Pourtant, sur le papier, le descriptif innocent de la soirée avait semblé plutôt intéressant et accessible. Bien qu’un peu huppé pour lui. Bon, comme celui qui lui avait remis les invitations entre les mains était son cousin – Vinces ; avec lequel il s’était un peu forcé de renouer les liens par curiosité concernant le statut de la Prévoyance dans la Capitale – peut-être aurait-il dû se douter qu’il y avait anguille sous roche. Calixte était remarquablement impopulaire auprès de sa famille, qu’elle fût aussi éloignée de sa branche que celle résidant à la Capitale. Visiblement les rumeurs allaient, et s’ancraient, vite. Si ses parents estimaient sa vie médiocre, le reste des Alkhaia de Eliëir l’avait déjà définitivement rangé dans le tiroir des incompétents misérables. A éviter. A honnir. Sauf s’il pouvait leur rapporter un peu d’argent ou de notoriété ; aucun bon commercial ne crachait ni sur l’un, ni sur l’autre.
Le regard de l’espion se posa sur le flyer décrivant le programme de la soirée : « à partir du coucher du soleil : accueil et collation pour les participants », puis « présentation des intervenants de la soirée », puis « atelier réflexion et écriture selon le thème », puis « présentation des spécimens et travaux des participants », et enfin « table ronde autour de la tendance actuelle ». Et mises en relation selon affinités, songea Calixte en se demandant à nouveau comment est-ce qu’il avait pu méprendre la soirée pour une simple initiation au thème choisi. Il s’agissait en réalité d’une véritable réunion bon chic bon genre, avec option mise en avant des atours de chacun pour briller en société, et partage des bons contacts selon le développement des nobles alliances. L’espion ne collait vraiment à aucune des prérogatives. Même ses habits – une simple tunique bleue nuit sur un pantalon noir –, pourtant choisis avec soin parmi sa garde-robe la plus présentable, n’arrivaient pas à la cheville des riches tissus que revêtaient les autres participants. La soie drapait les corps avec fluidité, et les bijoux étincelaient aux poignets, aux doigts, et aux oreilles. Les sourire aussi, aux dents blanches éblouissantes, semblaient être d’une autre facture. Plus aisée, plus distinguée.
Posant son regard sur la silhouette resplendissante de sa jeune cousine – Hannah – assistant aussi à la soirée, il se dit que non, décidemment, l’invitation de Vinces ne tenait pas du civisme mais bien d’une énième boutade méprisante. Et Calixte avait dépassé depuis longtemps la gêne qu’il aurait pu ressentir en lien avec sa médiocrité de coutume – ainsi qu’aux situations dans lesquelles sa famille semblait prendre un malin plaisir à le rabaisser –, mais il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il était potentiellement en train de gâcher sa soirée… ainsi que celle de son invitée. Car le carton avait précisé qu’il pouvait venir accompagné, et vu le thème de l’évènement « Fleurs et poésie : à l’écoute des plantes », Calixte avait pensé que cette sortie serait tout à fait dans la continuité de sa relation amicale avec Rebecca Hekmatyar. Cela lui avait semblé être l’occasion de se revoir pour une soirée ludique autour du monde des végétaux ; éducative et distrayante. Mais, visiblement, il s’agissait plus de l’un de ces clubs privés aux thèmes permettant davantage de s’afficher et de nouer des relations intéressées, que d’une institution à vocation culturelle.
Il avait été demandé aux participants de bien vouloir ramener un spécimen floral de chez eux, probablement pour avoir matière à disserter, et surtout pour pouvoir exhiber avec délicatesse les joyaux cultivés dans les riches demeures. De magnifiques plantes ornaient les quelques tables laquées, rivalisant de couleurs et de formes exotiques. En comparaison, le petit bouton du rurd que Calixte avait amené de son dortoir à la Caserne – de la bouture que Rebecca Hekmatyar lui avait galamment offerte – faisait, tout comme lui, pâle figure en compagnie si raffinée. Le temps d’un instant, l’espion se demanda si son invitée viendrait réellement – s’il n’avait pas rêvé la réponse à sa missive enthousiaste – et si elle jouerait le jeu de ramener l’une de ses magnifiques plantes. Et si, peut-être plus aux faits des us et coutumes des nobles de la Capitale, le nom de l’institution organisant l’évènement lui aurait mis la puce à l’oreille concernant la mondanité de la soirée.
Au pire, il disserterait seul et s’amuserait à flatter l’ego – et glaner des secrets – de ses compagnons de table qui le jaugeaient déjà d’un œil critique. La moyenne d’âge était relativement jeune – la petite dizaine de participants déjà présents devaient osciller entre 15 et 35 ans – et on devinait que l’idée de trouver un bon parti ne devait pas être loin de l’objectif initial de la soirée. Juste après celui de défendre les couleurs de sa famille. En parlant de famille…
Le regard de Calixte accrocha celui de Hannah, assise une table plus loin. Une belle plante aux tiges tortueuses et à multiples petites fleurs irisées lui faisait face. Et, s’il avait lu quelques livres sur la botanique depuis sa rencontre avec Rebecca Hekmatyar, Calixte n’aurait su dire comment s’appelait cette magnifique plante. Machinalement, ses doigts tracèrent les contours des feuilles modestes de son propre rurd. Faisant semblant de méprendre le sourire condescendant que lui adressait la jeune fille, l’espion lui rendit un salut enjoué, riant intérieurement alors qu’elle détournait les yeux d’embarrassement. Assumerait-elle leur lien de parenté, ou l’éviterait-elle toute la soirée ?
S’enfonçant davantage dans le confortable fauteuil de velours, le regard de Calixte quitta la silhouette de sa cousine pour apprécier le riche décor de la pièce. La structure de bois ciré donnait à la fois une ambiance chaude et luxueuse à la salle de réunion. Le mobilier savamment travaillé du même matériau, garni de tissus scintillants et chaleureux, accentuait cette sensation. Et si le rembourrage sous ses fesses avait contenu des cristaux, Calixte n’en aurait pas été étonné. Le lieu respirait le confort et la richesse. Situé à l’arrière de la librairie « Audentes fortuna », il paraissait donner raison au nom du commerce. Des flûtes remplies de cocktail et des assiettes contenant de petits amuse-gueules avaient été disposées sur les tables, ainsi que d’élégants stylos et bloc-notes, renforçant encore l’aura opulente de l’affaire.
De l’activité près de la porte d’entrée attira l’attention de Calixte et quelques autres participants. La séance allait-elle débuter ? Rebecca Hekmatyar allait-elle finalement venir ? Peut-être aurait-il été plus poli de passer la chercher avant la soirée… Mais il était à présent trop tard pour se raviser.
