Mais pour la frêle blonde, c'était l'odeur qui captait le plus son attention. Chaque bouge, chaque bouiboui, chaque brasserie, chaque auberge avait son bouquet olfactif propre, bien distinct. Ici remugle de vieille sueur et reste sucré d'alcool renversé, là mélange brutal et malvenu de senteurs aromatiques et d'un reste de graisse brûlée... Au delà de la décoration, de la tête du patron ou de l'apparence des clients, la jeune femme aimait se fier à cette signature sensorielle, bien plus riche qu'il n'y paraissait au premier abord.
Ne disait-on pas qu'on flairait une bonne affaire ? En l'occurrence, l'endroit, bien qu'assez propret, était encombré de fumée diverses et variées, qui rendait l'atmosphère du lieu aussi épaisse que floue, tant pour le nez que les yeux. Et c'était plutôt bon signe.
Cela faisait déjà quelques jours que Jelizabeth zonait dans la Capitale. Nulle doute à ses yeux que, d'ici peu, cette ville serait pleine d'opportunité pour elle aussi. Mais... Le peu de contact qu'elle y avait ne lui avait pas été d'une grande aide jusqu'à présent. Elle ne désespérait pas pour autant, tout cela allait de toute manière prendre un certain temps.
La plus grande ville du Royaume se devait d'avoir son lot de trafics, c'était évident. Et pour avoir eu une partie des fruits de son recel envoyé là par le passé, tantôt par les routes tantôt par le fleuve, la jeune opportuniste qu'elle était avait déjà un pied à l'étrier. Il n'empêchait que, en l'état, la jeune femme manquait cruellement d'informations. Et, alors qu'elle s'avançait d'un pas souple dans la semi-pénombre, ce fait la fit sourire.
Oui, Jelizabeth ne se trouvait pas dans une situation très reluisante pour le moment, et cela n'allait pas changer d'un seul coup. Pour l'heure son objectif était assez simple et modeste. Et cet objectif, il se précisa sous la forme d'une drôle de bougresse, marmonnant dans sa chope au fond de salle. Cheveux couleur d'os, cicatrice sur la joue, la description semblait bien correspondre.
Elle-même devait sans doute avoir un air peu conventionnel, surtout pour l'endroit. Perdue sous une lourde cape de laine grise, Jeliz' paraissait plus pâle et fine que jamais. Le capuchon relevé, un sourire à ses lèvres un peu bleuies par le froid, la jeune femme s'avança nonchalamment, posa ses doigts sur un siège alors qu'on levait des yeux ronchons sur sa personne.
- Un autre verre, ça vous dit ?
Mais voilà. On lui avait posé un lapin. Telle était la triste histoire d'une jeune femme qui cherchait compagnie et quelqu'un pour réchauffer son lit, mais qui se voyait refuser ce simple plaisir. Pourquoi ? Aucune idée. Peut-être était-ce à cause de ses blagues de piètre qualité, ou de ses remarques grossières, ou de son comportement de rustre. Pour toutes ces raisons, il n'était donc pas étonnant pour un œil extérieur de la voir se prendre un râteau. Toutefois, elle n'allait pas se morfondre éternellement, et après cette chope, elle irait jouer aux cartes avec les clients du coin, provoquerait une bagarre quelque part, casserait les couilles à un ami s'il elle en croisait un, ramasserait des informations ci et là en discutant avec les autres alcooliques, et partirait en chasse d'une autre donzelle qui voudrait bien l'accepter. Qu'il était dur et difficile d'être une femme ! Elle aurait eu bien plus de succès avec son ancien corps.
-Putain, si j'avais encore une paire de couille. Marmonna-t-elle dans sa (non) barbe.
Bah.
