C'était donc avec des airs de cow-boy, ce qui ne voulait rien dire dans ce bon royaume, qu'Astrid était arrivée, avec une sucette à la bouche en guise de cigarette. Elle avait même un chapeau aux larges bords, et elle jeta sur le comptoir du stand un cristal sombre en disant avec une voix qui se voulait grave et sérieuse :
-Alors comme ça, j'ai entendu dire que...quelqu'un avait battu le record précédent. Je veux pas savoir qui c'est, mais ce royaume n'a pas besoin de deux tapeurs de gloot professionnels.
Cette fois, c'était une autre personne au stand et pas l'autre qui lui avait fait le bisou. Hmmm. Celle-là n'était pas vraiment aux goûts d'Astrid. Elle manquait de formes, et était un peu petite. Et puis, elle lui rappelait étrangement quelqu'un qu'elle connaissait. Hel ? Nah. Probablement juste une coïncidence.
Bah. Mettons ça de côté, ce n'était pas important. Enfin, ça l'était peut-être, mais ce n'était pas le moment et le problème était déjà réglé. Hein ? Comment ça ? Aucune idée. Une sensation.
CELA DIT. Ça n’empêcherait pas la femme à tout faire de redemander une récompense autre.
-Hey mademoiselle, si je fais le score maximale, est-ce que j'ai le droit à...euh…Un bisou, c'était déjà fait et refait. Qu'est-ce qu'elle pouvait demander de plus ? Hmmm...Elle prit quelques secondes pour réfléchir, puis haussa les épaules et reprit sur un ton amusé : un rendez-vous un de ces jours ? Heh.
Dans tous les cas, la citoyenne s'arma une nouvelle fois de son fidèle marteau et le plaça à sa ceinture comme si elle était prête à dégainer à tout moment. Sa concentration était totale et elle faisait fit du bruit et des regards alentours. À la première lumière, le marteau s’abattit sur la tête du gloot à une vitesse effarante, mais bien loin de ce qu'Astrid pouvait réellement atteindre. Avec une concentration dont elle faisait rarement preuve, la citoyenne frappa les gloots avec précision et rapidité, et, avant qu'elle ne s'en rende compte, les gloots ne s'illuminèrent plus.
Tout en bombant le torse, Astrid fit tournoyer son marteau autour de son doigt et souffla dessus avant de le déposer sur le stand.
-25 ! Qu'est-ce que vous en dites ! Qui peut faire plus ?! Heh ! J'ai même pas senti une gloot de sueur! Enfin un peu si, mais bon... Ah et. Elle s'adressa à la personne qui tenait le stand. Tu peux garder la statuette, sauf si tu en as une encore plus impressionnante que l'autre.
-T’inquiètes Grenn, c’est pas un truc très facile. Moi, j’y arriverais pas.
-SI Jack. Tu dois le faire. Pour l’honneur des examinateurs de la guilde.
-Je n’ai pas tes talents, mon pote. Je crois pas que ça soit une bonne idée.
-Allez. Si tu ne le fais pas pour la guilde, fais le pour moi.
-Raah. C’est bien parce que t’es un copain.
Vreck me donne une tape sur l’épaule et je me mets dans la file des candidats au Tape-gloot. J’ai regardé mon poto et les autres avec un regard partagé entre la surprise, l’incompréhension et l’admiration. Ça m’a l’air complexe. Drenn s’en sort avec un score qui parait pas très bon, surtout quand d’autres semblent toucher le maximum sans trop se fatiguer. Je ne connaissais pas ce jeu. Ça doit être un nouveau truc de d’jeunes. Il leur faut toujours des trucs nouveaux aux enfants. Nous, on s’amusait très bien avec deux cailloux et un bout de ficelles. On était imaginatif. Maintenant, si t’as pas une boite à jeu complète, c’est ringard. On rapidement, mais y a du monde, alors, faut prendre son mal en patience. Du coup, je papote avec les voisins.
-Vous avez déjà joué à ça ?
-Oh oui. C’est la troisième fois que je viens.
-Vous êtes motivés, dites donc.
-c’est que, il n’y a pas beaucoup de stands divertissants.
-Vous êtes allé au Tabouret qui court ? C’est fameux.
-Ah bon ? J’ai trouvé ça assez ennuyant. Et puis, quand j’ai demandé à voir le responsable, ils n’ont pas su quoi me dire.
-Vraiment ?
-Oui ! Franchement, laissez des jeunes écervelés proposer une activité aussi dangereuse sans aucun responsable à proximité, c’est criminel.
-je vous le fais pas dire.
-Vous devriez aller au Grand Mag’Oz. Il est très impressionnant.
-Ah oui ? Je note. D’autres propositions.
-L’eau rit gamin. Mais ce n’est peut-être plus de votre âge.
