J’pousse un soupir. J’vais plus pouvoir y couper. C’était des trucs que j’évitais de faire en tant qu’aventurier, en tout cas autant que possible, mais faut croire que les gardes et les espions ont pas la même latitude. Ce qui est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai pas voulu toucher à ces corps de métier, au moment de choisir une occupation officielle, à l’époque. Nan, la Guilde, c’était parfait : je pouvais travailler si j’avais envie, ou alors rester tranquillement au bureau à lire et rédiger de la paperasse que personne d’autre ne consulterait jamais. A part Lou.
J’ai encore des frissons, en plus, quand j’pense à la Cité Enfouie.
Pour passer le temps, j’me remémore ce qu’on m’a dit de l’assignation qui vient de nous tomber dessus. Nous, Zahria, moi, et la Capitaine du Blizzard, basée initialement à la Forteresse. J’espère qu’elle va venir avec tout son contingent, histoire qu’on n’ait pas à trop forcer. Même si ça rendrait notre présence obsolète ? Ça devrait être marrant, de revoir Elina von Andrasil. Enfin, drôle… C’est rarement le cas, avec elle.
Apparemment, y’a une secte bizarre qui trône sous terre et qui s’laisse aller à des débordements qui plaisent pas beaucoup aux tauliers. Genre des meurtres, des massacres, du cannibalisme. Bref, de belles joyeusetés, sans doute accompagnées de toute une tripotée d’autres qui valent bien un tour de l’autre côté de la Frontière. Pas que j’aie entendu parler d’eux. Les sectes, c’est toujours un peu à part du reste de la pègre. Ils s’estiment supérieurs à nous… aux criminels de droit commun dont j’fais plus partie.
C’est la religion, ça, ça rend arrogant.
On avait un informateur, ou un espion, j’ai pas les détails, qui était sur place. C’est lui qui nous a rencardés sur les accès, l’organisation, tout ça. On nous a demandé de mettre fin à la secte. Moi, mettre fin, j’ai une assez bonne idée de ce que ça veut dire, et ça se finit rarement au tribunal. M’enfin, quand Zahria disait que je changeais juste d’employeur, j’suppose que c’est ce qu’elle voulait dire… Les fanatiques vivent sous terre, c’est ce qui laisse croire qu’on va pouvoir leur faire tomber le ciel sur la tête, j’pense. Faudrait juste être à la sortie du terrier pour cueillir ceux qui s’en sortiront ?
Quand j’arrive enfin au village dans lequel on s’est donné rendez-vous, j’me dis que j’devrais vraiment acheter ce laissez-passer de téléportation. Ça m’évitera de passer des jours à me faire trimballer en charrette, ou à dos d’une bestiole ou d’une autre, pendant que la patronne se pointe comme une fleur à la fin. On n’est pas loin de la Forteresse, mais ça reste un bled totalement paumé comme j’en ai tant vu pendant mes missions d’Examinateur.
Normalement, dans ce genre de cas, le point de rencontre, c’est la taverne, centre névralgique dans lequel le malheureux qui arrive le premier peut attendre au chaud, avec une jolie blonde pour se remonter le moral, et éventuellement un casse-dalle pour se sustenter. L’ambiance est moins bonne chez les espions, pasque la chef m’a dit d’être sur la place centrale quand elle arrivera. Il pleut, il fait froid, et j’ai envie de m’asseoir. Et j’sens que j’pourrai avoir qu’un seul des trois.
Cela dit, à ma surprise, j’suis pas le premier qui s’pointe. Ma grande amie Elina est déjà, droite comme un piquet à la parade, ou plutôt comme si elle avait un objet long et rigide fermement planté pour la maintenir en l’état. Mais ce n’est évidemment que la formation militaire qui parle. J’me pointe devant elle et j’lui adresse un grand sourire. La mine taciturne, elle me jauge de haut en bas, puis de bas en haut.
« Salut Elina, ça va ? Ça fait longtemps, dis donc.
- Je suppose que tu es Vrenn. Zahria m’a dit que tu viendrais.
- Sbire, qu’il faut m’appeler, comme travail, il paraît. Et Ombre, du coup. »
Elle hoche la tête sèchement. Heureusement que y’aura Zahria pour qu’on s’amuse un peu.
« Ah, oui, suis-je bête, tu te rappelles pas de moi. T’inquiète, ça me vexe pas. T’as des nouvelles de ton papa ?
- Il croupit en prison.
- Tout va pour le mieux, alors. Elles sont plutôt confortables, surtout pour les nobles. Enfin, ceux qu’ont les moyens de les aménager, quoi. »
Elina laisse la conversation mourir. Pff, même maintenant que j’suis un gentil, elle me snobe. Franchement, c’est pas du joli-joli, ce manque de respect des collègues.
« Après autant de nuits à faire des trucs ensembles, j’aurais cru qu’on entretiendrait des rapports plus cordiaux, quand même. »
Elle détourne les yeux. C’est marrant à sa façon, en fait. Et puis je mens même pas, on en a passé, du temps ensemble, à l’auberge, au bar, à éplucher des dossiers. Je hausse les épaules, et j’la laisse macérer. Après tout, à chaque fois que j’en ferai la remarque, elle se demandera si elle a pas oublié qu’elle aurait fricoté avec un sale criminel qu’elle aurait embauché pour le plus grand bien, pour se venger de son daron.
Mais v’là Ombre qui décide de se pointer après une dizaine de minutes à patienter avec la capuche de ma cape soigneusement baissée sur mon visage.
« Elina, Sbire. Allons-y. Ils recrutent cette nuit, nous devrions pouvoir nous infiltrer. »
Woah, woah, visiblement, j’suis pas au courant de tout.
Après, elle est au courant qu'elle ne s'embarque pas dans la mission la plus sûre pour son retour sur le terrain. Détruire une secte de fanatiques, ça implique un peu d'infiltration et beaucoup de sang. Mais ça va, elle est bien accompagnée. Ses deux amis d'enfance récemment retrouvés seront là, et dans une bagarre, difficile de savoir sur lequel des deux on peut le plus compter. Aucun des deux n'avait l'air surpris, quand elle leur a annoncé par cristal qu'elle serait là. Comme s'ils s'attendaient à ce qu'elle ne tienne pas plus longtemps sans rentrer dans le vif de l'action, telle une lionne en cage.
Elle arrive dix minutes en retard, mais il fallait bien ça pour que la mémère passée devant elle et qui se dirigeait vers le Grand-Port se décide à monter les trois marches qui mènent au portail... Au moins, ça lui a permis de relire les notes du compte-rendu tout frais qui est arrivé ce matin, de la part de son espion sur place. Et puis de faire une entrée fracassante auprès des deux compères en train de se geler sous la pluie.
« Désolée de vous avoir donné rendez-vous ici, mais on pouvait pas aller à la taverne directement, c'est là-bas qu'ils sont basés. Fallait que je vous explique avant. J'ai un gars déjà infiltré dedans. Il m'a dit qu'il y avait un prêche ce soir, pour essayer de convaincre de nouveaux arrivants de les rejoindre. Le hic, c'est que tous les nouveaux arrivants sont là pour les rejoindre. Le prêche, c'est juste une espèce de cérémonie officielle, ils ont déjà fait leur recrutement en amont. De toutes façons, qui se pointerait dans un bled pareil si c'est pas pour aller postuler dans une secte... »
Enfant de la ville, aucun respect pour la campagne.
« Bref, tout ça pour dire, mon gars nous fait passer pour ses recrues. Suffit d'y aller, applaudir en même temps que les autres et les suivre, et on sera dans l'antre de la bête. Parfait pour les saboter de l'intérieur. Tes troupes sont prêtes, Elina ? »
Devant l'acquiescement de son amie, Zahria marque une pause.
« Si tes gars nous voient, on est juste des gardes de la régulière venus te prêter main forte pour éviter que ceux du Blizzard, trop reconnaissables, se fassent repérer. Mets ta capuche, d'ailleurs. La gueule de la capitaine du Blizzard passe pas inaperçue dans les montagnes, paraît-il. »
Elle repart de plus belle en direction de la taverne, bien illuminée là-bas. La fumée qui s'échappe par la cheminée indique d'un gros feu les attend, et les relents de cuisine leurs promettent un repas digne de ce nom. En espérant que les cultistes leur laissent au moins le temps de manger avant de les emmener dans leur repaire...
Quand ils passent la porte, l'ambiance est électrique. Sur une petite estrade, un homme habillé d'une espèce de soutane jaune, les bras levés vers le ciel, est en train de dégobiller un discours imbitable sur le puissant Sheitan, le dieu que semblent vénérer ces gens-là, et sur les bienfaits du partage de sang, qui semble être une de leurs cérémonies. Mais le plus choquant, c'est certainement le fait que quasiment tout le monde dans la pièce porte la même soutane que lui, serveurs et cuisiniers inclus, et que les rares qui ne la portent pas sont pendus aux lèvres du prêcheur. Un gars en soutane leur fait signe à une table non loin, et Zahria reconnaît Feuille - dont nous tairons le véritable nom pour clauses de confidentialité - l'espion infiltré depuis plusieurs semaines dans la secte.
Il n'a pas très bonne mine quand il leur demande s'ils ont fait bon voyage, comme s'il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours. Zahria laisse ses yeux posés sur le prêcheur, dans l'optique d'imiter les autres civils de la salle, mais des centaines de questions se bousculent dans sa tête. Comment ça se fait que tout le monde ici soit là pour la même raison ? Cette taverne est-elle vraiment dirigée par la secte, et si oui, comment ça se fait que personne ne s'en soit rendu compte plus tôt ? Feuille voit le questionnement dans les yeux de son maître-espion et entreprend, en code, de lui répondre.
« C'est sympa, ici, hein. On s'y est installés pour la soirée, les gens du coin ont accepté de nous prêter l'endroit pour recevoir nos nouveaux invités. »
Oh. Oui. Un prêt. Sans qu'ils n'aient rien demandé, on leur amène trois assiettes de ragoût, et alors qu'ils sont sur le point de s'y attaquer, Feuille secoue la tête très discrètement, pour leur intimer de s'arrêter. Zahria voit alors dans son assiette remonter un bout de doigt... De doigt humain. Un prêt, disait-il. On dirait plutôt que les habitants du village ont fini en ragoût. Le prêche là-bas semble être fini, et tout le monde passe à table quand on annonce le début du "partage de sang". Feuille, devant elle, fait comme les autres, et avale son repas goulûment, ou du moins, le fait-il croire. Ça explique son teint blafard. Il se fait vomir après chaque repas... Et s'ils ne mangent pas, visiblement, pas question d'aller plus loin dans leur infiltration... Ça commence bien.