Même si elle avait l'air de se morfondre dans son coin, cela n’empêchait pas la jeune femme aux cheveux blancs de tendre les oreilles pour écouter ce qui se disait en ce moment. De tout temps, les tavernes étaient l'endroit où les informations, vraies ou fausses, circulaient dans un flot ininterrompu. Il n'était pas rare d'entendre une rumeur au coin d'une taverne avant qu'une semaine plus tard, l'information soit confirmée dans un papier quelconque. Le tout était donc de déceler le vrai du faux, et même d'utiliser les fausses rumeurs pour se rapprocher de la vérité. Depuis le temps, avec ses longues années d'expériences, Astrid était passée maître en la matière. Toutefois, même 500 ans d'expériences ne suffiraient pas à être sûr de quelque chose à 100 % . Et là, l'information ou la rumeur qu'Astrid voulait entendre était, quelle jolie fille s'était fait remarquer ces temps-ci pour qu'elle tente sa chance, eh.
Sauf que, Lucy farceuse qu'elle était, ne lui envoya pas la bonne personne. Au lieu de ça, on lui envoyait une nana encapuchonnée, à la peau bien pâle, et d'une minceur presque effrayante rien qu'à regarder ses doigts. Astrid doutait qu'elle ait une forme quelconque plantureuse sous sa cape, dommage. Pas d'humeur pour perdre son temps, la citoyenne s'était apprêtée à la recaler…
-Écoute gamine, j'suis d'humeur massacrante et…
- Un autre verre, ça vous dit ?
AH.
-...Eeeeeeeeeeet oui, j'ai bien envie d'un autre verre. Dit-elle en de meilleure humeur, avant de lâcher un…Buuuuuuuuuurp ….en pleine face de l'inconnue. Oops, pardon.
Grâce et élégance, telles étaient les mots ne décrivant pas Astrid. En tout cas, elle était prompt à changer d'avis quand un autre verre était en jeu, heh.
-En voyant ta peau de porcelaine, j'ai pas pu m’empêcher de roter comme un...porcelet, heh ! *hic*
…C'était exactement la raison pour laquelle elle était ce soir seule et qu'elle s'était faite recaler. Mais bon, si elle devait finir seule, soit ! Jamais elle n’arrêterait de faire des blagues de merde, même si elle avait la gorge tranchée !
Habituée à ne pas être prise particulièrement au sérieux, Jelizabeth marqua un petit temps d'arrêt devant la grossièreté débridée de son interlocutrice. Petit temps d'arrêt donc, celui de s'asseoir, de froncer machinalement le nez pour éviter de respirer l'haleine fermentée éructée à son visage, d'enfin attirer l'attention d'un serveur qui passait, et la jeune femme se retrouvait déjà à se demander s'il ne valait pas mieux partir au plus vite. Ce ne serait pas la première fois qu'on lui refilait une info' en bois, après tout, et elle avait encore du temps. Temps qui serait peut-être mieux passé ailleurs que devant cette fichue malotrue, lui soufflait une petite voix dans sa tête... Jeliz' tenta de chasser ces pensées malvenues. Tirer un peu les vers du nez d'une bougresse pareille n'allait pas être bien dur, quand même !
- Hahem, ouais... De mon coté je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que v... t'avais l'air bien abattue.
En son for intérieur, la petite blonde n'était guère convaincue par ses propos, mais l'arrivée du serveur avenant, un plateau vide à la main, vint lui donner un peu de répit. Lui et la grossière aux cheveux blancs se connaissaient manifestement bien. Au passage, Jelizabeth nota soigneusement que le nom correspondait bien, Astrid. Un petit "c'est pour moi" accompagné de sa propre commande, et elle pouvait retourner à ses petites affaires.
- Ce serait bête de boire seule dans son coin dans un moment pareil hein.
Question banalité, on se posait là, mais il fallait bien commencer quelque part, préparer le terrain pour plus tard. Comme pour lui donner raison, les chopes arrivèrent avec une rapidité exemplaire, et claquèrent bruyamment sur le plateau de la table. Laissant sa comparse à sa boisson pour le moment, la jeune femme tritura pensivement son propre verre du bout des doigts, les yeux ombragés par ses cils alors que ses paupière, languissamment, s'abaissaient comme pour mieux laisser ses mains profiter des sensations. Cela ne dura pas bien longtemps, et elle prit une rapide gorgée avant d'enchaîner.
