Danae était frigorifiée, trempée des pieds à la tête, mais elle était arrivée à destination. Elle se hâta de trouver l’auberge du village. Il y en avait forcément une et là-bas elle pourrait se réchauffer près d’un bon feu et passer la nuit à l’abri. La bâtisse ne payait pas de mine mais c’était mieux que dormir dehors pas ce temps. La jeune femme, entrant dans l’auberge, sentit, à peine un instant après, quelqu’un d’autre entrer. Elle n’était de toute évidence pas la seule à avoir besoin de se réfugier quelque part pour échapper à la tempête sévissant dans la région. Danae demanda alors une chambre, heureusement elle avait emporté un peu d’argent avec elle, mais l’homme entré juste après elle fait de même et l’aubergiste affiche alors un visage bien gêné.
- Excusez-moi voyageurs mais il ne me reste qu’une seule chambre de libre, une double. Je sais que ce n’est pas très commode mais vous pourriez la partager tous les deux. Je vous ferai un prix en guise de dédommagement.
Passer la nuit avec un inconnu pour échapper à la tempête ? Danae n’en avait cure, mais l’homme à côté d’elle était peut-être plus pudique qu’elle ne l’était. Elle se tourna donc vers ce dernier, l’air interrogateur.
- Ça va pour moi. Et vous qu’en dites-vous ?
- Par l’ample balcon de Lucy, grommela-t-il en pêchant dans son sac à dos sa panoplie du solstice. JE TE HAIS MONTAGNE !
Un grondement répondit à ses propos, et comme pour le narguer, le vent s’intensifia ramenant dans son giron une grêle malvenue. Comme si la neige ne suffisait pas. En même temps, la chance avait rarement souri à l’espion, et il aurait dû se méfier de la belle journée qui avait initialement débuté. Il avait pris la confiance, en venant presque à apprécier l’altitude, et la nature avait alors décidé de se rappeler à lui. C’était presque normal. Non, Calixte n’était pas du tout paranoïaque.
- AH CA VA, PARDON !?
Cela faisait peut-être aussi trop de jours qu’il errait seul, et la solitude n’avait jamais été le fort de l’espion. En tout cas, pas pour sa santé mentale. Même si celle de base ne volait déjà pas tellement plus haut que les pâquerettes. Et il ne pouvait pas en vouloir à ses supérieurs qui l’avaient envoyé se perdre dans un village isolé de montagne, non. C’était tout seul comme un grand qu’il avait égaré son plan et sa boussole, et qu’il s’était retrouvé comme un touriste entre une paroi de granit et un mélèze à se demander quel était le sentier qui le ramènerait à la Forteresse. Si le matin même il avait enfin croisé un petit bourg dans lequel il s’était assuré de sa direction et qu’il avait racheté une boussole, c’était bien le premier et l’unique depuis de son périple retour. Et il ne s’était pas tellement attardé pour faire la causette, un peu pressé de rentrer. Jusque-là, pendant quatre jours, de bivouac en bivouac, il avait avancé à l’aveugle dans la direction qui lui semblait être la moins dangereuse. En dépit de la neige recouvrant la plupart des reliefs environnants, le temps avait été plutôt clément, et il avait survécu au froid sans soucis. Avoir le bon équipement avait été un soulagement dans sa détresse. Néanmoins, avec la levée de ce blizzard ayant décidé de lui faire la peau, ce bel équipement ne serait certainement pas de taille.
Pestant, Calixte rebroussa chemin vers le village qu’il avait croisé le matin même. Il ne savait pas exactement où se situait le suivant, et préférait différer son retour à la Forteresse plutôt que de ne jamais y arriver.
La chaleur de l’auberge l’accueillit dans une embrassade amicale, et il sentit les cristaux de neige collés à ses sourcils commencer à fondre. C’était toujours une bonne nouvelle. Calixte avait un peu – beaucoup – galéré pour parcourir les derniers mètres menant au village, la tempête de neige – grêle et autres choses sympathiques – ayant quelque peu ralenti sa progression. Il ressemblait à un bonhomme de neige vivant. Malgré ses lourdes couches de vêtements, sa panoplie du solstice et son sac à dos militaire protégeant en partie son dos, il était glacé jusqu’à l’os. Il n’était plus trop certain d’avoir encore doigts de pieds ni de mains, il était humide à des endroits hyper inconfortables, et il était certain d’avoir quelques stalactites dans ses cheveux. S’ébrouant pour se délester d’une partie de la neige qui s’était agglomérée contre lui, il s’avança vers le comptoir de l’auberge. A la suite d’une personne ayant visiblement aussi affronté la glaciale tempête.