Mais tout de même, ces piques sur une éventuelle histoire entre nous continuaient de me déstabiliser à chaque fois. Pourtant je les notais systématiquement, mais il était difficile d'affronter son expression goguenarde et la désagréable efficacité de ses dons. Bon sang.
Nous étions massés tous les trois, tous les quatre avec notre contact d'ailleurs, dans la taverne à présent. Assis autour d'une table, nos plats servis devant nous, à en observer les macabres ingrédients flottants dans le bouillon. Une partie des habitants de ce humble hameau avaient fini en ragout sous le nez de la Garde et, malgré l'absence de la régulière chargée de patrouiller dans les patelins, j'en prenais une certaine responsabilité.
J'avais organisé mes troupes au petit matin, récupérées des différents bataillons : là-haut, dans les collines, un officier du Corps des Ours commandait aux côtés d'un gradé des Sentinelles et du Médecin Principal Campbell, dépêchée par Waltz. Cela avait été un plaisir de faire le chemin jusqu'ici en sa compagnie et, malgré sa jeunesse, je savais que son unité médicale serait un véritable support quand viendrait le moment de traiter les dégâts physiques comme psychologiques des victimes actuelles et futures.
Jaugeant d'un regard mauvais ce que j'estimais comme étant une partie tendre d'un très jeune être humain en plein milieu de mon assiette, je tendis la main pour saisir une carafe d'alcool de prune que je savais, elle, préservée des sévices de ces malades mentaux.
Mon verre, je me le servais et me le buvais alors cul sec, pour me donner du courage et surtout pour me faire passer le goût de ce que je m'apprêtai à manger. Je n'avais définitivement pas le chic pour ces missions d'infiltrations, mais comme je ne pouvais me plaindre autrement qu'en expression dégoutées lorsque ma cuillère venait racler le fond de ma large coupe et en retirer des lambeaux rouges et roses ayant bien mariné dans le pot-au-feu, je m'empressai aussitôt de la fourrer dans ma bouche et d'avaler.
Un moment de silence et les regards curieux de mes partenaires m'informa soudainement, car je ne m'étais préoccupée de l'animation alentour et des actes de mes camarades, que j'étais bien la première à déguster ce succulent plat. Et un bout de cartilage traversant ma trachée me poussa à les affronter, la mine déconfite et la bouche tordue dans un rictus, alors que je déglutissais difficilement.
« - Le... » m'essayai-je, quelques secondes après, en tentant de formuler une phrase mais en trouvant la chose bien plus difficile que je n'y pensais.
Je m'y reprenais à deux fois, les poings vissés sur la table, tournant la tête maladivement, m'ébrouant presque, avant de parvenir à former des mots.
« - Les gens d'ici sont bien généreux... ont-ils tous rejoint la cause ? »
Il s'agissait d'y aller en douceur. Nous ne pouvions éveiller les soupçons, toutefois ma préoccupation pour le moment était d'estimer le nombre de vies que l'on pouvait encore sauver ainsi que l'emplacement du campement des cannibales. Comme je m'attendais évidemment à ce que les deux réponses soient liées, le jeune homme au visage blafard s'avança un peu dans ma direction, mastiquant difficilement du gigot :
« - Certains seulement, les autres ont été invités à se joindre à nous. Nous leurs avons fait faire le tour de notre cave, » me répondit la recrue tout en désignant le sol.
Mon regard fit le tour de l'assemblée suite à cette réponse. Je commençais progressivement à comprendre comment ces malades mentaux avaient pu prospérer aussi librement et commettre leurs méfaits sans jamais être inquiétés. Les disparitions isolées ne devaient être que les premières étapes d'un plan à plus grande ampleur.
Nous y étions, au début. Les cafards venaient de sortir de leur trou. Il fallait agir prudemment cependant, garder notre couverture encore longtemps. Au moins le temps de faire évacuer les civils épargnés avant de les prendre à revers.
Mais comme je souhaitais faire part de mes idées à mes compagnons, silence fut requis sur toute l'assemblée. Le prêcheur, encore une fois, avait quelque chose à annoncer.
Pas besoin d’être un génie pour savoir ce qu’il y a dans la gamelle. D’un coup de cuillère, j’fais sortir un tas de viande informe qui pourrait être n’importe quoi, vu la longueur de la cuisson, mais les doigts dans les plats des autres laissent assez peu de doute sur la question. Putain de tarés. L’espion local a pas l’air serein, en tout cas. On pourrait lui souffler dessus qu’il tomberait par terre en se tenant la gorge. Tu parles d’un boulot salopé.
J’attrape mon morceau de barbaque avec un peu jus de bouillon, et j’l’enfourne. Ça pourrait être de la viande de bœuf qu’a cuit huit heures, à la texture. Le goût est brut, manque d’assaisonnement. J’suppose que c’est le but du truc, en même temps. Mon visage reste soigneusement neutre quand le goût arrive, puis s’éclaire d’un grand sourire satisfait. Tout pour mon public. J’avale tranquillement, et j’replonge la cuillère, pour reprendre une bouchée. Ça va, c’est que d’la viande, et c’est pas faire des simagrées qui va les sauver, vu qu’ils sont déjà décortiqués, les locaux.
Mais c’est au tour du patron de discuter un peu, et nous expliquer pourquoi on est là. Ça serait effectivement pas mal.
« Mes chères consœurs, mes chers confrères. C’est avec une joie non-dissimulée que je vous accueille parmi nous. Nous avons, comme certains disent, partagé le pain, le sel, et l’eau. A notre façon. »
Il a un petit sourire paternaliste. Il me gonfle déjà, à titre personnel.
« Sachez que de plus en plus de gens sont touchés par la justesse de nos idéaux, de notre Foi. Et vous l’êtes également, c’est la raison de votre présence parmi nous, après tout. Lucy est une fausse idole qui a été élevée par les dynasties royales pour maintenir leur mainmise sur le Royaume. Sheitan, représenté par son Prophète, sont venus nous apporter la Vérité, et rétablir la Justice sur le continent. »
Ah bah voilà, il manquait d’un peu de politique. Je suppose que le prophète éclairé prendra les rênes du pouvoir pour nous guider vers des horizons meilleurs. J’reprends une cuillerée de pot-au-feu. En vrai, si on fait abstraction de l’origine de la viande, c’est même pas si mauvais que ça. Un peu comme du porc, peut-être ? Ouais, j’dirais ça. Après, c’est pas très bien cuisiné, faut dire. Et j’suis bien le seul de ma table à manger avec appétit. Feuille me jette un regard mauvais, adresse un signe à Zahria. Quoi, il pense que comme j’bouffe, j’suis un traitre ?
Elle fait non de la tête, et il hoche la sienne sèchement. Il doit avoir les boules d’être ici depuis des semaines à pas pouvoir grailler normalement, alors que moi j’en ai rien à foutre, j’suppose.
« Mais vous en apprendrez davantage sur notre Prophète plus tard. Pour le moment, vous êtes ici car vous avez été sensibles aux arguments que nos prédicateurs vous ont avancés. Vous avez commencé à être touchés par la seule vraie Foi. Méditez, et sentez la présence de Sheitan tout autour de vous, dans chaque chose et chaque être. Y compris les Infidèles que vous êtes en train de dévorer pour purifier vos corps, vos âmes, et le monde. »
Rien que ça.
« Je vous laisse à votre repas. »
Il descend de l’estrade dans un silence… religieux, qui n’est pas si différent de quand Gégé descend un litre de tord-boyaux debout sur le bar, en tanguant, cul-sec. Mais j’suppose que le contexte est pas tout à fait le même.
« Alors c’est Sheitan, c’est ça ?
- Notre Seigneur à tous, prions pour sa protection, enchaîne automatiquement Feuille.
- Phrase ?
- Commune, oui.
- Et le Prophète ?
- Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer jusqu’à présent, mais je ne désespère pas d’être touché par sa Grâce. Il participe parfois à l’intronisation des nouveaux membres de la seule véritable religion.
- D’autres choses à savoir ?
- Je ne crois pas. Tout ce que nous faisons est pour la gloire de Sheitan et son Prophète, sa Voix et sa Main parmi nous. »
Il se touche le front en signe de déférence, alors on fait tous pareil. Les assiettes n’ont pas beaucoup bougé. Feuille en verse un bout par terre, et le reste dans un petit sac sans fond. Il doit les vider dehors, après, ou quoi. Bon plan, j’aurais fait pareil s’il était resté quoi que ce soit dans ma gamelle, mais mes petits camarades, moins conquis par les prouesses du chef cuisinier local, font comme lui.
« Suffit de pas y penser, que j’dis en pointant mon bol.
- Plus facile à dire qu’à faire, souffle Feuille.
- Bouclez-là, chuchote Zahria. »
Voilà que le prêcheur se pointe à notre table et adresse un large sourire à l’espion infiltré.
« Alors, frère Jehan, qui nous as-tu ramené pour ce partage du sang ?
- Voici nos nouveaux amis, mon père, Ifan, Lohse et Sébille. Ils sont venus pour se joindre à nous.
- Avez-vous apprécié votre repas ? »
Ils acquiescent en coeur, rendant un sourire le plus sincère possible. Elina reste cachée, sous son capuchon.
« Ne craignez rien, Sébille. Vous avez le droit de garder votre anonymat, mais je suis confiant, vous vous plairez bientôt chez nous autant que si vous rentriez à la maison après un long voyage. Sheitan accueille tous les parias, tous les abandonnés, tous ceux qui cherchent un refuge. Nous rétablirons la Justice pour nous tous.
- Loué soit Sheitan.
