Stand de course à trois jambes
Une petite piste ovale a été aménagée dans la Capitale pour cette course originale. Les couples peuvent être tirés au sort par ballots ou arriver ensemble. Il est interdit d'utiliser ses pouvoirs pour faciliter la victoire à la course, ou en tout cas interdit de se faire prendre à les utiliser.
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Explication du fonctionnement de votre stand : Choisissez votre partenaire ou dégottez-en un au hasard dans cette course à trois jambes !
Les deux partenaires sont liés au niveau de la cheville et du genou et doivent coopérer pour passer la ligne d'arrivée en premier et remporter... une peluche d'eriophai à chaque occurrence de la course !
- Vous verrez, c'est très amusant, en plus il attend depuis un moment d'avoir quelqu'un pour concourir avec lui !
- Oui mais nan, voyez-vous, je suis à la recherche d'un type et...
- Vous nous expliquerez après la course, ça va bientôt commencer ! Promis, on répondra à toutes vos questions.
- Mais je peux pas faire la course maintenant, je risque de le rater !
- Trop tard, vous êtes déjà attachée, mademoiselle. »
Elle regarde sa jambe attachée, et constate avec effarement que les deux jeunes gens l'ont complètement bernée. Le petit vieux à sa gauche lui balance un sourire édenté en la remerciant d'avoir accepté de courir avec lui. Perdant ses yeux au niveau de la poitrine de l'ancienne espionne, il laisse même échapper un petit rire.
« Je te préviens papy, tu me tripotes, je te plante. Et t'as intérêt à courir vite parce que j'ai autre chose à foutre.
- Ce sont de bien vilains mots qui sortent de cette belle bouche. C'est bien dommage que les jeunes gens aujourd'hui n'apprennent plus la politesse et le respect pour les anciens...
- Pas le temps pour les banalités, grouille toi. »
Tirant plus qu'autre chose le vieillard jusqu'à la ligne d'arrivée, Zahria comprend que ça ne va pas être une partie plaisir. Alors que la main baladeuse commence à se rapprocher un peu trop dangereusement de son postérieur, une tape sur le bras vient le ramener au moment présent. Il ricane à nouveau, tout ceci a l'air de bien l'amuser. Elle sent bien qu'il n'est pas spécialement pervers et cherche juste à l'énerver, mais il va vite réussir, s'il la cherche un peu trop.
« Ça va pas le faire du tout, avec toi. Pas du tout. »
Heureusement, bien assez vite, on demande à tous les couples de se préparer, et la course est lancée d'un claquement sec entre deux sabots. Tous les participants s'élancent, et déjà à leur droite un couple chute. Les autres les dépassent bien vite, alors que son petit vieux n'est pas capable de bouger trop vite ses vieux membres endoloris. Ils passent ainsi le premier obstacle, les derniers, avant de s'atteler au second. Dans un immense soupir d'impatience, Zahria se tourne vers son fardeau.
« Accroche toi papy, je vais te porter, sinon on est pas rendus. »
Le voilà qui ricane à nouveau. Les jambes toujours attachées, elle soulève le vieillard qui s'agrippe à son flanc comme si elle était une bouée en pleine mer, et Zahria s'élance. Les autres couples sont loin devant, mais habituée et entraînée, elle réduit l'écart, petit à petit. Son entraînement militaire ressort bien vite de la confrontation, et bientôt, la voilà au coude à coude avec les deux premiers couples, qui avaient pourtant une avance certaine. Une flaque de boue, et ils ne sont plus que quatre à se disputer la première place. Et alors que la ligne d'arrivée se dessine à l'horizon, le jeune garçon du couple à côté d'eux lui fait un croche-patte, et déséquilibrée par le poids du vieillard sur son côté, Zahria s'étale de toute sa face, le vieux délicieusement amorti par son corps. Tous les autres couples les dépassent, et quand elle finit par se relever pour atteindre enfin la ligne d'arrivée, on les détache en les encourageant pour la prochaine. C'est avec une grimace de rage qu'elle voit le vieillard partir en sautillant, frais comme un gardon, alors que les deux petits jeunes gérant le stand viennent lui tendre une serviette d'un air désolé.
« Vous vouliez savoir quelque chose, mademoiselle ? On a un peu de temps, là.
- Ah ! Oui ! Effectivement ! Attendez, je sors mon cadre magique... Vous avez déjà vu ce gars-là ?
- On dirait le patron, non ?
- Ouais, peut-être... Je suis pas sûr. L'image est un peu floue, quand même.
- Je sais, je sais... Mais ça vous dit rien ? Il serait pas venu faire la course ici ?
- Non... je crois pas... non ça me dit vraiment rien. Et toi ?
- Non plus, désolé. J'aurais voulu vous aider, surtout que vous avez porté notre grand-père.
- Mmmh. Merci quand même. Je crois.
- De rien mademoiselle ! N'hésitez pas à revenir !
- Ou pas. »
Chou blanc, une nouvelle fois. Et en plus elle s'est pris la honte à la course. Pas prête de retourner ici, de toutes façons il y a peu de chance d'y croiser Vrenn.
« - Nooon mais ALLEZ, v-viens... !
- Mais m-madame, je ne sais pas qui vous êtes ! »
Allez, ça y allait niveau prétextes pour échapper à la course. Vraiment, il était difficile de trouver de vrais hommes de nos jours, de soldats braves et courageux prêts à relever tous les défis. Enfin, car j'étais Capitaine à présent, je ne pouvais pas m'amuser ? Billevesées.