Elle demanda une chambre. Il demanda une chambre. L’aubergiste les regarda ennuyé.
- Excusez-moi voyageurs mais il ne me reste qu’une seule chambre de libre, une double. Je sais que ce n’est pas très commode mais vous pourriez la partager tous les deux. Je vous ferai un prix en guise de dédommagement.
Le cerveau congelé de Calixte mit un petit moment à décrypter les propos de l’homme, et il se dit que, vraiment, cette journée se faisait un sale plaisir de lui compliquer la vie.
- Franchement je prendrai tout ce que vous me proposez, répondit l’espion avec résignation entre deux éternuements. Je veux juste pouvoir me réchauffer.
Soudainement ravi que ses deux clients acceptent son compromis, l’aubergiste adressa un geste vif de la main à un grand dadais trainant dans le coin avant de se pencher à nouveau vers eux :
- Mon fils Rudolph va vous préparer la chambre, vous verrez vous n’aurez pas l’impression d’y être deux ! Et que diriez-vous de dîner le temps que cela soit fait, histoire de commencer à vous réchauffer ? Toujours à petit prix, pour le dédommagement, bien entendu.
Et l’homme aurait probablement pu lui vendre n’importe quoi pour peu qu’il y rajoute « pour vous réchauffer ». Acquiesçant, l’espion tendit sa main à sa nouvelle camarade de chambre. Pour la serrer cordialement, pas pour y faire un baise-main. Elle paraissait un peu plus jeune que lui, arborait une chevelure écarlate qui n’avait d’égal en éclat que ses yeux rubis, et malgré la situation particulière affichait un léger sourire qui parut à l’espion plus relever de l’habitude que d’une vraie joie. Mais peut-être se trompait-il. Peut-être était-elle réellement ravie de cette évolution cocasse des évènements.
- Calixte, se présenta-t-il brièvement. Si on partage cette piaule, on peut peut-être se tutoyer ? proposa-t-il en se dirigeant vers un bout de table.
Posant son sac à dos par terre, il commença à se défaire de son manteau, bonnet, cache-nez, et autres attributs enfouis sous une pellicule de neige qui actuellement ne lui servaient plus à rien, sinon à se mouvoir comme un pingouin et ressembler à un énorme bâtonnet de glace.
- Quelle est la sombre histoire ayant mené tes pieds par ce temps dans cette petite bourgade ?
- Danae, et bien sûr qu’on peut se tutoyer.
Danae était sincèrement de bonne humeur. Non pas parce qu’elle allait partager son lit avec quelqu’un pour la nuit, même si elle commençait à se dire qu’elle pourrait peut-être bien profiter de la situation, mais parce qu’elle allait pouvoir manger et dormir au chaud et au sec. Elle sourit donc franchement au dénommé Calixte avant que tous deux ne se rendent vers une table, non loin de la cheminée réchauffant la pièce. Danae retira alors l’imposante épée de son dos pour l’appuyer contre le mur, elle y accrocha ensuite son épais manteau de fourrure et ses gants par-dessus pour finir par laisser son sac sans fond au pieds de la lame. Danae se sentait bien plus à l’aise maintenant qu’elle se trouvait dans une tenue plus légère. Elle prit place à la table tandis que son compagnon de chambre pour la nuit engagea la conversation. L’aventurière ne put s’empêcher de laisser s’échapper un petit rire en entendant les mots "sombre histoire".
- Je ne pense pas que mon histoire soit si sombre que ça mais je vais te raconter. A vrai dire je suis venue dans les montagnes il y a quelques jours déjà, pour m’entraîner. Tout se passait plutôt bien et la météo était clémente jusqu’à aujourd’hui. J’imagine que tu t’es fait surprendre par la tempête toi aussi ? On a beau savoir que ça peut arriver n’importe quand ici, on se fait toujours avoir au final n’est-ce pas ? Je suis passée près de ce village plus tôt dans la journée, sachant que je n’en étais pas bien loin j’ai décidé de venir m’y réfugier dès que j’ai senti la tempête.
L’aubergiste réapparu près des deux voyageurs, avec deux assiettes creuses encore fumantes dans les mains. Faisant un peu de place sur la table il posa les deux assiettes sous le nez de Danae et Calixte.
- Un ragout fumant pour vous réchauffer le gosier dit-il assez enjoué avant de repartir vers son comptoir.
