Je me suis fait beau.

Attention, je vous vois venir avec vos yeux écarquillés et vos bouches béantes. Whiskeyjack peut-être encore plus séduisant qu’il ne l’est d’habitude ? Il est vrai que je suis plutôt charmant en règle générale, mais là, j’ai décidé de faire un brin de toilette supplémentaire puisque une occasion se présente. Et je vois déjà fleurir vos petits sourires entendus et je peux vous répondre que, oui, il y a une donzelle sous l’histoire, mais vous n’y êtes pas. En avance des festivités du solstice, j’ai droit à participer à une petite soirée qui s’annonce sympathique de part de gens que je fréquente régulièrement pour les affaires. Une sorte d’avant-gout aux grandes festivités et vous connaissez mon attrait quand il s’agit de boire de l’alcool, de parler aux gens, de jouer de la musique et de vivre une soirée sympathique. Il est vrai que j’ai rendez-vous avec une gente dame dans la soirée, mais n’allez pas vous faire des idées. C’est purement professionnel et il est important de savoir distinguer travail et vie privée. Ou sinon, vous ouvrez la porte à la déliquescence de notre belle et honorable société. Et ça, c’est quand même pas très sympa.

Pour l’établissement, ça ne vous dira rien, je pense. C’est fantastique comme quoi tout le monde trouve des lieux de vies et de boissons que d’autres ne connaissent pas, apparaissant de nulle part comme s’il sortait de l’imagination fugace d’un écrivain amateur. Fou, hein ? C’est ce qui est beau dans cette vie, c’est que la surprise est au coin de chaque ruelle, au détour de chaque alcôve et surtout dans chaque verre. L’établissement, donc. Les caves Alliers. Un joli nom qui le porte bien. On descend un petit escalier qui mène au sous-sol et à des caves parfaitement aménagés, avec une lumière faisant le jeu du clair et de l’obscur par des lampes magiques bien placés. Derrière un comptoir qui pourrait accueillir un peloton de la garde quand ils ne sont pas occupés à se faire des cachotteries, c’est Mauris, le tavernier. Un grand gaillard qui a l’habitude de marcher vouté dans son établissement. Toujours un sourire poli aux lèvres, toujours un petit mot sympa pour les amis, toujours un gout de gourdin pour les indésirables. Mauris protège jalousement la réputation discrète mais respectable de ses caves qu’il a fait récemment agrandir par l’acquisition de celles voisines, créant de nombreuses alcôves privatives et petites pièces pour petits groupes de joueurs divers et variés.

J’arrive tôt, mais Mauris ne s’en étonne pas, j’arrive souvent tôt. Alors que son équipe du soir met tout en place ; nettoyer les derniers verres, placer les chaises, libérer l’espace pour les musiciens, passer un dernier coup de balai ; il vient me serrer la pince et on se tape bien dans le dos.

-T’as une bonne mine Jack. Impatient ?
-Surement, Mauris. Ça fiat une paye que t’en parles de cette soirée.
-Pour sûr. Toutes mes relations seront là. Des gens bien, pas trop pédant, plutôt joueurs et gentils. Comme toi quoi.
-Je suis pédant ?
-J’ai dit pas trop.
-Tout de même.
-Sauf toi.
-Ah, merci Mauris. J’ai cru que t’allait chambouler des mois de bonnes relations. J’étais à deux doigts de tourner les talons.
-Et fuir mes futs de Gallias ?
-Tu marques un point.

Sacré Mauris. Il est bien bon. Ce petit humour pince sans rire. Vrai que c’est pas apprécié par tout le monde. On ne peut pas rire avec tout le monde disent les mecs bourrés des quatre heures trente. Certains se vexent. C’est triste, alors que c’est juste des petites blagounettes et la vie est tout de même plus belle quand on rigole un peu, non ?

-T’as ramené ton masque ?
-Bien sûr. Regarde-moi ça. J’ai copié sur un collègue de travail.
-Sympa. C’est bien fait. On s’y croirait.
-Je sais.

Que serait une soirée pleine de surprise sans des masques pour se dissimuler le visage. Ayant croisé mon copain Vraine à la guilde récemment, je me suis dis que ça serait rigolo d’avoir un masque qui lui ressemble, loin des classiques masques de Fenrir ou de dragon. Ces gens qui ne pensent qu’à vouloir ressembler à ces fabuleuses créatures sont quand même sacrément bizarres et quand même bien bête, parce que dans le fond, ils ne crachent pas du feu. Alors ça marche pas. Malin, le Whiskeyjack. Mais c’est la vie, on s’en accommode.

-Tu vas t’ennuyer, Jack, à rester seul en attendant les autres.
-Ne t’inquiète pas pour moi. Fais ce que tu as à affaire. Je connais un type qui passe des heures et des heures dans une boite à chat, il a pas l’air de s’ennuyer.
-Y’a des gens tarés partout.
-Tu l’as dit.

-Yep, une bonasse, comme toujours. Marmonna une bonasse en s'admirant devant le miroir, mains sur les hanches.

Décidément, Astrid ne se lasserait jamais de s'admirer devant un miroir, même brisé. Après tout, qui pouvait résister à ces formes, à cette poitrine, à ces hanches ? Si elle était resté le vieillard de 83 qu'elle était réellement à l'intérieur de ce corps, elle n'aurait pas hésité une seule seconde à lui mettre la main au cul avant de se prendre un coup de coude dans la tronche. Mais cela dit, aujourd'hui, elle était encore plus resplendissante que d'habitude car elle avait eu la décence de se coiffer et d'enfiler des vêtements propres et fraîchement lavés sans aucune trace de vomi ou de sang. C'était assez rare pour Astrid d'avoir des vêtements propres pour être mentionné et pour qu'elle se sente bien, avec cette légère pointe de fierté d'avoir fait quelque chose de productif.

Pourquoi, me diriez-vous, un tel soin en une telle journée de la part d'une personne qui ne se souciait guère de son apparence et de son odeur corporelle? Simple comme bonjour : l’appât du gain. Elle avait un loyer à payer, des bières à boire, de la nourriture à gober, et des nanas à faire plaisir pour avoir de la compagnie le soir. Aussi, il fallait bien mettre la main à la pâte, et travailler. Le requête qu'elle avait reçue cette semaine était simple comme bonjour et relativement commune : Une femme soupçonnait son mari – Klyntonne - de la tromper, et elle voulait s'en assurer. Astrid fut donc engagée pour suivre l'homme en question et cela faisait 2 jours qu'elle le suivait, même jusqu'aux chiottes. Toutefois, ses recherches furent couronnées de non-succès, et aujourd'hui, la citoyenne avait appris par la bouche de sa patronne du moment que le mari irait dans les caves Alliers pour une petite fête sans elle. Heureusement pour Astrid qui avait l'exploit et le prestige d'avoir picolé dans tous les coins et recoins de la capitale, n'ayant raté aucun établissement servant de l'alcool, elle avait réussi à se dégoter une petite place. Elle n'y était plus allée depuis quelques mois, mais elle avait tout de même réussi à garder une bonne relation avec le patron Mauris. 'fin, s'il avait accepté de l'inviter, c'était qu'il avait pardonné Astrid d'avoir crée une bagarre dans sa cave non ? Heh.

Ce soir, elle allait à la fois bosser et picoler donc. Si la vie était pas belle avec tout ça. Et, si Lucy lui souriait, elle chopperait l'autre enculé en train de fricoter avec une nana quelconque, et BAM. Un couple ruiné et l'argent va droit dans sa poche en prime ! Sah quel plaisir. Enfin, elle recevrait aussi des sous même si rien ne s'y passait mais c'était moins drôle, clairement. Si motivation il y avait, la citoyenne pourrait également faire en sorte de créer une situation pour que le mari embrasse quelqu'un, heh. Mais ça, c'était à décider sur le tas, et il fallait déjà repérer le gars en question. Parce que, dans toute son originalité, Mauris avait voulu faire une soirée déguisée. Ah bah bravo, merci Mauris pour ton génie ! Ça faciliterait tellement le boulot de la femme à tout faire, ça ! M'enfin. Comme l'a dit un jour l'Ours Grylls, un ami, il fallait improviser, s'adapter, et surmonter. Toujours de bon conseil ce mec.

Armée donc de ses vêtements propres et de son masque, elle alla à l'établissement où se passerait la fête, croisant d'autres personnes déjà masqués allant dans la même direction. Certains ne portaient qu'un masque sur le visage, d'autres couvrant la tête...Hmmm...Ce ne serait pas facile. Astrid suivit les autres invités et arriva au sous-sol, remarquant qu'il y avait déjà pas mal de monde.
Elle prit une petite inspiration, puis s'exclama à travers la musique ambiante qui avait commencé:

-BONSOIR LE MONDE ! J'espère que vous êtes prêts à faire la fête et que personne ne deviendra fou Alliers dans ces caves ce soir, hein Mauris ?!

Se faire passer pour une débile, fait, et facilement même. Elle réussit à arracher quelques rires, mais c'était surtout des facepalms qu'elle vit dans l’audience. Pas facile, ça.
Le dit Mauris reconnu immédiatement la voix de la citoyenne à travers le masque ainsi que son humour de merde et garda son sourire poli sur le visage. Cela dit, il se permit de pointer son index et son majeur sur ses yeux avant de les pointer vers Astrid, lui faisant clairement comprendre qu'elle serait surveillée. Intérieurement, il devait sans doute regretter d'avoir accepté sa présence ici.
Hmm ? Son masque ? Allons. Il était évident, et accaparait tous les regards tant il était majestueux.
…
Un masque de clown.

-C’est qui ?
-Des problèmes.
-Ah, merde. C’est quand même pas cool.
-Mais ne t’inquiète pas Jack, ça va bien se passer. Je connais le phénomène. J’ai recruté quelques gros bras pour ce soir, s’il y a du grabuge, ils le feront pas très longtemps.
-Des vigiles ? C’est que c’est un métier compliqué, tout de même. Devoir rester sérieux pendant que les gens font la fête. Moi, je saurais pas.
-C’est comme tavernier, Jack. Faut que je reste sérieux pour servir mes clients. Et mes amis.
-C’est vrai. Mais tu profites quand même de la soirée ?
-Surtout des amis.