-On a tous un gamin au fond de nous.
-C’est bien dit !
-Merci. Vous êtes allé au bal des palais ?
-La buvette de la guilde ? Il y a des types alcoolisés partout. Quelle image pour les enfants.
-C’est vrai que les gens ne savent pas se tenir, de nos jours. Ils boivent, ils vomissent, ils boudent, ils disent des choses sur les dos des gens. On manque de cordialité.
-J’espère qu’il n’y aura pas de grabuge. L’ambiance est si bonne enfante.
-On peut faire confiance à la garde.
-Oh oui. Surtout à la garde royale. Le capitaine Arthorias est tellement beau…
-C’est un chic type, en plus.
-Vous le connaissez ?
-Je lui ai déjà filé un coup de main.
-Waouh.
-Suivant.
Ah. C’est à moi. Je quitte la conversation de ma charmante voisine de derrière et je me saisis du marteau, un peu circonspect. J’avise mon voisin de droite. C’est un gamin. La quinzaine. Il me jauge comme si on était en compétition. Comme si avoir moins de points que moi serait un déshonneur. J’ai pas le temps de lui parler des valeurs de l’Olympisme que le jeu démarre. Je sais bien qu’il faut pas taper quand c’est pas la bonne couleur. Pas un jeu adapté aux daltoniens, ça. Avec mon acuité visuelle entrainé à capter les détails sur les rapports de la guilde, j’allume plusieurs gloot sans aucun état d’âme. Je suis concentré, sentant le poids de la guilde sur mes épaules. Du coin de l’œil, je regarde mon adversaire. Il est à la ramasse. La victoire de l’expérience, pourrait-on dire.
-Allez Joris ! Je crois en toi !
Je tourne un instant la tête pour voir qui a crié de cette voix juvénile. Une fille. La quinzaine aussi. Qui encourage mon adversaire. Je perçois la détermination dans le regard de Joris et je comprends. Il veut impressionner son coup de cœur. C’est beau. Ça me rappelle Jrenn et Zahria. Et dans l’amour, on manque jamais d’un petit coup de pouce. Alors, je commence à taper mal et sur les mauvais, lâchant quelques jurons de circonstances comme « saperlipopette » ou « bon sang de bonsoir » ou bien le très fameux « Mais qu’est-ce donc cette pantalonnade ». Joris regagne petit à petit, emporté par l’ivresse de l’adrénaline, en état de grâce, de sorte qu’il me faut être sérieux sur la fin pour ne pas être si ridicule.
La fin est annoncée. Joris 15 points. Whiskeyjack, 13 points.
L’intéressé me jette un regard présomptueux avec son petit sourire en coin et son sourcil haussé, avant de retourner à son admiratrice impressionné d’avoir battu le sympathique Whiskeyjack. Moi, je laisse ma place. Amusant. Et surtout, avec le sentiment du devoir accompli.
Et puis, je me fais accoster par une femme alcoolisée.
C'était fou quand même, ce que pouvaient faire une... deux... quelques pintes !
C'est en arrivant aux alentours du Tape-Gloot que je tombai enfin sur mon bon ami Jack, déjà bien occupé à parler avec un homme. Un flash soudain traversa ma mémoire et, tandis que je saisissais prestement dans ma poche de quoi noter, je me rendis compte des quelques mots écris hasardeusement et mal orthographiés...
« - Bu... N-non vu ! Djeja q-ouatr- non zinq... ! »
Il correspondait à la description, c'était bien lui et ça n'était pas la première fois. Son pouvoir m'avait obligée à me désintéresser de lui plusieurs fois et je me rappelais soudainement pourquoi je recherchais Zahria à chaque fois... et pourquoi j'oubliais systématiquement de lui montrer mes notes. C'était la preuve même que c'était bien lui.
Je choisis une fois de plus de rester en retrait, mais comptais bien entretenir la discussion avec Jack que j'avais cherché à voir, lui aussi, plusieurs fois. Enfin, mon homme passa au jeu et perdit malgré un score honorable.
« - Eeyj... z'aurais b-pas fait pneu, » prononçai-je difficilement en accostant le gaillard, digne dans la défaite, venant de gratifier son adversaire du regard. « Env-in j-d'e drouve Yack... Jack. »
Un clin d’œil et je me fendis d'un sourire niais. C'est fou comme une personne que je connaissais depuis si peu de temps pouvait m'émouvoir autant. Rapidement, je me retrouvais à lui poser plein de questions, à savoir ce qu'il faisait à présent, comment allaient les affaires, ses fameuses résolutions... La moitié semblaient toutefois pâtir de mon intelligibilité douteuse, mais je forçais un peu, ça devrait aller.