Les assiettes étaient bien chargées et l’odeur qui en émanait donnait l’eau à la bouche à Danae qui n’attendait plus que d’entamer le plat.
- Mangeons un peu pour commencer, ensuite ce sera à ton tour de me raconter ce que tu faisais dans les montagnes avant de te faire avoir par la neige. Et bon appétit.
Sur ces mots Danae n’attendit guère plus longtemps et entama son assiette, se délectant du plat chaleureux qu’était ce ragout. Plusieurs bouchées plus tard elle releva la tête et tourna de nouveau son regard vers Calixte, attendant de connaitre son histoire.
- Alors, qu’est-ce que tu faisais dans la région toi ?
Le rire de Danae le fit instinctivement sourire, et il l’écouta narrer ses aventures. Enfin, la narration et l’aventure prirent quelque chose comme une phrase, mais c’était toujours ça de pris. Et c’était suffisant pour stimuler la curiosité de l’espion. Il n’eut cependant pas l’occasion de lui laisser libre cours, car l’aubergiste réapparut à ce moment pour déposer devant eux de lourdes assiettes fumantes. Les volutes parfumées s’élevant au-dessus des plats lui rappelèrent que cela faisait quelques jours qu’il n’avait pas fait de vrai repas, et il dégaina les couverts sans plus de cérémonie. Et visiblement, il n’était pas le seul à être affamé.
- Bon appétit, acquiesça-t-il à la proposition tout à fait sensée de Danae.
Non loin, par-dessus le bruit des couverts et les discussions animées, un groupe de musiciens improvisé avait entrepris d’ajouter du vacarme au boucan. Les notes n’étaient pas très justes, mais les airs bien connus, il ne fallut pas longtemps pour leur public hétéroclite ne se laisse séduire à pousser la chansonnette. Observant avec amusement et prudence leurs voisins de table agitant en rythme leurs choppes de bière, Calixte reposa son regard sur Danae lorsqu’elle reprit la parole. Afin de mieux saisir ses propos dans l’animation ambiante, il se pencha davantage vers elle. Il espérait que ça ne donnait pas l’impression qu’il s’intéressait surtout à son décolleté.
- J’étais à la bourgade de Rivepeinte, quelque part… quelque part plus loin dans les montagnes. Et je me suis un peu perdu sur le chemin du retour vers la Forteresse. Tout comme toi, la tempête m’a surpris et j’ai préféré revenir à ce village que j’avais repéré plus tôt dans la journée.
Re-piochant une cuillérée de ragout, il se remémora ce que son interlocutrice lui avait dit d’elle.
- Tu es une habituée du coin pour venir t’entrainer ici ? Ou c’est ton travail qui te demande un entrainement particulier ? Qu’est-ce que tu fais comme travail ? Tu as un travail ?
Le visage de Rebecca lui revint en mémoire, et il réalisa qu’il était peut-être, une nouvelle fois, un peu trop inquisiteur avec l’inconnue. Sa curiosité n’avait pas de bornes, mais elle avait parfois le don de déstabiliser ses interlocuteurs. Alors quoi pour l’adoucir ?
- Tu peux me dire franchement si mes questions te dérangent, ajouta-t-il après une seconde de réflexion. On m’a déjà fait la remarque tout à fait valide que je peux me montrer un peu trop curieux.
Son voisin de tablée choisit ce moment pour, dans un mouvement de bras de chef d’orchestre un peu bourré, lui renverser la moitié de sa choppe sur le pantalon, et il sursauta à l’évènement imprévu. Parfait. Non seulement était-il déjà trempé à des endroits inconfortables, mais en plus donnait-il maintenant l’impression de s’être pissé dessus. Ce qui, sans aucun doute, améliorait son apparence déjà bien entretenue par la tempête qu’il avait quittée un peu plus tôt. Pas franchement sanguin ni rancunier, et globalement habitué à sa malchance usuellement plutôt influencée par sa propre maladresse, il laissa l’homme aviné s’excuser dans une plaisanterie et un rire, et adressa une grimace résignée à Danae.
- Je crois que ça n’est décidemment pas ma journée.
- La curio…
La rousse n’eu pas le temps de finir sa phrase qu’elle repèra grâce a son pouvoir un mouvement maladroit en direction de son interlocuteur. Le voisin de table de Calixte s’apprêtait à lui renverser sa bière dessus. Danae s’empressa d’étendre le bras dans cette direction pour tenter d’attraper la chope prête à tomber mais elle réagit trop tard et la boisson se déversa immanquablement sur un Calixte résigné qui se fendit d’un "Je crois que ça n’est décidément pas ma journée."