Oh. Qu’il est chou, Mauris. Un vrai gars. Je termine mon godet d’un trait. Le dernier d’une triplette rafraichissante pour se mettre en jambe. Et puis je fais un tour d’horizon de l’ambiance. L’est encore temps, mais les gens affluent. Tous masqué. Certains mêmes déguisés, le genre de gus qui vont pas s’arrêter de fêter le solstice, même après deux semaines de la fin des festivités. Les gens sont majoritairement pas trop chauds pour l’instant. On se jauge. On s’épie. Et on se rejuge. Qui peut se cacher derrière ces masques ? Un ami ? Un ennemi ? De la famille ? Moi, je ne vois que des amis. Et des gens à rencontrer. Des serveurs passent entre les invités, prenant les commandes et les apportant. On reste sur du soft. Pas d’alcool particulièrement corsé ; l’assemblée est consciente que la soirée sera longue et enivrée. Vrai que finir arracher à peine la fête entamée, c’est quand même un peu ridicule.

Quelques notes commencent à naitre au milieu des fêtards. Un petit groupe a pris le contrôle d’une alcôve et installe divers instruments de musique. Répondant au doux nom de « Les vachers Fringants », ils semblent proposer une musique énergique et moderne malgré leur nom qui sent bon la bouse et le terroir. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences. Les spectateurs sont dubitatives, sauf quelques-uns qui semblent connaitre le groupe et qui s’ambiancent d’avance, lâchant quelques encouragements aux musiciens juvéniles. Je passe à côté sans trop m’attarder, surtout que j’attire le regard, surement grâce à mon masque intrigant et mon physique d’esthète. C’est que malgré la paperasse et le travail de réflexion intense, examinateur de la guilde, c’est un boulot assez physique. Je me doute bien que je suis plutôt bien physiquement, mais je ne fais pas étalage de mes qualités. Il faut savoir rester humble et ne pas écraser ceux qui peinent à s’élever au-dessus de l’indifférence. Certains me reconnaissent, à ma grande surprise. Je pensais mon masque plutôt déroutant. Evidemment, j’accepte ma défaite et on se salue, on parle de tout et de rien, puis on se sépare. On se reverra plus tard. En train de boire, surement.

Je finis par tomber sur le problème de Mauris bien occupée à vider le plateau d’un serveur. Sacré descente que je lui fais remarquer avant de me présenter, parce que c’est important.

-Whiskeyjack. Mais vous pouvez m’appeler Jack.
-Astrid. Mais tu peux m’appeler Trid.
-Tu fais partie des Dames de la Nuit ?

Un nom assez pompeux, j’en conviens, mais c’est le nom donné à une petite groupe de jeune femmes bien en vue et bien à marier tout autour desquelles tournent une bonne partie d’hommes, et de femmes aussi, désireux de mettre fin à cette situation. Elles ont pour chef une jeune femme à la beauté fatale du nom de Triss qui a, en plus de bénéficié d’un charme naturelle puissant, est la fille unique d’un bourgeois qui n’a pas de souci à se faire avec l’argent. Mauris a eu beaucoup de mal à attirer ces dames dans son établissement, mais à force de connaitre un ami d’une ami d’une ami mais pas trop quand même, on finit par tirer les quelques cordes pour attirer ces oiseaux rares. Et sur ce coup, Mauris s’est assuré une fête réussie puisque bon nombre de prétendants vont vouloir trouver intérêt à l’une d’entre elle. Voir à la séduisante Triss pour les plus hardis d’entre eux. Les rumeurs disent qu’elle fait preuve d’un plaisir pervers à céder son intérêt au prix d’une débauche d’énergie de la part de ses soupirants. Heureusement, ce sont des informations qui circulent peu et lesdits prétendants se renouvellent sans cesse.

J’ai déjà identifié les favoris à la course, sur la base de quelques informations glanés çà et là par mes informateurs. Car il est important d’être bien renseigné. Il y a évidemment une toute fraiche recrue de la garde royale répondant au nom de Rulian, en permission ce soir-là, lorgnant lubriquement sur la plastique de sa cible. Né d’une bonne famille et promis à un bel avenir, le Prétorien associe bonne réputation, physique solide et avenir brillant. Il y a aussi Jasker qui brille par sa poésie et par sa culture. Bourreau des cœurs, il semble avoir trouvé sa nouvelle cible, peut-être la dernière, qu’il saura cueillir par ses mots et son sourire mielleux. Habitué à charmer les femmes des milieux aisés, voire la noblesse, il en connait les codes. Enfin, il y a Declar qui après une courte carrière d’aventurier, c’est lancé dans le commerce d’animaux rares, morts ou vivants, intact ou en morceau. Les histoires qu’on raconte sur sa carrière d’aventuriers, son réseau et ses connaissances en font un personnage intrigant, amusant et plein de potentiels.

Il y a tout un tas d’autres prétendants, mais si j’avais une pièce à mettre sur quelqu’un, ça serait sur eux. Et il suffirait qu’il se passe n’importe quoi ce soir pour que toutes les cartes soient redistribuées.

Hmmm, où était donc ce satané Klyntonne ? En quoi s'était-il déguisé ? Il ne devrait pas être difficile à trouver pourtant. Il avait dans la quarantaine et avait déjà les cheveux grisonnants. S'il ne portait qu'un masque, il serait facile de le retrouver, par contre s'il portait une tenue complète, s'était teint les cheveux ou se couvrait la tête…
Astrid était en pleine phase de réflexion, observant minutieusement chaque invité, leur mouvement, ce qu'ils disaient, lisant sur leurs lèvres au travers du brouhaha ambiant, mais s'arrêta net lorsqu'un serveur lui proposa un verre.
…
Baaaaah ! Elle avait bien mérité une pause ! Elle reprendrait ses recherches plus tard, héhéhé.
Elle prit un verre et le but cul-sec, poussant un petit soupir de soulagement. L'alcool, ça faisait toujours du bien par là où ça passait. Même bon, l'alcool était un peu naze et faible. La citoyenne avait juste l'impression d'avoir bu un jus, ou de l'eau. Mais c'était juste le début de la soirée, donc ça se comprenait que le vieux Mauris voulait finir par le meilleur.
Voyant que Astrid avait pris verre, le serveur s'était préparée à repartir mais il se fit retenir par l'alcoolique qui eut un sourire amusé :

-Voyons, pourquoi partir si vite ? Il y a d'autres verres sur ce plateau ! Dis-moi d'ailleurs, tu saurais pas où est Klyntonne dans le tas des invités ?

-Euh, non madame.

-Ah zut.

Meh. C'était donc reparti pour d'autres verres ! Bien sûr que le serveur n'allait pas reconnaître les invités. Pour ça, il faudrait demander à l’organisateur, à Mauris lui-même.
Puis, comme ça, une personne vient aborder une Astrid qui venait de terminer un autre verre.
Whiskeyjack qu'il s'appelait. Astrid ne prit même pas la peine de cacher son rire en entendant ce nom stupide. Est-ce que c'était son vrai nom ou un alias ? Aucune idée. Mais si c'était son vrai nom, quelque chose disait à Astrid que ses parents devaient bien aimer le whiskey. Le père, ou la mère, heh.
Et puis, son masque était bizarre au mec. Il avait le visage d'un homme sur lequel la jeune femme avait envie de jeter des éclairs au chocolat. Hmm.
Bizarre, mais bah.
Jack lui posa donc la question si Astrid faisait partie des Dames de la Nuit.
Hein ? Qu'est-ce que c'était que ce nom de merde ? Les Dames de la Nuit ? Euh….Est-ce que c'était le nom qu'on donnait aux femmes qui picolaient tous les soirs et qui font le tour de toutes les tavernes une fois la nuit tombée ? Possible. Astrid avait après tout une sacrée réputation.

-Une Dame de la Nuit ? Répéta Astrid en ne se cachant pas le moins du monde.  Un peu mon neveu ! Elle reprit ensuite en chuchottant : tiens mon pote, tu connaîtrais pas Klyntonne à tout hasard ? Tu sais pas où il est où parmi la foule ?

Les gens autour d'elle se retournèrent pour la regarder, mais l'ex-commandante pensa que c'était parce qu'elle avait parlé un peu fort.

-Une Dame de la nuit ? Chuchota l'un d'entre-eux.

-Buuuuuurp. Confirma Astrid avec un rot.

Les gens détournèrent rapidement leur regard, remuant la tête de droite à gauche, ne croyait de toute évidence pas qu'Astrid avait sa place ici, ou en tant que Dame de la Nuit. Une femme si peu raffinée ne pouvait pas être l'une d'entre elles.

-C'moi la meilleure des Dames de la nuit ! Personne peut me battre ! Continua-t-elle en levant son verre à moitié vide.  Et j'en suis presque triss…. Elle ne termina pas sa phrase, laissant simplement un autre rot grossier : burp. Oula.

De nouveau, des têtes se tournèrent vers la jeune femme avec le masque de clown.

-Triss ?

-Non, c'est impossible…

-Hein ?

De quoi ils parlaient ?

Au loin, Astrid pu voir Mauris se frapper le visage avec la paume de sa main. Elle avait dit quelque chose qui ne fallait pas ? Sa capacité à attirer les problèmes malgré elle remontait donc à la surface, car bientôt, deux hommes se dirigèrent vers elle en vue de l'accoster.
Oh merde.
L'un d'eux, un gars qui avait un physique de combattant, s'adressa à la jeune femme en faisant une révérence :

-Bonsoir, je me nomme Rulian. Je suis honoré de faire votre connaissance ce soir grâce à cette fête. Me permettriez-vous de….

-Morte de rire, t ki ? Répondit Astrid.

Le choc se lut sur le visage de l'homme qui ne semblait pas comprendre le langage utilisé par Astrid.
Le deuxième homme, un homme qui était agréable à l’œil se présenta à son tour en prenant la main de la jeune femme pour y déposer un baiser.

-Salutations douce jouvencelle. Je suis Jasker, j'ai entendu dire que….

Whoa, ils étaient lourds. Plus lourds que d'habitude. Elle avait l'habitude de se faire accoster, mais pas d'un coup comme ça alors que y'avait d'autres nanas dans le coin. Qu'est-ce qui avait pu provoquer tout ça ?

-Wesh Jack mon pote, tu m'expliques ?

-Prenons un peu d’espace. Je crois qu’ils sont jaloux.

Je pose une main sur la hanche opposée de mon associée du moment pour la guider à l’écart, en l’occurrence, le bar, ce qui le mérite d’attirer l’attention de la demoiselle. Et bah, mon petit Whiskeyjack, je crois pas que t’as tiré le gros lot. Qui l’eut cru que tu puisses tomber sur la reine des soirées, Triss en personne. Vrai qu’au premier abord, elle ne correspond pas vraiment à l’idée qu’on se fait de la dulcinée, mais bon, les idées, c’est fait pour être balayé d’un revers de main. Surtout vue la descente qu’elle a malgré son petit ménage, elle doit pas être une mauvaise personne. C’est une stratégie plutôt fine. Casser les codes, mettre ses prétendants dans une situation imprévue pour constater leur capacité à improviser, à se surpasser même, ou à voir le véritable niveau d’intérêt qu’ils ont pour sa personne. Et puis, elle a visiblement un prétendant en visu. Klyntonne ? Jamais entendu parler. Jamais ne veut pas dire intéressant. Peut-être un pseudonyme. Ou quelqu’un d’important tissant des liens dans l’ombre. Bref, elle peut tout faire, tout dire, tout exploiter. Et ils ne peuvent rien dire, puisque l’on est tous masqué. Chacun peut jouer n’importe qui.
Habile.