- Loué soit notre Saigneur. Frère Jehan, je vous laisse préparer nos compagnons, nous rentrons à la maison. »
Il s'incline, puis part pour la table suivante. Feuille se lève, et leur fait signe de l'accompagner. En procession, silencieusement, il les emmène dans une petite pièce contigu où d'autres gens arrivés comme eux sont en train de se changer, et d'enfiler la soutane jaune du secte. On leur remet le même vêtement, qu'ils enfilent par dessus le reste, puis Feuille les guide à nouveau vers la sortie, dans la même cérémonie. La salle est en train d'être vidée, et les gens habillés en jaune sortent les uns après les autres, dans la même démarche solennelle. Ils prennent leur place dans le rang, imitant les autres, et se laissent guider. Ils ne marchent pas plus d'une dizaine de minutes avant d'atteindre les contreforts d'un pic rocheux. D'autres membres de la secte habillés en soutane les accueillent à l'entrée d'une grotte surplombée de deux lanternes installées à même la roche, en leur balançant des "Loué soit Sheitan" auxquels ils répondent mécaniquement.
Quand ils pénètrent dans la grotte, ils se retrouvent d'abord dans un mince boyau illuminé de part et d'autres par le même genre de lanterne balançant des ombres inquiétantes sur les parois. Le couloir étant petit, ils se retrouvent un peu bousculés, et Elina trébuche et se rattrape sur le bras de Vrenn, qui l'aide à reprendre son équilibre. Zahria assiste à la scène en essayant de ne pas trop se poser de questions, surtout qu'ils continuent à avancer dans le couloir de plus en plus fin. Derrière eux, ils entendent un grondement, et comprennent que l'entrée de la caverne vient d'être fermée par un épais rocher poussé par une dizaine d'hommes, seulement accessible depuis l'intérieur. Voilà qui vient de drastiquement leur compliquer la tâche.
D'abord plat, le boyau commence doucement à descendre, puis de plus en plus, si bien qu'ils sont obligés de se rattraper aux parois pour ne pas glisser. Puis finalement, la pente s'adoucit à nouveau, et le boyau s'agrandit, la lumière se fait plus forte, et ils atteignent enfin une grande pièce, très haute de plafond, où de nouveaux disciples les accueillent. Il doit y avoir là facilement une centaine d'hommes et de femmes réunis autour d'un grand feu. Sans compter sur la dizaine de prisonniers dans des cages sur les côtés de la salle. Zahria laisse échapper un soupir. Dans quoi se sont-ils encore embarqué ?
On les répartit dans plusieurs groupes, et ils se retrouvent séparés. Heureusement, Zahria arrive à rester avec Feuille, tandis qu'Elina et Vrenn sont envoyés dans un autre groupe. On les assoit, groupe par groupe, autour du feu, et quand tout le monde est installé, une femme s'avance, avec des gestes lents, se déshabille. Puis un tambour se met à résonner, et elle se met à danser au rythme, d'abord langoureux, puis de plus en plus énervé, de l'instrument. Ça dure cinq ou six minutes hypnotiques, où Zahria essaye de trouver le regard d'Elina et Vrenn, en vain, bien trop loin. Feuille, à côté d'elle, lui intime le silence, car n'importe qui pourrait les entendre. Elle est tentée de lui faire des signes sur le sable, mais ne sait non plus si cela serait visible. Elle se sent prise au piège. Et quand la femme, en face, finit sa danse et se jette dans le feu sous les cris de joie de l'assemblée, Zahria prend conscience de la merde absolue dans laquelle ils sont allés se foutre.
Ces pensées me dévièrent un peu des évènements qui suivirent, comme notre groupe était divisé en deux et je me retrouvais en compagnie de Vrenn uniquement, tandis que Zahria et l'autre espion s'asseyaient de l'autre côté de la grande salle. Un grand feu nous séparait et je ne pus que plisser les yeux en voyant le spectacle donné par la danseuse nue qui... s'y jeta sans montrer le moindre doute, la moindre appréhension.
Aux cris de joie et aux acclamations se mêlaient alors la lente agonie de la suppliciée, m'empêchant de rester de marbre. Mon regard se faisait probablement un peu trop dur, mon visage trop expressif pour qu'un coup de coude dans les côtes, celui de mon comparse, doive me ramener à la raison. Ce geste avait en vérité un second intérêt : le regard du truand m'indiquait un tunnel dans notre dos d'où sortaient d'autres adeptes, l'échine courbée par le poids des « victuailles » qu'ils portaient. Le souvenir de ce que j'avais précédemment mangé me revint aussitôt en mémoire et je dus mettre la main devant ma bouche pour me retenir de rendre un morceau d'oreille bien cuite.
Je notais cependant cette seconde entrée car il ne semblait visiblement y en avoir que deux qui menaient à cette salle dans le supposé vaste réseau de grottes. Et étant donné que la viande humaine, que les initiés se partageaient allégrement désormais, provenait de là-bas, on pouvait se douter de l'endroit où étaient confinés les prisonniers ; probablement à proximité des cuisines.
« - Allons y... discrètement, » soufflai-je à l'espion tout en me relevant, faisant mine d'apprécier le spectacle toujours fascinant de la pauvre femme en flammes, inerte à présent, avec un sourire terriblement forcé.
Mes deux mains dans mes poches, je finissais de renforcer un des deux orbes solides que j'avais générés depuis notre entrée dans la grotte. Par précaution, j'en jetai un sous le bûcher, après avoir profité de la liesse générale pour m'en approcher suffisamment, avant de partir en direction du boyau que nous avions identifié. Répondant des « loués soit Sheitan » à ceux qui nous saluaient sur notre chemin, nous parvînmes pratiquement à rejoindre la sortie sans encombre avant qu'un homme de forte stature ne nous interrompe soudainement, d'un geste du bras à hauteur de poitrine.
C'était le prêcheur de la taverne.
« - Tiens donc, frère Ifan et sœur Sébille... »
« Merde », pensai-je tout en réprimant un hoquet de stupéfaction, la poigne toujours plus serrée sur le second noyau lumineux au fond de ma poche... Mon camarade, plus habitué aux infiltrations, ne montrait lui aucune expression et il avait bien raison ; notre interlocuteur afficha rapidement un sourire en dévoilant l'objet qu'il tenait dans sa main.
« - ...est-ce que vous avez goûté ces brochettes d'yeux fris ? Elles sont succulentes ; tenez goûtez en un. »
Et bis repetita placent.
Heureusement, il tend qu’une seule brochette pour nous deux. J’l’attrape avec un grand sourire, et j’avale le premier globe oculaire sans réfléchir. Il a un peu explosé dans ma bouche, en répandant son liquide, mais j’me lèche les babines d’une manière que j’espère convaincante, avant de tendre le bâtonnet à ma collègue. Puis, pendant qu’Elina médite sur le sens de sa vie et ce qu’elle a fait pour devoir subir ça, sans doute, j’attrape doucement le prêcheur par l’épaule, et j’le retourne. P’tet qu’elle va en profiter pour foutre l’œil dans sa poche ou quoi.
« Dites, monsieur…
- Allons, Frère Ifan, nous sommes tous frères ici, je suis simplement… un des aînés.
- Vous avez rejoint le Culte de Sheitan il y a longtemps ?
- Oh oui, j’ai eu la chance de rencontrer le Prophète très tôt. Parmi les premiers, en réalité. C’est un homme extraordinaire…
- D’ailleurs, tout le monde parle de lui, mais aurons-nous la chance de le voir également ? A l’occasion d’un sermon, peut-être ?
- Bien sûr, mais peut-être pas tout de suite. Je crois savoir qu’il est actuellement en retraite pour prier Sheitan de lui montrer la Voie à suivre.
- Je vois, très bien, très bien… »
Il se tait quelques instants, puis son regard devient plus pointu.
« Où alliez-vous, par contre ? Vous ne restez pas pour les festivités ? »
J’prends un air gêné, que j’agrémente d’un sourire en coin un peu fripon. Puis j’me mets à chuchoter.
« Sœur Sébille avait envie que nous passions un moment tous les deux. L’excitation de rejoindre le Culte, tout ça… »
Il a l’air surpris, puis comprend mieux.
« Un endroit tranquille, si vous savez, mon frère ?
- Ah. Vous aurez tout le temps du monde plus tard. Mais si vous voulez faire vite…
- Bien sûr, oui…
- Prenez la première à gauche. Ça mène vers les cuisines, mais il y a des alcôves avec des vivres et du matériel. Soyez discrets, par contre, et revenez rapidement pour la suite du banquet.
- Merci, mon frère. »
Il part en secouant la tête, et derrière, Elina mâchouille, probablement dans le vide. Elle a pas dû entendre la fin de la conversation, vu qu’on chuchotait. Elle va être ravie d’apprendre que le prêcheur compte sur nous pour pas être trop bruyants pendant nos aventures. Ça tombe bien, j’comptais plutôt faire dans la discrétion.
Elle se rapproche, et on reprend notre route. On croise fréquemment des cultistes, mais ils nous prêtent pas plus d’attention que ça. Faut dire, on a l’air assez occupé.
« J’ai dit au gars qu’on allait baiser dans une des réserves de bouffe, il a indiqué le chemin des cuisines. Il connaît le Prophète depuis un bail, donc faut taper dans ses eaux-là. Ramasser le prêcheur, ou remonter directement au Prophète.
- Tu lui as dit qu’on allait coucher ?
- Ouais, que t’étais en chien à cause de l’excitation de la fête. Ça te dérange ?
- Oui.
- Ben pas d’bol, pasqu’on l’a croisé, et que y’avait pas trente-six solutions. Il a indiqué le chemin des cuisines, déjà, on va pouvoir jeter un œil… si j’puis m’permettre, vu notre repas, et regarder si y’a des prisonniers à sortir de là. Ça serait plus simple de pas s’en préoccuper…
- On va sauver les innocents ! »
Elle me jette un regard mauvais. Hé, du calme, là.
« Ouais, j’me doute bien que rien n’est jamais simple, avec vous. On sait même pas s’ils sont innocents, en vrai, j’te signale. »
Elina se contente de secouer la tête, et on enquille.
