Adossé à un lampadaire situé en face de l’entrée de la caserne, Lunar attendait quelqu’un de très spécial. Le jeune homme n’était effectivement pas à la Forteresse pour enfiler des perles. Il voulait au départ trouver un animal légendaire pour s’approprier une certaine renommée et imposer une forme d’influence sur la Guilde. Ce plan tombé à l’eau, le zoologue avait eu une autre idée pour faire un pied-de-nez à sa chère institution d’aventuriers qui le détestait. Ça n’était pas un stratagème parfait, mais c’était un coup qu’il devait tenter. Les deux parties y gagneraient beaucoup, mais il fallait tout naturellement que leur accord soit synallagmatique et sincère, peu importe leurs motivations.
*Ah, la voilà. *
Elle avait l’air fière, remontant la rue sous les admirations des passants qui n’hésitaient pas à s’arrêter pour la saluer. Charismatique dans sa rutilante armure, la capitaine Elina von Andrasil répondait à leurs saluts d’un simple mouvement de tête, continuant sa marche pour rentrer vers la caserne. Quelques traces de neige boueuse maculaient ses solerets et le bas de ses grèves. Son casque sous le bras, elle marchait d’un pas décidé, entourée de deux soldats armés de corsèques. Arrivant devant la caserne, Lunar fit quelques pas en avant pour que la chevalier le remarque. Se munissant d’un sac en toile qu’il avait apporté, il en sortit une tête de smilodon qu’il jeta aux pieds d’Elina, la dardant d’un regard triomphal.
- Comme promis, madame. La bête ne gênera plus personne.
Le fixant d’un air sévère, elle intima à son escorte de rentrer dans la caserne. Les deux intéressés s’exécutèrent sans piper mot. Elina s’avança vers Lunar, portant sa paume vers le manche de sa hache face au garçon qui continuait de sourire.
- Je ne vous ai rien promis.
- Il fallait bien attirer votre attention. Vous en faites pas pour la tête, c’est juste un trophée que j’ai décroché de son socle. Je l’ai trouvé dans une ruelle en train de moisir, vos citoyens sont si… peu soigneux.
- Qui êtes-vous ?
- Lunar Le Fay, aventurier. Le meilleur zoologue qui puisse exister en Aryon. Dans la Guilde, on m’appelle « Le Fiel ».
- À peine deux phrases et je comprends pourquoi. Que me voulez-vous ?
- N’est-ce pas évident ? C’est vous que je veux.
- Pardon ? Fit-elle, ses yeux prêts à jeter des éclairs.
- J’entends parler de vous depuis quelques temps, constamment depuis mon arrivée en ville. La grande Elina, la fière Andrasil. Vous êtes reine du Blizzard, mais vous pourriez être reine de l’été si vous le désirez.
- Je ne comprends pas. Et vous commencer à m’agacer, je vais vous faire enfermer.
- Mais si, vous comprenez. Ce dont j’ai besoin pour mettre la Guilde à mes pieds, c’est d’influence. Ce dont vous avez besoin pour étendre votre aura hors de cet hiver éternel, c’est également d’influence. Vous me donnez la vôtre, je vous donne la mienne.
- C’est insensé. Vous pensez sérieusement que votre stratagème a une quelconque logique ?
- Le pouvoir réside là où on pense qu’il est. Pourquoi croyez vous qu’on craint les ténèbres ? Ou le monstre dans les bois ? Parce qu’on sait que face à cela, on est sans moyens.
- Fichez le camp. Vous n’avez rien à faire ici. Trancha Elina d’une voix stricte. Je ne confierai jamais ma confiance à un sombre inconnu tel que vous.
Elina partit en direction de la caserne, prête à passer la porte, avant que Lunar ne lui lance une dernière réplique :
- Et si je reste et vous prouve ce que je vaux ? Le sombre inconnu n’en serait plus un.
La capitaine s’arrêta, Lunar restait impassible.
À la suite d'une brève introduction, j'ordonnais au Caporal de dissiper les badauds qui s'étaient réunis autour de l'évènement. Nous étions encore en plein Bourg et voir un aventurier agir ainsi devant un Capitaine n'était pas chose commune. Et puis il suffisait des fois d'un peu d'animation...
