais Morty, t’exagère, là ! Rentre pas dans leur jeu !
- J-Je....250 cristaux !
Rebecca avait l'impression d'être au marché, en train de faire ses courses. Ou dans une salle d'enchère, mais au lieux d'acheter une tenue à la dernière mode, là, ils étaient tous en train de ré-enchérir sur des vies humaines. Et puis, soudainement, Rebecca se dit, qu'importe le montant, elle paierai tout ce qu'il faudrait pour rester en vie. Et puis, peut-être que son mari verra qu'elle met plus de temps que d'habitude pour arriver, et partira à sa recherche.
Secrètement, Rebecca espérait que tout ce termine bien pour tout le monde. Même si ces deux bandits ont voulu lui faire mal, ils devaient bien y avoir une raison. Peut-être n'ont-ils pas assez d'argent pour subvenir à leur besoin. Peut-être ont-ils tous les deux des familles qui les attendent, impatients d'être tous de nouveaux réunis. La conseillère avait peut-être un peu de peine pour eux. Mais juste un peu, hein.
Deux cent-cinquante pépettes. Y’a pas à dire, on fait des belles rencontres dans les rues de la Capitale. Par contre, on est comme qui dirait un peu coincé. Déjà, j’pense pas que les deux voleurs de bas-étage aient réellement les moyens de payer ne serait-ce que deux cent cristaux, mais en plus, quoi qu’il arrive, on fout quoi ensuite ? On a un otage chacun, et si clairement j’en ai rien à battre qu’elle clamse, ça serait un peu perdre le jeu. Et j’suis un peu mauvais perdant.
« T’façon, c’est pas déjà un peu la merde ? Que j’interviens. Genre c’est plus ou moins sûr de mal finir, là. »
Sauf si les malfrats gagnent l’enchère, mais pour me faire payer ensuite… Mais j’les sens pas hyper chauds pour renchérir.
« Pour ça que le mieux, c’est de me laisser partir, assure celui que j’maintiens. »
Ouais, mais pour le moment c’est madame qui a gagné l’enchère. Ça serait pas du jeu, hé ? Nan, quand c’est la merde comme ça, le mieux, c’est encore de renverser le plateau par terre et de regarder comment les pièces tombent, puis voir ce qu’on peut en faire.
« T’as raison, vieux, ça sert à rien de te garder en otage. »
Le type a un soupir de soulagement qui s’étrangle brusquement quand mon surin se plante entre ses côtes, d’abord le poumon, puis le cœur. J’le repousse doucement pour éviter qu’il me saigne dessus, très salissant et pénible à laver et j’regarde les deux autres.
« J’t’avoue que j’ai plus d’otage, mais que celui que t’as te servira pas à grand-chose. Tu peux la buter si tu veux, ça m’en touchera une sans faire bouger l’autre, tu vois ? »
J’avance vers lui, tout en confiance, en faisant des huit en l’air avec mon couteau.
« T’as buté Morty, espèce de taré !
- Oh, ouais, là, c’est assez mal barré pour lui. Mais vois le bon côté des choses. C’est l’occasion d’arrêter ces trucs de gagne-petit et de s’tourner vers du vrai boulot. Ou alors devenir menuisier, j’sais pas. J’ai envie de dire, c’est pas mon problème. »
Les bulles réapparaissent, et me bloquent le chemin. J’les touche délicatement avec mon arme. Assez rigides, huh. Et Rick est en pleine hésitation, yeux écarquillés, respiration paniquée, clairement il sait pas trop quoi faire. Il va p’tet faire une connerie, mais j’espère pas pour la p’tite dame. J’veux dire, ça serait ballot pour elle, après tout.
Alors Rebecca essayait de feinter, de parler avec Rick.
-Écoutez...Rick. Si vous me lâchez, on oubliera tout. Et vous pouvez aller soigner votre ami.
Elle sentait encore un peu l'homme desserrai son étreinte. Il était normal qu'il hésite. La situation avait complètement déparé, et clairement pas dans son sens. Il était venu pour voler quelqu'un, pas pour perdre son coéquipier.
- Je ne suis pas là pour perdre mon frère. Ok, pars, dépêche toi !
Enfin libre, Rebecca récupéra son sac. Les bulles présentes par le pouvoir de Rock disparurent en éclatant, libérant le chemin. Ce dernier se rapprocha de son complice, le pris par la taille et parti vers le médecin le plus proche.
