Vraiment, s’il devenait de plus en plus schizophrène, c’était entièrement de la faute d’Arban Höls. Pas que Calixte y trouva à redire – c’était dire à quel point il était déjà stable mentalement – mais le nouveau travail que lui avait assigné le Commandant n’avait rien fait pour entretenir sa santé psychique. Que ce fut par sa nature, ou par la formation supplémentaire chronophage qu’elle lui imposait. Et entre sa vie déjà double préexistante de coursier et d’espion, faire de la place à ce troisième statut était un combat organisationnel de tous les jours. Jongler avec ses rôles précédents relevait de l’opportunisme en ce moment.
Et Psolie était une facette de lui qu’il affectionnait particulièrement. Peut-être un peu trop. Et peut-être que dernièrement, sur son temps libre, il avait plus parcouru la Capitale dans les chaussures de la jeune femme que dans les siennes. Mais qui comptait ? Il était libérateur de pouvoir se promener sous un autre visage. Et celui-ci lui ouvrait bien des portes. A commencer par celles de la Guilde, où Calixte se rendait actuellement. Ayant récolté deux petites demandes de quêtes auprès de commerçants de la ville un peu plus tôt dans la soirée – déjà sous les traits de Psolie – l’espion comptait aller les déposer aux hôtes et hôtesses d’accueil du repère des Aventuriers, afin qu’elles soient par la suite retenues, ou non, par les examinateurs. Le fait qu’il gagnait au passage quelques petites piécettes était toujours appréciable.
Alors qu’il finissait de franchir l’un des ponts menant sur l’île où se trouvait la Guilde, une lamentation attira son attention. Son regard trouva rapidement la silhouette d’un nourrisson de loutre géante. Recroquevillé, tremblant visiblement d’effroi, il était la cible de quelques enfants l’ayant acculé contre un mur et s’amusant à lui lancer des pierres. Et Calixte n’était pas grand, ni imposant, mais le personnage de Psolie avait certainement plus de fougue et de présence que lui, et il n’hésita pas à interpeller la petite bande. Ni à leur passer un savon bien senti. Récupérant l’animal dans ses bras alors que la jeunesse s’éloignait penaude retrouver des parents affairés dans des boutiques un peu plus loin, l’espion nota que si l’épisode l’avait un peu traumatisée, elle n’était pas farouche. Il s’agissait visiblement d’une bête abandonnée. D’un familier abandonné. Dans un soupir, il sorti quelques biscuits d’un sachet en coton qu’il avait glissé dans la sacoche de Psolie, et en offrit au loutron qui ne se fit pas prier pour les dévorer.
Calant l’animal entre ses bras, Calixte reprit la route vers la Guilde en observant celui-ci. Son poil était tâché et sale, quelques blessures d’allure légère étaient apparentes, et il frissonnait toujours. L’espion s’arrêta quelques mètres plus loin pour défaire de son cou l’écharpe de Psolie et en envelopper le loutron dont les tremblements s’atténuèrent un peu. Une brise fraîche lui caressa la nuque, et il reprit son chemin d’un pas vif. La saison s’était refroidie, laissant de la buée apparaitre sur les devantures des boutiques et s’échapper des lèvres des badauds se promenant dehors aux heures extrêmes de la journée.
N’ayant pas non plus un stock infini de vêtements pour tous ses personnages, Calixte ne s’était pas habillé aussi chaudement que la situation l’aurait souhaité. Sous ses cheveux blonds noués allongés par des mèches naturelles – n’allez pas lui demander comment il se les procurait, vous n’aimeriez sans doute pas la réponse – son visage adroitement maquillé pour paraître féminin était dénudé. Et un peu rougi par le froid. N’ayant pas trouvé de manteau adéquat, il avait juste enfilé un gros pull de laine fermé sommairement par une broche devant sa poitrine. Sous sa tunique fluide, dissimulant et mettant en valeurs habilement les courbes qu’il souhaitait, une nouvelle paire de collants en laine sombre lui apportait un peu de chaleur. C’était la première fois qu’il essayait ceux-ci, et si la vendeuse n’avait pas menti sur leur capacité à maintenir ses jambes au chaud – en plus de celle de ne pas laisser ses poils apparaitre – elle avait cependant omis de lui préciser à quel point ils démangeaient ! Calixte avait passé le début de la soirée à adopter diverses stratégies pour se gratter les jambes discrètement.
Soupirant de nouveau en regardant le loutron se lover dans son écharpe, l’espion parcouru les derniers mètres menant au repère des Aventuriers et poussa la lourde porte d’un coup de bottine. S’engouffrant dans la Guilde, il ferma quelques secondes les yeux pour profiter de l’air chaud l’accueillant comme une embrassade amicale. Il régnait une ambiance conviviale et décontractée. Et Calixte avait rarement vu autant de monde se presser dans le hall. Etait-ce la saison fraîche qui invitait davantage les valeureux à se retrouver au sein du bâtiment père ? Ou le foisonnement des quêtes émergeant avec les difficultés croissantes liées au climat ? S’avançant vers le comptoir d’accueil, où quelques personnes étaient accoudées, l’espion parcouru la pièce du regard. Il reconnaissait certains visages qu’il avait déjà croisés avec son personnage de Psolie, et il adressa quelques salutations d’un sourire.
Des tasses fumantes avaient été données par les hôtes à leurs camarades aventuriers, et reposaient sur le comptoir. Le parfum qui s’en dégageait était fruité, et peut-être un chouilla alcoolisé. Comme l’ambiance était plutôt doucement festive que clairement affairée aux missions, cela n’étonna pas le jeune homme. Un duo lui libéra le passage, et son regard accrocha le tableau fixé un peu plus loin derrière le bar. Il accrocha aussi, au passage, une silhouette connue. Ce qui, en soit, n’était pas problématique. Non, le souci résidait dans le fait que c’était Calixte qui connaissait cette personne, et non Psolie. Occupé à se frayer un chemin entre les membres de la Guilde, l’espion n’avait pas réalisé qu’il s’était jeté dans la gueule du loup jusqu’au tout dernier moment.
La carrure était finement sculptée, la posture nonchalante. A cette distance, Calixte pouvait entendre son ton grave, profond, s’adresser à un – une ? – autre aventurier. Heureusement pour lui, de la façon où il était accoudé à l’accueil, Naëry Wig lui présentait actuellement son dos. Il était encore temps de trouver une autre percée au comptoir vers un hôte, ou une hôtesse, un peu plus éloignée de ce point problématique. L’espion eut à peine le temps de faire un pas en arrière, que l’animal qu’il avait dans les bras choisit cet instant pour sortir la tête de sous son écharpe et émettre un petit cri demandeur. Autant pour la discrétion.
Double Je─ avec Calixte
Je me lève aux aurores, comme à mon habitude. Le sommeil a toujours rapidement déserté mon corps, tant mieux, cela me laisse plus de temps pour vadrouiller. Comme à mon habitude lorsque je le peux, j’éveille mes muscles par quelques exercices matinaux avant de me débarbouiller. J’enfile le déguisement magique que j’ai obtenu lors d’une mission, c’est bien pratique comme illusion ! J’enfile par dessus un gros pull et je mets mon chèche. Je ne sors jamais sans ce dernier pendant cette saison fraîche. Il m’arrive même d’en porter des plus léger en chaude saison, c’est pour dire.
Passons cet interlude nouveau look pour une nouvelle vie, après un rapide petit-déjeuner composé d’un rooïbos avec une tranche de pain, je file en direction de la guilde. Cela fait quelques jours que je me suis posé à la Capitale, il me faut maintenant repartir en mission histoire de m’occuper. A ce qu’il paraît la main d’œuvre manque, je ne sais pas si c’est lié à cette période de l’année mais les quêtes ne cessent d’augmenter.
Un petit piaillement me donne le sourire, Loupiac, mon Chantelune, s’ébroue avant de sautiller vers moi. Je tends ma main et l’ouvre pour l’y accueillir. Il grimpe le long de mon bras pour se caler dans mon cou, au chaud dans le tissu qui entoure ce dernier. Il a bien grandi depuis que je l’ai recueilli.
- Tu viens avec moi p’tit Lou. Il gazouille à mon oreille pour exprimer son approbation.
C’est ainsi que je me retrouve quelques dizaines de minutes plus tard dans le hall de la guilde. Quelle affluence ! Je me faufile parmi la masse, je reconnais beaucoup de visages dans cette foule, certains sont juste des accompagnants. Le brouhaha emplie la pièce, je m’approche du comptoir pour consulter la liste des quêtes, Janua s’approche, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu.
Je tends la main pour lui ébouriffer les cheveux, petite tradition depuis notre soirée avec Carciphona. Il s’en était passé des choses depuis quand j’y repense.
Mon amitié grandissante avec Carciphona, le lien m’unissant à Krysta, ma vie passée revenue à la surface en la personne de Luz, l’appel général du Roi et sa mission suicide sous terre … Je garde encore quelques stigmates de cet événement. Je me demande ce qu’est devenu ce loustic de Calixte tiens. Quel étrange garçon … Ma question est vite balayé par un grog offert par la maison, je sens l’odeur d’épices diffusée par la fumée de la boisson. Accoudé au bar j’attrape la tasse avant de souffler sur le liquide tout en discutant avec Janua.
Un petit son inattendue me fait me retourner. Je suis surpris de découvrir une jeune femme tenant un … bébé loutre ? Qu’est-ce que cet animal fait ici ? Il est vraiment trop adorable avec ses petites joues toutes rondes. Comme pour répondre à son cri, Loupiac sort de sa cachette, laissant la fraîcheur remplacer son corps sur mon cou, et chante une petite mélodie. J’adore entendre son chant. Je souris à l’inconnue, c’est bien la première fois que je la croise dans ce lieu. Elle semble décontenancée, je lui propose alors mon aide.
- Bonjour, puis-je vous aider?
Je tends la main pour serrer la sienne dans une ppoigne à la fois douce et ferme.
- Je m’appelle Naë.
Je détaille la femme, fine, les cheveux blonds noués en un chignon sommaire, un maquillage peu prononcé néanmoins séduisant. Elle me semble peu couverte pour la fraîcheur de l’extérieure. Je reste bloqué sur son regard ambré qui me rappelle vaguement quelqu’un. Je la fixe, cherchant la ressemblance lorsque mon Chantelune gazouille pour m’alerter de quelque chose. Je le vois s’agiter sur l’écharpe enveloppant le loutron je m’intéresse de nouveau à l’animal. J’aperçois alors quelques blessures, elles ne semblent pas bien profondes, je préfère cependant m’en assurer.
J’interpelle Janua, notre hôtesse, pour lui demander discrètement une petite faveur et nous laisser accéder aux cuisines ou à la salle d’eau, il fallait nettoyer l’animal, nous pourrions ainsi l’examiner. Janua ne bataille même pas et m’accorde ce petit privilège, nous disparaissons discrètement à sa suite. Elle nous laisse alors dans la petite pièce, avec une trousse de premiers secours.
- Je dois retourner dans le hall m’occuper des autres aventuriers, tenez moi au courant si vous avez besoin d’autres choses ?
J'acquiesce en la remerciant et me retourne vers Psolie.
- Où l’avez-vous trouvé pour qu’il soit dans cet état?
J’attrape une bassine que je remplie avec l’eau du tonneau de réserve.
- Allez petit loutron, nettoyons un peu ton pelage. dis-je en tendant les bras. Vous permettez?code ─ croquelune
De sous les habits – et cette pensée était un peu dérangeante – de Naëry émergea soudain un chantelune, qui chantonna un petit air mélodieux comme pour aller à la rencontre du loutron. Et Calixte sut qu’il s’était doublement enfoncé dans un marécage de selles collantes. Le sourire qu’il rendit à l’aventurier, en lui serrant mollement la main, était un peu écœuré.
- Psolie, se présenta-t-il/elle brièvement de la voix un peu plus aiguë de la jeune femme. N… oui ? répondit-il/elle avec incertitude.
Incertitude et une pointe d’hystérie en observant le loutron qui s’intéressait beaucoup trop à l’aventurier. Et à son chantelune. Se tortillant dans l’écharpe salie, le petit animal semblait d’humeur joueuse et intéressée maintenant que tout danger avait été écarté. Il lançait quelques cris en réponse au chant de l’oiseau, et avançait le museau vers Naëry et la boisson odorante posée devant lui. Si le loutron s’était tenu tranquille, Calixte aurait refusé l’aide de l’aventurier, mais là…
Complètement pris au dépourvu, il laissa Naëry demander quelques faveurs à une hôtesse – Juana, si facilement reconnaissable – et il avisa à nouveau le reste de la pièce en se demandant comment s’éclipser au plus vite. S’il se souvenait bien, le regard de l’aventurier était un chouilla plus perspicace que la plupart, et il ne tenait pas à rester trop longtemps sous le regard scrutateur. Il n’avait pas manqué l’hésitation temporaire du jeune homme lorsque ses yeux dorés s’étaient posés sur la silhouette de Psolie. Ni sur ses iris ambrés. Il y avait peu de manières pour lui de camoufler la couleur de ses yeux, et elles comprenaient généralement la prise de substances à la fois nocives au long cours et plutôt onéreuses. Mais, généralement, le reste de son déguisement suffisait à lui fournir l’anonymat dont il avait besoin.