- On dirait pas nan. Désolé, j’ai réagi trop tard. Mais revenons à tes questions. "La curiosité n'est un vilain défaut que lorsqu'elle n'est pas assez grande." C’est ce que mon frère répète tout le temps, alors ne t’inquiète pas j’ai l’habitude. Je saurai te dire quand tu deviendras trop indiscret. Mais pour te répondre je suis aventurière, je travaille pour la Guilde. Donc on peut dire que ce travail m’oblige à m’entraîner correctement et les montagnes sont d'ailleurs plutôt pratiques pour ça. Mais puisque je commence à y venir régulièrement on peut dire que je deviens une habituée non ? Habituée des montagnes en tout cas. Pour ce qui est de ce village en revanche, pas spécialement. Je ne me souviens pas m’y être déjà arrêtée avant.
Autour d’eux, les gens s’enivraient, chantaient et dansaient. Bref, la soirée battait son plein au cœur de l'auberge malgré la violente tempête de neige et de grêle faisant rage à l’extérieur. Les gens d'ici avaient sûrement l'habitude de faire face a ce genre météo. Danae était de plutôt bonne humeur, l’homme avec qui elle allait partager la chambre était mignon et sympathique alors elle avait envie de s’amuser un peu.
- Que dirais tu de prendre un verre ou deux avant de monter dans notre chambre ? Comme je te l’ai dit je suis pas en mission pour le moment alors je peux me permettre un petit écart pour ce soir.
- Au moins as-tu eu le réflexe de vouloir me sauver de cette vile chope de bière ; je ne l’ai même pas vue venir. Si c’est le résultat de ton entraînement dans les montagnes, peut-être faudrait-il que je vienne aussi dans le coin aiguiser mes réflexes !
Étonnement la jeune femme semblait aussi dépitée que lui, comme s’il s’agissait d’un affront personnel que l’incident ait échappé à sa main agile. Raclant son assiette dont le contenu baissait rapidement, il écouta le reste des propos de Danae. Qui était aventurière. L’avait-il déjà croisée entre les murs de la Guilde à la Capitale ? Il espérait qu’elle avait une moins bonne mémoire des visages que Naëry, car il ne tenait pas à se retaper un scénario improbablement alambiqué et dramatique sous les traits de Psolie. Le monde était étrangement petit parfois…
- Ton frère aurait peut-être changé de discours s’il m’avait connu, nota-t-il en rigolant doucement. Mais l’idée est appréciable !
C’était amusant comme sa curiosité avait le don de soit mettre dans l’embarras, soit délier plus facilement les langues. Rares étaient ceux qui, comme Danae, finalement s’en fichaient un peu et savaient y trouver un juste équilibre. Enfin. L’espion devait avouer qu’il ne faisait pas non plus trop d’efforts pour rentrer dans le socialement acceptable.
- Toi qui connais le coin, si jamais tu as un raccourci pour retourner à la Forteresse, je ne suis pas contre que tu me l’indiques. Même si c’est à raison de “et après le buisson enneigé tu tournes à gauche” ou “au cinquantième arbre sans feuilles tu bifurques trente degrés au sud”, je suis preneur. Ça sera toujours mieux que mon sens de l’orientation visiblement parti en vacances loin d’ici !
Finissant l’assiette se trouvant devant lui, il hésita. Pas longtemps. Techniquement son assignation était terminée, et ça n’était pas vraiment le genre d’endroit où il risquait de glaner pléthore de potins pour les oreilles du Maître-Espion. Ou alors ce petit village cachait bien son jeu. Mais même en considérant qu’il regorgeait de mystères, avait-il vraiment envie de passer la soirée de cette journée pourrie à bosser ? Il était humide jusqu’à l’os, imbibé de bière, et ses dernières onces de motivations pour une quelconque productivité en espionnage avaient été emportées par la tempête faisant rage au dehors. Non. Il était bien plus séduit à l’idée de se réchauffer comme il le pouvait, tout comme à se changer les idées. Partager un verre - ou deux - en l’agréable compagnie de Danae paraissait être une excellente perspective.
- Oh, bonne idée ! approuva-t-il en levant la main pour adresser à l’aubergiste le geste universel réclamant à boire.
Ne se faisant pas plus prier, l’homme débarqua à leur table avec un plateau sur lequel trônait une bouteille opaque et deux verres.
