Leurs pieds s’enfonçaient dans la fine pellicule laiteuse qui maculait certaine rocailles. Par ici, la neige n’était pas aussi abondante que vers la Forteresse, ce qui permettait aux rares voyageurs et vagabonds de parcourir la montagne sans grande difficulté. Lunar ouvrait la marche, il ne se gênait pas d’ailleurs pour presser le pas de son camarade qui ralentissait parfois sa marche pour admirer le paysage. Les gens du commun auraient sans doute pu dire au zoologue qu’il était inconscient de donner des directives à un garde du Blizzard, pour lui ça n’avait aucune importance. Lunar aurait sans doute rétorqué qu’à partir du moment où un garde décide de partir en excursion avec le premier aventurier qui le demande, il pouvait bien se permettre de jouer les petits chefs. À vrai dire, Lunar était surtout beaucoup trop excité pour penser à l’étiquette et à la bienséance, le soldat avait sûrement dû le remarquer. Le jeune homme était ici dans l’unique but de débusquer l’animal légendaire Kirin. Le Kirin, dont l’existence reste encore à prouver, était une créature décrite comme un équidé cornu qu’on disait capable de contrôler le beau comme le mauvais temps. On le décrivait tantôt comme possédant un pelage d’argent, tantôt ivoire, et qu’il ne valait mieux pas l’énerver pour ne pas provoquer l’ire d’une tempête…
En plus de pas être bavard, il profite de la vue. Pensa Lunar, en soupirant. À ce train là, on va juste trouver trois lièvres dans un terrier.
Si Lunar était si pressé de trouver le Kirin, c’était pour pouvoir enfin réaliser l’objectif de sa vie, la consécration de tout zoologue : pouvoir révolutionner la communauté scientifique, entrer dans le panthéon. En plus de cela, ça pouvait faire bouillir d’amertume la Guilde des aventuriers, et la Déesse savait que le bel éphèbe n’avait pas meilleur passe-temps. Pour ces raisons, il était parti de la Capitale, faisant route vers le nord jusqu’à la Forteresse. Une fois sur place, il avait réussi à dégoter une bonne âme volontaire pour le guider parmi le montagnes à la recherche de la bête mythique. Un garde de la Forteresse, un certain Kaytsak Steelheart, un homme silencieux et bien trop calme que Lunar trouvait un peu triste. De haute stature, il avait des yeux luisants d’un bleu glacé comme du métal, ainsi que plusieurs mèches qui retombaient devant ses yeux. Il semblait avoir le même âge que Lunar ; l’aventurier avait pourtant l’impression qu’il avait affaire à un bon petit soldat. Leur route aurait au moins le mérite de lui montrer s’il avait affaire à un parangon de justice et de vertu, ou à quelqu’un de véritablement intéressant.
- Si ça ne vous dérange pas, j’apprécierais qu’on puisse évoluer plus vite. Je ne tiens pas à explorer ces montagnes de nuit, vu ce qu’il y traîne.
Kaytsak ne répondit pas, sans doute avait-il fait mine de ne pas entendre la remarque. Peut-être qu’il s’en fichait après tout et qu’il avait simplement choisi Lunar comme bruit de fond pour une petite promenade relaxante. Ça ne démotiva cependant pas l’aventurier :
- Vous vivez ici, la montagne vous la voyez tous les jours de l’année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le Kirin, par contre, ça sera surement la seule fois de votre vie. Imaginez en plus quel impact ça pourrait avoir sur votre carrière…
Le garde allait peut-être s’agacer, mais Lunar n’en avait cure. Au moins, ça aurait le mérite de briser le silence monotone et l’ennui mortel qui régnait depuis le début de leur marche.
Déjà ? Cela ne faisait que peu de temps que j'étais de retour au campement et Celsis me renvoyait déjà à droite, à gauche. Je commençais à me demander si tout cela ne cachait rien de bien plus spécifique. Je ne pourrais le savoir que si je demandais mais je ne suis pas très sur que j'ai une réponse satisfaisante. J'attendais donc sagement qu'elle ne veuille bien m'énoncer la suite de son énoncé.
- J'ai récemment reçu la missive d'une guilde nous demandant d’escorter l'un des leurs. Il s'agit d'un zoologue du nom de Lunar Le Fay. Je compte donc sur toi pour faire en sorte que rien ne lui arrive dans les montagnes. Pour le reste, il se débrouillera.
