C’était presque une soirée comme les autres sauf que cette fois-ci j’avais préparé un plan diabolique pour aller assister à la représentation de la saison au ballet du Grand Théâtre. Les places coûtent une forme, je n’avais pas les moyens de m’en prendre surtout pour ce que je voulais faire n’était pas dans la prestation payante du numéro, non j’avais beaucoup mieux, j’adorais ce rapport étroit et presque intime avec les danseuses, certains diront qu’on pouvait ressentir leur âme dans la danse moi je dirais plus que c’est encore mieux !
Bon je ne vais pas vous faire un dessin, c’est beaucoup mieux d’aller les voir dans leurs loges quand elles se changent et aussi dans les vestiaires pour être au proche d’elles, là c’est intéressant, le clou du spectacle même ! J’attendis alors dans le coin d’une ruelle que la musique s’anime, preuve qu’il était temps que je mette en route mon plan, passage par l’arrière du bâtiment, discussion avec le monsieur sécurité, lui dire que ma soeur m’a demandé de toute urgence de lui rapporter ses médicaments à la femme qui était responsable des décors du spectacle, elle les attendait à l’entracte. Je lui rabache que j’ai vu toutes les répétitions dont je m’en fiche clairement du numéro, moi je veux juste donner les médocs à ma grande soeur chérie et il me laisse enfin entrer pour mon grand bonheur.
Je me cale en coulisse, trouve mes cachettes idéales, les gens ne font pas encore attention à moi, j’étais une autre de ses personnes qui travaillent pour le théâtre, une fourmilière comme une autre, les bruits de pas s’accentuent, c’était l’entracte, je dois me trouver une autre cachette et surtout trouver ses fameuses douches où je pourrai me rincer l’oeil. Je trouve les loges des danseuses principales puis aussi la chaufferie magique pour l’eau chaude, j’étais tout proche de mon but. Je vais me contenter de me positionner là, attendre puis activer mon pouvoir pour mon plus grand bonheur.
Je traînais ainsi pendant peut-être une heure, certains techniciens plateau courraient partout, il y en a un qui hurlait, on devait se pousser car elle avait une envie pressante mais elle se débattait avec sa tenue, c’était risible mais je lui ai juste hurlé que je pouvais lui arracher pour elle mais elle m’a lancé un regard noir à me transpercer les entrailles. Bon j’aurai dû me taire.
Les applaudissement retentissent, la foule acclame les artistes et moi je vais bientôt m’amuser, je me glisse dans les vestiaires et attends les premiers bruits pour activer mon pouvoir. Ça ne dure pas longtemps avant que j’entends les pas de velours des danseuses, oh chouette ! J’active mon pouvoir et me contente de m’asseoir sur un banc. Il y avait cinq danseuses, deux blondes, une rouquine et deux brunes, on voit directement le premier rôle, une des blondes, elle avait une longue chevelure qui tombe au-dessus de ses fesses quand elle lâche sa délicate queue de cheval. Les autres continuent de parler, rigoler et débriefent sur la soirée, mon regard reste tout de même accroché sur cette femme blonde qui avait les meilleurs proportions et cette aura de déesse, elle a tourné une fois la tête dans ma direction, je me suis sentis découverte, mon coeur a sauté un battement, c’était intense mais elle détourna la tête, un sourire au coin, non elle n’a pas vu hein ? Elle a vu mon mirage ? Ce n’est pas possible, enfin je crois que ce n’est pas possible, peut-être c’est son don à elle, voir ce qu’elle les autres ne voit pas, ça serait classe et elle ferait carrément dans le voyeurisme, elle adore que je la regarde donc ! Cette idée m’émoustille un peu trop mais maintenant qu’elle se glisse sous ses douches magiques, la vapeur fait son apparition et mes rêves voguent autant que cette buée qui remplit ses vestiaires...
On a tous besoin de se détendre, parfois, et j’fais pas exception à la règle. J’serais bien allé au théâtre, mais c’est un rien trop culturel pour moi, et la dernière fois avec Maryam m’a suffi. J’pense qu’on peut se contenter de dire que c’est pas trop mon délire, et passer à autre chose. Par contre, y’a d’autres choses que j’aime bien, qui sont associées au théâtre. Déjà, ça aide pour le boulot. Combien de fois j’ai fait les poches ou quoi de gens qui y étaient ? J’saurais même pas compter.
Du coup, quand la représentation tire vers la fin, j’le sais par les horaires, j’suis soigneusement posté à une des entrées de service du bâtiment. La porte est évidemment fermée à clef. Mais, bien sûr, ça ne représente un problème que pour les gens bien élevés, ou pas très doués, ça. J’sors mon rossignol noir de ma poche, et j’le pose contre, puis dans la serrure. J’sens la magie à l’œuvre, le moment où il épouse parfaitement la forme voulue, puis j’donne un tour. Et ça s’ouvre.
Trop facile, bordel.
L’intérieur, c’est un couloir lambda. Maintenant, suffit d’avoir l’air de savoir où j’vais, tout en étant prêt à utiliser mes objets de pouvoir si nécessaire. De toute façon, je suis déjà dans la partie fermée à la clientèle du théâtre, donc seuls les travailleurs rôdent par ici. L’air pressé, l’air d’aller quelque part, et j’me rapproche des parties habitées. Bon, là, ça devient plus compliqué, pasque y’a davantage de monde.
L’invisibilité se coule sur moi comme une couverture confortable, et je slalome entre les gens. Parfois, j’me plaque contre le mur, ou j’me contorsionne pour passer le long des objets qui traînent dans les coins, mais globalement, j’atteins assez facilement mon saint-graal : le vestiaire des danseuses.