- Hmm... Je suis un peu paumée ici, ça fait pas longtemps que je suis arrivée. Quoi de neuf à la Capitale ? Ou... peut-être que tu veux vider ton sac, même avec une curieuse inconnue ? Je suis d'humeur à écouter.
Ohoh ? Même avec Astrid se comportant de la sorte (rot et blague compris), la personne avait décidé de rester pour taper la discussion ? Bizarre. Dans une grande majorité des cas, les gens décidaient juste de repartir en faisant mine de ne l'avoir jamais abordée. Sauf quand c'était des hommes qui étaient parfois un peu plus insistants. Astrid en conclut donc que la jeune femme chétive avait une bonne raison de venir lui parler.
Donc la citoyenne avait l'air abattue, et elle était venue la réconforter en lui payant une bière et en lui tenant compagnie tout en l'écoutant se plaindre…. ?
Astrid fit la moue un instant, tentant de réfléchir à ce qu'elle lui voulait. En général,quand les gens l'abordaient, c'était pour une raison bien précise. Surtout quand on connaissait son métier. Ou….peut-être que…. ? Noooon….. ? Quoique….. ?
???
…
Mais oui ! Pourquoi n' avait-elle pas pensée ! Cette jeune femme bien louche était tombée sous le charme d'une Astrid en plein trouble et en plein peine de cœur !
Comment ça c'était pas ça ?! Bah ! Elle avait légèrement bu, elle pouvait bien penser que c'était ça ! Bon. Il y avait toujours la possibilité que la femme à tout faire se soit fait aborder juste pour qu'on lui soutire des informations, c'était même à 99 % le cas, mais, dans son petit désespoir de la soirée, elle n'allait clairement pas cracher sur les 1 % que la jeune femme était peut-être intéressée par Astrid.
-Héhéhé…. ricana-t-elle bêtement en se grattant la tête, flattée de se faire aborder comme ça par une jeune femme, aussi maigrichonne et pas à ses goûts soit-elle. Ouais, ce serait bête de boire seule. On est mieux à deux ! T'as pas trop chaud avec ta cape et ton capuchon ? Rien qu'à te regarder, j'en ai des sueurs.
Oh ? Donc elle était nouvelle à la capitale. Hmm, pas étonnant qu'elle soit un peu perdue, c'était grand à en perdre la tête, surtout quand on venait de la campagne. Hmm hmm.
L'alcoolique grossière accueillit la nouvelle chope en y buvant goulûment une gorgée et tapa la choppe contre la table avec un soupir de soulagement. Qu'est-ce que ça faisait du bien de boire avec quelqu'un ! Une femme qui plus est !
-Si t'es d'humeur à écouter c'parfait ! J'suis d'humeur à parler et à me plaindre ce soir ! La raison pour laquelle je bois seule ce soir, c'parce qu'une nana m'a posée un lapin ! Rien qu'à y repenser, cela la rendait en colère et elle gonfla ses chauds en fronçant les sourcils. Elle avait promis pourtant ! Et j'suis sûre que si demain j'lui demande pourquoi elle est pas venue, elle me dira juste que quelque chose d'urgent a eu lieu et qu'elle pouvait pas venir, qu'elle est désolée et patati et patata. Mais je sais bien que c'est juste un subterfuge pour me mettre un râteau. Pfff ! Et dire qu'il suffirait juste de me dire non ! J'suis pas une forceuse pourtant.
Hmm. Ce n'était pas le genre de discussion qui intéresserait la jeune femme qui l'écoutait. Oops. Essayons de nous rattraper avec des trucs intéressants et en s'intéressant un peu à elle au lieu de parler de soi-même. Astrid avait peut-être une chance après tout !