Un peu plus loin, le flot de gens se tarit un peu, et on continue de serrer à gauche. Y’a des loupiottes magiques, des genres de champignons luminescents ou quoi, qui permettent qu’on soit pas totalement dans le noir, mais les boyaux ont un sol inégal, et on manque plusieurs fois de se casser la gueule. A vivre sous terre comme ça, m’étonne pas qu’ils soient devenus frappadingues. J’espère aussi que Zahria et Feuille vont pas faire de conneries. Et que l’investigation de leur côté va bien se passer aussi.
Finalement, l’odeur de bouffe se fait plus prenante, et on doit être presqu’arrivés. Y’a bien des espèces de renfoncements avec des épices et de la bouffe, genre première nécessité quand on n’a pas d’humain à se foutre sous la dent, mais c’est rien de bien passionnant. On fouine donc tranquillement, à la recherche d’un truc qui mènerait à des cachots, jusqu’à se retrouver dans la cuisine elle-même. M’étonnerait que les prisonniers arrivent de là, doit y avoir un autre chemin.
Mais quelle galère, de se repérer sous terre, dans des tunnels…
« Ah, enfin vous êtes là ! S’exclame une grosse bonne femme qui touille une énorme marmite avec une louche énorme. Allez apporter ça en bas, et remontez le fait-tout, qu’on puisse nettoyer. »
On hoche la tête sans dire un mot, et on attrape chacun une des anses. Puis on marche vers un escalier taillé dans la pierre. Les marches sont bien régulières, pour le coup, ce qui sent le pouvoir à plein nez. Et si on manque de se casser la gueule plusieurs fois, sous le poids de la bouffe destinée probablement aux captifs, on arrive finalement à un endroit avec pleins de barreaux métalliques. Ils sont pas très nombreux. Le buffet de ce soir a dû taper dans les réserves. Et j’suis pas un génie, mais quand y’a plus rien à bouffer, on va faire les courses, hé ?
Quoique, si j’étais eux, j’recruterais et j’foutrais la moitié dans l’assiette pour nourrir l’autre, ça règlerait pas mal de problèmes…
Putain.
Comme par exemple, cet homme qui vient de rentrer sous les acclamations de la foule, introduit par des tambours, et qui se trouve en hauteur, dans une espèce de corniche troglodyte laissant suspecter un énorme réseau de galerie. L'homme d'une quarantaine d'années, au visage doux et calme, une lueur pétillante dans les yeux, et un timbre de voix tout à fait ajusté porte la même soutane jaune que les autres, agrémentée du dessin d'une main rouge sang s'étendant sur l'ensemble de sa poitrine. Il a l'air apaisé, comme s'il sortait d'une sieste régénératrice.
Il s'adresse alors à eux dans un charisme qui ne laisse que peu de suspicions sur sa place dans la secte: il s'agit du Prophète. Un regard vers Feuille et son très léger hochement de tête vient confirmer cette suspicion. S'il a dit ne jamais l'avoir rencontré, il a dû avoir une description suffisamment détaillée pour savoir qu'il s'agit de lui.
« Mes frères et soeurs ! Je vous souhaite la bienvenue parmi nous ! Ce soir est une immense soirée pour Sheitan. Tous ces nouveaux visages qui s'offrent à lui, toutes ces personnes prêtes à s'offrir à sa cause, rien ne pourrait lui faire plus plaisir, et en tant que Prophète, Voix et Main de notre Saigneur suprême, je vous assure qu'il est comblé. Bientôt, très bientôt, nous pourrons sortir de notre cocon et répandre la bonne parole de Sheitan sur le royaume d'Aryon ! Les Infidèles se plieront à sa volonté, et bénis seront les repas que sa force divine nous servira ! Guidés par sa Voix, nous abattrons notre fureur sur les faux Dieux et ceux qui les protègent, et notre seule et unique Foi trouvera sa salvation à ses yeux alors le reste du monde se consumera dans le Feu et la Chair ! Loué soit Sheitan ! »
Et alors que l'assemblée répond un "Loué soit notre Saigneur !" tonitruant, Zahria jette un petit regard à Feuille, l'air de rire "Rien que ça ?". Ce mégalomane semble avoir le don pour convaincre les faibles en tout cas. Il va falloir les sauver d'eux mêmes, s'ils ne veulent pas être "consumés dans le Feu et la Chair". Mais voilà déjà que le Prophète reprend la parole, ne laissant pas le temps à la maître-espion de se demander à quelle sauce ils vont être mangés, littéralement.
« Mais la Faim du Saigneur est énorme et insatiable, et jamais assez il n'est nourri. Après le partage du sang que vous avez partagé ce soir, vous êtes emplis de sa Force, mais si nous voulez continuer à grandir, à nous renforcer, et être prêt pour le jour de l'Assaut Final, il nous faut plus, toujours plus de Pain, de Vin, et de Sang ! Qui seront les bienheureux qui partageront leur sang sacré avec les camarades qui répandront la Foi de Sheitan sur ces terres désolées ? »
Ah, bah tiens, l'ambiance vient de changer, tout à coup. Les nouveaux se regardent avec un doute dans le regard, comme s'ils comprenaient finalement que c'était pas le meilleur plan du monde et qu'ils étaient prêts à trahir leur voisin qui était précédemment leur meilleur ami pour ne pas y aller, et les anciens se lèchent les babines en étant pas tous complètement rassurés non plus. Y'a quand même quelques illuminés qui se lèvent et se portent volontaires pour faire partie des repas à venir, et ils sont immédiatement remerciés par le Prophète alors qu'on les mène gentiment vers l'un des boyaux qui sortent de l'immense cavité. C'est bien par celui-ci que Vrenn et Elina sont sortis ? Difficile à dire, avec le feu crépitant toujours au milieu et lui obstruant la vue.
« N'y a-t-il pas donc d'autres hommes et femmes valeureux, désirant partager leur Sang ? »
Et devant le silence qui cueille la question du Prophète, son visage se déforme pendant une seconde sous les traits d'une colère noire, avant de reprendre son apparence calme et souriante. Ah ouais, le mec est pas complètement fini dans sa caboche. Ça risque d'être une partie de plaisir, encore.
« Très bien ! Nous laisserons donc Sheitan faire son choix ! »
On lui tend alors une espèce de coupole, dans laquelle il plonge ses deux mains, qui reviennent dégoulinante d'un liquide rouge visqueux. Du sang. Dans un mouvement fluide, il lance le sang sur la foule. Les gouttelettes carmin tombent un peu partout autour de Zahria, qui se trouvait juste en dessous de l'alcôve du Prophète. Ceux qui sont touchés par le sang autour d'elle sont immédiatement saisis par les autres, indemnes, qui s'évertuent à les maîtriser et les faire taire, et les font sortir de force. C'est donc ainsi qu'ils choisissent qui est sélectionné pour faire partie du ou des repas suivants, ici... Elle se tâte le visage, vérifie sa soutane, mais heureusement, aucune goutte de sang ne l'a atteint. Les prisonniers sont évacués, un à un, sous les cris du reste de l'assemblée qui semble avoir retrouvé sa voix maintenant qu'elle sait qu'elle est sauve. Ils ne se taisent que lorsque le Prophète lève ses mains pour leur intimer le silence.
« Maintenant que les heureux Elus ont été désignés par Sheitan, vous pouvez continuer à festoyer ! Ce soir est un soir de fête, buvez, mangez, dansez, forniquez jusqu'au bout de la nuit ! Demain, nous partons en guerre ! »
C'est un demain métaphorique ou il parle réellement de demain ? Zahria lève les yeux vers Feuille pour lui poser la question, quand elle s'aperçoit que son espion a une petite tâche rouge sur le front. Une toute petite tâche de sang.
- Résultat des dés:
- Dé 6:
1 - Le groupe de Zahria est désigné pour faire partie de la nourriture pour le reste de l'assemblée.
2 - Pareil et Feuille est séparé de Zahria.
3 - C'est le groupe de Vrenn et Elina qui est désigné.
4 - Pareil, et on demande à Zahria d'aller les chercher
5 - Un autre groupe est désigné.
6 - Un autre groupe est désigné et on demande à Zahria d'aider à les enfermer.
-> Résultat: 5
Dé oui/non:
Le Prophète fait son apparition.
-> Résultat: Oui.
Dé oui/non:
Feuille est-il touché par une goutte de sang ?
-> Résultat: Oui.
J’jette un regard mauvais dans les cellules. C’est juste des trous creusés dans la pierre, avec des barreaux métalliques qui sont fichés à intervalles suffisamment réguliers pour empêcher les gars de s’échapper, même s’ils faisaient quelques semaines de plus sans bouffer. Ils nous regardent avec des supplications dans les yeux, et les plus énergiques lèvent la main vers nous. Ils veulent qu’on les sorte de là ?
Ah nan, la plupart tendent juste un bol en bois dégueulasse, souillé par toute la bouffe qu’on leur a déjà filée et que personne a jamais pu laver.
« Sortez-nous d’ici, je vous en supplie ! »
Elina s’apprête déjà à faire quelque chose de stupide, comme aller fracasser le gardien pour lui prendre la clé, assurer aux prisonniers qu’on va les sortir de là vivants, organiser une révolte, une sortie, une fuite, leur remonter le moral, leur faire un câlin et un bisou sur le front, leur servir à bouffer et se barrer. Nan, ça c’est le truc intelligent.
« Ta gueule et sers la bouffe, on reviendra plus tard, que j’souffle en la fusillant du regard.
- Mais ils sont en danger !
- Ben justement on les condamne juste, nous avec et la mission en prime, si on merde là. »
Elle acquiesce de mauvaise grâce pendant que le maton nous regarde d’un air totalement désintéressé. A côté de la grille, j’me racle la gorge.
« Approchez vos auges. »
On fixe soigneusement les gens, et c’est Elina qui repère une nana qu’a l’air un peu moins abrutie ou hébétée que la majorité.
« Ca fait longtemps que vous êtes là ?
- Quelques jours, peut-être deux semaines ? On perd vite la notion du temps, sous terre, sans lumière. Vous allez nous sortir de là ?
- Nan.
- Quoi ? Mais mes pa…
- M’en branle, avance. »
Mon ton sec suffit à la faire bouger pour retourner s’asseoir, mais j’note son visage pour réussir à l’identifier dans l’assiette… dans la pénombre des prisons quand on se repointera d’ici quelques heures ou quelques jours.