Assise sur son lit, Rebecca se demandait clairement ce qu'elle était en train de faire. Voulant-elle vraiment aller là-bas ? Pas que le sujet de cette...réunion soit inintéressant, loin de là ! Elle aimerait partager ses connaissances en botaniques, même si elle ne connait que le nom de ces plantes à elle, et comment ne pas les faire mourir.
La jeune femme retrouva rapidement le flyer que lui avait passé Calixte. Il y avait beaucoup trop de chose à faire pendant cette soirée. A quelle heure cela allait-il finir ? Qu'importe, je partirai dès que je trouverai cela complètement inutile. Rebecca avait juste peur des personnes qu'il pourrait y avoir. Elle avait du mal avec la mentalité des nobles. Si tous les nobles étaient comme Mysora, c'est sûr qu'elle n'allait pas rester longtemps.
Debout devant son penderie, Rebecca s'habillait tranquillement. Elle aurait bien voulu remettre sa tenue de tous les jours, mais il était évidant qu'elle allait faire tâche dans toutes ses robes à paillettes. Elle opta plus pour le seule robe habillée qu'elle avait dans ses placards. Elle l'avait acheté il y a très longtemps, quand elle et Arthorias étaient à leur début. D'un jolie bleu sombre, la robe collait à son corps, descendant jusqu'au sol, même, traînant un peu. Le décolleté n'était pas beaucoup prononcé, laissant la place au dos nu. Pour agrémenter son tenue, Rebecca plaça un bracelet au milieu du bras du côté droit. Du côté gauche, elle jugea qu'une bague en plus de son alliance devrait suffire. Chose surprenante, Rebecca décida de laisser ses cheveux libre. Elle les coiffa, pour ne pas, au moins, avoir l'air d'être tout juste sortie du lit. Sa chevelure blonde lui descendait au-dessous des omoplates. La conseillère se sentant prête, elle prit sa plante et sortie de chez elle.
Le soleil s'était couché depuis peu de temps, mais Rebecca savait qu'elle était en retard. Qu'à cela ne tienne, elle passera plus aperçue comme ça. La façade de la librairie était quelque peut...banale pour une soirée de nobles. Peut-être est-ce comme ça qu'ils passent inaperçus ? Allez savoir, ça peut être plus beau à l'intérieur qu'à l'extérieur.
En poussant la porte, la chaleur du lieu enveloppait rapidement le corps de Rebecca. Un frisson de plaisir la parcourra, la poussant presque à rester jusqu'à la fin de la soirée pour ne pas devoir retourner dans le froid de la capitale.Le lieu était bondé. Rebecca ne voyait que des tissus voulaient dans tous les sens, au moindre mouvements de leur porteur. La conseillère ne connaissait personne. Elle aurait bien voulu tomber sur Calixte directement dès son arrivé.
La décoration était belle, très végétale. A la vue des autres plantes des invités, il était sans dire que la sienne faisait pâle figure. Sa vigne à bulles était peut-être belle, mais toutes les autres étaient encore plus. Beaucoup de couleurs, de formes. Certaines ont été modifié, on pouvait voir des fleur à paillettes ou d'autre qui, selon la lumière environnante, changeait de couleur.
Rebecca se baladait à travers la foule, essayant de ne pas rentrer les convives. Alors qu'elle évitait quelqu'un, cette personne chancelait sur ses talons hauts. D'une main, la conseillère la rattrapa.
- Chère Lady, permettez que je vous aide ?
Rebecca l'aida à se remettre sur ses deux pieds. D'un mouvement de signe, la jeune femme la remercia et s'éloigna rapidement d'elle. Bon, et bien, pas de quoi ? La jeune femme retournait à ses occupations. Mais quelles occupations ? Elle se dirigeait vers le buffet, et ne se privait pas pour goûter à un peu près tout. En regardant la foule de nouveau, elle reconnu la posture et le physique de Calixte, assis sur un des fauteuils mis à disposition. Elle s'approchait de lui, et s'assis sur le siège d'en face.
- Bonjour Calixte ! Je suis heureuse de vous avoir trouvé rapidement.
Alors qu'ils commençaient à parler, le maître du lieu pris la parole pour prévenir du début de la soirée, et de la présentation des intervenants du soir.
Finalement, la réponse vint à lui sous la forme de Rebecca Hekmatyar. Alors que la jeune femme traversait la pièce pour le rejoindre, Calixte ne put s’empêcher d’admirer sa silhouette… ainsi que celle de sa plante – une vigne à bulles si ses souvenirs étaient corrects –. Il avait gardé en mémoire une image de Rebecca assez stricte de prime abord. Image déroutée par son apparence actuelle. La tenue de la jeune femme n’était pas extravagante, ni très voluptueuse, mais elle s’était visiblement bien mieux adaptée à la population cible de la soirée que Calixte lui-même. Sa robe d’un bleu sombre faisait écho à sa propre tunique, mais avec plus d’élégance, et il y avait une retenue distinguée dans la sobriété raffinée de sa présentation.
Alors qu’elle s’asseyait sur un fauteuil libre de la table, il lui tendit une des flûtes de cocktail.
- Bonsoir Rebecca, répondit-il avec un sourire. Heureusement que vous m’avez trouvé, je commençais à me sentir comme un poisson hors de l’eau parmi ces gens si… endimanchés.
Le jeune duo assis à la même table qu’eux lui adressa un regard critiquement hautain. Lui rappelant sa propre famille. Il n’eut cependant pas le temps de bavarder davantage avec Rebecca, car on commanda leur attention d’un son de clochette. La séance débutait.
Le maître des lieux, qui était aussi le propriétaire de la petite librairie, se présenta à la fois succinctement et avec un peu d’humour – et Calixte ne doutait pas que dans cette manipulation aisée du verbe se cachait sa fibre commerciale fructueuse – puis passa la parole à celle qui allait animer le thème de la soirée, dame Vaehsus. Qui annonça davantage la couleur.
C’était une petite femme replète, dont l’âge tranchait avec celui des participants de la soirée. Elle avait entre 60 et 70 ans, des mèches grises savamment coiffées – Calixte devait avouer avoir passé quelques minutes à admirer le chef d’œuvre pour essayer d’en percer les secrets – et l’air à la fois passionné et déterminé de ceux qui ne se laissent pas souffrir de critique sur leur sujet de prédilection. A savoir les plantes, mais pas que. Elle était accompagnée de son petit-fils – Régis, Plume Lisse – qui était là comme artiste et devait les mener sur les chemins de l’art poétique inspiré de l’arrangement floral. Mais aussi, très visiblement, sur les chemins des alliances. Politiques et/ou sentimentales. Dame Vaehsus était une entremetteuse chevronnée, et elle n’était pas venue pour faire le pot de fleur. Son petit-fils allait, non seulement gagner en échelons en bossant auprès des nobles ce soir, mais aussi repartir casé. Tout comme un certain nombre des participants, à en juger par son regard calculateur balayant la foule. Calixte était à la fois horrifié et amusé. Il espérait que cela n’allait pas faire fuir Rebecca.