Rapidement, je me retrouvai à balancer mon bras dans le dos de mon acolyte tout en saisissant un verre qui traînait là, inconsciente de ce qu'il pouvait y avoir dedans. Et puis je refaisais le monde à ma façon, alcoolisées, en l'embarquant dans mon enthousiasme vers un autre stand très proche.
« - Ooh kess... wesque t-du as-tu déya bisi-idé de ts-stante ? »
Pas mal dans le flou après avoir testé la recette de Gégé. Tout a pris un halo plus lumineux, et j’me sens immortel, invincible. J’attends mon tour au Tape-Gloot avec un sourire confiant, un peu bêta. J’ai l’impression de sentir le bruissement de la feuille plus loin, d’entendre les pas de la fourmi de l’autre côté de la rue, de percevoir chaque battement des ailes de la mouche qui vole autour du stand de bouffe le plus proche. Je sais quand mon voisin va brusquement bouger, me donner un coup de coude par inadvertance. J’accompagne son mouvement, et il m’effleure à peine.
Cette acuité soudaine m’émerveille, et m’effraie à la fois.
Je paye un cristal sombre à Chocolatine, les yeux dans le vague. L’Univers me parle, et je L’entends, L’écoute. Alors que j’arrive à nouveau devant le Tape-Gloot, je n’y vois plus un adversaire, mais un autre citoyen du Monde. Nous avons tellement en commun. Toute mon animosité a disparu. Nous sommes fidèles aux Lois qui régissent la tissu de la Réalité, et en tant que tel, je vais gagner.
Le premier gloot apparaît, et je lui tapote la tête avec pile ce qu’il faut de force pour marquer le point. Puis ça s’enchaîne, de plus en plus vite. Je ne réfléchis pas, je ne réagis pas non plus. Comme si je savais ce qui allait se passer. Parfois, une note discordante se glisse dans la symphonie que je joue, quand un gloot apparaît là où il ne devrait pas, mais je le remets en ordre de marche.
En état de grâce.
Vrenn Indrani, quatorze points.
Je récupère mon lot, puis je fais un doigt à la machine démoniaque.
« Va t’faire foutre, saloperie de création enchantée ! »
La communion avec le monde est finie.
Ainsi donc, complètement absorbé par l’activité pourtant simpliste, Calixte avait fini par craquer et s’avancer vers la queue de badauds attendant fébrilement leur tour pour jouer du marteau. Il était à peu près certain que sa maladresse coutumière ne le laisserait pas s’approcher du score cible, mais il savait que son esprit n’aurait de cesse de se raccrocher à ce jeu s’il n’y participait pas au moins une fois. Intérieurement, il savait que sonnait là le glas de la fin de sa tournée purement professionnelle. Le Maître-Espion lui passerait certainement un savon lors de leur prochain entretien – le lendemain – mais depuis le temps il devait bien savoir qu’il ne fallait pas trop attendre de Calixte dans ce type de situation. La curiosité, la tentation, étaient trop grandes.
L’homme devant lui déposa le marteau après un score remarquable de quatorze points, et s’éloigna avec un salut obscène tout aussi remarquable après avoir récupéré son dû. Prenant l’arme du jeu entre ses doigts, l’espion avisa avec un mélange d’excitation et d’appréhension le panneau devant lui. Il était temps. Le premier gloot le prit presque par surprise, mais une fois lancé, ses mouvements devinrent automatiques. Comme quoi l’entraînement de la Garde avait peut-être porté ses fruits : des gestes instinctifs et des pensées minimes. Le rythme s’accéléra, son ardeur aussi. Il aurait ces gloots, il les aurait !
Sa maladresse se rappela néanmoins à lui, et après une tape un peu enthousiaste sur le front d’un gloot lumineux, le marteau lui glissa des mains pour rebondir sur la tête de la personne patientant derrière lui. Oups. Du coin de l’œil il eut le temps de voir son score – moins dix – et il grimaça en se tournant vers sa victime involontaire alors que Chocolatine accourrait. Peut-être tenterait-il plus tard, beaucoup plus tard, d’améliorer son score.
- Le célèbre Tape-Gloot !!
- D'accord, laisse tomber.
- Mais qu'est-ce que j'ai....
Jin s'approche du stand laissant derrière lui un citoyen qu'il avait intercepté pour en apprendre davantage sur ses activités. Jin était curieux mais un peu réticent, surtout lorsqu'il vit la file d'attente étonnamment longue pour quelque chose d'aussi singulier.
Donc on tape sur des trucs, et on gagne des trucs. Bon bah...
Après une petite réflexion de quelques secondes, il rejoint la file en question; d'origine et de classes différentes; sans la moindre apparence de jugement de chacun, certains accompagné d'enfant, d'autres en amoureux, de tout âge d'ailleurs...Puis Jin. Le rang un peu trop serré, l'homme se sens très mal à l'aise, se trouvant entre un grand homme un peu en surpoids, transpirant, la quarantaine, dégarnis et "un peu" odorant, et une vielle dame tenant sur une canne un peu tremblante à cause des malheureux outrages du temps.
