A son orée, les arbres sont nus – tous. Triste entrée que voici, celle qui n’offre que désolation et point d’abri ; mais plus loin, en son cœur, au-delà des limites de celui qui apprécie sa sécurité, elle se bigarre de teintes éphémères. Mais qu’elle prenne garde, le solstice approche ! Demain sera le requiem de ses couleurs.
Pourtant, en ce spectacle à deux choix, demeure un troisième – qui varie. Tantôt doux vert, tantôt jaune chaud ou bien blanc de froid, il prend plaisir à se mouvoir sur la palette du peintre, ne respectant ni calendrier, ni logique.
Rien ne l’explique, sauf – évidemment -, la magie. Et la voilà qui ne se cache même pas ; plutôt, qui se dévoile sous la forme d’un jeune homme, un gaillard assis et pensif, qui prend passe-temps de jouer avec l’ordre des robes.
Trouver l’anomalie, et vous aurez l’artiste. Ou bien l’inverse, voyez ce que vous cherchez.
Desmond attend. Quelqu’un a accepté on lui a dit ; une nouvelle, on a rajouté. Pas étonnant pour ce genre de demande, on lui a expliqué. Lui, là-dedans, a voulu protester. Mais, à la fin, il s’est retenu. Parce qu’ils ont raison.
Tout ce qu’il souhaite, c’est une escorte – une simple, bon marché, qui cherche davantage à avancer qu’à couvrir des arrières que rien ne menace.
Et ça, parce que cet abruti est parvenu à l’exploit de faire capoter une affaire de routine.
Une demande facile d’un notable bien loti, l’aisée statue d’un mignon Floki. D’un angle ou d’un autre, rien de bien compliqué ; mais fidèle à ses déboires, il s’est débrouillé pour en trouver l’unique faille.
Eh bien, il s'est fait voler son labeur alors qu’il en finissait les couleurs, ici, plus loin peut-être, dans les bois. Il admirait un spécimen au joli poil, s’en inspirait pour quelques menus détails – un instant s’est perdu dans sa contemplation, et le suivant, le maître était dépossédé de son œuvre. Au loin, fugace, se carapatait à quatre pattes le chapardeur.
Alors c’est ainsi que Vermeil patiente, patiente que l’aventurière arrive et le mène jusqu’au terrier de ce brigand.
Tant est qu’elle le trouve.
Car sinon … Merde.
Mais son travail n'était pas de remettre en question ce qu'on lui avait demandé, et puis c'était la première fois qu'elle faisait quelque chose en tant qu'aventurière ! Rien que cela l'empêchait de poser plus de questions et rendait intéressantes toutes tâches qui d'habitude lui paraissaient ennuyeuses. Elle ne perdrait pas sa motivation, elle en était sûre. Elle entra donc dans la forêt d'un pas décidé.
Au loin, à travers le peu de feuilles que pouvaient encore posséder certains arbres, des couleurs vivent tranchaient avec l'air morose de la forêt. Elle resserra la ceinture qui permettait de tenir son carquois, déterminée. L'homme qu'elle devait escorter se trouvait sûrement par là, on lui avait dit qu'elle trouverait facilement l'endroit, et ses couleurs lui semblaient être un bon indicateur.
Quand elle arriva, elle ne put que s'émerveiller devant le spectacle de couleurs qui s'offrait à elle. Du vert, du jaune et du blanc, tout tranchait avec la palette maussade de l'entrée de la forêt. Au cours de sa vie, la jeune aventurière avait eu rarement l'occasion d'observer une telle utilisation de la magie.
Elle resta un moment, figée, son regard passait d'arbre en arbre admirant les couleurs. Elle mit un certain temps à remarquer le jeune homme assis au milieu des arbres aux feuilles bariolées. Elle jeta un regard aux alentours, il n'y avait personne d'autre. L'homme qui semblait plongé dans ses pensées devait donc être Desmond Vermeil, celui qui avait demandé à être escorté. Soudain elle réalisa que cela devait faire un moment qu'elle était plantée là, à observer. Un peu embarrassée, elle se dépêcha d'approcher.
Elle passa nerveusement une main dans ses longues boucles rousses, elle n'était pas aussi stressée d'ordinaire, mais elle ne pouvait se l'empêcher. C'était sa première mission et elle voulait vraiment faire ça bien. Elle prit une grosse inspiration.
« Vous êtes bien Desmond Vermeil ? »
Elle avait lancé ça d'un souffle et fixait maintenant le jeune homme.
Là-bas, un peu plus loin, une jeune femme le toise. Elle est rousse, pas tout à fait assurée ; dans l’attente, surtout.