Sans plus attendre, un tour de table fût proposé afin que les participants se présentent. Et se jaugent. Sans surprise, il y avait beaucoup de filles et fils de. Peu de travailleurs, ou alors des repreneurs d’entreprise familiale, et pas mal d’étudiants dans des domaines abstraits pour Calixte – vraiment, ça signifiait quoi étudier la polyphonie des années 400 des peuples du littoral, un passe-temps, un job ou juste du gros foutage de steak ? –. Lorsque la parole arriva à leur hauteur, l’espion nota qu’on les observait avec attention… et jugement. Il se demanda si Rebecca connaissait du monde parmi les participants, et si elle était elle-même connue.
- Calixte Alkhaia de Eliëir, se présenta-t-il en prenant le malin plaisir de s’associer à sa cousine Hannah qui lui donna alors l’impression d’avaler un citron. Membre de la famille ci-nommée, et membre de la Garde.
Inutile de tendre le bâton pour se faire frapper en insistant sur son statut de coursier. Il laissa à Rebecca le soin de s’introduire après lui, et le tour des participants fût bientôt conclu.
On les invita alors à se pencher sur le spécimen floral que chacun avait amené, et de s’en inspirer pour écrire quelques vers. La librairie était alors mise à leur disposition, ainsi que les intervenants, et les participants furent invités à ne pas négliger les échanges entre eux pour trouver les mots qui correspondraient le mieux à ce que « les plantes avaient à leur murmurer ».
- Je pense que je pourrai la sentir, avant de l’entendre murmurer, commenta à voix basse Calixte en observant son bourgeon de rurd.
Alors que les conversations reprenaient, ainsi que la consommation allègre des mets mis à disposition, l’espion poussa légèrement sa plante pour mieux la montrer à Rebecca.
- Avec vos conseils elle a plutôt bien poussé, je trouve, continua-t-il avec enthousiasme. Pour le moment le climat des dortoirs semble lui convenir, mais il faudra peut-être que je la déplace lorsque les beaux jours reviendront. Pensez-vous qu’il faudra encore beaucoup de temps avant que le bulbe ne se développe… ainsi que son odeur un peu repoussante ?
Le bruit d’un lourd volume heurtant la table à côté de son coude gauche le fit sursauter et il leva la tête pour trouver Régis qui venait de leur poser un livre de poésie – Recueil des plus belles rimes en l’an 999 – et qui lui adressait un nasillard :
- Pour appuyer vos tentatives d’art, vous en aurez besoin. Bien que l’art, le vrai, ne se trouve pas en associant des mots piochés dans d’autres œuvres. Vous aurez bien plus de chance d’arriver à suivre le groupe si vous vous inspirez… et bien de la beauté de Dame Hekmatyar, ou de sa plante, par exemple.
Le regard méprisant qu’il adressa au petit bourgeon de rurd que Calixte avait ramené donna soudainement envie à ce dernier de lui lancer le contenu de sa flûte à la figure. A la place, il passa une main protectrice sur le pot en terre cuite de sa plante. C’était fou comme un peu de temps pris pour entretenir un végétal développait des instincts paternels. Mais l’attention de l’artiste fût happée par quelques jeunes femmes en manque d’inspiration – ou de compagnie – et il quitta leur table sans s’attarder davantage.
- Un homme charmant, commenta Calixte en haussant les sourcils. Ne t’en fais pas ma belle, si tu ne brilles pas de milles couleurs, tu as d’autres qualités. Peut-être, continua-t-il en tapotant affectueusement son rurd.
Le regard déjà condescendant de leurs voisins de table se mua en quelque chose de plus indescriptible, et l’espion se dit que, s’il ne voulait pas passer pour « fou » en plus de « pauvre », il allait falloir qu’il se concentre sur autre chose que son affection pour la petite plante.
- Quoi que ses conseils ne soient pas tous à jeter, fit-il en adressant un sourire à Rebecca. Bon, poursuivit-il en amenant le recueil de poésies entre eux deux. Des idées ?
Rebecca n'aimait pas les tour de table, trouvant cela trop...enfantin. Ca lui rappelait quand elle était encore à l'école, le premier jour de classe, où tout le monde devait se présenter. Arrivé au tour de Calixte, la jeune femme pouvait apercevoir quelques mauvais regards dans sa direction. On dirait que le nom de famille de Calixte n'ai pas aimé de tout le monde . Mais est-ce plutôt Calixte lui-même qui n'est pas bien vu ?
- Rebecca Hekmatyar. Conseillère.
La conseillère n'avait pas envie de de dire exactement son métier. Si tout le monde savait qu'elle travaillait pour la compagnie Veriano, beaucoup trop irait la voir pour discuter du travail ou pour essayer de faire des contrats.
- Je suis contente qu'elle est autant poussée. Ca fait plaisir de voir que vous vous en occupé bien.
Elle voulait continuer à dire que la fleuraison des fleurs dépendait de la fleur en elle-même, et que parfois, elles n'ont pas de fleur pendant toute une année, et que celle d'après, elles font les plus belles et les plus grosses. Mais un homme -- Régis -- l'en empêcha. Rebecca le regardait, jugeant chacune de ses phrases.
- C'est bien gentil à vous monsieur...monsieur. Mais je pense que monsieur Alkhaia de Eliëir est assez grand pour faire ses propres choix.
Elle buvait un peu le contenu de sa flûte. Le contenu pétillant s'écoulait tranquillement dans sa gorge, non sans étancher sa soif.
- Mais nous allons garder le livre. Au cas où nous aurions besoin de faire une petite sieste, hein.
L'homme partait d'un air pressé, à croire que les remarques de la dame ai pu le blesser. Elle voyait que Calixte entourait sa plante.
- Votre fleur est magnifique, Calixte. Vous en prenez grand soin. On ne peux pas en dire autant de celles des autres convives. Je vous paris 100 cristaux que personne ici présent ne s'occupe réellement de leur jardin.
Rebecca regardait le livre que Régis a eu la gentillesse de leur remettre. Elle était complètement nulle pour faire rimer les mots. A part "baignoire" et "peignoir". Mais il va être complètement de les placer dans des vers sur les plantes.