Traînant le pauvre homme dans mon giron comme s'il s'agissait d'un sac de patates, j'avisais moi-même de la corde que je nouais serrée - peut-être un peu trop - autour de nos deux jambes. Voilà, ça c'était fait.
« - Eyy-et m-maint'nant t'égoutes b-bijien les conzigues !
- Lâchez-moi ! À l'aide !
- Hig-j'te dis f-vais moi convianze... »
Me regardant avec dédain, le gérant du stand ne semblait pas très sympathique, presque réprobateur, mais mon attention toute portée sur ses paroles et l'objectif de l'épreuve dût le rassurer. Alors, c'était une course ? Je m'en doutais à vrai dire, vue la piste...
Finalement, même si mon partenaire continuait à pleurnicher sans que je sache trop pourquoi, le bonhomme marqua le départ. Trois autres couples nous faisaient barrage, mais je venais rapidement à bout du premier. Enfin, pas moi mais mon ami qui s'était délibérément jeté dans leurs jambes tandis que j'essayais d'avancer tant bien que mal...
« - LAISSEZ MOOOOOOI !
- Ek-k'est-ze tu djis mi'yon ? 'Ttends j-j'izaye d'nous faire ganjer... »
Trois mètres plus tard, je m'affalais de tout mon long comme si une lourde charge me clouait au sol. Levant la tête, je voyais déjà le premier duo passer la ligne d'arrivée. Mince.
« - Ah za... p-bas d'bol, » ponctuai-je tout en me redressant difficilement, admirant le noeud qui s'était défait entre temps et relevant le regard vers mon camarade déjà loin.
Il ne devait pas accepter la défaite, mais j'étais fière de lui. Nous nous en étions bien sortis : d'autres avaient vraisemblablement abandonné avant nous pour des causes encore mystérieuses. Mais, de toute façon, mon regard se portait déjà sur le prochain stand...
Ah, là-bas, j'étais sûre que j'allais faire des ravages !
Quand j’me pointe à mon propre stand, force est de constater que y’a des gens. J’aurais pas cru, pasque c’est vraiment un truc un peu à la con, quand même, faut le dire. Bon, c’est pas la foule comme ailleurs, mais y’a quand même quelques personnes. Moi, j’m’en fous, j’ai la victoire avec moi, j’ai battu Carciphona à l’autre stand, j’me sens invincible, alors j’vais pas perdre à mon propre jeu. Y’a même pas le droit aux pouvoirs, donc ça devrait bien aller, pas vrai ?
Puis, faut aussi l’avouer, la peluche que j’ai choisie pour les vainqueurs des courses est super mignonne. J’me la gagnerais bien, ça me fera de la décoration pour chez moi.
J’me rapproche de mes stagiaires, qui sont déjà en train d’organiser la prochaine course.
« Alors, les stagiaires, comment ça se passe ?
- Lyna fait n’importe quoi !
- Nan, c’est Riaza ! »
Ah, ouais, c’est comme ça qu’elles s’appellent, j’avais totalement oublié. Faut dire, au-delà de leur demander de trier des documents dont tout le monde se contrefout comme de l’an quarante, et faire le café, on a rarement l’occasion de s’occuper d’elles. Y’a un gars, aussi, qu’a l’air un peu méchant et vicieux, c’est pour ça que j’l’ai pris pour la course : il maintient les clients dans le rang.
« Bon, mais sinon, ça donne quoi ? Les gens payent ?
- Ben, pas tant que ça, justement…
- Si vous fauchez dans la caisse, j’vous pourris votre évaluation de fin de stage, que j’lâche. »
Elles se regardent, déglutissent presque avec les pupilles dilatées. Ben tiens, comme si j’avais jamais tenu un truc de festoche, tiens.
« On recomptera tout à l’heure, ne t’inquiète pas…
- Ouais, pas de souci, j’ai toute confiance en vous. Bon, sinon, j’voulais participer un coup, vous pouvez me grouper avec quelqu’un de potable ?
- On s’occupe de tout. »
On tire au pif, et j’me retrouve avec une p’tite grosse. Putain, j’vais les frapper. Et elle aussi. J’les regarde, mais elles ont l’air innocent de la personne coupable, et signalent qu’elles y peuvent rien. Ben tiens. J’ai un sourire un peu raide qui ressemble davantage à un rictus quand j’arrive sur la ligne de départ avec mon poids mort, beaucoup trop collé à moi à mon goût.
Il suffit de cinq mètres pour comprendre que ça va pas le faire.
J’me résigne à ne pas gagner la peluche tout de suite et j’me tourne vers un autre petit plaisir de la vie : j’lui mets un coup de coude dans les côtes à chaque occasion qui se présente, en gardant les yeux fixés droit devant moi.
Ben j’ai perdu, mais ça défoule.
Je me prends une petite pause, il faut bien que je m’amuse aussi, Naëry va très bien s’en sortir, il va faire ses yeux doux, raconter ses histoires et je lui laisse le temps de se reposer les oreilles après lui avoir parler toute la matinée déjà. J’attrape K’awill avec moi, il était caché derrière le stand depuis ce matin, s’amusant quelques fois à montrer son bout de son nez mais je lui avais dit d’être patient encore un peu et l’heure était venue.
- Allez viens mon gros, allons manger quelques Hot-Boucton !