- Je vous propose la meilleure cuvée de monsieur Henry, notre voisin de gauche. Il distille lui-même un mélange de baies montagnardes dont il a le secret. Y a pas mieux pour se réchauffer le corps et l’esprit !
Et probablement passer de sacrés lendemains, songea Calixte en observant le liquide orangé versé dans leurs verres. Le savoir-faire local, c’était souvent de la piquette ou au contraire du concentré éthylique. D’intriguant arômes montaient du breuvage, et il le fit tournoyer songeur tandis que l’homme récupérait leurs assiettes vides.
- Aux rencontres dans la tempête, déclara-t-il en faisant trinquer son verre contre celui de Danae, avant de le porter à ses lèvres.
Un doux parfum boisé emplit son palais. Avant de lui arracher l’œsophage.
- Ah, je savais que ça vous plairait ! s’exclama satisfait l’aubergiste en prenant son expression surprise pour du délice. Je vous laisse la bouteille là.
Les larmes aux yeux, alors que l’homme s’éloignait, il toussota un :
- Ca décape un peu... Mais l’avantage c’est que je pense qu’avec quelques verres je vais pouvoir atteindre un état de combustion spontanée. Adieu risque d’engelure.
- Je vous propose la meilleure cuvée de monsieur Henry, notre voisin de gauche. Il distille lui-même un mélange de baies montagnardes dont il a le secret. Y a pas mieux pour se réchauffer le corps et l’esprit !
Danae était une habituée des auberges et autres tavernes en tout genre. Loin d’être alcoolique pour autant elle aimait prendre un bon verre de temps en temps après une dure journée. L’aventurière tournait d’ordinaire plutôt à la bière mais elle avait eu une fois ou l’autre l’occasion de goûter les alcools locaux de petits patelins perdus dans les montagnes comme celui où elle se trouvait actuellement. C’était bien souvent ce genre d’alcool dont un gars du village a le secret, macérant pendant des années et ayant le pouvoir incroyable de vous retournez le cerveau en quelques verres. En bref, l’assurance d’un lendemain difficile pour Calixte et Danae. Mais au-delà de vous mettre la tête à l’envers ce genre d’alcool local était souvent au goût unique et fort appréciable. La rousse trinqua donc avec sa rencontre du jour.
- Aux rencontres dans la tempête !
Danae s’amusa de la tête de Calixte buvant son verre bien qu’elle-même sente très clairement le liquide couler et lui brûler la gorge après cette petite gorgée. De son côté, l’aubergiste semblait satisfait et repartit à ses occupations en laissant la bouteille sur la table.
- Ah ça… on peut dire que ça réchauffe oui.
La belle souriante amena alors de nouveau son verre aux lèvres et de le vider d’une traite.
- Alors, tu ne m’as toujours pas dis ce que tu allais faire à la Forteresse ?
Danae se resservit aussi tôt et proposa à Calixte de le resservir dès qu’il eu finit son verre lui aussi. Elle gardait cependant les yeux rivés sur le jeune homme, écoutant attentivement les histoires qu’il avait à raconter. La rousse n’était pas des plus bavardes mais l’alcool délie les langues alors elle acceptait de parler des banalités avec l’homme qui allait partager sa chambre pour la nuit. Les verres s’enchaînaient tranquillement tandis que Calixte et Danae discutaient de choses et d’autres autour de cet alcool montagnard les réchauffant. Finalement l’heure tournait et, verre après verre, ils finirent par vider la bouteille amenée par l’aubergiste.
- Bien, que dirait tu d’aller découvrir notre chambre ?
De verre en verre, d’histoire en histoire, de rire en rire, d’heure en heure, la bouteille de liqueur se trouva soudainement sèche, et Calixte grimaça sa déception en contemplant le fond vide du récipient. Plus alerte que lui, et peut-être un peu plus sage, Danae lui fit remarquer qu’il était peut-être temps d’aller découvrir leur chambre.
- Excellente idée ! acquiesça Calixte en retrouvant le sourire.
Se levant prestement avant de se rattraper au bord de la table - qui donc s’amusait à faire bouger les murs ? - il avisa ses affaires posées contre le mur. Une partie avait pu sécher, mais restaient encore de grosses plages d’humidité. Lui-même était encore un peu moite au niveau des plis. Récupérant gauchement vêtements et sacs, il emboita le pas au fils de l’aubergiste – Rudolph ? – qui paraissait bien excité qu’ils gagnent enfin la chambre.