Une serveuse passait à côté de leur table, avec des petits amuse-bouche. La conseillère en prit un, mais le recracha rapidement dans une serviette. Mais qu'est ce que c'est que cette nourriture ? Elle trouvait le goût infecte, trop amère, trop sec, trop tout. A croire que la nourriture de luxe des nobles n'avait vraiment aucun goût. Elle regardait la serveuse continuait sa ronde. Plusieurs convives prirent cette nourriture, mais la recrachaient pas. Quelques uns se demandaient tout de même ce que c'était. Intérieurement, Rebecca nota qu'il ne fallait absolument pas en reprendre. A peine recommença-t-elle à repenser au goût que celui-ci lui revient dans la bouche, provocant quelques remontées non voulue. Pour faire passer cette dégueulasse impression, Rebecca finissait son verre cul sec. Mais il lui restait toujours se petit arrière gout.
- Je vous déconseille de goûter les amuses-bouches que la serveuse présente. Ils ont clairement un gout de...poubelle ?
Rebecca essaya tant bien que mal de se reconcentrer sur ces vers. Mais rien ne lui venait. Fallait-il parler des couleurs de leur plante ? Ou plutôt de l'espèce ? Pourquoi pas du lieu de leur pousse ? De comment ils l'ont trouvé ? Pourquoi ne pas parler de sa façon de grandir ?
- De façon générale, je pense que tout le monde va parler du physique de leur plante. C'est le plus simple, je pense.
La conseillère n'avait pas forcément envie de sortir du lot. Donc elle partira sur des vers en rapport avec la couleur de sa fleur. Quels étaient donc les talents de sa plante ? Elle servait à faire du vin, des confitures. Bien, après ? Elle fleurit tout le temps, qu'importe les saisons. Elle est grande, pousse partout, tout le temps. Maintenant le tour fait, il fallait maintenant faire des rimes. Hmm
- Tout d'abord, je pense qu'il faudrait faire une liste de qualificatifs de chacune de nos plantes. Et voir pour les faire rimer ensemble.
De son côté, Rebecca commençait à faire sa liste. Une fois que tout cela sera fini, elle espérait que les deux amis s'aident mutuellement pour faire les vers qu'il faut.
- Je serai même étonné qu’ils connaissent réellement les propriétés des fleurs qu’ils ont amenées, commenta-t-il en réponse à la remarque de la conseillère.
Ouvrant le lourd volume avec l’espoir de trouver un peu d’inspiration pour la tâche à mener, Calixte s’absorba dans le recueil de poèmes avant que son attention ne fût sollicitée par une étrange réaction bien peu gracieuse de Rebecca. Haussant les sourcils avec un sourire amusé, il nota que, en dépit de la noblesse apparente du maître des lieux et du luxe de son traiteur, tout n’était peut-être pas si bon que ça. D’ailleurs, la jeune femme n’avait pas été la seule à trouver le goût mauvais, et quelques invités demandaient discrètement de quoi il s’agissait. Tendant un peu l’oreille, il répéta à Rebecca :
- Un goût de poubelle, mais a priori surtout un goût d’intestins du Chantelune. Visiblement ils ont inspiré le cuisinier lorsque le thème de la soirée lui est parvenu.
Que ce fut juste une rumeur ou la vérité, Calixte n’aurait pas été étonné que les faits n’en fussent pas très éloignés. Sous prétexte d’innovation singulière, et pour essayer de gagner en notoriété, il n’était pas rare que l’alimentation des hautes sphères comprenne des ingrédients des plus étranges. On n’était plus tellement sur une histoire de goût, mais bien sur la nécessité de se démarquer et de faire parler de soi. Le maître des lieux semblait d’ailleurs satisfait de l’intérêt des participants pour lesdits amuse-bouches.
- Pomme ou pamplemousse ? demanda Calixte en prenant pitié de la conseillère dont les papilles semblaient avoir du mal à se remettre de l’expérience.
Il ramena vers elle les deux bouteilles en verre contenant les jus de fruit laissés à disposition, avant de se replonger sur le thème de la soirée.
- Oui, je pense que vous avez raison concernant cette stratégie. C’est la plus évidente, probablement la plus facile, et celle qui permet de s’en sortir d’une simple pirouette.
Calixte n’était pas vraiment très émoustillé par cette partie du programme de l’évènement, mais la facette du personnage d’Hergörn qui sommeillait en lui l’incitait à se mouiller davantage. A pousser le travail un peu plus loin. A faire de l’expérience un art, et non une science. Car si l’application simple de préceptes avait l’avantage de ne pas demander de créativité, elle était tout de même moins amusante. Moins intrigante. Et un poème qui ne contenait pas une part de mystère, une part de subjectivité subtile, une invitation au voyage par la réflexion ou par le rêve ; n’était pas vraiment un poème. Néanmoins, la technique que proposait Rebecca avait le mérite de dégrossir les choses, et l’espion l’imita en notant sur un des bloc-notes mis à disposition les adjectifs qui lui venaient en tête en observant son rurd.
Le bruit d’un fauteuil que l’on tirait dissipa son attention, et il leva le nez pour trouver Dame Vaeshus qui venait de s’installer à leur table. Et lui qui pensait surtout profiter de la soirée pour papoter avec Rebecca, et éventuellement apprendre d’autres choses sur les plantes… Le regard calculateur de la vieille dame ne lui disait rien qui vaille.
- Votre pull peluche un peu sur les épaules, lui offrit-il en guise d’accueil, un peu perturbé.
D’une main ferme et pressée elle rectifia la chose, avant de s’adresser aux quatre invités assis à la même table :
- Je vois que mon petit-fils vous a choisi une lecture légère pour vous aider dans votre création. J’espère que vous passez tout de même une bonne soirée, malgré les difficultés éventuelles.
Le ton était enjoué, charmeur, mais les yeux de Dame Vaeshus étaient vifs et parcouraient les quatre participants de manière attentive. Et efficace. L’espion en Calixte nota qu’elle s’attardait sur les spécimens ramenés mais aussi sur les mains des invités. Elle eut un moment d’arrêt sur l’alliance de Rebecca, ainsi que la bague de fiançailles des deux autres hommes attablés. En croisant le regard de la vieille dame, l’espion comprit soudainement que c’était lui qui allait passer à la casserole. La lueur dans les yeux de Dame Vaeshus semblait ricaner. Et il comprit qu’elle avait compris qu’il avait compris. Instinctivement, il poussa un peu son fauteuil vers celui de Rebecca. Il avait essayé d’être discret, mais les pieds du support raclèrent horriblement contre le parquet. Il grimaça.