Rien d’y penser, mon ventre se met à gargouiller. Ma loutre géante était juste derrière moi, un peu comme un garde du corps, il savait se positionner parfaitement pour ne pas me gêner, nous avons tellement appris tous les deux, c’était devenu mon allié, mon complice et nous avons surtout appris à ne plus tout détruire sous notre passage car j’ai tellement eu de rappel à l’ordre pour destruction de biens publics que si le commandant me retrouve, je vais finir en prison pendant quelques jours.
J’aperçois le stand qui nous faut, une course à trois jambes et j’avais déjà trouvé mon binôme avec moi, je me présente devant les stagiaires de la guilde, je leur fais un coucou et quand je présente K’awill, tous me regardent de travers.
- Bah quoi… je ne peux pas faire avec lui, il faut trois pattes c’est ça ?
Le stagiaire ne semblait pas du tout convaincu et K’awill fait le beau pour montrer son talent d’équilibriste !
- Regardez, on peut faire la course à trois pattes !
Le jeune homme me regarde un mauvais un oeil mais finit par nous accrocher, je m’amuse à utiliser la télépathie avec ma loutre pour lui faire comprendre que dès que possible, on trouve un autre technique pour aller plus vite. Nous nous mettons sur la ligne de départ, on regard nos adversaires avec rage et ma monture montre même les dents tant qu’à intimider l’adversaire. Le départ fut donné, K’awill était totalement ridicule à marcher comme ça mais vu son poids, j’ai dis qu’il me porte plus qu’autre chose ça serait tellement facile surtout qu’il balayait un peu les ennemis avec sa queue, comment ça c’est triché ? Je ne vois pas de quoi vous parler.
Nous avons atteint la moitié de la piste, nous étions en tête, enfin je crois car j’entends des voix derrière nous qui rouspètent, ça veut dire que nous étions en avance, on continue tant bien que mal quand nous approchons enfin de l’arrivée mais quelque chose nous retient et je vois un des stagiaires qui nous a lancé un sort, je ne vois que ça quand je m’éclate la figure contre le sol à juste deux mètres de l’arrivée.
- HEY ! C’EST PAS JUSTE LA !
On roule comme on peut pour atteindre la ligne d’arrivée mais trop tard, je vois des grandes jambes passés par-dessus nous… nous avions perdu. Je défais avec rage tous les liens avec K’awill et me lève avec fureur pour me diriger vers le fauteur de trouble.
- ALORS ALORS, comme ça on m’empêche d’avoir ma peluche c’est ça !
Le gars était tremblant surtout quand K’awill se poste derrière mon dos, prêt à bondir au moindre signe mais je me calme aussitôt et j’ai un autre plan, je saute sur le dos de ma loutre, fonce au stand et dans un saut gracieux, attrape la peluche et m’échappe à quatrième vitesse.
« - C'queu s-stand l-la ?
- C-zui la meum... »
Car il était difficile de trouver un bon partenaire pour une épreuve demandant rigueur et discipline, je m'étais rabattue sur un homme fortement alcoolisé qui cuvait au stand précédent. Je l'avais d'abord jugé durement, puis comme il m'avait semblé flexible au moment de se relever pour aller faire ses besoins plus loin, derrière une tente, j'avais jugé qu'il était le camarade parfait pour une telle épreuve.
Avec son chapeau rond et sa petite redingote, le bonhomme ne payait pas de mine, semblant issu tout droit des terres de l'Ouest, là où le soleil ne se lève jamais. Sentant bon le vin et l'alcool de pomme, le rond gaillard me soufflait des volutes d'alcool dans le nez tandis qu'il me parlait.
« - Eucequeu... tu zai-hé ceum-ment f-vaire ?
- Zais bo, y'a qu'a, » répondis-je fort intelligiblement à l'homme de peu de lettres, peu avant que l'un des deux mioches ne sonne le départ.
Comme une impression de déjà vu, tiens, tandis que j'avançais d'un grand pas en même temps que l'autre qui s'en allait déjà dans la direction inverse. Retenus par le lien à la cheville, nous fumes toutefois tous deux stoppés dans notre élan et contraints de nous mettre d'accord.
« - Eees'parr là j'de d-dis. »
Bougonne car l'olibrius bien obtus ne semblait en faire qu'à sa tête, je profitai donc de ma force pour avancer dans la direction en question, l'obligeant à faire de même, à pester, voire même à tousser sous l'effort. Finalement, nous parvînmes à rattraper le duo devant nous et, grâce à un remugle stratégique dégagé par mon collègue dans un bruit tonitruant, les effrayâmes suffisamment pour prendre de l'avance.
Peut-être un miracle, sinon le talent et l'effort, nous poussa jusqu'à la seconde place, lorsque le couple devant nous fut saisi par une mystérieuse crampe au genou. Nous luttâmes en tout cas brillamment pour la première place mais ne parvinrent qu'à rattraper les deux gagnants.
« - M-minze, » fis-je tout en m'affalant à la ligne d'arrivée, comprenant après avoir touché le sol que mon compère ne serait plus d'aucune utilité, à présent endormi.
Je déliai donc les cordes autour de nos deux jambes pour me soustraire à son étreinte et roulai jusqu'à la sortie, seulement pour me remettre debout loin des lumières. Un sentiment de fraicheur au niveau des reins m'indiqua alors que mon pantalon s'était malencontreusement déchiré dans la course.
Or, par chance, un stand tout près vendait de superbes grenouillères qui semblaient très confortables.