Suivant d’un pas contrarié l’aventurier et l’hôtesse, Calixte se laissa mener jusqu’à ce qui devaient s’avérer être les cuisines de la Guilde. Un peu perturbé, il se demanda un instant s’il avait mal compris les intentions du duo et qu’il venait de ramener le dîner des aventuriers ; puis Juana leur déposa une trousse de premiers secours et il se sentit un peu soulagé. La salle était globalement assez grande, mais elle était compartimentée par des cloisons amovibles. Visiblement ses capacités étaient modulables, et modulées, en fonction du nombre de bouches à nourrir.
- Non. Merci beaucoup, répondit Calixte/Psolie avant de se souvenir que de s’en tenir au strict minimum niveau prise de parole serait peut-être souhaitable.
Caressant du bout du doigt le pelage du loutron qui s’amusait toujours avec le chantelune, l’espion observa distraitement Naëry – Naë, d’ailleurs, pour Psolie ; pourquoi ? – remplir une bassine d’eau. Ne répondant pas tout de suite à la question de l’aventurier, il nota les options qui s’offraient à lui. Il pouvait confier l’animal à son ancien camarade d’expédition. Il n’était visiblement pas trop mal calé pour prendre soin des familiers, et en avait même déjà un. Ou alors il pouvait en faire don à la Guilde, qui le garderait probablement comme mascotte ou, plus tard, comme monture de dépannage pour les aventuriers. Ou il finirait en pot-au-feu dans ces mêmes cuisines, mais cela lui paraissait tout de même moins probable. Ou sinon il pouvait déposer une demande de quête pour retrouver le propriétaire initial du loutron. Mais il n’était pas certain de vouloir retrouver un maître – ou une maîtresse – qui avait été suffisamment négligeant pour que le petit animal ait fini dans cet état. Enfin, dans tous les cas, il lui faudrait rapidement se débarrasser de Naëry. Et donc, visiblement, du loutron.
Tendant l’animal nourrisson à l’aventurier, il nota le plaisir évident avec lequel le loutron se mit à mâchouiller les manches de ce dernier. L’espace d’un instant, l’idée de planter l’homme et la bête le traversa. Puis, sa conscience le rattrapa, et dans un soupir, il se retourna pour farfouiller dans la trousse de soin. L’option la plus viable aurait été de se faire la malle maintenant, mais celle la plus correcte, et la plus raccord à ses rares principes moraux, l’obligeait à au moins panser les plaies de l’animal. Et à assurer son avenir. Récupérant des compresses et du désinfectant, il releva ses manches et s’accroupit à côté de Naëry.
- Des enfants s’amusaient à lui lancer des pierres, près de la rivière, répondit-il/elle finalement succinctement.
Il y avait une pointe d’irritation dans sa voix. Pas dirigée contre son interlocuteur, mais contre la situation en elle-même. Mais, après tout, peut-être que s’il se montrait assez désagréable, l’aventurier ne chercherait pas à en savoir plus, accélèrerait la besogne, et s’éloignerait de lui un peu plus vite. C’était aussi un bon plan.
Soulevant méthodiquement les poils du pelage du loutron qui barbotait à présent dans l’eau et qui retrouvait peu à peu sa propreté sous les mains expertes de Naëry – Calixte prenant milles précautions pour éviter que leurs doigts ne se frôlent –, il repéra les plaies qui parcouraient le corps de l’animal : deux petites sur le flanc droit, une entaille un peu plus longue mais superficielle sur le dos, et une qui mériterait probablement un point pour cicatriser plus efficacement au niveau du front mais qui s’en sortirait tout de même sans intervention. Son inspection méticuleuse dut cependant chatouiller le petit animal qui se tortilla vivement avec un cri de contentement, et envoya une bonne rasade d’eau alentours. Trempant allègrement les autres âmes présentes. Parfait.
Partagé entre l’amusement surpris et l’exaspération nerveuse, baissant le bras qu’il avait instinctivement levé pour se protéger le visage, Calixte cligna des yeux avant de craquer et de se mettre à rigoler. Avec peut-être une pointe d’hystérie.
Double Je─ avec Calixte
Je ne sais pas si c’est de la timidité ou un zeste de condescendance, toujours est-il que Psolie laisse échapper une pointe de réticence agacée en répondant à mes questions. En même temps, lorsque j’apprends les raison de l’état de ce pauvre loutron, il y a de quoi m’agacer aussi. Qu’est-ce qu’il se passe bien dans la tête de ces sales gosses pour lapider un animal ? Un nourrisson qui plus est ! Si je pouvais remettre la main sur ces marmots je leur remettrai les idées en place … Mais pour l’heure, il faut soigner l’animal qui ne semble pas si mal en point, ce qui me soulage un tant soit peu.
Sans se consulter je me charge de l’hygiène du bébé tandis que la jeune femme s’occupe des plaies. Tant mieux, question couture je ne suis pas le plus doué, et bien que de simple compresse avec désinfectant devrait suffire pour la plupart des égratignures, la délicatesse d’une femme est toujours plus appréciée.
Alors que le loutron semble en bonne forme je m’intéresse à nouveau à mon interlocutrice. Je m’apprête à lui poser une question quand nous finissons trempés par notre protégé qui s’agite dans sa bassine. Je le maintiens quelques secondes pour le calmer, il se met à à ronronner étrangement, montrant son contentement. Le rire inattendue de Psolie me fait sourire, je la regarde longuement tandis que le fou rire se calme.
- Et bien si on s’attendait à ça ...
Dis-je en me relevant, attrapant un torchon propre pour l’apporter à la femme.
- Vous avez de la mousse dans vos cheveux.
Je lui souris de plus belle avant d’envelopper l’animal dans un autre tissus. Mon chantelune s’ébroue sur mon épaule avant de s’envoler un peu plus loin, un gazouillis plus grave qu’à l’accoutumé.
- Ah ! Je crois que Loupiac n’aime pas être éclaboussé!
Il gazouille de plus belle avant de s’envoler encore un peu plus loin, cette fois je ris de ma voix profonde devant le comportement vexé de mon familier.
- Que comptez vous faire de ce loutron Psolie ?
Je finis de sécher autant que possible l’animal avant de le rendre à sa sauveuse pour qu’elle lui prodigue ses soins. Je la scrute, intrigué par sa morphologie. Une impression de déjà vu, mais impossible de me rappeler où. J’essaie de ne pas paraître insistant, ce qui est compliqué car j’ai horreur de ne pas remettre un visage qui me semble familier.
- Je suis désolé de vous poser cette question, mais nous sommes nous déjà croisé ? Il me semble vous avoir déjà aperçu … Ici peut-être ? Vous venez souvent à la guilde?
Je lis son trouble sur son visage, peut-être ai-je été maladroit. J’espère ne pas la vexer si jamais nous nous étions déjà parlés et que je ne m’en souviens pas. Ce qui est plutôt rare, assez physionomiste j’ai la chance d’enregistrer facilement les visages que je croise. Sauf cette Psolie qui me donne du fil à retordre.code ─ croquelune
Comme Naëry avait pris sur lui de s’occuper du loutron alors que Calixte s’occupait de lui-même, l’espion continua sur sa lancée. Il retira méthodiquement son pull imbibé d’eau par endroits, prenant garde à ne pas dévoiler ses formes plus que nécessaire, même si sa tunique fluide faisait généralement l’affaire. Suivant le chantelune – Loupiac – un peu plus loin pour essorer son vêtement au-dessus d’un évier, il fût surpris d’entendre le rire de l’aventurier. Ce dernier avait été beaucoup plus réservé lorsqu’ils s’étaient rencontrés pour l’expédition royale, et l’espion se demanda si c’étaient les circonstances ou sa forme actuelle qui étaient à l’origine de ce changement d’attitude. En même temps, l’aventure dans les montagnes avait été loin d’être une promenade de santé, et cela avait probablement joué in minimum.
Enfin n’empêche, soupira Calixte un peu agacé. Psolie avait visiblement plus de capital sympathie que lui en tant que lui-même – Ezzio avait été un exemple similaire lors des Feux de la Nuit – et c’était à la fois énervant et flatteur. Et perturbant aussi, un peu. Hésitant, l’espion choisit finalement de nouer son pull à ses hanches. Mieux valait peut-être être moins vêtu mais au sec, qu’emmitouflé mais trempé. L’une de ses cachettes d’affaires ne se trouvait pas trop loin, une fois qu’il se serait débarrassé de Naëry, il irait y récupérer des habits plus appropriés au climat actuel. Et changer ses collants qui démangeaient comme pas deux !
Après avoir étendu le torchon pour le laisser sécher et récupéré un autre inutilisé, Calixte retourna près de l’aventurier. Récupérant le loutron à présent consciencieusement épongé, il donna le tissu sec à Naëry afin qu’il s’essuie lui aussi un peu. L’animal n’avait pas fait dans le détail en les aspergeant d’eau. L’espion s’estimait chanceux que son visage – et son maquillage – n’aient pas été atteints. Caressant le pelage maintenant propre du loutron, il répondit pensif mais concis :
- Je ne sais pas trop.
Allez, avec encore un petit effort d’impolitesse et de mépris, et il arriverait bien à se débarrasser de l’aventurier, non ? Peut-être aurait-il dû y songer avant d’apporter à Naëry de quoi s’essuyer, ça faisait un peu attitude paradoxale cette affaire. Et Calixte était généralement assez bon – ou en tout cas moins mauvais – dans le paraître, dans le jeu de rôles, mais pris entre son personnage de Psolie et la nécessité de se casser comme un malpropre le plus vite et le plus loin possible, il se trouvait un peu perdu entre ses habitudes de rôle défini et ses besoins actuels plus pressants. Avec un peu de chance, cette attitude lunatique couplée à un peu de dédain éloignerait rapidement l’aventurier.
- Je suis désolé de vous poser cette question, mais nous sommes nous déjà croisé ? Il me semble vous avoir déjà aperçu … Ici peut-être ? Vous venez souvent à la guilde?
D’accord, d’accord. Bon, peut-être valait-il mieux ne pas attendre que Naëry se dise que Psolie était piètre compagnie, car on avait déjà dépassé le stade de l’acceptable. Et bordel, pour toute la perspicacité de ses yeux, l’aventurier n’en possédait pas une once concernant les relations humaines. MAIS LAISSE-MOI TRANQUILLE PAR LE – juron – DE – juron – DU – juron, juron, juron –, hurla intérieurement Calixte qui commençait doucement à paniquer et fixait Naëry avec un mélange d’exaspération et de consternation. Et de pulsion meurtrière. Il se demanda si arracher les yeux de son interlocuteur était socialement acceptable lorsque celui-ci refusait d’avoir la décence de s’occuper de ses oignons.
Le problème principal était que Calixte avait tout de même besoin de Psolie pour la Guilde. Il avait investi beaucoup trop de temps, et d’efforts, dans son personnage féminin, lien entre les particuliers et le repère des aventuriers, source de milles potins, pour le jeter aux oubliettes sur un coup de tête. Il ne pouvait pas sacrifier sa couverture juste pour se débarrasser de Naëry. Car de ce qu’il avait rapidement aperçu plus tôt, si un incident survenait entre les deux, ce serait Psolie qui en pâtirait et non le jeune homme. Ils n’avaient pas du tout le même poids entre les murs de la Guilde. Alors quoi ? Devait-il répondre à celui-ci : on s’est plus que croisé oui, on a combattu ensemble des centipèdes, armés de casseroles, alors c’est pas cool que tu m’oublies même si je suis actuellement travesti ? Ça semblait presqu’être une solution raisonnable, comparée à toutes les possibilités traversant l’esprit de l’espion.
Si l’aventurier s’était tourné, Calixte n’aurait pas hésité à lui asséner un grand coup de chaise sur le crâne. Elles semblaient robustes, à portée de bras, et feraient fort bien l’affaire. Une cicatrice supplémentaire ne ferait pas de mal à l’aventurier. Son charme ne serait pas entaché. Sauf si cela lui laissait de petites séquelles neurologiques mais, hé, serait-ce vraiment grave ? Tôt ou tard la sénescence arrivait ; là ce serait plus tôt que tard, mais sinon… Néanmoins, le jeune homme ne paraissait pas d’humeur à le quitter des yeux une seule seconde, et c’était moyen bof pour l’excuse de malaise qu’il aurait pu servir par la suite.
- Je fais de réguliers passages à la Guilde, oui, finit-il/elle par répondre avec réserve. Il est tout à fait possible qu’on se soit croisé.
Emballez, c’est pesé ; il était temps de mettre les voiles.
- Je suis désolée, je… commença-t-il/elle avant que la porte de la cuisine s’ouvrant brutalement ne le fasse sursauter et perdre le fil de sa phrase.
Un jeune garçon, de visiblement tout juste au-dessus des seize années minimales pour intégrer la Guilde, avait pénétré sans délicatesse dans la pièce, tenant en équilibre précaire une pile de mug. Le regard enthousiaste qu’il adressa à Naëry fit comprendre à Calixte que les ennuis continuaient… ou qu’il avait là sa porte de sortie.
- Naë ! s’exclama-t-il en déposant la vaisselle sale dans l’évier le plus proche. On m’a dit que tu étais là ! Pardon, ma Dame, fit-il à l’adresse de Calixte avec un surplus de politesse qui n’était vraiment pas nécessaire.
- Pardonné, je m’en allais justem…
- Non, non, je ne fais que passer ! s’écria le garçon en ouvrant de grands yeux. Je ne vais pas vous déranger longtemps.
- Vraiment, prenez votre temps, je part…
- JE NE SUIS QUE DE PASSAGE !