On arrive au comptoir, après avoir passé plusieurs convives qui nous regardaient avec la bouche béante de ceux qui sont visiblement jaloux. Il est vrai qu’un couple composé d’un des parties les plus séduisants du coin et d’un type aussi sympathique que moi, c’est un peu mettre tous les meilleurs œufs dans le même panier. On a chuchoté sur notre passage. On ne va pas tarder à être les rois de la soirée et je compte bien en profité, Triss ayant visiblement succombé à mon charme naturelle. Enfin, Astrid, son pseudonyme. Ne brulons pas les étapes. Aussitôt le coude sur le bois massif, Mauris nous accoste avec la tête affolée de celui qui n’arrive pas à contrôler ce qui se passe. Tu aurais pu te douter que ce genre de rencontre du destin aurait pu arriver, Mauris. Voyons.

-Qu’est-ce que je vous sers ? Jack ? On peut parler ?
-Sers nous quelque chose de bon. Avec des céréales hein, pas des fruits. Héhé.
-Oui… Bien sûr. On peut ?
-Je reviens, « Astrid ».

Clin d’œil. Clin d’œil.
On s’éloigne d’un mètre.

-Jack ! Tu ne sais pas dans quoi tu as mis les pieds.
-Allooooons. Rassure-toi Mauris. J’ai la situation bien en main, si tu vois ce que je veux dire.
-Tu te trompes Jack, écoute-mo.
-Allez Mauris. J’avais pas bien compris quand tu parlais de problème avec elle, tu l’as reconnu tout de suite en plus. Chapeau ! Tu veux me protéger d’elle, je comprends, mais je suis un grand garçon, il peut rien m’arriver. Je saurais pas m’attacher.
-Non mais Jack. C’est pas ce que tu crois ! Tu te trompes de personne !
-T’es trop sympa Mauris. Vraiment. Mais rassure-toi. Parole de Whiskeyjack. On est pote ?
-… Mais… que… Oui… oui, on est pote. Mais…
-T’inquiètes. J’assure.

QU’il est chou Mauris. C’est vraiment un bon pote. Je retourne du côté de ma conquête du moment qui a déjà bien entamé sa boisson et alors que le petit groupe se lance dans de la musique un peu plus rythmé, une rumeur traverse les rangs avant que j’ai eu le temps de m’offrir quelques échanges à doubles sens.

-C’est une imposture !

V’là que la foule s’est fendu pour laisser place à une autre donzelle aux charmes certains. Son masque représentant un Fenrir ne divulgue aucun de ces traits du visage, la préservant totalement dans l’anonymat. Elle est escortée par d’autres femmes, un pas en arrière comme une cour escortant la pièce maitresse du groupe. Elle pointe un doigt accusateur vers Triss à moitié occupé à finir le breuvage de Mauris, prenant à partie le voisinage proche. Non loin, les différents prétendants observent les deux femmes avec un regard mélangeant incrédulité et indécision.

-Elle n’est pas celle qu’elle prétend être !

Je ne suis pas de ceux qui sombrent dans le scepticisme dès la première accusation lancé. Mon petit doigt me dit qu’on a l’a quelqu’un qui tente de surfer sur la popularité de la véritable Triss et qui cherche à profiter du relatif anonymat de chacun pour faire croire à tout le monde qu’elle est la véritable Triss. Malin. Si ma voisine se révèle, la rencontre masquée n’a plus de sens et elle sera obligée de partir, laissant les reines de la fête à la véritable imposteuse. Très habile. Le jeu des manigances des femmes d’ici est décidemment d’un autre niveau. Mais en bon diplomate, j’essaie d’intervenir avant que tout cela ne dérape. L’important, c’est tout de même de passer une bonne soirée. Je me lève, les mains levées en signe d’apaisement.

-Qu’elles se révèlent ! Nous saurons !
-Allons. Allons. Tout ceci n’est pas indispensable. Ne gâchons pas la soirée si inutilement. Apprécions l’audace, rejetons les méprises.
-Je n’accepte pas cette situation !
-Oui, bien sûr. Ma dame. Pourquoi nous… ne vous départagerions pas sur des épreuves … indiscutables ?

Des jeux. En somme. Parce que boire, c’est bien. La musique, c’est sympa. Mais les jeux au milieu de tout ça, c’est tout de même drôle.

-Jaloux ? De quoi ? De qui ? Ohoh, pas besoin de me le dire, j'crois que je comprends héhé.

Peut-être du fait que LA Dame de la nuit, LA meilleure fêtarde de la capitale en prime d'être une si jolie jeune femme traînait avec un inconnu qui avait un masque sur lequel on jetterait bien des pâtisseries. Heh. Ce ne serait pas étonnant tout ça. Il était vrai qu'Astrid était bien roulée même si elle ne portait pas de robe moulante ou tout autre habits suggestifs. Pour quiconque ne la connaissant pas, elle était une personne resplendissante et pleine de charme avec pleins d'atouts. Mais il suffisait qu'elle ouvre la bouche une fois pour que toute illusion se fracasse tel un miroir jeté du haut du palais royal et tombant directement sur le crane d'un garde ayant le malheur de passer en dessous au mauvais moment. C'était d'ailleurs ce qui s'était probablement passé pour les deux gugusses qui étaient venus l'accoster. Il n'y avait que ce bon vieux Jack pour ne pas en être choqué.
D'ailleurs, celui-ci l’emmena au bar pour picoler encore plus. Nice. Alors que l'autre lui mettait la main sur les hanches, Astrid elle lui passa un bras autour de ses épaules, comme de vieux potes se connaissant depuis toujours. Effet de son pouvoir ? Non non, elle se conduisait toujours de manière familière comme ça, avec n'importe qui.
Mais avant de partir, elle prit un énième verre sur le plateau du serveur qui était resté planté là, bouche bée.

-Yo Mauris !  S'exclama Astrid en finissant d'un trait son verre. Comment ça va ? Tu m'en veux pas trop pour la dernière fois hein ? Euh, sers moi un verre de whisky ! En l'honneur de Jack que je viens tout juste de rencontrer ! L'est sympa.

Tiens, Mauris voulait parler à Jack en privé. Ce dernier accepta et en partant, fit plusieurs clins d’œil insistant à la citoyenne. Hmm, bien sûr ! Il allait négocier le meilleur alcool que Mauris pouvait sortir ou une activité pour rendre cette soirée moins chiante ! Qu'il était sympa ce mec.
Pendant qu'ils parlaient, Astrid sirotait son verre tout en observant les invités qui….l'observaient. Elle avait dit ou fait quelque chose qui ne fallait pas ? À part se montrer grossière comme d'habitude, pas tellement. Et pourtant, elle était surveillée, alors que normalement, c'était son job de les surveiller pour trouver Klyntonne. Tiens, maintenant qu'elle avait Mauris tout proche qui venait de finir sa discussion avec Jack, elle devrait en profiter.

-Hey Mauris, tu connaîtrais pas Klynt….

-C'est une imposture !

-Le nain a quelle posture ? Réagit la citoyenne du tac au tac en entendant quelqu'un crier.

La personne qui avait lancé Astrid sur ce jeu de mot totalement à chier se montra avec un masque de Fenrir, suivit de plusieurs autres jeunes femmes. Berk, un Fenrir. Quel animal de merde. Pourquoi choisir un masque comme ça ? Ça donnait à Astrid des frissons de dégoût et elle éprouvait déjà une certaine aversion pour la porteuse, malgré la poitrine et les formes qu'elle avait. « Je te baiserais bien, si t'avais pas ce masque de merde ! » se lisait sur son visage.

-Elle n’est pas celle qu’elle prétend être ! Dit l'autre tout en pointant du doigt Astrid.
Hein ? La citoyenne était donc visée ?

-Comment ça je suis pas celle que je prétends être ? Tu veux dire l'histoire de la Dame de la Nuit ? Pfff ! Personne peut m'arriver à la cheville ! Pour faire la fête la nuit. Ces accusations me rendent vraiment Triss….Burp.

Décidément, elle rotait bien ce soir. C'était un signe que l'alcool était bon.
Jack tenta de calmer le jeu pendant que les autres voulaient qu'elles retirent leur masque .

-Hein ? Vous voulez vérifier si je suis bien moi ?! Bah vazy alors !

Astrid ne voyait pas le problème de le faire et était à deux doigts d'enlever son masque de clown, mais son ami du moment avait une autre idée en tête.
Des épreuves ?

-Bonne idée ça ! Approuva la citoyenne en tapant dans le dos du Jack.  On verra bien qui est vraiment la Dame de la Nuit. Et comme on me traite d'imposteuse, je choisis le premier jeu ! Euh…

Elle se gratta le haut du crane, réfléchissant à un jeu digne des plus grands fêtards. Un concours de beuverie pour voir directement qui serait le premier à rouler sur la table et à qui revenait le titre de droit ? Il était encore un peu tôt pour ça.

-Bingo ! Je sais ! Un duel de danse ! On va sur la piste chacune not' tour et le public décidera de la meilleure danse !

Des murmures s’élevèrent. Il était vrai que pour une Dame de la Nuit, danser était essentiel. Si l'une des deux ne savait pas danser, l'imposture serait alors révélé à la vue de tous.
…
En tant que fêtarde incontestée de la capitale, danser était en effet d'une importance capitale !
L'autre grognasse se sentait apparemment confiante car elle n'hésita pas un seul instant et accepta:

-Je commencerai donc. J'aurai besoin d'un partenaire.

Pour être franche, Astrid aurait bien dansé avec la bonasse, mais bon. Elle avait son titre de Dame de la Nuit à défendre, donc elle attendrait.
En attendant que l'autre se décide sur quelle musique danser, Astrid dit tout bas à son pote :

-C'est le moment de se faire des cristaux mon vieux. Lance des paris auprès des autres invités, c'est un bon moyen de se faire du fric, je prends 50 % des bénéfices !

Et, à côté, le bon vieux Mauris se frappa de nouveau le visage avec la paume de sa main, dépassé par les événements.
Quelque chose disait à la citoyenne aux cheveux blancs que le patron ne voudra plus la revoir avant un bon bout de temps, après cette soirée, heh.