« Z’êtes venus pour devenir des fidèles, ou vous avez été capturés ? »
La réponse est importante. Si j’me vois faire l’effort de sortir des vrais innocents, encore que personne l’est réellement totalement, j’me vois mal me fouler, ou convaincre Zahria de sauver des gens qui pensaient bouffer leurs compatriotes en casse-croûte pour une salvation céleste fallacieuse. En tout cas, j’escompte pas bouger le petit doigt, même si j’y serais probablement forcé de mauvaise grâce, la faute aux ordres du Royaume et de la patronne.
J’regarde Elina, qui tire la tronche. Hé, ça va aller, tu vas voir.
Une fois qu’on a tout servi, on adresse un signe de tête au maton, qui agite la main avec une flemme lasse. Il va pas faire long feu quand l’attaque commencera, lui. Puis on remonte la marmite vers la grosse dame de la cuisine, qui nous dit de la poser dans un coin, et que les souillons se chargeront de se faire culbuter dedans. C’est bien, même ici, rien ne change par rapport à en haut, dans les manoirs des nobles de la Capitale, tiens.
Alors qu’on retourne tant bien que mal vers la grande salle qu’on avait quitté plus haut, on s’rend compte que le bruit des voix, des sons, de l’activité humaine en générale est bien plus présente qu’auparavant. J’sais pas si c’est les tunnels qui font de l’écho, avec les bruits qui rebondissent sur les murs des boyaux en pierre, mais… ça a l’air de s’être pas mal animé. On échange un regard.
« Recoiffe-toi un peu, ma chérie, ça se voit trop que… enfin voilà, quoi. »
Si elle manque de pester au ton familier, elle comprend au moins qu’elle doit justement faire l’inverse pour donner l’impression de s’être fait culbuter dans un coin sombre. J’fais pareil de mon côté, et j’hyperventile un brin pour améliorer mon teint. Puis on allonge le pas d’un commun accord histoire de revenir au plus vite en haut.
Là, c’est le bordel, sans se mentir.
La majorité des gens est en train de danser avec des instruments de fortune, ça baise dans un coin, voire au milieu, et des grappes de gens sont agglutinés les uns aux autres, en train de sauter ou quoi sur place.
« Ils sont en train de maîtriser des gens, là, non ? Souffle Elina.
- Putain, j’crois bien que t’as raison.
- Lohse est là-bas ! »
Elle a effectivement bien reconnu Ombre, Zahria, la chef, la patronne, Sœur Lohse en personne, qui observe sans bouger un groupe de gens en train d’en balader un autre. On se dépêche à travers la presse, jusqu’à la rejoindre.
« Il est où, Frère Jehan ? »
Sans dire un mot, elle pointe le groupe, et on aperçoit à peine son visage alors qu’il est en train de se faire transporter vers un bord, où une rangée de clous métalliques servent à arrimer des chaînes.
« C’est le garde-manger pour le casse-dalle de célébration ? »
Regard noir.
« Il a été désigné par Sheitan. Difficile de prévoir ce qui va se passer.
- Sale histoire. »
Ouais, mais mieux vaut lui que moi.
Bien sûr, elle a remarqué leurs cheveux en bataille et le souffle que Vrenn tente de reprendre, tant bien que mal, mais c'est une mise en scène. Enfin, elle espère. Les sourcils froncés, elle est plus inquiète par le sort que l'on réserve à Feuille qu'autre chose, mais elle a eu un peu de temps pour réfléchir aussi pendant leur absence. Des outres et des tonneaux ont été ramenés et percés, l'alcool commence à couler à flot, et dans un coin, voire même au centre, ça a commencer à forniquer. Bien. Ils sont pas du tout clichés, dans cette secte.
« On a visité le garde-manger, le vrai, le grand.
- C'était bien rempli ?
- Y'a de quoi tenir un petit moment, ouais. »
Elina semble dégoûtée. Son amie ne va jamais vouloir refaire d'infiltration avec elle. Elle aurait peut-être pas dû rentrer du tout dans la caverne, en fait. Maintenant, il s'agit surtout de la faire sortir, d'ailleurs, pour qu'elle aille prévenir ses troupes. Et récupérer Feuille, au passage.
« On fait quoi, Lohse ?
- Je sais pas vous, mais je suis tentée par un petit verre ! »
Leur faisant un clin d'oeil, Zahria leur montre une table un peu plus loin, dans l'obscurité, sur laquelle a été abandonné l'une des outres contenant du vin. Un endroit parfait pour discuter tranquillement, à l'abri des oreilles indiscrètes, ou presque. Elle baisse le ton de sa voix de façon à n'être entendue que par ses deux acolytes, en se servant un verre de vin et collant un énorme sourire sur ses lèvres, si bien que vu de loin, leur conversation ne semble pas suspecte.
« J'ai vu le Prophète, il nous est apparu dans sa grandeur, depuis le balcon là-haut. Ce qui me laisse croire qu'il y a un grand réseau de galeries, et qu'il doit y avoir une autre sortie - et donc, une autre entrée - par laquelle on pourrait faire passer des gens.
- Comment on fait, on part chacun en exploration de notre côté ?
- Non. Feuille doit savoir, ça faisait partie de sa mission que de repérer les passages à emprunter.
- 'Va avoir du mal, d'là où il est.
- Ça devient donc notre priorité que de libérer Feuille, si je comprends bien. »
Zahria acquiesce en souriant à Elina. Evidemment, ça ne faisait pas partie de son plan que Feuille se fasse prendre, mais ça ne change pas la face du monde. Ça les retarde juste un peu. Rien n'est perdu.
« Comment on va faire, alors qu'il est enchaîné devant tout le monde ?
- J'ai une idée, mais elle implique de neutraliser le Prophète dans un premier temps... ce serait vraiment con, qu'il y ait deux Prophètes dans la même salle... »
L'idéal aurait été qu'Elina ait vu le Prophète, pour qu'elle prenne son apparence, et fasse libérer Feuille pour ensuite se carapater avec lui, mais vu qu'elle était en train de roucouler avec Vrenn quand il a fait son apparition, ça complique les choses, et Zahria va devoir utiliser elle-même le médaillon d'Ovide.
« Sbire, tu peux t'occuper du Prophète ? En invisibilité et avec une petite téléportation, tu devrais pouvoir atteindre l'alcôve là-haut et le retrouver sans trop de soucis... C'est le gars avec le dessin d'une main ensanglantée sur sa tunique, la quarantaine, plutôt bel homme. S'il n'est pas seul... tu as carte blanche.
- Parfait.
- Je te donne vingt minutes, après quoi je prends son apparence. »
Marrant, de lui demander d'utiliser des artefacts dont il s'est servi pour lui échapper, il y a peu. Ils ont un petit sourire complice, qu'elle ne pensait pas, voilà quelques lunes, qu'ils pourraient échanger aussi facilement. Quand il disparaît, parti pour délivrer son oeuvre de mort, Zahria se tourne vers Elina, qui a un sérieux doute dans les yeux.
« Comment tu fais pour lui faire confiance ?
- Parce que j'ai pas d'autres choix. De toutes façons, vu la situation, c'est pas ici qu'il va trahir, c'est pas vraiment dans son intérêt. On a trouvé un point d'accord, lui et moi. Par contre c'est pas trop le moment de parler de ça. J'ai une mission pour toi aussi.
- Je t'écoute. »
Elles savent toutes deux que Zahria n'a pas d'ordres à lui donner, mais elles sont sur le terrain du maître-espion, pour l'instant. Tout à l'heure, quand la bataille fera rage, ce sera Elina qui décidera du placement des troupes et de la stratégie d'attaque, et Zahria n'aura rien à y redire non plus.
« Il est possible que la secte ait prévu une attaque massive, demain, ou prochainement, sur le royaume. Ils doivent avoir fait un stock d'armes et d'armures, quelque part, dans le coin.
- Ça veut dire que si on attaque ce soir, il est probable qu'ils aient de quoi répliquer.
- Exactement. Si c'est vraiment demain qu'ils attaquent, le coin dans lequel tout ça est entreposé ne doit pas être bien loin, et parfaitement fonctionnel pour qu'ils puissent s'armer rapidement.
- Je dois saboter l'endroit ?
- Une petite explosion, ce serait parfait.
- On va se faire repérer !
- Pour ça qu'il faut faire passer la chose pour un éboulement... Les murs sont friables, la cavité a dû être fréquentée ces derniers temps s'ils sont ramené et organisé tout le matériel récemment. Faut juste faire en sorte que personne ne te voit, et que ça passe pour un accident. Si tu n'y arrives pas, déjà repérer l'endroit ce serait pas mal.
- Et j'ai combien de temps pour faire ça ?
- Une trentaine de minutes, le temps que je libère Feuille. On se retrouve dans ce couloir. Ton explosion va mettre la fourmilière sans dessus dessous, ce sera le moment rêvé pour lancer l'attaque, mais pour ça on a besoin que tu sortes avec Feuille, alors reste en vie, et pas de conneries, compris ?
- Compris. Tiens, prends cet orbe, on sait jamais. Tu vas faire quoi pendant qu'on bosse, nous ?
- Je vais servir des verres. »
Zahria fait un clin d'oeil à Elina, et retourne dans la cavité principale après avoir sorti un flacon de son sac et l'avoir glissé dans la manche de sa tunique jaune. Elina est déjà partie à la recherche de l'armurerie, et Vrenn doit être tout à son oeuvre de son côté. Elle revient vers la foule, et on lui propose toutes sortes de plaisirs, lesquels elle est parfois obligée d'accepter pour avancer vers son objectif. Ainsi, après avoir été tripotée par une demi-douzaine de personnes, avoir avalé tout cru tout autant de "friandises", et s'est faite embrasser par une jolie jeune femme au regard de flamme, elle arrive vers la table la plus proche des prisonniers, se gardant bien de croiser les yeux de Feuille. Se saisissant de deux verres qu'elle remplit d'eau, après avoir laissé couler un peu du liquide de la fiole caché dans sa manche, elle vient les offrir aux deux gardiens près des prisonniers.
« C'est triste que vous ne puissiez pas vous joindre à nos festivités. Tenez, vous devez avoir soif. Loué soit Sheitan.