Haussant les sourcils, Calixte se dit qu’il avait manqué quelque chose. Puis il observa le clin d’œil appuyé, et pas du tout discret même si c’était visiblement l’intention de base, que le jeune aventurier fit à Naëry. Et il comprit. Il comprit que son ancien camarade d’escouade avait visiblement un certain succès, que ce succès n’était pas un secret, et qu’en plus il était encouragé par son entourage. Ce que Calixte comprenait complètement ; au sein de la Garde régnait la même ambiance d’approbation des conquêtes en tous genres, y compris des cœurs et des lits. La méprise ne l’aurait pas gêné – et il aurait même pris un malin plaisir à jouer le jeu – s’il avait su que son risque de se faire démasquer n’augmentait pas exponentiellement en la présence de Naëry. Ce qui était le cas. Actuellement, il voulait juste quitter cette fichue pièce, qu’on arrête de l’associer d’une manière ou d’une autre à l’aventurier, et retrouver l’une de ses cachettes pour respirer à nouveau les secrets et moins le fiasco. Il n’aurait su dire si le rouge à ses joues était d’agacement ou de pudeur.
Soupirant sa défaite, il invita d’un geste du bras le garçon à se rapprocher de sa cible. Malgré l’insistance de ce jeune enthousiaste, il en profita pour se rapprocher discrètement de la porte de sortie. Sur un malentendu…
Le loutron s’était définitivement lové contre lui, mais son regard joueur suivait les battements d’aile du chantelune. Dans son dos, Calixte pouvait entendre par bribes l’aventurier novice demander à voix basse et précipitée à Naëry de lui apprendre à… faire des loutres en origami ? Décidemment l’espion était à la masse sur les techniques de drague, ou les compétences exigées par la Guilde. Enfin, il n’était plus qu’à quelques pas de la porte… bientôt la liberté !
Double Je─ avec Calixte
Ma question semble avoir troublé Psolie plus que de raison. A moins qu’elle n’essaie de se souvenir de ma tête, sa réponse reste des plus logiques. Je m’apprête à l’interroger encore lorsque Erwan, une toute jeune recrue, débarque précipitamment dans la pièce.
La scène semble l’intéressé plus que nécessaire, il est vrai que de voir une jeune femme blonde dévêtue par cette saison seule avec moi peut donner quelques idées mal placée s’il n’y avait pas eu le litre d’eau au sol et le loutron pour justifier dès le premier coup d’oeil de la situation. Malheureusement Erwan est un vrai commère, et il semble vouloir créer un instant complice à mon égard par un clin d’œil des moins discrets. Quelle impolitesse envers la femme ! Je lui lance un regard noir avant de l’inviter, tout comme Psolie, à venir me voir.
On dirait un jeune chiot tout content, à peine est-il à porter de main que je lui assène une tape derrière la tête. Il me regarde ahuri avant de comprendre mon geste. Il baisse alors la tête, penaud.
- Sois un peu plus respectueux Erwan, nous ne sommes pas dans une cours de récré ici. soufflé-je à sa seule attention.
Il se tortille, j’arrête de le réprimander et lui demande comment se passe sa formation. Il retrouve sa fougue et ose même me demander comment faire des origamis loutre. Je vais finir par croire qu’il m’espionne ce garnement, ou qu’il fait une fixette sur moi. Je devrais peut-être le garder à l’œil.
En parlant d’œil, j’aperçois Psolie qui s’éloigne, je pars vers la sortie à mon tour, présentant des excuses pour le comportement peu chevaleresque de mon jeune collègue.
- Excusez-le, la jeunesse n’a pas toujours l’esprit critique. dis-je en rattrapant la jeune femme.
Je lance un dernier regard à Erwan qui disparaît dans le couloir, l’air contrit.
- J’ai des affaires de rechanges si vous me permettez de vous en prêter, j’ai peur que vous n’attrapiez froid. Les couloirs de la Guilde ne sont pas très chauffés en cette période.
Je ne sais pas pourquoi quelque chose m’incite à rester près de la femme, tel un mystère que je n’arrive pas à résoudre. Peut-être lié à sa façon d’être que je n’arrive pas à interpréter, passant du rire à une irritabilité certaine. Un comportement intriguant, et comme je ne suis pas pressé …
- Ce loutron semble vous avoir adopté. Si vous ne savez vraiment pas quoi faire de lui, je connais un aventurier qui saura vous donner quelques bons conseils.
Son visage est marquée par l’agacement, je finis de mettre les pieds dans le plat, préférant être direct.
- Y-a-t-il quelque chose qui vous dérange ?
Il peut il y avoir trente six mille raisons, une sombre histoire d’amant croisé dans les couloirs, une fatigue passagère, ce qu’il est arrivé au loutron, un événement personnel … Je ne suis pas homme à supputer, que dis-je, affubler même. D’où ma promptitude.
C’est alors qu’une rumeur vient perturber notre échange, deux aventuriers passant près de nous parle d’un événement qui attire toute mon attention.
- Tu sais la Noble là qui avait disparu … Delewigne quelque chose comme ça là. Ben c’est pas la seule dans le milieu. J’sais pas si elles se font une petite partie de fugue mais à c’qui paraît y a une quatrième fille qu’a disparu.
- Et ils savent rien là haut ?
- Que dalle … c’est c’qui s’dit en tout cas.
Puis ils partent sur un autre sujet, comme s’ils parlaient de banalités. Sauf que la banalité concerne en premier lieu la disparition de ma sœur, Calia Dewig. Je n’ai de cesse de me renseigner et pourtant je n’ai plus d’autres pistes. Je fronce les sourcils, me rappelant notre enquête avec Aban Höls. D’autres filles ont donc disparu depuis, est-ce que tout est lié ? Ma théorie tombe à l’eau. L’espoir que ma sœur est suivi l’exemple de son stupide grand frère, disparaître de la Noblesse pour vivre une vie plus paisible ailleurs. Cela me semble de plus en plus improbable au vu des rumeurs qu’on entend. J’ose espérer que la garde trouvera vite un lien, et surtout la cause. Qu’on retrouve Calia saine. Pitié Lucy, veille sur ma sœur !
J’en oublie quelques instants Psolie, je me retourne vers elle, main sur les hanches, le visage contrarié et le regard sombre.code ─ croquelune
Ralentissant dans un soupir en entendant les pas précipités dans son dos, il laissa passer devant lui la silhouette fougueuse du tout jeune aventurier qui retourna dans le hall principal de la Guilde, et il se tourna vers Naëry qui venait de se matérialiser à ses côtés. Et qui lui adressait des excuses pour le comportement un peu trop enthousiaste et indiscret de l’adolescent. Mais franchement, Calixte aurait bien profité de l’intervention de celui-ci pour se faire la malle, donc il n’avait pas grand-chose à pardonner. Il regrettait juste de ne pas avoir été assez rapide pour s’éclipser discrètement. Enfin, sérieusement, il avait pas mieux à faire son ancien camarade d’escouade ? Ou il était tombé amoureux du loutron qu’il avait ramené ? Loutron qui s’était un peu calmé et commençait à ronfler entre ses bras. Il ne savait pas, jusqu’ici, que ces bêtes pouvaient ronfler.
Les propositions de Naëry étaient néanmoins alléchantes, et l’espion maudit l’aventurier qui taquinait en même temps sa fibre curieuse, et son envie de se changer. A la fois pour ne pas mourir de froid dans ces circonstances semblant être parties pour s’éterniser, et pour éventuellement se débarrasser de ses collants qui le démangeaient comme ça n’aurait pas dû être permis. Et bien qu’il n’avait nullement l’intention de garder le loutron – parce que ça lui paraissait milles complications ingérables au vu de son statut actuel – il était tout de même intéressé d’en apprendre plus sur l’animal, tout comme de rencontrer un aventurier expert en la matière. Agacé par son indécision et son incapacité à se dépêtrer de la situation, il faillit rire amèrement à l’interrogation de Naëry. Non, non, non, tout allait bien, tout beignait ! Il aurait presque aimé une attaque surprise de centipède pour pouvoir s’abroger du regard scrutateur de l’aventurier.
Hésitant quant à sa réponse, il se tut finalement en observant une tension s’installer dans l’attitude de Naëry. Des voix étouffées leur parvenaient du couloir de l’autre côté de la porte close, et elles semblaient être la cause de l’émoi soudain de l’aventurier. Prêtant attention aux propos, l’espion reconnu des rumeurs concernant une affaire sensible en cours d’exploration par la Garde. Des jeunes filles d’origine noble avaient disparu, et l’on cherchait encore à démêler le pourquoi du comment. Calixte n’avait pas été mis à contribution, déjà occupé à d’autres soucis ; mais ses collègues espions n’avaient pas manqué de le tenir au courant et sa fréquentation d’Arban Höls lui avait appris que le Commandant en personne avait pris les rênes de l’affaire. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était la réaction de l’aventurier devant lui.
S’il n’avait pas connu Naëry dans les circonstances extrêmes de l’expédition royale, si le jeune homme n’avait pas accepté sans négocier de faire de Krysta leur priorité, Calixte aurait lourdement douté du rôle de l’aventurier dans ces disparitions. Il se serait demandé s’il n’était pas en présence d’une des personnes responsables de cette affaire. Mais il avait appris à connaître celui-ci, pas dans la multitude de détails subtils mais futiles que seuls ses proches de longue date pouvaient connaître, mais dans cette essence fondatrice qui définit la plupart de nos actions. Lorsque la vie était soudainement en suspens, et que la mort chasseresse se profilait, la nature profonde de chacun se révélait. Et celle de Naëry n’était pas de séquestrer une panoplie de jeunes filles nobles pour son plaisir personnel. Non, elle était attentive et bienveillante. Attentionnée et volontaire. Calixte aurait confié sa vie au jeune homme les yeux fermés. Alors son identité ?
Sa main bougea avant que ses neurones n’arrivent à cette réalisation, et ses doigts se posèrent avec douceur sur le bras de l’aventurier. Il ne pouvait pas se permettre d’être démasqué, mais visiblement il n’arrivait pas à se débarrasser de l’homme en se montrant hostile. Alors autant être lui-même, ou en tout cas Psolie. Et à sacrifier mentalement sa santé psychique sur l’autel de Lucy en espérant que cela suffirait pour que Naëry ne remarque rien, et retourne vaquer à ses oignons. En parlant d’oignons…
- Vous semblez à votre tour contrarié, releva-t-il/elle en se passant légèrement son doigt sur les sourcils froncés de son interlocuteur. C’est tout à votre honneur de vous inquiéter pour moi, pour nous ; mais l’honneur ne vous amènera pas les réponses qui vous éludent. Si vous souhaitez partir à leur recherche, je me débrouillerai seule, ne vous inquiétez pas.
Après un moment d’hésitation, tortillant nerveusement de sa main l’une de ses mèches blondes, il décida de poursuivre sur sa lancée Psolie et tenter d’inciter Naëry à le laisser tranquille avec un peu plus d’arguments. Un peu plus d’arguments malaisants.
- Et puis votre proposition est très gentille, mais je préfèrerai rentrer rapidement chez moi après cet incident. Je suis trempée à des endroits improbables et…
Il hésita encore, soigneusement.
- J’ai mes règles, ajouta-t-il/elle en rougissant légèrement mais en levant un regard provocateur vers l’aventurier. Et il y a des choses que vous ne pourrez certainement pas me prêter. Sauf si je me trompe vraiment sur la marchandise, continua-t-il/elle en parcourant du regard la silhouette de Naëry.
Bien décidé à s’éclipser sur ces propos – parce qu’à moins qu’en plus de faire des loutres en origami, l’aventurier collectionnait les garnitures féminines, il était à peu près tranquille –, il avança sa main vers la poignée de la porte.
Double Je─ avec Calixte
Le contact de la femme sur ma peau me ramène à la réalité. Psolie voit mon inquiétude, je me ressaisi aussitôt, reprenant mon habituel masque inexpressif. Conciliante elle me propose de la laisser se débrouiller, et la suite de la discussion m’échappe totalement. Si je ‘attendais à une telle déclaration. Je fais les gros yeux en la fixant avant de retenir le fou rire qui commence à me piquer les yeux. Ces derniers s’embuent, un large sourire étire mes lèvres, je n’arrive pas à me retenir mieux que ça. Je toussote pour me redonner contenance, balbutiant quelques mots qui invite mon rire à s’exprimer. Je me racle à nouveau la gorge avant de reprendre un peu plus sérieux, néanmoins le sourire toujours présent.
- Vous êtes directe Psolie ! Je ne m’attendais pas à ça …
Je m’écarte la laissant ouvrir la porte avant de la suivre. Sa main fine ne m’est pas inconnue, cette sensation de déjà vue commence à devenir dérangeante et oppressante.
- Vous allez attraper froid comme cela. Habitez-vous loin ? Laissez moi au moins vous prêter une veste, et je vous laisserai rentrer pour … Vous voyez …
Je lui fais un signe pour qu’elle me suive. La blonde me fixe, une lueur entre exaspération et regard noir, étrange mélange dont je décide d’ignorer totalement sa compréhension. Je l’amène à un vestiaire et je la laisse entrer en parfait gentleman. Je pars vers un casier avant d’en sortir quelques vêtements doublés.
- Tenez, un pantalon et une chemise au cas où vous vouliez totalement vous changer, tant que vous y êtes. Vous pourrez tout garder et faire ce que vous voulez de ces tissus, les donner au premier venu si cela vous chante.