Y’a un truc avec les danseuses. Une forme de grâce inhérente à la profession, avec en prime des corps de rêves, comme sculptés par les exercices. On retrouve presque la même chose chez les voleuses, surtout celles qui escaladent, mais en un peu plus sec. Là, on peut avoir un poil plus de formes, des muscles moins saillants mais tout autant dessinés. Quelques secondes suffisent pour que j’me rende compte que j’regrette rien.
Et dire que j’m’étais dit que j’viendrais mater les nanas pour rire, et me v’là là. Ça fait un peu gros dégueulasse, cela dit, j’vais pas en faire une habitude.
Mais bref, elles sont bien bonnes.
J’les suis tranquillement dans les douches, les mains dans les poches. J’reste un peu loin, par contre, parce que les jeux de buée ou les traces de pas risqueraient de vendre la mèche, après tout. J’ai pas non plus envie de me faire pincer dans une situation gênante.
Du coup, j’pense que j’suis aussi surpris qu’elles quand j’sens mon invisibilité qui se fait la malle. Bordel, mais y’a un problème avec l’anneau ? J’l’ai pas assez rechargé ? J’compte mentalement, en une fraction de seconde, mais non. Ça hurle déjà, ça se cache les parties intéressantes, et la blonde magnifique a ses longs cheveux qui s’élèvent autour de sa tête alors qu’elle commence à invoquer son pouvoir. Aucune idée de ce que c’est.
Une seconde que j’suis visible.
J’me retourne brusquement et, en faisant un pas de côté, je percute quelque chose qu’existe pas. Que je vois pas, plutôt. Une nana devient visible aussi, les yeux écarquillés. Tout le monde cligne des mirettes, l’air surpris. J’suis pas le seul à venir me rincer l’œil, c’est ça ? J’rirais si la situation était pas si craignos. Puis la main de l’inconnue jaillit vers moi, m’attrape le bras, et j’sens une autre invisibilité me passer dessus, et ma magie qui travaille à la maintenir.
Puis la fille invisible me tire dans un coin de la pièce, vers les casiers, alors que les danseuses s’énervent. Ça leur va bien au teint, et elles en oublient de se cacher. En passant, j’ouvre la porte et je la claque, sans qu’on sorte pour autant. Puis on se réfugie dans le casier vide, comme deux enfants pris sur le fait.
N’empêche, elle me rappelle vachement quelqu’un, j’suis sûr que j’ai vu les portraits y’a pas longtemps à la Guilde…
Ce n’est pas possible, pourquoi quelqu’un a eu la même idée débile que moi ce soir, pourquoi l’autre a décidé de venir espionner les douches des jolies danseuses le même soir que moi et utiliser lui aussi un anneau de pouvoir pour faire cela ? Voilà que les filles hurlent, il est grillé, il s’affole et me percute, je crois que je suis de nouveau visible, je ne sais pas mais mon instinct se réveille, je l’attrape aussitôt le bras pour le rendre invisible de nouveau, si les femmes continuent d’hurler comme ça, la cavalerie va rappliquer et on sera fichu, me faire arrêter pour ça… la honte…
Je le tire le plus loin possible des douches, il faut que ça se calme, elles vont croire à un mauvais rêve, une illusion, je ne sais pas mais nous avons été visible quoi, deux secondes ? C’est jouable non quand je sens que l’autre me tire et me jette dans un casier avec lui...non il est sérieux, il a cru qu’on était dans ses bouquins bizarres que certains écrivent ou plutôt dessinent à l’envers d’ailleurs avec des femmes aux seins si énormes que ça en devient même dégoûtant, non pas que j’ai déjà lu ce genre de livres mais voilà on m’en a parlé, j’ai essayé de me cultiver quoi mais bref j’ai autre chose à penser et même si je le ne vois pas, je sais qu’il est juste à côté de moi, je sens son souffle chaud contre moi et pour le peu que j’ai vu, il était un peu plus grand que moi, sa tête me disait rien mais ça n’était pas un soucis.
- Quand on ne sait pas se servir d’un anneau de pouvoir, on lit la notice avant de faire un truc pareil, tu veux notre mort.
Dis-je tout bas en essayant de ne pas trop m’énerver mais le casier, il était ridiculement petit, je ne savais même pas qu’on pouvait rentrer à deux dedans.
- Ne profites même pas de la situation et si je sens la moindre de choses bizarres ou dures ou je ne sais quoi, je t’éclate le nez ou les dents ça dépendra ce qu’il y a au niveau de mon front à ce moment-là.
Pourquoi ce petit moment de détente doit finir en cauchemar, j’étais si bien à mater ses jolies filles, j’avais presque un ticket avec la vedette, cette belle blonde, ce n’était pas tous les jours qu’on avait des beautés pareilles.
- J’espère que tu as une bonne idée pour nous sortir de là car je ne sais pas si j’arriverai à tenir si longtemps coller à toi sans vomir, je préférais largement d’avoir la blonde à ta place là si tu vois ce que je veux dire...
Hum rien d’y penser j’ai des frissons, ça serait tellement bien d’être enfermées toutes les deux dans un espace si exiguë mais non je me tape l’autre pervers, bon je peux parler moi aussi mais lui c’est clairement un pervers moi c’était juste pour la beauté des corps, c’est de l’art pas me palucher ensuite dans un coin, je ne suis pas comme ça moi…
- Sinon moi c’est Carci, autant qu’on se dise nos petits noms car ça va être la plus longue heure de notre vie dans ce placard...
Et je ferais tout mon possible pour oublier cette partie de la soirée...