Il semblait que l’activité était tenue indirectement par la Guilde, qui y avait affecté des stagiaires. En discutant un peu avec les deux minettes – Lyna et Riaza – elles ne paraissaient pas hyper au courant de qui s’occupait de leur supervision, mais s’en fichaient aussi un peu, du moment qu’on validait leur participation brillante à l’organisation. Un jeune gaillard paraissait aussi affecté à l’activité, mais il semblait plus intéressé à maintenir l’ordre parmi les esprits s’échauffant sur la petite piste ovale, qu’à tenir les comptes.
Le stand était un chouilla moins bondé que les autres, peut-être car il nécessitait de participer à deux, ou peut-être parce que cela signifiait devoir produire un effort physique un peu longuet, mais les deux jeunes filles avaient tout de même quelques anecdotes sympas à partager. Et ne se faisant pas prier pour les livrer à l’espion au compliment – et à la curiosité – facile, Calixte ne put que rigoler franchement aux descriptions de haut-faits collant parfois un peu trop à des personnalités familières.
Il ne fut que partiellement surpris de voir la silhouette éméchée de la Capitaine du Blizzard se trainer d’un pas bancal jusqu’à la piste de course. Aux grimaces affichées par les trois stagiaires, elle leur en avait déjà fait voir de toutes les couleurs. Elle était accompagnée. Mais pas par Zahria, qui la cherchait pourtant. L’homme rondouillet à ses côtés paraissait au moins aussi imbibé qu’elle, et pendant quelques secondes un peu gênées, l’espion se demanda s’il s’agissait d’un autre garde. Mais soit il était affecté au pôle administratif et avait oublié depuis quelques décennies l’usage d’une arme, soit il s’agissait d’un civil. Voire d’une personne tout à fait lambda. L’alcool avait cette vertu de rapprocher les âmes, les corps, et les corps de la terre.
Et Calixte devait avouer être plus qu’un peu impressionné par la détermination de l’improbable duo, qui après un départ chaotique prévisible, remonta à une deuxième place surprenante. Hésitant à rejoindre Elina Von Andrasil pour, bon déjà pour nouer quelque chose autour de la chair mise à nue par la course folle, mais surtout pour transmettre le message qu’elle était recherchée par une certaine espionne, il abandonna finalement l’idée. La Capitaine paraissait avoir avisé de quoi changer ses affaires abimées, et qui était-il pour lutter contre le mauvais goût. Et, surtout, il n’était pas certain que le cerveau en cours de fermentation de la jeune femme enregistrerait grand-chose à ses propos.
Se tournant à nouveau vers les jeunes stagiaires préparant la course suivante, il céda à Lyna et se mit à remplir un mal aimé questionnaire de satisfaction. Visiblement il devait importer pour la validation de leur stage, mais assez peu pour les participants peu enclins à fournir un effort ne leur donnant pas accès à une récompense. Allez, encore quelques minutes, et il repartirait en quête de potins divers.
« Hé, ça va, les gamins ? Vous vous en sortez ? »
J’arrive sur mon stand comme un conquérant sur son nouveau territoire. Ma victoire au Tape-Gloot a colorié le monde d’une autre couleur, une couleur dont je suis le vainqueur. Rien ne peut m’arrêter, et ça serait grotesque de croire que je ne gagnerais pas à mon propre stand, pas vrai ? Ouais.
J’ai repéré un type dans la foule qu’a l’air sérieux. Il a pas l’air totalement torché, plutôt athlétique, et on fait la même taille. Autant dire que y’a tous les critères pour qu’on gagne facilement contre le ramassis de merdes qui nous fait face. Je l’alpague sans la moindre honte, d’une main sur l’épaule.
Nous échangeons un regard de braise, de défi, de combat. Il hoche la tête virilement, et on se serre la main. Pas un mot n’a été dit pour cette union qui transcende le langage.
« 3, 2, 1… Partez ! »
On titube de concert. Il a dû passer par la spéciale de Gégé, lui aussi, parce qu’on est au même rythme souffreteux. Et à chacune de ses expirations, c’que j’avais pas remarqué quand il se taisait, j’sens comme un nuage d’alcool qui se dégage. C’est p’tet juste son pouvoir ? Non. Mais de la démarche chaloupée du couple d’ivrognes appuyés l’un sur l’autre, on se maintient en tête de peloton.
La lutte est dure, acharnée. On passe en tête au moment du mur, on maintient notre avance lors du passage à quatre pattes. La boue ne peut pas nous arrêter.
Puis il tourne brusquement la tête, a un haut-le-cœur. Bordel.
Il se décale brusquement, s’éloigne de la piste en me traînant de force, et vide son estomac bruyamment pendant que tout le monde nous double, y compris un couple de grand-mères avec des cannes… C’est pas de la triche, d’ailleurs, ça ? On passe la ligne bon derniers, mais nous sommes fiers quand même.
-Hé ? Mais ça serait pas m’sieur Callahan ?
-Sisi ! C’est lui !
-Monsieur Callahan.
On m’appelle. Je détourne le regard de la course que j’observais depuis une minute avec un mélange de fascination et d’amusement. C’est que ça a l’air vachement drôle comme activité. Moins qu’écouter de la belle musique d’amateur autour d’un bon godet de la Guilde, certes, mais il ne faut pas non plus dénigrer les voisins. Les trois jeunes gens s’approchent de moi, me connaissant visiblement, et m’appréciant bien par-dessus le marché. Pas étonnant. Je fais souvent cet effet-là aux gens. Je leur fais mon plus beau au sourire, écartant les mains comme pour les accueillir.
-Que me vaut cet honneur, jeunes gens ?