Je m’éloigne de quelques pas et m’allonge à même le sol tout en continuant de parler, fixant le plafond pour l’intimité de la demoiselle.
- Qu’allez-vous faire du Loutron du coup? demandé-je alors que ce dernier vient me renifler les côtes.
Et soudain, alors que mes yeux sont toujours rivés vers les hauteurs, un tilt. Je me redresse d’un coup, oubliant ce qui nous a amené ici quelques minutes plus tôt, et dans mon engouement je demande à la femme d’une voix pressée :
- Psolie ! Vous n’auriez pas un frère ? Un frère ou de la famille proche qui travaille à la Garde?
Oui, ses yeux ambrés, cette couleur de cheveux blond sable … Une carrure aussi semblable en y repensant, svelte, avec des formes un peu plus généreuses. Cette Psolie me rappelle Calixte, ce compagnon d’infortune avec qui j’ai eu le plaisir d’échapper à la mort lors de notre escapade dans les souterrains d’Aryon. Plutôt discret, un poil insouciant … Non que dis-je … Inconscient !
En tout cas la ressemblance est maintenant frappante, et alors que mon regard se pose sur la silhouette je réalise que Psolie n’a pas finit de se changer … Je tourne lentement la tête sur le côté pour ne pas la fixer mais un nouveau détail vient étayer ma nouvelle découverte. Au delà d’une simple ressemblance …code ─ croquelune
- Moi non plus, je ne m’attendais pas à ça, grommela-t-il/elle. Non, je n’habite pas si loin, ajouta-t-il/elle d’une voix plus forte. Vous êtes trop gentil.
Vraiment. Trop. Le sentiment d’urgence de fuite de Calixte s’était peu à peu mué en une espèce d’indifférence blasée et frustrée, entretenue par cette double impression que son interlocuteur n’était pas prêt à le laisser filer et en même temps ne paraissait pas le reconnaitre plus que ça. Et l’espion n’oubliait pas que les yeux de Naëry étaient un peu plus perspicaces que la moyenne, mais pour le moment cela ne lui avait pas tellement porté préjudice. Visiblement le jeune homme le trouvait familier, mais il n’était pas trop allé l’interroger sur ce terrain. A moins que, justement, il ait décidé de garder Psolie à ses côtés le temps de mettre plus de mots sur cette sensation de familiarité ? Espèce de sadique, songea Calixte en poignardant des yeux la silhouette de Naëry le précédant.
Ils rentrèrent dans ce qui devait être un vestiaire, et il observa les mouvements de l’aventurier, repérant ce qui devait être son casier. A moins que ce fût celui mis à disposition de la population présente. Celui de dépannage. Il allait falloir qu’il creuse un peu l’affaire, s’il ne voulait pas courroucer toute la Guilde en y mettant du poil-à -gratter. Non, la seule cible de ses rétributions était le serviable Naëry.
- Je vous laisse la chemise, merci. Ce sont vos affaires ? interrogea-t-il/elle en récupérant les vêtements qu’on lui tendait. Vous avez pris soin de moi jusque-là, ce serait plus qu’incorrect de ma part de ne pas vous les rendre, ajouta-t-il/elle en fronçant les sourcils.
Déposant le loutron au sol pour pouvoir récupérer un semblant de dextérité, il jeta un dernier regard à l’aventurier… qui s’était allongé au sol ? Allons bon, à ce rythme-là, c’était la santé mentale du jeune homme qu’il allait devoir vérifier. Est-ce que le fait d’avoir entendu ces quelques propos au sujet de la disparition des nobles qui l’avait à ce point affecté ? Après une hésitation, Calixte avisa une autre rangée de casiers et alla se dissimuler davantage derrière elle. Les hommes étaient des hommes, et l’espion n’avait surtout aucunement confiance dans sa chance qui lui tournait actuellement ostensiblement le dos. Commençant par retirer ses bottines, il étudia un instant son plan d’action. Ses collants n’étaient pas tellement mouillés, et bien qu’inconfortables, il ne tenait pas particulièrement à s’en séparer pour le moment. Sa tunique fluide était humide sur les bords, mais le simple ajout du pantalon devait limiter la froideur s’en dégageant et lui tenir davantage chaud. Le pull bien imbibé resterait sur ses hanches.
- Je n’ai pas les moyens de recueillir ce loutron, malheureusement, répondit-il/elle distraitement en enfilant le pantalon. Pensez-vous que je puisse en faire don à la Guilde ? Ou à votre connaissance calée en la matière ? … Ou bien à vous-même ? Il tiendrait compagnie à… Loupiac ?
Le vêtement n’était visiblement pas taillé pour quelqu’un de sa taille, et il se baissa pour faire des ourlets. Au moins était-il bien chaud.
Les propos suivants de Naëry le prirent pas surprise – lui qui avait caressé le doux espoir que finalement les yeux de l’aventurier n’étaient finalement pas si performants que ça – et dans un moment de panique il perdit son équilibre précaire. Tombant en arrière contre le casier dans son dos, il fusionna instinctivement avec celui-ci. Et en ressortit tout aussi vite. Du mauvais côté. Sa tête tapa contre le compartiment du haut, ses membres se prirent dans le bordel entassé à l’intérieur, et sa vision s’obscurcit. A la fois en raison des ténèbres du compartiment, et des étoiles dansant devant ses yeux après son traumatisme crânien. Et par Lucy que ça sentait le chacal à l’intérieur !
- Ooow, gémit-il/elle en se tenant la tête, toujours enfermé dans le casier.
Double Je─ avec Calixte
Un vacarme monstrueux s’ensuit de la disparition de Psolie dans le placard. Enfin Psolie … Je me relève à la hâte, Loupiac s’envolant pour se poser sur le casier dans lequel « la jeune femme » vient de s’enfermer en fusionnant avec celui-ci. Et j’ai déjà vu cette magie lors de l’expédition à la cité enfoui. Oui, je me souviens encore de Calixte fusionnant avec la porte blindée, ou encore avec le mur du bâtiment abandonné pour en ressortir de l’autre côté.
J’ouvre le vestiaire précipitamment retrouvant un Tetris humain dans un tas de vêtements malodorants.
- Calixte ?!
Je tends la main pour l’aider à sortir de son piège avant de bien le/la regarder, m’assurant de la véracité de ce que j’avance.
- Calixte c’est bien toi ! Mais qu’est-ce … M’enfin je …
Je suis interloqué, mon Chantelune se met à chanter à ce moment là, trop consterné je n’y prête pas attention.
- Par les yeux de Lucy, pourquoi donc te déguises-tu en femme pour venir à la guilde?
Le moment de surprise passé je ne sais pas si je dois m’inquiéter ou rire, des rictus apparaissent sur mon visage qui ne peut contenir davantage mes pensées. Le loutron vient se frotter à mes jambes, je fixe toujours le travesti en écoutant ses explications bancales.
Maintenant la ressemblance est évidente à mes yeux, en détaillant le déguisement je me rends compte qu’il est sacrément bien travaillé. Soit Calixte s’est préparé quelques jours en avance pour l’occasion, soit ce n’est pas la première fois qu’il revête ces vêtements.
- Ça t’arrive souvent d’être Psolie ?
Une femme entre à ce moment là, nous regarde longuement, lâche un « oups pardon » avant de ressortir aussitôt. Je ferme les paupières quelques secondes, entre Erwan et cette femme je sens qu’une rumeur va pas tarder à naître. Heureusement que j’en ai cure, peut-être n’est-ce pas le cas de Calixte, enfin de Psolie.
M’habituant à l’idée que le jeune homme puisse se travestir je commence à comprendre les enjeux de sa panoplie féminine. Le garde a des missions pour lesquelles il doit récolter des informations, incognito. Là c’est sûr on ne va pas le reconnaître ! Sauf un proche peut-être, ou un type bien chiant comme moi, qui insiste lorsque quelqu’un se rappelle à lui.
- Je comprends mieux pourquoi ton comportement était froid par moment …
Je lui tends une veste pour qu’il n’attrape pas froid avant de reprendre plus léger.
- Je peux effectivement laisser le Loutron à la guilde, je connais une hôtesse qui se chargera de lui trouver une maison confortable.
J’attrape l’animal en question qui se se débat dans mes bras en direction de Calixte.
- Je crois que lui par contre t’a adopté à toi …
Je tends les bras, la bébé loutre vers le garde pour qu’il le reprenne dans ses bras. Nous irons le donner à la personne dont je lui parle mais avant je souhaite éclaircir un point sur les attentions du jeune homme.
- Pourquoi te déguiser lorsque tu viens ici ? Y-a-t-il des personnes que tu voudrais éviter ? Dis moi la vérité, y-a-t-il quelque chose que je puisse faire pour t’aider?
On ne se connaît pas vraiment lui et moi, mais pour avoir entraperçu le personnage je ne pense pas qu’il soit animé de mauvaises intentions. Il cacherait drôlement bien son jeu, surtout face à l’adversité comme lors de notre mission sous terre. Je reste cependant circonspect, après tout certains sont éduqués pour duper afin d’assouvir de malsains desseins … Quand même, j’imagine mal ce type qui part faire copain copain avec les pires créatures de la cité enfoui avoir de déplaisantes arrière-pensées. Je préfère lui accorder ma confiance, si je me trompe, je m’en apercevrais bien assez tôt.code ─ croquelune
Il se saisit néanmoins de la main tendue de l’aventurier et se dé-faxa du casier dans lequel il s’était encastré, réajusta dans le placard la batte qui lui était tombée dessus, et balaya d’un revers de main agacé les sous-vêtements odorants qui avaient choisi de le suivre. La surprise de Naëry aurait pu être amusante dans d’autres circonstances, mais l’espion venait de replonger froidement dans la réalité de son monde officieux… et des conséquences possibles de ses échecs. Et même si le Maître-Espion ne choisissait pas de refaire sa décoration intérieure au sang de son pion défectueux, sa sentence ne serait en aucuns cas agréable. Devrait-il rendre sa plaque ?
La question de Naëry le fit revenir à l’instant présent, et il cligna des yeux pour calmer sa panique croissante et mettre un sens derrière les mots de l’aventurier. Maintenant que sa couverture n’était plus, et qu’il se trouvait profondément dans le purin, le premier instinct de Calixte était d’être sarcastique pendant que ses méninges essayaient de lui trouver une porte de sortie :
- C’est ma passion, je…
Ah. Et s’il faisait effectivement passer ça sur une envie ? Un passe-temps inavouable ? Les requêtes qu’il avait encore dans sa sacoche pouvaient attendre un peu, et il pourrait repasser plus tard pour les remettre à l’un des hôtes d’accueil. Sauf que c’était Psolie, sa vignette de la Guilde. C’était Psolie qui était connue pour apporter ces missives, et surtout qui était connue des particuliers qui lui confiaient ces missions. Alors quoi ? Continuait-il à se présenter chez ces derniers en tant que Psolie et changeait-il de déguisement avant de remettre les pieds dans le repère des aventuriers ? En priant de ne plus jamais croiser Naëry car l’histoire risquait de se répéter ? Non, c’était trop compliqué, trop hasardeux. Mais il ne pouvait pas non plus se permettre de venir régulièrement en tant que lui-même. Il n’avait pas d’ami ici, alors quoi de plus louche qu’un garde traînant dans l’enceinte de la Guilde ?
Et il ne pouvait pas non plus se permettre d’abandonner ce terrain de jeu. De travail. Les espions actifs de la Garde se comptaient déjà sur les doigts des mains, alors limiter ses lieux d’investigation était impensable. D’autant plus s’il s’agissait de la Guilde. Qui, pour toute son organisation et sa gestion semblant rodées et honorables, restait un lieu usuellement inaccessible aux militaires et donc la cible de tous les fantasmes. Fantasmes qu’il était important d’infirmer ou d’affirmer, pour la paix du ménage Guilde-Garde en Aryon. Et donc ? Devait-il mettre Naëry dans la boucle pour s’assurer de pouvoir continuer à travailler ?
Complètement pris à ses réflexions, il n’entendit que la moitié des propos de l’aventurier, et sursauta lorsque la porte des vestiaires s’ouvrit sur une nouvelle venue. Dans un coin de son esprit, Calixte nota que pour leurs réputations respectives ça risquait de jaser, mais il avait des soucis un peu plus pressants que la notoriété séductrice de son ancien camarade d’escouade. Profitant que l’attention de Naëry était à autre chose – vraiment il avait une obsession à le rhabiller – il ouvrit d’un coup de pied la besace de Psolie donnant droit sur le petit sac sans fond. D’un geste vif et plutôt habile pour lui – visiblement le désespoir pouvait être bénéfique – il y glissa la batte – facilement trouvée entre les affaires sales – que le casier dans son dos contenait. Il contempla avec satisfaction l’objet disparaitre dans l’ouverture de sa sacoche, englouti à la verticale en un quart de seconde par le petit sac sans fond. Puis il saisit avec calme la veste que l’aventurier, à nouveau tourné vers lui, lui tendait. Il nota distraitement qu’il ne ressemblerait plus à grand-chose ainsi habillé, et autant il s’en fichait un peu lorsqu’il était lui-même, autant il ne pouvait laisser sortir Psolie dans un entre deux mettant en doute sa silhouette féminine. Tout comme son bon goût.