- V’z’allez être trop bien, déclara-t-il avec un aplomb que Calixte ne pouvait qu’admirer à cette heure-ci. J’mis l’max ! Même emprunté des trucs à la réserve pour qu’soit top !
Après un escalier et deux portes, l’adolescent leur ouvrit celle qui devait mener à leur chambre double. Pénétrant dans la pièce à la lumière tamisée, l’espion mit un moment à comprendre que leur jeune hôte avait été, effectivement, particulièrement attentionné.
- Oubliez pas d’mettre une note dans l’livre d’or en partant d’main, page « rencontre rose », leur indiqua guilleret Rudolph en s’éclipsant et en refermant la porte sur lui.
- Hé y a des pétales, cool, remarqua Calixte, un peu désinhibé et clairement à l’ouest, en s’avançant dans la chambre. C’est la première fois qu’on me met des pétales pour la nuit.
Il laissa tomber ses affaires par terre et son regard curieux - et un peu chavirant - balaya le reste de la pièce. La chambre ne devait initialement pas payer de mine, mais un effort exceptionnel avait été fait pour la rendre plus accueillante. Peut-être trop. En dehors des pétales de roses disposés sur les draps chatoyants, des fleurs en tous genres avaient été parsemées ici et là pour égayer la pièce. Posés sur le rare mobilier, des bâtons d’encens parfumaient délicatement l’atmosphère, couvrant les odeurs grasses des plats montagnards leur parvenant de la salle principale sous leurs pieds. D’ailleurs, la clameur accompagnant celles-ci était adoucie par un fond musical s’échappant d’une petite boite magique trônant à côté du lit. Retirant ses chaussures à l’arrache, Calixte trotta avec un intérêt joyeux d’une curiosité à l’autre.
- C’est rigolo comme chambre. C’est une spécialité du coin ? interrogea-t-il Danae en tapotant du doigt la descente de lit poilue. J’adoooore.
Continuant son exploration, il passa derrière le paravent d’où s’échappait de la fumée.
- Y a même un bain chaud ! C’est trop coool !
S’accroupissant, il passa la main dans l’eau et se saisit de l’un des globes lumineux flottant à la surface. Qui éclata dans sa main pour ne laisser qu’une trainée de paillettes. Surpris, il éclata de rire. Et son regard tomba sur une série de silhouettes qu’il n’avait initialement pas vues dans la pénombre. Une petite tribu de bouteilles de produits divers siégeait au pied du bain.
- « Lotion sensuelle découverte de sensations fortes parfum musqué », heu, lu-t-il en haussant les sourcils.
Il aligna quelques neurones qui ne s’étaient pas noyés dans la liqueur.
- Cette chambre est bizarre, non ? fit-il à Danae.
Danae prit soin de fermer la porte de leur chambre à clefs tandis que Calixte allait déjà d’un coin à l’autre de la chambre en s’extasiant comme un gamin. Ayant enfin finit de se battre avec la serrure à cause de l’alcool, Danae reposa la clef sur le meuble le plus proche et découvrit à son tour tout le soin porté à la préparation de la chambre. Pétales de roses sur les draps, fleurs aux quatre coins de la pièce en guise de décoration, petite musique d’ambiance, lumière tamisée et encens parfumant l’air suffisamment bien que pour couvrir l’odeur des plats servit par l’auberge. Un vrai nids douillet en somme. Danae repensa aux mots prononcés par le fils de l’aubergiste et commença à mieux comprendre ce "rencontre rose".
- Une spécialité du coin ? Je ne pense pas, mais notre hôte n’a pas menti on dirait. Il s’est vraiment donné sur la préparation de notre chambre.
Calixte évoqua alors la présence d’un bain encore chaud derrière le paravent. La rousse bien tentée à l’idée de se réchauffer en prenant un bain bouillant s’empressa de le rejoindre.
- « Lotion sensuelle découverte de sensations fortes parfum musqué », heu, cette chambre est bizarre, non ?
- Mmh je ne sais pas trop, c’est une chambre pour deux après tout. Elle doit être prévue pour les gens intimes. En tout cas vu la tempête qu’on a essuyée je ne vais pas cracher sur un bon bain chaud. Ce bain ne va pas rester chaud éternellement et tu dois sûrement avoir encore froid alors tu devrais en profiter toi aussi.
Danae n’était déjà aucunement pudique d’ordinaire mais en y ajoutant l’alcool la perverse en elle ressortait à coup sûr. Elle ôta tranquillement ses vêtements, dévoilant un corps marqué par plusieurs cicatrices, et s’immergea dans le bain chaud qui lui tendait les bras.
