La journée a été vraiment très agréable en compagnie de Carciphona. Cela faisait un moment que je n’avais pas pris de journée pour me changer les idées ainsi. Pas de travail, pas de recherche d’une mère disparue, rien que du bon temps avec l’aventurière toujours enjouée et pleine d’énergie. Enfin, pas de travail, c’est un bien grand mot. Carciphona a bien trouvée le moyen de me parler de ses aventures et de son équipement magique. Mais bon, avec elle, ce n’est pas pareil, c’est agréable de parler de ses enchantements. Elle écoute et ne discute pas vraiment les conditions, elle a compris que l’on ne peut pas faire de miracle et que je fais le maximum possible pour mes clients. Et elle déborde toujours d’idées toute plus loufoques les une que les autres même si pour une fois, son idée est plutôt réaliste et utilitaire.

Aller, viens. On va te tatouer ! Cela fait bien longtemps que je n’ai pas fait de tatouages magiques, cinq ou six ans à tout casser. Au pire, on devra te couper le bras si je me rate.

Mon dernier tatouage de la sorte remonte à mon apprentissage d’enchanteresse… Un machin tout simple qui devait juste réchauffer la peau lorsqu’il faisait froid. Je suis certaine de réussir mon coup mais cela m’amuse de la taquiner.

Promis, je garderai K’awill si ça arrive.

La loutre et moi, on a réussi à devenir bon “amis” et je suis certaine qu’il aimerait la vie à la Ville Aquatique où il n’y a qu’à se pencher pour attraper un poisson. Retournant du coup à mon labo, je le fais visiter à l’aventurière. Malgré que j’ai déjà fabriquer des choses pour elle, elle n’est jamais venue jusqu’ici. Je la fais s’installer tout en haut, au milieu des livres mais surtout dans la grande poire. Même si faire le tatouage n’est pas compliqué, je préfère qu’elle soit bien installée pour éviter des mouvements imprévus. La laissant assise, je me tourne vers mes livres pour chercher un volume en particulier traitant justement des tatouages magiques. Farfouillant dans le livre pour me remettre en mémoire le processus et réfléchir à sa conception, je me moque de mon aventurière qui fait la petite nature.

Très mal. Mon maître avait l’habitude de dire qu’il préférerait mourir écartelé que de se faire faire un tatouage.

Je plaisante bien entendu, je ne sais pas où elle a pu se mettre en tête que je vais la faire souffrir. Je ne suis pas enchanteresse pour rien… Cela fait belle lurette que l’on a développé des méthodes indolores pour faire ces marquages magiques. Je pouffe tout de même lorsqu’elle me demande si je peux lui donner quelque chose pour la douleur. La laissant dans l’ignorance, je pose mon livre sur la table avant de m’y installer pour commencer à gribouiller mon diagramme magique. La technique que j’ai apprise se fait en deux temps. Un premier tatouage sous la forme de diagramme runique qui génère la magie voulue puis un second tatouage purement esthétique. La sentant inquiéte, je la rassure finalement.

Ne t'inquiètes pas, je ne sais pas d’où tu sors des craintes comme celle-là mais nous autres enchanteurs, on a trouvé des moyens indolore pour faire les tatouages.

Mon schéma magique est finalement beaucoup plus simple que ce à quoi je m’attendais. Un bel entrelacs de rune magique assez simple à reproduire. Cela ne devrait pas être trop long. Je tend un feuille et le crayon à l’aventurière.

Tiens, dessines moi à quoi tu veux que ton tatouage ressemble. Pendant que tu fais ça, je vais préparer le matériel.

En d’autres termes, préparer l’encre magique et mon pinceau.
 

Ma petite blague me fait bien rire. Carciphona marche en plein dedans. Il y a bien des charlatans comme ce fameux boucher du Grand-Port qui font n’importe quoi. Ce n’est pas tant qu’il voulait tuer ses victimes mais il était tellement mauvais que ces tatouages n’avaient jamais l’effet escompté…

Non, pas une légende. C’était un idiot qui a cru pouvoir jouer avec la magie sans avoir les connaissances nécessaire… Heureusement que la garde lui est tombé dessus assez rapidement.