Soupirant, il défit le pull trempé à ses hanches, et retira complètement la tunique fluide pour ne rester qu’en t-shirt à manches longues. Roulant méthodiquement ses vêtements inutiles, il les coinça avec le rabat de la sacoche de Psolie, puis enfila la veste. Peut-être que son personnage avait ainsi une silhouette un peu plus androgyne, voire masculine, mais au moins ne risquait-il pas d’attirer trop de regards par ses habits complètement dépareillés. Récupérant l’élastique à son poignet, il entreprit de renouer ses cheveux d’une main experte, tout en adressant un regard exaspéré au loutron se débattant dans les bras de Naëry. Ça n’était vraiment pas sa journée.
- Effectivement, grommela-t-il/elle en reprenant la voix de Psolie.
Tant qu’il risquait de croiser d’autres personnes le connaissant sous les traits de la jeune femme, il ne pouvait pas se permettre de jouer son rôle à moitié. Et il était hors de question que ce fût Calixte qui sortit de la Guilde alors que c’était Psolie qui y était entrée. Dans un soupir, il récupéra sa besace posée par terre, ainsi que le loutron des bras de l’aventurier. La créature en profita pour se lover à nouveau contre lui, et répondre quelques cris de contentement au chant du chantelune.
- Pas ici, indiqua-t-il/elle à Naëry en fronçant les sourcils.
Le lieu était un vrai moulin à vent, et l’espion ne tenait pas à se lancer dans l’explication la plus minime avec le risque que quelqu’un les surprenne. D’autant que, comme à la Caserne, avec autant de personnes et donc de possibles pouvoirs, les murs devaient avoir des oreilles. Et il s’était déjà suffisamment cramé, merci bien. Pas la peine de révéler à tout le royaume que la Garde envoyait des espions traîner à la Guilde. Comme pour lui donner raison, la porte du vestiaire s’ouvrit à nouveau sur un duo d’aventuriers qui marqua, comme la nouvelle-venue précédente, un temps d’arrêt en les voyant. Est-ce que Naëry avait vraiment une réputation telle que tout le monde concluait qu’il était nécessairement en pleine action de séduction s’il avait une interlocutrice ? Ou bien était-il si inhabituel pour des membres de sexe opposé de se parler ? Ou était-ce son statut de non aventurière qui laissait planer le doute ? Ou alors est-ce que les cuisines et les vestiaires – et tout autre endroit que le hall – étaient connus comme lieux d’ébats horizontaux ? Levant les yeux au ciel à la ressemblance des mœurs enfantines des aventuriers et des militaires, Calixte referma le casier derrière lui d’un grand coup sec faisant sursauter leur public, et posa une main sur le bras de Naëry :
- Chez toi, fit-il/elle d’une voix ferme. Sauf si tu as du monde.
Du coin de l’œil, il observa le duo d’aventurier hausser les sourcils et s’éclipser en gloussant – en gloussant ! Et tant pis pour la réputation de Naëry, de toute façon c’était sa faute cette situation !
Double Je─ avec Calixte
Complètement prit au dépourvu Calixte se mue dans un silence de réflexion. J’attends patiemment ses réponses qui ne viennent pas. Ne pas en parler ici, j’acquiesce sans un mot, rassemblant le peu d’informations que je connais du personnage. C’est un garde, un garde aux réactions suicidaires (en souvenir aux Wardäns avec qui il voulait faire copain copain …), qui aime se travestir. Très peu d’informations oui. La question étant : aime-t-il se déguiser seulement dans certaines situations, comme celle de venir à la guilde, ou tout le temps ? Est-ce un plaisir personnel ou dans le cadre professionnel ? Après tout, j’ai déjà croisé des inconnus qui se travestissent car il ne se sentent pas dans le bon corps. Peut-être est-ce le cas de mon ancien coéquipier ?
Je m’aperçois alors que je ne le connais pas du tout, à part affronter des monstres dans les tréfonds souterrains nous n’avons rien partagé de plus. La disparition de Krysta n’y est pas pour rien. Ni l’un ni l’autre n’avons pu la retenir, et encore moins la ramener. Cette pensée m’attriste soudainement et une vague de colère m’envahit. Je m’en veux terriblement. Et revoir Calixte ravive cette peine. Nous étions d’accord pour la protéger elle quoi qu’il arrive et pourtant, nous en avons été incapable. Ces derniers temps j’ai l’impression que tout part à vau-l’eau. Entre la perte de Krysta, la disparition de ma sœur … Qu’ai-je fait pour te courroucer Lucy ?
Nous sommes une nouvelle fois interrompu par la venue d’aventuriers. Ils se sont passés le mot ou quoi ? En vrai cela ne m’étonnerait même pas, c’est un vrai nid à commérages ici, certains s’ennuient et créer des rumeurs comblent le vide de leur morne existence. Calixte, ou devrais-je dire Psolie, me propose de nous retrouver chez moi pour de plus amples informations. J’acquiesce une nouvelle fois tandis que le nouveau duo part en ricanant.
Je sais très bien ce qu’il se dit sur moi ici, certains pensent que je suis un coureur de jupons, pour d’autres un Roméo. Les uns disent que je suis incapable de garder une femme car mes performances sont médiocres. J’ai même entendu dire que je préfère les hommes. Pour eux, tout tourne autour des relations amoureuses. S’ils savaient comme je n’en ai cure de leurs fadaises ! C’est bien ce qui les frustres, mon stoïcisme. Heureusement que tous ne sont pas comme ça, juste quelques petits bavards de la guilde. D’ailleurs si un jour vous avez besoin d’informations, c’est eux qu’il faut aller voir. Vraies ou fausses ? Ce sera à vous d’en juger. Ils ont la fâcheuse tendance de laisser traîner leurs oreilles et de faire leur propre interprétation.
Je tends mon bras à Psolie lui proposant ainsi de marcher à mes côtés bras dessus bras dessous jusque chez moi. Luz est en vadrouille, nous y serons seuls pour discuter. Je n’habite pas très loin de la guilde, ce qui n’empêche pas le froid de mordre la peau de mon visage lorsque nous sortons. Au final notre retraite est restée assez discrète malgré la tenue complètement dépareillée de mon compagnon. Ah j’imagine bien la tête des commères s’ils apprenaient que je ramène chez moi un homme travesti en femme ! De quoi les combler ! J’enfouis ma tête dans mon chèche le temps du trajet, mon souffle chaud réchauffant ainsi le bout de mon nez. Arrivant devant la porte j’ouvre à Calixte pour le laisser entrer.
- Les femmes d’abord dis-je avec un sourire en coin caché par le tissus.
Dans l’angle de la pièce le petit âtre est encore rougeoyant des dernières cendres incandescentes. Je ravive le feu en remettant une petite bûche, l’allumant grâce à ma pierre. Loupiac se cale directement près du feu naissant, chantant son contentement. Le petit animal abandonné quelques heures plus tôt vient faire de même, je lui pose un tissus au sol pour qu’il s’y installe. Je sors mon plaid compact et le tends à mon invité.
- Si tu as froid n’hésite pas à te couvrir.
Oui, si je suis si attentionné c’est que je suis un grand frileux. Je supporte mal le froid, du coup j’en fais des caisses pour ceux qui m’accompagnent, pensant que tout le monde est comme moi. Je montre une chaise près de la petite table à mon convive pour qu’il s’y installe. Je fais bouillir de l’eau au dessus du feu pour me préparer un thé, j’en propose à l’homme/femme, une fhomme ?
- Tu n’as rien à craindre ici les murs sont sourds. Je t’écoute Calixte … Ou préfères-tu que je t’appelle Psolie ?
Je m’installe en face de lui/elle, fixant mon regard mordoré dans le sien, je n’y vais pas par quatre chemins.
- Si tu veux me raconter le pourquoi du comment de ton déguisement je t’écoute. Par contre ne me baratine pas. Soit tu parles et tu me dis la vérité, soit tu gardes pour toi et tu me dis juste ce que tu vas faire du loutron compris ?
Ma voix est légèrement sèche mais aucune animosité ne la traverse. Je dis juste ce qui est, je suis compréhensif, s’il n’a pas envie d’en parler je l’accepte. Par contre me raconter des bobards m’agace au plus haut point.
J’amène ma tasse aux lèvres, fixant toujours mon interlocuteur au fond des yeux.code ─ croquelune
Bien que pris dans ses réflexions qui avaient tendance à tourner en boucle, il nota mentalement le trajet nécessaire pour se rendre de la Guilde au domicile de Naëry. Ça pourrait lui servir dans le futur. Dans un futur plus ou moins proche. Le trajet ne fut pas très long, mais le froid mordant eut le temps de s’insinuer doucement à travers ses couches de vêtements disparates, et il fut soulagé d’arriver aussi rapidement aux quartiers de l’aventurier. Levant les yeux au ciel à la pointe d’humour de Naëry, il pénétra dans le bâtiment. Un studio spartiate et calme l’accueillit. Laissant l’aventurier s’affairer dans cet espace qui lui était familier, il laissa glisser son regard le long des courbes de l’appartement. Même s’il apparaissait surtout fonctionnel, il y avait indéniablement quelque chose d’intimement chaleureux. Et ça restait toujours moins impersonnel que sa propre chambre dans les dortoirs de la Caserne.
Calixte s’approcha des braises tremblotant encore dans l’âtre situé à l’angle de la salle, juste à côté du meuble de cuisine, et le loutron avança prudemment son museau de la source de chaleur avant de se replier vivement dans le creux de ses bras. Se laissant rire doucement à l’attitude pas farouche de la créature, il s’écarta légèrement pour laisser Naëry redonner vie au feu. Peu à peu, les flammes prirent une forme de plus en plus élancée au-dessus des bûches incandescentes, et une agréable chaleur se diffusa dans la modeste pièce. Les lueurs changeantes qu’elles projetaient faisaient se mouvoir des motifs étranges sur les murs, captivant le loutron qui se tortillait à nouveau entre les bras de l’espion. Récupérant le plaid que lui tendait l’aventurier, il le déplia, le disposa sur un espace propre au sol, et laissa le nourrisson loutre s’amuser dessus. Peut-être étaient-ce trop de précautions, mais il n’y connaissait vraiment rien à ces créatures, et il ne tenait pas à avoir un loutron malade sur la conscience. Un simple loutron serait déjà un casse-tête organisationnel suffisant.
En parlant de casse-tête organisationnel… Se laissant tomber sur la chaise que lui indiquait Naëry, Calixte observa en silence son ancien camarade mettre de l’eau à bouillir. Il n’avait rien contre l’aventurier. Si ça n’était son sens de l’observation un peu trop aiguisé et son incapacité évidente à lâcher l’affaire. Il se serait bien passé des complications dans lesquelles ça le foutait. Parce qu’il ne pouvait bien évidemment pas faire marche arrière, remonter dans le temps, ou effacer les souvenirs de Naëry ; ça aurait été bien trop facile. Le Maître-Espion allait vraiment lui en faire voir de toutes les couleurs à la suite de cette bavure. Si le Commandant ne le tuait pas avant. D’ailleurs…
Après une expiration forcée, l’espion s’astreignit au calme, et son regard, posé sur la silhouette de Naëry s’activant, se fit instinctivement plus dur. Il les avait déjà passé en boucle ses choix. Avouer, se taire, ou faire taire. Le mensonge ne prendrait pas. Ils ne se connaissaient pas suffisamment, mais déjà trop, pour qu’une excuse alambiquée lui permette d’esquiver la vérité d’une pirouette tout en gardant le rôle de Psolie. Omettre était une possibilité. Calixte était expert dans l’omission. Mais cela laisserait tout de même une variable inacceptable en liberté : la conscience de Naëry, libre de poursuivre sa curiosité. Avec le risque, même involontaire, de mettre en péril l’activité de l’espion. Quant à la troisième et dernière option… L’image de Krysta se débattant dans l’étau des tentacules s’imposa soudainement à lui, et il détourna le regard.
Le raclement d’une chaise le fit sursauter, et il observa distraitement l’aventurier lui verser du thé. Subitement physiquement habité de la même agitation que celle remuant ses neurones, il se leva nerveusement alors que Naëry reprenait la parole. Leurs regards se croisèrent, et l’espion se trouva incapable d’échapper à celui perçant de l’aventurier. Il attrapa la tasse devant lui pour donner à ses doigts agités quelque chose à tapoter.
- Tu n’as rien à craindre ici les murs sont sourds. Je t’écoute Calixte … Ou préfères-tu que je t’appelle Psolie ?
- Calixte, grommela-t-il en fronçant les sourcils.
Les propos de Naëry étaient étonnement ouverts, et peut-être que la journée de l’espion allait continuer de surprise en surprise. Enfin, une petite voix au fond de lui-même lui chuchotait que les paroles de l’homme n’étaient pas si étranges. Ils ne se connaissaient pas depuis très longtemps. Ni même très bien. Et certainement pas dans les détails d’une camaraderie rodée. Mais l’expédition au cœur de la Cité Enfouie avait été rapide à mettre en exergue les traits de caractère propres à chacun. La bonté, la vivacité et les capacités de dirigeant de l’aventurier avaient alors été mises en avant. Tout comme ici et maintenant. Un poids se posa sur la poitrine de Calixte, et il se dit que vraiment, les choses auraient bien plus faciles si l’aventurier avait été un gros salaud. Parce que s’il arrêtait de tourner autour du pot, lui restait-il d’autre issue que celle de se débarrasser de la variable dangereuse qu’était devenu Naëry ? Ah il pourrait être fier le Commandant Arbän Hols, mise en pratique de leurs cours particuliers. En la raison de l’équilibre soudainement précaire de l’un des piliers de la branche la plus secrète de la Garde. Y avait-il plus romanesque comme entrée en la matière ?