-Ah sinon pour les rumeurs à la capitale ? Y'en a tellement que c'est difficile de savoir par quoi commencer. Une nouvelle taverne a ouverte y'a pas longtemps et l'alcool y est pas mal. Y'a la compagnie Veriano, une famille de noble, qui touchent un peu à la vie du peuple et qui recrute pas mal. Tu pourras ptet trouver un taf là bas si t'en as pas un. Et sinon euh, par exemple, j'ai entendu dire qu'une pâtisserie excellente offrait un gâteau aux fraises pour les couples. Tu veux qu'on y aille un de ces jours ? Ils sont vachement bons ! Ah euh sinon, c'quoi ton blaze ? Mwa c'Astrid. T'es arrivée quand ? Si t'as pas d'endroit où crécher, j'peux t'inviter chez moi.
Elle disait qu'elle n'était pas une forceuse hein ? Heh.
L'art et la manière de mélanger des rumeurs utiles et des rumeurs inutiles. Dans tous les cas, c'étaient des rumeurs qui intéressaient Astrid, surtout celle qui parlait de la nouvelle taverne et du gâteau offert, grande gourmande qu'elle était.
Cela ne l'empêcha pas de ne pas particulièrement goûter ces manières, pas plus que le commentaire l'invitant, sans doute simplement amène mais peut-être un peu salace, à se dévêtir au moins en partie. Mais l'inconnue disait vrai, l'atmosphère de la taverne était autrement plus chaude que l'air mordant des rues de la capitale. Jeliz' ouvrit sa cape d'un geste fluide, révélant son chemisier lie-de-vin, dont elle ouvrit les boutons sur son cou délicat, ceint d'une fine chaîne d'argent qui se perdait en contrebas, jusqu'à la naissance de sa lisse et blanche poitrine que rehaussait légèrement son corset-ruban gris. Elle ponctua son geste d'une petite saillie, jetée d'une lèvre faussement négligente.
- Tant que ça ne te file pas plus de sueurs de voir ce qu'il y a sous la cape, hein ! Vrai qu'il fait un peu chaud ici.
Au torrent de paroles qui suivit, la jeune femme comprit que, décidément, elle était tombé sur une certaine source d'informations. Même si, pour filer la métaphore, on se trouvait plus en présence d'un jaillissement bourbeux et divers que d'un ruisselet pur et clair. Bien contente d'avoir quelqu'un à qui raconter sa vie, la bougresse ne s'en priva pas. Moins enthousiaste, Jelizabeth ne lui offrit pas moins une oreille attentive, attestée par sa fine bouche, dont le sourire voguait de la politesse à l'amusement plus franc, en passant par un plus sardonique à peine voilé. D'un ton sensiblement plus bas que sa comparse, et avec des intonations trainantes, elle se permit quelques commentaires au passage.
- ... La vile, qui voudrait te poser un lapin... Aha, huh, huhum, oui... Je vois le genre oui... Oh non non, qui dirait ça, une forceuse...
Mais sa patience, quoique doucement mais sûrement érodée, lui fut de bon conseil, car Astrid, c'était son nom, mettait d'elle-même le couvert en se fendant d'une enfilade confuse. S'y côtoyaient pêle-mêle quelques informations utiles, quelques inutiles, un peu de faux-semblants intéressés, à boire et à manger en somme. Pas assez pour simplement s'arrêter et lui fausser compagnie, mais la frêle blonde en eut brièvement l'envie, la faute à la question sur laquelle son interlocutrice finissait sa diatribe. C'était le genre de réponse aussi silencieuse qu'éloquente qui lui aurait bien plu. Mais non, il fallait bien continuer, au moins un peu.
- Donc j'ai une tête à être à la rue si je comprend bien... Héhé, je plaisante, mais ne te biles pas... Astrid hein ? Moi c'est Jeliz'. Je me débrouille pas trop mal, je pense.