J’inclinai la tête et salua avant de sortir. Une simple mission d'escorte ? J'en avais fais des dizaines déjà alors pourquoi moi ? Certains de mes camarades n'y était pas encore passé. Je pense que cela doit être de la confiance de la part de ma supérieure. Et bien je serais à la hauteur, comme toujours. Ce n'est pas un simple zoologue qui allait m'emmerder.
Eeeeeeeet c'est ce que je pensais. Mais quand j'ai appris la raison de sa venue dans nos montagnes, je sus tout simplement que cet homme était fou. Le Kirin ? Sérieusement ? Jamais personne ne l'a vu à notre ère. Alors le trouver pour l'observer... Je voulus d'ailleurs lui faire la remarque mais il pressa le pas pour prendre une certaine avance devant moi. Et c'est en soupirant que je lui emboîta le pas. Il fallait juste que je le surveille, je n'avais pas besoin de discuter et de rester à ses côtés.
Je le sentis s'agiter un peu plus haut. Cela devait quand même être assez important pour lui de venir en ses lieux. Personnellement, voir un animal légendaire dangereux ne m'enjaillais pas particulièrement. Surtout si lui nous voit aussi. Je ne pense pas pour pouvoir assurer notre protection sur une éventuelle rencontre avec cette créature. Et encore moi notre survie à tous les deux.
Sa première remarque me passa largement au-dessus de la tête. Nous étions à peine en début de matinée, il y avait donc largement le temps pour le trouver. Ou l'éviter. Dans cette situation, je ne savais pas vraiment ce qui était le mieux et le plus raisonnable. En soit sa remarque suivante me fit tilter. Pas pour ma carrière ni rien mais juste le voir. Cela devait être un spectacle éblouissant et une créature magnifique. Soupirant, je me sentais tiraillé.
- Vous savez, la chance que quelqu'un ai vu le Kirin et qu'il soit encore vivant actuellement est très faible. Au cas où cela arriverait, je vous demanderais de vous calmer pour éviter a avoir à ramener votre corps au Campement.
Ce n'était en aucun cas une menace mais un simple fait. Le Kirin est réputé pour beaucoup de choses, dont sa puissance. Et ma nature prudente me demande d'éviter à tout pris de troubler son quotidien.
- Je ne pense pas que la science soit un bon exemple. Répondit le garde en haussant les épaules. Nous avons ici affaire à une créature réputée pour être dotée d'une grande intelligence. Si elle voulait se faire voir, elle le ferait.
- L’intelligence est une chose étonnamment relative. Regardez, vous vous considérez sans doute comme quelqu’un d’intelligent. Et pourtant, vous êtes là avec moi en train de pister un animal, alors que vous avez sans doute mille et unes choses plus constructives à faire.
- Je ne me considère aucunement intelligent. Dans mon domaine, peut-être que certains me trouveront un sens tactique bien supérieur à la moyenne. Je ne me fie qu'à mon instinct personnel. Quand à ma présence, c'est mon travail et je me dois de le mener à bien. Question de respect.
- Non. Question de pouvoir. On vous ordonne, vous vous exécutez. Mais, si vous considérez cela comme du respect, alors je suppose que ça ne vous dérange pas. Je me demande juste combien de temps vous allez mettre avant de réaliser où est le pouvoir, et comment l’utiliser…
- Je ne cherches pas le pouvoir. Je sais qui je suis et ce que je vaux. Je connais mes limites et la façon de les exploiter. Je parle de respect car, malgré le fait que je ne sois qu'un simple officier, je suis reconnus par mes pairs et certains de mes supérieurs comme un excellent élément. Et cela me suffit.
Un bon petit soldat songea Lunar. Ce dernier soupira, préférant ne pas répondre. Le zoologue savait que Kaytsak ne pouvait décemment pas l’abandonner au beau milieu de ces montagnes. Mais il avait jugé bon qu’il n’était pas pour autant judicieux de le courroucer. Lunar avait beau adorer asticoter la Guilde, il était conscient que jouer avec les nerfs de la garde n’était pas très prudent. Concernant Kaytsak, il avait l’air de le prendre pour un bleu, ce que Lunar n’était manifestement pas. Il savait se battre à l’épée, connaissait quelques passes martiales à mains nues, était une vraie pointure dans son domaine d’expertise… Sans doute la mission qu’on lui avait confié lui avait laissé ce sentiment, escorter quelqu’un induisait toujours plus ou moins que l’escorté n’était pas dégourdi.