- Pinplume, soupira la soixantenaire en posant son menton sur ses mains baguées d’or et de pierres précieuses.
- Pinplume.. ? s’étrangla-t-il en serrant le pot de son rurd comme s’il s’agissait d’une ancre.
- Pinplume. Poussin, chaton, soupira à nouveau Dame Vaeshus avec un mouvement désinvolte du poignet. Voyez-vous chaton, je ne suis pas certaine que vous ayez eu tous les codes de la soirée avant de venir, mais nous ferons au mieux. Après tout, vous appartenez à la famille des Alkhaia de Eliëir, et en dépit d’un léger laxisme dans votre présentation, rien que la réputation de votre nom devrait nous mener quelque part. En espérant que l’habit ne fasse pas le moine.
- Humm, je suis venu pour les plantes, en fait, répondit mollement Calixte les yeux écarquillés.
L’animatrice de la soirée lui adressa un regard condescendant avant de poursuivre :
- Bien sûr, pinplume. Les plantes. Nous en avons effectivement ici un bel échantillon. Mais, continua-t-elle en se penchant davantage vers Rebecca et Calixte en excluant de fait les deux autres participants. Il faudra que vous me donniez vos préférences en la matière. J’ai quelques pistils potentiellement intéressés sous la main, mais si votre cœur balance davantage pour les étamines j’ai aussi quelques alliances juteuses pour vous. Si j’ai bonne mémoire, votre famille tolère les deux, tant que le mariage est fructueux.
Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas autant intéressé à son potentiel de célibataire, ses parents l’ayant mentalement rangé sur une voie de garage pour mieux s’occuper du futur de leurs enfants à meilleur bagage, et Calixte se sentait soudainement gêné d’être ainsi remis brusquement sur le marché des unions calculées. Son regard eut le malheur de chercher de l’aide auprès de Rebecca, et il s’en rendit compte au « Ah » contemplatif de Dame Vaeshus qui n’avait évidemment pas manqué le geste.
- Je vois, fit-elle encore d’un ton songeur.
- Que pensez-vous de mon rurd !? s’exclama l’espion cherchant désespérément à changer la conversation.
La vieille femme le toisa un instant en silence, et Calixte eut l’impression de passer sous le regard inquisiteur du Maître-Espion. Sauf que son interlocutrice actuelle lui faisait bien plus peur.
- Faites attention à l’endroit où vous cultivez votre plante, il semblerait qu’il y fasse un peu trop humide, répondit-elle finalement d’une voix experte. Les feuilles sont encore belles, mais vous pouvez voir que les trichomes – qui ressemblent à des poils – commencent à partir par plaques, signe d’un milieu trop moite. D’ici quelques semaines des tâches maladives apparaitront si vous n’y remédiez pas.
Elle jeta un coup d’œil avisé à la plante de Rebecca et ajouta :
- Au contraire de cette vigne à bulles qui elle, requiert beaucoup d’eau. Spécimen en bonne santé, continua-t-elle en s’intéressant davantage à Rebecca. L’avez-vous achetée ou trouvée dans la nature ?
Le ton était anodin, mais Calixte avait l’impression que la question ne l’était pas tellement. Ce qui l’intriguait, car il ne voyait pas en quoi elle était potentiellement importante. Le regard allant d’une femme à l’autre, il observait l’échange avec intérêt.
Ce que n'aimait vraiment pas Rebecca sur le club très fermé des nobles, c'était vraiment leur façon de parler. Pourquoi toujours tout faire en sous-entendu ? Aimaient-ils vraiment compliquer la vie des gens ? Leur ton, surtout, se voulait violant, presque injuriant. Leurs yeux ne revoyaient aucune chaleur, aucune compassion.
Impuissante, ou du moins parce qu'elle le voulait, Rebecca continuait à écouter les mépris de la vieille dame. Une oreille sur deux ne lui était consacré. Les deux auraient été beaucoup trop pour ce genre de personne. Mais il est vrai que quand elle commençait à critiquer la bouture offerte à Calixte, son corps se contracta un peu. La patience commençait à lui manquer, ne supportant plus d'en attendre plus.
Se levant, elle se plaça entre la Dame Vaeshus et son amie. Elle l'a dépassé de biens deux têtes, avec les talons que devaient supporter ses pieds. Ses bras se croisaient sur sa poitrine, augmentant encore un peu plus son charisme naturel.
- Enchantée, Dame Vaeshus. Je suis Rebecca Hekmatyar, conseillère et amie intime de la Compagnie Veriano. Et ami de Calixte Alkhaia de Eliëir
Elle n'aurait pas voulu utiliser son travaille, n'aimant pas jouer la dessus comme le faisait cette femme, en face d'elle. A la simple évocation de Veriano, plusieurs personnes se retournaient pour pouvoir entendre des brides de la conversation. Mais rien n'allait venir. Rebecca l'avait surtout utilisé pour qu'on leur fiche la paix, et qu'on les laisse finir leurs poétoümes. On aurait presque cru qu'elle faisait ça pour que la vieille dame arrête d'importuner Calixte.
Mais ça avait créer l'effet inverse. Rapidement, une foule de personne venait s'attrouper autour de Rebecca. Question sur Keith, sur la Compagnie, sur l'argent, le traitement, la comptabilité. Rapidement, la conseillère ne se sentait plus à l'aise. Trop de monde, d'inconnus qui lui posaient trop de question en même temps. Elle eu juste le temps de jeter un regard implorant vers Calixte avant de disparaître complètement.
Le maître de cérémonie avait choisi pile ce moment pour reprendre la parole, et annoncer qu'il était l'heure de lire les poèmes. Chacun promis à Rebecca de revenir la voir pour lui parler et faitre plus ample connaissance. Mais elle n'en avait clairement pas envie, jurant qu'elle partirais dès que le gong de fin aura sonné.
Elle repris sa place à côté de son ami, non sans y laisser un gros soupir. Elle n'avait pas eu le temps d'écrire quoi que ce soit. Inventer un poème sur leur sujet de leur choix, il n'y avait pas de problème. Mais là, c'était vraiment sur les plantes, donc page blanche.
Heureusement que leur table était la dernière à passer, ils leur laissaient encore assez de temps pour pondre quelque chose. Pas forcément très jolie, mais bon, Rebecca ne connaissait personne, et s'en foutait des jugements.