T’as vu Mauris ? On te met une ambiance de folie. C’est bon pour les affaires. Je lui lance un petit sourire plein de sous-entendus alors que je capte un retour le regard de quelqu’un d’inquiet. T’inquiètes, je gère. Je prends la recommandation d’Astrid et je lui assure que ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Vous allez me dire, Whiskeyjack, cautionner les jeux d’argents ? Mais enfin, c’est un peu le sang et la sueur des soirées conviviales entre amis. Un jeu de cartes, des dés, des osselets, tout est bon pour mettre un peu de hasard, de compétition et de bluff entre les gens pour animer un bon moment. De l’autre côté, la fausse Triss passe en revue les candidats pour l’accompagner dans sa danse. Décision stratégique très pertinente. Avec un partenaire, elle a plus de chance de paraitre plus à son avantage et si le niveau à atteindre ne l’est pas, elle pourra toujours rejeter la faute sur le mauvais danseur et s’en tirer avec quelques honneurs. Malin.

Après avoir échangé quelques mots avec Mauris, je vois le cultivé Jasker fendre la foule et proposer ses services à l’imposteuse. Un vent de commentaires flatteurs parcourt le public qui fait un peu office aussi de jury. Avant que la décision ne soit entérinée, je m’interpose.

-Mesdames et messieurs. Il me semble que beaucoup ici connaissent Monsieur Jasker pour sa maitrise des arts de la musique de la poésie et de la danse. Il serait peu pertinent d’employer ses talents dans ce duel. Il est important que cela soit fait en toute impartialité. Le partenaire devrait être pris au hasard, plutôt !

Vague d’indignation, puis on voit qui a parlé. Moi. On rediscute à demi-mots et changent d’avis. Jasker est séparé de la dame, cachant difficilement sa frustration et me lâchant un regard qui m’aurait tué sur place si ça avait été des lames retours. La fausse Triss aussi. Puis un fin sourire se dessine sur ses lèvres délicates.

-Peut-être que vous pourriez être mon cavalier. Vous prenez parti pour cette pouf… femme. Vous serez donc impartiale dans ma danse.
-Oh. Si vous insistez. Juste cinq minutes.

Piégé. Pieds et poings liés. Je ne peux qu’accepter. Fort. Très fort. Je m’attire la haine de plusieurs candidats ignorés dans l’affaire et ça me chagrine. Au mieux, on arrivera à se réconcilier autour d’une bière quand ils s’apercevront de leur erreur et que la véritable Triss est celle que je soutiens. Et dans ma grande mansuétude, je les pardonnerais. Le pardon, c’est quelque chose d’important. Tout le monde n’en a pas et c’est pour ça que parfois, les gens sont détestables. Je suis quelqu’un d’apprécié et je pardonne. La logique est respectée. Je m’écarte un peu du cercle qui s’agrandit justement pour offrir une piste de danse acceptable et je me dirige vers le comptoir ou Mauris m’attend d’un pied ferme. Je fais tomber le gilet pour être mieux à mon aise.

-Un galopin steuplait. Et un bon. J’ai du boulot.
-Jack ! Mais qu’est-ce que tu as foutu ! Je me suis d’accord avec Jasker pour…
-Ne t’inquiète pas. Quand elle perdra, elle aura besoin d’être réconforter et ton ami pourra s’en occuper.
-Mais bordel, tu te trompes. La vraie Triss, c’est l’autre.
-Oooh ? Mauris ? On est jaloux qu’elle est jeté son dévolue sur moi ? Pas très joli tout ça. Mais je ne t’en veux pas. Tu veux pas plutôt organiser les paris ? Je sais que t’aimes pas.
-… Vrai que ça peut rapporter.
-De juste ! Allez, mon pote. Est-ce que c’est pas une bonne opportunité ?
-Mouai. Dix de perdu pour une bonne opportunité.
-Je te fais une fleur là.

Il me sert le galopin, je le vide. Je regarde fixement devant moi, me concentrant dans ce qui va suivre. Pendant ce temps, Mauris fait l’appel pour les paris et une vingtaine de candidats se précipitent, agitant des bourses dans leur main comme s’ils s’attendaient à ça avant même de venir ici. Je fais le vide dans ma tête, faisant abstraction du remue-ménage, puis je retourne vers la scène ou m’attend ma partenaire avec un air à moitié amusé, à moitié désabusé. Sur le côté, Astrid fait des élongations comme si elle s’apprêtait à faire le cent mètres, encourageant sa concurrente entre deux gorgées. Derrière, son garçon de café attitré attend la prochaine commande de la dame de la nuit. Je m’arrête pas trop là-dessus et j’entre dans le cercle avec l’assurance de l’homme qui sait parfaitement ce qu’il fait. Je lève le bras et je claque des doigts, attirant l’attention des musiciens. Il suffit d’un mot.

-Batusi !

Et ils comprennent. Trois. Quatre. La musique se déclenche. Entrainante et je me commence à me déhancher sur scène. La fausse Triss part sur quelque chose de plus classique, mais reste dans le ton, un peu surprise par le thème de danse choisi. C’est qu’une dame de la nuit se doit de connaitre toutes les danses. Elle ne peut se résoudre à abandonner si facilement. J’enchaine les postures avec une confiance totale et ma partenaire prend aussi de l’assurance, se permettant quelques approches collé-serré qui font jaser dans les premiers rangs. La musique finit par s’accélérer et c’est une répétions de la première partie en gardant le rythme. On se chauffe, mais on ne faiblit pas. La salle retient sa respiration comme si notre duo était très agréable à regarder. Même Astrid apprécie. C’est bien la preuve qu’on est dans une ambiance bonne enfant au final. L’important, c’est de s’amuser. Et puis les dernières notes et c’est fini. La salle applaudit énergiquement et Mauris s’en tire avec un sourire satisfait. Tout se déroule mieux que ce qu’il pensait. J’adresse un petit signe à ma partenaire de danse qui me répond par un baiser au vol. Ça jase. Ça fait parler. Là encore, elle se comporte comme ce qu’elle prétend être. Faire parler d’elle, c’est important. Il en faut pour préserver le doute.

Le public appelle alors Astrid à entrer des pistes, ce qu’elle fait telle une rockstar. Et puis une voix s’élève.

-Pour plus d’équité, elle devrait avoir un partenaire.

La fausse Triss, encore elle. Décidemment, elle abat ses atouts avec talents. Il est vrai qu’Astrid doit être accompagnée pour que ce soit impartial. Qui prendre ? Autant que ce soit au hasard. Je me tourne vers le premier type venu.

-Bonsoir. Votre nom c’est ?
-Klynt … Histwoud. Histwoud.
-Okay Histwoud. Ça vous dit de danser avec la dame de la nuit ?
-Euuuh…
-Allez-y.

Je le pousse d’une main ferme et il se retrouve au centre de la piste avec Astrid, commun agneau dans une arène avec un Ours à l’heure du quatre heures. Les parieurs observent le nouveau venu avec dédain, puis ils parient. Beaucoup contre Astrid. Hommes de peu de foi. La sale retient son souffle. Musique ?

Les spectateurs applaudirent après la danse endiablée de Jack et de l'autre nana. Pas à dire, ils se débrouillaient bien, et la musique était entraînante. Elle aurait elle même applaudit si elle n'avait pas eu de chope dans la main. Chope qu'elle termina d'ailleurs d'une traite quand on l'appela enfin sur scène.
Elle avait eu le temps de s'échauffer non seulement le gosier, mais aussi le corps. Après tout, elle ne voulait pas risquer une quelconque blessure avec ce qu'elle s’apprêtait à faire. Ce serait un peu con !

-Hey Jacky.  Chuchota la citoyenne à son ami du soir en lui donnant des coups de coude complice, après avoir aperçu ce baiser à distance. On dirait que t'as une touche avec l'autre nana huéhuéhué.  

HmmMMmmM, s'il était possible, Astrid aurait bien aimé tenter de draguer l'autre nana pour avoir de la compagnie ce soir, mais si elle avait déjà des vues sur Jack, elle n'allait pas faire sa salope et s'interposer. « Les potes avant tout » comme disait le proverbe.

-Hein? Un partenaire moi ? Euh pas bes….

Avant de finir sa phrase, un inconnu apparut sur la piste de danse avec la citoyenne. L'homme portait un masque de Fenrir qui lui recouvrait entièrement la tête, aussi il était difficile de pouvoir le juger quant à ses capacités de danse.

-T'sais danser ?  

-Euh...Oui oui.

Hmmm, probablement des danses de riche dans des bals de la haute sphère, imagina la femme aux cheveux blancs en regardant ses vêtements et la qualité de son masque. Pas vraiment le partenaire idéal pour ce qu'elle prévoyait.
Cela dit…
Heh, un sourire amusé apparut sur son visage et elle alla sur la scène où jouait les musiciens pour chuchoter au meneur ses instructions. Ce dernier haussa les sourcils à plusieurs reprises, mais finit par sourire lui aussi et donna ses instructions à voix basse à ses amis musiciens.
Sans attendre, Astrid retourna sur la piste et s'exclama :

-Musique !

La mélodie commença, et le public ainsi que le partenaire reconnurent une mélodie simple et commune qui se jouait dans toutes les festivités préparées par des nobles. Astrid et l'homme au masque de Fenrir face à face se firent une courbette et commencèrent à danser en se tenant la hanche et la main, bougeant à l'unisson. Cette danse n'avait rien d'exceptionnelle ou d'originale mais était raffinée et fortement appréciée dans les hautes sphères. Elle demandait de l’entraînement, de la rigueur, une bonne coordination et….
La musique changea soudainement du tout au tout, remplacée par un rythme plus entraînant et énergique qui eut le don de surprendre à la fois le partenaire d'Astrid mais également le public.
Celle-ci par contre l'avait attendu avec impatience et poussa l'inconnu au masque de Fenrir pour avoir de la place sur la piste. Elle commença tout d'abord à se déhancher, puis mit ses mains sur le sol pour effectuer des rotations sur elle-même à l'aide de ses jambes. Elle enchaîna ainsi plusieurs sortes d'acrobaties et de figures sur le sol démontrant une souplesse et une force qu'on ne lui aurait pas attribués au premier regard. Tout cela s’enchaîna au rythme de la musique qui s'accélérait tandis que les spectateurs médusés regardaient cette danse inconnue et étrange, mais plaisante à observer.
La citoyenne se releva à l'aide d'une dernière figure et salua le public en s'inclinant légèrement et en montrant son plus beau sourire amusé.
Il ne fallut pas longtemps pour que les spectateurs sortent de leur surprise pour applaudir la performance de la femme à tout faire, qui en réalité, était à deux doigts de vomir après avoir autant tourné sur soi. Elle imita ensuite l'autre pouf qui était restée bouche bée et lança un bisou à son partenaire de danse.