Pour faire un tatouage qui n’attire pas la suspicion immédiatement, il est important de camoufler la rune magique sous un second tatouage purement esthétique. Mon travail s'arrête à préparer la rune et dessiner les tatouages sur sa peau, pour le visuel qu’elle veut, elle est libre. La laissant à son oeuvre, je descend d’un étage avant d’aller dans ma réserve chercher les ingrédients nécessaire à la préparation de l’encre magique. Encre de Dumctopus, Vezenta, feuille de bonsaï diamantaire, écailles de Xerwang… Pas mal de choses mais rien d’extraordinaire. Je dépose tout mon attirail pour préparer l’encre. Le processus n’est pas long, il demande juste une certaine minutie dans la pesée des ingrédients. Heureusement que j’ai mon livre pour me rappeler la recette vu que je n’en ai pas préparée depuis longtemps. L’encre prête, je remonte en entendant Carciphona me prévenir qu’elle a fini son dessin. Prenant la feuille, je l’étudie un peu. La forme ne couvrira pas la totalité de ma rune, il va falloir que je modifie ma rune pour une discrétion maximale.

C’est faisable, il faut juste que je travaille la partie magique du tatouage pour correspondre à ton visuel. Rien de bien méchant.

La feuille de Carciphona en main, je retourne à la table où attend mon schéma de rune. Une rune relativement simple pour étendre le champ d’action de la magie émanant d’une personne. Crayon à la main, je m’attaque à la modification de la rune sous une forme très différente des schémas usuels. Interrompu dans ma réflexion par mon amie, je lève la tête en portant ma main à mon menton. Sa demande est logique, cela serait embêtant si cela prenait ses forces plutôt que celles de l’accompagnant.

Cela devrait être possible, il faut toutefois que je modifie un peu le schéma magique.

Un peu de travail supplémentaire…

La meilleure solution est certainement de travailler en trois couches. Deux couches magiques imbriquées, la première pour étendre ton pouvoir et la seconde pour rediriger le flux magique. Et une dernière, pour une simple décoration.

C’est une assez grosse modification pour un simple tatouage mais c’est pour le mieux. Je me replonge dans mes schémas pour mettre tout ça au point. Le schéma va être plutôt compliqué à dessiner sous le format proposé par Carciphona mais mon honneur d’enchanteresse est en jeu. Une fois mes deux schémas complétés, je fais signe à ma cliente.

Et voilà ! L’encre doit être revenu à la bonne température maintenant. Toujours prête ? Installes-toi dans la poire, j’arrive.

Je l’abandonne un instant pour descendre récupérer l’encre et un pinceau très fin. Les volutes du schéma sont assez fines à cause du format mais ce n’est pas insurmontable avec mon encre. Revenant près de l’aventurière, je ramène un petit tabouret avec moi. Je m’installe avant de prendre son bras pour le poser sur mes genoux.

Dernière chance pour faire machine arrière, tu es prête ? Cela ne devrait pas te faire mal, promis.

Juste au moment de la pénétration de l’encre où elle devrait sentir une sensation de brûlure peu intense. Rien de bien méchant normalement. Je trempe doucement les poils du pinceau dans l’encre noire. Elle changera de couleurs à la pénétration pour prendre une couleur presque chair.

 

Parfait, ma patiente est prête à recevoir son traitement, un tatouage magique et permanent. Après un dernier sourire, je me concentre sur mon travail. Même si je ne doute pas vraiment de ma capacité à réussir ce tatouage, cela ne me met pas à l’abri d’une erreur bête. En posant la pointe de mon pinceau sur la peau blanche de l’aventurière, je sens qu’elle se tend.

Détends-toi Carciphona, ce sera moins douloureux pour toi.