« - Vous souhaitez intégrer le Blizzard donc, c'est pour cela tout votre manège ? »
Je scrutai le bonhomme de haut en bas. Ce n'était pas véritablement comme cela que s'effectuaient les recrutements dans l'armée et il lui faudrait probablement passer une mise à niveau équivalant à notre Académie à nous. Mais je pouvais faire suivre la demande. Toutefois, ses paroles grandiloquentes et son égo mal placé m'emplissaient de doutes à son égard.
« - Ma foi, si vous avez véritablement abattu cette bête, je suppose que vous avez la paire de bras qu'il faut pour. Mais rien ne me dit que vous avez la discipline d'un soldat ou l'empathie d'un frère d'armes. Et puis, on n'intègre pas l'armée comme cela...
- Et c'est pour cela que je suis venu à vous directement et que je ne me suis pas adressé à un de vos subalternes. »
Une sacrée grande gueule, dis donc. Toutefois j'étais curieuse de voir ce que l'énergumène avait dans le ventre.
« - Le Fay, c'est ça ? Très bien, accompagnez-moi au château, nous allons voir ce que l'on peut faire pour vous, » conclus-je tout en tournant le regard vers mes deux homologues, leur indiquant de reprendre la route.
Partis devant, les gardes me laissèrent ainsi le champ libre pour deviser calmement avec l'aventurier sur le chemin. Ce n'était pas la première fois que des membres de la Guilde formulaient ce genre de demande, mais bien souvent leurs affectations étaient à la hauteur de leurs refus d'autorité quotidiens. Ce n'était pas toujours facile d'accepter de remettre son sort entre les mains d'un « supérieur », ça l'était moins encore lorsque la confiance était absente.
« - J'ai déjà vu ça, alors que j'étais encore Lieutenant. Des aventuriers qui souhaitent rejoindre la Garde ; ça m'a toujours intriguée. Pourquoi donc ? Vous ne tenez pas à vos libertés ?
- Ce n'est pas ce que je recherche. La Guilde ne garantit pas de liens assez forts entre les hautes strates et le bas peuple. Je souhaite placer ma confiance dans les mains de personnes influentes, capables de changer le monde.
- Et vous me pensez capable de telles choses ? »
J'éclatai soudainement de rire, intriguant les regards de mes deux compagnons qui avisaient déjà les portes du fort devant eux. Celui-ci surplombait le bourg et s'était fait plus imposant à mesure que nous parcourions le chemin qui en faisait le tour, j'avais vu le regard de l'aventurier s'y poser à plusieurs reprises tandis que nous discutions.
« - Votre première fois à Forteresse ? C'est vrai que la Citadelle paraît plus petite depuis le Bourg... »
Le jeune homme hocha la tête, nous permettant de continuer en silence à l'intérieur du bâtiment. Me débarrassant de l'épais manteau de fourrure de warg que j'avais traîné tout le voyage et d'autres atours visant à me faire résister au froid et à la fatigue, je profitais de la contemplation de mon invité pour interpeler le Caporal :
« - Faites monter mes affaires dans mon bureau pendant que je m'entretiens avec Monsieur Le Fay.
- Très bien Capitaine. Et pour l'inspection de la garnison prévue cet après-midi ?
- Theldj s'en occupera très bien à ma place. »
Même si je sentais une certaine désapprobation dans l'expression du jeune officier, je n'en tins pas compte. Voilà longtemps que Briscot briguait le poste que j'avais confié à l'Adjudant il y a à présent près d'un mois, toutefois c'était un homme loyal qui ne contestait jamais les ordres... et je le reprenais parfois là-dessus, souhaitant autre chose que des moutons dans mon régiment.