-Z’êtes bien Whiskeyjack Callahan ?
-Lui-même. En chair et en os. Vous me connaissez ?
-On est stagiaire à la guilde, bien sûr qu’on vous connait ! Tout le monde connait Whiskeyjack !
-Aaah. Vil flatteur. Je ne suis pas si connu.
-Vous êtes toujours gentils avec tout le monde. L’autre jour, j’ai fait tomber un paquet de dossier, vous m’avez aidé à les ramasser avant que Lou Trovnik ne s’en aperçoit !
-Ah, ça, je ne souhaite à personne d’être dans cette situation.
-Et puis, moi, je m’étais trompé dans le nombre de gouttes de café dans la liqueur de Gégé, vous avez prétexté que c’était le vôtre.
-Ah oui ! C’est vrai. Parfois, Gégé, il déconne un peu sur l’alcool.
-Moi, j’étais perdu dans les couloirs, vous m’avez guidé pendant une demi-heure à travers l’aile C de l’administration.
-Ahah. Sacrée épopée, oui. Et les plans sont pas à jour !
-Tous les stagiaires vous connaissent, monsieur. Tout le monde voudrait être comme vous.
-Arrêtez de m’appeler « monsieur », je vous prie. Ça me vieillit. Appelez-moi Jack.
-On … ose pas.
-Bah, osez, bon sang ! C’est vous qui gérait ça ?
-Oui. On est chapeauté par…
-Par …
-Par ?
-Par le boss.
-Je sais plus comment il s’appelle.
-Ah, je l’ai noté. Vrenn !
-Vrenn ? C’est un bon copain.
-Vraiment ?
-Vous êtes ses stagiaires ? Chapeau pour gérer ce petit événement. Je lui dirais de vous filer une bonne note. Vous méritez bien ça.
-Oooh ! Vous êtes trop gentil, mo… Jack.
-Merci. Et puis, passé à la buvette de la guilde, vous avez bien droit de boire un coup sur les frais de la guilde. Trovnik est au courant.
-Un verre … gratuit ?
-Oui, j’ai eu du mal à lui tirer ça, mais rien n’est impossible pour Whiskeyjack.
-Vous êtes vraiment incroyable.
-Je sais.
-Vous voulez participer ?
-Moi ? Peut-être plus tard. Si je croise Frenn, je lui proposerais bien. Ça serait rigolo. Mais faut que je retourne à la buvette. Je me suis absenté trop longtemps et faut rester professionnel, c’est important.
-Bien sûr Jack. On fait de même. Mais on passera.
-Parfait. Parfait. Je vous dis à très vite, alors.
-Merci Jack !
Qu’ils sont sympathiques ces petits jeunes.
Festival du Solstice
Je sais pas comment j’ai atterri là, je sais pas qui sont les gens autour de moi et surtout pourquoi ils braillent devant des péquenauds qui courent attachés. Sérieux qui a eu cette idée stupide … Le seul truc dont j’ai conscience, c’est que là tout de suite maintenant je suis dans le mal. Jack tu m’as saoulé pauvre bougre ! J’imagine sans mal mes courses d’origamis après ça … Faut que je décuve avant de retourner voir Carci, elle va me tuer … Ca fait combien de temps que je suis parti ? Dis minutes ? Trente ? Une heure ? Qu’est-ce j’en sais moi … Arf, je suis dans le mal.
Franchement ça doit pas être bien compliqué de courir avec un autre, suffit de se synchroniser c’est tout … A peine ai-je pensé ça qu’un type m’accoste. Je crois bien qu’il a besoin d’un partenaire. Okay mec, je suis ton homme, tu vas voir ! On va tous les enfler ces coureurs de pacotille. Pas besoin de parler, on se comprend lui et moi. C’est drôle, au fond de ma conscience il me rappelle quelqu’un. Bien vite oublié par le début de la course.
Et top ! C’est parti, on a du mal à trouver notre rythme, on se bouscule puis on se soutient. Ouais mec c’est bien, on est en tête de course toi et moi. On s’agite, on prend confiance et … Ça bouge bien trop pour mon estomac là, je me sens pas bien, pas bien du tout ! Ma bouche émet un bruit de mauvais augure, et je m’échappe subitement sur le côté. Ma conscience n’est pas assez éteinte pour que je me rende ridicule en public, seul mon compagnon d’infortune assiste contre son gré à mon salut.
Je rends tout l’alcool de vie que ce cher Jack m’a servi. Finalement la bière de trop me permet de me purger, ses bulles associé au ballottage de la course ont eu raison de ma contenance. Heureusement le type à côté de moi n’est pas dans un meilleur état, enfin si quand même, il vomit pas lui. On a clairement perdu, mais on retourne sur la piste pour finir notre course, bons perdants que nous sommes. J’hausse les épaules dans une vague excuse et on se sert la main pour se féliciter malgré tout.
- T’aurais pas de l’eau?code ─ croquelune
J’lui tapote l’épaule pour lui signaler que j’lui en tiens pas rigueur. Déjà, il m’a pas vomi sur les godasses, c’est déjà ça. C’est que les gens se mettent à jeter des trucs sur mon déguisement magique, alors même si ça se voit pas parce que je les efface facilement, ça devient vite emmerdant au moment de devoir le laver. Parce que si j’le lave, j’peux pas le mettre, à moins de rester une journée chez moi, et avec mes deux boulots, ça m’arrive rarement.