-Bravo ! Commencer par une danse classique, douce et subtile mais aussi un peu ennuyante qui montre qu'aucun bal n'a de secret pour vous, avant  de bouleverser les attentes des spectateurs pour enchaîner sur une danse plus sauvage, originale et impressionnante de par ses acrobaties qui démontrent votre capacité à utiliser toutes les parties de votre corps, c'est du grand art !

-Hein ? Répondit Astrid étonnée par l'analyse salvatrice d'un inconnu. Euh...ouais ouais ! C'est ça ! Haha ! Pas du tout…. J'ai besoin de souffler un peu et de quelque chose pour me rafraîchir mwa...

-Je pense que la victoire à cette première épreuve lui revient !

Plusieurs personnes semblèrent d'accord, tandis que d'autres refusèrent une telle conclusion, sans doute à cause des cristaux joués. Bah.

-C'quoi la suite maintenant ? Demanda la citoyenne à l'attention de l'autre nana qui se prétendait être la reine des Dames de la Nuit. Puis, elle posa à Jack l'unique question de la plus haute importance : Alors, on a gagné combien sur ce premier match ?

-Attends, je vois ça avec le responsable.

Je repars du côté de Mauris qui est quand même très occupé depuis une dizaine de minutes. Entre les boissons et les paris, il n’a pas une seconde à lui, mais le sourire qui s’étale sur sa bonne bouille fait plaisir à voir. Il avait l’air de faire un peu la gueule depuis le début de la soirée, mais là, ça sent bon l’argent coulant à flot. Ça circule. Ça s’en échange. Et ça parie même sur la prochaine épreuve. J’arrive à agripper son attention et il laisse le boulot à l’un de ses employés qui ne pensaient pas faire bookmaker lors de la soirée.

-Alors ? La fête est bonne ?
-Sérieusement, Jack. Je pensais pas. T’es vraiment un chic type.
-Je sais. T’amasses bien ?
-Pour les paris, je dirais qu’on s’est déjà fait une centaine facile. Et puis, il y a de l’engouement, alors, ça consomme à sec. J’ai les bras échaudés à force de tirer des mousses.
-Tu m’en ferais pas une, tiens ? C’est qu’il fait soif.
-Bien sûr, Jack.
-C’est quoi, les côtes pour les épreuves ?

Il me lance un regard en coin de vieux briscard à qui on ne lui fait pas à l’envers.

-Tu viens sentir le sens du vent ? C’est pas très réglo tout ça.
-C’est pas du tout ce que tu crois, Mauris. Je pense uniquement aux divertissements de tout ce beau monde. Ce que les gens parient le plus, c’est ce qui parait normal. Il n’y a pas d’excitation. Alors que si on met ce que les gens ne parient pas, on crée la surprise avec juste ce qu’il faut de pari pour légitimer l’épreuve.
-Diabolique.
-Je fais ça pour toi. Top là ?
-ça marche. Alors, en numéro un, on a le défilée façon mannequin. En numéro deux, c’est de répondre à des questions de cultures générales.
-Con, celle-là.
-Ouai, bizarre. Et puis, enfin, il y a le concours de galochage. Genre les types qui veulent en profiter.
-Ah, ça, on ne nous refait pas. C’est qu’ils me jalousent.
-A ce sujet, Jack, fais gaffe. Vraiment, c’est n’est pas celle que tu crois.
-Arrête ton char, Mauris. Je sais ce que je fais.
-Tu sais quoi proposer ?
-Exactement. Le parcours d’obstacles.
-Hein ? Baah. C’est toi qui gères.
-Exact.

On se sépare et je lui laisse mon godet que j’ai vidé entre deux lignes de dialogues. Fais soif. Je retourne au centre de l’activité ou les deux prétendantes se jaugent sous les propositions et les encouragements des fans de tous bords. Le public s’est trié de lui-même et on reconnait très facilement deux camps séparés par la foule des gens indécis. J’arrive dans la place et je passe d’abord par Astrid pour lui filer les gains du premier round. Je l’empoigne un peu pour bien montrer que même si je gère les affaires à côté, je tiens bien à conserver la primeur de son attention. On me volera pas la prise de la soirée, parole de Jack. Puis, je passe au milieu de l’arène improvisé. Parce qu’on j’ai organisé jusque-là, ma posture de maitre de cérémonie de la soirée ne souffre d’aucune contestation. Parfait. J'annonce la couleur.

-Prochaine épreuve, le parcours d’obstacle ! Chaque candidate commencera à une table ou elle devra appeler un serveur pour se faire servir une boisson, elle devra gouter ladite boisson, puis se lever et traverser vingt mètres de convives et de serveurs jusqu’à accoster un homme. Et le tout devra être fait avec assurance, charme, élégance ou tout autre adjectif qui sied le mieux à celle que vous prétendez être.

Les spectateurs sont dubitatifs, mais à force d’en parler, l’idée fait son chemin, surement à cause de mes talents d’orateur nez. Il est vrai que l’épreuve parait simple, mais comporte en réalité de nombreux points de détails sur lesquels le duel peut se jouer. Et il y a suffisamment d’espace pour permettre des instants de génie fugace qui peuvent faire basculer la foule des indécis dans l’un ou l’autre des deux camps. Enfin, il y a tellement de possibilité pour déchainer les idées et les plans imaginaires que le coin des paris est pris d’une folie soudaine. Je pensais Mauris débordé, je ne m’attendais pas à ce que ça soit pire. Mais les dés sont jetés. Puis vient la question des partenaires et en bonnes intelligence, je propose de prendre les mêmes. Le destin a fait un choix qui semble avoir satisfait tout le monde. Du coup, je quitte à regret Astrid pour venir me placer du côté de l’autre concurrente tandis que Histwoud se positionne de l’autre côté.

Justement, l’autre me jette des regards en biais avant de me tourner autour. Ça, c’est le charme naturel de l’examinateur émérite. Ce n’est pas au gout des différents bonhommes qui ont choisi son camp, mais qu’est-ce que j’y peux ? La nature m’a donné un charme magnétisant. Je fais avec ce que j’ai. Tout en professionnalisme, je mets en place l’épreuve. Une table à une extrémité ou commence la concurrente. Le comptoir à l’opposé ou attendra le partenaire. Et au milieu, trois tables, une dizaine de chaises pour le double de convives et quelques serveurs occupés. Ça ralentie le service dans le reste de l’établissement, mais les paris au comptoir ont un effet bien pire.

-Ah. Aussi. Comme mademoiselle a commencé la première en épreuve, l’inverse sera fait pour la deuxième épreuve. Très cher, veuillez prendre place.

Et je fais signe à Astrid de prendre place. Histwoud se place au comptoir, tournant le dos à sa partenaire du soir. J’ai un petit rictus de jalousie qui me correspond pas trop. Je m’en veux tout de suite, mais j’ai à peine le temps de m’en vouloir que l’autre dame de la nuit s’approche de plus près, plongeant son regard dans le mien à travers son masque, le mien qu’a bien du mal à ne pas plonger dans ses atouts.

-Vous savez que vous êtes très séduisants. Je ne sais pas ce qu’elle vous a proposé, mais je vous propose bien mieux. Si vous faites en sorte de démontrer que je suis réellement moi-même.

Corruption ? C’est bien mal connaitre Whiskeyjack.

Mwahahahahaha ! Astrid ne cacha pas le moins du monde sa joie en empochant les gains du premier round et imagineait déjà les verres qu'elle allait pouvoir se payer ces prochains jours avec cette somme ! Enfin, après avoir payé son loyer. La vie à la capitale n'était pas facile pour les gens sans emploi stable.

Par contre euh….
Hein ? Quoi ? Comment ? Un parcours d'obstacle ? La citoyenne resta interdite l'espace d'un moment, réfléchissant à l’intérêt de cette épreuve. Boire puis se frayer un chemin sur 20 mètres jusqu'à un péquenaud ? HmmmMmm. La reine de la nuit qu'elle était aurait préféré quelque chose de plus festif pour montrer sa dominance totale et incontestée quant on en venait à s'amuser, mais hey, elle saurait rendre ça amusant. Le seul problème dans tout ça c'était le avec « assurance, charme, élégance ».  Ça n'allait pas être facile car la femme aux cheveux blancs n'avait ni charme, ni élégance. Niveau assurance, il n'y avait pas de problème et elle était imbattable. Elle était confiante dans pratiquement tout ce qu'elle faisait. Après tout, il fallait une sacrée confiance en soi pour faire des blagues de merde comme celle qui suivit, sans sourciller ou trembler:

-J'ai une assurance vie, pas de souci de ce côté-là !

Oula. Elle sentit les gens qui la soutenaient douter d'un seul coup de leur choix. Qu'ils aillent soutenir l'autre pouf s'ils le voulaient ! Ça lui ferait plus d'argent en retour quand elle gagnerait ! Même si ce n'était pas gagné.
Dans tous les cas, les spectateurs semblaient adhérer à l'idée et les paris allaient bon train, aussi elle n'allait certainement pas reculer. D'ailleurs, elle espérait que Mauris était prêt à lui rendre des services avec la réput et l'argent qu'elle lui faisait ce soir.

-Allez, on se bouge le cul le Fenrir ! S'exclama-t-elle en donnant une grande tape dans le dos de son coéquipier du soir pour qu'il se bouge. Il n'avait pas l'air très enjoué par la situation le pauvre. C'était quoi son blase déjà ? Boarf, elle lui demanderait plus tard.

À son tour, Astrid se plaça au point de départ, non sans jeter un grand sourire moqueur à son adversaire et un clin d’œil à Jack qui avait l'air d'avoir fait une touche avec l'autre nana. Quel petit chanceux qui rendait la citoyenne légèrement jalouse.
La musique était entraînante, les musiciens comprenant désormais quel type de musique seyait le plus à une folle dingue comme l'ex-commandante.

-Hey le jeunot imberbe avec le corps de lâche ! Ramène-moi un verre !  beugla-t-elle, assise derrière la table.

Quelle classe, quel charme, quelle élégance d'entrée de jeu ! Elle fit un tel effet qu'un serveur s'empressa de lui rapporter son plateau rempli de verres...moins un, car aussi vite que l'éclair, un verre fut vidé. Elle serait bien resté finir les autres, mais elle avait un duel à gagner avant.
Elle démarra donc l'épreuve sur les chapeaux de roues en se levant soudainement et en bondissant sur la table avec la légèreté d'un boucton pour faire ce qu'elle appelait du :

-PARKOUR !