- Si tu veux te réchauffer n’hésites pas.
La rousse se demandait bien ce que Calixte allait faire maintenant : la rejoindre ou non ? Dans le pire des cas elle profiterait seule du bain et dans le meilleur l’opportunité de passer une meilleure nuit que prévue en compagnie du jeune homme lui tendrait les bras.
Levant son regard sur l’aventurière qui venait de le rejoindre derrière le paravent, il débouchonna distraitement le flacon de lotion qu’il avait entre les mains. Une odeur musquée lui chatouilla effectivement les narines, mais il n’en profita pas tellement, tiquant aux propos de Danae. Comment ça…
- … intimes ?
Il n’eut cependant pas l’opportunité de réfléchir davantage à la chose, car son cerveau court-circuita définitivement lorsque l’aventurière commença à se déshabiller. Et wow, ses vêtements lui rendaient peu justice. Ou alors il avait été particulièrement inattentif. Ou trop saoul. Ou pas assez. Car la jeune femme était magnifique. Et il ne pouvait s’empêcher de suivre du regard la mise à nue nonchalamment sensuelle des courbes élancées de celle-ci. Elle n’était visiblement pas timide de son corps, mais il y avait tout de même une grâce hypnotique dans ses mouvements d’effeuillage. S’il avait été un peu moins perturbé, Calixte aurait pu noter qu’en dépit de la bouteille de liqueur qu’ils s’étaient tous deux descendus, Danae conservait une dextérité probablement plus intacte que la sienne.
Comme gouttes de pluies, régulièrement et inexorablement, les vêtements sombres de l’aventurière tombèrent tour à tour à ses pieds, jusqu’à ce que n’habille plus celle-ci que sa peau laiteuse. Dans la pénombre tamisée de la chambre préparée avec soin, les lueurs vacillantes des bougies et globes lumineux faisaient danser le long des courbes ciselées de la jeune femme d’alléchantes promesses. Alors que son regard parcourait les cicatrices ornant la délicieuse silhouette avec la curiosité et la fascination de celui contemplant une mystérieuse œuvre d’art, la voix de Danae lui fit relever le regard sur ses yeux écarlates envoûtants, et le rappela lentement à lui-même. Il mit quelques secondes à mettre du sens derrière ses mots. Et quelques-unes de plus à se rendre compte qu’il venait de vider entièrement dans le bain la lotion qu’il tenait dans la main. Reposant avec précipitation le flacon vide, il se rendit compte qu’il n’avait soudainement plus froid du tout. Une douce chaleur avait investi son corps, et on aurait probablement pu faire cuire un œuf sur ses joues. Probablement l’effet des vapeurs du bain. En parlant de bain…
- Oh tu m’as bien réchauffé.
Oula, quoi ? Il ouvrit de grands yeux et secoua ses neurones.
- Enfin je veux dire, entre la chambre, l’eau chaude, et ta… ton…
Voilà qui était beaucoup mieux. Peut-être qu’à défaut d’autre chose il s’enflammerait d’embarras. Il se mordit la lèvre, étonnamment toujours surpris de sa maladresse pourtant coutumière.
- Et je vais me taire. Peut-être. Ça sera mieux. Et profiter du bain tant qu’il est chaud, excellente suggestion, merci.
Il allait joindre le geste à la parole, mais…
- Ah oui les vêtements. Quoi qu’ils soient déjà trempés, mais bon.
Il paraissait que c’était mieux de se baigner sans eux. Et puis il serait certainement plus agréable de se séparer de ces affaires collantes aux relents de bière. Retirant dans l’anarchie la plus complète les habits qu’il avait encore sur lui, Calixte nota distraitement qu’au contraire du charmant tableau que l’aventurière lui avait offert, il devait davantage ressembler à un woggo se contorsionnant dans tous les sens. Sur un malentendu ça pouvait être avenant, non ? Il finit par extirper en bataillant sa tête de son maillot de corps en rigolant, un peu trop désinhibé pour pouvoir se retenir devant le grotesque de sa situation. Avec un sourire joyeux à l’idée de profiter de l’eau chaude, il rejoint Danae dans le bain. Celui-ci n’était pas très grand, et les jambes de l’espion se glissèrent contre celles de l’aventurière.
- Wow, t’es chaude, soupira-t-il d’aise avant d’entendre ses paroles et de se reprendre. L’eau est chaude !!