Il prit machinalement une gorgée de thé, mais ne nota que distraitement le goût du breuvage. Il le nota néanmoins, car cela risquait d’avoir une importance s’il voulait empoisonner Naëry. Froidement, il remarqua que pour tout son sarcasme et ses pensées tournant en boucle, l’entraînement particulier du Commandant avait en partie porté ses fruits. Il y avait deux types de plantes dans la ceinture dissimulée sous ses vêtements qui lui permettraient de se débarrasser rapidement de l’aventurier. Sans qu’il ne s’en aperçoive gustativement ni olfactivement. Assis comme il l’était, ça ne serait pas non plus bien compliqué pour l’espion – l’assassin – de récupérer discrètement la batte qu’il avait glissée dans son petit sac sans fond, et d’assommer promptement son hôte. Avant de mettre le feu à la baraque. D’ailleurs, ainsi disposé à hauteur idéale des mains de Calixte, une multitude de possibilités mortelles s’offrait à ce dernier. Les yeux, les carotides, le cœur. Isolés tous les deux dans ce studio en quartier calme, à l’abri des regards et des oreilles indiscrets, tant de choix. Et pourtant si peu.
- Je n’ai vraiment aucune idée de ce que je vais faire, avoua-t-il aussi bien concernant le loutron que son dilemme intérieur.
Le museau de la créature choisit ce moment pour s’aventurer vers ses chaussures, cherchant visiblement un peu d’attention, et après une hésitation Calixte attrapa le nourrisson pour le poser sur les genoux de Naëry. A la fois pour occuper la bête, et pour… occuper l’aventurier. Le chantelune semblait pour sa part encore bien à l’aise devant l’âtre. S’appuyant légèrement d’une hanche contre la chaise de Naëry, il observa le loutron qui prenait ses aises.
- Ma position n’est pas du tout idéale pour m’occuper d’un compagnon, et je ne sais pas trop s’il vaut mieux que je le laisse entre les murs de la Caserne, ou s’il ne serait pas mieux avec quelqu’un de plus libre. De plus à même de lui offrir une bonne vie.
Joueur, le loutron essayait de trouver comment se faufiler sous le haut, ou dans les manches trop étroites pour lui, de Naëry. Après une nouvelle gorgée de thé, Calixte se décala un peu plus derrière l’aventurier. Un regard prudent par la fenêtre face à lui lui apprit que l’obscurité avait décidemment envahi la cité, et que les lieux étaient vraiment tranquilles.
- Mais comme tu me l’as fait remarquer, il semble déjà s’être attaché à moi, commenta-t-il pensif.
Et moi, peut-être un peu trop à toi.
Une main tenant la tasse encore bien remplie, il posa l’autre à la base du cou de l’aventurier, sur le chèche protégeant partiellement la zone délicate. La zone cible. Sous la pulpe de ses doigts entrainés, il pouvait percevoir les battements de l’artère carotidienne. Un peu plus haut, l’affaire d’une fraction de seconde, se trouvait l’un des points dont la pression – ou la compression – permettait de rapidement faire tourner de l’œil le plus costaud des êtres humains. La main de Calixte n’était pas particulièrement menaçante, mais elle avait très clairement une position inhabituelle dans une conversation entre connaissances, et pour toute personne formée correctement à l’art du combat, elle était toute de même naturellement pressante et oppressante.
- Je suis désolé, Naëry, commença-t-il parce qu’il l’était vraiment. Mais le silence vient avec des omissions et des conditions, et la vérité avec un secret et une condition.
Avait-il le choix ? On a toujours le choix. Ou l’illusion du choix. Et le choix était fait. Le thé n’était plus qu’un breuvage chaud pouvant brûler, les doigts des armes prêtes à viser juste, les mots qu’un moyen administratif. Neutre. Froid. Distant. Aurait-il pu regarder Krysta disparaitre dans les profondeurs de l’aven avec le même détachement ?
Mais s’il n’était plus Calixte pour pouvoir continuer cette mascarade lugubre, Krysta n’était plus de cet univers. Naëry non plus.
- Si ces conditions devaient être trahies, l’un de nous deux disparaitra, continua-t-il d’un ton indifférent.
Ses doigts longèrent comme une caresse le cou de l’aventurier, pour se situer presque sur le point sensible de la carotide. Laissant ainsi un large panel d’éventualités assassines, rapidement actionnables, et brèves. L’inconscience, l’asphyxie, le traumatisme nerveux, crânien ou rachidien.
- Le choix est tien, parce que les contraintes seront tiennes : le silence et les omissions, ou la vérité et le secret ?
Parce qu’il pouvait au moins lui laisser ce choix. Cette illusion du choix.
- Tu es bien sûr libre de refuser cette proposition.
Mais alors je n’aurai plus le choix.
On a toujours le choix. L’illusion du choix.
Ses doigts étaient glacés, mais aussi insensibles. Un étau s’était refermé sur ses poumons, mais sa respiration était calme. Un fouillis de pensées balayait son esprit, mais un engourdissement avait saisi son âme. Un maelstrom de sentiments frissonnait sous sa peau, mais sa posture restait imperturbable. Son cœur battait la cadence effrayée des adieux, mais aussi celle déterminée du devoir. Un tumulte enflammé d’émotions et une carapace froide d’exigences s’étaient installés dans une cohabitation douloureuse à l’intérieur de lui.
Choisis.
- Choisis.
Double Je─ avec Calixte
Mue dans son silence, Calixte semble perdu dans ses pensées, observant mes gestes sans vraiment les voir, calculant la suite de notre échange. Il est là et je sais que mes paroles l’atteignent, il ne laisse rien paraître de la tempête qu’elles déclenchent chez lui. Il finit par me parler du loutron, il a donc décidé de ne rien m’avouer. Parlant d‘un sujet banal pour dissimuler le malaise dans lequel je l’ai mis. J’en serais presque désolé, mais voilà, ma curiosité et mon entêtement en ont voulu autrement.
- Comme je t’ai dit je connais quelqu’un à la guilde qui pourrait te donner des conseils pour l’animal. Et si vraiment tu ne peux pas le garder je suis sûr qu’il existe des pensionnats pour animaux abandonnés. Du moins je connais des vétérinaires qui pourront éventuellement t’aider à te libérer de la charge de l’animal.
Le loutron maintenant sur les genoux, il s’amuse à vouloir se loger sous mon vêtement. Il est vraiment adorable. Je comprends néanmoins l’embêtement de mon camarade. S’occuper de mon Chatelune demande moins d’attention qu’une loutre géante. Il est petit et mignon mais il faut prendre en compte sa future taille qui ne sera pas des moindre. Beaucoup de contraintes pour un simple geste altruiste de la part de la jeune femme. Enfin … Du jeune homme. Même si la raison de son travestissement me taraude un peu je n’en laisse rien paraître et respecte son silence. Peut-être aurais-je d’autres occasions pour le découvrir ?
L’ambiance change subrepticement lorsque le travesti établi un point de contact entre nous. Assis sur ma chaise, Calixte dans le dos, sa main est posée de manière peu naturelle sur mon cou. Un geste qui aurait pu paraître affectueux si nous nous connaissions davantage, si nous étions ne serait-ce qu’amis. Il en est rien de cela, et la légère pression que je ressens à travers mon chèche me ramène des années en arrières, lorsque Naëry Wig n’existait pas, mais que Reyan Dewig, jeune Noble, était à l’école de la garde, apprenant diverses techniques de combats et d’autodéfense.
A l’époque j’étais à l’internat de l’école, et nous étions un certain nombre d’élèves à y rester. La formation était dure, élitiste, faisant déjà un premier tri sur les recrues viables pour défendre le pays ou non. Plusieurs filiales permettaient de se spécialiser. Je n’ai jamais été jusque là, faisant mourir mon passé bien avant que mon père décide pour moi. Toujours est-il que Thoan, l’une des « meilleures » recrues, était venu se pavaner dans le dortoir des techniques dites secrètes. Notamment la discrète prise dans le cou qui peut rendre inconscient quiconque subit la bonne pression. Évidemment, le lourdaud de Thoan s’est exercé sur moi – qui ne le croyais pas pour un sou – et j’ai vu les étoiles danser. Il s’est fait virer de l’école à la suite de ce malheureux accident. Pas assez secret le gars.
La sensation actuel dans mon cou me ramène donc à cet épisode de ma vie, épisode qui n’est pas censée exister pour Naëry. La voix froide et dénuée de sentiments de mon interlocuteur me raidit un peu plus, je suis dos à un parfait inconnu que j’ai croisé lors d’une mission, aussi périlleuse fut elle. Il est loin le bougre près à faire copain copain avec de dangereuses créatures. Moi qui le pensais naïf, je viens de faire fausse route. Une lourde erreur qui me met dans l’embarras, voire même en danger. Et dire que je l’ai convié ici, chez moi … Pourquoi me suis-je laisser amadouer par cet homme dont le passe-temps est d’être une femme ? Passe-temps qui est au cœur du drame qui se profile dans les paroles du blond.
- Le choix est tien, parce que les contraintes seront tiennes : le silence et les omissions, ou la vérité et le secret ?
Je ne bouge toujours pas, tendu. Les animaux sentent cette tension, le loutron se blotti, couinant légèrement tandis que mon Chantelune partage mon inquiétude. A cette instant je n’ai pas conscience de leur anxiété, trop préoccupé par ce qu’il va s’ensuivre.
- Choisis.
S’en est trop, personne ne vient chez moi pour me menacer, s’il faut en arriver aux mains alors ainsi soit-il. Je me lèvre d’un coup sec, l’animal part se cacher dans un coin tandis que je fais volte-face pour fixer Calixte durement, étudiant le plus rapidement sa réaction. Adaptant au besoin ma défense. Il n’en est rien, son visage est un masque impassible, ses yeux sont d’une froideur indéchiffrable. Y-a-t-il encore une âme dans ce corps ? Psolie, Calixte … Aucun des deux n’est en face de moi à ce moment précis.
- Alors quoi Calixte ? T’es incapable de prendre la décision tout seul c’est ça ? C’est facile de me laisser choisir, ce ne sera pas de ton fait c’est ça ? Tu te trouves pas un peu lâche là ?
Ma voix s’emporte, je commence à repousser le gringalet en arrière.
- Tu crois vraiment que tu peux te permettre de me menacer chez moi ? Tes sous-entendus là, tu crois que je ne les comprends pas?
Un pas de plus pour le faire reculer, l’acculant bientôt contre le mur.
- Et tu sais quoi ? J’en sais déjà peut-être trop en fait. Calixte/Psolie, c’est pas suffisant pour toi ? Alors vas-y, agis ! Soit un homme ! Ah non pardon, Madame préfère peut-être la subtilité ? Et bien désolé, je n’ai pas ça en stock. Je t’ai laissé le choix de ne rien me dire, et nous en serions restés là. Mais non, toi tu préfères me parler d’omissions, de secrets et de conditions. Quelles sont tes conditions ? Vas-y, je t’écoute ! Que je fasse mon choix ! Puisque tu es trop faible pour décider toi-même.
Cette fois je le plaque contre le mur opposé, ma main appuyant sur son torse avec force.
- Je n’ai pas l’intention de disparaître, menace moi encore et je fais venir du renfort compris?
La garde pourrait-elle arrêtée l’un des leurs ? Je tais qui se cache derrière le mot renfort et avertie par télépathie Loupiac, lui montrant Luz par image, elle saura qui faire intervenir. Le Chantelune se tient prêt à s’échapper par une trappe que j’ai aménagé au dessus de la fenêtre, lui permettant de faire des vas et viens à sa guise. Un seul signal de ma part et il s’en ira la retrouver. On affolement devrait suffire à faire comprendre le danger qui me menace à mon amante.code ─ croquelune
Il sentit les muscles de Naëry se tendre sous ses doigts, et le choix s’imposa à lui. L’illusion du choix. Car vraiment, pouvait-il encore tourner autour de pot sans se voiler la face ? Peut-être avait-il été sot d’y croire, peut-être avait-il eu l’ambition mal placée de se penser différent. Peut-être avait-il mal saisi l’essence de l’aventurier. La tension s’accentua, et l’espion nota distraitement les réactions inquiètes des animaux présents. Peut-être, aussi, était-il temps qu’il fasse face à lui-même. A force d’emprunter différents masques, il semblait qu’il s’était perdu de vue. Et quoi de mieux qu’une situation prête à exploser pour se poser des questions existentielles ? Pour revenir à ce qui importe. Pour se rappeler, qu’en dépit de toutes les facettes jouées, il fallait parfois se retrouver pour garder un équilibre sain. Avouer, se taire, ou faire taire. Qui était-il vraiment ?
Le choix, et l’illusion du choix.
Naëry se leva soudainement, et les doigts de Calixte glissèrent naturellement de leur position oppressante. Le visage usuellement impassible de l’aventurier était dur, ses yeux emplis de fureur. Il était étonnant de songer qu’au début de leur rencontre, l’espion ait trouvé l’homme nonchalant et détaché. Que ce fut dans la joie, la tristesse, la peur ou la colère, il semblait que les émotions débordaient toujours de l’aventurier, en vagues tumultueuses dans sa voix, en étincelles flamboyantes dans son regard, en secousses vrombissantes sous sa peau. C’était un moyen d’expression inconnu pour Calixte, qui était bien plus contenu dans ses sentiments virulents. Qui était bien plus trompeur dans sa manière d’être. Ses manières d’être.
