Encore un cauchemar. Toujours le même.
Tu n'arrives pas à tourner la page, tu ne parviens pas à te pardonner cet acte fatidique qui s'était produit il y a pourtant tant d'années maintenant. La mort de ce Pinplume hante et hantera ton esprit encore longtemps, tu n'arriveras jamais à chasser ce sentiment de culpabilité qui te ronge de l'intérieur.
Encore une fois, ta nuit avait été agitée. Mais malgré tout, tu te levais avec le sourire. Tu n'étais plus seule maintenant, tu avais Snowbell avec toi. Une étoile blanche qui était à toi, à toi seulement. Ce n'était pas une simple créature que tu soignais ou que tu élevais en attendant qu'elle retrouve son habitat naturel, non. C'était ton familier depuis hier seulement. Tu étais heureuse, tu savais qu'elle allait devenir ton porte-bonheur.
Après tout, les étoiles blanches étaient synonyme de chance... mais tes terreurs nocturnes n'allaient pas te quitter de sitôt.
« Pardonne-moi Snowbell, j'espère que je ne t'ai pas réveillé. »
Tu ouvrais les volets de ton logis qui faisait également office de pension. En passant tes doigts dans la douce laine de ton animal, tu observais le ciel. Il pleuvait. Ce n'était pas une très bonne journée. Tu allais rester à l'intérieur pour le moment, de toute façon, tes pensionnaires n'étaient pas dehors. Tu avais un couple de dragons de cerisier ainsi qu'une étoile blanche adulte, blessée, en plus de Snowbell, avec toi. Ils étaient dans une autre pièce et dormaient probablement encore, de vraies petites marmottes.
Tu t'apprêtais à aller te faire un thé, mais un bruit avait retenti avant que tu ne puisses réagir. Cela venait de derrière ta porte d'entrée. Tu avais décidé de l'ouvrir, en te demandant l'origine du bruit ; du courrier si tôt le matin ? Un enfant égaré, peut-être ? Tout était possible, après tout, tu étais à la frontière du village perché. Mais ce n'était pas ce que tu croyais.
« Oh, bonjour toi. Tu t'es perdu ? »
C'était un dragon miniature. Visiblement, il n'était pas dans le meilleur de ses états, sans doute à cause de la pluie. Tu lui avais ouvert la porte, chaleureusement, en l'invitant à entrer à l'intérieur. Tu ne savais pas s'il comprenait ce que tu lui disais. Tu souhaitais vérifier s'il était blessé avant de le laisser repartir, et laisser l'averse se calmer. Il n'était pas obligé d'accepter ta requête... Mais tu avais envie qu'il le fasse. En l'observant, tu ressentais un étrange sentiment de nostalgie.
Pour te réveiller le coeur battant à tes tempes, ta gorge asséchée par les cris que tu laissais s'échapper. Tremblante. Glacée dans ce loft mal isolé. Tes yeux fixaient le vide alors que tu déglutissais difficilement. Ta soeur, ta vie, ton monde. Arrachée à toi dans tes rêves comme dans ton passé. Tu ne pouvais plus que la voir de loin, la dévisager sous une forme qui te protégeait. Tu ne pouvais plus que te terrer dans la terreur accompagnant ta vie depuis son départ et la culpabilité d'être la raison de son mal-être, la raison pour laquelle on l'a éloigné de toi.
Coeur en miettes et esprit à la dérive. On t'avait plongé dans un monde si sombre et silencieux dont tu ne sortais plus. La frayeur avait élu domicile dans ton regard si doux et auparavant tendre. Tu n'étais plus qu'un petit animal sauvage traqué tentant de fuir le chasseur. Et celui-ci était la vie. Une porte s'était ouverte à toi dans la capitale en tant que soigneuse, déliant cette langue qui avait décidé de ne plus fonctionner un temps. Mais la culpabilité vibrait, incendie véritable en toi qui te consumait. Tu avais volé la vie de ta soeur et rien de ce qui pourrait être fait ne la lui rendrait.
Ta fragilité, ta naïveté qui s'était évanouie pour laisser place à un effroi total de la vie, ton incapacité à te défendre, avaient pris la vie de ta soeur en la poussant à te protéger. Et eux avaient pris ta vie en pensant vous protéger. Tu ouvris le rideau de la petite fenêtre sur un dehors encore bien sombre. Tu ne dormais plus que très peu, fatiguée et épuisée, tourmentée de souvenirs qui ne te laissent pas.
Tu décidas de sortir dehors dans le froid nocturne pour bouger, pour faire autre chose que de tourner en rond dans ce loft. Et tu te retrouvas à voler en rond dans les airs, tournoyer alors que le matin commençait tout juste. Tu n'avais pas prévu, néanmoins, la pluie qui se mit à tomber alors que tu approchais la frontière du village perché et en voulant te poser, une bourrasque de vent te fit perdre ton vol.