« Il marche parfaitement bien, mon anneau, sauf là. C’est la première fois qu’il fait ça. »
Et s’il le fait alors que j’brandis un poignard pour suriner quelqu’un, j’aime autant dire que j’aurai pas l’air fin. Donc c’est un sujet à investiguer rapidement, dès que j’serai sorti de cette situation inconfortable. J’voulais juste m’aérer un peu l’esprit, p’tet m’entraîner à être discret, et voilà comment ça finit… Ah ça, va falloir être discret pour s’barrer, ouais. Ou alors j’avais utilisé toute la capacité de l’anneau pour les douze heures allouées ? Nan, j’aurais pas fait une erreur pareille…
« Profiter de la situation ? Tu rêves. »
J’suis assez nerveux comme ça, et même si j’ai eu qu’un aperçu vague, y’a pas de quoi casser trois pattes à un connard. Surtout par rapport à la blonde. Là, c’était quelque chose. J’essaie de glisser un œil par les trous du casier, mais ils sont pas à la bonne hauteur, et l’angle est pas bon, du coup. Bon, au moins, elle risque pas de sentir un truc dur à part mes abdos d’acier, hé. Enfin, bon…
« Puis fais pas genre, je sais très bien pourquoi tu étais là. »
Alors que moi, pas du tout, hein ? Moi, j’suis venu pour me détendre, m’entraîner avec mon anneau à me glisser partout, et voir un autre aspect du spectacle. Bref, c’est quasiment du travail, à ce stade, une affaire sérieuse. Pas comme l’autre qu’est venue avec la bave aux lèvres et les mains qui tremblent, juste pour pouvoir se tripoter ensuite dans un coin sombre en reniflant des sous-vêtements sales.
« Moi, c’est Vrenn. »
Pas besoin de s’étendre davantage sur le sujet. On sait tous les deux qu’on va pas pouvoir se barrer tout de suite, alors on peut chuchoter tout doucement quand y’a du bruit autour, mais c’est pas non plus la fête. Puis, une heure comme ça ? J’espère que ça sera plus court. Il faut pas dix ans non plus pour se rhabiller et rentrer chez soi, merde.
N’empêche, j’ai l’impression d’avoir été privé de quelque chose, c’est un peu blessant, je trouve. J’me demande si je vais pas revenir un autre jour, ne serait-ce que par principe.
Y’a un silence pendant une ou deux longues minutes. J’ai l’oreille tendue vers le vestiaire, les discussions des filles.
« Vous pensez que c’est quoi, ce qu’on a vu ?
- Un genre de projection astrale ?
- Dans nos douches ? On va lui casser les genoux, puis lui arracher le…
- Il y avait une fille, aussi, avec lui, non ?
- Il me semble bien.
- Ils font ça en groupe, maintenant, les obsédés ? »
J’ai envie de me racler la gorge d’un air gêné, mais c’est pas le moment. Puis je tilte. Carci ?
« Carciphona Ixchel ? C’est ça ? »
Ahah, il me semblait bien que ça me rappelait quelque chose. On nous a passé le portrait, et les informations du dossier. Beaucoup de conneries commises au nom de la Guilde, une enquête qui vaut le coup d’être faite. Et, comme chaque enquête, ça passe par l’interrogatoire de la principale suspecte. J’m’abstiens à nouveau de me racler la gorge. Puis j’bouge le bras pour essayer de sortir ma plaque d’examinateur de la Guilde.
Un faux mouvement. J’m’arrête vite avant de me faire refaire les incisives. J’ai un si joli sourire, après tout, ça serait dommage.
« Je suis Vrenn Indrani, Examinateur de la Guilde. J’étais à votre recherche pour les dégâts occasionnés lors de vos précédentes missions. »
Voilà. Juste à sa recherche, pas du tout là pour autre chose.
« Il me semble que nous avons beaucoup de choses à nous dire. »
J’allais lui rétorquer que oui c’était moi la Grande Carciphona Ixchel, future Saphir de la Guilde mais j’entendis la suite de sa phrase, j’essaye de m’éloigner autant que possible de lui, je fais du bruit c’est sûr comme le quoi qu’il sort de ma bouche.
- Tu es sûre que c’était une projection ? J’ai entendu du bruit là-bas
- Mais non t’inquiète, c’est encore un de ses esprits d’eau qui traînent dans les canalisations d’eau, n’y pense pas…
J’ai le coeur qui bat à cent à l’heure, je suis prise au piège et je sens que mon pouvoir vient de m’échapper, je le regarde droit dans les yeux, il a bien une tête d’examinateur, une sale gueule comme pas possible, prêt à tout pour me pourrir la vie, tremblante, j’essaye de me remettre de mes émotions et ne laisse rien paraître dans cet espace si exiguë.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles puis fais voir ta plaque !
Je l’ai vu essayer de bouger le bras du côté gauche et je fais de même, je tâtonne comme je peux et je m’en rends compte que finalement, ce n’était peut-être pas la bonne poche.
- Oups...
Je continue mon exploration quand j’arrive à attraper le truc en métal de ses mains qui raclent le long de la paroi.
- Non mais je ne suis pas folle, tu as entendu non ?
Elle sort en trombe de la douche, j’essaye de voir à travers les trous mais je ne vois que les parties inintéressantes même son autre copine approche mais je ne voyais rien encore une fois… je m’en fiche du ventre moi.
- Tu crois sérieusement qu’ils ont pu rentré à deux dans un casier, tu es folle ma petite, allez finissons notre douche, on nous attends dehors avec les bienfaiteurs, il va avoir le beau George, tu sais il était au premier rang avec un bouquet de fleurs.
Encore une fois, j’avais arrêté de respirer, je dois vraiment arrêter mes bêtises et ne plus bouger mais quand j’arrive à glisser la plaque entre nos deux torses et la mettre devant mes yeux, je fus terrifiée.
- Tu es vraiment examinateur en plus… cette plaque ne semble pas fausse...
Ca fait des lunes que j’essaye de fuir mes rendez-vous avec eux, soi-disant j’ai fais un cratère au milieu des plaines près de la capitale, que j’ai soi-disant détruit plusieurs calèches de la Guilde ainsi plusieurs fois détruit des étales au marché avec ma monture. Bon être la seule à avoir une loutre géante comme monture et une coiffure bicolore, j’étais vite grillée mais j’avais encore ma chance.