Oh, oui, répondre.
« - Bonjour ! Ouais, c’est moi Desmond Vermeil, et vous vous êtes … Euh … L’aventurière dont j’ai oublié le nom ? Désolé. »
Sa grimace de fin de phrase dissipée, il reprend la parole, sans laisser ne serait-ce qu’un souffle à l’arrivante pour se présenter dans les formes – hésitant à sa lancer, impossible à arrêter, voici l’énergumène.
« - Enfin, on verra ça dans un instant. Tant que j’y pense, autant que je vous briefe sur l’affaire, parce qu’en fait, j’ai été assez flou dans ma requête. En gros, je cherche un Floki avec une statue, une petite en verre. Et le Floki en question, c’est un fieffé coquin, un roublard, un fourbe, quoi. Faut pas se fier à son joli regard, c’est sûrement un chef de gang local ou un truc du genre. Ou bien un animal qui aime ce qui brille. Ou, oubliez ça. Bref. Il s’est barré vers l’intérieur de la forêt, et … Ben … Je suis pas très connaisseur de ce qu’il y a là-bas. Et j’ai eu de bons jours récemment, donc j’avais un peu d’argent en plus. D’où votre présence. Ça vous va ? On se balade, c’est mignon, puis vous m’aidez à ne pas me perdre, on trouve le coupable, vous faites vos trucs d’aventurière et paf, on rentre. Ah, oui, et votre nom, du coup ? Je vous ai empêchée de répondre juste avant. »
Long. Beaucoup trop long. S’il ne la payait pas, ce serait presque un crime de lui infliger une telle tirade – mais bon, elle est formée à tout danger, n’est-ce pas ?
Confus de son élan vocal mais le souffle revenu, le gaillard se lève de son siège de fortune et s’approche de sa désormais garde du corps, une main lancée en avant pour lui offrir de plus brèves salutations.
Et, c’est l’œil brillant qu’il l’observe une fois encore. Une vie entière qu’il loge ici ; pourtant, il n’est toujours pas familier des us et coutumes de la grande aventure. Va-t-elle expédier la mission sous raison d’ennui pour ses talents, va-t-elle profiter du moment pour enfin travailler sans danger ? Mystères, mystères.
Quoique, s’il l’avait laissée se présenter plus tôt, peut-être en saurait-il davantage.
Il avait commencé à lui expliquer ce qu’il voulait, elle essaya donc de prêter un maximum d’attention à ce qu’il disait. Mais le suivre semblait mission impossible. Avait-il besoin de respirer ? Parce que là, on était prêt à atteindre un record, nan ?
Bon, elle réussit tout de même à retirer de son discours les grandes lignes de pourquoi il avait besoin d'elle. Il s’était fait voler une statuette en verre par un Floki. Un Floki. Et il avait besoin d’aide pour retrouver le retrouver. Bien. Mais sérieusement, un Floki, elle n’aurait jamais imaginé que ces choses si mignonnes puissent voler quelque chose. Et puis même comment avait-il réussi à se faire voler par un Floki ? Bon. Il fallait qu’elle se reprenne, ce n’est pas comme ça qu’elle allait arriver à faire quelque chose. Et puis au fond, le gars n’avait pas l’air d’être un mauvais bougre. Il parlait juste…beaucoup. Vraiment beaucoup.
Quand il eut fini, il se leva et lui tendit une main. Elle ne perdit pas de temps avant de la prendre et se présenta (si elle le laissait, il allait repartir dans une tirade, nan ?).
« - Je suis Azilis Dhal. »
Elle afficha un grand sourire. Elle allait enfin pouvoir commencer ! La mission était d’apparence simple mais ça ne la dérangeait pas le moins du monde, elle allait enfin devenir ce qu’elle avait toujours rêvé.
« - Et oui, ça me va, trouver un Floki avec une statuette devrait être dans mes compétences ! »
Dans un sens, elle était contente de se retrouver avec une mission comme celle-ci, histoire de connaître un peu mieux le terrain. Car elle devait se l’avouer, elle ne connaissait pas trop les environs, ça ne faisait pas si longtemps qu’elle avait quitté son village et elle avait à peine eu le temps de découvrir la capitale qu’elle avait été envoyée ici. Les lieux, elles ne les connaissaient peut être pas, mais les monstres si, et pour l’instant c’était l’essentiel.
Logique.
Desmond fait une moue, les lèvres pincées, songeur quant à l’éventualité qu’il oublie déjà ce sésame à la discussion – ou pire, qu’il le massacre en le muant en un autre. Mais si la première lettre est la même, est-ce là moins grave ?