Tu te heurtas à une porte en poussant un petit cri de surprise, mais te figeas quand la porte s'ouvrit. Tu entras avant même de réaliser qui se trouvait, par le plus grand des hasards, à avoir ouvert sa porte. T'abriter de la température était bien important. Mais en levant ta petite tête vers l'hôte, ton corps fut parcouru d'un frisson électrique et ton coeur manqua des battements. Tu te trouvais plus proche que jamais de ta soeur. La culpabilité qui te prit à la gorge te donnait envie de pleurer, de fuir. Tu avais bien trop honte pour rester ainsi devant elle. Bien heureusement que tu étais sous forme d'un dragon miniature.
Les émotions te firent t'envoler et tourner en rond dans l'appartement, désorientée et incertaine de ce que tu devais faire. Tu finis par te poser sur le comptoir de la cuisine et la regardas. Si tu avais pu t'excuser, tu l'aurais fait. Tu aurais tant voulu que les choses aient été différentes. Être différente. Peut-être même ne jamais avoir existé comme ça elle n'aurait jamais eu à faire ce qu'elle avait fait pour te protéger.
Mais on ne pouvait pas revenir dans le passé. Tu glapis légèrement. Comme pour la saluer. Tu ne savais pas quoi faire. Tu n'avais pas prévu ça.
Il s'était posé près de toi, en ayant l'air de t'observer. En le regardant, tu savais qu'il ne s'agissait pas d'un dragon miniature ordinaire. Tu le sentais, tu en avais la certitude, mais tu ne pouvais pas savoir pourquoi. Tu étais incapable de l'expliquer. Cette créature te rendait nostalgique, triste, mais aussi heureuse. Un mélange d'émotions bien spécial et pourtant, tu n'avais pas souvenir d'avoir côtoyé beaucoup de dragons miniatures dans ta jeune vie. Tu étais intriguée, curieuse et tu voulais en savoir plus, mais tu ne pensais pas que cette bête ailée puisse t'aider -c'est ce que tu pensais-, malgré tout, tu allais essayer.
« Lorsque je te regarde, je me sens bien et mal en même temps. J'ai l'impression de t'avoir déjà croisé dans une autre vie. Je ne saurais t'expliquer pourquoi... »
Tu regardais intensément l'animal bleuté. Il était adorable, tu avais envie de l'adopter ! Mais tu avais déjà Snowbell et tes pensionnaires. Puis, tu n'avais pas coutume d'arracher les créatures magiques de leur habitat naturel, c'était insensé.
« Je ne sais pas si tu me comprends. » Disais-tu au dragon, en esquissant un sourire triste. Cette nostalgie ravivait de sombres souvenirs, elle te rappelait à quel point tu étais seule, loin de ta famille, loin de ta sœur... Elle te manquait.
Snowbell arrivait à sentir ta tristesse. La jeune étoile blanche était venue à tes côtés pour poser sa tête sur ta jambe. Elle était si gentille, si pure. Toi Athalia, tu n'étais plus pure depuis longtemps. Tu avais arraché la pureté de ton corps en lui infligeant maintes souffrances, ce dernier était couvert de cicatrice et tes mains étaient souillés par les actes horribles que tu avais pu faire.
Mais tu n'avais aucun regret.
Si tu devais recommencer, tu ne changerais rien. Car malgré ton passé bien peu rose, tu avais toujours fait passer les autres avant toi. C'était à la fois un défaut et une qualité, mais c'était surtout une parcelle majeure de ta personnalité. Une facette de toi que tu ne pouvais tout simplement pas laisser de côté.
Perdue dans tes pensées, tu détournais le regard à la recherche d'une serviette douce qui allait te permettre de sécher les plumes draconiques de ton nouvel ami éphémère. Tu ne pouvais pas laisser son petit corps dans cette humidité, il allait attraper froid.
Toutes les nuits passées loin d'elle, la terreur et les hurlements, l'impression d'une catastrophe imminente qui demeurait maintenant dans tes jours, ton quotidien. Sans elle, ça n'avait été qu'une longue descente aux enfers. Mais il était trop tard maintenant, trop tard pour revenir en arrière, trop tard pour faire autre chose. Tu étais en train de brûler dans les flammes de cet enfer à la chaleur étouffante. Mais celle du sourire de ta soeur était apaisante.
Son rire avait résonné jusqu'à émietter encore plus ton coeur fissuré. Tu aurais voulu lui faire comprendre que vous vous connaissiez. Que trop bien même. Mais la peur t'immobilisait. La peur et la honte. Tu avais volé sa vie, tu avais provoqué votre séparation, par ta lâcheté, ton incapacité à te défendre qui ne changeait pas. Tu préférais la fuite aujourd'hui. Tu préférais éviter la présence des autres parce que tu voyais la noirceur de leur coeur sans pouvoir t'y échapper, sans pouvoir faire autre chose que de croire pouvoir les aider.