Une fois que ce fut chose faite, je retournais auprès de l'aventurier à qui j'adressais un sourire avant de demander :
« - Alors, dites-moi Lunar Le Fay, pourquoi aurais-je besoin d'un zoologue apparemment émérite parmi mes hommes ? »
Et aujourd’hui, ce fut une vraie misère pour lui mettre la main dessus. La jeune médecin en chef avait gagné à plusieurs reprises le bureau de sa supérieure, espérant pouvoir lui parler mais celle-ci n’était pas là, intervenant en extérieur pour une durée indéterminée. Elle l’avait raté de peu et ça, il faut avouer que ça lui “foutait la rage”, comme disait son défunt père. La rouquine avait alors glissé à l’oreille d’un de ses camarades soldats de la tenir au courant s’il avait des nouvelles de la capitaine et celui-ci, sans doute charmé par un adorable sourire, avait prit sa mission à coeur, lui jurant qu’il tiendrait sa parole. Et cela porta ses fruits ! Car environ deux heures plus tard, voilà qu’il arrivait en courant vers elle, comme un chiot tout joyeux de ramener un bâton. Wendy avait rigolé intérieurement en le voyant arriver.
- Mademoiselle Waltz ! Mademoiselle Waltz ! Le capitaine Von Andrasil vient tout juste d’arriver ! Elle devrait se trouver dans le hall !
- Merci ! Tu me sauves la vie ! Je te revaudrais ça !
Gentiment, elle lui avait tapoté l’épaule avant de partir elle même en courant vers le hall de la forteresse. Hors de question de la rater ! Les soldats furent bien surpris de voir la jeune femme traverser les couloirs comme une flèche, les bras remplis de documents et ce, sans une énorme facilité. Sa condition physique était plutôt bonne et ce, grâce à son entraînement pour rejoindre le blizzard. Or, elle était connue comme une femme assez délicate au milieu des rudes soldats. Ils ne s’attendaient sûrement pas à le voir ainsi mais cela, c’est car ils ne la connaissent pas encore assez !
Voilà qu’apparaît la capitaine dans son champ de vision, celle-ci se débarrassant de son épais manteau de fourrure. Elle accéléra d’un coup, ne voulant vraiment pas que la blonde lui file entre les doigts et passa aux côtés du soldat Briscot qui écarquilla quelque peu les yeux face à ce spectacle avant de continuer sa route, obéissant aux ordres de la reine des lieux. Wendy était encore à une dizaine de mètre de la jeune femme et décida de l’interpeller.
- Commandant Von Andrasil !
Enfin, la demoiselle arrive à son but et se stoppe aux côtés de la jeune femme. Elle se baissa une seconde et chercha à retrouver son souffle, une main sur la poitrine, ses cheveux rouges en pagaille. Elle se redressa d’un coup et plongea son regard vert dans celui azur de la capitaine. Wendy ressemblait à une tomate d'une taille anormale, les joues rougies par le sprint final se confondant avec sa chevelure.
- J’ai juste besoin de vous parler une minute ! S’il vous plaît !
Mais voilà, la reine de la forteresse n’était pas seule. Lentement, Wendy remarqua la présence de cet inconnu à l’air hautant et aux yeux dorés. Il était plutôt jeune et la médecin en chef était sûre qu’il n’était pas d’ici. Elle avait lu tous les dossiers et son visage n’y figurait pas. Elle comprit alors qu’elle avait sans doute interrompu une conversation. Elle sentit la gêne monter.
- Oh pardon ! Je n’avais pas vu que vous étiez accompagnée mon commandant ! Est-ce que vous voulez que je repasse plus tard ? J'arriverais bien à vous croiser plus tard !
Elle ne veut pas s’imposer mais pourtant, sans le savoir, elle pourrait être utile. Médecin et zoologue ont quelques points en commun alors qui est mieux placé qu’elle pour juger des compétences de ce fier jeune homme ?
- Vous faites bien de poser la question. Pourquoi auriez-vous besoin d’un zoologue extrêmement talentueux dans un monde rempli de créature sauvages ?
- Vous vous moquez de moi ? Répondit Elina d’un ton sévère, s’accoudant sur la table, mains jointes.
- Au contraire. Je réponds à votre plaisanterie. Vous savez autant que moi que le seuil de criminalité en Aryon est quasi inexistant. Tout cet amas de règles, toute cette sécurité… Celui qui veut batifoler dans l’illégalité aura bien des soucis avec la Garde ! Et bien, que reste-t-il ? Au nord, comme au sud, la seule vraie plaie qui vous donne du travail, ça reste les monstres. À moins que vous laissiez ça à la Guilde ? J’ai toujours du grain à moudre en tant que mercenaire. Un animal par ci, un autre par là… à se demander ce qui pourrait bien troubler votre quiétude.