Faisant une petite pause, Jelizabeth toucha enfin à sa boisson, et prit une longue, lente gorgée, savourant le trajet du liquide froid jusqu'à son estomac. D'un doigt souple, elle essuya la commissure de ses lèvres, les yeux flottant autour de la blanche chevelure ébouriffée devant elle, avant de revenir se ficher dans le regard bleu sombre.
- Et je suis là depuis... Une petite semaine, quelque chose du genre. J'ai vaguement entendu parler des Veriano, oui... Je me demandais s'ils étaient les seuls à étendre leur commerce, en ville.
Partie croissante en elle que celle l'incitant à ne pas espérer grand-chose d'utile de cette Astrid. Mais elle prendrait ce qui viendrait, et au moins elle viderait son verre, il serait bête de gâcher. C'était dans ce genre de moments que la jeune femme maudissait sa délicatesse, en l'occurrence sa gorge qui refusait de descendre l'alcool à grande vitesse. Elle aurait voulu jouer les piliers de bistrot avec sa comparse qu'elle n'aurait pas pu...
-Mince alors ! S'exclama Astrid en voyant l'autre jeune femme finalement retirer sa cape.
Et ce n'était pas une expression pour marquer la surprise, mais un constat de la maigreur de la jeune femme. Astrid aurait espéré voir des formes un peu plus attrayantes, et fut donc légèrement déçue. Mais est-ce qu'elle était bien placée pour faire la difficile ? Pas vraiment.
Une autre chose qui étonna l'ex-commandante c'était que son interlocutrice lui souriait et était restée au lieu de prendre ses jambes à son cou en écoutant la tirade d'une alcoolique au cœur brisé. En temps normal, n'importe qui aurait tout simplement mis les voiles avant qu'elle ne finisse, la trouvant bien trop chiante. Tout cela conforta la vieille-jeune femme dans son hypothèse du début : Cette jeune bien louche avait le béguin pour Astrid !
Oui, il lui en fallait peu pour se faire de fausses idées. Elle savait que ce n'était sûrement pas vrai, mais elle pouvait espérer.
-Jeliz' huh. Répéta-t-elle en prenant ensuite une gorgée de bière. Un blaze peu commun. Mais peu importe le blaze, il y avait toujours un jeu de mot à faire comme... ça me rappelle qu'hier Jelizai justement un bouquin sur les aventures d'un nain appelé Frolon Sachet et de son anneau magique, c'était pas mal oui.
Aucun rapport, mais c'était pour faire un jeu de mot et montrer à la jeune femme tous les talents d'Astrid pour faire des jeux de mots absolument nazes et à chier. Et encore, l'alcool ne lui était pas encore monté à la tête, car qui sait si elle n'aurait pas continué pour faire un jeu de mot dans une autre langue inconnue et inexistante en Aryon.
Sans s'en cacher et sans honte aucune, Astrid observa la jeune femme de plus près qui buvait son alcool lentement. À regarder de plus près, et peut-être avec l'effet « alcool » qui faisait peu à peu son effet, elle était pas mal.
Donc elle était là depuis une semaine et se débrouillait bien ? Au vu de la maigreur, Astrid aurait assumé qu'elle ne mangeait pas vraiment à sa faim, mais en y repensant, elle n'était pas vraiment habillée comme une clocharde sans le sous. Et puis, si elle pouvait payer des verres à Astrid, c'était qu'elle pouvait se le permettre.
-Boaaah ! T'es là depuis une semaine, t'as un endroit où crécher, t'as des habits pas dégueux, et tu peux même te permettre de me payer de la bière ! Tu fais quoi dans la vie pour avoir tant de succès ? T'es noble ? Tes parents sont riches ?! J'veux connaître tes secrets ! Parce que moi j'me souviens que la première semaine où j'étais arrivé, j'avais que dalle et j'ai dormi dans les rues quelques jours en crevant la dalle ! Mais ça c'parce que je m'étais ptetre pas si bien préparé héhéhéhéhéhéhé.
