Même le serveur me regarde de haut, et je ne peux m'empêcher de dire dans ma barbe, après son passage:
Espèce d'idiot.
La raison est très claire et se trouve dans les paroles qu'a prononcer Astrid sur le fais que je dois me caser. C’est elle qui a eu l’idée de ses rencontres arrangées où les fils et filles de bonne famille se rencontrent, et comme j’ai maintenant près de cinquante ans, je pense pouvoir tourner la page de mon premier amour. J’ai pu échapper à ce genre d'évènement pendant de nombreuses années, en m’exilant, mais depuis que je suis revenu de mon village perdu, le sujet est revenu sur le tapis plus pressant que jamais.
Je suis en effet seul depuis bien trop longtemps et de toute évidence, il faut que la candidate arrive à supporter mon caractère, ce qui n’est pas facile. Même si je pense avoir trop à faire, avant de penser à ce genre de chose j’ai trop tardé et c’est pourquoi je suis ici, dans mon costume qui est certes jolie mais pas du tout pratique. J’ai même peur de bouger trop brusquement car il risque de craquer à tout moment. De plus j’ai mangé trop de petits gâteaux et je suis barbouillé. Je ne peux pas dire que c’est à cause du stress que j’ai mangé, connaissant bien la gente féminine, je n'ai pas peur de discuter avec des femmes, c’est juste parce que je suis quelqu’un de gourmand et qu’ils étaient devant moi, semblant me narguer.
La demoiselle est en retard, et j’espère qu’elle viendra, sinon, j’aurais fait tout ça pour rien et pire que tout, Astrid me dira devant cet échec :
Je te l’avais bien dit de te marier plus tôt, tu es trop vieux, qui va bien vouloir de toi ?
Il ne me reste plus qu'à espérer qu'une jolie jeune femme passe la porte.
Une rencontre digne d'intérêt
Arya commence à s'ennuyer à la capitale. Elle se lasse de l'arène: personne en 15 jours ne s'y est montré suffisamment intéressant. Elle est persuadée que des adversaires dignes de ce nom se cachent dans la garde, elle en a déjà croisé un il y a de cela quelques mois, mais elle ne peut pas simplement s'inviter à la caserne en demandant qu'on lui donne un garde réellement capable de protéger Aryon. Car oui, si elle-même a bien du mal à s'en sortir face à certains monstres vivant sur le territoire, il n'est pas rassurant de voir que seuls quelques rares éléments de la garde arrivent à lui tenir tête. Hypothétiquement... Parce qu'elle aimerait bien les trouver, ces rares éléments. Elle se demande souvent comment ils feraient si un troupeau de dragons avait l'idée de venir s'installer dans le royaume. Les hommes sont si faibles.
C'est sur cette note qu'elle termine la plupart de ses journées. Parfois, elle hésite à faire une bêtise, commettre un crime par-ci, par-là, histoire de pimenter un peu la vie. Sans doute craquera-t-elle un jour. Après tout, vers ses 16 ans, elle faisait déjà pas mal de conneries, elle s'est calmée depuis. Depuis Lancelot... Il faut dire que sa vie a pas mal changé durant ces quelques mois. Entre le garde royal, la mort de son père, la disparition de sa belle, son inscription à sa guilde et la rencontre de son avéré jumeau... La brune serait dans un sacré état si elle n'était pas si solide mentalement.
Son appétit d'ogre toque à la porte de son estomac vide: bien qu'elle n'aie pas beaucoup utilisé son don aujourd'hui, elle est affamée. C'est devenu une habitude de manger trois repas par repas. Pour une fois, elle va se poser dans un bon restaurant plutôt qu'une auberge. Avant d'être aventurière, elle reste une noble fortunée, il serait bête de se priver de ce qu'elle peut s'offrir. En passant le pas de la porte du premier établissement convenable, elle balaye rapidement la pièce du regard pour voir où elle pourrait s'installer. L'endroit a l'air sympa, en tout cas. Mais avec son look si... Original, elle a l'air de s'être perdue. Bah, l'heure n'est plus à enfiler sa veste rigide et attacher à ses épaules sa longue cape: elle s'assume en tant qu'aventurière, et ses vêtements légers et pratiques lui plaisent bien. Son couvre-chef restant le dernier signe de noblesse qu'elle porte, arborant fièrement la fleur aux cinq pétales emblème de sa famille, à partir de sa coiffure explosive et jusqu'à ses bottes étroites en passant par son ventre à découvert, on ne voit rien d'autre qu'une aventurière. Ses tatouages en ajoutent une couche, représentant des tentacules serpentant sur son ventre, serrant son cou et longeant ses bras, bien que celui de droite soit caché par l'unique manche de la veste. Pourquoi une unique manche? Parce qu'à la base, il n'y en avait aucune, mais que son familier encore bébé s'accroche plus facilement à du tissu qu'à des écailles ou à de la peau. Cela dit, le concerné n'est pas en sa compagnie aujourd'hui.
