La vie est tellement magnifique. Ne rien faire, laisser la douce chaleur matinale se répandre sur sa peau. J’aime ce royaume, ceci qui m’a vu grandir et qui a hébergé ma famille pendant des générations. Toutes mes racines sont là, dans ces terres, ces mêmes racines qui vous poussent à rester là où vous êtes, à penser et à vivre comme vos aïeux et ses aïeux avant eux.
Comme il pouvait faire magnifique ce matin !
Mais malheureusement, depuis quelques jours, je me sens souffrante. Ou plutôt, je me sens dépérir. D’où vient ce manque de motivation que je peux ressentir depuis des semaines, des mois même ? Je me réveille confiante en moi, remplie de gaieté et de bienveillance. Je descends me promener dans les rues de la capitale. Mais voilà, après une courte promenade, je rentre peinée, comme si quelque malheur m’attendait chez moi. Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce quelque chose au dehors ? Est-ce l’air environnant, ou la forme des habitations ? Est-ce bien quelque chose, qui a pu troubler ma pensée, ou bien quelqu’un ? Tout ce qui nous entoure, petit, grand, tout ce qui peut nous toucher, nous faire sentir, nous faire regarder, tout ce que nous pouvons rencontrer, agi d’une façon ou d’une autre sur notre façon d’être, sur notre corps, nos organes, notre âme, nos idées et même sur notre cœur.
Comme il est difficile d’essayer de comprendre ce que nous ne pouvons pas toucher, pas voir. Comment pourrions-nous, simple humain que nous sommes ? Nos sens nous trompent. Notre vue ne voit ni le trop grand, ni le trop petit, ni la surface d’une étoile, ni les molécules d’un liquide. Elle invente même des ombres invisibles au coin de la vision, qui disparaissent aussi vite que leur apparition. Notre ouïe aussi. Ah, cette ouïe, cette même traîtresse qui traduit si mal ce qu’elle peut comprendre. L’odorat et le goût ? Pas aussi puissante que celle des animaux, et incapable de discerner l’âge d’un vin. Et que pouvons nous dire sur le toucher, ce sens qui est encore plus trompeur que tous les autres. Ne vous est-il jamais arrivé de sentir quelque chose bouger autour de vous, quelque chose vous toucher alors que rien n’a changé aux alentours ? Cette sensation de sentir un chatouillement, un effleurement si léger que vos poils se hérissent.
Je suis malade, il n’y avait plus de doute possible. La fièvre ne me quittait plus, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme et mon corps aussi faible qu’un nourrisson. J’ai sens cesse cette sensation maladive, cette affreuse sensation qu’un danger me survole, cette impression qu’un malheur va venir ou de la mort approchante. Mon corps, mon âme, mon sang et ma chair, tout en moi réagissaient à ce mal inconnu, comme si c’état ça qu’ils attendaient, depuis fort longtemps.
J’ai essayé de consulter un médecin. J’avais dans l’espoir de le voir dire que je suis mourante, que quelque chose germée en moi, me rongeant de l’intérieur. Je n’arrivais plus à dormir. Je voyais des ombres au coin de l’œil la nuit, le jour, tout le temps. Des voix inconnues résonnaient en moi, des mains invisibles me touchaient, m’effleuraient les parties les plus intimes de mon corps et de mon cœur. Malheureusement, il n’a trouvé aucun symptôme alarmant. Poul rapide, œil dilaté, nerfs vibrants, mais rien qui pourrait expliquer le pourquoi de ma paranoïa. Et malgré ce qu’il a pu me donner, rien ne faisait. Mon mal augmentait, mon état se faisait de plus en plus bizarre. A mesure que la nuit tombait, une inquiétude naissait au plus profond de mon être, comme si la nuit, l’ombre, l’obscurité cachait une menace terrible. Comble de l’ironie pour un possesseur du pouvoir de l’ombre, non ? Je déjeune vite, fait mine de ne pas voir Arthorias, puis essaye de lire. Peine perdue, les lettres se mélangent, la tâche sombre sur mes iris se fait de plus en plus grand au fil de la concentration. Je fis les cent pas dans la chambre, essayant de me calmer, de calme cette crainte insatiable, la peur du silence et la peur de l’obscurité. A chaque fois, j’entends le silence pesant qui m’entoure, puis le bruit métallique de quelque chose traînant au sol. L’ombre m’envahie, je suis dans ses bras, incapable de bouger, seulement capable de penser.
