Ce jour-là, il n’y avait pas que Newt qui pleurait. Le ciel s’y mettait aussi, occasionnant alors une averse d’une rare intensité qui s’abattait sur toute la capitale. Le temps gris et morne n’annonçait rien de bon. Encore plus quand un dragon sorti de nulle part, atterrissait non loin du palais, créant alors l’effervescence d’une partie de la garde royale. Les novices qui n’étaient pas habitués à cette manifestation animale pensaient à tort qu’il s’agissait d’une attaque, mais présent parmi eux, je fis vite de les calmer. Il n’y avait rien à craindre. Par contre, l’apparition de la bête était peu commune. Et son propriétaire qui ne m’était pas inconnu me faisait craindre le pire. Ça sortait du fond des tripes. Comme les nombreuses intuitions qui me taraudaient parfois. Et elles étaient rarement fausses, infondées. De quoi m’affoler. Non pas en tant que roi, mais bel et bien en tant que parrain. Tout bêtement.

Alors, pour en avoir le cœur net, je fis signe aux gardes que je m’en occupais, même si plusieurs d’entre eux insistèrent aussitôt pour m’accompagner ce que je ne refusai pas. Il y avait des jours comme ça où je ne pouvais pas cracher sur la bonne volonté et la raison de vivre de ceux-là qui nous servaient. Même en tant qu’homme du peuple, il m’incombait très souvent de faire la part des choses et de ne pas exagérer dans mes manières. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’exercice n’était pas difficile pour moi. Heureusement d’ailleurs. Ma vie aurait été trop ennuyeuse. Un carrosse fut rapidement préparé avant que le véhicule ne quitte la cour royale en trombe. Calèche suivi par un cortège de chevaux montés par des gardes. Un cortège qui ne me dérangeait pas spécialement ce jour-là. Puis nous arrivâmes enfin vers l’endroit où le dragon était posé.  Très rapidement d’ailleurs.

Par pure crainte cependant, le cortège s’arrêta à bonne distance. Compréhensible. Il fallait avouer que la bête était impressionnante et les rumeurs sur la dangerosité des dragons n’aidaient pas vraiment. Pourtant, c’est sans hésiter que je sautai en dehors du carrosse avant de m’avancer à l’avant du cortège pour mieux voir ce qui se tramait vers le dragon. Et c’est là que je vis le gosse à même le sol, contre un mur. Touché par ce que je vis, je ne m’occupai même pas de la chape de pluie que quelques gardes voulurent placer sur mes épaules puisque je m’avançai aussitôt vers le gosse et sa bête. Mes gardes voulurent m’en dissuader, mais je leur fis signe qu’il n’y avait aucun mouron à se faire. Tout de même, je m’avançai tranquillement vers eux de sorte à ce que Nivom me reconnaisse. Le dragon renifla bruyamment, me porta un regard presque inquisiteur, avant de se tranquilliser. Juste parfait…

- « Newt… ? »

Ma voix fut douce, tranquille. Suivi ensuite par un grondement sourd. L’averse ne s’arrêterait pas de sitôt, très clairement. Raison de plus pour ne pas s’attarder à l’extérieur, même si la nature de nos pouvoirs nous aidait à ne pas trop craindre le froid. « Newt, mon grand… » Voir mon filleul avachi ainsi me faisait peine à voir et me serrait le cœur. S’il n’était pas d’un naturel joyeux, le voir dans une posture aussi lamentable me faisait de la peine et pas qu’un peu. J’avais même le visage froissé par la tristesse et me hâtai finalement de venir devant lui et de m’accroupir auprès de lui avant de prendre son visage en coupe, dans mes mains : « Newt, qu’est-ce qui se passe ? Dis-le-moi ! » En redressant le minois de l’éphèbe vers le mien, je pus distinguer ses larmes malgré la pluie. Ses yeux rougeoyants ne laissaient pas de place au doute de toute évidence et c’est sur ce constant que je le pris dans mes bras sans attendre !

- « Là, là… Tout va bien. Je suis là. Tout va bien… »

- « Chuuuut. Ne dis plus rien. Ne dis plus rien… »

La vérité avait bien évidemment fini par éclater. Forcément. J’avais fini par le comprendre à la réponse de mon filleul. Je ne savais pas qu’elles avaient été les motivations d’Aragon, mais je savais que ce jour-là allait arriver. Inévitablement. La peine qui s’emparait de moi était presqu’à la hauteur de celle du jeune brun, même si je n’en voulais clairement pas à son père contrairement à lui. D’ailleurs, à l’époque, si l’aveu m’avait surpris, il ne m’avait pas pour autant choqué et n’avait pas altéré mon désir d’être le parrain de ce gamin si particulier. Je faisais partie des rares personnes qui avaient été dans la confidence et qui faisaient fi de toutes ces questions d’ascendance et autre. D’ailleurs, si je n’avais pas épousé Allys, princesse héritière dans le temps, j’aurai sans aucun doute demandé la main d’une citoyenne lambda pour ne pas avoir à me coltiner une noble avec des airs trop maniérés et affectés. Juste des plaies, ces femmes…