Et plus aisé pour moi de réaliser le dessin magique. Je trace plusieurs lignes sur sa peau avant qu’elle ne décide de reprendre la parole. Certainement pour passer outre la brûlure de l’encre sur sa peau. Je l’écoute en silence souriant dans mon coin tout en continuant mon travail. Elle pose tant de questions, certaines appelant une réponse simple, d’autres plus compliquées. C’est une chose difficile qu’elle me demande… Livrer mon passé pour comprendre mes motivations. Mes erreurs, mes peines… Cela sera si compliqué. Avant même que je n’essaye de répondre, elle me demande d’ignorer ses questions en me questionnant sur le fonctionnement de colliers jumeaux. Je fabrique régulièrement ces petites choses, les jeunes couples en sont particulièrements friands. Mes mains continuant de reproduire le motif magique, je lui apporte les réponses qu’elle attend.

Les colliers jumeaux, c’est assez simple. Chacun prend un collier et, en cas de besoin, il suffit d’insuffler de la magie pour que le second collier réagisse. C’est très simple comme fonctionnement et très apprécié par les jeunes couples. Va savoir pourquoi…

L'entrelacs de traits ne fait que s’agrandir à mesure que le temps passe. Cela me permet de gagner un peu de temps pour décider comment lui répondre. Répondre à cette femme qui veut en savoir plus sur moi et mon passé.

Je suis devenue enchanteresse pendant mon séjour à la Capitale… J’ai rencontré un vieux sage qui a bien voulu prendre l’orpheline dangereuse que j’était sous son aile. Quand j’ai pu, je suis revenue ici, là où j’ai passé le plus clair de ma jeunesse. Même si j’ai pas toujours vécu que de bons moments ici, c’est l’endroit où je me sens le plus en sécurité.

Je donne le dernier coup de pinceau du tatouage magique. L’encre pénètre rapidement dans la peau de Carciphona. J’espère qu’elle ne va pas trop en souffrir mais c’est un passage obligé pour le rendre permanent.

Et quant à ne pas être seule dans ce laboratoire, c’est un choix personnel… J’ai mes propres critères pour choisir un apprenti… Et, je n’ai trouvé personne qui puisse y correspondre, je ne laisserai personne me trahir une nouvelle fois.

Mes doigts serrent le pinceau pendant que l’encre fini de pénétrer. Dans quelques instants, je pourrais attaquer la seconde couche.

 

Alors que je fini mon dernier trait sur la peau de l’aventurière, l’encre commence à faire son effet en pénétrant la peau. Ce moment est le plus douloureux de l’opération. Certains pleurent, d’autres font les fiers. Carciphona n’y fait pas exception et se crispe un peu. Mais ce ne doit pas être bien douloureux pour une aventurière comme elle, elle a certainement connu des douleurs bien plus importantes. Je pose mon pinceau sur la petite table qui accueille habituellement ma pile de livre pour continuer à lui répondre en lui laissant le temps de se remettre de ses émotions. Je lui sourit lorsqu’elle me fait remarquer que j’ai des rides quand je suis hors de mon laboratoire. Je lui fais la moue avant de faire valoir mon plus jeune âge que le sien.

Je ne te permet pas ! Je n’ai que 24 ans, je suis une magnifique demoiselle à son âge de beauté !