- Tu me poursuis depuis combien de temps, tu t’es même pris un anneau pour avoir le même pouvoir que moi, tu as aussi une loutre géante pour me copier jusqu’au bout c’est ça puis je ne vois pas du tout de quoi tu parles… mes résultats de missions sont parfaits, rien à déclarer, riiiiien du tout.
Bon si je l’avais dis sans trembler des jambes, ça serait passer mais j’essayais de le regarder droit dans les yeux, j’ai bien dis décider car je n’aimais pas sa tête, elle me disait rien et j’étais vraiment trop près de lui, je n’arrivais pas à utiliser mon autre main pour activer mon sort de rappel, je pourrai m’échapper en une seconde mais mon bracelet était coincé dans mon dos pour une fois qu’il pouvait être utile.
Puis les pas se rapprochèrent, on entendait les voix, par Lucy, j’espère que nous n’étions pas dans l’un de leur casier, je ne vois aucune affaire mise à part cette paire de chaussures à mes pieds….
Elle a pas l’air en confiance, Carciphona Ixchel. Vu son palmarès, cela dit, moi j’réagirais pareil, j’saurais me faire discret. Dix rendez-vous manqués auprès de la Guilde ? Elle doit utiliser son pouvoir pour venir prendre des missions, et s’arranger autrement pour en récupérer les gains. Un miracle pour elle que Lou lui soit pas tombé dessus. Cela dit, elle n’a pas pu échapper au plus fin des limiers, Vrenn Indrani lui-même, toujours prêt à travailler, à faire des heures supplémentaires non payées, tout pour la Guilde, tout pour le Royaume, voilà, c’est ce qu’il y aura dans mon rapport.
Elle veut voir ma plaque, enfonce la main dans la mauvaise poche. Nan mais elle veut me faucher ma thune, pendant qu’elle est y, la cochonne ? Ça fera pas joli sur le compte-rendu, j’aime autant le dire tout de suite. Mais elle peut ergoter autant qu’elle veut, évidemment que c’est une vraie. D’ailleurs, j’lui fais bien comprendre que personne n’est dupe.
« Tu vas pas t’en tirer comme ça. On s’connaît p’tet pas, mais j’suis bien examinateur de la Guilde, donc pas de pirouette, d’acc’ ? Et j’te laisse pas disparaître de mon champ de vision, pouvoir ou pas pouvoir. »
Ouais, à tous les coups elle va essayer de s’enfuir à la première occasion. Moi, en tout cas, c’est ce que j’ferais, le temps que ça se tasse. Manque de bol, y’a pas prescription pour les dossiers de la Guilde, donc ça ferait que repousser l’inévitable échéance.
Derrière, les danseuses sont intriguées par les bruits. Le bâtiment est vétuste, en même temps, encore que pas trop mal entretenu. Mais ce genre de trucs, y’a toujours des sons bizarres qui viennent d’un peu partout, faut s’y faire ou devenir fou… Les esprits d’eau des canalisations, franchement… J’me demande si elles y croient réellement. Parce que bon, à tous les coups, c’est un pervers avec un pouvoir bizarre qui vient se rincer l’œil, on va pas se leurrer. Elles doivent être un peu crédules et naïves, ça va sûrement avec le boulot.
« Peu importe depuis combien de temps j’poursuis, l’important, c’est le résultat, c’est le bien-être et la réputation de la Guilde. Donc j’ai fait le nécessaire pour l’accomplissement de ma mission. Et non, j’vais pas aller jusqu’à la loutre géante, j’déteste les animaux. De vraies saloperies qui réagissent n’importe comment, ça. »
J’m’arrête quelques secondes pour prêter l’oreille.
« On parlera de tes résul… Utilise ton pouvoir ! »
Juste une paire de godasses, putain, la guigne. La porte du casier commence à s’ouvrir, et j’m’appuie sur les bords pour soulever mes panards et qu’ils touchent pas le sol. Mon anneau se remet à marcher, et d’une pensée, j’deviens aussi invisible que si y’avait rien à cet endroit. J’sais pas comment marche le pouvoir d’Ixchel, mais si elle se fait chopper toute seule, j’aime autant dire que ce sera pas mon problème, ce sera juste un nouveau fait d’arme à ajouter à la liste de ses succès.
Manque de bol, c’est pas la blonde qui ouvre le casier dans sa glorieuse nudité, mais une des brunes. Elle a pas le plus joli visage, mais c’est pas important. Elle a quand même le corps caractéristique de sa profession, et j’m’arrange pour pas être trop distrait au point que mon anneau se désactive. Parce que ça deviendrait sérieusement difficile à justifier, là. Fine, athlétique, et sans maquillage donc naturelle. Sympa.
Elle se penche en avant, ce qui donne une forme flatteuse, et par-dessus sa tête, j’distingue la blonde en train d’enfiler ses sous-vêtements. Bon, une prochaine fois, si j’décide de revenir, hein ? Parce que maintenant, c’est survie et boulot, tant qu’à faire. Le casier se referme sèchement, et elle donne un tour de clef pour empêcher qu’il se rouvre. Merde. Enfin, j’ai de quoi rouvrir, remarque…
Elle a rien vu, donc j’en déduis que nos invisibilités respectives ont fonctionné.
Ça discute encore, entre filles, ça raconte des bêtises, et ça continue de parler du beau Georges du premier rang avec son bouquet de fleurs pour ma blonde. J’pense qu’une fois sorti de là, j’vais le trouver et lui casser la gueule, pour faire bonne mesure. Genre, en plus d’être riche, il est beau, drôle, intelligent, intéressant, généreux et amoureux ? Allez, c’est trop magnifique pour être vrai, j’suis sûr qu’il a des squelettes dans son placard, et j’vais tous les sortir. Dès que j’l’aurai trouvé. Ça lui apprendra.