- Loué soit notre Saigneur. »
Les hommes boivent sans se poser de questions, alors que Zahria sert les gardiens suivants, avec toujours le même sourire charmeur sur les lèvres, leur laissant croire qu'ils ont leurs chances avec elle. Une fois le flacon d'ivresse vidé, elle n'a plus qu'à attendre. Que Vrenn ait fini son oeuvre, que la potion fasse son effet, de pouvoir disparaître dans la foule pour réapparaître dans un moment, sous une apparence complètement différente...
Bon, faut croire qu’on passe en crise pour sauver Feuille. Il est tombé de l’arbre, c’est l’automne, l’hiver, et il va clamser si on se bouge pas un peu. Dommage, j’en venais presque à me demander quel goût il aurait, une fois cuisiné dans le ragoût. P’tet qu’il serait hyper parfumé, comme des herbes aromatiques. Enfin, tout ça est assez morbide, et c’est pas comme si j’prenais goût à la viande humaine. C’est même assez crade. Pas le goût, lambda, surtout avec des mauvais cuisiniers comme ici, mais le concept est assez immonde. Par contre, j’en suis capable.
Faut bien ce qu’il faut.
J’acquiesce aux ordres d’Ombre, et j’me prépare à faire une charmante rencontre avec le Prophète, son joli chasuble, et les éventuels gardes qu’il aura autour de lui, et qui n’y seront bientôt plus. Pendant ce temps, la chef et Elina vont faire des trucs de fille. Probablement préparer le remplacement du Prophète, et je sais pas quoi d’autre ensuite, en lien avec le sauvetage de Feuille. En vrai, on compte vraiment capturer ces gens-là ? On en fera quoi après ? On les foutra en taule, ou alors on fait un paquet cadeau avec un gros ruban pour le fenrir ? Parce que si on les balance tous en même temps, ils seraient foutus de survivre, ces cons. Et ça, j’pense que personne n’en a envie.
Cela dit, j’suis p’tet pas le mieux placé pour critiquer le système judiciaire du pays.
J’avance tranquillement, l’air de rien, vers un coin sombre qui mène vers un couloir qui semble désaffecté et plus étroit que les autres. P’tet une entrée du personnel. Ça importe assez peu, j’ai juste besoin qu’on ne me voit plus histoire de pas surprendre des gens. J’incline tous les deux pas la tête vers des connards en clamant des « Loué soit Sheitan, loué soit notre Saigneur. » à en avoir la bouche sèche, et j’ai l’impression que j’vais avoir les mots qui vont tourner en boucle dans mon crâne cette nuit, à ce rythme.
Finalement, j’arrive là où j’veux, et j’déclenche mon invisibilité. Depuis le temps, elle est chargée à bloc, donc j’ai de la marge. Une autre pensée me téléporte sur le balcon à partir duquel le prophète s’est adressé à ses ouailles. Y’a qu’une seule entrée, pour le moment, donc ça va aller tout seul. J’hésite à garder l’impossibilité de me voir, et j’décide pour le moment que si. Le complexe souterrain doit pas être si colossal, et pour peu que l’accès ici soit restreint, j’aurais l’air con… Et j’compte pas planter tous les cultistes que j’vais croiser.
J’ai toujours pas de gêne par rapport à la mort, et Ombre m’a donné sa bénédiction, mais ça ferait désordre et risquerait de nous cramer. Et j’suis tout sauf mauvais dans ce que j’fais, hé ? J’m’applique.
Après le petit couloir, j’arrive à un coude surveillé par deux gardes. J’sais pas comment les définir autrement, ils sont armés, appuyés contre le mur, et regardent fréquemment autour d’eux. Y’en a un d’eux qui renifle tout le temps, en plus. Tant que y’en a pas un qu’a un pouvoir à la con…
« Tu sens pas une odeur bizarre ?
- Tu sais bien que c’est toi qu’as un pouvoir d’odorat super développé. »
Putain, la prochaine fois, j’fermerai la gueule à mes pensées.
« Snif, snif… Si, j’t’assure.
- Je te crois. Tu sens quoi ? Ils ont servi la bouffe dans la grande salle ?
- Oui, on dirait bien. Doit y avoir des courants d’air, parce que j’ai jamais senti autant l’odeur. Ail, oignons nouveaux, thym… »
Y’avait tout ça dans ce qu’on a bouffé ce soir ? Bah putain, en fait ils se donnent, les gars, pour aromatiser les gamelles. J’avais pas du tout remarqué.
Et le courant d’air, justement, c’est moi qui passe pile entre eux deux, ramassé sur moi-même, pour pas leur rentrer dedans ou les effleurer. Puis à l’embranchement, j’ai deux solutions, alors j’prends le couloir qui va tout droit, au pif. Il a l’air plus emprunté, plus éclairé, donc à ce compte-là… En tout cas, ma téléportation est revenue depuis belle lurette, donc dans le pire des cas, j’ai une solution de secours.
J’arrive enfin à une pièce avec une porte, une des premières que j’aie pu voir depuis que j’suis là, où c’est plutôt des embrasures nues, ou avec des rideaux devant pour ceux qui se sentent coquets. Et à nouveau deux gardes. J’me vois pas bien ouvrir la porte en étant invisible et la refermer derrière moi sans qu’ils se disent quoi que ce soit. Du coup, j’pense que c’est le moment d’utiliser à bon escient la permission de la patronne.
Pas besoin de se téléporter pour arriver au contact. J’m’approche suffisamment pour envoyer, sans stress, mon couteau sous le menton du type le plus proche, qui émet un gargouillis assez satisfaisant. L’autre commence à se retourner, et oublie subitement comment utiliser la masse qu’il a en main. C’est assez bête, quand même, hein ? Donc il la laisse tomber au sol. Malheureusement pour numéro deux, les doigts, ça protège pas bien d’un coup de surin, donc il les sème un peu au sol avant de s’effondrer lui aussi.
Ça va qu’ils m’ont pas sali, j’déteste retirer les taches de sang, c’est une vraie purge.
A nouveau invisible, j’ouvre la porte, j’vois le gars qui doit être le Prophète assis à un bureau. Il lève les yeux mais l’angle ne lui permet pas de voir les cadavres de ses protecteurs. J’prends pas la peine de refermer derrière moi.
« Andrus, pourquoi est-ce que la porte est ouverte ? »
La téléportation, c’est parfaitement silencieux, alors quand il sent la lame du couteau sous sa gorge, c’est trop tard. J’relâche l’invisibilité et j’lui souffle à l’œil :
« Au moindre sentiment que j’ai d’une utilisation de pouvoir, t’es mort, Prophète, pigé ? Je joue pas avec tous tes potes fanatiques autour. »
Il acquiesce très légèrement. Bon, et maintenant, la corde…
Bref. Vingt minutes. La potion d'ivresse, bien que fortement diluée puisque partagée dans quatre verres, commence à faire effet. Les gardes, sans être complètement déchirés, ont l'air un peu pompette. Juste ce qu'il faut pour se laisser avoir par son subterfuge. Faut-il l'espérer, du moins. L'ambiance est de plus en plus chaude, de plus en plus chaotique, et ce n'est pas difficile de trouver un endroit où elle peut se transformer à l'abri des regards, les gens étant tous occupés à autre chose. Elle se sent grandir, et sa tunique se transforme aussi pour laisser place à celle, un peu plus élaborée, du Prophète. Elle se touche le visage, le rencontre rugueux et barbu, retrouve les traits du Prophète qu'elle a étudié un peu plus tôt. Parfait.
Quand elle refait son entrée dans la cavité principale, des exclamations se lèvent, et la foule s'écarte sur son passage alors qu'elle se dirige solennellement vers les prisonniers. Une demi-douzaine déjà sont morts, et deux sont en train d'être dévorés et découpés directement sur place. Elle ferme les yeux une demie seconde pour garder sa posture face au spectacle qui se déroule devant ses yeux. Voilà de quoi occuper ses songes pendant quelques nuits... Elle s'approche des gardes, et imitant le ton calme et posé du Prophète, leur adresse la parole.
« Je suis venu choisir mon repas de ce soir...
- Mais... je croyais que l'on vous servait votre repas directement dans vos quartiers...
- Sheitan m'est apparu, il m'a indiqué d'un mets de choix se trouvait parmi nos "élus" de ce soir, et qu'il donnerait à nos guerriers les forces nécessaires pour combattre leurs ennemis!
- Prophète, vous sentez-vous bien ? »
En fait-elle trop, ou pas assez ? Dur de savoir, elle n'a pu voir que son discours de tout à l'heure. Et le garde qui lui adresse la parole est certainement celui qui est le moins atteint par la potion d'ivresse. Les deux à côté de lui ont des sourires éméchés, mais lui garde sa posture. Bien, il va falloir tenter le tout pour le tout, et marquer le coup, quitte à tout perdre et recommencer autrement. Si Elina ne s'est pas trop mal débrouillée, l'explosion devrait avoir bientôt lieu, et il n'y a plus de temps à perdre.
« Osez-vous contredire les paroles de Sheitan, infusées en moi ?
- Hé, frère Boris, pourquoi qu'tu contredis le Pro... le Prophète ? Y sait c'qui fait, à priori ! »
Zahria se rend alors compte que son allocution a attiré l'attention, puisque qu'une petite troupe s'est formée autour d'eux, et qu'ils acquiescent vivement à l'affirmation du garde de droite, celui qui a l'air le plus touché par la potion d'ivresse.
« Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris... Allez-y, Prophète, je vous laisse choisir notre viande... »
Elle s'approche alors des prisonniers, et les observe les uns après les autres, alors que derrière elle, la foule est en attente. Ils sont mis en pause toutes leurs activités festives pour observer ses faits et gestes. Pour la discrétion et le carapatage en catamini, c'est mal barré. Elle finit par s'arrêter devant Feuille, l'observe un peu en détail, et évidemment elle ne peut lui expliquer que c'est elle. Il y a une ombre dans son regard, pas de la peur, plutôt une réflexion. Il cherche une façon de s'en sortir au cas où il sera choisi. Pour son public, pourtant, Zahria doit essayer de l'effrayer un peu, ou en tout cas, rendre la chose plausible.
« Quel est ton nom, frère ?
- Jehan, ô divine Main de Sheitan.