J'espère que ça vaut le coup.
Le temps passe puis c'est autour de l'homme dont on ne pourrai soupçonner qu'il ne mange pas à sa faim. Jin fut d'abord très sceptique lorsqu'il aperçoit le jeu. Puis au fur et à mesure que l'homme s'acharnait sur les Gloot, le chasseur de prime commença à le trouver étrangement attractif, à en devenir pressé à l'idée de jouer. Seulement, l'homme fort était à sa quatrième partie, et l'attente devenait pénible, un peu trop, pénible.
- Allez, encore une autre.
- Non j'crois pas non.
- Tu veux quoi toi ?
- J'sais pas, jouer par exemple? Y'en a qui attendent.
- Et bah ils ont qu'à attendre !
La voix de l'homme, grave et sans l'once d'empathie pour les autres joueurs commencèrent à titiller les nerfs de l'impatient Chasseur de Prime. Ses yeux se tournent derrière lui, fixant Madame un peu trop âgée et dans un soupir de lassitude, commence à faire demi tour. D'un geste automatique Jin l'arrête en pausant une main sur son épaule.
- Vous voulez jouer?
- Ohf, pas nécess-
- Moi j'veux jouer Mamie !
Discrètement un jeune petit garçon de six ans environs, se décale légèrement du dos de sa grand-mère, les sourcils froncés dans la direction de notre Aventurier.
- On a attendu comme tout le monde ! Dit-il d'un ton téméraire.
Jin, dépité, fixe à nouveau l'occupant du Tape Gloot. Après une grosse expiration de lassitude, il ferme les deux poings puis s'approche de lui; ce dernier étant toujours happé par son activité amusante, mais surtout frustrante ! Chocolatine lui adresse son plus beau sourire commercial à la suite de son énième défaite.
J'voulais juste jouer pénard.
- Oh...Dommage !
- C'est truqué vot' truc !
- T'es surtout mauvais.
- Encore toi ?!
- Ouais, tu vas gentiment te barrer et laisser les autres jouer ou quelqu'un va s'réveiller dans un hôpital. Crois moi je sais comment ça s'termine ces choses là.
- Oh, parce que tu vas faire quoi ?
- Ça.
D'un claquement doigt, une petite flammèche s'enfuit vers l'entrejambe du monsieur faisant jaillir un petit départ de flamme non rassurant.
- Aaaaaah !!! De l'eau !!!
L'homme sorti du Tape Gloot suivis d'une traînée de fumée sur les rires moqueurs du petit garçon qui applaudit son sauveur inconnu. Jin s'approche de la dame octogénaire.
- Vous avez du jus pour jouer?
- Oh jadis ... dit-elle en regardant son petit fils. Je suis désolé mon cœur mais on ne pourra tout de même pas jou-
- Laissez, j'fais la partie pour lui.
- Ouais !! Hurla le jeune garçon plein d'euphorie.
- Passe devant, gamin.
Le marteau en main, les deux garçons se trouvent enfin devant la plateforme de jeu.
- Allez, on les dézinguent.
- Carrément !
- Dis moi, t'as l'air mature pour ton âge non?
- Chui un grand garçon d'abord !
- C'est ça, et moi j'suis Lucy.
- T'es pas une déesse d'abord, ça s'voit !
Chocolatine annonce enfin le départ. Jin à l’affût du moindre mouvement avec dans son dos le jeune garçon, les deux poings serrés et le regard concentré vers la plateforme.
- C'est parti !
- RAAAAAAAAGH !!!
- Ouaaaais !!
*PAF!* *PAF!* PAF!*
- Attention il faut pas taper sur tout les Gloot !!!
- Je sais ! Je sais ! Dit-il agacé.
*PAF* *PAF* *PAF*
Jin utilise tout ses réflexes et frappe de manière énergique les Gloots comme si sa vie en dépendait sur les cris de motivations du bambin. Puis la cloche de fin de jeu sonne, Jin allait tout de même envoyer un dernier smash, les yeux enflammées;
- Preeeend ça !
*PAF!*
Chocolatine, d'une voix timide :
- Hum, c'est fini monsieur. Vous avez fait un score de 10. dit-elle, méfiante.
-Ça veut dire?
- Que j'ai gagné un Gloot !! Ouais !! Hurlant l'enfant.
Jin, haletant, tend le gain, farouchement convoité par le petit.
-Tiens sale mioche, tu l'as bien mérité.
Tournant les talons, il quitte le stand sur le regard admiratif du garçon. Un peu hésitant il prend une inspiration :
- Vous vous appelez comment ?!
Jin, sans se tourner, lève le bras.