Vers dix heures, je n’en pouvais plus. Arthorias était déjà parti se coucher, mais je ne pouvais plus dormir avec lui. Dormir, est-ce vraiment le bon mot ? Je partais dans une autre pièce de la maison. A peine entrée, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous de la porte. J’ai peur, mais de quoi ? Mon habitation et les bras de mon mari étaient les seuls endroits de sécurité qui me restais. Je n’avais peur de rien avant. J’ouvre les armoires, regarde sous le lit. J’écoute, et écoute encore. Mais écouter quoi ? Les bruits extérieurs, les craquements habituels du bois, ou juste le silence pesant ? Est-ce étrange qu’un simple mal, un problème de transite peut-être, une si petite perturbation dans le fonctionnement du corps humain, puisse rendre des personnes aussi paranoïaques ?
Puis je me couche, et j’attend le sommeil comme on peut attendre la Mort. Je l’attends avec l’épouvantable envie qu’elle s’en aille tout de suite. Mon cœur bat tellement fort contre ma poitrine, mes jambes frémissent, tout mon corps tressaille à la simple pensé de la venue du bourreau. Puis soudainement, comme autrefois, ce sommeil perfide vient me chercher. Il m’attendait, je savais, caché près de moi, me guettant, prêt à me saisir par le bras pour me noyer dans sa noirceur.
Je dors, deux ou trois heures, puis un rêve, non, un cauchemar m’étreint. Je sens bien que je suis couchée dans mon lit et que je dors, je le sens et je le sais. Et je sens aussi que quelqu’un s’approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur mon lit, s’agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains et serre, serre de toute ses forces. Moi, je me débats. Je veux crier, mais aucun son ne veut sortir. Je veux bouger, mais tous mes membres sont bloqués par une force invisible. J’essais, avec des efforts monumentaux, en haletant, de me tourner, de rejeter cet être qui m’écrase et qui m’étouffe, mais rien n’y fait, je ne peux rien faire.
Et soudain, je me réveille, affolée, couverte de sueur. J’allume une bougie, je suis seule. J’entend Arthorias de l’autre côté, essayant d’ouvrir la porte. Pourquoi je ne lui ouvre pas ? Il aurait pu me donner du réconfort, de la sécurité au creux de ses bras. Mais les miracles n’existent pas. Il ne pourra rien faire pour faire disparaître cette crainte, cette peur et tous ces symptômes. Alors, comme toutes les nuits depuis maintenant des jours, je reste seule, assise sur mon lit, en attendant l’aurore.
Mon état s’était encore aggravé. Qu’ai-je donc ? Les solutions du médecin n’ont rien fait. J’avais essayé d’aller faire un tour un peu en dehors de la capitale, dans la forêt environnante. J’ai cru que l’air frais, plein d’odeur d’herbes et de feuilles, me permettrait d’aller mieux. Je m’enfonçais un peu dans l’immense verdure, puis rebroussais chemin. L’allée était étroite, entourée d’arbres démesurément hauts, mettant un toit vert, presque noir, entre le ciel et la terre. Un frisson me saisit soudain. Non pas un frisson de froid, celui-là est facilement reconnaissable. C’était un frisson d’angoisse. Je hâtais le pas, presque inquiète d’être seule dans l’obscurité oppressante. Tout à coup, il me sembla que j’étais suivie, qu’on marchait sur mes talons, tout près, presque à mon niveau. Je me retournais brusquement. J’étais encore une fois seule. Je ne vis derrière que la droite et étroite allée à perte de vue. Pareille qu’avant, et toute aussi effrayante.