- Jehan, tu es notre élu, la viande sacrée qui renforcera notre sang.
- Rien ne pourrait me faire plus plaisir que de servir Sheitan. »
Bon, Feuille doit clairement avoir une idée derrière la tête, et elle espère que ça ne consiste pas à suriner le Prophète dès qu'il sera libéré, parce que dans ce cas ça s'annonce mal pour elle, ce n'est pas comme si elle pouvait se dénoncer devant l'assemblée.
« Mes fidèles, je l'ai trouvé ! La viande sacrée promise par Sheitan ! »
Une exclamation, un rugissement même, et trois personnes se précipitent et sautent sur Feuille. Ce n'est que quand elle l'entend pousser un cri de douleur qu'elle comprend qu'ils l'ont mordu sans attendre. Par réflexe, Zahria repousse d'une violente baffe le plus proche des trois, et les deux autres se détachent aussitôt, effrayés et surpris. Une lueur d'incompréhension dans le regard de ses nouveaux suivants. Merde. Comment elle fait maintenant.
« Détachez frère Jehan, je l'emmène se préparer. Nous ne pouvons le dévorer ainsi, il faut qu'il soit purifié par Sheitan avant tout. »
Un souffle de compréhension et des "ah" de satisfaction alors que le garde le plus proche détache les mains de Feuille, l'air plus déterminé que jamais. Il ne s'est pas fait endoctriner, quand même ? La foule recule, alors que Zahria propose un bras solide à un Feuille un peu affaibli pour marcher. Ils traversent la foule en direction de l'endroit où elle a donné rendez-vous à Elina, sous les exclamations de l'assemblée, à qui elle intime de reprendre la fête en attendant qu'elle revienne avec la "viande sacrée".
Et puis, évidemment, dès qu'ils sont à l'abri de tout regard et toute ouïe, voilà Feuille, qui pas du tout affaibli, retrouve sa posture et lui plante un coude dans le dos, avant de balayer ses jambes d'un coup de pied expert, qu'elle parvient tout juste à éviter, mais pas la dague qui vient la cueillir derrière et qui se pose sur sa jugulaire.
« Je ne serai pas votre viande sacrée ce soir, imposteur.
- Feui... »
Boom.
Ils se baissent tous les deux alors qu'une pluie de cailloux leur tombe dessus, et Feuille, surpris baisse sa dague. Dans le hall, ça crie, ça gueule, et Zahria profite du moment pour maîtriser Feuille et lui voler sa dague.
« Tu te calmes, Feuille, c'est Ombre.
- Ombre ?!
- La prochaine fois que tu me mets une dague sur la jugulaire, c'est la mise à pied. »
Ils échangent un sourire alors que Zahria lui rend sa dague d'un mouvement fluide. Visiblement, ce corps est agile, et habitué à combattre. Ce gars-là devait être un brigand avant de trouver sa voie dans le lavage de cerveau. Voilà qui va s'avérer utile.
« C'était quoi l'explosion ?
- Elina, elle a dû faire péter l'armurerie, tu vois où c'est ?
- Ouais.
- Bah pas moi. Rejoins la, et fais la sortir, on lance l'attaque.
- Comment on va faire rentrer les troupes ?
- Par là où vous sortez ?
- Impossible, la seule sortie, celle qu'on va emprunter, elle est au bord d'une falaise. Facile à descendre, presque impossible à escalader, surtout pour une armée.
- Merde. Et tu dis que c'est la seule sortie ?
- Ouais. A ma connaissance, du moins...
- Sabote la, rends la impraticable. Je vais vous ouvrir la porte principale.
- Comment ?
- Chais pas encore, mais d'ici à ce que vous soyez dehors, en sécurité, et prêts à lancer l'assaut, j'aurais trouvé. »
Il acquiesce, et part en courant dans la direction de l'explosion. Bien. Maintenant, il ne reste plus qu'à calmer la foule, s'assurer qu'il n'y a pas d'autre sortie de secours que celle qu'ils vont emprunter, retrouver Vrenn, ouvrir la porte, libérer les prisonniers, et massacrer tout ce beau monde. Un jeu d'enfant, vraiment.
Il est ligoté, peut pas parler pasque j’lui ai foutu un truc dans la bouche, et il se contente de me regarder paisiblement, le numéro classique du grand sage qui sait que je me fourvois mais me regarde avec amour. Il a essayé de me faire le laïus, au début, mais j’lui ai foutu une beigne ou deux, donc il a l’œil un peu gonflé. Ça constitue la prise parfaite pour lui, un sbire violent, mais j’lui ai bien expliqué que le bruit me dérangeait davantage que son blabla qui m’intéressait pas le moins du monde.
La vraie question, maintenant que j’l’ai sorti de l’équation et que j’ai rentré les deux cadavres dans l’armoire, c’est qu’est-ce que je fous de lui. Les ordres de la patronne étaient un peu flous. J’devais, j’suppose, le sortir de l’équation pour pas qu’il vienne lui traîner dans les pattes d’Ombre pendant qu’elle fait ses trucs pour sauver la vieille branche et foutre le dawa.
Et j’suppute qu’elle voudra pas que j’l’exécute un peu salement dans un coin sombre, donc ça veut dire le trimballer dans des couloirs que j’connais pas. Bordel, mais quel plan de merde, en fait. Surtout que tout le monde va le reconnaître, si j’croise des gens, donc dans le genre discret, on se pose pas vraiment là. Même si j’lui fous un sac sur la tête, ça suffira pas pour me guider, et j’ai certainement pas envie de retourner au balcon…
J’me souviens au débotté que j’ai des menottes anti-magie. C’est exactement le bon moment pour s’en servir et arrêter de surveiller frénétiquement mon détecteur, des fois qu’il ait un truc de contrôle mental que mon talisman de protection détecterait pas, ou pas bien. Et ça m’étonnerait pas qu’un patron de secte ait un truc du style. Mais ça résout pas mon souci sur quoi faire. J’pourrais le descendre aux prisons ou, au contraire, essayer de monter.
Si j’avais du sérum de vérité, j’pourrais lui faire boire et lui demander le chemin.
Finalement, c’est ça qu’il faut. Quelqu’un pour m’indiquer le chemin.
J’attache Prophète derrière le bureau pour pas qu’il puisse ramper jusqu’à la porte, et j’ressors. Personne. Bon, j’repars, mais pas dans la direction du balcon, plutôt dans l’autre. J’aimerais autant ne pas retomber sur les gardes, dont celui qu’a un odorat surdéveloppé. Déjà, ils seraient deux, donc la suggestion marcherait moins bien. Mais surtout, le chien risquerait d’avoir un souvenir parasite, j’ai pas envie de jouer au con.
Donc j’erre un peu au pif, et j’reviens fréquemment en arrière pour m’assurer que personne rentre dans les appartements privés de mon nouveau copain. J’croise finalement un type qu’a l’air assez pressé. J’balance la sauce, et quand il me voit, il est persuadé de m’avoir déjà vu. Une impression de qu’on se connaît, et si on se connaît, et qu’on est ici, c’est qu’on est tous les deux membres du Culte de Sheitan, pas vrai ? Ben ouais.
« Loué soit Sheitan.
- Loué soit notre Saigneur, répond-il.
- Dites, mon frère, je suis arrivé récemment, nous avons discuté un peu l’autre jour… »
Il a l’air un peu confus, mais en même temps, ça ne lui semble pas impossible. Le diable est dans les détails, pas vrai ?
« Et je ne retrouve pas la sortie la plus proche. C’est un peu embarrassant, mais ces couoirs se ressemblent tous…
- Hm, oui, je comprends, il m’a fallu du temps pour me familiariser, moi aussi. Vous prenez tout droit, puis… »
Il m’indique toutes les directions, et je le remercie profusément.
« Par contre, vous m’excuserez, mais je dois y aller, il y a eu un bruit d’explosion, et on se demande si une partie des cavernes ne s’est pas effondrée…
- Oui, bien sûr, mon frère, loué soit… »
Blablabla.
J’mémorise le chemin qu’il m’a donné, et j’retourne fissa chercher le Prophète. Comme promis, j’lui colle un sac sur la tête, et j’prends la mine patibulaire. Ses manches cachent suffisamment les menottes que les gens auront l’impression qu’il est simplement ligoté avec de la corde, et si y’a vraiment eu une explosion ou un effondrement, ils seront distraits par autre chose. Donc j’le choppe par le bras, et j’le traîne dans des couloirs maintenant vides, et donc encore plus louches et flippants.
J’passe beaucoup trop de temps sous terre. A quand les méchants dans des îles flottantes ? Ca aurait autrement plus de gueule, et on sentirait le vent sur nos visages.
Un peu comme maintenant, maintenant que j’y pense.
J’suis un peu pris au dépourvu quand j’tombe nez à nez avec une escouade de la garde. Ils me pointent direct avec leurs armes, des lances et des épées. J’suis pas convaincu par la lance dans des couloirs merdiques, mais ce sera leur problème, pas le mien. Où est-ce que j’ai foutu ma plaque, moi…
« ‘ttendez, ‘ttendez, j’suis garde aussi.
- Depuis quand ? »
Depuis pas longtemps, d’ailleurs, mais c’est pas la réponse à faire.
« Regardez, c’est le Prophète responsable de tout ça. J’l’ai attaché avec des menottes anti-magie. Ça vient bien de chez nous, pas vrai ? J’suis descendu en avance avec Elina… le capitaine von Andrasil. Elle est pas dans le coin ? »
Ça gueule derrière. Finalement, ma capitaine favorite pour passer des soirées pyjama ensemble se pointe, et me reconnaît, comme le montre son air désagréable.
« C’est bon, il est avec nous. C’est le Prophète ?
- Ouais. J’vous le laisse, faut que j’aille chercher quelqu’un.
- Les prisonniers ?
- Si tu savais comme j’m’en cogne, des prisonniers, ma p’tite dame.
- Vous vous adresserez au capitaine von Andrasil avec le respect qui lui est dû !
- C’est ce que j’fais, le grouillot. Allez, j’me casse. »
C’est que j’ai autre chose à faire, moi.
Retrouver la patronne, par exemple.