- Hidoru !
"Faites des gosses." Tu parles.
Un léger sourire s'affiche sur son visage, tandis qu'il poursuit sa promenade, étrangement aventureuse, à travers le Festival.
Festival du Solstice
La journée est bien avancée, je profite d’un petit creux pour m’échapper et laisser Carci gérer notre stand. Ça ne va pas me faire de mal de me dégourdir les jambes. Je dois bien avouer que ma concentration à faire bouger les origamis bat de l’aile. Besoin de me requinquer moi.
Malgré l’heure avancée le beau monde reste dans les rues, et ça rit, et ça braille, et ça s’engueule. Les gamins courent partout, l’un d’eux me percute et tombe.
- Ben alors gamin fais gaffe où tu vas!
Il me regarde interloqué avant de disparaître à nouveau en courant. De vrais boules d’énergie ces gosses, je sais pas comment ils font ...
Je pars direct à la recherche du stand de Lin, si je peux discuter avec la femme au passage. Savoir un peu comment elle voit notre aventurière intergalactique, une connaissance bavarde, une amie, plus ? Moi et mes gros sabots et y va sans ménagement, Carci me tirera les oreilles plus tard. Ou pas … Arrivé sur place je m’aperçois que seul un Gloot géant accueille les clients. Sérieusement ? Bon le déguisement est plutôt réussi, mais heureusement que le ridicule ne tue pas. Bizarrement ce n’est pas la femme que je recherche qui est dedans. Je retiens un sourire.
Le stand semble avoir son petit succès, pas de tête connue dans les parages, juste un type qui s’agace en début de file. La patience n’est pas la vertus de tous. Un gaillard s’échappe, le feu aux fesses, faisant rire l’assistance. Ai-je réellement envie d’attendre pour taper sur les petites figurines ? Pas vraiment non, mais peut-être le tenancière pourra me dire où trouver Lin ? Alors j’attends, ça va, avec deux jeux ça passe vite. Surtout qu’il faut pas que je tarde trop à faire mon petit tour, qui sait ce que Carci va me réserver à mon retour …
Mon tour arrive, j’attrape le marteau, je parlerai au gloot géant après ma partie. Le top départ est donné, ça va, c’est simple au début. Le temps de se prendre la main quoi. Le rythme accélère, les lumières avec. La fatigue accumulé de mon propre stand me vaut quelques gloots rouge, manque de chance. Finalement je me prends au jeu et ma vue intuitive me permet de reprendre le dessus. Jusqu’à ce que le gamin qui m’a bousculé fasse son apparition dans mon champ de vision transversal, avec ses petits copains.
- C’est lui ! J’suis sûr c’est lui !
Un de ses potes m’accoste.
- Hé M’sieur, c’est toi qui fait bouger le papier ?
Je souffle bruyamment. Je peux vraiment pas avoir de répit. Je reste concentré sur le plateau tout en répondant distraitement.
- Il semblerait oui, mais pour le voir rendez-vous au stand à mon retour les morpions.
Le gosse m’attrape le bras, m’obligeant à arrêter mon tapage frénétique. La femme-gloot s’approche pour les faire partir, à qui croit-elle faire peur comme ça ? Je lui fais signe de laisser tomber avant de répondre un peu sèchement au galopin.
- Tu vois pas que je suis occupé?
Le marmot se démonte pas, il fronce les sourcils et me demande durement de sa voix fluette
- Et tu r’viens quand à ton stand ?!
- Quand je l’aurais décidé!
Il souffle mais se retire résigné. La partie est finie, mon score est de 11. Ça va, je m’en sors pas trop mal avec une fin de partie inexistante. Je récupère mon cadeau avant d’interpeler le gosse.
- Hé gamin, viens là.
Je lui tends la statuette de gloot lui faisant ensuite signe de déguerpir.
- Si ça peut te faire patienter ... maugréé-je.
Il retrouve le sourire et montre son cadeau aux copains, et la troupe part dans un bel ensemble en courant, chacun voulant avoir le Gloot. Chocolatine – qui vient de se présenter à moi – me regarde avec des yeux attendris. Je lève un sourcil, avant de lui faire passer cet élan de mignonisme.
- Vous ne sauriez pas où je peux trouver Lin?