- Qu’est-ce que vous insinuez exactement ?
- Qu’il est évident que vous avez besoin d’une expertise sur le plus grand danger d’Aryon : ses créatures. Combien de criminels avez-vous arrêté durant votre carrière ? Vous devez avoir du temps libre, surtout dans ce froid. Les forbans préfèrent le soleil, et la mer, là où personne ne viendra les embêter.
La jeune fille aux cheveux rouges rentra dans la pièce, toujours silencieuse, et referma la porte derrière elle. La pauvre essayait tant bien que mal de rester invisible, regardant cet inconnu orgueilleux qui osait confronter la capitaine du Blizzard. Cette dernière soutenait son regard perçant, dardant Lunar de ses yeux instigateurs.
- Que savez-vous de la Garde, mercenaire, pour avoir cette audace insolente ?
- J’ai rencontré plusieurs gardes durant ces longues années au service de la Guilde. Tous de véritables bigots aux idéaux exacerbés et irréalistes. À les entendre, ils étaient tous des parangons de vertu. Mais vous comme moi savons qu’il n’en est rien. Qui est le plus insolent dans ce cas ? L’aveugle ou moi ?
- Hm…
Elina semblait pensive. Le numéro de Lunar avait de quoi la faire réfléchir. Elle cessa de regarder le zoologue pour fixer plusieurs points dans le vide, perdue dans sa réflexion. Le silence commençait à s’imposer dans la pièce, où l’on entendait que la respiration bruyante de la jeune fille et le tic-tac d’une horloge posée derrière Lunar, contre le mur.
Lunar soupira, Elina aussi. Elle s’apprêtait à reprendre la parole…
« - Si j'avais voulu ne pas être dérangée, Médecin en Chef Waltz, je me serais retirée dans mon bureau avec monsieur Le Fay. Peut-être votre demande peut-elle attendre la fin de cette discussion ? Nous comptions occuper le salon, si vous souhaitez nous accompagner... »
C'était une petite pièce plus adaptée que le hall où nous conversions, située non loin des cuisines. Elle ne servait qu'assez peu et était généralement occupée par le Gouverneur lorsqu'il réceptionnait des convives ; un service à thé ainsi qu'une coupelle de gâteaux y étaient toutefois renouvelés tous les jours.
Nous nous y assîmes donc tous les trois, dans un calme palpable uniquement perturbé par le thé qu'un domestique nous versait dans nos tasses respectives. La boisson était encore trop chaude pour y toucher cependant, raison pour laquelle je me reposai contre le dossier de mon siège un instant.
« - Je conviens que vos capacités sont intéressantes, monsieur Le Fay. Il s'agit d'une compétence que nous saurions mettre à profit dans l'un de nos bataillons récemment formés qui servirait de support logistique et scientifique au sein de la Garde... du moins dans le Nord. C'est quelque chose d'assez nouveau et local, je ne pense pas que vous ayez déjà entendu parler du Génie... ?
- Non, effectivement cela ne me dit rien... »
Malgré les vapeurs qui se dégageaient de sa tasse, le jeune homme s'en saisit sans difficultés et en but une rapide gorgée. Le froid devait l'importuner, même s'il n'en montrait rien, et je trouvais sa proposition encore plus courageuse.
« - La soif d'influence n'est pas quelque chose que nous portons facilement dans un corps armé. Mais voilà quelques temps que je me suis rendu compte que le fonctionnement n'est pas le même chez les scientifiques. Aussi, vous avez raison quand vous dites que les monstres sont le premier danger ici, c'est bien connu, je ne sous-estimerais pas la criminalité cependant, même si c'est une autre histoire, » ponctuai-je en m'avançant pour saisir, à mon tour, ma tasse et la porter à mes lèvres. « Non, effectivement, nous gagnerions à mieux connaître l'ennemi, peu importent les circonstances, et les plans de l'Ingénieur en Chef comportent d'ailleurs une aile d'étude de l'environnement. »
Non, je ne souhaitais pas brosser ce Lunar dans le sens du poil, mais s'il était possible d'avoir les résultats et de laisser la gestion humaine au chef du Génie, c'était tout gagné. C'était d'ailleurs l'un de rares moyens de passer outre le long parcours de recrutement imposé à ceux qui n'avaient pas fait l'Académie.