Elle descendit de la table avec un salto avant et continua dans son élan en plongeant et en roulant sur le sol pour éviter les invités et les serveurs qui se baladaient avec leur plateau. Est-ce qu'elle en percuta quelques uns sur le chemin quand même et est-ce qu'elle a failli se casser la gueule une ou deux fois ? Bien sûr ! Et certains, bien surpris par les agissements de la citoyenne, firent d'ailleurs tomber leur verre, renversant le liquide divin sur le sol au grand regret d'Astrid qui maudit intérieurement leur manque d'équilibre. Mais rien ne pouvait arrêter l'avancée de la jeune femme qui sauta même sur les chaises pour faire des sauts acrobatiques, avant de finir les deux derniers mètres avec des flip arrières. Une fois proche du Fenrir, elle leva la main et lui dit :

-Tape m'en cinq !

Ce que fit l'autre avec d'abord surprise, puis réticence.
Elle termina le tout en levant les deux bras avec un :

-Tadaaaaaaaa ! Le tout avec ashurance, charme, et élég….Burp.

Avant de finir sa phrase, et sous les applaudissements des spectateurs, elle plaça ses deux mains devant sa bouche en sentant un peu de vomi dans sa bouche. Et merde. Bien sûr que ça allait arriver, après avoir tant bu et après avoir fait tant d'acrobaties. Elle aurait aimé tout dégueuler tout de suite sur le sol et sur les chaussures du Fenrir histoire de montrer qu'elle n'avait pas peur de cette sale bestiole, mais au lieu de ça, elle refoula son envie de vomir et...réingurgita ce qui était sorti.
Elle espérait que personne ne l'avait remarqué, heh. Même si vu le pas en arrière qu'avait fait le Fenrir, il avait peut-être eu peur qu'elle lui vomisse en effet dessus.

Tiens, maintenant qu'Astrid y pensait….est-ce qu'une règle stipulait qu'elle n'avait pas le droit de balancer de la bouffe genre des gâteaux, des tomates, ou des peaux de bananes sur l'autre connasse pendant qu'elle ferait l'épreuve… ? Non ?
…
Heh.

Certains remarquent le léger malaise d’Astrid. En même temps, dans nos sociétés, impossible de faire la moindre petite erreur sans que ce soit vu par quelqu’un, dévoilé sur les réseaux d’informations et dès le lendemain, toute le continent y va de son commentaire désobligeant, forçant parfois les concernés à s’excuser platement parce qu’ils ont déçue leur fans. On peut plus rien faire. Evidemment, ça ne déroge pas à la règle et les quelques fans assidus froncent les sourcils et échangent quelques commentaires avec leurs voisins en leur faisant promettre de ne pas dévoiler l’information aux autres. Ce que les autres s’empressent de faire avant de trahir la confiance de leur voisin la minute d’après. La rumeur circule et affronte les avis plus ou moins positif quant à la prestation d’Astrid qui ne manque pas d’assurance et d’une certaine élégance. Certains disent avant-gardiste. D’autres ringard. Les avis sont partagés. Les avis des indécis se cristallisent surtout sur cette prestation. Il y a ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas le style. A l’aube de ma participation à cette épreuve, la quasi-totalité de la salle à faire son choix.

-Alors Mauris ?
-On croule sous les demandes. Je sais pas comment sera l’issue de cette épreuve, mais ça va faire beaucoup d’argent !

Il a le sourire. Ça fait plaisir. Je vide mon dernier verre et je me mets en place tandis que le parcours d’obstacles est remis en ordre. Ma compagne se place de l’autre côté, un sourire méprisant pointant sous son masque. Elle a dû entendre les rumeurs. Ses partisans scandent des « Elle va gagner » tandis que du côté d’Astrid, ça hue copieusement le chant adverse. L’ambiance est électrique, presque explosive. Il suffirait d’un rien pour que toute parte mal, mais ça n’arriverait pas, hein ?

-C’est parti !

Jambes croisées, coude sur la table, menton posé élégamment sur son poing fermé, elle capte l’attention d’un serveur en un battement de cils qui font roucouler les prétendants du soir. Il s’approche avec un plateau et elle se saisit d’un verre en lâchant juste ce qu’il faut pour donner l’impression de draguer le serveur tout en lui donnant aucune chance d’espérer avoir plus. Habile. Elle boit d’un trait son verre avant de se lever fluidement comme si elle glissait dans l’air. Alors qu’elle commence à s’avançant en faisant tanguer ses hanches, un projectile vient la percuter en pleine tête. Elle accuse le coup et révèle un visage recouvert de gâteau à la crème et transpirant une colère glaciale. Elégante même dans la colère. La salle s’est tût et fixe l’autre bout de la pièce, là où Astrid, un verre à la main et un plateau de gâteaux à la crème à portée de l’autre main, lâche un sourire de toutes ces dents.

-Mais ?
-C’est pas bien !
-Qui a dit que c’était interdit ?
-Bah ! Euh ! Hein ?... Personne ?
-Voilà !

Un autre projectile est lancé, mais ma compagne du soir esquive le gâteau qui vient s’écraser en plein dans la figure de Jasker qui l’essuie d’un revers de manche, rageur, avant de s’apercevoir qu’il a salit ses beaux atours. L’autre maîtresse de la nuit pointe un doigt hautain vers Astrid.

-Elle triche. Je gagne.
-Il y a pas de règles à ce sujet !
-C’est induit !
-Non !

Les esprits s’échauffent davantage. Les deux camps font blocs derrière leur championne. Ça commence à crier et à accuser de bien des maux. Des trucs pas sympas. Je me mets au milieu pour essayer de calmer les gens, mais c’est comme si rien ne pouvait les arrêter. Juste empirer. Un autre projectile vole. Elle n’esquive pas à temps et le gâteau vient glisser sur sa robe. Rouge, elle se saisit d’un verre et projette son contenu en direction d’Astrid. Bloqué par ses voisins, elle se prend le liquide de bas en haut.

-Ah non ! Pas la boisson !
-C’est pareil pour la bouffe !
-Non, c’est pas pareil !
-Si !
-Non !

D’autres prennent exemple. Ça commence à se balancer de la bouffe et de la boisson à la figure. Ça gronde. Ça gueule. La grosse voix de Mauris n’arrive pas à surpasser le tumulte des voix et des insultes. Je fais mon possible, hein, mais j’y peux pas grand-chose. Et puis, un type finit par renverser une bière sur moi. Et là, je peux vous dire que je vois rouge. A l’odeur, c’est de la bonne bière. Une cuvée spéciale de Mauris. Gâché. Mais de qui se moque t’on ? Je regarde le coupable. Quelqu’un manquant objectivement de respect pour les bonnes choses. Je ferme le poing et je lui colle dans la poire. Non mais ! De la bonne bière, quoi !

Une bonne vieille bataille de bouffe et d'alcool. Aaaah, elle se sentait comme à la maison Astrid.
Elle remarqua du coin de l’œil Jack se battre avec un autre homme, et très vite, les choses dégénèrent au grand dam de Mauris qui allait probablement encor une fois bannir Astrid de son établissement pendant un bon moment. Et pourtant ! Malgré les « T'es mort ! », les « Tu vas voir ce que tu vas voir connard ! » et autres, n'était-ce pas le signe du succès d'une taverne et d'une soirée ? En effet, toute bonne taverne, tout bon bar, et toute bonne fête ou soirée digne de ce nom devait avoir une bagarre ou deux dans la soirée. Encore mieux si c'était une bagarre générale. C'était ce que croyait profondément Astrid qui adorait ce genre d’événement mouvementé qui épiçait un peu les soirées. Cela dit, qui aurait cru un seul instant qu'un simple lancé de gâteau se terminerait comme ça ? Heh.
Elle avait pensé que la bagarre – qu'elle aurait provoqué quand même hein – se passerait un peu plus tard, quand elle aurait mis la main au cul de son adversaire, ou mise à poil « par accident », heh.  

Attendez, vous vous étonnez de voir Astrid jeter des pâtisseries, alors que dans d'autres circonstances elle avait été prête à casser la gueule à un connard dont elle ne se souvenait plus à cause d'un éclair au chocolat tombé par terre lors d'une collision ?
Hé bien c'était simple. Ces gâteaux étaient absolument dégueulasses, et c'était parfait pour l'autre connasse. Par contre, l'alcool n'était pas dégueu, et était même plutôt bon. Alors que l'autre salope ait renversé le liquide précieux sur Astrid, ça c'était une déclaration de guerre !

-Nous sommes en guerre !   Hurla Astrid en lançant le reste des gâteaux sur la tronche de l'autre nana qui devint très vite moins ravissante avec de la crème sur le visage. Tu voulais devenir la crème de la crème ? Bah te voilà servi ! Et sache que la victoire est mienne ! C'moi la reine de la nuit, nananère !

Même au milieu d'une bagarre, au cœur d'une bataille, avec des ennemis tout autour d'elle, avec un couteau sous la gorge, Astrid Dalgaard serait toujours capable de sortir des blagues moisies au calme, comme si de rien n'était.

Bon. Maintenant qu'il était indéniable que Astrid avait foutu la merde comme à son habitude
et que Mauris allait jeter la fouteuse de merde loin de son établissement avec un bon coup de pied au derche, il était peut-être temps pour elle de se casser d'ici. Mais avant ça, elle avait des trucs à faire.
Aussi, tout en esquivant une tomate perdue, elle chercha des yeux Jack. Ah, le voilà, en train de se battre avec probablement le pote du mec qu'il avait frappé tout à l'heure. Et derrière lui, un autre roublard prêt à fracasser le crâne du Jack avec une bouteille, un jaloux qui n'aurait pas supporté que l'élégant bonhomme soit trop proche de l'autre pouff-bonasse.
Ni une ni deux, Astrid se jeta tel un rugbyman pour plaquer le roublard au sol et l’enchaîner avec deux poings dans la tronche. En se relevant, elle interpella son camarade du moment :

-Hey Jack, j'vais récupérer notre part des gains des paris avant de me casser. Tu viens ?

L'audace ! Le culot d'une femme espérant encore toucher son dû alors qu'elle avait foutu la merde ! Mais ça la caractérisait si bien.
Cela dit, elle n'était pas venue pour faire un boulot déjà…. ? Ah oui. Klyntonne. Avec toutes ces conneries, elle avait failli l'oublier.
Elle se fraya donc un chemin à travers la foule vers Mauris qui tentait tant bien que mal de calmer la situation, mais fut stoppée momentanément par Jasker, qui semblait vouloir en démorde après s'être fait humilier tout à l'heure et après avoir reçu sa part du gâteau. Elle fut stoppée momentanément, car bien rapidement Jasker tomba sur le sol après avoir reçu une droite bien placée de l'ex-commandante.