Le regard de la satyre sa porte sur une petite table à deux chaises où seule une est occupée. Un bonhomme, la cinquantaine, l'air ennuyé. Ça ressemble à un rendez-vous, mais vu la tronche du gars, il s'est probablement vu poser un lapin. Quelle occasion en or pour Arya qui, dans tout son altruisme, n'attend pas plus pour rendre le sourire au bel homme. Il espérait passer une bonne soirée et ça ne va pas manquer. Il aura probablement droit à une compagnie encore plus jeune et belle que prévu. Elle engage brusquement la conversation en se laissant tomber sur la chaise qui n'était pas prévue pour elle.
- T'attends depuis longtemps, comme ça?
Il est coutume de se tutoyer d'entrée de jeu avec la jeune noble, ça rend les conversations plus amicales, et plus ouvertes. Une manière qui s'est souvent trouvée efficace pour briser la glace.
Je ne réponds pas tout de suite, la détaillant d’un œil critique, elle est grande pour une femme, très menue, avec une particularité, des yeux rouges. Je ne vois pas d’arme apparente, et sa tenue plutôt légère malgré la température plutôt basse ne permet pas d’en cacher. J’ai donc une aventurière en face de moi, une aventurière en retard et qui ne s’excuse pas, au moins elle est là, c’est déjà ça, je suppose que je devrais déjà lui en être reconnaissant. Étant bien élevé, je la salut d’un signe de tête pour l’accueillir puis je réponds à sa question, en essayant de sourire, passant moi aussi au tutoiement car c’est plus spontané ainsi :
Oui, mais ce n’est pas grave, l’agence a dû te parler de ma situation, mais je ne pensais pas que tu serais aussi jeune.
Je m’attendais en effet à une femme d’une quarantaine d’année et j’ai devant moi une adulte d’une vingtaine d’année. Mais je me rends compte que ce n’est pas la bonne chose à dire, et j’essaye de me reprendre :
Excuse-moi, tu as fait l’effort de venir et je ne suis guère diplomate, puis-je t’offrir quelque chose à boire où à manger ?
Voilà, c’est mieux, et j’arrive même à faire un vrai sourire, mais Lucy, que c’est difficile ! Il va vraiment que j’y aille pas à pas, sinon je vais fuir la jeune femme en moins d’une minute. J’attends donc sa réponse, prêt à commander au serveur ce qu’elle a choisi, avant de reprendre la parole :
Je me nomme Arban et toi ?
Ça c’est un bon début, il faut juste espérer que mon interlocutrice va mener la conversation, car je suis un peu trop rouillé pour parler de tout et de rien. Si je pose trop de question ça va ressembler à un interrogatoire et si je n’en pose pas, elle va croire que ne je suis pas intéressé par sa personnalité, il faut donc que je trouve le juste milieu et encore une fois je suis en attente de sa réponse, afin de pouvoir rebondir dessus, laissant ainsi le temps à mon invité de parler.
Une rencontre digne d'intérêt
L'agence? Inconnu au bataillon, mais Arya comprend bien à la phrase qu'il y a quiproquo. A-t-elle sérieusement l'air de venir à un rendez-vous? Ce qui est certain, c'est qu'elle va jouer le jeu. Un air gêné, l'homme rattrape son manque de tact - pas spécialement relevé par l'aventurière - en proposant poliment de quoi se sustenter. Ça tombe bien, c'est précisément pour ça qu'elle est là. Cela dit, elle n'est pas avare à ce point.