Elle ne pouvait pas expliquer ce qu'elle ressentait en te regardant, mais toi, tu pouvais. Tu pouvais lui expliquer qu'elle ressentait la vibration de ton coeur et de ton âme qui se connectaient avec les siens, que vous étiez liées et l'aviez toujours été. Mais tu n'avais pas la force de reprendre ta forme humaine, de lui dire qui tu étais, là, devant elle, tu avais encore plus honte qu'auparavant. La honte brûlait tes veines alors que tu te reposais sur le comptoir pour la dévisager et hocher la tête doucement. Pour lui faire comprendre que oui, oui, tu comprenais justement tout ce qu'elle te disait. Que tu ressentais la même chose. Serait-elle alors en mesure de déchiffrer ce que tu tentais de communiquer ? Tu ne savais pas.
Tu avais posé ton regard sur la petite boule blanche et tu avais fixé la pureté de cet être. Toi, tu n'étais plus pure. Tu l'avais peut-être été, mais la terreur, l'effroi et la noirceur avaient pris possession de ton être et si tu ne pouvais faire autrement que de ne pas te défendre, de toujours chercher à aider, tu pleurais toutes les nuits, tu hurlais, tes mains devenaient des armes de guerre quand tes ongles cherchaient à faire saigner ta peau pendant les cauchemars que tu ne pouvais faire partir. Tu regardais maintenant ta soeur chercher quelque chose et tu agitas les ailes, provoquant un certain bruit, pour qu'elle cesse ce qu'elle faisait. Tu ne voulais pas qu'elle se dérange. Pas pour toi. Tu ne le méritais pas. Tu ne méritais rien.
» I know i'm a mess and i wanna be someone, someone that i like better
« Tu me comprends... N'est-ce pas ? » Tu lui souriais doucement. Tu n'avais pas pensé qu'en permettant à cet animal ailé d'entrer chez toi, tu allais te sentir ainsi. C'était une surprise ; une drôle de surprise. « Tu es un petit dragon bien spécial. Je me demande bien quel bon vent t'a mené à moi. » Peu importe la raison de sa venue, tu ressentais qu'elle était importante. C'était en quelque sorte le destin qui te jouait des tours, tu étais incapable d'exprimer cet étrange lien qui semblait vous unir, mais tu avais envie d'en savoir plus. Tu avais envie de garder ce dragon un peu plus longtemps près de toi.
Puis, son comportement avait changé. Pendant que tu cherchais la serviette, il s'agitait. Il semblait vouloir te dire d'arrêter, de t'immobiliser. Tu l'observais, perplexe. Que voulait-il te transmettre comme message ? « Ne me dis pas que tu aimes être trempé de la sorte... » Ah, si seulement tu savais quelle sombre pensée se cachait derrière les battements d'ailes de l'animal, tu ne dirais pas une telle chose, Athalia. Mais tu ne pouvais pas tout comprendre. Il avait beau être intelligent et même s'il te faisait comprendre ses émotions, il ne parlait pas ta langue. C'était un dragon. « Allons, allons. Il est hors de question que tu tombes malade ainsi. Et puis, c'est mon travail, alors laisse-moi faire, tu veux bien ? » Un nouveau sourire se dessinait sur ton visage. Tu voulais le garder en confiance. Tu ne voulais pas qu'il t'empêche de prendre soin de lui, tu l'avais fait entrer chez toi pour cette raison.
Tu approchais alors la serviette du dragon miniature pour y retirer les gouttelettes qui s'écoulait le long de son corps. Décidément... Tu faisais de ton mieux pour ne pas trop t'attacher à tes pensionnaires, afin d'éviter de vouloir tous les adopter. Mais celui-ci était différent. Il semblait être hanté par une profonde mélancolie. Tu voulais lui dire que tout allait bien, que tu allais être là pour lui. Comme s'il s'agissait d'un être humain, et pourtant, c'était une créature. Mais malgré tout, tu avais l'impression qu'il te comprenait mieux que quiconque... Et tu te surprenais à lui caresser la tête. Il était doux. Tu t'attendais évidemment à une réaction négative ; les animaux sauvages n'aimaient pas tous qu'on les touche sans leur accord. Mais tu avais essayé.
Sans elle dans ta vie, tout s'était effondré. Le monde avait cédé sous tes pas, tu t'étais retrouvée dans une terreur sans nuit se répercutant dans tes nuits, dans ton coeur, tu avais perdu l'étincelle de joie de vivre que tu avais. Et maintenant, tu t'obligeais à le faire. Tu t'obligeais à le faire pour te punir de ce comportement passé, de l'aveugle que tu avais été, l'inconsciente petite Rhéa que tu avais été. Et toute la souffrance qu'Athalia avait dû endurer.