Une pipelette qui racontait sa vie qu'on ne lui avait jamais demandé et qui en plus, se montrait un peu trop curieuse. Mais telle était sa nature, et elle n'était pas prête de changer.
Remarquant qu'elle n'avait plus aucune goûte dans sa chope – déjà -, après avoir pourtant retourné la choppe dans tous les sens, la jeune femme grivoise commanda une autre bière.
-Si les Veriano sont les seuls ? Naaaaah. Y'a pleins de familles qui cherchent à devenir encore plus riches que Crésus. Bordels, transport fluviale, ouverture de restauration rapide – y'en a qui sont trooooooooooooop bons-, des tavernes nouvellement ouvertes pour attirer le peuple avec de l'alcool « jamais vu et jamais bu », contre-bande en tout genre et même de godemichets….Y'a même tout pleins de maisons de jeux, mais j'aime particulièrement bien ceux de...euh...Séramachin Orkychose ! Mais bon, rien ne bat les jeux dans les tavernes, parce qu'au moins, on peut tricher comme on veut et facilement ! Heh, mais surtout le répète à personne parce que...buuurp.
Elle lâcha un rot pour finir sa phrase, et termina le tout avec un sourire niais.
-Faudrait que je t'emmène à l'un de ces restaurants rapide un de ces jours, c'est bon et ça fait gagner du poids !
Comme d'habitude, le tact n'était pas son meilleur ami.
- Haha, rien à voir avec mes parents, mais c'est vrai que je me suis... préparée, disons. J'avais travaillé pour avoir suffisamment de coté et quelques petits contacts pour ne pas juste me retrouver sur le trottoir.
Jelizabeth regretta instantanément son choix de mots. C'était bien le genre de formulation qui pouvait prêter à une blague vaseuse, mais il était trop tard pour le remarquer... Plus qu'à espérer que l'esprit manifestement mal tourné d'Astrid n'en fasse pas grand cas. Alors qu'on amenait une nouvelle chope pour cette dernière, la blonde se permit une autre longue et dernière gorgée.
- Séra... Orky... ? Bon, je devrais pouvoir retrouver le reste toute seule... Héhé... Quoi, tu te vois déjà battre le pavé avec une nouvelle amie ? J'ai l'air si sympa que ça ?
- Trèèèèèèèès sympa même, hein Jeliz' ? J'te dérange ? On dit quoi ?
La remarque, impromptue s'il en était, émanait d'un grand dadais à l’œil canaille, à la barbe grise et hirsute, au crâne chauve et tatoué, tavelé à force de se prendre le soleil et les intempéries de plein fouet. C'était bien le genre de bougre que l'on pouvait reconnaître d'un regard et d'un seul. Bix, se faisait-il appeler, quand ce n'était pas autre chose, et dans le quartier ou vivait Jeliz', c'était le genre de vieux fou que beaucoup connaissaient au moins vaguement. Il faisait presque partie du paysage. Toujours à traîner par ci, brailler par là, jamais à faire grand-chose, mais bien prêt à quémander quelques cristaux, un petit bout à grignoter, un coup à boire... Sans qu'on sache vraiment si le vieil homme était à la rue, toqué, radin, menteur, ou tout cela à la fois. Un parasite de la société un peu plus dérangé et malin que les autres. Et évidemment, Jelizabeth avait déjà bien eu à faire à lui. La jeune femme retint difficilement un soupir.
- Me déranger, quelle idée, qui oserait penser ça... ? Si c'est pas très, très urgent, tu vas voir ailleurs, d'accord ?
Elle s'était déjà foutue une emmerdeuse sur les bras, pas besoin de renfort. Son ton, piquant, fit s'esclaffer le vieux briscard, mais le message semblait bien être passé. Pour appuyer ses propos, elle congédia Bix d'un geste péremptoire de la main, avant de commander elle aussi une autre bière. Soulagée d'avoir éviter un mauvais moment, Astrid lui semblait maintenant bien plus supportable.