- Oh, je serais gonflée de me faire payer un repas avec mes moyens. Puis, c'est difficile de choisir sans avoir vu la carte... Elle hésite à interpeler le serveur pour lui demander de choisir à sa place comme d'habitude, mais se rend compte qu'elle peut faire plus simple. Bah, je prends la même chose que toi. Tiens, on va jouer à un petit jeu. Je me demande si tu es suffisamment cultivé et observateur pour deviner qui je suis.
Un sourire malin au coin des lèvres, elle soutient le regard de son interlocuteur, espérant faiblement qu'il puisse trouver. L'indice nécessaire se trouve sur son chapeau: il n'y a à sa connaissance plus que deux Tolevira légitimes, dont un inconnu de tout le monde. Autrement dit, elle est normalement la seule sur Aryon à encore porter l'emblème de la famille. Si ce Arban peut trouver au moins la famille, il ferait déjà preuve d'une certaine culture.
- Si tu ne trouves pas, tu peux toujours m'appeler "ma belle" ou "chérie", ça me convient parfaitement. Si je peux te donner un indice, je n'ai pas toujours été aventurière... C'est même un choix assez original. Enfin, je préfère voyager et prendre des risques que de pourrir dans un château. Le village perché est chouette, mais on finit toujours par se lasser...
Avec ces indices-là, le jeu devient plus facile. Pas mal des gens savent qui habite dans un château au village perché, même sans être au courant des rumeurs du royaume. Du moins, dans la classe sociale aisée, qui est généralement plus cultivée.
- Et qu'est-ce que tu fais dans la vie? Je suppose que tu n'es pas noble si tu as omis de me dire ton nom de famille. Et peu probable qu'un aventurier vive si vieux et si peu abîmé.
Voilà qui explique pourquoi Arya n'avait pas relevé le manque de tact du bel homme. C'est un concept bien mystique pour elle. La franchise est tout: les tournures de phrases ne servent qu'à tromper, et ce n'est pas ce qu'elle recherche.
Je vais vous prendre deux belles pièces de gibier, de la cuisse de chevreuil, avec des épinards et des cardons. Je vais vous prendre également un de vos vins rouge, du domaine de la Blette, si vous avez, sinon, un cépage venant des vignes à proximité du Village perché, fera l’affaire.
Alors que je commençai à être de meilleur humeur, la jeune femme m’annonce que nous allons jouer à un jeu, intrigué je l’écoute et je dois découvrir qui elle est, cela risque d’être difficile, car cela ne fait que deux mois que je suis de retour à la capitale et avant, j’ignorais complètement la vie politique du Royaume. Elle m’indique même que je peux l’appeler de manière familière, et je me dois de lui dire :
Même si j’aimerais beaucoup t’appeler « ma belle » ou « chérie », je vais essayer de trouver au moins ton nom de famille, mais je ne promets rien car j’ai vécu de nombreuses années loin du monde avant que l’on vienne me chercher de ma retraite.
J’ai en effet de nombreux indices, la demoiselle que j’ai en face doit être une aventurière qui avant faisait autre chose et vu sa manière de parler et de se tenir, ce devait être une noble. Ensuite elle était avant dans un château situé au Village Perché, j’essaye donc de me souvenir des personnes qui y vivais il y a cela plus de quinze ans. Heureusement en tant que maître espion j’avais acquis certaines connaissances sur les familles importantes du pays et le symbole que je vois sur le chapeau de la jolie brune peux m’aider.
Je réfléchis donc intensément et d’un coup la lumière se fait en moi, c’est pourquoi je souris à nouveau pour lui répondre :
Je pense avoir trouvé, tu ne serais pas de la famille Tolevira. Je pencherai pour la fille de l’ex-gouverneur.
Je m’assombris soudain en prononçant ses mots, car de part ma fonction, j’ai entendu d’horribles rumeurs sur son père mais rien d’assez probant pour le faire arrêter, je me demande d’ailleurs si son père est encore en vie. A l’époque il n’avait pas fait partie des conjurés, je n’avais donc pas eu à me soucier de lui, mais j’ai devant moi sa fille et je me demande si elle a hérité du même gout pour le sang que son père. Mais je n’ai guère le temps d’y penser que la jeune femme me demande ce que je fais dans la vie, et mon visage s’ouvre à nouveau quand je reprends la parole :
Tu as raison, je ne suis pas noble, mon nom de famille n’a donc guère d’importance, ni un aventurier, il ne me reste donc plus guère de choix. J’ai commencé en tant que garde, puis j’ai fait une très longue pause, et maintenant je suis de retour dans la Garde.