Qui sait ?
Le dialogue s’estompe, laisse place à un calme qui ne demande qu’à être brisé. Vermeil embrasse de son regard l’horizon tachetée d’arbres, puis se décide – enfin – à ouvrir la marche, le pas tranquille.
C’est joli par ici, tout de même. Ce roux qui tend vers le nu a ses douceurs, appelle à une espèce de sérénité que le vert clair des saisons chaleureuses n’offre pas : là où les teintes brillent, la vie pullule ; tandis que la blancheur des fraîcheurs attire le repos et la solitude.
Une branche craque, deux, davantage. L’instant embullé s’efface et ramène le garçon à sa place, un sourire déçu grimé sur ses lèvres.
Ah, oui, la réalité.
« - J’étais assez loin quand même, on va en avoir pour un bail j’imagine. Alors … Je me disais, vous êtes nouvelle, non ? On m’a dit ça. Enfin j’espère, parce que vous allez vous emmerder avec moi, sinon.»
On raconte que lorsque ce guignol fait une requête en bonne et due forme, l’on tire à la courte paille celui qui aurait la tâche de se taper l’ennuyeux boulot – le pire dans cette anecdote étant, outre sa probable véracité, le fait qu’il n’ait envoyé que trois demandes en tout et pour tout.
Quoique, pour sa culpabilité, aucune n’ait été plus passionnante que l’actuelle.
C’est peut-être pour ça qu’il n’a pas grande liste d’amis, non plus. Un gaillard intéressant si l’on est assez curieux, barbant si l’on est pressé, insignifiant sinon. La faute de ses envolées impromptues et hors sujet, ponctuées de secondes de perditions totales.
D’un autre côté, qui serait tout à fait concentré s’il était en mesure de jouer avec les couleurs à volonté ? Et d’ailleurs, voilà qu’il s’y met, encore.
Pas à un arbre, pas à une feuille, ni à un bourbier lointain – mais à sa comparse d’une aventure, elle-même. A chaque coup d’œil qui lui jette, guettant sa réponse, il joue avec ses cheveux et fait doucement coulisser le tapageur roux vers les pointes, tandis qu’il en extirpe les teintes plus sombres pour en teinter une mèche sur deux.
Oh, bien sûr, rien de très visible pour le moment. Un jeu, juste une innocente baliverne, sur quelques bribes chevelues à l’avant, quelque chose qui n’a rien de fondamentalement remarquable. Et puis, il compte bien tout inverser bientôt, n’est-ce pas ?
C’est son truc, voilà tout.
Bien au moins, ça répondait à sa question. Elle enchaîna sur les pas du jeune homme qui semblait complètement plongé dans ses pensées. Elle n’osait pas vraiment interrompre le fil de ses pensées et préféra observer les alentours. Est que les animaux retournaient sur les lieux de leur crime ? En tout cas personne n’avait affirmé le contraire et ce n’était pas elle qui allait laisser filer un Floki pour sa première mission.
Concentrée sur sa tâche, c’est limite si elle sursauta lorsqu’il lui adressa la parole. Il ne faisait pas grand-chose pour l’encourager, pas qu’elle le demandait, elle pouvait se débrouiller. Mais bon, elle avait la sincère impression qu’il essayait de la déprimer à force de dire qu’elle allait s’emmerder ou autre.
Non, elle ne s’emmerderait pas, elle l’avait décidé. Peu importe ce qu’il allait se passer, peu importe la distance à marcher : elle ne s’emmerderait pas.
« - Oui, oui, je suis nouvelle ! J’ai été envoyé ici dès que j’ai reçu ma carte. »
Au moins, ça le rassurait. Elle était nouvelle de chez nouvelle. Bon, maintenant continuer la conversation paraissait être la meilleure en option.
« Et vous, comment vous vous êtes retrouvé à vous faire voler une statuette par un Floki ?"
Certes elle ne devait pas juger le pourquoi du comment de ses missions. Mais là, la curiosité l'emportait largement et puis s'il fallait s'occuper durant leur probablement longue marche autant faire d’une pierre deux coups.
Bien sûr, elle ne remarqua en rien le fait qu'il jouait sur la couleur de ses cheveux. Elle n'apercevait que dans le coin de son œil, le regard du commendataire de la quête fixé vers ses cheveux. Elle se demandait s'ils avaient un problème, un truc coincé dedans. Et vu comment il les fixaient, ça devait être sacrément bizarre comme truc. Elle passa une main machinalement dans ses cheveux pour vérifier sa théorie mais elle ne sentit rien. Bizarre. Elle avait rien dans les cheveux alors pourquoi les fixait-il ?