A l’emportement de Naëry il ne pouvait opposer que la froideur. A ses accusations que le mépris. A ses menaces que le défi. Le soulagement, la tendresse et l’affection restant pour lui-même et uniquement lui-même, murés dans l’étau implacable du devoir. Quelle étrange sensation de dissociation. A la fois décevante et confortable pour le jeu qui se lançait. Et finalement, est-ce que tout ne revenait pas à cela. L’illusion, plus que le choix.
- Et alors quoi Naë ~ ? Es-tu incapable de faire un choix comportant quelques risques ? Tu m’avais habitué à mieux lors de l’exploration, commenta-t-il sèchement en reculant face à l’aventurier.
Ses doigts, légers comme une plume, initialement sur le cou de l’homme avaient glissé sur son buste. Geste inconscient. Absent de menace, de prudence, ou de prévoyance. Un lien subtil, instinctif et automatique. Une bouée de sauvetage.
- Tu remarqueras qu’il est quand même bien plus facile de te menacer chez toi qu’en public, répondit glacialement Calixte tout en continuant à reculer avant de sentir le mur derrière lui. Es-tu bête au point de penser que m’amener ici était l’idée du siècle ?
Ses omoplates s’aplatirent contre le mur, et la main puissante de Naëry vint trouver son torse, écho brutal de son propre geste délicat. Jusqu’où faudrait-il aller ? Jusqu’où pouvaient-ils aller ? Jusqu’où l’illusion pouvait-elle vivre ? Jusqu’où le choix survivrait ?
- Impressionnant que l’on ne t’ait pas encore tué dans ton sommeil, plus que de la naïveté c’est de la bêtise qui t’anime, poursuivit durement Calixte en plantant son regard nécessairement impassible dans celui échauffé de l’aventurier. Pensais-tu que j’allais te raconter une histoire touchante ? Que je te serais d’une éternelle gratitude de m’avoir extirpé de la Guilde ? De m’avoir prêté des vêtements ? Et avec ça, quoi d’autre, Naë ~ ? Une effigie de « bon samaritain » et des remerciements en nature sous la couette pour ta grandeur d’âme et tes bons services ?
Jusqu’où ?
- Et qui vas-tu faire venir en renfort ? Toutes ces dévouées personnes dans la poche de saint Naëry ? Pour leur faire profiter de ta maîtrise de la situation, ou pour être en bonne compagnie si les choses dégénèrent ?
Jusqu’où ?
- Est-ce que c’est le lien que tu avais avec Krysta ? La protection d’un aventurier chevronné contre les faveurs d’une jeune fille ? Eh bien on ne perd pas le nord, t’as vite fait de racoler un nouveau minois ! Je comprends mieux les sous-entendus des autres aventuriers à la Guilde pendant que tu me tenais la jambe !
Jusqu’où ?
- Ça aurait peut-être été plus rapide d’ailleurs si j’avais vraiment été Psolie, c’est ça ? Combien de temps ça t’a pris pour ramener Krysta chez toi ? A moins qu’il n’y ait même pas eu besoin qu’un autre confort que celui de tes genoux ?
Jusqu’où ?
Double Je─ avec Calixte
Calixte m’enchaîne, me provoque, me traitant tantôt de naïf, m’accusant tantôt d’être un vil coureur de jupon. Lorsque le prénom de Krysta résonne mon cœur s’enserre, qu’est-ce qu’il va imaginer là ? Ses accusations me dégoûtent, je considère la jeune femme comme une sœur, loin de là cette relation d’amants qu’il invente. Pense-t-il réellement que je collectionne les femmes ? Ou que je suis attiré par tout ce qui bouge ? Me croit-il si irrespectueux ? Non, il cherche juste à me défier, à attiser la rancœur qui naît entre nous.
Un déclic.
Soudain, toute la colère qui m’anime disparaît. Un masque d’indifférence reprend sa place sur mon visage, seuls mes yeux trahissent la tristesse qui me meut pour Krysta, et la pitié que j’ai pour Calixte. Est-ce de la jalousie ? Est-il amoureux de la jeune fille ? M’en veut-il de ne pas l’avoir sauver ? Ou s’en veut-il au point d’accuser le seul être qui aurait pu y faire quelque chose ?
- C’est donc ça Calixte ? Tu es jaloux?
Je m’éloigne d’un pas pour mieux l’observer, coupant net tout contact physique. Le mépris dans sa voix, le mépris dans son regard. Qui est-il donc ?
- Tu as raison, je suis stupide d’avoir cru pouvoir te faire confiance juste parce que nous avons partagé de dures épreuves là bas.
Pas besoin d’expliciter l’endroit.
- Stupide de faire preuve de gentillesse. Je suis désolé de te dire que je ne veux ni de toi, ni de Psolie dans mon lit. Mes exigences sont un peu plus élevées.
Tu veux jouer Calixte ? Très bien, jouons.
Mes lèvres s’étirent dans un sourire moqueur, un ricanement bref m’échappe.
- Tu m’en veux pour Krysta ? Et toi alors, qu’as-tu fait à par tomber comme une ...
Je m’arrête avant de dire le mot de trop, reprenant aussitôt sans laisser à mon interlocuteur le temps de reprendre le dessus verbal.
- Est-ce que tu veux que je te décrive son regard de détresse juste avant qu’elle ne disparaisse ? Ou tu as eu le temps de le voir avant de tomber dans les pommes ? Rappelle moi qui a eu l’excellente idée de sortir du bâtiment ? Pourquoi Krysta est sortie déjà ? Ah oui … Te protéger je crois bien ? Même elle ne croyait pas en tes capacités de combattant. Tu nous trompes tous, et pour quoi ? Ça?! finis-je en le regardant de haut en bas.
Mon sourire s’efface, mon regard se durcit à nouveau pour toiser celui du blond.
- Oui tu as raison, je ne suis qu’un vil saligaud incapable d’aider son prochain. Je me cache derrière un personnage pour justifier mon incompétence. Je n’assume pas d’avoir échoué, je n’assume pas qui je suis. Je suis lâche que veux-tu ...
Dans ces derniers mots une part de vérité. J’ai fui ma vie de la pire façon qu’il soit, réinventant mon nom, oubliant mon passé. La différence tient au fait que j’assume maintenant mes actes, et la personne que je suis devenu tend à être meilleure.
- Ça ne te rappelle pas quelqu’un ?
Je le laisse me toiser une microseconde avant de répondre pour lui.
- Ah si tu vois, tu te retrouves avoue. Ben tu vois, on vaut pas mieux l’un que l’autre.
Ma voix grave résonne profondément, elle est basse, ayant perdu tout l’emportement qu’elle a connu quelques instants plus tôt. Elle est devenue presque paisible, ce qui rend mes paroles plus tranchantes encore.
- Si tu en as fini avec tes accusations et tes médisances je ne te retiens pas. La porte est juste là.
Je fais un pas sur le côté, lui laissant la voie libre pour partir. Mon regard reste fixé sur lui, mes muscles tendus prêts à riposter au moindre signe d’hostilité.
Le pauvre Loutron choisit ce moment là pour venir se blottir aux pieds de son sauveteur. Que va-t-il faire, le rejeter lui aussi ? Je ne peux croire au personnage dédaigneux qui vient de se révéler à moi. Je ne comprends d’ailleurs pas toute cette soudaine haine.
Cette journée avait si bien commencé, à quel moment a-t-elle viré en ce mélodrame déplorable ?code ─ croquelune
La fureur qui animait les traits de Naëry s’effondra pour disparaitre totalement, laissant derrière elle une tristesse et une distance plus attendues pour cet aventurier à la silhouette nonchalante. Mais bien loin des sentiments que l’espion avait espérés déclencher. Colérique mais pas violent. C’était bon à savoir, c’était pénible à découvrir sur le temps de l’action. Enfin. Était-il vraiment déçu de ce revirement de situation ? Même si cela ne l’enchantait guère comme perspective, il avait été prêt à disparaitre en tant que Calixte ce soir, mal gré bon gré, sous la main de Naëry. N’était-ce finalement pas soulageant comme évolution des choses ? Peut-être, murmurait son cerveau. Certainement, lui soufflait son cœur.
L’aventurier s’éloigna d’un pas, retirant sa main et forçant la sienne à rester bêtement suspendue en l’air. Il eut l’impression de respirer à nouveau. Et de se noyer. Cette soirée était une succession d’émotions paradoxales et poignantes, et ça commençait à bien faire. Calixte n’était décidemment pas habitué à autant de drame, ni d’autant d’authenticité sous tant de fard, et c’était assez éreintant. Bien qu’intimement passionnant. Même si, très honnêtement, il était actuellement nécessairement moins focalisé sur cette passion que sur l’éreintement.
Il attendit que Naëry ait fini ses propos, notant ce qui pouvait le faire revenir sur ses premiers choix. Faire taire, se taire. Mais rien, dans ce que lui tendait l’aventurier, ne pouvait lui refaire emprunter l’une ou l’autre piste. En avait-il seulement envie ? Les mots durs, sarcastiques, et contrôlés de Naëry lui mettaient étrangement du baume au cœur. De leur écho incorrect ou juste, il semblait que rien ne comptait plus que le calme analytique qui s’était emparé de l’aventurier. Cette inébranlable critique ne justifiant pas d’être tue, et ne promettant pas de faire taire. Calixte aurait pu embrasser l’homme. Ou le taper. Ou un mélange des deux. Mais il n’était pas Zahria. Quoi que Zahria ne se serait très certainement pas retrouvée dans ce genre de situation.
Soulagé, peiné, décontenancé, il ne percuta pas tout de suite que Naëry avait cessé de parler, et il faillit sursauter au poids soudain du loutron contre ses pieds. Baissant le regard, il eut une seconde d’hésitation avant de se laisser glisser contre le mur pour venir s’assoir à côté de la créature inquiète. Laissant celle-ci monter sur ses genoux et passant une main distraite sur son pelage, il laissa l’étau du devoir se fissurer. Ça allait encore lui valoir un passage à l’infirmerie cette histoire. Pas pour des plaies de combat, mais pour des blessures émotionnelles à panser. Et qui mieux que Wendy pour s’y atteler ? Il posa sur l’aventurier un regard fatigué. Doux, tendrement exaspéré.
- Tu ne sais vraiment pas lâcher l’affaire Naëry.
S’il avait été moins exténué, il aurait ri. D’un geste vague de la main, il invita son interlocuteur à s’asseoir s’il le souhaitait.
- Fais comme chez toi, proposa-t-il en haussant les sourcils ironiquement.
Par quoi commencer ? Peut-être par la base. Parce que si le devoir se fichait du détail, son âme ne tenait pas laisser trop de pots cassés derrière son acerbe mascarade.
- Mes propos ont été déplacés concernant ta relation avec Krysta, tout comme avec les autres, s’excusa-t-il sincèrement.
Il n’insisterait pas plus, car il ne pensait réellement rien des offenses qu’il avait balancées à Naëry, et ça n’était pas sa place de pardonner. Ses doigts tracèrent les contours du museau du loutron, et il sentit le calme revenir à lui. La joie, l’affection et le soulagement c’était bien, mais la sérénité c’était tout de même moins épuisant. Et plus facile pour réfléchir.
- Je suis espion de la Garde, avoua-t-il simplement le regard toujours posé sur celui de l’aventurier. Pour répondre à ta question de plus tôt…
Il y avait bien maintenant trois millénaires et demi avec tout ce qu’il s’était passé.
- … je suis souvent Psolie. Et quasi systématiquement pour aller à la Guilde, qui est un point d’intérêt comme tu peux t’en douter. Je suis aussi souvent d’autres. C’est presqu’un miracle que tu m’aies croisé en tant que simplement Calixte. Simplement moi.
Simplement moi. Quelle étrange notion. Depuis quand n’avait-il pas été simplement lui ? Quelques mois, quelques jours, quelques heures, quelques secondes ? Toujours, jamais. Était-ce là la raison pour laquelle le Maître-Espion avait donné sa bénédiction au nouveau Commandant de faire de lui un assassin ? Parce qu’il savait faire abstraction de lui-même ? Mais à quel prix ?
- Ceci dit, mes remarques de plus tôt sont toujours valables, nota-t-il d’une ironie surprise. C’était le secret. La condition est qu’il soit à présent tien, et uniquement tien.
Et si elle devait être trahie, l’un de nous deux disparaitra.
Comme si, après tout ce qu’il s’était passé, le doute était encore permis. Il laissa s’échapper un rire sincèrement étonné à ses pensées soudainement si claires.
- Si cette condition devait être trahie, je disparaitrai.
Avait-il seulement honnêtement cru, à un moment ou à un autre de la soirée, qu’il aurait pu choisir de faire taire ? Que Naëry aurait pu le forcer à se taire ? Il ne pouvait gager des ambitions animant l’aventurier, même s’il pouvait sans frémir énumérer toutes ses qualités. Sans pâlir laisser sa vie entre ses mains. Mais il découvrait à présent qu’il était lui-même bien incapable de prendre la vie de quelqu’un qui lui était cher, pas s’il pouvait proposer la sienne avant.
Et à partir de quand est-ce que son âme se déployait-elle d’affection ? Parce qu’ils n’avaient pas exactement un long passif commun Naëry et lui. Quelle ironie pour un assassin, de soudainement percevoir la valeur immense que l’on donne personnellement à la vie d’autrui.
- Je disparaitrai, contempla-t-il toujours surpris mais résigné. Psolie, Alix, Hergörn, toutes les autres facettes… et Calixte.