Cette fois, j’en suis sûre, je ne suis pas folle. J’ai vu...j’ai vu... Le doute n’est plus possible. J’ai encore ce frisson de terreur et de froideur qui me parcours. Je me promenais dans les rues fréquentées du centre-ville. J’avais besoin de nouveauté, tourner en rond chez soi était beaucoup plus épuisant que cela pourrait paraître. Puis, tout à coup, un vent frais se leva, mais j’avais l’impression d’être la seule à le ressentir. Mon corps frissonnait jusque dans mes moelles. Une apparition, tout simplement. Une forme diabolique. Son visage humain, ses six bras aux doigts fins et acérés, ses cornes. Tout lui revenait un mémoire comme un coup de poignard. L’apparition se retourna vers moi et me souris, de toute la largeur de son visage. Une de ces mains était couverte de sang, dégoulinant sur le sol de l’allée. La foule passait de chaque côté d’elle. Comment personne ne pouvait la voir ? Elle est là, la créature, devant vous ! Ouvre les yeux, pauvres fous ! Mais était-ce vraiment eux les fous ?
Je ne savais plus en j’en étais. Est-ce que je devenais folle ? Je me posais des questions sur ma santé mentale. Pas des doutes superficiels, mais des vraies, des absolues. J’ai pu en voir, des fous. Des hommes, des femmes, qui perdaient les mémoires, qui divaguaient sur des faits complètement inventés, sur des créatures imaginaires. Leur esprit s’éparpillait et sombrait dans cet océans furieux, remplis de vagues démesurées et de brouillard épais, qu’on appelait démence. Je me pensais folle, de tout mon être. Je voyais des formes fantasmagoriques, émergents de mon passé, de mes souvenirs.
Allongée sur mon lit, je songeais à ce que je pourrais devenir. Pourquoi ces ombres apparaissaient-elles, pourquoi me hantaient-elles ? Qu’ais-je donc pu leurs faire pour qu’elles me pourchassent sans cesse. Peu à peu, cependant, un malaise inexplicable me pénétrait de l’intérieur. Une force occulte m’engourdissais, m’arrêtais, m’empêchais d’aller plus loin dans ma réflexion.
Un autre jour commença. La nuit fût affreuse. La chose ne se manifestait plus, mais je le sentais prés de moi, m’épiant, me regardant, me pénétrant, me dominant même. Mais plus redoutable encore, je pouvais la sentir encore plus présente que les autres fois. Plus je pensais à elle, plus son emprise était puissante. Et alors, plus rien ne se passait pendant des jours. Je ne pouvais plus rester chez moi, avec cette crainte pesante, cette sensation ancrée au plus profond de mon âme. J’avais l’impression que quelqu’un possédait mon âme, la gouvernant de l’extérieur. Je pris alors connaissance de cette peur grandissante, enfouie au plus profond de mon corps.
C’est alors que je l’ai reconnu, cette vertigineuse émotion, cette terreur profonde pour l’obscurité et la noirceur. Elle reflète mon incapacité que j’ai pu faire preuve pendant ma descente dans la cité enfouie. Elle est cette incontrôlable envie, l’envie de vouloir partir loin de ces monstres, de cet air de combat, de sang et de vengeance. Et le seul moyen de battre cette peur, c’est de la combattre. Il fallait que je prenne les armes, que je combatte la noirceur pour pouvoir l’utiliser.
Tel était maintenant le chemin que j’avais choisi d’emprunter. Très différent de ce que j’avais l’habitude. Mais c’était soit ça, soit finir complètement folle. Je fixais mon regard dans le miroir. Derrière moi, l’ombre de la bête ne me quittait pas du regard, je la sentais, son poids immense pesant sur mes épaules. Ce visage, ces cheveux, tout devait changer. Il devait s’agir de mon renouveau, de la nouvelle Rebecca, de celle qui ne se laisse plus gouverner par ses émotions.
Face au miroir, un couteau dans la main droite, la bataille commençait. Un tas de cheveux jonchait le sol, leur blond se faisant remplacer petit à petit par un blanc immaculé. Sa longue chevelure se fit plus courte et sa franche rejoignait ses cheveux attachés, révélant un grain de beauté juste au-dessus de sa pommette droite.
La nouvelle Rebecca venait de naître. Elle n’aura plus peur de ses fantômes qui la hante. Même, elle va apprendre à les connaître, à devenir leur amie.
Place à la nouvelle Reb.