Heureusement pour Rebecca, le maître de cérémonie choisit cet instant pour annoncer que la soirée entrait dans sa phase de lecture des poèmes, et le monde se dispersa peu à peu. Beaucoup promettant à la conseillère qu’ils reviendraient lui parler plus longuement, et Calixte rit intérieurement à l’exaspération transpirant de la jeune femme. Pour une fois que ça n’était pas lui qui était coincé dans une situation impossible ! Souriant à son soupir alors qu’elle se rasseyait à côté de lui, il se pencha vers elle :
- Merci. Mais je ne suis pas certain que ça valait le coup… Vous allez être embêtée tout le reste de la soirée !
Alors que petit à petit les membres des autres tables lisaient leurs travaux artistiques, l’espion se rendit compte qu’avec tout ce remue-ménage Rebecca et lui n’avaient rien pondu en la matière. Heureusement, il semblait que les choses allant ils seraient les derniers à passer, et que Régis avait envie de commenter longuement tous les poèmes soumis à sa fibre créatrice. Néanmoins, l’esprit en ébullition cherchant désespérément une succession potable de mots à présenter, Calixte trouva que leur tour se rapprochait beaucoup, beaucoup, trop vite. Alors qu’il avait rapidement griffonné quelques phrases devant lui et regardait ce que Rebecca avait marqué sur sa propre feuille, on leur demanda de partager leur œuvre. Après un regard un peu paniqué à la jeune femme, un souvenir bref de construction poétique lui vint à l’esprit, et il déclama rapidement :
Fleurs éphémères,
Au vaporeux voile vert,
Songes sublimes.
Un silence de plomb accueillit ses trois malheureux vers, avant que chacun ne finisse par s’exclamer de la richesse concise du poème. Il ne faisait aucun doute qu’on avait bien là la touche de la conseillère des Veriano ! Tant de sous-entendus subtils, cette verve habilement tournée, tous ces mystères laissés sciemment à disposition de leur auditoire ! On n’en attendait pas moins de la part d’une personne aussi importante, d’une membre d’une telle entreprise. Et c’était vraiment noblesse que de laisser son partenaire de la soirée réciter ces mots si inspirés et inspirants ! Régis s’extasiait de l’audace d’utiliser un haïku et analysait toutes les possibilités d’interprétation de chacune des syllabes de chaque mot.
Adressant un regard amusé à Rebecca, Calixte ne fit aucun effort de rectification des commentaires. Après tout, c’était un effort commun, et il était bien content que l’attention fût plus sur la jeune femme que sur lui-même. Bien qu’il se sentît un peu gêné d’être le boulet l’ayant presqu’obligée à se mettre dans cette situation. Après un regard circonspect à la salle pendant que l’on continuait à venter les mérites de ces trois petites phrases ambitieuses, il se pencha à nouveau vers la conseillère pour murmurer :
- Si on prend discrètement nos affaires pendant l’étape suivante de la soirée, il y a une sortie dissimulée derrière l’étagère regroupant les romans d’aventure sur votre droite. J’ai cru comprendre qu’elle menait à la réserve, puis à l’entrée des livraisons. Nous pourrions peut-être… nous éclipser sous un quelconque prétexte, et quitter ce lieu en douce. Ou alors nous pouvons aussi profiter de cet… éclat ; et décréter que tout ceci n’est pas à la hauteur de nos attentes, et partir comme des divas, ajouta-t-il avec un rire discret.
Plus le temps passé, plus cette dure réalité prenait forme. A la suite des vers récités par Calixte, on pouvait voir plusieurs sorte de personne. Les leaders, qui savent tout de suite qu'il faut applaudir. Les suiveurs, qui ne veulent pas rester sur le banc de touche. Les hésitants, ceux qui choisissent encore s'ils veulent vraiment poursuivre dans cette voie. Et les les nobles pures souches, ceux qui ne changeront jamais d'état d'esprit. Ce groupe de personne ne peut pas forcément rentrer dans les autres catégories, car ils ont déjà assez de richesse et de renommé, ils n'ont plus besoin des autres.
Rebecca s'extasiait de voir que le monde pouvait accepter des lèches bottes comme eux. Elle sait très bien qu'ils ne représente qu'une infime partie de la noblesse du pays, mais elle avait clairement du mal avec les personnes qui ne disaient clairement pas ce qu'elles voulaient. Alors, elle préférait partir le plus tôt possible et pouvoir faire autre chose de sa soirée, que de devoir supporter ça encore pendant des heures.
La proposition de Calixte tombait à pique, et Rebecca l'accepta avec plaisir. Ils attendaient tous les deux la mise en place de la suite de la soirée avant de prendre leur bric-à-brac -- sans oublier leur plante -- et de s’éclipser discrètement par la porte de derrière.
La réserve de la bibliothèque étaient tout bonnement magnifique. Pas pour les livres, bien sûr, même si Rebecca se doutait que tout ceci pourrait faire fantasmer plus d'une personne. Non, ce qu'elle notait, c'était les bibliothèques, faites de bois aussi beau et aussi pure que possible. Sa contemplation aurait pu continuer jusqu'au bout de la nuit, si elle ne sentait pas le regard de son ami qui l'intimer de poursuivre son chemin.
rapidement, tout deux arrivèrent à l'entrée des livraisons, un espèce de grand hangars, où une calèche était rangée sur le côté. La nuit était présente depuis longtemps dans la capitale, et le froid n'était pas loin derrière. Les bras nues de Rebecca ressentaient ce changement de température entre l'intérieur de la librairie et la rue, et ils ne mirent pas longtemps à lui envoyer un message.
- Que voulez vous faire, maintenant ? Nous n'allons tout de même pas arrêter la soirée aussi tôt, tout simplement parce que la vie de noble ne nous correspond pas.
Elle lui aurait bien proposée d'aller dans un bar, mais vue leur tenue, ils allaient sûrement plus se faire repérer que la soirée. La décision devait vite être prise, car le froid ambiant commençait à planter ses dents dans chaque centimètre de la peau de la pauvre conseillère.
Quittant la bâtisse via l’entrée des livraisons, ils regagnèrent l’atmosphère froide de la rue. Les ténèbres avaient depuis quelques temps déjà envahi les chemins de la Capitale, et une brise glaciale les avait accompagnées. Calixte avait sur lui une veste relativement chaude, mais les bras à nu de Rebecca paraissaient accuser la différence de température entre l’intérieur de la librairie et la ruelle extérieure où ils se trouvaient actuellement. Se sentant un peu coupable de la situation, et ne tenant pas particulièrement à ce que le Capitaine de la Garde Royale lui refasse le portrait le lendemain si son épouse tombait malade par sa faute, l’espion se défit de sa veste et la proposa à la jeune femme.
- Passez donc ceci sur vos épaules, ça évitera peut-être que vous ne gardiez des souvenirs traînants de cette soirée.