Puis les danseuses sortent, et les lumières s’éteignent.
« Bon, sortons de là. »
J’préfèrerais qu’on fasse ça comme des brutes, en fracturant le casier, plutôt qu’utiliser un objet que j’suis pas censé avoir, genre un rossignol noir. J’préfèrerais aussi ne pas passer tout le week-end coincé contre Ixchel. Comme quoi, dans la vie…
J’allais lui rétorquer que les loutres géantes c’est génial mais les pas s’approchent trop près de nous, beaucoup trop près et la porte s’ouvre, j’active aussitôt son pouvoir comme il m’a suggéré comme si j’étais bête qu’un gloot, il me prends pour quoi non mais… Je me colle le plus près possible de la paroi, faisant un effort surhumain pour contracter mes abdominaux mais quand la jeune femme arrive, tout mon stress envolé quand le corps majestueux de la femme s’approche de nous, que c’est beau, je pourrai mourir heureuse si je pouvais toucher ça… bon elle hurlerait certainement mais j’aurai touché quelque chose de doux !
Bon se faire la malle c’était une bonne idée, comme si je n’avais pas pensé à ça, je ne suis vraiment pas un gloot. Nous attendons quelques secondes quand les voilà parties, la porte claque, la lumière s’éteint, je m'apprête à sortir également quand la porte s’ouvre de nouveau, une danseuse tire une personne dans la pièce et colle aussitôt son corps contre l’autre, passant ses bras autour du cou, elle l’embrasse avant que l’inconnu l’éloigne peu à peu. On ne voit que des silhouettes.
-Crystal… je t’ai déjà dit qu’on ne pouvait plus faire ça…
-Comment tu veux que je te crois, tu viens toujours lors de mes grandes représentations la bouche en coeur et un bouquet de fleur pour me féliciter !
-Car tu as un grand talent bien entendu…
C’était bien la voix d’une femme que j’entendais là et la danseuse l’embrasse de nouveau sans que l’autre ne se débatte… encore ces femmes infidèles…
-Crystal… j’ai dis quoi…
-Allez Haru… on peut faire comme si l’autre n’existe pas, comme au bon vieux temps..
-Tu sais très bien que je ne peux pas, je suis première ministre maintenant et fini les bêtises, je venais juste rendre visite à une vieille amie avec un talent remarquable et aussi..
-Oui oui… il n’y a pas que mon talent que tu aimes, je le sais bien et il pourrait être tout à toi si tu le désires.
-C’est fort tentant tu le sais ça… mais je vais devoir décliner pour le après
-Embrasse moi alors une dernière fois avant de retrouver tes bonnes moeurs…
Je ne voyais rien du tout mais je compris aussitôt qu’elle exécute ses ordres sans rechigner, j’avais un scoop là tout de suite et j’essaye de frapper l’autre mec dans le vide pour qu’il me montre que lui aussi avait tout entendu, c’était un scoop de ouf. Bon là ça a l’air un peu trop chaud que j’essaye de ne pas voir la suite quand je marche sur un truc qui fait un bruit.
-Il y a quelqu’un ici ?
-Non non, t’inquiète, un vieux esprit de l’eau qui nous fait une blague depuis tout à l’heure.
-Mouais, bon je vais te laisser moi et encore félicitation pour ton interprétation, on se fait un dîner ensemble dans la semaine, fais moi savoir tes disponibilités.
Puis elle lui donne un dernier baiser avant de la laisser partir suivi de près de la danseuse.
- Tu as vu ça ???? On a un scoop d’enfer non ?
Bon le problème c’est qu’il y avait du monde dans le couloir et finalement sortir n’était pas une bonne idée, bon il me reste à activer mon bracelet si ce n’est que ça...
Bordel, si c’est pas Haru qui se pointe pour bécoter la danseuse ? Le spectacle est plutôt affriolant, et l’ironie est rigolote. Pas farouche, la première ministre, hein ? Par contre, ça me donne vachement envie de jaillir du casier comme un diable de sa boîte avec mon costume d’arktigor de l’anniversaire du ponte de la Guilde. Ça a mal fini, pour lui, cette histoire, mais y’a pas de raison que ce soit la même pour moi. Elle m’a oublié, mais elle a pas dû oublier le traumatisme. Et dire que tout ça, c’était la faute de l’autre saphir de la Guilde, là… Franchement, on m’accuse et tout, alors que j’essayais juste de faire mon travail pour pas que mes chefs me tombent dessus, et…
Contre moi, j’sens Carciphona en train d’essayer de bouger pour atteindre son bracelet. Hé, elle me prendrait pas un peu pour une truffe ? J’sais que les examinateurs ont pas forcément bonne réputation, mais y’a des limites, quand même.
« Ouais, un scoop d’enfer. On va pouvoir aller le gueuler partout sous les toits. »
En tout cas, personnellement, je compte bien lancer la rumeur : y’a pas de raison qu’elle ait le droit de faire ce qu’elle veut sous prétexte qu’elle est des milliers de fois plus importante que nous, qu’elle bouffe des petits fours à l’œil, et que notre destin à tous repose presque entre ses mains. Nah, va juste falloir tourner ça de la meilleure façon qui soit.
« Mais d’abord, faut sortir de là, et s’occuper d’analyser ce que tu fiches, dans tes missions, par rapport à la réalité de tes rapports. Crois pas que j’aie oublié. »
En tout cas, le bruit dans le couloir se calme pas, donc on est pas près de sortir. J’pensais pas qu’il leur fallait autant de temps, après le spectacle, pour se barrer et rentrer chez elles, chez eux. Mais bon, entre le maquillage, les vêtements, le rangement… J’suppose que c’est pas déconnant. M’enfin, pour le moment, faut que j’m’occupe du boulot, à défaut d’avoir autre chose à mater.