-MAURIS?! Tu saurais pas où est Klyntonne par hasard ?!

-Va crever Astrid ! Je savais que je n'aurais pas dû t'inviter !

-C'était pas ENTIEREMENT ma faute ! Ils se sont enflammés tout seul ! C'était pas prévu!

Elle esquiva de nouveau de la nourriture volante, et continua à travers le chaos ambiant:

-Bon, et si je te dis que tu peux garder ma part des cristaux que t'as gagné ce soir avec ce concours à la con?! Allez, en l'honneur du bon vieux temps et de notre amitié ! Et je te revaudrai un service !

Il eut un moment de réflexion, pesant le pour et le contre, puis avec un soupir et le poing serré, il répondit :

-Un masque de Fenrir, ton partenaire. Maintenant dégage !

Hein ? Merde. C'était lui depuis le début ?! Shit. Il était dans la masse de gens en train de se jeter sur la gueule ?

-Merci Mauris, t'es un chou !

Il était bien trop bon, et cette bonté le perdra un de ces jours.

-Jack, au nom de notre longue amitié – qui a commencé cette soirée – tu pourrais m'aider à chopper le mec avec le masque de Fenrir de taleur ? Promis, je te paierai une tournée ou deux !

-Oh oui. Bien sûr. Je suis toujours là pour rendre service.

Et aussi pour mettre les gens en couple, évidemment. Parce qu’on ne me la fait pas à Whiskeyjack. Le type au masque de Fenrir a tapé dans l’œil d’Astrid, c’est évident. Vrai qu’à force de ce côtoyer au cours de cette soirée, les choses se créent. Je n’ai pas tout le temps regarder, hein, quand même, je n’ai peut être pas vu les mains baladeuses, les regards concupiscents en coin et les quelques mots doux échangés dans le creux d’une oreille. Il a bien joué son numéro de charme, le petit Histwoud. Aaah. C’est ça, la vie, non ? Rencontrer des gens, boire des coups et passer du bon temps. Sûrement pas rester confiner chez soi à écrire des histoires pour soi-même, non ? Terrible.

Ce qui est tout de même terrible, c’est que la petite fête de Mauris a pris un tournant désagréable. Il est pas tard et les gens s’en vont déjà, le regard terrifié plutôt qu’embué par l’alcool. Des échauffourées éclatent à peu près partout. Si au début, c’était les adorateurs des deux camps les uns contre les autres, il n’y a maintenant plus de vrais raisons. Ou plutôt, toutes les raisons se valent comme celle de vouloir juste se taper dessus, comme ça, pour le plaisir d’expulser un peu de mauvais de soi et passer des fêtes officielles du Solstice de façon apaisée. C’est triste pour Mauris, mais il s’en remettra. Depuis qu’Astrid et lui ont causé, son visage défait a repris un peu de couleur. Il a le regard de celui qui a fait une bonne affaire. Tant mieux. C’est que la bière est bonne, ça serait con qu’il ferme boutique.

Bref, j’enjambe Jasker qui traîne au sol pour une raison obscure et je joue des coudes avec les plus proches clients. Ici, c’est plutôt calme, du côté du bar. Les habitués des bagarres ont pris d’assaut le comptoir pour écluser quelques choppes, histoires d’être dans de bonnes conditions pour le deuxième round. Là, c’est plus la foire d’empoigne des novices, les gens biens sapés qui connaissent pas l’art noble de la baston de taverne et qui s’encanaillent une fois par an à commander une mousse dans un bar huppé. Aucune classe. Aucune stratégie. Ils commentent en riant grassement des mouvements désordonnés et manquants de convictions des différents bagarreurs aux vêtements déchirés et souillés. Du coup, j’arrive à sortir de cette zone tranquillement parce qu’on me reconnaît.

-Alors, Jack ? Tu commences maintenant ?
-Je te le déconseille. Tu vas prendre un coup pas dans les règles, tu vas le regretter.
-Vous inquiétez pas. Je ne fais que passer.

La vue se dégage et avec Astrid on fouille la foule du regard. On finit par trouver notre cible, à l’autre bout de la bataille, occupé à relever une dame de la mêlée. Astrid pousse un petite exclamation que je traduis par de la jalousie très bien placé, mais c’est peut être bien là une stratégie pour se faire désirer. Déjà, Astrid s’avance, n’hésitant à pas à asséner son poing sur les impotents qui se mettent entre la belle fille et son coup du soir. Je la suis. Evidemment. Sauf qu’on est soudainement bloqué par Rulian qui a perdu de sa superbe, mais pas de son physique avantageux. Il porte à son bras la dame de la nuit. Enfin, l’autre. Toute sa toilette est à jeter et c’est comme si elle s’était fait piétiner par un troupeau de fan en furie. Elle saigne de la lèvre inférieure et darde un regard de haine dans notre direction.

-Salope ! Tout ça, c’est de ta faute !
-Allons ! Ce ne sont pas des mots en mettre dans des jolies bouches…

En plus, elle a le regard hagard de celle qui a bu. Je soupçonne soudainement Rulian ne pas être innocent dans cette histoire. Et ça, m’sieurs dames, c’est proprement scandaleux de faire boire les gens pour obtenir des avantages quelques ce soit. Ni une, ni deux, je m’en vais l’emplafonner, mais c’est sans compter sur Astrid qui me demande et qui visiblement n’a que faire de sa concurrente. Elle, elle veut son chérie et c’est pas un jeunot avec trois poils sur le menton qui vont l’arrêter. Elle passe en force séparant le prédateur de sa proie sans défense. Le premier part en arrière, reculant de trois pas, avant de buter contre un duo de bastonneurs novice qui profitent de l’affront pour nouer une alliance tacite et faire regretter à l’impotent sa conduite peu courtoise. On attend son tour, normalement, quand on est civilisé. Ou alors, on promet la paix pour mieux trahir. De l’autre, l’hypothétique autre dame de la nuit tombe à la renverse et va se faire mal. Mais vous connaissez votre humble serviteur, il est pas très courtois de blesser les demoiselles, surtout quand elles sont en détresse. Et je me précipite pour stopper sa chute de mes bras d’examinateurs talentueux. Non, il n’y a pas de rapport dans ce contexte avec les examinateurs. Je la traîne vers une chaise encore debout, à côté.

-Je reviens madame.
-Jack… Je me … souviendrais… de vous… le… salaud…
-Ah oui, c’était un salaud. Moi, je suis sympathique.
-Pas lui… Vous.
-Oui, je sais.

Elle divague un peu. Elle tourne de l’œil même. Trop d’émotions. C’est vrai que je fais parfois cet effet là aux gens. C’est peut-être dans mes pouvoirs, qui sait ? Même si je ne vois pas trop le rapport entre faire tomber des pianos et être superbement attirant. Bref, je me relève et avise Astrid qui, visiblement, était sur le point de mettre la main sur sa cible avant de se faire à nouveau bloquer par Declar, ou du moins, l’un de ses sbires alors que l’intéressé s’enfuit par l’entrée. Histwoud, au bras de sa donzelle, prend la tangente. Et ça, je ne peux le laisser passer. Vous imaginez la tristesse d’Astrid ? Etre abandonné là, comme ça, comme une vieille chaussette ? Et ce pauvre Whiskeyjack n’a pas assez de mains pour réconforter tout le monde. Surtout que j’ai soif. Alors, je me fais pas prier, et je prends la tangente de la tangente, histoire d’intercepter Klynt que j’arrive à choper contre un mur.

-Excusez moi, mademoiselle. Cette homme est pris.
-Co… Comment … Vous avez ?
-Tu sais, j’ai l’œil pour ce genre de chose. Et je peux te dire que tu vas apprécier la suite.

Je le retourne et le pousse dans la direction opposé, direct sur Astrid qui arrivait dans sa direction. Ah. C’est beau. L’amour.

Les gens se tapaient dessus sans raison se se ruaient vers la sortie, comme si une pauvre personne avait eu la très bonne idée de tousser au plein milieu d'un supermarché bondé pendant une période de pandémie. Sacré spectacle dont Astrid se délectait, et elle aurait pu admirer un peu plus le chaos ambiant en sirotant un petit verre de rhum, si ce n'était pour Klyntonne et son boulot. La sûreté de l'homme n'était pas dans son contrat, elle n'avait pas été engagé comme garde du corps, mais disons que si il mourrait, hé bien, Astrid doutait fortement qu'elle serait rémunéré un jour. L'alcool n'allait pas se payer tout seul !

D'ailleurs, ce sacré Klyntonne ! Au final, est-ce que les suspicions de sa femme étaient fondées ? Parce qu'il avait une nana à ses bras le bâtard. C'était sa femme qui allait être contente, et surtout Astrid qui se réjouissait d'être payée et d'amener ce salaud à la justice de sa femme. Mais il fallait tout d'abord confirmer tout ça. Ça se trouve, il avait un bon fond et voulait juste aider une jeune demoiselle en détresse…. ?
Naaaaah.
Après avoir brisé une chaise sur le crane d'un homme qu'elle ne connaissait pas, mais qui avait voulu la bloquer, elle poursuivit Klyntonne qui se faisait la malle avec la jeune femme.
Il aggravait son cas, à chaque seconde qui passait en plus de ça ! À sa place, elle aurait évité une quelconque affaire, parce que sa femme était franchement effrayante, et tout ça allait finir en divorce. Mais hey, c'était la vie. La femme de Klyntonne méritait probablement mieux. Un mec comme Jack tiens. Ouais, elle les voyait bien ensemble. Astrid devrait la présenter à son ami du soir un de ces jours.
Cela dit, avec tout l'alcool ingurgité, les acrobaties et la danse, suivit des combats et du remue méninge ambiant...son estomac était un peu...retourné. Elle allait avoir besoin d'un coin calme pour souffler un peu.

Astrid arriva droit vers les deux tourtereaux, tout en se retenant de tout dégueuler, tandis que la surprise et la peur tremblaient dans leurs yeux.

-Merci Jacky… ! Dit-elle en tapotant l'épaule de son camarade. Il se peut qu'après cette affaire, je t'arrange une rencontre avec une charmante femme assez bien fortunée dans la trentaine, ça t'intéresse ?  

Bien sûr que ça semblait l'intéresser, ce charmeur de ces dames. Puis, elle enchaîna en pointant du doigt l'autre jeune femme :

-Ah tiens, qui est cette minette ? Moi qui pensais que tu n'avais d'yeux que pour moi, m'sieur le Fenrir...burp.  

-S...Sarah ! Et je tiens à vous informer que Kl...que cet homme est avec moi ce soir ! Bas les pattes !

Astrid poussa un sifflement impressionné face à l'attitude de la gamine, et leva les mains en signe de paix.