Et c’est difficile de se dire qu’on va se promener sans un déguisement d’une valeur quasi-inestimable, psychologiquement, surtout qu’il pourrait facilement me sauver la mise, ou la vie.
« Ouais, j’ai de l’eau, attends… »
D’un de mes petits sacs sans fond, j’sors une gourde fontaine, histoire qu’il se rince la bouche.
« T’sais, faut manger, quand on boit autant, hein ? Parce qu’il se trouve que j’étais aus premières loges pour voir le contenu de ton estomac, et que t’as fait que picoler. Enfin bon… »
D’ailleurs, l’odeur de ses trucs m’donne moi aussi un peu la gerbe. Heureusement qu’on y est pas resté trop longtemps, sinon la recette secrète de Gégé aurait eu raison de moi. Et j’aurais lu la déception dans ses yeux injectés de sang, son gros nez rouge strié par les veines. J’aurais été triste, puis je me serais rappelé qu’il s’en souviendrait pas. Et pas à cause de mon pouvoir, plutôt à cause de la mine qu’il va immanquablement se coller ce soir.
Ah ça, demain, au bureau, il va être frais, et tous les autres aussi, moi compris. Y’aura toujours que Lou pour hanter les couloirs et les bureaux à la recherche d’une âme à torturer sur l’autel de la sacro-sainte bureaucratie de la Guilde. Et de fiers aventuriers pour ramener les rapports qu’ils auront écrit le lendemain de la murge, pour essayer de justifier leur maigre salaire. J’en suis déjà déprimé, en réalité. J’pense que j’vais dire que j’suis malade et rester chez moi. Surtout que j’comptais bien le devenir, malade, merde.
« T’inquiète, on fera mieux la prochaine fois… le millénaire prochain. Ha. »
Ouais, bon, la prochaine fois, c’est pas demain la veille, hein.
Sans s’attarder davantage à ses réflexions émoussées par la boisson, il s’approcha des trophées trônant derrière les deux jeunes filles. Au fil de la journée et des courses, le stock de peluches d’eriophai avait pas mal fondu !
- C’ça qu’on gagne ? fit une voix masc… féminine en le bousculant.
Posant son regard sur l’armoire à glace qui fixait obstinément les peluches, Calixte acquiesça dans un couinement. En même temps, il aurait probablement acquiescé à toute proposition de son interlocutrice. Ça lui paraissait instinctivement plus raisonnable. Il n’aurait su dire si elle était de la Garde, ou de la Guilde, ou simplement costaude de nature et puis point barre, mais comme le biceps lui faisant face avait la taille de sa tête, il ne tenait pas à la contrarier. Un gros sac rempli de trophées divers était posé à ses pieds.
- Tu cours ? lui grogna-t-elle en le jaugeant de ses yeux perçants.
- Heuuuum, répondit-il en commençant à transpirer.
- Tu cours, trancha-t-elle en embarquant l’espion d’une poigne ferme.
Entrainé à la ligne de départ dans un mélange de faibles protestations, Calixte regarda incrédule et résigné le lien que l’on passait autour de sa jambe pour la lier à celle, trois fois plus épaisse, de sa partenaire improvisée.
- T’intérêt à courir, lui rappela la douce dame de son regard pénétrant.
Par Lucy, il allait mourir. Il allait décéder sur cette piste la jambe arrachée ou sous les énormes paluches de sa partenaire lorsqu’elle se rendrait compte qu’ils avaient perdu. Il n’eut cependant pas le loisir d’imaginer davantage sa fin terrible, car les participants étaient invités à s’aligner. Et le départ fut lancé.
Bien décidé à ne pas finir salement sous la botte enragée de sa compagne, l’espion fit un effort de dernière chance pour tenir le rythme. Et il n’avait d’ailleurs probablement jamais couru aussi vite. Malgré son entraînement militaire, la sueur s’amassait joyeusement sur son corps, sa respiration devenait pénible, et les battements de son cœur lui donnaient l’impression que ce dernier allait sortir de sa cage thoracique pour concourir lui-même. Et il dut constater avec horreur que malgré tout son investissement, cela ne serait pas assez. Devant eux, un autre duo s’échappait du groupe.
Sa partenaire en vint à la même conclusion, et dans un grognement qui ne souffrait de contrariété, elle souleva l’espion à bras le corps. Et Calixte n’était pas contre un peu de compétition, ni aider son prochain dans sa quête de la victoire, mais franchement c’était vraiment désagréable d’être ainsi trimballé. Une patte en l’air, l’autre toujours attachée, il avait l’impression d’être un pantin – bientôt désarticulé – trainé dans une course folle. Enfin, le visage de la femme présentant peu d’ouverture à la discussion, il se contenta de parcourir – enfin d’être porté sur – les derniers mètres de la course en gémissant misérablement. Et ils passèrent la ligne d’arrivée à son grand soulagement.
Massant la cheville et le genou douloureux qui avaient été liés à la jambe de sa corpulente partenaire, il réceptionna surpris la peluche qu’elle lui glissa entre les bras. Visiblement, la stratégie peu orthodoxe de la femme avait été payante.
- Faudra t’entraîner à courir, grogna-t-elle en rangeant son propre trophée dans son sac déjà plein à craquer.
Hochant bêtement la tête, Calixte regarda sa partenaire d’une course reprendre le chemin des stands, à la recherche d’autres récompenses à gagner. Il hésita. Elle avait été presque charmante. Peut-être pourrait-il la suivre un peu ?