Le Maître-Espion ne serait probablement pas lui-même meurtrier – il ne pouvait rien dire pour le nouveau Commandant –, mais la vie en tant que Calixte serait belle et bien finie.
Double Je─ avec Calixte
Reflet de mon revirement d’émotion le masque tombe. Les traits froids qui figent le visage de Calixte fondent pour laisser place aux expressions que je lui ai connu. Le doute, ou la peine semble à nouveau le tenailler, son regard s’est brusquement adouci. J’ai l’impression qu’un autre homme – enfin femme – vient de prendre place. Et cette voix qui me parle, douce, exaspérée, riante. Qu’est-ce qu’il lui prend ? Est-il devenu fou ? Peut-être l’a-t-il toujours été ceci-dit. Après tout, notre coure relation s’est limité à l’exploration de l’aven, et à la perte de Krysta. Il se permet même un trait d’humour, quoi encore ?
Je reste impassible, debout, le dominant de ma hauteur tandis qu’il se recroqueville à même le sol. L’attention dirigée vers le loutron qui se blotti à nouveau contre lui. Il s’excuse de ses propos déplacés, je ne bronche pas. Comment réagir ? Il aurait été un ami je serai déjà accroupi à ses côtés pour écouter ses peines, tenter de le rassurer et lui dire d’aller de l’avant. Mais qui est-il ? Je commence à croire que même lui ne le sait pas, ne le sait plus.
Un torrent émotionnel bout en moi. Comment peut-il réussir à me faire ressentir ça ? Lui, cet inconnu ? Personne ne me traite de la sorte, personne n’a le droit de m’atteindre comme ça. Seule Luz à jusqu’à présent déclenché ce même maelström qui me tourmente à cet instant. Pas du même genre non, j’hésite entre attraper Calixte par la peau de c** pour le mettre à la porte et lui parler avec douceur pour l’amener à l’asile du coin … Je ne fais ni l’un ni l’autre, je reste là, figé, droit comme un « i », écoutant ce qu’il veut bien me dire.
Il finit par m’avouer son métier, je comprends mieux. Je tique légèrement, le calme après la tempête n’est jamais bien paisible. Je ne sais vraiment pas à quoi il joue … Me pousser à bout tout ça pourquoi ? M’avouer la raison de Psolie deux minutes après ? Je m’accorde enfin un répit intérieur en prenant une longue, longue inspiration intérieur et j’expire tout aussi lentement. Okay, la guilde est une source d’informations pour lui, s’il venait à se savoir que la garde envoie ses petits pions farfouiller dans nos affaires, une petite guerre diplomatique pourrait subvenir. Pourtant je comprends l’importance des renseignements qui peuvent être recueillis chez nous. Quand on voit les commères qui y règnent … Et puis, il faut bien avouer que le mode de recrutement de la guilde n’est peut-être pas aussi sélectif que celui de la garde. Le secret comme tu dis petit Calixte, je le tairai. Il sera aussi bien enfoui que mon passé à la seule condition que je ne vois pas en toi une menace pour la guilde, une menace pour moi, une menace pour mon entourage. Car oui, maintenant que j’ai vu ton masque assassin la confiance que j’ai pu t’accorder si facilement est devenue friable. Prouve moi que tu es celui que j’ai cru entrapercevoir, tu sais, l’homme maladroit mais serviable, celui qui se battrait pour sauver sa coéquipière, quitte à mourir – bêtement soit dit en passant – lui-même. J’arrive vraiment pas à croire en ce subit changement de personnalité auquel j’ai assisté. Soit tu es un sacrément bon comédien, soit la folie t’habite mon cher Cal.
- Je disparaitrai, Psolie, Alix, Hergörn, toutes les autres facettes… et Calixte.
Un simple constat qui sonne pourtant le glas. C’est le moment de réagir Naë, que vas-tu faire ? T’apitoyer sur son sort ? Lui tendre la main ? Le secouer ? Le jeter ?
- Tu es incompréhensible.
Seuls mots qui sortent, seuls mots qui résument cette étrange scène, seuls mots qui résonnent dans la fraîcheur de mon studio. Je finis par lui tendre la main pour qu’il se relève, ne lui laissant pas vraiment le choix.
- Tu as fini de te lamenter ? Personne ne va disparaître compris ? Ni toi et tes innombrable personnalités, ni moi. Vas t’asseoir sur le canapé.
Mon ton est sans équivoque, sec mais sans animosité.
- Refais moi un coup comme tu viens de me faire et je te fais interner direct c’est compris ? Je connais un excellent médecin qui se fera un plaisir d’étudier ton cerveau de névrosé.
Je me remets à bouger, les tensions qui m’ont figé subsistent encore, je ne tourne plus le dos au jeune homme. Je réfléchis, garder un œil sur lui et ses intentions ne serait pas du luxe.
- Je comprends ton métier, et j’aurais pu être tes yeux et tes oreilles à la guilde si t’avais besoin. Surtout tes yeux …
Je me permets enfin un peu de second degré.
- Je dois t’avouer que là, je ne sais pas comment réagir face à toi. Tu cherches des informations en particulier là bas ? Ou tu glanes ce qu’il se présente à toi?
Je me resserre une tasse de thé pour me donner contenance et ne pas lui montrer comme cet échange m’a bouleversé. Garder un air indifférent, faire comme si rien ne m’atteint …code ─ croquelune
- Tu es incompréhensible.
Et il ne put s’empêcher de rire doucement. Non, effectivement. Tout cela devait paraître bien incompréhensible. Saisissant instinctivement la main tendue de l’aventurier, il se laissa se remettre debout, sa tasse de thé maintenue de manière bancale par le même bras soutenant toujours le loutron fermement contre lui. La créature s’était calmée. Il ne persistait ni excitation joueuse ni lamentation effrayée dans son comportement, et les évènements de la journée – dont son passage à tabac – avaient dû la fatiguer au moins tout autant que Calixte. Ecoutant les propos de Naëry, l’espion ne se fit pas plus prier pour s’asseoir dans le canapé. Lorsque l’assise moelleuse l’accueillit, il sentit que s’il fermait les yeux il pourrait s’endormir sans plus de préoccupations.
La voix de l’aventurier était toujours intransigeante, et ses propos fermes, mais maintenant qu’ils en étaient arrivés à ce point du dénouement, il semblait à Calixte qu’il flottait sur un nuage inébranlable. Peut-être était-ce la fatigue. Le soulagement. Ou le thé de Naëry. Qu’y avait-il dans ce thé ? Il porta à nouveau la tasse à ses lèvres. Le breuvage avait un peu refroidi, mais à peine. Comment cet incident qui lui avait paru durer une éternité, avait-il fait pour n’être véritablement que l’affaire de quelques minutes ? La boisson le réchauffa davantage, et il reprit conscience de la douce chaleur diffusant entre ses mains. S’enfonçant encore plus confortablement dans le canapé, il posa son regard sur la silhouette de Naëry. Malgré ses paroles et sa remise en mouvement, il y avait encore une certaine tension à chacun de ses mots, à chacun de ses gestes. Un doute. Une rupture. La nonchalance qu’il paraissait avoir retrouvée n’était certainement que façade. Pour lui-même ou pour l’espion ?
- Je n’vais pas te demander d’espionner la Guilde pour moi, déclara finalement Calixte en fronçant légèrement les sourcils. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Pas simplement de bruits de couloirs ou des dernières anecdotes, même si cela m’intéresse aussi un peu. Mais bien de la récupération d’informations sensibles. Je ne peux pas te demander ça ; je ne te le demanderai pas.
Le loutron poussa un soupir contre sa cuisse et il passa une main dans le pelage de l’animal s’assoupissant.
- Je glane. Mais si besoin est, s’il m’est commandé, je vais aussi trouver les informations précises que la Garde cherche.
Malgré la pointe d’humour de Naëry, Calixte n’était pas aveugle au malaise persistant de l’aventurier. En même temps, si ce dernier avait tout accepté en bloc sans la moindre réserve, cela aurait paru suspect. Anormal. Et même si cela n’arrangeait pas forcément les affaires de l’espion, c’était comme ça. Il ne pouvait pas prétendre ouvrir un conflit sans en appréhender les conséquences. Il faudrait du temps, et probablement plus que cela, pour que les deux hommes retrouvent un semblant d’équilibre dans leur relation. Si elle n’arrivait pas à un point mort. Calixte ne perdrait pas Naëry de vue, non seulement car il s’était attaché à l’aventurier, mais surtout car à présent une surveillance calibrée de ce confident involontaire allait être nécessaire. Mais il ne s’imposerait pas à lui.
- Je n’ai jamais été dans ce genre de situation auparavant, commenta-t-il en haussant les épaules. Je n’suis pas certain qu’il y ait un code pour celle-ci. Je suppose que si tu as d’autres questions je peux y répondre. En partie, ajouta-t-il avec un petit sourire amer. Tu auras pu noter que mes réponses sont parfois assez vagues.
Nécessairement. Le secret et la condition.
Laissant un silence pour que Naëry s’en saisisse s’il le souhaitait, il finit tranquillement le reste de sa tasse de thé. Qu’allait-il faire par la suite ? Rentrer. Garder le loutron jusqu’au lendemain matin puis voir avec le palefrenier vers qui pensait-il qu’il pouvait se tourner pour organiser le gardiennage de la créature. Entretien avec le Maître-Espion pour la prochaine mission. Evoquer la situation actuelle… ? Pas sûr… Pas avant de s’être assuré de certains points. Les fenêtres donnant sur l’obscurité lui indiquaient une heure déjà tardive, malgré les lueurs s’estompant plus rapidement en cette saison fraiche, et il nota qu’il s’était déjà probablement trop attardé. Mais qui aurait pu prédire que cette fin de journée allait être aussi mouvementée ?
- Je vais partir, si tu le permets, déclara-t-il songeur. Avec le loutron. Je… pense qu’il est peut-être préférable que je ne te recroise pas. Mais tu es libre de venir me chercher à la Caserne au besoin. Je reste, aussi, coursier de la Garde. Pas difficile à trouver.
Il se donna un temps d’observation pour laisser Naëry analyser ses propos. Puis, quand il estima que l’aventurier ne risquait pas de lui balancer un pain par réflexe, il se leva pour aller récupérer son baluchon au pied de la table.
Double Je─ avec Calixte
Je n’arrive pas à saisir comment l’homme se retrouve soudainement si calme, comme si rien ne c’était passé. Je l’ai traité de fou, mais n’est-ce pas moi qui le deviens ? Tout ceci s’est-il réellement passé ? Je le fixe en silence. Le laissant rebondir sur mes paroles, taisant les remarques qui me viennent à l’esprit. Les minutes s’écoulent lentement, j’ai l’impression que des heures et des heures viennent de s’écouler depuis ma rencontre avec Psolie …
Il interprète tellement bien ce personnage, normal me direz-vous puisqu’il l’est souvent. Comment arriver à ne pas s’y perdre avec tout ça. A ne pas se perdre. Un entraînement spécial dans les forces spécifiques de la Garde sans nul doute. Combien échouent ? Combien y perdent la raison ?
Je finis par prendre une chaise pour m’asseoir à la diagonale de l’espion. Maintenant que le Loutron est profondément lové sur lui, il ne risque pas de me reprendre au dépourvu par une attaque fugace. Je le verrais venir. La tension apaisée Loupiac revient vers moi, il sautille sur la table, m’envoyant des images de prédateurs dans la tête. Je lui grattouille du bout du doigt sous le bec et lui renvoie des images relaxantes de bain ensoleillé pour lui signifier que tout va bien. Il gazouille et vient se blottir dans mon cou. Je reste malgré moi sur le qui-vive, essayant d’anticiper au possible les réactions de mon interlocuteur. Chose qui est totalement jusque là. Comment anticiper l’incompréhensible ? Cet homme est un électron libre, prenant une direction opposée à la seconde précédente.
« Tu auras pu noter que mes réponses sont parfois assez vagues » qu’il me dit. Il se fiche pas un peu de moi celui-là !
- Vague ? Vraiment ?
Mes yeux le transpercent, je préfère taire le reste de ma pensée qui raye le mot compliment de l’encyclopédie.
Il finit par m’annoncer son départ, une pointe de soulagement naît au creux de mon ventre. Il me dit être préférable de ne pas se recroiser, étrangement j’ai un pincement au cœur.
- Oui il est sûrement préférable oui ...
Il me donne néanmoins les moyens de le retrouver au besoin, pour quoi faire ? Croit-il vraiment que je vais aller chercher les problèmes ? Et pourtant je note bien ses paroles dans ma mémoire. Coursier pour la Garde, voilà donc sa couverture. Il ne sera pour le reste du monde plus que ça, un coursier. Il se lève, je me lève en miroir, je le vois prendre un petit arrêt avant de récupérer ses affaires au pied de la table à côté de laquelle je suis, je me force à rester inerte, le regardant partir.
- Tu connais le chemin, tu ne risques pas de te perdre en cours de route …
Un sourire fatigué sur ses lèvres, son dos puis la porte qui se referme. J’expire longuement, le regard fixé sur cette porte quelques longues secondes avant de me rasseoir sur la chaise, me prenant la tête entre les mains. Pourquoi suis-je si obstiné parfois ? Pourquoi avoir insisté pour me remémorer qui était cette Psolie ? Pourquoi lui avoir fait confiance ? Pourquoi avoir envie de le retenir maintenant ?code ─ croquelune