Le rurd entre ses mains semblait lui aussi lui lancer un regard accusateur.
- Je serais un peu déçu si notre soirée devait s’arrêter là, même si je dois avouer que votre démonstration de charisme auprès de ce groupe fort sympathique m’a déjà beaucoup amusée.
Bon, par contre, trouver une suite à leur temps commun dans leur tenue actuelle et munis de plantes, ça relevait du défi. Calant son rurd au creux de l’un de ses bras, il proposa l’autre à Rebecca.
- Pour le moment je n’ai rien qui me vienne à l’esprit, mais peut-être qu’en continuant vers…
- Hé toi !
Alors qu’ils avaient commencé à marcher et qu’ils s’étaient éloignés de la librairie, Calixte s’arrêta pour tourner la tête vers l’homme ayant lancé l’injonction. Qui, visiblement, ne le concernait pas lui mais Rebecca.
- Morty, c’est la p’tite femme de l’autre jour !
- P’tin ouais, c’est celle qui m’a planté !
Ils eurent un moment d’hésitation où il sembla qu’ils se remémoraient avec difficulté la dernière fois qu’ils avaient croisé « la p’tite femme ». Et Calixte n’était pas contre de nouvelles rencontres, ni un peu d’animation, mais son instinct lui criait – ou la main pressante de Rebecca dans la sienne – qu’il valait mieux ne pas trop chercher à devenir intime avec les – trois – hommes venant dans leur direction. Entre leur air constipé, le craquement de leurs poings, et la détermination vengeresse brillant dans leurs yeux… L’espion n’hésita pas plus, il prit ses jambes à son cou.
S’ils n’avaient pas commencé à déambuler dans les rues de la Capitale, ils auraient tout bonnement pu retourner à la soirée mondaine « Fleurs et poésie : à l’écoute des plantes », mais il se trouvait que le trio était à présent plus proche de l’accès qu’eux-mêmes. Sans lâcher la main de Rebecca, l’entrainant à sa suite, Calixte espéra que les chaussures de la jeune femme lui permettraient de faire quelques centaines de mètre sans se tordre la cheville. Au moins avaient-ils trouvé une activité pour se réchauffer.
- Si la vie de noble ne vous correspond pas, vous avez tout de même de drôles de fréquentations, fit-il à l’adresse de Rebecca le souffle court.
- Ils s’cassent Rick, t’vas pas laisser filer comme ça la noble qui vous a plantés !?
- J’vois ça Tom ! … C’pas vraiment elle qui t’avait blessé, si ?
Il y avait de l’interrogation et de l’hésitation dans les voix de deux des hommes, comme s’ils ne savaient plus exactement ce qu’il c’était passé, et si Rebecca leur avait vraiment fait offense. Le troisième cependant était bien plus vindicatif. Et si Calixte avait vaguement espéré que le doute fasse renoncer le trio, il fut déçu. Jetant un regard par-dessus son épaule, il constata qu’ils étaient bel et bien suivis.
- La p'tite femme?
Rebecca avait dû mal à se souvenir où elle les avait vu, mis elle les connaissait. Bon, il est vrai ue le mot connaissance pourrait être un peu trop. Ils avaient tout de même essayer de la voler ! Elle avait envoyé un smilodon, mais rien n'avait fonctionné. C'est à partir de là que sa mémoire commençait à flancher. Elle revoyait une silhouette sombre, l'éclat d'un couteau, l'odeur cuivrée du sang. Mais impossible de remettre les événements dans le bon ordre. Est-ce vraiment elle qui a poignardé un des trois hommes ?
Rebecca ne voulait pas rester ici pour avoir la réponse à sa question. Parce que, bon, ça se voit à leur visage. Qu'importe la réponse, c'était sûr à 100% qu'ils n'allaient pas l'attendre. Alors doucement, elle serra un peu plus la main de Calixte : "barons-nous tout de suite d'ici". Elle espérait que le message soit passé.
Elle avait le souffle coupait. Pas qu'elle n'avait pas l'habitude de courir....enfin si, elle n'avait pas l'habitude. Mais là, avec des talons, c'était encore plus compliqué. Un faux mouvement, et c'était le sol, assurément.
- Je...ne...les...connais...pas....très bien.
Son corps n'en pouvait plus, il fallait vraiment faire une pause maintenant. Mais où ? Les trois hommes les suivaient toujours, et ils étaient beaucoup mieux habillé pour se genre de course poursuite. Au fur-et-à-mesure de la course, Calixte et Rebecca s'éloignaient des rues passantes. Parfait, justement ce qu'il fallait. Un meurtre ne passerait pas inaperçu sinon...
Puis, de la lumière dans une petite maison. L’enceinte disait "L'Aventurier Téméraire". Un bar ! C'est exactement ce qu'ils leur fallait. Un endroit où ils pourraient se cacher, ou du moins trouver quelqu'un pour calmer les trois autres.
- La ! Ic...Ici !
Rebecca tira Calixte par la main, le forçant à rentrer avec elle dans la taverne. La salle centrale n'était pas pleine, bien au contraire. Il ne devait y avoir que deux trois personnes au maximum, ceux aux toilettes compris. La bâtisse, en pierre et en bois, possédait de nombreuses cachettes possible. Continuant à tirer le jeune homme, Rebecca partie au fond de la pièce, là où la lumière est la moins présente. Sa respiration recommençait à revenir à la normale.
- Je penses qu'on devrait rester ici pendant quelques heures, le temps qu'ils abandonnent leur poursuite. Ils ne devraient pas nous trouver ici, personne ne nous a vu rentrer.
Mais à peine sa phrase terminée que la porte d'entrée s'ouvrit de nouveau. Et bien si, les trois hommes les avaient bien vu entrer. A voir maintenant s'ils ont une assez bonne vu pour les repérer dans la pénombre du lieu.
Ils pénétrèrent dans ce qui devait être une taverne – Calixte n’avait pas eu le temps de prêter attention à la devanture, trop occupé à jeter des coups d’œil frénétiques par-dessus son épaule pour surveiller la progression du trio – mais qui, malgré sa nature, son atmosphère plutôt accueillante et l’heure pourtant propice, était relativement déserte. S’ils avaient voulu se fondre dans la foule, c’était mal parti. S’ils avaient voulu dissuader leurs poursuivants d’être un peu trop vindicatifs en présence d’autres personnes, c’était peut-être éventuellement jouable. Pour peu qu’elles n’aillent pas toutes faire un tour aux latrines en même temps. Mais peut-être qu’avec un peu de chance le trio n’avait pas vu Rebecca et Calixte rentrer dans la taverne.