Le ciel commençait à s’assombrir, de gros nuages gris et noirâtres glissant doucement au dessus de leurs têtes. Les deux continuaient de gravir cette colline, leur marche les faisant bifurquer vers un vallon boisé où la neige ne tombait presque plus. Ils tombèrent alors sur un cadavre de faon, à demi dévoré et dont le sang s’était écoulé sur les feuilles et les flaques de neige alentours.
- Un warg noir. Il n’est peut-être pas si loin.
- Comment le savez-vous ?
- Vous venez de marcher sur ses excréments.
Il me semble que nous allons avoir un problème sur les bras. Le ciel commençait à être menaçant mais ce n'est pas de cela que je parlais. Au détour de la route, nous sommes tombé sur le cadavre d'un faon à moitié dévoré. Je me suis approché pour prendre la chaleur du corps. C'est quelque chose que j'avais appris très tôt à faire au sein des Sentinelles. Pouvoir juger si le monstre responsable de cela était loin ou non. Et... Il était proche. Incroyablement proche. Je voulus prévenir mon compagnon et c'est lui qui me fit savoir que c'était un Warg Noir.
Cela me fit crisser des dents. Les Wargs ne se baladaient jamais seul. Néanmoins, nous n'étions pas assez avancé pour tomber sur eux normalement. Un solitaire ? Si c'était le cas, je pourrais m'en débarrasser sans le moindre problème. Il serait forcément agressif, il vient de manger. Je m'arrêta, écoutant les alentours, essayant de repérer le moindre bruit suspect. Le ciel se mit à gronder, ne facilitant pas la tache. Un bruissement, le vent à travers les arbres... Rien ne me permettait de déterminer où pouvait être le Warg.
- Nous devrions faire demi-tour. Tomber sur une meute de Warg risquerait de nous être fatal.
Mais je maintiens de penser qu'il ne devrait pas se trouver ici. Plus haut en montagne, quelque chose les avait fait bouger. Une créature bien plus imposante, qui leur faisait peur. Me retournant vers le zoologue, je marqua un temps. J'ai vu quelque chose bouger. Une, deux... Non trois formes s'approchaient. Bordel, je pensais sincèrement que cela allait être tranquille... Après... Cela faisait longtemps que je n'avais pas combattu de monstres et mon sang bouillait à cette idée.
Je passa devant tant dis que les trois loups géants sortaient à découvert. Je remarqua alors quelque chose d'étrange. Ils étaient tous blessés. Pas trop de gravité mais il laissait des gouttelettes de sang tomber de temps à autre. Et ce n'était aucunement le pauvre faon qui avait pu faire cela. S'ils étaient trois, ils auraient du être beaucoup plus. Ils ont été attaqué. Et massacré. Et leur agressivité semblait maintenant dirigé vers nous. Un soupir et je retira mon lourd manteau, roulant un peu des épaules pour m'échauffer.
Ils hésitèrent un peu. Ils semblaient redouter quelque chose, comme si l'image de leur précédent massacre était encore ancré dans leurs esprits. Mais je semblais clairement moins impressionnant car un premier me fonça dessus, suivi des deux autres. Contre ces créatures, je préférais privilégier la lance, pour l'allonge et la puissance de poussé que je pouvais mettre dedans. J'attendis presque le dernier moment pour la générer. En faite, j'attendais le moment où il me saute dessus.
La lance alla se ficher dans son poitrail, en plein vol. Je banda mes muscles et le renversa au sol. Je me releva suffisament rapidement pour balancer une mandale au deuxième, qui en avait profité pour me sauter dessus aussi. Alors que le premier ne bougeait plus vraiment, celui-ci se releva plus vite. On se tourna autour. Le troisième en avait profité pour foncer sur Lunar. Désolé, tu allais devoir t'en occuper. Revenant à ma créature, je lui lançais des petits dagues par moment. Elle se fichait dans un grognement avant de se dissiper. Je ne pouvais me permettre de générer trop d'acier, au cas où pour plus tard. Le Warg finit par me foncer dessus. Mais il ne sauta pas. Je repris une lance et tenta une simple estoc. Il ne fit pas avoir et se lança sur moi.
Soupirant, je fis une simple pirouette sur le côté, rajoutant une dose d'acier sur le bout de la lance pour le transformer en lourd marteau. Dans mon élan, je le fis tournoyer et alla éclater les côtes de la bête qui s'effondra au sol. Soufflant, je dissipa tout. Un coup d'oeil vers le zoologue m'apprit qu'il s'était débarrassé de la bête, non sans difficulté. Il était recouvert de sang chaud et un peu de boyau. Ramassant mon manteau, j'enlevai la neige et le renfila.