En quelques minutes, il ne restait que la conseillère et son sauveur. Sauveur, sauveur...il a quand même poignardé quelqu'un.... Mais une promesse est une promesse. Il l'avait aidé à ne pas mourir, elle devait donc payer ce qu'elle lui devait.
Elle s'approcha de lui
- Merci bien ?
J’me demande comment leur mémoire va boucher le trou béant qui s’y trouve. Une soirée alcoolisé qui tourne mal ? La délicate jeune femme qui me fait face qui leur a finalement cassé la gueule au point qu’ils finissent grièvement blessés ? Ca se trouve, ils vont lui en vouloir et essayer de se venger. J’lui jette un regard torve. A ce rythme, elle tiendrait pas deux minutes.
« Mais de rien, gente damoiselle, je brûle de rendre service aux jeunes femmes en détresse, avide de rendre service à ma prochaine, pour rétablir l’ordre, la sécurité, et lutter contre le chaos et les dangers de la vie quotidienne. »
J’ajoute une petite courbette pour bien montrer que j’me fous de sa gueule, puis j’me redresse.
« On avait dit deux cent cinquante cristaux, c’est ça ? J’prendrais bien d’autres paiements mais à voir l’alliance, ça paraît mal engagé. »
Cela dit, juste des cristaux, ça serait d’une tristesse… La nuit est pas encore si avancée, alors autant aller au bout des choses.
« Sinon, si vous habitez pas trop loin, j’prendrais bien une tasse de thé, plutôt que l’argent. Toutes ces aventures m’ont donné soif. Et ça permettrait de savoir ce que fait une jeune noble dans les ruelles moins fréquentables du quartier, au lieu d’être chez elle. »
Puis si elle est noble, ça permettra de repérer le terrain et voir si y’a des trucs sympas si jamais je décide de repasser dans le coin nuitamment.
« J’m’appelle Vrenn, au fait. J’travaille de-ci, de-là. Et vous ? »
J’lui fais mon plus beau sourire, celui qui m’donne l’air sympathique. Ça va que j’suis pas trop mal sapé ce soir, en plus.
- Une tasse de thé ? Heu...et bien oui, pourquoi pas. Suivez-moi alors. Mais pas chez moi. Je connais un endroit qui est ouvert toute la nuit. Et qui sert du thé.
La conseillère n’allait tout de même pas faire venir un inconnu chez elle, sauveur ou pas. Très peu de personnes ont réussi à passer le test de la porte d’entrée, et elle n’allait pas commencer à augmenter le nombre de visiteur. S’étant mis en route, elle marchait un peu devant le jeune homme. Comme il ne pouvait pas savoir où ils allaient, c’était tout normal.
- Je ne suis pas noble. Une simple citoyenne tout ce qu’il y a de plus normal, qui a juste un poste qui nécessite des habits un peu plus soignés que d’ordinaire.
Ils continuèrent à marcher en silence. La route jusqu’à l’établissement n’était pas longue. Elle le connaissait parce que c’était là où elle allait quand elle finissait tôt le matin, elle qu’elle n’avait pas le temps de rentrer chez elle avant le début du nouveau jour.
Puis, instinctivement, elle accélérait le pas. Quelques regards en arrière, puis de nouveau une accélération. L’homme derrière elle continuait à la suivre. Qu’est-ce qu’il lui voulait ? Est-ce qu’elle le connaissait ? Sa tête lui disait quelque chose. Mais où elle l’avait vu ?
Arrivée devant la porte du bar, elle se retourna vers le jeune homme.
- On se connait ? Votre visage me dit vaguement quelque chose. Trenn, c’est ça ?
Salon de thé, dommage. Enfin, à cheval donné, on ne regarde pas les dents. Et pour une poignée de cristaux, autant boire un thé en charmante compagnie, c’est un peu plus marrant. Après tout, j’suis pas là que pour l’argent, j’suis surtout ici pour m’amuser comme j’peux. Du coup, j’suis un peu dépité quand, au bout de plusieurs minutes de marche, elle a déjà commencé à bien m’oublier.
J’pensais que j’aurais davantage marqué sa mémoire, à lui sauver la mise alors même qu’elle venait de se faire agresser. J’ai presqu’envie de me faire passer pour un client lambda qui va juste s’asseoir à une autre table, mais ça retirerait le sel du jeu, même si j’aime moins les règles de celui-là. Nan, quitte à jouer, autant ne pas quitter la partie en cours, et voir jusqu’où j’arrive à la mener.
« Bien sûr qu’on se connaît. Trenn, tout à fait. J’ai pas retenu votre prénom, par contre ? »
J’pense pas qu’elle ait oublié l’agression dont elle vient d’être victime, cela dit, donc j’pense que j’ai un angle là-dessus.
