Examinateur, c’est pas de tout repos. Le quidam pense qu’on est tranquillement dans les bâtiments de la Guilde, ou dans une succursale, en train de noircir du parchemin avec nos belles plumes et notre encre chère. Alors, certes, ça représente une bonne partie de nos tâches, mais pas que. Y’a tout un volet humain souvent sous-estimé qui se décompose en deux parties. La première, c’est quand la Guilde reçoit une mission, d’aller vérifier que c’est pas tout bidon avant qu’un vrai groupe d’aventurier la prenne en charge. Bon, généralement, on est envoyé sur les trucs qui ont l’air un peu pourri, ou proposés par des clients qu’on connaît pas, ou justement qu’on connait trop bien.
Le second volet, c’est celui que j’vais démontrer d’ici quelques heures, et c’est la vérification que la mission a bien été réalisée, une petite enquête sur les conditions dans lesquelles elle a été faite, et le recouvrement du paiement promis. C’est qu’il faut bien les payer, les p’tits gars qui vont se faire trucider pour une poignée de cristaux. C’est beau, ce que j’fais, prendre aux pauvres pour donner à d’autres pauvres.
Dans le petit relais de passage, avec une minuscule taverne et une énorme étable pour les montures, j’attends mon binôme du jour. C’est une jeune aventurière qui va pouvoir voir les ficelles de la Guilde. C’est bien, pour les débutants, de voir un peu comment ça se passe. Elle va aussi me servir de muscle, des fois que les acheteurs soient pas aussi cooopératifs qu’ils devraient l’être. Ça arrive, et la Guilde doit être payée.
Enfin, faudra d’abord vérifier que les aventuriers qui ont pris la mission ont pas salopé le boulot, évidemment. Une histoire de monstres dans les bois, j’ai le rapport. Normalement, ils ont amené des preuves des cadavres au village, donc ça devrait être vite vu. Les têtes, d’après ce que j’ai lu dans le rapport. Quand même, faut sacrément être un furieux pour couper des crânes et les trimballer avec soi pendant des plombes dans la forêt.
J’mâchouille tranquillement le dernier morceau de pain après avoir saucé mon assiette de ragoût avec, et j’surveille la porte. Une poignée d’heures de marche, même pas, pour arriver au village de Bark, trouver le maire, chopper le paiement qui nous ai dû, et repartir. Allez, p’tet une demi-journée de travail, et tout est dit. Bon, ça se passe rarement aussi bien, et c’est pour ça qu’on m’envoie généralement, quand les types ont la réputation d’être des mauvais payeurs, comme là.
Ça serait beaucoup mieux si la Guilde se contentait de les envoyer chier la prochaine fois qu’ils demandent une mission. Ils auront qu’à attendre daigner que la Garde se pointe, vu qu’elle est payée avec leurs impôts. Enfin, p’tet que ça se passera bien.
La porte du relais s’ouvre pour laisser entrer une jeune femme. Celle que j’attends, d’après les descriptions que j’ai pu voir. J’espère qu’elle a déjà mangé, il se fait tard.
« Hé, Judicaële Taranis, par ici, que j’la hèle. »
Oui, c'était sa première mission. Était-ce si évident que ça ?
En arrivant devant le relais où son coéquipier l'attendait, Judicaële s'arrêta un instant, juste le temps de revoir dans sa tête les informations qu'on lui avait donné. Elle était là pour la sécurité de son coéquipier, un examinateur de la guide. On l'avait prévenue qu'en général, les missions se passaient bien, et que sa présence n'était requise qu'en guise de prévention à l'intention de ces mauvais payeurs, mais la jeune femme était quand même ravie. Elle aurait le temps de faire des quêtes prestigieuses plus tard ! Pour l'instant, elle était rassurée de n'avoir qu'une très faible chance de tout gâcher.
Après une dernière grande respiration, elle reprit sa contenance et ravala son grand sourire pour quelque chose de plus discret. Enfin, elle entra. L'endroit était exiguë, mais heureusement pas trop rempli. Elle jette un regard circulaire rapide, comme machinal, avant d'être appelé par une voix grave et bourrue. En se tournant vers sa provenance, elle aperçoit un homme, visiblement trentenaire ou peut-être plus, mais moins vieux qu'elle ne s'y attendait. Il porte une barbe soigneusement taillé et est légèrement penché au-dessus du comptoir. Une assiette trône vide devant lui et son regard est fixé sur la jeune femme. Elle s'avance donc d'un pas confiant mais ne s'assoit pas.
- Bonjour, Vrenn Indrani. Veuillez m'excuser si je vous ai fait attendre.
La jeune femme adopte un ton de voix poli et neutre. Elle ne connait pas encore cet homme et préfère faire une bonne impression, quitte à paraître un peu solennelle. Elle tente du mieux qu'elle peut de garder un air sérieux, bien qu'un léger sourire soulève les commissures de ses lèvres.
Elle a l’air de bonne humeur, c’est déjà ça. Les missions avec des gens chiants comme la mort, même s’ils bossent bien, c’est lourd. Le boulot, c’est pas toujours marrant, alors autant qu’on rigole, comme dirait ce bon vieux Jack. Généralement, avec lui, ça se finit d’ailleurs à la taverne, ronds comme des queues de pelles. Pas un mal en soi, tant que le travail est bien fait, pas vrai ?
« Pas de souci, j’étais un peu en avance pour pouvoir grailler. Pas la peine de se vouvoyer, au fait, on est ensemble là-dedans. Enchanté, donc. Tu te sens prête à mettre les pieds dans le plat ? »
J’règle mon dû, et on se met en route vers le village. On en a peut-être pour deux heures ? Du coup, c’est l’occasion rêvée de faire la conversation avec les p’tits jeunes.
« Alors, Judicaële, t’as rejoint la Guilde tout récemment, c’est ça ? Qu’est-ce qui t’a attiré dans la vie d’Aventurière, plutôt que de faire un métier plus classique ? »
Faut les mettre à l’aise, et leur montrer que la Guilde c’est une grande famille. Dans laquelle on est tous frères et sœurs, cousins, tontons et tatas, et parfois y’a les parents et grands-parents qui viennent taper du poing sur la table quand on nique le budget prévisionnel ou qu’on salope le turbin.
« Pour ma part, j’ai toujours été examinateur, même si j’fais des missions à côté, de temps en temps. J’aime bien travailler autour, échanger avec les gens et les autres aventuriers, m’assurer que tout roule comme sur des roulettes, tu vois ? J’pense que c’est pasque j’aime bien rendre service, en gros. »
Comme quand on va aller vider les bourses de ces messieurs pour payer les nôtres. Ils le verront pas comme ça, mais faut bien faire tourner le Royaume, hein ?
« Sinon, sympa, ton arc. En termes de pouvoir, tu fais quoi ? J’me sens obligé de te prévenir, le mien, c’est que tu vas m’oublier super vite dès que tu me verras plus. Donc fais gaffe, ou note-le quelque part, d’accord ? Pasque si j’dois tout réexpliquer à chaque fois, on s’en sortira pas. J’admets que c’est assez gênant, mais on s’y fait. »
On discute, on discute, mais on arrive au village. La première étape, c’est de trouver leur bourgmestre, maire, ou représentant. Bref, celui qu’a contractualisé avec la Guilde.
« T’as le topo de ce qu’on doit faire, au fait ? »
J’viens de penser à un truc plutôt rigolo, j’sens qu’on va bien s’amuser…