- Ils ne devaient pas être là. Quelque chose à du les chasser de leur territoire.
- J’avais sept ans quand j’aidais ma mère à faire accoucher des brebis. C’est pas trois tâches rouges et deux viscères qui font m’écœurer.
Le garde ne semblait pas vraiment s’intéresser à ce que lui racontait le zoologue. Il fixait les alentours avec une certaine appréhension dans l’attente de voir débouler le monstre qui avait tenu les wargs en déroute. Lunar ignorait ce que ça pouvait être, surtout quand les derniers spécimens de la meute venaient d’être taillés en pièces par les aventuriers. Tout ce qu’il savait, c’était que la créature devait être bien imposante. Il fallait qu’il en ait le cœur net, ça pouvait être n’importe quoi. Et ce n’importe quoi comportait le légendaire Kirin. N’attendant pas les instructions de Kaytsak, Lunar commença à remonter la piste des loups. Après tout, il était l’escorte, il devait être gardé en vie. Où il allait, le garde de la forteresse irait aussi. Ce dernier se mit d’ailleurs à trottiner pour rattraper son comparse, tout en l’invectivant pour ne pas l’avoir attendu. Lunar n’y prêta pas attention, trop concentré sur les traces des wargs pour ne pas perdre leur chemin.
Après plusieurs minutes de pistage durant lesquelles Lunar ne parla que très peu à Kaytsak, sauf pour lui indiquer la marche à suivre, ils arrivèrent dans un recoin du vallon situé sous une falaise. Ils durent patauger dans de la boue et un ersatz de cour d’eau qui avait dû se former après les récentes averses des dernières semaines. En progressant encore un peu en contournant fougères et bruyères, ils arrivèrent à l’entrée d’une caverne d’une vingtaine de pieds de haut. Lunar était formel, cette grosse cavité avaient de fortes chances d’être la tanière de la bête.
- On entre. Fit-il sans vraiment prendre le temps de réfléchir.
Kaytsak était hésitant.
- Écoutez vous avez le choix : me ramener à la Forteresse et finir la journée comme un soldat consciencieux, ou descendre dans cette grotte et rentrer comme un héros. Dans le premier cas, j’en trouverai un autre pour accomplir ce que vous n’avez pu. Dans le second, c’est la gloire sur un plateau. Le choix est vôtre.
J'allais en aviser le zoologue mais celui-ci avait pris l'initiative de partir à travers les bois. Grognant, je me lança à sa suite. Je ne pouvais le laisser mourir ainsi. Malgré le fait que nous nous entendions pas vraiment, cela restait un être humain, aussi fou soit-il. Il me faudrait le résonner par la suite. Sinon, nous risquions d'aller au devant d'une mort certaine.
Le terrain était glissant. Le temps remonter la piste des wargs, j'avais commencé à entamer la gourde d'eau que j'avais emmener au cas où. Néanmoins, il fallait que je fasse attention. Je ne savais si lui avait pris de quoi faire mais, au vu du fait qu'il semblait faire fit du moindre danger, si nous nous retrouvions bloqués quelque part, les rations risquaient de poser problème.
Nous finîmes par arriver devant une grotte. Un courant encore plus froid que la normal vint me frapper le visage. Il n'était pas naturel. Quelque chose à l'intérieur soufflait cet air. Quelque chose de gros. Très gros. Alors oui, quand il me proposa de rentrer, je fus réticent. Puis il me fit de nouveau un speech sur la gloire et sur le fait qu'il chercherait quelqu'un d'autre si je ne venais pas. Ce n'était aucunement ainsi que tu aurais raison de ma volonté. Cela eut simplement le don de me faire soupirer.
- Bien, alors repartons au Campement. Je ne cherche pas la gloire. Je préférerais m'assurer que vous rentriez en vie. Et en un seul morceau si possible. Si nous retournons d'où nous venons, je pourrais soumettre un rapport et vous pourriez revenir avec un groupe plus important et mieux préparé. Pour le moment, je nous vois mal affronter une créature suffisamment imposante pour faire fuir des wargs. Encore moins dans une grotte où nous risquons de ne rien voir.
J'aurais pu continuer pendant plusieurs minutes à argumenter sur le fait qu'il ne fallait pas rester. Mais trop en dire risquait sans doute de le barber et il serait rentrer directement. Le fait est que je dois impérativement le suivre. Il fallait que je le convaincs de rentrer pour s'assurer une meilleure protection pour la suite.