« Vous avez été agressée un peu plus tôt dans une ruelle mais ils se sont enfuis avant d’avoir pu vous faire du mal. Vous êtes en état de choc, je pense. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’une petite tasse de thé avec quelque chose à grignoter vous ferait le plus grand bien. »
J’prends l’air soucieux, aux petits soins pour elle.
« Quand vous irez mieux, vous pourrez aller voir la garde, ou rentrer chez vous. J’ai pas bien vu les assaillants, personnellement, alors j’pourrais pas vous aider à les identifier, par contre… »
Puis bon, je vais quand même pas dénoncer les collègues gratuitement, ça se fait pas. Enfin, si, mais là j’ai la flemme de devoir me palucher les interrogatoires par la garde pour savoir si j’étais pas sous l’influence de l’alcool ou de produits plus originaux, ça prend des plombes à chaque fois et j’envisage vaguement d’aller me pieuter un jour avant de me pointer à la Guilde pour continuer ma nuit de sommeil.
Oui, elle se rappelle d'un truc dans ce genre. Deux hommes l'alpaguant dans la rue pour aucune raison, lui demandant son "sac de noble". Allons bon, Rebecca avait des trous de mémoire... très bien. Ce qui l'étonne d'autant plus, à part cette boulette de souvenirs, c'est qu'elle était sur le point de partir boire un verre avec un inconnu. Mais il n'a pas l'air d'un inconnu non plus, puisqu'il était là quand elle s'est fait agressé. Mais si c'était lui, l'agresseur ? Tout ce mélange dans sa tête, elle ne sait plus ce qui est vrai ou non.
Pour l'instant, il fallait garder ses distances avec cette personne. Elle ne connait pas ses véritables intentions, et personne d'autre n'était là avec eux, à part les hommes qui sont partis. Il allait falloir qu'elle creuse un peu plus loin pour connaître le fin mot de cette histoire.
Elle invita Trenn à rentrer avec elle dans la taverne. Celle-ci était pleine. Normal, la soirée était à son milieu, l'ambiance battait son plein. La clientèle se divisait en deux catégories : les buveurs modérés et les piliers de comptoir. C'est clair qu'il y avait plus de piliers que de modérés, mais bon.
Prenant une table encore disponible, un peu à l'écart de la foule, elle hélait un serveur pour commander une tasse de thé. Elle ne prit pas en compte son haussement de sourcils ni son regard lubrique envers Trenn.
- Vous ne commandez rien ?
Elle a l’air perdu, ma nouvelle copine. En même temps, le traumatisme de l’agression, le sentiment d’impuissance, de danger, la possibilité de pouvoir mourir comme ça, l’adrénaline, le palpitant qui panique, le souffle qui s’emballe… Encore un peu et ça va me rappeler mon adolescence, quand j’ai commencé à bosser dans cette branche. Le premier combat qui peut mal tourner, ça fait bizarre, on comprend pas, on réalise pas, et faut vivre, survivre, aux dépens des autres parfois…
Mais on s’habitue à tout.
Taverne plutôt sympa, j’connaissais pas le coin. J’vois que j’ai la côte auprès du serveur, cela dit. J’lui adresse un clin d’œil. P’tet moyen que la soirée devienne plus intéressante que prévue, et au pire, j’aurai p’tet des consos gratuites. Y’a pas de petit profit, après tout. C’est juste un autre jeu. Dans la taverne, vu l’heure, c’est clairement les habitués. Ça appelle le patron par son prénom ou un sobriquet sympa, ça joue aux cartes, ça demande les nouvelles de la petite famille. Pas le genre de coins où une noble, ou une citoyenne qu’a la côte, devrait fréquenter normalement, mais bon.
« Oh, si j’vais prendre un verre de rouge. Mettez-moi celui de la région de Grand-Port, s’il vous plaît.
- Je t’apporte ça tout de suite. »
Oh, direct le tutoiement, j’sens que ça progresse vite. Ha.
Elle veut pas me donner son nom ou son prénom, par contre, la nana. Un peu pénible, ne serait-ce que pour lui adresser la parole. Enfin bon, on n’est que deux à table, alors, hein.
« Les rues de la Capitale ne sont plus aussi sûres qu’avant, hein ? C’est à se demander ce que fabrique la Garde, le Guet. Jamais de patrouilles, on croirait. J’me demande si y’a des problèmes budgétaires, ou des incompétents qui dirigent. J’penche vers ça, pasque c’était beaucoup mieux avant. »
Mon verre de vin arrive, et le serveur frôle mon épaule. T’emballes pas, j’joue à l’autre jeu, encore, là.