- « … »

J’eus un lourd soupir qui en disait long. Pour le coup, je ne savais pas quoi faire, ni quoi dire. J’avais l’intention de défendre son père, mais le moment était certainement mal choisi pour. Je n’avais pas non plus les mots pour le réconforter comme il fallait puisque je n’avais jamais vécu sa situation. Jamais. Je ne pouvais donc pas me mettre à sa place, ce qui serait surement prétentieux de ma part. Un mot de travers et le gosse pouvait moi aussi me repousser, voire même s’enfuir de la capitale pour aller je ne sais où. Un fait qui allait non seulement m’inquiéter mais également alerter son père qui devait certainement s’en vouloir de là où il était. De ce fait, je ne fis que le serrer dans mes bras pour lui montrer que j’étais là pour lui peu importe ce qui allait se passer. Il ne s’agissait pas du roi, mais bel et bien du parrain, de « l’oncle », de l’homme tout simplement. Je finis donc par m’installer à même le sol tout en le gardant dans mes bras.

- « Je reste là. Avec toi. Autant de temps qu’il le faudra. Et si tu veux pleurer, pleure. Evacue tout. Je suis là pour toi. Et puis quand tu te sentiras mieux, on ira au palais et tu te reposeras. D’accord ? »

Et sans attendre même sa réponse, j’embrassai son front comme je le ferai avec mon fils avant de reprendre mes caresses sur sa tête.

- « Ne t’inquiète pas. Je prendrai soin de lui. Tu peux te poser dans la cour royale, si tu veux, je donnerai des instructions… »

J’avais tout d’abord parlé au dragon qui ne savait plus à quel saint se vouer vu comment son possesseur se comportait, histoire de le rassurer, ce qui le calma ; puis je portai mon regard sur mon filleul. Le fait qu’il ait froid m’arracha un mince sourire (compte tenu de la nature de nos pouvoirs), mais ledit sourire  disparut très rapidement au profit d’une mine inquiète et désolée. Sincèrement navré, je n’avais toujours pas les mots justes pour le réconforter, mais je pouvais au moins m’occuper de lui jusqu’à ce qu’il aille mieux. De ce fait, je me levai et le soulevai par les épaules pour le hisser sur ses jambes, avant de passer un bras autour de ses épaules pour le coincer contre moi et l’amener progressivement vers le carrosse qui m’attendait toujours et vers mes hommes qui ne devaient rien comprendre…

- « Conduisez nous à l’auberge la plus proche ! Ordre aux autres gardes de laisser le dragon se poser dans la cour royale. Ne tentez rien contre lui, est-ce clair ?! »

Sans discuter, les gardes se mirent en branle. Le timbre de ma voix ne souffrait d’aucune contestation et tous le savaient pertinemment. On était loin de ma légèreté habituelle et beaucoup avaient même reconnu le visage du fils du gouverneur de la ville portuaire. Nous nous engouffrâmes dans mon carrosse et celui-ci se dépêcha de se diriger vers l’auberge la plus proche, mais aussi l’une des meilleures. Elle ne s’adressait d’ailleurs qu’à une clientèle fortunée et la tenancière de ce lieu n’était nul autre qu’une ancienne amie qui avait quitté la garde pour monter sa propre affaire. Le trajet fut silencieux, mais j’avais gardé Newt dans mes bras pour lui apporter un brin de réconfort. Lorsque nous arrivâmes, mes gardes investirent l’auberge et nous entrâmes à leur suite. Fort heureusement, il n’y avait pas de clients à cette période.

De quoi faciliter la réquisition entière de l’établissement.

Là-dessus, les domestiques de la tenancière nous conduisirent aux meilleures chambres de l’auberge.

Des suites, en quelques sortes.

- « Prends un bon bain et ensuite repose-toi. Je serai dans le hall si jamais tu as besoin de moi… » Que lui avais-je dit, prêt à m’en aller ou au contraire à rester avec lui selon ses besoins.

- « C’est à moi que tu racontes ces conneries ? »

L’expression qu’affichait mon visage n’était pas en phase avec ma phrase. En effet, je souriais et pas qu’un peu d’ailleurs. J’étais amusé par le maintien qu’il essayait de se donner dans cette situation, ce qui me rappelait un peu mon propre passé plutôt tumultueux. Mais plutôt que de le gronder davantage, je passai une main dans sa chevelure pour l’ébouriffer gentiment et surtout pour le renvoyer à sa condition de gosse. Parce que oui, il était un gosse à mes yeux. Presque comme le mien d’ailleurs. J’avais l’âge d’être son père et je l’avais de toute façon vu grandir. Je me rappelais encore sa bouille mignonne qui m’avait tout de suite charmé. C’était d’ailleurs toujours le cas. Peu importe à quel point ils grandissaient, les enfants demeuraient des gosses aux yeux de leurs parents et ainés. C’était comme ça.