Que dire de ce festival… La fête bat son plein, les festivaliers boivent, joue et font la fête. Et la Garde court partout pour essayer de maintenir un semblant d’ordre. Ma patrouille vient de se finir et m’a littéralement vidée de mon énergie. Avec mon coéquipier, nous avons été obligé de nous interposer dans une rixe de rue. Deux idiots ont commencés à se battre pour une sombre histoire de jeux avant que toute une foule se mette à se taper dessus. Autant dire que les cellules temporaires sont déjà bien remplies. Au moins, on a pu distribuer quelques baffes au passage.
Maintenant que j’ai un petit créneau de libre, je me balade un peu dans le festival histoire de me reposer un peu l’esprit avant de retourner au poste de sécurité. Passant près d’un stand où les gens s’amusent à faire la course, je m'arrête pour les regarder se débattre en duo. La course se finit juste après mon arrivée mais je trouve ça amusant. Je suis certaine qu’avec Bridget ou Swan, on aurait fait un malheur, même à trois en fait. Une nouvelle brochette de duo s’approche pour concourir à leur tour. Je m’installe aux premières loges pour regarder tout ça et remarque un gamin qui cherche quelqu’un pour courir avec lui. Petit et un peu maigrichon, personne ne semble vouloir le prendre en partenaire. Lorsqu’il commence à pleurer, je soupire avant de quitter ma place pour le rejoindre.
Aller petit, on y va…
Je crois qu’on peut difficilement se mettre un handicap plus élevé. Même si je ne suis pas une géante, il est minuscule pour moi. Je ne serais même pas étonnée qu’il ait à peine dix ans. Avec mon armure de cuir et l’insigne du Myrmidon qui brille, on ne peut pas manquer mon appartenance à la Garde. Venir vers lui à au moins le bénéfice de le faire arrêter de pleurer.
Tu t’appelles comment ?
Tom, madame ! Merci !
Madame… J’ai l’air si vieille que ça… Attachant nos chevilles avec le ruban donné par les gérants, je donne des conseils au petit Tom.
Très bien Tom. Tu sais marcher en cadence ? Je vais donner le rythme. A un, on avance nos pieds attachés. A deux, les autres. On court pour gagner !
Il hoche la tête en souriant. C’est bien les gamins, il en faut peu pour les rendre heureux. Avec mon petit partenaire, on se met sur la ligne de départ en plein milieu de la foule. Juste pour le fun, je m’amuse à nous faire une place là où il n’y en avait pas. ça râle un peu mais un simple regard fait taire les protestataires. Au signal départ, mon voisin de gauche est le premier à s’effondrer comme une merde. C’est dommage qu’il ait laissé trainé son lacet sous ma botte. Un second duo ne tarde pas à le rejoindre au sol gentiment aider par une main joueuse. On ne m’a pas dit que la triche n’était pas autorisé… Et il y en a qui ont triché ouvertement à la course précédente alors pas de pitié pour es gens qui ont voulu laisser le petit dans son coin. Au final, notre course ressemble plus à un zigzag informe qu’à une course en ligne droite mais la course n’est plus qu’une succession de tas de coureurs tombés avec plus ou moins d’aide. Passant la ligne, je m’en amuse.
Ce n’est plus ce que c’était. Quand j’était petite, les adversaires avaient plus de punch.
Au village, on se mettait sérieusement sur la tronche quand on jouait à des jeux comme ça. Détachant nos chevilles, je souris au petit Tom.
Et voilà ! Trop facile !
A peine relevée, on me colle une peluche dans les bras ainsi qu’à Tom. Même si le gérant me tire une sale tête, je lui fait un grand sourire avant de saluer le petit garçon et partir avec le sentiment du devoir accomplis. Je filerai la peluche à Bridget juste pour l'embêter.
J’suis p’tet bourré, mais j’ai pas non plus perdu tout le fil de la vie, faut pas croire. Et j’sais que j’ai désespérément perdu, à mon propre stand, en plus. J’y suis allé un certain nombre de fois… un nombre certain de fois, en tout cas. J’me souviens vaguement… Oh et puis merde, c’est pas important. Nan, ce qui est important, c’est de s’assurer que les stagiaires font pas n’importe quoi. Genre, ils pourraient avoir fauché une bouteille dans un coin, se l’être descendue en douce, et être complètement torchés.
J’rote bruyamment, et j’ai une odeur d’alcool draconique qui me remonte dans les narines. Ça m’donne presqu’envie de vomir à nouveau, ça.
Quand j’me pointe à mon stand, ils sont toujours là, vaillamment. J’me demande bien pourquoi, d’ailleurs…
« Qu’est-ce vous foutez là ?
- C’est qui ?
- J’suis vot’ chef, c’mon stand, bande d’ingrats.
- Chef, oui chef, on vous faisait juste marcher, chef. »
J’louche sur la copie de salut militaire à laquelle j’ai droit, en cherchant à identifier s’il ferait pas preuve d’un peu de sarcasme à mon égard. J’veux dire, par le plus grand des hasards, hein. Mais il a les yeux écarquillés, les genoux qui tremblent… toute sa silhouette qui tremble. Ou c’est moi ? Peu importe.
« Bon, enfin, va être l’heure de fermer boutique.
- Enfin…
- Vous pouvez profiter du festival, d’ailleurs. Et ranger demain. J’suppose. »
J’me souviens plus des règles mises en place, si faut ranger le soir ou le lendemain… Boah, au pire, j’dirai qu’ils ont salopé le boulot et j’les accuserai de tout. Pas comme s’ils se rappelleront de quoi que ce soit. Surtout vu la murge qu’ils vont se coller maintenant à la mauvaise piquette, à n’en pas douter.