J’pose la main sur le bracelet pour empêcher Ixchel de se barrer à la Guilde avec.
« Tututut. Tu crois que j’sais pas que t’as ça ? C’est dans ton dossier, Ixchel. J’ai réussi à te mettre la main dessus au terme d’une longue et difficile enquête… »
Totalement par hasard, oui.
« … j’vais pas te laisser filer comme ça. Avec ton pouvoir, on risque de jamais réussir à te retrouver pour discuter un peu des conséquences de tes missions. Donc j’te laisse pas filer tant que j’ai pas des réponses satisfaisantes. Autant que tu coopères, pasque t’y couperas pas. »
J’m’arrête quelques secondes pour tendre l’oreille, mais ça discute toujours dehors. J’crois reconnaître les voix de la danseuse et du Lys, une voix grave, une autre femme. Pas moyen de savoir de qui il s’agit, par contre. Faut dire, rencontrer la première ministre ici, ça doit attiser la curiosité…
« Puis bon, si tu t’enfuis, il va se passer quoi ? J’vais faire un rapport dans lequel ce sera écrit, et ça risque d’handicaper encore davantage tes chances au sein de la Guilde que si tu réponds honnêtement aux questions et explique ce qui s’est passé. Tu sais comment ils sont, les pète-secs du haut de la hiérarchie. Si t’as l’air d’avoir quelque chose à cacher, ce sera juste pire… »
Le bruit des voix dehors se calme, et la porte s’ouvre à nouveau, mais la lumière reste éteinte. Un homme et une femme, cette fois. Lui a un bouquet de fleurs à la main, qu’il lui tend et qu’elle jette sur un banc dans un coin avec de lui attraper le visage pour l’embrasser. Il a de longs cheveux blonds ondulés, le port altier, il est grand et bien découplé, et elle ressemble diablement à la blonde de tout à l’heure.
Putain, ça serait pas le connard Georges ? Vas-y, je vais lui casser la gueule, en plus il est avec ma danseuse blonde.
Mais alors que leurs mains courent sur le corps de l’autre, j’me pose une autre question.
On est dans un putain de baisodrome ou quoi ?
Non mais le mec il ne veut pas me lâcher la grappe, il sait que je me peux me téléporter comme je le veux puis comme il l’a dit si je m’enfuis ça veut dire que j’ai des choses à me reprocher et tout le monde le sait j’ai rien fais de mal non ? Enfin je crois… Donc je reste sage attendant que les deux femmes arrêtent le ménage, en plus elle se tape un canon et moi j’ai droit à un tête à tête avec un examinateur qu’il sort de nulle part, peut-être c’est le super examinateur pour les cas récalcitrants, il a dit qu’il a fait une longue enquête alors que je passe mon temps à la guilde enfin je ne suis pas si difficile à attraper, peut-être il était nul et n’a pas demandé à Janua mon adresse, c’est elle qui me donne toutes mes missions, il pouvait savoir parfaitement mon emploi du temps mais réfléchir avec ses pieds aussi..
Bref, elles sont parties enfin et je vais pouvoir sortir de cette affaire comme il y a l’autre… ce vieux plouc qui se tape MA blonde, non il est sérieux, ce goujat là, il est tout dégueu, il n’a pas le droit puis aaargh il fourre sa langue partout non mais je ne peux pas voir ça… mais alors pas du tout, c’est horrible. Bon je dis ça mais le mec est canon, un vrai étalon mais je préfère penser l’inverse pour me dire qu’il n’a pas le droit de la coller autant mais ne pouvant voir, j’attrape un seau qui était dans le coin, un truc pour nettoyer le sol qui sait, l’eau n’a pas l’air très propre mais ça m’est égal car je jette l’eau sur le couple pour le refroidir bon je m’en fiche, je suis encore invisible.
Le mec rouspète, la femme hurle et je décide de prendre la poudre d’escampette en les contournant et j’attrape la poignée de la porte. Maintenant chacun pour soit, le premier arrivé bah… il a gagné ! Je tombe sur des danseuses en sortant mais je les bouscule bon j’ai pu placer une main bien placée en passant, c’était intéressant, je l’aime bien elle mais trêve de plaisanterie, on doit continuer à courir et maintenant. Je saute par-dessus des caisses et j’entends des pas lourds derrière moi, est-ce Vrenn je crois, enfin je crois qu’il s’appelle Vrenn mais je ne réfléchis pas plus, je continue à courir, pousse des gens, me prends des fleurs dans la figure comme des morceaux de décors qui me tombent dessus mais ce n’est pas grave, sortir par l’entrée des artistes, ça me semble compromis, tentons cette porte. Je passe, passe dans les coulisses et me voilà sur scène, je n’ai aucun matos intéressant sinon j’aurai pris mon grappin mais je me voyais déjà dans les gradins échappant mon assaillant, d’ailleurs ils ne sont pas plusieurs ?
Aucune idée, je continue à courir en passant par les fauteuils car la logique veut que j’utilise toujours le chemin le plus compliquée car sinon ce n’est pas drôle donc je remonte la pièce par les rangées de fauteuils pour arriver tout au bout. Porte de gauche ? Porte de droite ? Aucune idée car je viens de me prendre un coup et je m’étale par terre.
Mais ça fait troooop mal mais c’est qui qui m’a fait ça ? Je me tourne et voit une femme avec une salopette, des lunettes, brunes, petite qui a l’air d’avoir une tonne de trucs dans ses poches, c’est l'accessoiriste, je suis sûre, ce sont des fous ces gens, des fous ! Bon elle court vers moi elle aussi, non mais sans déconner, arrêtez là mais elle a l’air vraiment furax cette fille…
- Hey ! Mais je ne suis plus invisible là !