- « Allez, viens là ! »

Sans même lui demander son avis et toujours en l’infantilisant (mais de manière très affectueuse, on s’entend), je m’emparai de l’une de ses mains avant de l’entrainer vers une cheminée devant laquelle se trouvait un divan que j’avais fait bouger exprès. Les gardes, eux, étaient éloignés puisque postés devant les portes et le comptoir de l’établissement. Il n’y aurait personne pour nous déranger et entendre ce qui allait s’en suivre dans tous les cas. Je le fis asseoir presque de force sur le divan, avant de m’installer à ses côtés à mon tour, puis je l’attirai une nouvelle par les épaules pour poser sa tête sur l’une de ses cuisses. Une fois confortablement installés, je me mis tranquillement à lui caresser sa chevelure en silence. Seul le feu crépitant dans la cheminée brisait un peu le silence qui s’était installé. Et puis, au bout de quelques minutes…

- « Il était très fier tu sais. Très fier de t’avoir dans sa vie. Tu as été une véritable bouffée d’oxygène pour lui et je peux t’assurer qu’il n’y a rien qui compte plus que toi dans sa vie. Je suis sur que s’il devait attenter à ma vie pour toi, il le ferait sans hésiter… »

Je savais que le gamin n’était pas disposé à entendre ce que je lui dirais concernant son père, mais il était quand même bon de lui rappeler tout l’amour que lui portait son paternel. A mes yeux, c’était très important. « Certaines choses ne sont pas ce qu’on voudrait qu’elles soient tu sais… Et il nous arrive à nous autres parents de faire des choix fort déchirants… » Je n’étais peut-être pas à leur place sans compter que ma vie avait été plutôt tranquille jusque-là, mais je pouvais comprendre le désarroi qui les tiraillait. « Le temps fera ses œuvres Newt. M’enfin… T’es encore un petit garnement qui ne peut pas tout saisir… » Sur cette petite boutade, j’avais émis un rire tout en pinçant gentiment l’une de ses joues. Puis je me remis à caresser affectueusement sa belle chevelure, sourire aux lèvres. Il était définitivement comme mon gamin.

- « Et puis sache-le, que je suis toujours là pour toi. Je sais pas trop pour cet idiot d’Aeron, mais sache qu’Allys, Atheas et moi t’aimons beaucoup. Tu fais partie de la famille. Ne l’oublie jamais. Et ne me fais plus l’affront de penser que tu me gênes ou que tu perds mon temps. La prochaine fois, c’est la fessée sinon ! »

Essayer de détendre l’atmosphère, c’était la seule chose que je pouvais faire.

Pour qu’il se calme. Et s’endorme aussi.

Demain était un autre jour.

- « J’imagine bien… »

Si je compatissais vraiment, je ne pouvais que le comprendre dans un certain sens. Tout comme lui, j’aurai souhaité de tout mon cœur vivre avec mon grand-frère, mais ce dernier avait toujours refusé de rester auprès des siens ; et même si je connaissais la raison de son retrait, son absence m’avait parfois pesé plus jeune. C’était certainement pour ça que j’avais été un gros cas qui n’en faisait qu’à sa tête et qui aspirait lui aussi à devenir un aventurier. Certainement pour lui ressembler. Pour tenter de le suivre et de me rapprocher. En vain. Le fait qu’il soit en vie et quelque part dans le royaume n’arrangeait pas forcément les choses, mais je devais avouer que j’avais plus de chance que mon beau filleul qui devait être vraiment meurtri par l’absence de sa mère. Un cas qui devait aussi peser sur les épaules de son père.

- « Je comprends même ton désarroi, mais regarde le bon côté des choses : Tu as un papa formidable, un parrain du tonnerre, une marraine par extension qui peut te materner quand tu le désires et leurs enfants avec qui tu peux passer du temps quand tu veux. En plus, je suis sûr que les habitants de la ville portuaire t’aiment bien en général… »

Des flammes apparurent aussitôt autour de mes mains, mais elles étaient inoffensives. Si Newt sentit leur chaleur, il n’était pas brulé pour autant. C’est en cela que mon pouvoir était intéressant. Je pouvais décider de la nature de mon feu en fonction de la situation à laquelle j’étais confronté. Mais le plus important résidait dans le fait que je voulais lui faire comprendre qu’il n’était pas seul et qu’il n’avait plus à nourrir davantage de regrets. « Si tu te laisses consumer par les remords et la nostalgie, tu n’avanceras pas, tu sais… Enfin… » Je préférai en rester là. La douleur était pour le moment trop vive pour qu’il entende raison et ce n’était de toute façon pas le moment d’insister sur la morale ou quoique ce soit d’autre du genre. L’idée n’était pas de l’irriter pour qu’il finisse n’importe où et fasse des bêtises.

- « Tu veux manger un morceau ? Je suis sûr que ça te redonnerait des forces ! »

La bouffe, il n’y avait que ça de vrai en vérité !