- Désolée, c'est un zonard que je croise souvent... M'enfin passons. Tu parlais d'un truc de nourriture à emporter, c'est ça ? Et oui, je l'admets, je ne suis pas très douée pour grossir.
Ooooh, donc la gamine était débrouillarde et avait tout préparé à l'avance ! Yep, tout le contraire d'Astrid il y a quelques années de cela qui était venue les mains dans les poches en pensant pouvoir se démerder. Les jeunes de nos jours s'amélioraient et devenaient un peu plus indépendants, c'était bien ça.
Et bien sûr, elle n'allait pas rater toute allusion ou toute blague lourdingue et salace, quitte à réduire ses chances à néant, expliquant bien d'ailleurs pourquoi elle se retrouvait si souvent à dormir seule dans son lit :
-Pour ne pas te retrouver sur le trottoir ni faire le trottoir hein ? Vachement débrouillarde ! Mais je pense que t'aurais eu du succès, heh. C'dommage.
Heh. Est-ce que c'était vraiment un compliment à faire ? Pas vraiment. Est-ce qu'elle l'avait fait quand même en le sachant pertinemment ? Oui.
-Aye. Confirma-t-elle lorsque l'autre jeune femme si elle avait l'air si sympa que ça. Une personne qui m'a écouté jusqu'à là sans partir malgré mes blagues est forcément une bonne personne sans aucune mauvaise intention ! Et j'parle par expérience !
Elle n'y croyait pas elle-même un seul instant, mais ça sonnait cool sur le moment, pour elle.
Demain en se réveillant, si elle s'en souvenait, elle se dirait sûrement que ce n'était peut-être pas si cool que ça.
-OooooooOh ! Si c'est pas Bix-ounours !
Ce sacré Bix-ounours ! Ce n'était guère un inconnu, mais pas un ami proche d'Astrid non plus. Elle se rappelait avoir eu affaire avec lui. Pour boire, s'échanger des infos et rumeurs, et d'autres trucs. Dans d'autres circonstances elle lui aurait bien payé un verre, mais elle était en charmante compagnie donc non. D'ailleurs Jelizabeth avait avait renvoyé l'autre bouler un peu plus loin. « Kyaaaa ! » Tout ça renforçait son idée de tête à tête.
Était-il temps de conclure et de l'emmener à l’hôtel ? Avait-elle donc réellement une touche ?
-Ye, de la bonne bouffe en plus. Y'en a un qui s'appelle le McAryon, ils font un bon steak, du fromage, des tomates, de la salade, le tout entre deux pains moelleux, et accompagné de pommes de terres frites, ou aussi communément appelé des frites. Tout en décrivant le tout, elle sentit la bave lui dégouliner le long de la bouche qu'elle nettoya rapidement d'un coup de manche. Mais sinon grossir c'pas magique: il faut beaucoup manger, matin, midi, après-midi, soir, pendant la nuit, et faire du sport. Ye, ça aide à gagner du poids aussi, de faire du sport et de se dépenser. La citoyenne but une gorgée de sa bière et poussa un profond soupir de soulagement, encore une fois. S'accoudant sur le comptoir, elle regarda Jelizabeth droit dans les yeux : Tiens, t'savais que les rapports sexuels ça permet de se dépenser aussi ?
Et, de façon presque comique, ou triste selon le point de vue, elle leva les sourcils et les fit redescendre à plusieurs reprises pour appuyer le sous-entendu obscène.
C'était l'une des raisons pour lesquelles elle n'arrivait pas souvent à conclure, aussi, heh.
Le tout était de savoir jusqu'à quel point l'autre jeune femme allait pouvoir supporter Astrid avant de prendre ses jambes à son cou face à la lourdeur et à la beauferie de cette dernière.