J'offrais là une opportunité à saisir au jeune homme et j'étais persuadée que si cette option le tentait, on entendrait parler de lui par le biais de cette fameuse unité scientifique rayonnant in fine à l'échelle du Royaume. Pour le reste, ce n'était pas à moi de vendre le poste, mais à lui de me suggérer son profil. Peut-être ressentit-il d'ailleurs ce tournant dans mon comportement, maintenant que les choses étaient davantage ouvertes, car la réponse ne se fit pas attendre.
« - Alors j'ai le sentiment que nous parlons la même langue à présent. Votre proposition me séduit.
« - À la bonne heure. Normalement, je ne suis pas celle qui doit se charger du recrutement des spécialistes sous la coupe de Niveren, mais nous ferons exception aujourd'hui. Parlez-moi de vous, donc, Le Fay. Que savez-vous faire, où l'avez-vous appris, quel est votre pouvoir et pourra-t-il servir dans l'exercice de vos fonctions ? »
Les doigts autour de son mug, le Médecin en Chef patientait en silence. Je la sentais proche d'intervenir et peut-être avait-elle quelque chose d'intéressant à ajouter, elle qui était justement dans un cas de figure à peu près similaire.
- J’ai appris tout ce que je sais en zoologie grâce à mes parents. Ils possédaient une réserve d’animaux dans l’Archipel où ils soignaient les bêtes perdues ou blessées. Il n’y a rien de telle que la pratique. Quant à mes talents en terme de combat, j’ai été l’élève de maître Thorne, un grand épéiste de l’Archipel. Il m’a enseigné l’art de l’épée et du combat au corps à corps, je suis loin d’être un frêle rat de bibliothèque.
- Je ne prétend pas le contraire. La Guilde n’a que peu à faire d’aventuriers qui ne savent pas se débrouiller. Et votre pouvoir ?
- Vitalum vitalis. Je suis capable de soigner autrui en ponctionnant ma propre vitalité. Je pense avoir nul besoin de vous expliquer en quoi cela peut être utile. Je m’en servais beaucoup dans la réserve de mes parents pour aider les animaux.
- Je vois…
Elle allait enchaîner avec autre chose mais fut interrompue par Waltz qui se mit à toussoter, sûrement après avoir avalé une gorgée de thé de travers. Elina fixait sa subordonnée pendant de longues secondes le temps qu’elle ne cesse de s’étrangler en spasmes et expirations. La capitaine voulut lui conseiller de ne pas boire trop vite mais la jeune fille s’était empressée d’engloutir un biscuit sablé qu’elle avait prit sur le service. Elina s’en retourna vers Lunar, soupirant comme si ce genre de scène était monnaie courante.
- Quoi qu’il en soit, madame, je suppose que votre interrogatoire ne relève que de la formalité. Vous savez autant que moi qu’en tant qu’aventurier de la Guilde je suis apte au combat et à toute situation extrême.
- Vous auriez pu être un membre de l’administration.
Lunar éclata d’un rire franc. Lui ? Un membre de l’administration ? Jamais il n’endosserait un rôle pareil. Il détestait les administratifs de la guilde. Ils n’étaient à ses yeux que des bureaucrates serviles qui faisaient tout pour lui mettre des bâtons dans les roues, bien planqués derrière leurs bureaux.
- Si vous voulez me mettre à l’épreuve, allez-y. Une série d’obstacles, ou peut-être escalader une montagne de glace ? Un test psychologique avec des cases à cocher en prime ? Je n’ai pas étudié à l’Académie, mais je suis plus capable que bien des fils de barons et téméraires idiots qui sortent de là-bas. Allons, je passerai toutes les formalités qu’il vous reste. Je pense que nous gagnerions tous deux un temps précieux si nous sautions directement dans le vif du sujet. Vous avez besoin de mon génie, et moi j’ai besoin du vôtre…
Lunar avait bien insisté sur le terme “génie”, espérant que celui-ci allait faire mouche. Waltz s’étouffa à nouveau, cette fois avec son biscuit, mais Elina ne réagit pas, encore perdue dans ses pensées...
