Claorah - Lutzi

C’est pas souvent que j’ai l’occasion de parler de moi. Vous savez quand on est sur scène et qu’on joue des personnages fictifs les gens qui ne vous connaissent pas vraiment font un rapprochement direct entre vous et le personnage et vous savez je n’aime pas...décevoir mon auditoire alors je joue le jeu et j’essaye de rester fidèle au personnage – déformation professionnel. Puis ce n'est pas trop dans mes habitudes de me livrer comme ça. Mais bon si je vous paye ce n'est pas pour parler du beau temps, c'est pour parler de moi. C'est une de mes amies qui m'a conseillé d'aller vous voir "Mais si tu vas voir c'est libérateur d'aller voir un psy, surtout celui là tu vas voir !" qu'elle me disait, vous avez intérêt à être bon je vous le dis. Bien, commençons par le début - ça me paraît être une bonne idée.

Déjà, mes parents, mon père Thyrid Claorah était un écrivain raté, toute sa vie il a travaillé sur ce fichu bouquin et c’est ce même ouvrage qui causa sa perte, alors que je n’étais qu’une enfant. Ce borné profond a provoqué en duel la seule personne qui avait lu son livre, tout ça parce qu’il n’avait pas "saisi l’essence profonde de l’ouvrage", finalement il s’est brisé le crâne avant même que le duel commence en s’entravant dans une racine...pathétique. Si j’ai lu le livre ? Bien sûr que non, ça lui aurait fait trop plaisir.
Ma mère, Valentina Claorah, était danseuse de cabaret, sous ses airs de grande dure, c'était une femme profondément meurtrie – et complètement cinglée si vous voulez mon avis – elle vivait dans le regret, le regret d’avoir croisé cet homme, d’avoir eu cette enfant qui l’avait complètement épuisée et ravagée. Je pense que j’étais la principale source de ses douleurs, je n’aurai jamais dû naître et elle me le rappelait tous les jours. Elle est morte il y a peu de temps dans la folie, ne se rappelant même plus de sa fille, les derniers mots qu’elle m’ait adressé ont été "Je te vois", je sais pas si avant de mourir elle eu comme un élan de lucidité mais elle m’a dit "Je te vois." et c’est assez effrayant de se dire qu’après tant d’années, il a fallu attendre qu’elle meure pour qu’elle me remarque.

Vous avez raison, peut-être que c’est cette envie de me faire remarquer qui m’a poussé à faire de la scène. Vous savez quand j'étais dans mon école de quartier j'étais pas une très bonne élève, j'étais une sorte de catastrophe ambulante. Pour moi c'était une nécessité de faire autant de bêtise, je me disais qu'il n'y aurait que comme ça qu'on me remarquerait. Je me servais de mon pouvoir pour attirer l'attention, d'ailleurs, j'ai été viré à cause de ça, j'ai...rendu complètement aveugle un de mes camarades de classe - le pire c'est que je m'étais complètement brûlée les doigts et depuis j'évite de trop m'en servir. Bref, et c'est en voulant se débarrasser de moi que ma mère m'a inscrite au théâtre. Elle était danseuse, je vous l'ai déjà dit non ? Du coup, elle connaissait quelques personnes du milieu qui ont pu me trouver une place quelque part. Je n'ai pas de suite accroché au style théâtrale, je trouvais ça pompeux puis je ne sais pas il y a eu un déclic, si je me souviens bien, une troupe itinérante était de passage et ils ont joué une pièce d'improvisation, c'était une sorte de huit-clos complètement barré, je ne pouvais m'empêcher de rire et je crois que c'est... c'est à cet instant que je me suis dit que c'était fait pour moi. Le théâtre était une matière malléable me permettant de donner vie à l'impossible et le public, ces gens de passage, me voyait enfin.

D'ailleurs aujourd'hui je peux dire que j’ai plutôt bien réussi, bien que je sois encore jeune je suis demandée, j’ai mon propre théâtre et je donne des cours. Vous me direz, j'ai toujours vécue dans la capitale donc à force j'ai appris où il fallait être pour s'en sortir. En bientôt 10 ans j’ai fait bien plus que mon père durant toute sa vie. Ça n’a pas été une tasse de thé, pour y arriver j’ai beaucoup travaillé, je suis allée de compagnie en compagnie, j’ai fait des rencontres formidables, d’autres oubliables. Je me rappelle que la première fois que j’ai joué devant un public, un vrai, ma mère était venu me voir en me disant " T’aurais pu te trouver un vrai talent, quelque chose qui te serve réellement, pas comme ton père." même là elle était incapable de me dire quelque chose de gentil, j’espère que tu souffres là où tu es.
Bref… Au théâtre, tout n’est pas inné, il n’y a pas de "talent" . Tout se travaille, la présence sur scène, la prononciation, la justesse, l’improvisation. J’ai appris, j’ai beaucoup osé. Entre nous, il faut de l’audace, il faut savoir ce qu’on veut, savoir qui suivre et quand il faut prendre les choses en mains. J’ai eu une période où je ne savais pas où j’allais, d’ailleurs c’est toujours le cas aujourd’hui, de temps en temps j’ai des doutes, mais comme face au public il faut montrer qu’on sait où on va et parfois ça vient tout seul. Ne faites pas cette tête là ! C’est comme ça, le monde de l’art n’est pas un long fleuve tranquille.

Vous vous doutez bien que je ne fais pas que du théâtre non plus, j'ai une vie à côté de ça et croyez moi elle n'est pas plus tranquille que ma carrière professionnelle. Durant un temps j'ai enchaîné les partenaires, ma vie sentimentale n'est pas très stable et en même temps ça me va, il m'arrive d'aimer - je ne suis pas un monstre sans cœur - mais je n'aime pas apparaître dépendante de quelqu'un et c'est assez handicapant voyez ?
Malgré tout, ça ne m'empêche pas d'avoir des amis avec qui parler et boire à la taverne. J'y suis régulièrement d'ailleurs, à la taverne. C'est un endroit où l'on rencontre beaucoup de monde et c'est toujours bon pour les affaires que ce soit professionnelle ou personnelle si vous voyez ce que je veux dire.

Hum ? La séance est déjà terminée ? Et bien ma foi, c'était pas trop mal peut-être que je reviendrai. Je vous dois combien ? AH ! Autant ? Et bien peut-être pas tout compte fait. Adieu.