Elle me répond que non, son amie est en vadrouille dans le festival. Ça me fait une belle jambe … Je lève les épaules et part aussi sec, tant pis, j’aurais sûrement la chance de la recroiser ailleurs …code ─ croquelune
Pendant que ses oreilles sifflaient aux braillements des enfants clamant que le monsieur des papiers qui bougent était venu sur le stand, mais était reparti, et il était reparti où, et il avait fait des cadeaux à d’autres enfants, et pas à eux, et pourquoi pas à eux, et ils voudraient aller trouver le monsieur… Et quelle excellente idée. Un sourire amusé à l’image du visage de Naëry s’il voyait débarquer à ses trousses la petite armée de gamins, il espéra vraiment que ces derniers ne s’attarderaient pas de trop au tape-gloot. Donc, sinon, pendant que ses oreilles sifflaient, il observait d’un œil intéressé les divers participants s’échauffant marteau en main. Le jeu réveillait visiblement des instincts animaux au plus profond de chacun. C’était vraiment impressionnant que le plateau de jeu ait tenu en un seul morceau jusque-là. Peut-être était-ce dû à la présence calme mais dissuasive de Chocolatine ?
Un peu plus loin dans la queue, une femme rendit tripes et boyaux sur les pieds de son partenaire. Et ce fût le début de la fin. Rajoutant un peu de chaos à celui déjà ambiant du groupe de marmots devant lui, Calixte crut un moment que les rejets de la fêtarde allaient devenir la nouvelle animation du stand. Entre les exclamations dégoûtées et celles fascinées des enfants, l’exaspération de leurs gardiens, le tumulte en résultant… l’espion n’aurait pas été étonné d’apprendre que le groupe devant lui avait soudainement perdu une bonne moitié de ses membres partis se cacher derrière quelques meubles décoratifs, ou quelques paires de jambes, ou au contraire s’étant mêlé à la foule devant eux pour mieux observer le phénomène. Peu intéressé par les capacités de gestion des jeunes baby-sitters, et pas opposé à l’idée de passer devant le groupe désorganisé, il observa d’un œil distrait les gamins être re-parqués par leurs gardiens un peu affolés tandis que la jeune femme vomissant toujours était éloignée par son compagnon.
Son tour vint ainsi beaucoup plus vite que prévu, et il se concentra entièrement sur l’activité. Il n’était pas connu pour son adresse, ni sa rapidité, mais il comptait bien ne pas faire de score négatif, c’était son objectif de la partie. Saisissant le marteau et le faisant tournoyer, il commença à frapper sur les petites têtes lumineuses se présentant à lui.
Zéro. Avec un sourire satisfait alors que Chocolatine lui adressait un regard peu impressionné, il rendit le marteau et paya son tour.
S’éloignant, il tomba sur le groupe d’enfants que les deux jeunes baby-sitters essayaient toujours tant bien que mal de rassembler après l’épisode vomito. Prenant pitié d’eux, et de la douce lueur de panique grandissant dans leurs yeux et dans leur voix, il s’arrêta à leur hauteur pour leur indiquer les dernières petites têtes qu’il avait aperçues et qu’il leur manquait. Trois gamins avaient profité de l’agitation pour s’approcher d’un stand de peinture magique un peu plus loin, fait qui n’avait pas échappé à son œil averti. Et puis le stand avait été dans son champ de vision alors qu’il se débattait avec les gloot. Pour ses bons services, il fut gratifié d’une sucette aux fruits rouges.
Jamais contre les cadeaux, ni contre les confiseries, il s’éloigna avec sa récompense improvisée. Ensuite ?
La jeune tenancière à moitié chat avait repris la place dans le stand pour laisser Lin libre de vaquer à ses occupations. De ce qu’elle avait dit à Chocolatine, elle ne venait pas que pour le festival mais aussi pour trouver des ingrédients rares et du matériel, elle était donc certainement partie faire des affaires malgré l’euphorie de la Capitale. Le stand avait un succès plutôt correct avec une file d’attente pour le moins impressionnante pour un simple jeu. Lin lui avait dit qu’elle avait eu de drôle de zigoto comme une femme qui voulait un rendez-vous si elle faisait le meilleur score, ce qui rappelait étrangement quelqu’un à Chocolatine. Mais la minette n’avait pas eu le temps de s'appesantir sur tout ça, il y avait du monde qui s’impatientait. En avançant dans la journée, l’alcool avait fait son effet sur certains et les esprits commençaient à s’échauffer un peu trop au goût de la minette qui rappela plusieurs fois certains à l’ordre. Pour les pires cas, la menace de la Garde était suffisante.
Mais, malgré tout ça, Chocolatine s’amusait beaucoup à regarder la foule de la Capitale interagir. Certains se posait en vaillant chevalier comme ce jeune homme aux flammes plus ou moins perverses et ce grand homme qui demandait où trouver Lin.
Elle est certainement en train de faire ses emplettes pour son travail. Assurément, vous pourrez la trouver au bal du palais ce soir. avait-elle gentiment répondu.