« Vous devriez peut-être éviter de vous promener seule dans les ruelles sombres, loin des gens et des grands axes. »
Enfin, j’dis ça, j’dis rien, moi ça me fait du boulot…
- Vous avez l'air d'être un fin connaisseur en matière de vin, dis donc.
Elle ne connaissait absolument rien aux alcools, à part les classique. L'exotisme n'était pas trop sa tasse de thé. En parlant de ça, la serveuse revenait assez rapidement à leur table. Beaucoup trop rapidement, et beaucoup trop souvent, même. A croire qu'elle ne voulait pas que connaître les commandes.
Rebecca ferait mieux de laisser les deux jeunes gens tranquille, elle ne voulait pas gâcher entièrement la soirée de Lenn. Surtout qu'elle devait vite rentrer chez elle. Bah, en même temps, qui pouvait l'attendre ? Elle ne connaissait plus l'emploi du temps de son mari. Il était tellement changeant aussi. Entre ses gardes de nuits, ses inspections, ses voyages à l'autres bout du royaume et ses rondes nocturnes, c'était à peine s'il trouvait le temps de valider les devoirs conjugaux.
Donc bon, au temps essayer de continuer un peu plus la soirée, même qu'une heure supplémentaire.
- Vous faîtes quoi dans la vie alors, Drenn ?
Ils continuèrent à parler pendant quelques minutes, ou quelques trentaines de minutes. Le temps défilait à une vitesse pas possible quand on s'amusait. Il était déjà l'heure pour la conseillère de partir vaquer à d'autres occupations, beaucoup moins amusantes.
- Et bien, cela m'a fait plaisir de tomber sur vous, très cher Srenn. J'espère que nous pourrions nous recroiser à l'avenir. Dans des circonstances beaucoup moins compliquées et ambiguës.
Tiens, on est passé d’un serveur à une serveuse. Marrant, ça. Enfin, ça me dérange pas non plus, au demeurant. Et si j’peux pas rester avec l’inconnue, il me restera toujours un… ou deux plans de secours. Ou p’tet qu’un seul, mais à deux ? Bref, s’occuper de l’instant présent, pour le moment. Et ça parle pinard, un truc où j’m’y connais, surtout quand il s’agit de le boire.
« Non, non, je ne m’y connais pas tellement. Plus on en apprend, plus on se rend compte qu’on ne sait rien, après tout. »
Et j’ai pas besoin d’apprendre pour le savoir, en l’occurrence. Moi, mon truc, c’est plutôt le pichet à table, ou les bouteilles pour écluser une soirée dignement avec les collègues de la Guilde. Un bon gros rouge qui tâche, un, nan, quatre, comme dirait Gégé. Moi, j’préfère ceux du côté du Grand-Port, ‘sont plus fruités en général, surtout pour les prix où on les achète. Et pour Gégé, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.
J’fais tourner le rouge dans mon verre, j’le sens, et j’le goûte. Il fera parfaitement l’affaire, surtout si c’est elle qui invite, comme elle est censée le faire.
« J’suis examinateur pour la Guilde des Aventuriers. Ça permet de voir les aventures, leurs conséquences, rencontrer les gens qui ont, ou ont eu des soucis, et de les aider du mieux qu’on peut, sans mettre les pieds directement dans le plat. C’est qu’affronter des monstres, moi… »
Je hausse les épaules pour montrer que le danger, très peu pour moi. C’est presque pas un mensonge.
La conversation continue tranquillement, c’est les sujets bateau habituels. Autant dire qu’on s’fait chier, et que j’retiens un soupir de soulagement quand elle se lève pour se barrer.
« Bien sûr, avec plaisir. Rentrez bien, et soyez prudente. »
J’la laisse sortir la première, puis j’prends mon verre et j’vais me poser au zinc. En face de moi, la serveuse m’adresse un regard interrogateur.
« Pas de chance ?
- Oh, si, justement. J’ai cru que ça n’en finirait jamais.
- Pourquoi, tu dois aller quelque part, ensuite ?
- Oh, non, pas tout de suite. J’ai exactement autant de temps libre que nécessaire pour faire autre chose. Tu me conseilles quoi ? »
Sa langue pointe entre ses lèvres, puis elle la mordille.
« Les Conflans ?
- Allons-y, que j’réponds avec un sourire. »
La soirée ne sera pas perdue.