Je me lève un instant pour changer de modèle et passer à l’étape du tatouage visuel. Cela ne va pas être très long, il est plus simple de dessiner un dessin comme cela que la rune magique. Revenant à ma place, je constate que Carciphona n’est pas prête à reprendre le traitement. Le dessin va retrouver le pinceau sur la table alors qu’elle commence à se livrer. Je pose mes mains sur mes genoux ne sachant pas trop quoi faire dans ce genre de situation. J’ai grandi au milieu des Soeurs de Lucy, j’ai jamais vraiment eu à consoler une amie. Je l’écoute en silence sans vraiment savoir trop comment y réagir. Je ne connais que trop bien cette sensation de trahison qui prend aux tripes même si nos situations ne sont pas si proche que cela… Être obligée de se plonger dans tout un tas de choses plus ou moins dangereuses pour oublier l’espace d’un instant, pour pouvoir se sentir vivante… Toutefois, mes mains se crispent sur mes genoux lorsqu’elle évoque notre rencontre et la Cité Enfouie. A ses mots, mon corps tout entier frissonne comme un avertissement venant d’un instinct primitifs profondément enfoui. Ma tête comme mon corps me hurlent de fuir avant la trahison qui viendra inévitablement si je m’attache à elle. Lorsque ma tête m’a dit de m’éloigner d’elle, j’ai fuis vers ma ville pour revenir à mon laboratoire pour ne pas dépendre d’elle et garder mon indépendance émotionnelle mais si chacune s’accroche à l’autre, on en souffrira l’une comme l’autre… Je me force à desserrer les mains pour paraître moins tendue même si les mots qu’elle m’avoue me retourne littéralement de l’intérieur. Avec ses confidences, elle a ouvert le robinet de la douleur pour elle comme pour moi… Mon coeur balance entre la joie d’être celle qui compte pour elle et la peur de souffrir dans un avenir plus ou moins proche. Et cette autre femme, la garde est une bien trop grande menace pour que je me sente en sécurité. Alors qu’elle se tait, je me lève. Peut-être un peu trop brusquement… Je pose ma main sur sa tête pour l'ébouriffée en voyant ses larmes. Ses excuses me font un drôle d’effet, comme si elle annonçait clairement qu’elle allait me trahir quoi qu’il arrive.

ça va aller… Je dois avoir de quoi boire un coup en bas.

Je m’écarte d’une démarche crispée pour descendre jusqu’à ma réserve. Là, je m’adosse contre le mur, las et vidée de toute volontée. Mes mains tremblent tandis que je les portent à mon visage. Il n’y a rien… rien entre nous, ce n’est qu’une relation basée sur le plaisir commun, rien de plus… Il me faut quelques minutes pour essayer de me reconstituer un masque de parfaite commerçante… C’est la seule solution, finir ce tatouage et ne plus jamais nous revoir. Je ne veux plus souffrir comme cette fois là. Être seule dans mon coin est peut-être mieux pour ma propre santé… Une fois mon coeur plus calme et capable de réfléchir correctement, je me saisi d’une des bouteilles traînant à l’entrée de la réserve. Je garde quelques bouteilles d’un alcool à base d’algues qui est produit à la Ville Aquatique, je n’en raffole pas mais il est parfois utile pour certains enchantements. Remontant jusqu’à la bibliothèque, je tend la bouteille à ma cliente.

Tiens, ça te fera du bien et ça atténuera la douleur du tatouage.

Tout dans ma posture et ma voix trahit un brutal changement de comportement et une prise de distance mais c’est le mieux à faire pour nous deux. Fuir le risque, je ne sais que faire ça pour me protéger… Je me rassoie et m’empare du pinceau que je plonge dans l’encre.

Reprenons ton tatouage…

Je lui tend ma main libre pour l’inciter à me présenter son bras.
 

Mon changement de comportement ne semble pas avoir échapper à l’aventurière. Je me doute qu’elle ne comprendra pas pourquoi je réagi ainsi. C’est peut-être mieux ainsi. Même si elle se laisse faire pour que je reprenne mon travail sa voix trahit ses émotions. Incompréhension de la situation qui a pu mener à tout ça… Je m’attaque sans attendre au tatouage pour en finir le plus rapidement possible. Je serre les dents lorsqu’elle essaye de proposer d’en parler… Je ne veux pas en parler, j’ai pas envie de prendre le risque d’être malheureuse. Je ne lève pas les yeux de mon ouvrage, je ne pourrais pas tenir si je croise son regard. Mes doigts se serrent sur son poignet lorsqu’elle prend une voix douce et charmante. La Garde n’est pas le plus gros problème… S’il le fallait, je pourrais gérer ça mais pas la possibilité d’être trahie par quelqu’un.