Même si le jeu n’était pas si simple, le stock de statuette diminuait petit à petit. Mais l’enchanteresse avait prévu le coup en bourrant son sac-sans-fond de statuette au cas où. Heureusement que Lin a enchanté le matériel pour le rendre plus résistant car certains ne sont que des brutes épaisses au point que Chocolatine est obligée de remplacer certains gloots lumineux. Et cela, c’est sans compter les maladroits dotés de deux pieds à la place des mains qui envoi voler le marteau sur les gens derrières eux…
Lorsque vient mon tour, j’écoute attentivement les explications de la jeune femme pour être certaine de ne rien rater avant de lui donner mon cristal sombre. Marteau en main, je me prépare mentalement. Je ne sais pas si cela sera utile mais je libère une partie de mon énergie qui me fait luire dans la lumière crépusculaire. J’abat le marteau aussi vite que possible usant de mes réflexes de chasseur pour essayer de ne toucher que les gloots verts. Pendant tout le temps que dure le jeu, j’essaye de rester parfaitement concentrée sur mes cibles. Lorsque la jeune femme m’annonce la fin du jeu, je me sent comme crispée tellement prise dans le jeu que j’en ai mal partout.
C’est un bon début, neuf points. C’est assez pour gagner une statuette lumineuse mais pas pour détrôner la championne.
Je sourit à la demoiselle chat en récupérant ma statuette de Gloot qui s'apprête à bondir. Un petit jeu sympa mais trop crispant à mon goût. Cela devrait être amusant de faire des concours en groupe avec ça par contre.
Il s'agissait d'un simple jeu de frappe où des gloots de différentes couleurs surgissaient à intervalles réguliers. Un design ridicule et un concept pas très intéressant, selon elle, mais elle ne résistait pas à l'envie d'exploiter le potentiel de son pouvoir afin de ridiculiser les autres participants. C'est pourquoi elle s'avança dans la file, attendit sagement son tour et s'equipa du marteau. Chocolatine s'avança alors pour lui demander si elle connaissait les règles.
Alors, elle frappa à de nombreuses reprises sans même prendre le soin de regarder les cibles de ses coups. Le nombre de point grandissait rapidement sans qu'un seul des gloots rouges et éteints ne soient touchés. Un son marqua la fin du jeu, et elle posa le marteau sans observer le compteur.
Chocolatine s'approcha d'elle, visiblement stupéfaite.
« Et donc ? C'est un score correct ? »
« Non. Enfin, si. C'est suffisant pour vous faire gagner... Mais vous aviez atteint un palier que l'on pensait impossible à atteindre et votre score semble s'être réinitialisé. Je suis absolument désolée, vous êtes théoriquement notre scoreuse mais... » dit-elle, toujours troublée. « Vous vous entraînez ? Vous êtes particulièrement douée. »
« Non. Pas vraiment. »
« D'accord, c'est d'autant plus surprenant. Voici votre récompense, n'hésitez pas à revenir nous impressionner ! »
Elle lui offrit la veilleuse en s’excusant à nouveau. Mysora récupéra le lot et s'éloigna sans un mot, à demi-décue.
Après un détour par le Bal des Palais riche en potins et, peut-être un peu plus que prévu, en boissons, les pieds du l’espion avaient repris leur déambulation entre les stands. Peut-être un peu plus bancalement et certainement plus allègrement qu’un peu plus tôt dans la journée. Plus que de traîner une oreille attentive aux bruits de la rue, il profitait simplement de l’atmosphère festive en furetant ici et là, bon gré mal gré de ses impulsions. Et, une nouvelle fois, ses pas le menèrent au niveau du Tape-Gloot. Il ne savait pas si Chocolatine avait d’autres habitués que lui, mais il n’hésita pas à refaire la queue.
Un éclat attira son œil, et il se pencha pour observer les participantes s’acharnant sur les têtes lumineuses. L’une d’elles était entourée d’un fin halo lumineux. Un pouvoir en action ? Le jeu se finit trop rapidement pour que le cerveau un peu enivré de l’espion élabore d’autres théories plus évoluées, et il continua à observer distraitement les joueurs se succédant. Il mit un peu de temps à remettre le délicat visage aux mèches rousses, puis il se souvint qu’il l’avait croisé un peu plus tôt dans la salle de bal du Palais Royal. Mysora Veriano. Qui eut une manche très étrange, et Calixte ne comprit pas la moitié de ce qu’il se passa. Néanmoins, il nota qu’elle était bien plus douée que lui pour ce type d’activité. Ou qu’elle avait la main plus heureuse. Enfin, il n’était pas bien compliqué de se montrer plus agile que lui.
Bientôt ce fut son tour, et il échangea à nouveau un cristal sombre contre le petit marteau sous le regard attentif de Chocolatine. Allez ! S’il pouvait éviter un score négatif et décoller un peu de zéro…
Le jeu s’activa, et les petites têtes lumineuses sortirent de leur trou. Déterminé par ses échecs précédents et quelque peu désinhibé par son passage au Bal des Palais, il se plongea avec ferveur dans son martelage de gloots.