La fille me regarde de haut en bas comme si c’était la plus grosse bêtise qu’elle a pu entendre mais bon mon instinct de survie me hurle de sortir de là. Bon bah… allons grimper sur les rideaux pour rejoindre les étages puis j’active ma téléportation….
Alors que ce gros bâtard de Georges est en train de se farcir la danseuse blonde qui, visiblement, a tapé dans l’œil de tout le monde, sans surprise, hein, au demeurant, Carciphona décide de se barrer d’un coup pour prendre la poudre d’escampette. Et c’est hors de question, maintenant que j’me considère officiellement en mission que j’la laisse s’en sortir comme ça. J’crains pas tant la dénonciation, vu qu’elle m’oubliera, que le risque de me retrouver coincé ici, comme pervers, alors que j’venais faire mon travail.
On réécrit bien les événements, chez les Examinateurs. Comme dirait un collègue, c’est un détail de l’histoire, après tout.
Elle balance un tas de flotte sur le couple qu’est, ma foi, déjà fort occupé, mais j’ai la tête ailleurs. Objectif numéro un, ne pas perdre Ixchel de vue. Elle utilise pas son pouvoir, déjà, ça aide. Elle a p’tet des limites, d’ailleurs, comme le mien. Objectif numéro deux, me barrer tranquillement et être peinard chez moi pour le reste de la nuit, et de ma vie. Donc j’vais déjà essayer de faire le premier, le second devrait être une formalité. J’vois pas où je pourrais échouer, entre l’oubli, l’invisibilité, et la téléportation. Le gars qui m’attrape, clairement, c’était le destin.
A d’autres, il prendra un coup de surin dans les côtes.
J’suis juste à temps pour suivre Carciphona qui s’enfonce dans les couloirs. J’espère qu’elle sait par où c’est, la sortie. Mais tout à coup, y’a un gars qui déboule devant moi, et il bouche le chemin que la fille a pris. Le bousculer, lui rentrer dedans ? Vu le bestiau, ça me semble pas être une bonne idée. Et puis il est déjà en posture pour m’intercepter, ignorant le bruit derrière. J’vois un frémissement d’air. Bordel, un pouvoir ?
Sans hésiter, j’prends à droite, pour l’éviter. Il lâche un cri de surprise, et part à ma poursuite. C’est bien ma veine, putain, qu’elle soit partie à gauche et pas moi. Bon, on passe p’tet à l’objectif deux, alors ? Et, d’abord, se débarrasser de mon nouveau copain. J’jaillis à travers une coursive encombrée de morceaux de décors, que j’fais tomber derrière moi pour ralentir mon poursuivant. Puis j’prends un mauvais virage, qui m’amène vers un sous-sol avec d’autres décors, mais plus vieux, plus usés. J’ai choisi le chemin de la cage ?
Y’a des cordes qui montent, avec des trous dans le plafond. C’est de là que les fonds sont montés entre les scènes, peut-être ? Faudrait vraiment que j’aille sérieusement au théâtre, un jour, pas comme la troupe pourrie de Maryam. Nan, celui-là, mais du côté légal de la scène, avec les danseuses toutes apprêtées, pas nues en se démaquillant. Encore que cette vue-là se vaut tout à fait. Plus loin, j’entends le mec qu’est toujours à me coller au cul.
En plissant les yeux, j’distingue un pont tout en haut. Bon, on va pas passer sa vie ici, avec les rats et les cafards et les types qui te courent après sans raison, hein ? Ouais. J’me téléporte en haut, un mètre au-dessus de la balustrade du pont. En m’penchant en avant que la gravité ne fasse mécaniquement son œuvre, j’accroche le bord, et j’me laisse tomber sans casse. En bas, il va me chercher un moment, à retourner les draps et les bouts de bois mais, hé, il l’aura choisi.
Juste à ce moment, j’vois Carciphona qu’arrive d’ailleurs et qui achète de se hisser juste devant moi. Elle sort le truc qui lui permet de se téléporter loin, pour prendre finalement la poudre d’escampette. Comme la dernière fois, j’lui attrape le poignet.
« Hep hep hep. On n’a même pas eu le temps de discuter. J’vais mettre quoi, dans mon rapport, moi, si tu pars comme ça ? Nan, faut que tu détailles comment ça s’est passé avec le monstre de fer, pourquoi vous avez décidé de trouer les plaines, et cette histoire de marché, aussi. C’est que ça a coûté cher à la Guilde, tu comprends… »
Merde, personne viendra nous chercher ici, elle peut bien répondre.
« Promis, après, on pourra chacun rentrer chez nous. On a tous les deux mieux à faire, j’pense. »
Et j’le pense vraiment.
Est-ce Lucy qui me dit indirectement que d’espionner dans les vestiaires des femmes, c’était mal ? Non pas que c’est la loose là mais presque. Déjà mon spectacle a été interrompu, il y a eu l’autre, ma danseuse préférée se tape l’autre George. C’était la fin du monde mais pas que je me faisais poursuivre par une folle et alors que j’allais enfin partir pour de bon, quand je vois cette main m’attraper de nouveau.
- Non mais sérieux, tu ne me laissera jamais tranquille ?
Je le toise du regard mais je crois que malgré tout, il fera le nécessaire pour avoir l’information donc autant en finir au plus vite. Puis il a raison, j’ai autre chose à faire comme évacuer toute cette frustration accumulée et … je ne sais pas encore.
- Okay, okay, je vais le faire ton rapport...
Je m’appuie contre un mur, je crois que c’est un mur et commencer le long et périlleux voyage.
- Bah pour le monstre c’est simple. Il fallait des gens pour arrêter un truc énorme en fer qui détruisait tout sur son passage. Ce jour-là il y avait qu’Hex alias l’exterminateur et moi, l'aventurière trop géniale de disponible. A dos de poney, nous avons parcouru la plaine.