Carciphona…

Je ne sais pas comment lui dire sans devoir tout lui raconter… Mon histoire n’appartient qu’à moi, je ne veux pas lui confier cette peur qui m’habite. Avant que j’ai pu dire quoi que ce soit, elle m’attrape brutalement et me jette au sol. Mon pinceau dérape sur son bras traçant une longue ligne sur sa peau avant qu’il ne m’échappe. Surprise, je ne me relève pas et le regarde. Je la laisse me dire ce qu’elle a sur le coeur parce que c’est moi qui la trahit… Mais elle est à côté du polom… Quittant son regard, je fixe le collier qu’elle a jetée par terre. Elle voudrait savoir quoi faire pour que je revienne sur ma décision de mettre de la distance entre nous. Elle voudrait traiter cette situation comme une mission de la Guilde pour sauver un “nous” inexistant.

Tu ne comprends rien Carciphona…

Je me relève lentement pour aller ramasser mon pinceau. Elle attends trop de choses de moi. Je pose mon pinceau sur la table principale avec un soupire. Elle ne peut pas comprendre ce que j’ai vécu, la douleur de la trahison, d’avoir été bernée. D’avoir été maltraité à cause de son amour…

Je… Je ne suis pas capable de te donner ce que tu attends de moi… Ma capacité à aimer est morte quand j’avais 15 ans. Disparue à jamais lorsqu’il m’a trahi. Je ne suis plus capable de donner mon coeur, Carciphona ! Parce que… Parce que je n’en ai plus…

Je frappe violemment du poing sur la table alors que des larmes coulent de mes yeux. Mon coeur est mort dans cette cellule alors que les Gardes me rouaient de coups. Même après des années à sauter de conquêtes en conquêtes, mon coeur ne s’est jamais réveillé. Mon coeur mort, je ne suis plus capable d’aimer une autre personne. Je quitte la table pour aller ramasser le collier de l’aventurière. Je le regarde un instant au creux de ma main avant d’aller lui rendre.

Tu n’as pas à jeter ce collier pour montrer quoi que ce soit, Carciphona…


 

Les trahisons sont choses communes dans notre monde… Je me suis jurée que je n’en souffrirait pas une de plus quitte à être la méchante dans l'histoire. J’ai bien assez subis suite à ma première relation. Mettre un terme à cette relation avec Carciphona avant que les choses ne tourne mal. Mes larmes ne sont pas feinte, cela me rend réellement triste de devoir faire ça… Je l’entend bouger et prendre son sac. Elle doit vouloir partir, c’est mieux ainsi… Mais elle ne quitte pas les lieux mais me parle de paiement… Je tourne la tête d’un coup vers elle lorsqu’elle parle de colliers jumeaux. Je m’assoie sur la chaise en me passant la main sur le visage las. Je ne sais pas quoi faire… Rejeter définitivement Carciphona ou accepter son cadeau qui marque définitivement un lien entre nous. Je ne sais pas quoi faire… Je n’ai pas envie de la perdre mais j’ai si peur de souffrir… Est-ce qu’on peut vraiment être juste amies toutes les deux ? Est-ce que ce n’est pas se voiler la face pour cacher autre chose ? Exactement comme les deux couches de son tatouage… Avec un soupire, je me lève pour la rejoindre. Debout face à elle, je l’entend à peine faire un trait d’esprit sur son besoin de revenir pour mon commerce.

Carciphona…

Sa main se porte sur ma joue. Elle me propose de reprendre le travail en me rappelant que les rides doivent venir plus tard. Un demi-sourire s’affiche sur mon visage tandis qu’elle essuie mes larmes. Quand elle se remet en place au fond, ma main part comme une balle pour frapper sa joue.

Ecoutes-moi bien Carciphona, si je prend ce collier, il n’y aura pas de retour en arrière. Si tu me trahis, je te tue ! C’est bien compris ? Jamais je ne laisserai quelqu’un me refaire du mal !