« J’vous conseille de voir avec Gégé. Il vous donnera un truc bien. »
Ouais, mauvais plan, s’ils se pointent pas demain pour ranger, en fait, j’suis con… Enfin, trop tard.
« Moi, j’vais inspecter les comptes et l’arrière-boutique… le stock. Voilà.
- Oui chef, voilà. »
Quand j’rentre dans le stock, force est de constater que y’a dû avoir un paquet de courses, parce qu’il reste pas des masses de peluches. Elles sont toutes mignonnes, en plus. C’est bien pour ça que je les ai choisies. J’en prends une qu’était au fond dans un coin, qu’attendait que moi. Elle sera parfaite, au fond de mon placard.
Avec le sentiment de mon devoir de chef accompli, j’me tire après leur avoir fait un dernier signe d’au revoir qu’ils remarquent à peine, occupés qu’ils sont eux-mêmes à s’barrer. Raaah, la jeunesse, j’vous jure.
Putain, mais elle est infatigable, l’autre conne. J’ahane en arrivant à mon propre stand, ironie ultime. Si j’me souviens bien, j’devrais avoir de quoi la semer dans le parcours d’obstacles. Ou alors j’me retourne, et j’la surine brusquement dans un coin sombre ? Nan, de mémoire de ce que j’ai vu quand on enquêtait sur les armes disparues, j'suis pas sûr d’avoir mes chances. En tout cas, pas à la régulière. Puis j’suis toujours un peu barbouillé, c’est vraiment pas le bon moment pour s’battre et risquer de finir en taule…
Bordel, c’est bien ma guigne, ça.
J’saute au bas du fossé, puis j’escalade sans hésiter le mur de l’autre côté. Vachement plus facile, quand on se traîne pas une sale grosse, ou un alcoolique au dernier degré, cette course. J’passe par-dessus le coin où on est censé ramper, pas de raison de faire autrement.
« Putain mais va foutre autre chose de ta vie, Zahria ! »
J’arrive du côté de la cabane dans laquelle on garde les bouts de corde pour attacher les gens entre eux au niveau des jambes, là où y’avait la caisse, maintenant partie, et qui constituait à la fois le départ et l’arrivée de la course. J’sais que y’a une p’tite fenêtre à l’arrière du cabanon, derrière toutes les peluches que j’ai achetées, et dont j’ai volé un exemplaire.
Marrant, pasque j’suis persuadé que y’a un autre gars qui nous suit, celui de la mamie, finalement. Il doit trouver Zahria davantage à son goût.
J’crache un filet de salive pour éviter d’avoir à l’avaler, tellement j’ai la gorge sèche. C’est plus de mon âge, ces conneries. Si j’m’en sors, promis, j’me remets à la course à pied. C’est trop utile, comme talent, en fait. J’balance les peluches derrière moi, et j’plonge à travers le carreau merdique de la fenêtre moche. Ça se brise en pleins d’éclats qui m’égratignent le visage, mais les tifs, la barbe et les bras croisés devant m’ont évité le gros des dommages. A eux de sauter dans les éclats de verre, maintenant.
Chiasserie.
Ils arrivent vers le stand où fallait courir attaché, le truc où elle s'est pris la honte de sa vie, ce matin. Et bordel. Elle regarde enfin l'écriteau. "Stand de Vrenn Indrani". Putain mais qu'est-ce qu'elle peut être conne, des fois. Souvent, même. Un peu trop souvent. En tout cas, c'est plus marrant de se faire la course sans avoir à porter quelqu'un, c'est sûr. Ça serait presque marrant, si elle était pas en train de courser le gars qui lui a fallu la perte de son poste. Elle se venge en défonçant les obstacles de la course. Le mur à escalader est balayé d'un coup de poing lumineux, et la partie où faut ramper complètement détruite par ses jambes durcies. Ça la ralentit un peu, mais moins que si elle devait se taper le parcours complet. Il l'insulte. Bah elle va s'en donner à coeur joie
« Ta gueule, Vrenn ! Ma vie c'est toi, maintenant ! »
Euh. Merde. Pas dans ce contexte-là, en fait. Enfin pas pour l'instant. Faut suivre leurs aventures sur quelques lunes de plus, pour en arriver là. Mais pour l'instant, elle est pas encore au courant. Derrière elle, le gros de la mamie continue à suivre. Lui aussi, il a pris une potion d'endurance ? Ils les ont distribué à la sortie du stand de Jack ou quoi ? Faut croire qu'elle y a pas eu droit, elle, parce que ça cogne sur ses mollets, maintenant. Ce connard de Vrenn crache, ça tombe sur les chaussures de Zahria.
« Mec, mes pompes bordel ! »
Aucune répartie, Zahria, à trois heures du matin.
Il saute par la fenêtre après avoir balancé des peluches. Elle déteste ce mec, comme jamais elle n'a détesté personne. Elle rattrape une peluche, la plante dans les éclats de verre de la fenêtre, et s'en sert comme appui pour sauter derrière Vrenn. Ça laisse le champ large pour le gars, derrière, mais il commence à haleter, enfin. Et puis la fenêtre, c'est pas trop son truc. Il ressort de la cabane, en fait le tour en trottinant, puis se remet à courir. Il est con, ce gars. Qu'est-ce qu'il fout à les poursuivre comme ça ? Allez, c'est parti pour le stand suivant.