Slalomant entre les tables vides, ils avisèrent un coin dissimulé dans la pénombre épaisse de la pièce à l’atmosphère tamisée. Reprenant son souffle alors que la conseillère semblait faire de même au timbre de sa voix, il acquiesça à sa supposition. Avant de tourner la tête vers la porte de la taverne qui s’ouvrait à nouveau, laissant entrer le trio les poursuivant. Il aurait dû savoir que Lucy ne leur ferait pas cette fleur.
- Par le scrotum royal… jura-t-il dans un murmure.
Et tirant Rebecca par la main, dans un mouvement réflexe, il les entraina sous la table de l’alcôve. Il n’aurait su dire pour quelle raison le carré de tables de ce coin de la taverne était recouvert de longues nappes, mais cela convenait plutôt bien à leur affaire, donc il ne chercha pas plus loin. Entre l’obscurité relative de l’endroit, et le drapé les dissimulant, il était quasiment impossible que les hommes les retrouvent, non ? Et puis, peut-être seraient-ils assez sages pour ne pas poursuivre leur douteuse revanche dans un lieu où, bien qu’il fût mince, se trouvait un peu de public.
Le bruit des pas se rapprochant était hésitant, mais cela n’empêchait qu’il se rapprochait tout de même. Un des hommes interpella l’une des personnes profitant de l’atmosphère et de la boisson, et la réponse désintéressée qu’il récolta raviva la flamme d’espoir de Calixte. Allez, encore quelques minutes de patience tout au plus, et leurs poursuivants iraient trouver affaire plus juteuse ailleurs. Et l’espion se ferait un malin plaisir de retrouver leur trace une fois qu’il aurait retrouvé son insigne diurne de garde. Enfin, si Rebecca éclaircissait un peu son côté de leur passif commun. Elle ne lui paraissait pas capable de blesser sciemment quelqu’un, mais il était bien placé pour savoir que les apparences pouvaient être trompeuses.
Le bruit sourd d’une besace posée sur le bois de la table au-dessus de leur tête le surpris, et il esquiva de justesse une paire de jambes apparaissant soudainement sous la nappe. Il se serra davantage à la jeune conseillère et reprit sans bruit le rurd qu’il avait initialement posé par terre.
- T’souviens vraiment plus comment ça s’est passé l’aut’ jour Morty ?
- Bin figure-toi qu’j’étais pas très frais après… Tu m’prends une bière Rick.
- Deux. J’me les s’rais bien faits quand même. Z’avaient l’air assez friqués tous les deux. Ça aurait été une bonne pioche.
Ça commençait à sentir un peu les pieds là-dessous. Peut-être pourraient-ils s’éclipser sous la nappe d’une table adjacente ? Si ses souvenirs étaient bons, la plus proche était dans le dos de Rebecca. Par signes, il essaya de lui transmettre ses pensées. Mais déjà qu’il y faisait pas très clair dans la taverne, alors sous la table…
- ‘fin on a d’jà la prise de tout’à l’heure qu’était pas trop mal.
- La nana était pas trop mal non plus, hein Tom.. ?
- Ta gueule.
Rires.
- ‘puis avec le projet…
- Moins fort !
Murmures.
- ‘puis avec le projet d’l’hippodrome, on va s’met’ bien.
Le bras de Calixte s’immobilisa dans sa nouvelle tentative de communication avec Rebecca. Quel hippodrome ? Y avait-il plusieurs hippodromes ? Sa curiosité d’espion était éveillée, tout comme l’inquiétude d’ami de la conseillère des Veriano. Mais le troisième homme du trio – Rick ? – n’allait certainement pas tarder à revenir, et leurs possibilités de s’éclipser discrètement s’amoindrir. Alors quoi ? Calixte adressa un regard hésitant à Rebecca, qui se perdit probablement dans l’obscurité. Quoi maintenant ?
Essayant tant bien que mal de calmer sa respiration, Rebecca tiquait suite aux paroles du groupe. L'hippodrome ? Quel hippodrome ? Celui de la compagnie Veriano ? Non, ils ne se risqueraient pas à attaquer Keith, ils ne sont pas assez fous pour ça. Enfin, elle l'espère.
Elle aurait tellement voulu continuer à écouter leur conversation. Mais ils ne semblaient être que deux, ce qui voulait dire que le troisième homme n'allait pas tarder à arriver. Fallait-il mieux partir avant qu'il arrive, ou alors rester pour comprendre un peu mieux leur projet ?
Des bruits de pas venant dans leur direction coupa court à tout problème existentiel. La dernière personne de la bande arriva. Il ne fallait pas qu'il s'assoie avec eux, sinon c'était sûr à 100% qu'un pied allait tapait dans le corps de Calixte ou le sien.
Bon, il faut réfléchir rapidement à un plan. Plus les pas se rapprochaient, plus les possibilités de fuite commençaient à se rétrécir. Quand le bruit s'arrêta enfin, Rebecca pouvait apercevoir des chaussures juste à quelques centimètres de ces mains.
- Où sont les fuyards ?
- Sont partis
- Et donc vous êtes là, à boire un coup ?
- On parlait du coup de l’hippodrome
Une claque se fit entendre. On dirait bien que ce projet est vraiment important pour eux. Mais ni Rebecca ni Calixte ne pouvaient rester assez longtemps pour pouvoir en entendre parler un peu plus. Il fallait trouver quelques choses pour pouvoir s'échapper. Puis, dans un mouvement de poignet, la conseillère fit apparaître une souris. Une toute petite souris, toute mignonne et toute gentille, mais qui fait vraiment peur quand elle commence à courir un peu partout.
Et c'est ce qui arriva quand elle lâcha sa créature autours du groupe. Sous la table, Calixte et Rebecca pouvait voir des pieds bougeaient dans tous les sens. Voilà l'opportunité qu'ils attendaient. Prenant son ami par la main, ils rampaient à la table voisine. Puis, quand leurs poursuivants sortis de la taverne comme tous les clients encore présents, ils ressortaient tous les deux de leur cachette.
- Voilà une bonne chose de faites, hein.
Rebecca enlevait la poussière présente sur sa robe. Maintenant en sécurité, elle pouvait réfléchir un peu plus au calme.
- Je suis désolée, Calixte, mais je vais devoir écourter notre soirée. Il faut que j'aille voir Keith Veriano et que je le mette au courant de ce "projet". J'espère que cela ne vous dérange pas.
Sortant de l'immeuble, la conseillère dit au revoir à son ami, lui promettant par la même occasion de se refaire une sortie tous les deux. Mais sans nobles et sans brigands, cette fois-ci.