Je prend en main le collier qu’elle a posé sur la petite table.

Je ne suis plus de celles qui pardonne des actes impardonnables Carciphona. Mon coeur est froid depuis presque dix ans, j’ai causé de nombreux dégâts, de nombreuses morts aussi à cause de mon coeur faible… Je ne sais pas si tu pourras un jour ramener mon coeur d’entre les morts mais si tu es prêtes à tenter le coup, alors j'essaierai de faire un effort…

Collier en main, je vais reprendre mon pinceau avant de m’installer à ma place à côté d’elle. Je plonge mon pinceau dans l’encre en lui tendant la main.

Tu peux réfléchir pendant que je termine ça et essaye de réparer les dégâts… Heureusement que ce n’est qu’un tatouage visuel quand même.

Une fois apposée, l’encre ne peut plus être enlevée. Il va falloir que je dessine quelque chose de bien plus grand que prévu pour cacher les dégâts...


 

Prenant son bras, je le regarde pour évaluer les dégâts et réfléchir à comment réparer ça proprement… Le dessin de base n’est pas encore terminé et un long trait fin en part sur une bonne dizaine de centimètres. Je soupire lorsqu’elle me dit qu’elle va y réfléchir à ma demande. C’est un gros effort que je fais en acceptant cette situation où je pourrais encore une fois en souffrir alors elle a intérêt à être sûre d’elle… Commençons par finir le dessin de base avant de réfléchir à comment agrémenter tout ça. Je pose la pointe de poils sur sa peau au moment où elle m’interroge sur les fameux actes impardonnables qui pourraient causer de très gros problèmes. Penchée sur son bras, je souris timidement quand elle s’explique. Oui, elle est maladroite pour toutes ces choses là…

Rien de bien méchant… Mourir, faire des choses qui conduirait la Garde à me renvoyer dans les cachots, essayer de me faire chanter pour avoir des réductions, trahir ma confiance…

Rien d’extraordinaire mais des choses qui comptent pour moi… Le pire qu’elle pourrait me faire est de pousser la Garde à me renvoyer en cellule… Je connais les cellules de la Ville Aquatique pour y avoir passer largement assez de temps à mon goût. Même si les Gardes ne sont certainement plus les mêmes depuis le temps, je ne suis pas prête à retenter l’expérience. Le complément du dessin initial terminé, je repose mon pinceau dans l’encrier. Je m’amuse à faire bouger le bras de l’aventurière pour regarder le tout sous différents angles et réfléchir. Réflexion rapidement interrompu par Carciphona qui s'inquiète justement de ce rattrapage.

Je pourrais dessiner des runes en suivant cette ligne et finir en enroulant la ligne autour du poignet.

En lui expliquant, je glisse mon doigt sur sa peau en suivant la ligne tracée involontairement et la continuant jusqu’à son poignet. Ce ne seront pas des runes magiques, juste des écrits qui ne voudront rien dire…

Les runes seront juste des écritures stylisées, rien de magique mais ça habille. Qu’en penses-tu ?

 

Je penche la tête sur le côté lorsqu’elle fait semblant d’être outrée de ne pas avoir le droit à des réductions supplémentaires. Je pourrais si je voulais, mon commerce est loin d’être déficitaire même quand je retire la part que j’utilise pour mes propres recherches mais ce n’est pas mon genre du tout. Je me penche ensuite sur son tatouage interrompu et un brin barbouillé. Heureusement que tout peut se ratraper… Finissant le dessin primaire, je réfléchis à la meilleure façon de rattraper le coup. Finalement, je fais une proposition assez simple à l’aventurière. Je souris lorsqu’elle semble accepter mon idée allant même jusqu’à proposer d’écrire “J’aime les loutres et le chocolat” en runes sur son bras.

C’est un peu long mais ça pourrait se faire si je le fait sur deux lignes et trace un second trait là.