« - Bien. Votre motivation m'a semblé convaincante, même si je nourris toujours des suspicions à votre égard. Il vous restera à prouver que je peux vous faire confiance, mais pour les examens que vous me demandez, je vous mettrai entre des mains plus expertes. »
Je notai intérieurement de rendre visite, plus tard, à l'Ingénieur en Chef pour lui faire part de ces échanges et de cette recrue susceptible de l'intéresser, je le savais. Il se ferait probablement un plaisir de la tester psychologiquement.
En attendant, il n'était dans l'intérêt de personne de prolonger ce moment. Waltz était restée coi et j'imaginais bien que sa présence impromptue n'y avait pas aidée, je comptais à présent m'entrenir avec elle et deviser de tout cela. Et puis il y avait ce fameux sujet dont elle voulait me parler, à la base.
Me relevant finalement après avoir vidé ma tasse et l'avoir reposée dans sa soucoupe, j'organisais un mouvement de départ vers la porte du salon, les couloirs et ultimement le hall où nous nous retrouvâmes tous les trois. Le Fay affichait un air satisfait, comme s'il était parvenu au bout d'une épreuve qui ne concernait que lui et, d'une certaine manière, j'en étais contente car cela signifiait bien l'importance du Blizzard à ses yeux. Ou du moyen que pouvait représenter le régiment en vue de sa fin, sans trop avoir pu saisir pourquoi. Je lui souhaitais cependant bonne chance, intérieurement, en espérant qu'il trouverait son compte dans la nouvelle unité.
Le Médecin en Chef toujours à mes côtés, nous accompagnâmes l'olibrius jusque devant la grande porte de la Citadelle où je devisai une dernière fois avec lui :
« - Y a-t'il une façon de vous contacter ? Je vous enverrai les instructions sous peu pour un entretien de recrutement avec mon subalterne en charge du Génie, si celui-ci trouve votre profil intéressant.
- Effectivement. Tenez, voici ma carte, » répondit l'aventurier en me tendant un carton blanc et bleu sur lequel figurait une écriture jaune, légèrement brillante.
Figuraient le nom de la future recrue et ses coordonnées, même si son adresse postale indiquait encore la Capitale. Je m'interrogeais d'ailleurs à ce sujet :
« - Vous ne résidez pas à Forteresse ?
- Pour le moment, quelques dernières missions me retiennent à la Capitale. Mais j'ai prévu de déménager sous peu ici, à Forteresse, où la faune est bien plus intéressante.
- C'est le moins qu'on puisse dire. Écoutez, je vous informerai par courrier ; en revanche, prévenez-moi pour vos prochains déplacements, ne tentez plus ce type d'approche si vous ne voulez pas finir en cellule la prochaine fois. »
Un regard entendu et le pauvre homme me salue prestement avant de tourner les talons. Je n'étais pas sûre de l'effet que les menaces et remontrances pouvaient avoir sur lui, me voyant soulagée de ne pas l'avoir sous ma responsabilité. J'avais déjà eu ce genre d'éléments par le passé : très qualifiés mais souvent incapables de tenir en place, d'obéir ou de penser à autrui. C'était inconcevable qu'il puisse exister des individus pareils dans la Garde, toutefois le Génie n'était pas réellement la Garde.
Nous aurions sûrement beaucoup à faire en sa présence.
Je regardai un instant la silhouette du bonhomme se réduire sur la route en direction du Bourg avant de faire volte-face pour dévisager ma subalterne. Bien, nous pouvions monter dans mon bureau cette fois-ci et discuter de tout cela et d'autre chose. Je l'invitais à m'accompagner dans les corridors et les escaliers jusqu'à la porte de ma chambre, que j'ouvrai grand et refermai derrière elle.
Nous quittions peut-être un salon pour un autre au final, mais je lui proposais de s'asseoir sur un des fauteuils pour m'entretenir avec elle un instant. Puis, comme je sentais qu'elle était prête à écouter, je lui demandai :
« - Alors, qu'en as-tu pensé ? »
|
|