-Ok ok. T'as vu ça Jack ? Elle m'a l'air farouche. Son nom serait pas Pelle ? Parce que Sarah Pelle une vieille histoire qui…

La suite des événements est un classique chez Astrid Dalgaard. Elle reçut une tarte derrière la tête – parce que oui, ils étaient encore en zone de guerre, ce n'était pas le moment pour taper la discut' – et….

-BUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUURP !

Tout ce qu'elle avait ingurgité ressortit, tâchant le pantalon et la robe des deux gugusses, en plus de tâcher les godasses d'Astrid et de Jack.
Klyntonne et sa belle profitèrent de ce moment de faiblesse de la citoyenne qui s'était agenouillée, regrettant amèrement d'avoir trop bougé plutôt que d'avoir trop bu.
Elle se releva avec l'aide de Whiskey qui la traîna vers la sortie tant bien que mal.

-En profite pas pour me peloter heh.  

Une fois dehors, Astrid pris une grande goulée d'air frais, se sentant ainsi rafraîchit. Après un bref regard dans les alentours, elle ne vit aucun signe de sa cible.

-Merde. Bah, tant pis pour eux.  

Tant qu'il était encore en vie. Elle irait  faire son rapport demain sur les aventures de Klyntonne, empocherait son argent, et irait boire.
Mais d'abord, elle avait autre chose à faire, à terminer. Quelque chose de la plus haute importance.

-Vomir c'est repartir !  Dit-elle soudainement avec plus d'entrain et d'énergie. Jack, pour tes bons services, j'te paye une….non, deux tournées dans une taverne du coin ! Tu vas pas laisser la paaauuuuuvre reine de la nuit sans défense picoler seule hein !

Deux verres ? Il ne pouvait pas décemment refuser l'invitation d'une jeune femme aussi charmante ! En espérant ne pas créer une nouvelle bagarre.
Ce qui, avec Astrid, ne serait pas impossible, heh.

On dit que je suis un grand dragueur, mais vous savez, c’est très humain de savoir apprécier les charmes des demoiselles. Alors, c’est faire honneur à leur attention que d’y répondre et d’entretenir la flamme qui les anime. Du coup, quand on me dit qu’on va présenter quelqu’un, je ne dis jamais non. Surtout qu’en plus du jeu de charme avec ladite personne, c’est quelqu’un a rencontré avec une histoire, des expériences et des anecdotes. Et ça, c’est toujours quelque chose de sympa à connaître. Moi, j’aime bien parler aux gens. Et puis, les jolies femmes commencent à se bousculer au portillon. Entre Astrid, celle qu’elle veut me présenter et le ticket que j’ai avec son ex-concurrente, et sans compter celle que Klynt va laisser sur le carreau ; parce que j’ai réussi à capter son regard assez facilement, je pourrais peut être m’ouvrir un harem, dans une autre vie, hein, parce que c’est pas trop mon style, m’voyez ? Et puis, Astrid, elle n’a d’yeux que pour Klynt. Je vais quand même partager avec les potos.

Mais ça, c’était avant que le corps d’Astrid exprime sa désapprobation et qu’elle me refasse les pompes. A la bile ! Le coup est une désagréable surprise. Trop d’émotions ? Trop d’alcool. Je la sors de là, parce qu’un des meilleurs traitements à faire dans ce genre de cas, c’est de mettre les coupables dehors. Souvent, c’est à grand coup de pieds dans le train, mais je suis bon seigneur et je fais l’effort de la porter convenablement. Et genre que je vais la peloter. C’est une amie. Et elle n’a d’yeux que pour Klynt. Ça ne se fait pas de s’immiscer dans les relations des copains. Surtout quand ils se tournent autour depuis bien trop longtemps pour que ça devienne du passé. Oui. Tu sais que je parle de toi.

-Vomir, c’est irresponsable !

Elle me fait les gros yeux de celle qui ne comprend pas. Bah ouai. Vomir, c’est mal. A la rigueur, ça arrive, on est pas habitué, tout ça. Je comprends, hein, je suis pas un fanatique. Mais elle a pas l’air d’être à son premier coup d’essai vue comment elle s’est requinqué soudainement et ça, c’est mon école. L’alcool, c’est avec ce qu’il faut de modération. On déguste. On savoure. On ne dépasse pas les limites. Parce que vomir, c’est recraché tous ces bons crus. C’est les insulter. Le méritent-ils ? Le travail de tous ces agriculteurs, de ces artisans, de ces brasseurs. Le fruit de leur labeur n’a pas à finir dans une mare dégueulasse et puante sur le sol. C’est une question de respect vis-à-vis des professions dignes qui nous apportent bienfaits et bonheur tout le long de la journée. C’est dommage. Astrid a bien baissé dans mon estime sur ce coup là. Je pensais qu’elle buvait parce qu’elle appréciait la boisson, mais au final, elle est comme les autres qui hantent les bars à des heures tardives de la nuit. Boire pour vomir pour repartir. Ça, c’est que les gens sont mal éduqués. Et ces gens là, faut les éduquer.

-Ce n’est pas très bien de vomir. C’est dégueulasse. Regarde mes belles godasses ? C’est moche. Et puis, c’est une salle crasse pour Mauris et ceux qui vont devoir nettoyer ! L’alcool, c’est pas fait pour être vomi, c’est fait pour être apprécier, bon sang ! Si tu n’arrives pas à connaître tes limites, tu devrais penser à boire moins pour éviter ce genre de déconvenue. Ce n’est pas très sérieux. Plutôt que d’aller reboire et vomir à nouveau, tu devrais aller te coucher. Pense à boire plein d’eau avant de te coucher, c’est une méthode d’un copain. Un bon litre cul sec et ça nettoient bien l’intérieur. Parce que si tu vomis, c’est que tu vas te déshydrater. Mais pas d’alcool ! Pas de folie et au lit. Tu voulais attraper ce cher Klynt, mais tu l’as pas eu parce que tu as abusé. C’est bête, non ? J’espère que cette expérience ne servira de leçon. C’est pour ton bien, tu sais ? Allez. Je compte sur toi pour aller mieux. On se reverra sûrement, hein ?

Voilà. Même pour les adultes, il est important de dire ce qui est important. Ce n’est parce qu’ils ne sont plus des enfants qu’on ne peut plus leur dire la vérité les yeux dans les yeux. C’est notre devoir civique à tous de remettre les brebis égarées sur le droit chemin de la citoyenneté exemplaire pour redonner un peu plus d’ordre et de beauté à notre société. Un monde sans alcoolique vomissant partout à la fin d’une belle soirée, c’est quand même un doux rêve, non ? On se quitte comme ça, parce que je rentre chez Mauris. C’est ça aussi les copains. Je pourrais aller animer ma nuit dans des bras chaleureux, mais faut aider les copains. Son établissement est dans un état pas possible et ils ne restent plus grand monde de conscient, si ce n’est le personnel découvrant l’ampleur des dégâts. Et Mauris. Qui a le sourire de celui qui a vécu l’enfer, mais qui y a trouvé un lot de consolation. Je retourne au comptoir. On s’échange un regard.

-Sacré soirée. Hein ?
-Animé. Un dernier verre ?
-Ma foi. Je dis pas non. Besoin d’un coup de main ?
-Toujours.
-Bah compte sur moi.
-Merci Jack.
-Allez. Santé !

Astrid avait fait un premier pas dans la direction d'une taverne quelconque, toute sourire et heureuse à l'idée d'avoir ses cristaux et de s'être bien amusée, mais s'arrêta dans son élan lorsque Jack commença à dire que vomir, c'est irresponsable. Ça tombait bien, irresponsable était le deuxième prénom d'Astrid ! Mais...

-Què ? Fit sa première réaction de surprise qui s'approchait dangereusement d'une autre langue d'un autre monde, ne s'attendant absolument pas à ce qui allait suivre.

Vint donc toute une leçon sur pourquoi vomir était mal, irrespectueux, et qu'elle devrait plutôt partir se coucher. La citoyenne écouta le tout, bouche bée et un peu penaude.
Elle n'avait même pas eu le temps de se défendre « Ouais mais c'pas ma faute ! C'à cause de la bagarre et des pirouettes que j'ai vomi ! Parce que j'suis sûre que je tiens mieux l'alcool que toi ! » car Jack était déjà parti pour retrouver Mauris.

-Oooooooooooook ? Finit-elle par lâcher en haussant les épaules.

Elle s’apprêta de nouveau à faire un pas vers une taverne, mais s'arrêta une nouvelle fois, les paroles de Jack résonnant encore dans sa tête. C'était deux visions, non, deux philosophies concernant l'alcool qui s'entre-choquaient. L'un que l'alcool devait être dégusté, avec modération, l'autre que l'alcool était un moyen pour s'amuser et quelque chose qui permettait aux gens de se rapprocher, vomir ensemble bras dessus bras dessous étant une forme de rapprochement similaire à deux gardes survivant un champ de bataille.
…
C'était peut-être un peu exagéré heh.
Elle avait pensé que Jack était une bête de fête aussi, mais ce n'était peut-être pas le cas, ou pas dans le sens qu'elle le pensait, et c'était un peu décevant sur le coup. Bah. Dans tous les cas, il y avait du sens dans ses paroles. Il était peut-être en effet temps de se coucher après toutes ces aventures. Mais en même temps, la nuit était encore longue…
Hmm.
Elle sortit de sa poche une pièce, et décida le tout à pile ou face.
Le destin lui même fut d'accord qu'il était temps pour Astrid de s'arrêter là.

-Tss. Bah.

C'était un peu boudeuse et avec une légère amertume, peut-être l'arrière goût du vomi, qu'elle rentra chez elle pour dormir, après avoir suivi les conseils de Jack, le genre de remède de mémé qu'elle connaissait déjà, étant une mémé elle-même.
Le lendemain, elle se réveilla avec une légère migraine, mais cela ne l’empêcha pas de faire son rapport à la femme de Klyntonne qui se contenta de dire, en se cachant derrière un masque d'impassibilité, qu'elle ferait appel à Astrid de nouveau. Yep, ça allait finir en divorce tout ça.
Avec les cristaux dans ses poches, sa bonne humeur revint, et son plan pour la nuit qui allait arriver ne changea pas le moins du monde : « Boire jusqu'à plus soif et s'amuser». Peut-être qu'elle recroisera Jack. Et si pas ce soir, un autre soir. Après tout, elle passait toutes ces nuits dans les tavernes de la capitale.
...
Attendez, elle n'avait jamais vu Jack sans son masque maintenant qu'elle y pensait. Et il n'avait jamais vu Astrid sans son masque de clown non plus.
...
Ah.
Merde.