J’illustre mon propos en traçant une ligne imaginaire le long de son bras du bout du doigt. Mes attentions délicates me valent un baiser doux. Je lui rend son baiser malgré notre “dispute” si on peut appeler ça comme ça. Elle me propose finalement d’écrire ce que je veux sur son bras allant même jusqu’à proposer elle-même d’écrire un truc que moi seule comprendra. En soit, la majorité des enchanteurs pourront lire son tatouage mais comprendre le sens caché en est une autre. Quand à la traduction…

Hors de question de te donner la traduction. Secret d’enchanteur.

Il ne manquerait plus que je lui facilite la vie. Depuis quand on laisse la main à une personne en voulant contrôler le travail définitif à posteriori. Sans plus attendre, je m’attaque à donner un aspect plus propre au trait involontaire. Cela me prend juste assez de temps pour réfléchir à quoi écrire sur son bras. J’ai beaucoup d’idées qui me passent par la tête, toute plus loufoque les unes que les autres du genre “aventurière maladroite” ou “dresseuse de loutres”. D’autres sont plus ou moins sérieuse comme : “propriété de Lin” ou “Ne pas toucher, danger de mort violente”. Après quelques secondes, j’opte pour un message plus simple. Je m’attaque à écrire les runes en traduisant mon petit mot au fur et à mesure. Même si cela me demande un peu de concentration, je prête une oreille attentive à ce qu’elle me dit. Elle a vraisemblablement pour objectif de me refiler pas mal de travail.

Je n’aime pas créer des armes, Carciphona… Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. J’évite tout ce qui pourrait me renvoyer dans les cellules de la Garde de la Ville Aquatique et produire des armes en fait partie…

Je pourrais faire une exception pour elle mais je ne suis pas encore prête à aller aussi loin. J’ai confiance en elle mais mettre ma sécurité entre ses mains est un acte qui demande bien plus que de la confiance… Je mettrais beaucoup plus qu’une arme entre ses mains, il y aurait aussi toute ma vie… Peut-être plus tard, pas aujourd’hui en tout cas. Je ris lorsqu’elle fait face au cruel dilemme de vendre mes talents aux autres aventuriers ou essayer de me garder rien que pour elle.

Si cela peut te rassurer, je travaille déjà avec d’autres aventuriers et encore plus d’artisans. J’ai noué de nombreux liens dans la Ville Aquatique avec les artisans, on est loin de la Capitale, alors on se sert les coudes. Alors ne te sent pas obligée de faire ma publicité dans tout le pays.

C’est comme cela ici, on est des artisans mais aussi une sorte de Guilde locale. On se soutient les uns les autres en se faisant travailler les uns les autres. Et si le besoin s’en fait sentir pour l’un d’entre-nous, les autres sont là pour le soutenir. C’est une des raisons qui fait que je ne quitterai ma cité pour rien au monde. Je doute de trouver ça ailleurs. Posant les dernières traces d’encres sur sa peau pendant qu’elle repart sur un discours sur une relation encore difficilement définissable, je hoche la tête.

J’aime cette ville, Carciphona. Je n’ai pas envie d’en partir, je sais que tu le comprends comme je comprends ton désir de parcourir le royaume en risquant ta vie. Essayes juste de venir me voir de temps en temps et entière quand même. Je viendrai te voir, enfin si j’ai la chance que tu sois chez toi quand j'essaierai de venir. Et puis, je pourrait avoir besoin de toi d’ici quelques mois. Un petit travail de rien du tout pour une aventurière comme toi. Et voilà !

Je repose le pinceau signifiant ainsi la fin de mon travail sur son tatouage décoratif. L’encre ne va pas tarder à pénétrer définitivement dans sa peau en lui causant une sensation de brûlure. Mais elle a l’habitude maintenant après le premier.

Voilà qui conclut ce petit travail magique ma chère. Satisfaite du résultat final ?

Malgré le raté, totalement de sa faute de toute façon, le résultat est pas mal. J’aime bien ce que j’ai réussi à en faire finalement.