Par ta faute.
Tout n'était que ta faute. Tu le savais. Tu l'assumais. Tu avais conscience de l'idiote que tu étais. Tu te détestais. Tu te reprochais tout ce qui s'était passé parce que tout était de t a f a u t e. N'espères pas pouvoir te sortir de cette culpabilité parce que tu méritais de crever dans cette douleur te serrant le coeur. Aucun pardon ne devait t'être destiné.
Tu secouas la tête. Tu ne voulais pas. Tu ne voulais pas qu'elle te sèche, qu'elle s'approche de toi, qu'elle t'aide. Tu avais bien trop honte pour la laisser faire, et tu ne comprenais pas qu'elle vienne à insister. Mais. Tu étais un dragon miniature, pas Rhéa Ohara. Seulement, tu ne pouvais pas oublier ta véritable identité.
Tu la comprenais parcce que tu la connaissais et que tu n'étais pas vraiment un dragon. Tu étais un imposteur. Et tu ne valais toujours
rien.
Tu ne valais pas mieux qu'avant, quand tu la regardais de loin ou quand tu étais inconsciente du mal qu'elle s'infligeait parce que tu n'étais pas en mesure de prendre ta place dans ce monde. Parce que tu étais tout près d'elle et la laissais croire qu'elle avait une véritable connexion avec une espèce rare. Tu étais.
une
menteuse. Et tu te détestais. Tu te détestais pour tout ce que tu avais fait et tout ce que tu faisais. Tu ne voulais pas rester, qu'elle t'aide. Mais tu étais présente et tu voulais rester avec elle. Parce que tu l'aimais. Parce qu'elle te manquait. Alors qu'elle s'approcha de toi, tu t'envolas dans les airs pour qu'elle ne te touche point et tu allas te poser sur la table de cuisine. Tu ne voulais pas qu'elle t'essuie, tu ne voulais pas qu'elle t'aide.
Tu ne le méritais pas.
« Très bien, je capitule pour cette fois. Je ne veux pas te brusquer. » Tu posais alors la serviette sur le dos d'une de tes chaises. Normalement, tu ne laissais pas tes pensionnaires aller sur la table, mais tu allais faire une exception cette fois-ci. « J'ai une idée, je vais nous faire à manger. Il faut que tu reprennes des forces. J'ai justement une recette de crêpes quelque part... » La cuisine, ce n'était pas ta tasse de thé. Tu ne faisais rien d'extravagant, mais tu parvenais à concocter des petits plats mangeables. Suivre une recette allait forcément rendre le résultat meilleur, puisque ce n'était pas toi qui décidait les quantités. Ni les ingrédients, d'ailleurs...
« Tu peux faire connaissance avec Snowbell en attendant. Elle est gentille, ne t'en fais pas. »
Disais-tu, dos au dragon miniature alors que tu te concentrais sur les fourneaux. La pâte à crêpe avait été rapidement préparée, et tu commençais déjà à la faire cuire. Tu en avais assez pour une dizaine de crêpes, ce qui allait sans doute être suffisant. Pendant ce temps, l'étoile blanche observait le dragon, intriguée. Elle aussi, elle sentait qu'il n'était pas comme les autres. Les animaux pouvaient sentir ces choses-là. Elle le savait, il y avait quelque chose de mystérieux avec ce volatile bleuté. Quelque chose de plus profond qu'une simple crainte de l'inconnu... Tu aimerais tellement pouvoir en savoir plus.
« C'est prêt ! Voyons voir si elles sont bonnes... » Tu coupais judicieusement la première crêpe dorée, et tu apportais un morceau dans ta bouche pour y goûter. La grimace qui se dessinait sur ton visage était indescriptible. Tu ne crachais jamais la nourriture, mais cette fois-ci, tu ne pouvais pas faire autrement. « Par Lucy, c'est horrible... Je ne peux pas vous laisser manger ça. »
Maintenant que tu les analysais un peu mieux, tu voyais qu'elles avaient une drôle de forme. Elles étaient trop grosses pour des crêpes, on aurait dit des pancakes déformées... Tu avais confondu la farine et la levure, voilà le problème. Tu étais vraiment une piètre cuisinière, Athalia.
« Je... je suis désolée. J'ai honte de moi... »
Tu murmurais. Tu te sentais bonne à rien. Incapable de faire des simples crêpes pour toi et pour tes pensionnaires. Comment avais-tu réussi à devenir éleveuse ? Tu te le demandais... Tu faisais des gaffes insensées. Tu étais gênée de ces erreurs. Tu avais vingt-deux ans et encore aujourd'hui, parfois, tu étais inutile. Tu te sentais nulle, tu avais envie de pleurer... Pour si peu, oui. C'était peut-être banal, mais c'était suffisant pour te bouleverser.