- Arrive aux faits Ixchel.
- Tu veux l’histoire ou quoi ?
- Fait vite.
- Donc je disais, on arrive sur place après le gros orage qui a fait un petit marécage avec tout ce sable. Tu vois moi je connais le coin, normal, je suis trop géniale et quand l’autre monstre nous a chargé dessus, je me suis dis, si on faisait un trou pour l’arrêter. Sur le coup, c’était presque intelligent car sinon à l’heure d’aujourd’hui, le monstre aurait fait un énorme massacre si il n’y avait pas énorme trou.
- C’est ça ton excuse ? Il fallait arrêter le monstre donc on fait un cratère ?
- C’est ça ! Pas bête hein !
Bon j’avoue, c’était vachement bien sur le papier après les répercussions c’est une autre histoire. Moi j’étais payée pour arrêter le monstre après les clauses, je n’ai pas lu. Boarf, on s’en fiche, c’est le résultat qui compte non ?
- Bon après, je n’avais pas de pelle pour tout reboucher mais on a dit au village du coin qu’il y avait un peu de dégâts et qu’un gros monstre mort était dedans.
- Pour ça que je suis là.
- Bah après, si le service de nettoyage ne fait pas son taff.
- Ixchel… pour le marché ?
- Ah ça c’est simple ! C’est la fautes des papillons !
Je vois qu’il essaye de garder son calme et moi je continue à sourire bêtement. Bon je perds des points beaucoup de points mais bon, c’est vrai, c’est vraiment à cause de papillon.
- Bah il y avait des papillons, K’awill, ma loutre géante a décidé d’attraper les papillons.
Bon il était énervé, c’est bon.
- Après personne ne savait que c’était moi non ?
- Avec ta loutre et tes cheveux, non personne…
- Bah je mettrais un bonnet la prochaine fois ! Sérieux, mettez des mauvais points à K’awill pas a moi.
Il va me le faire payer en rentrant, puni de friandises.
- C’est fini ou d’autres questions ?
Sourire faux-cul et je me prépare illico presto si il me dit non. Pas envie de me faire chopper par les gens du théâtre.
Putain, tout ça pour avoir des explications quasiment aussi pourries que leur absence dans les rapports. Encore, le cratère, c’est quasiment le moins pire, de ce que j’ai lu sur la bestiole. C’était une saloperie intuable, qui sentait pas la douleur, et dont la peau était impossible à transpercer, ou un truc du genre. Et c’était énorme. Et ça fonçait vers un village. Donc, à la limite, ça, on peut le faire passer. En plus, les dégâts ont pas été dramatiques : quelques fermiers qui vont se retrouver sur les chemins, et devoir squatter chez la famille ou venir en ville. Bon, on s’en brosse un peu, quoi, ça intéresse personne.
C’est les papillons du marché qui sont plus chiants. Et la loutre. J’fais mentalement la liste des trucs qu’on a sous la main. On pourrait prendre la loutre et la foutre dans un chenil spécialisé, et lui faire suivre des cours pour qu’elle obéisse à l’aventurière ? Ou simplement la piquer, mais c’est jamais l’option plébiscitée. Machin, truc, bidule, c’est le meilleur ami de l’homme, ils ont vécu des aventures ensemble, regarde ces petits yeux tout mignon.
Ben si elle était morte, elle aurait fait chier personne.
Puis y’a aussi qu’on est toujours au théâtre, et qu’on a beau chuchoter, y’a bien des gens qui vont finir par se pointer ici aussi.
« Bon, j’vais écrire dans le rapport que c’est bon pour le monstre de fer. Pour le marché, j’vais préconiser un stage de dressage ou une connerie du genre. La Guilde paiera jamais et on passera ça sous le tapis, ou un chef mettra une croix pour dire que t’as fait la formation. D’acc’ ? »
J’attends pas de voir si ça lui va avant d’enchaîner.
« Dans le rapport, j’vais dire qu’on s’est rencontré dehors dans un café proche. Pas de mention du théâtre, ça vaut mieux pour toi, j’ai pas envie que t’ailles en taule pour des saloperies. Enfin, si tu te fais chopper une autre fois, cela dit, ce sera pas mon problème… »
Puis pour le moment, elle risque encore de se souvenir, alors si elle bave que j’étais là aussi, mon excuse que j’la suivais va devenir assez peu crédible, surtout que quand on a reçu le dossier au bureau, j’ai dû m’exclamer bruyamment un truc style « Putain mais y nous casse les burnes, j’en ai rien à battre des aventures d’Ixchel et de sa chaussette géante, là ! ». Peu crédible, donc, la thèse de l’enquête approfondie pour la surprendre en pleine nuit.
« Du coup, si ça te va, on va tailler la route, hein ? »
En plus, ça commence à grimper pour arriver ici. Et y’a des gens en bas. C’est temps d’être un peu créatif. D’un saut, j’me mets en équilibre sur la balustrade, et j’me rends invisible. J’vérifie bien que ma magie et mon anneau fonctionnent tous deux. Puis j’marche en équilibre dessus pour doubler le technicien qui monte, et j’descends, avant d’enfiler les couloirs ouverts au public jusqu’à la sortie. Ce qu’est pratique, c’est que y’a des panneaux partout.
Les portes sont bien fermées à clef, mais j’dois dire que c’est un problème assez secondaire quand on a un rossignol noir. J’adore cet instrument.
A la grande porte, une fenêtre me permet de voir de l’autre côté de la rue. D’un pensée, ma chevalière fait son office, et j’me retrouve sur un toit en face du Grand Théâtre. Cette séance de rattrapage n’aura pas été si mal, finalement. Au moins, c’était pas ennuyant. Il me restera juste à écrire mon rapport demain matin, et le remettre fièrement à mes patrons…