Et peut-être qu’il s’agissait finalement d’une bonne combinaison, car lorsque le jeu s’éteignit, il avait enfin atteint le score limite mais requis de huit points. Après une exclamation de victoire, il échangea son marteau contre la petite statuette que lui tendait Chocolatine et rangea celle-ci aux côtés de la peluche d’eriophai et du centipède en origami. Bon. Il était temps de reprendre la route du Palais Royal.
Il court, il court, le furet… J’me suis jamais vu comme ça, mais j’ai rarement eu à courir comme ça aussi, faut dire. Après avoir balancé la vieille peau et son amant trop jeune dans les pattes de Zahria, j’pensais qu’elle allait s’accrocher à elle et essayer de lui arracher son pantalon. Après tout, si on est désespéré, on est prêt à tout, normalement, voile ou vapeur, pour un peu de chaleur humaine, de plaisir, tout ça…
Enfin, j’avais tablé là-dessus, mais la grand-mère n’a pas été assez vorace, ou l’homme d’âge indéterminé assez agressif pour défendre sa dulcinée.
Tant pis.
J’entame un virage vers la gauche, et j’arrive à l’endroit où se trouvait le tape-gloot. Ah ça, ce stand, j’le connais bien. J’y ai fait de nombreux aller-retours, au point que j’pourrais être intime avec Chocolatine, si elle m’oubliait pas. Avec l’heure tardive, y’a plus personne, évidemment. Enfin, presque plus personne, plutôt, j’avise quelques gens autour. Mais bon, personne de bien important, à moins de réussir à suffisamment les énerver pour qu’ils s’en prennent à Ahlysh…
J’rentre à l’intérieur du stand, et j’attrape les petits maillets qui servent aux bornes du tape-gloot. J’les balance au jugé derrière moi, sur Zahria, pour la ralentir. Puis j’renverse le tape-gloot dans sa direction, avec tous les mécanismes magiques de gloots qui vont rouler au sol, et pourrissent là où elle peut se tenir. Ils font des petits bruits énervants. Comme des vrais gloots, en fait. J’shoote dans l’un d’eux, pour marquer mon irritation personnelle.
Et j’lui balance une des veilleuses à la tronche, allumée.
Pas le temps d’attendre pour voir à quel point ça la bloque. J’fais feu des deux fuseaux, en espérant bien la semer cette fois…
Tain, mais c'est qu'il s'accroche, le con. Il a pris une potion d'endurance ou quoi ? Même elle, elle commence à avoir un point de côté. Quand c'est pas la tête... Ils arrivent au tape-gloot. Elle est passée par là, plus tôt dans la journée. Elle y a même gagné une petite veilleuse toute mignonne. Ça brille, elle aime bien. Elle est pas trop repassée, sinon elle aurait croisé Vrenn, et notre histoire se serait terminée bien plus tôt, et ils auraient pas été en train de courir en plein milieu du festival là tout de suite. Avouez que ça aurait été dommage.
Y'a un origami d'oiseau qui essaye de s'échapper du nid dans ses cheveux, mais elle n'en a cure. Yeux fixés sur le barbu qui a été son ami d'enfance, elle lâche pas, elle non plus. Même si ça commence à fatiguer. Faudrait qu'il lève un pouce, juste deux secondes, qu'ils reprennent leur souffle... Derrière Zahria, y'a un gars qui s'est mis à les poursuivre, d'ailleurs. C'est le mec qui draguait la mamie. Qu'est-ce qu'il veut lui, maintenant ?
Zahria évite les maillets qui lui arrivent dessus, mais le mec derrière, un peu moins. Elle l'entend grogner de douleur, ça lui ferait presque plaisir. Elle en rattrape un au vol, le relance en direction de Vrenn. Ça fuse à côté de son visage, mais ça le rate quand même largement. Dur de viser dans ce genre de condition.
Vrenn fait tomber le stand de gloot. Ok, va falloir sauter. Elle prend son élan, bondit, et se rattrape mal, son pied ayant heurté un gloot qui ressortait de son trou. Derrière, le gars s'arrête, passe une jambe, puis l'autre. Ça lui fait perdre de précieuses secondes, mais au moins, il s'est pas fait mal. Il doit en tenir une couche, lui aussi, dis donc. A se demander si c'est pas Jack qui l'a servi aujourd'hui.
Comme elle était retournée pour voir l'homme derrière, Zahria fait pas gaffe à la veilleuse. Elle vient lui cogner sur le front alors qu'elle reportait son attention sur sa course. Aïe. Ça fait mal. Ça saigne un peu, même. La veilleuse rebondit, tombe un peu plus loin. La brune est sonnée. Y'a un barbu, là-bas, qui s'éloigne en courant. C'est Vrenn, putain ! Il faut qu'elle le rattrape !
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