Les gens ont commencé à comprendre que l'éboulement n'était pas un accident, qu'ils étaient sûrement attaqués. Mais Zahria les a rassuré, à nouveau, intimant que la foi qu'ils avaient était plus forte que tout, et qu'ils affronteraient sans souci cette nouvelle crise. Le but était de les maintenir tous ici en attendant que les forces armées d'Elina soient prêtes à entrer. Elle a envoyé des gens aux quatre coins du réseau de grottes, pour ramener tout le monde sur place, en laissant les prisonniers, ceux qui n'avaient pas choisi de l'être, à leur place. Histoire de faciliter la tâche aux soldats quand ils arriveraient. Elle a attendu patiemment, que tout le monde soit là, en continuant à calmer les gens, les uns après les autres. Certains se sont endormis, d'autres étaient stressés, beaucoup s'apaisaient à son passage. Et dans leurs yeux, cette lueur étonnante. Celle qu'on trouve chez les gens qui ne sont pas très sains. Celle qui lui donnait envie de tous les tuer, sur le champ, pour éradiquer la menace.
Mais elle a tenu bon, et une fois assurée que tout le monde était là ou sur le point d'arriver, elle a envoyé une nouvelle petite escouade ouvrir la porte et partir en éclaireurs. Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre que les forces du Blizzard arrivent, parce qu'elles doivent certainement être derrière la porte, prête à investir l'endroit. Y'a un gars, là-bas, qui la regarde bizarrement. Un de ceux qui était à côté du Prophète, le vrai, au balcon. Le genre à se rendre compte que son patron n'agit pas comme d'habitude. Un dernier groupe arrive, et une femme semble surprise de la voir. D'ailleurs, le gars qui la regardait fixement court lui parler. Ils chuchotent en la regardant, et c'est pas très bon signe. Sous sa tunique, elle tient son épée Wardän prête. Elle essaye de ne pas leur accorder d'attention, continuant à passer dans les rangs, mais ils s'avancent vers elle. C'est la femme, la première, qui prend la parole, prenant l'assemblée à parti, d'une voix forte.
« Ce n'est pas le Prophète. Vous connaissez mon pouvoir, vous savez que je peux voir au-delà des illusions. Cette personne n'est pas le Prophète, mais une femme qui a pris son apparence ! »
Un murmure, bientôt un brouhaha, alors que les gens se toisent, se questionnent du regard. Deux personnes se mettent devant elle, prête à faire barrière.
« Comment oses-tu parler ainsi du Prophète !
- Pousse toi, frère Zahir, je vais la découper de mes mains, pour que vous voyez que j'ai raison.
- Tu ne toucheras pas à un seul cheveu du Prophète.
- Tout le monde sait, que tu le détestes depuis qu'il a choisi soeur Tara plutôt que toi ! Tu cherches juste à te venger !
- Il ne s'agit pas de ça ! »
Ça sent le roussi. Zahria n'est pas spécialement en position de force si on décide de s'en prendre à elle, mais elle peut compter sur la loyauté folle des cultistes. Et le fait que, dans un cercle aussi fermé, tout le monde soit au courant des histoires de cul de tout le monde.
« Saisissez-vous de ces deux traîtres. Ce sont certainement eux qui sont à l'origine du sabotage. Ils veulent questionner mon autorité car ils sont jaloux de la confiance que Sheitan a placé en moi.
- Non ! C'est lui, elle, qui veut nous saboter ! Questionnez-la, vous verrez bien que je dis la vérité ! »
On se tourne vers Zahria, on commence à lui poser des questions auxquelles elle ne sait pas répondre. Le brouhaha se transforme en vacarme, alors que des disputes éclatent un peu partout. Puis rapidement, le premier sang est versé. Ça crie, ça chiale, ça gueule, ça s'insulte, et voilà le premier gars qui la fixait depuis le début qui lui saute dessus. Il est retenu par l'un des deux qui faisait barrage, mais la femme au pouvoir anti-illusion parvient à passer, tout comme sa dague, qui vient racler contre son armure en déchirant la tunique jaune.
« Regardez ! Il porte une armure ! Pourquoi porterait-il une armure sous sa tunique ! »
On s'écarte autour d'elles, alors qu'elle revient à l'assaut. De partout, ça se bat, c'est le bordel. Bon, plus le moment de faire dans la finesse. Même plus le moment de tenter de maîtriser gentiment les gens pour leur passer les menottes. C'est une question de vie ou de mort, et de toutes façons, le Commandant leur a donné l'ordre "d'exterminer" la secte. Elle élève la voix calme du Prophète, pour sonner la guerre.
« Tuez les infidèles ! »
Zahria passe sa main dans la tunique par le trou providentiel que la dague de la folle a fait, et dégaine son épée. Elle attaque son flanc gauche, d'un revers maîtrisé. En face, elle évite son coup, et Zahria, emportée par le poids et la force supérieure de ce nouveau corps qu'elle ne contrôle pas encore, trébuche et se rattrape à un autre des gens qui sont de son côté. Elle esquive de justesse la dague de l'inconnue, et fait tourner son épée pour la planter entre les côtes de son assaillante. D'un mouvement sec, elle la fait revenir vers le haut de son corps, puis ressort aussitôt son épée ensanglantée en s'aidant d'un coup de pied qui fait tomber à la renverse la femme, morte, pour éviter le coup d'un autre homme décidé à en finir avec elle.
Le combat dure un petit moment, et les cadavres commencent à s'empiler. Zahria est bardée de blessures et perd son souffle. Plein de ressources, les cultistes se servent de tout ce qui leur passe sous la main, ayant bien compris qu'ils n'avaient pas affaire à leur Prophète quand elle a commencé à se servir de la lumière. Ses détraqueurs commencent à être bien plus nombreux que ses défenseurs, et même s'ils attaquent avec des fourchettes, couteaux, et autres armes de fortune, à quinze contre une, tout aussi bien entraînée soit elle, dans un corps qu'elle ne connait pas mais doit garder si elle veut garder une partie des cultistes de son côté, Zahria commence à être dépassée. Aussi, quand elle voit cette dague, certainement ramassée par terre et ayant servi à l'attaquer dans les mains de plusieurs personnes, tomber au sol parce que la personne qui la tenait ne semble plus capable de savoir quoi en faire, elle ne peut s'empêcher de soupirer de soulagement.
En quelques secondes, Vrenn est à ses côtés, et le combat prend une toute nouvelle tournure alors qu'elle peut enfin se reposer sur quelqu'un pour l'appuyer. Elle enlève sa tunique et reprend le combat de plus belle, tandis que les gardes du Blizzard se fraient un chemin jusqu'à eux, arrêtant ceux qui peuvent l'être, "exterminant" les autres. Comme ils arrivent jusqu'à eux, Zahria met fin à sa transformation et lève les mains en l'air pour arrêter l'homme qui était sur le point de leur passer les menottes.
« Sergent Ahlysh de la régulière. C'est nous qui avons aidé le capitaine Von Andrasil à entrer dans les lieux. Saisissez vous des autres. Celui-là là-bas fait semblant d'être mort. »
Et rapidement, Vrenn et Zahria se trouvent démunis alors que les gardes de la Forteresse maîtrisent leurs assaillants et prennent possession des lieux. Ils finissent par aller retrouver Elina, un peu plus loin, en train d'organiser ses troupes. Les prisonniers sont évacués les uns après les autres par ses soldats, et quand elle voit arriver Zahria elle met vite fin à sa conversation pour s'avancer vers eux.
« On peut dire que c'est une mission rondement menée, dis donc...
- Je me serais bien passée de la cantine, mais oui.
- Le Prophète... ?
- Capturé vivant et ramené par ton Sbire. Il est déjà en direction des geôles de la Forteresse. »
Zahria se tourne vers Vrenn et lui offre un grand sourire.
« Merci, beau travail. »
Il grogne un "de rien" dans sa barbe, mais n'a pas l'air mécontent de lui.
« Les gardes du Blizzard vont s'assurer que tout le monde est bien mort ou capturé, ça risque de prendre un moment. Vous pouvez sortir, une tente a été installée dehors, je vous y rejoins dans un moment pour faire le point. Des médecins pourront s'occuper de vous, au besoin... »
Zahria acquiesce, et ils prennent la direction de la sortie. Sa jambe blessée la lançant, Vrenn lui prête un appui pour la partie un peu plus ardue de la remontée, celle où ça glissait déjà à l'aller. Quand ça recommence à s'adoucir, elle le remercie puis s'éloigne, un peu gênée. Feuille apparaît alors, montrant sa bouille sérieuse et l'aidant à finir le trajet en silence.
« Beau boulot les gars. C'est une réussite, on peut le dire. »
Feuille ne prononce aucun mot, alors Zahria lui sourit gentiment.
« Tu peux te dérider, Feuille, plus personne ne va te manger. T'as bien mérité ta perm, après ça, tu peux rentrer à la maison si tu le souhaites. Les recrues vont être contentes de te retrouver. Ferisen te réclame depuis un moment, je crois que tu es son héros, le p'tit t'adore.
- J'l'aime bien aussi. Il est prometteur. »
Si Zahria est convaincue qu'elle va mal dormir pendant quelques nuits, qu'en est-il de lui, qui a passé des semaines dans la secte, à devoir manger leurs repas et s'intégrer parmi eux ? Il faudra qu'elle parle avec lui, une fois qu'ils seront rentrés, s'assurer qu'il va bien... Ça a dû lui un choc. En tout cas, la mention des jeunes recrues l'a fait sourire, c'est vrai qu'il est très attaché à eux. Voilà qui va l'occuper pendant un temps, ce n'est pas une mauvaise chose...
Arrivés à la tente, Zahria est effectivement prise en charge par les médecins du Blizzard, et notamment par Campbell, qu'elle sait être une proche d'Elina. Vrenn reste dans un coin, pas forcément à l'aise, mais toujours à portée de vue de Zahria. S'en fait-il pour elle ? A un moment où leurs regards se croisent, elle lui sourit, comme pour lui montrer une nouvelle fois sa gratitude, et lui exprimer la confiance qu'elle place en lui. Il maintient le contact quelques secondes puis détourne le regard. Ça risque de lui prendre du temps, de s'habituer à la solidarité de la Garde, mais qu'importe. Elle sera là pour lui apprendre.