Voilà, j’ai répondu par la vérité, et je pose maintenant une question, avec le sourire :
On a du te la poser cent fois, mais pourquoi as-tu quitter le cocon familial pour devenir aventurière ?
Une rencontre digne d'intérêt
Un nouveau sourire anime le visage d'Arya lorsque Arban trouve la bonne réponse. Pourtant, elle ne manque pas la réaction de l'homme lorsque vient le sujet de son père. Bien que légère, Arya connait bien cette réaction. Serait-il au courant des rumeurs? La demoiselle a des images des caves de son château: il est plus que temps qu'elle fasse disparaître les montagnes de squelettes qui y pourrissent. Elle ira les enterrer elle-même sous la terre au fond du lac.
Arban la sort de ses pensées sombres en reprenant la parole. Un garde. Ses explication terriblement incomplètes ne manquent pas d'attiser la curiosité de la satyre, mais une question vient avant les siennes, une question qu'on a dû effectivement lui poser cent fois.
- "Cocon familial"... Le regard dans le flou, elle marque une pause pour chercher ses mots. Il n'y a jamais vraiment eu de cocon familial. Vers mes quatorze ans, j'ai osé sortir de chez moi, mon père m'a laissée apprendre la vie comme une grande. Alors voilà bientôt sept ans que je gambade à travers Aryon, et devenir aventurière n'a pas changé grand chose. Disons que je suis juste "officiellement" aventurière, maintenant. Dès que j'ai découvert le danger de l'extérieur des murs du château, j'y ai pris goût. Le luxe est lassant. Tout comme la puissance... J'ai besoin de vivre des choses.
La vie politique n'est pas faite pour elle. Et à voir son frère, il faut croire que c'est un trait qui leur vient de leur mère. Peut-être lui ressemblait-elle. Elle ne le saura sans doute jamais... Elle a décidé de ne pas s'y attarder, de toute façon. Bref, elle n'a pas oublié sa curiosité pour l'homme en face d'elle.
- Et tu as fait quoi, pendant cette longue pause? Et maintenant?
Elle parle rarement à des gardes. Il faut dire qu'ils sont rarement amusants... Trop loyaux et attachés à la loi et leurs principes, elle les trouve souvent très ennuyants. Elle a aussi pris l'habitude d'éviter la garde lorsqu'elle était plus jeune, elle faisait trop de bêtises. Et plus récemment, il y a eu la frustration de découvrir la faiblesse du "bouclier du peuple". Sa relation avec la garde a toujours été un peu froide, pourtant, elle sait qu'elle pourrait tirer beaucoup d'avoir des contacts haut-placés.
Je réponds à la question de la jeune femme, sur mes activités durant cette longue pause :
J’étais tout simplement à la campagne, je cultivais mon petit potager, jouait de la musique, m’occupais de mes animaux, brefs, une vie parfaite, sans combat, juste moi et mes voisins sympathiques. Pour ce que je fais maintenant, je travail et je m’occupe de mes deux chattes.
Je m’arrête de parler un moment, car parler de Mistigri et Marquisette me fait toujours sourire, puis je continue :
Dans quelques années, je compte repartir vivre ma vie d’ermite, avec peut-être la femme de ma vie.
Je me mets légèrement à rougir, car c’est peut-être beaucoup demandé à mon interlocutrice et je change rapidement de sujet, pour masquer ma gêne :
Avez-vous prévu quelque chose après le repas ? Il y a une pièce de théâtre qui va commencer dans une heure et j’ai déjà réservé deux places.
Certain vont dire que je suis un maniaque de la planification et ils n’ont pas tort, surement une déformation professionnelle. De toute façon, les plats que j’ai commandés arrivent à cette instant et j’indique en souriant à la ravissante jeune femme qui me fais face :
Bon appétit.