Il se mordit à nouveau les lèvres avant de rééclater de rire.
- Clairement mon filtre courtoisie s’est noyé quelque part entre les derniers verres, désolé.
Jouant avec les globes lumineux flottant à la surface du bain, il en poussa un vers Danae.
- Tu ferais mieux de les enlever oui. En général on ne prend pas ses bains en étant habillé.
Le petit manège qui s’en suivit fut lui aussi très amusant. Le garde se démenait avec ses vêtements certainement rendus collants par le verre qu’on lui avait renversé dessus un peu plus tôt. La liqueur que lui et Danae avaient bus ne favorisant assurément pas la dextérité de Calixte.
- Tu as besoin d’aide ? fit-elle, amusée par le spectacle qui lui était offert.
Le jeune homme finit enfin par réussir à retirer ses derniers vêtements et rejoignit, sourire au lèvres, Danae dans son bain. Mais comme il le dit lui-même juste après, Calixte n’avait visiblement plus de filtre contenant ses paroles. Aussi il venait de faire une remarque ne manquant pas de les faire rire tous deux une nouvelles fois.
- Lapsus révélateur ? dit-elle, un petit sourire en coin sur les lèvres, avant de passer à l’action.
Elle replia et ramena ses jambes à elle, posa ses genoux contre le fond de la baignoire pour y prendre appui et se pencha vers Calixte une fois à genoux. Passant délicatement ses mains derrière le jeune homme, l’une dans le dos et l’autre derrière la nuque, elle finit de se rapprocher en attirant le garde à elle pour l’embrasser.
- Peut-être bi… commença-t-il à répondre avant d’observer la jeune femme s’avancer vers lui.
Ce fût l’affaire de quelques secondes, qui parurent durer à la fois une éternité et un battement de cils. Il eut le temps d’apprécier les courbes voluptueuses se mouvoir avec grâce sous les lueurs chaleureuses des globes lumineux, l’éclat vermeille des yeux joueurs et déterminés le mettant au défi, la flamme de la peau venant au contact de la sienne. Comme il n’eut le temps de faire autre chose que d’accueillir pleinement l’aventurière venant à sa rencontre.
Il ne sût qui cueillit les lèvres de l’autre, et peut-être cela n’avait-il pas d’importance. En miroir des mouvements de Danae, il glissa instinctivement une main le long de la cambrure de son dos, et la seconde dans les mèches écarlates. Peut-être aurait-il pu apprécier le satin de la chevelure de flammes sous ses doigts, sa cascade désinvolte sur les épaules finement sculptées. La puissance féline des muscles dorsaux jouant au creux de sa paume, les reliefs légèrement plus rugueux des cicatrices dénotant avec l’onctuosité de la peau crème. La rondeur ferme des formes épousant les siennes, la force contrôlée des membres entraînés de l’aventurière. La fraîcheur persistante de certaines parcelles cutanées non immergées, se réchauffant progressivement dans l’atmosphère s’enflammant. Le parfum à la fois suavement sucré et moite, si humainement envoûtant, flattant son odorat. L’éclat captivant des yeux rencontrant les siens. La délicatesse des lèvres trouvant les siennes.
Et peut-être que, malgré le silence enthousiaste s’étant installé maître sur ses pensées, malgré l’urgence fiévreuse ayant investi son corps, malgré la saturation de ses sens emballés, peut-être malgré tout nota-t-il tout cela. Distraitement, passionnément. Et de l’intimité de leur rencontre sensuelle, la chambre si particulière ne serait pas la seule à en garder des traces.
Les rayons de soleil hivernaux chatouillèrent ses paupières closes, et il se détourna dans un grognement avant de céder et d’ouvrir les yeux. Une légère pression sur ses tempes lui fit prendre un temps d’arrêt. Et il jeta un coup d’œil à la fois prudent et curieux à la pièce où il se trouvait. Les fleurs disposées comme décoration avaient perdu leur fraicheur, et les pétales sur le lit avaient depuis longtemps gagné le sol pour rejoindre divers objets – draps, coussins poilus, petites bouteilles et autres items dont Calixte n’était pas certain de vouloir se rappeler l’usage – éparpillés à travers la chambre. Toujours calées près de la porte, leurs affaires faisaient sagement le guet. Leurs affaires. Finissant son arc de cercle, le regard de l’espion se posa sur la silhouette endormie de Danae. La silhouette dénudée de Danae. Les souvenirs de la soirée – de la nuit – lui revinrent comme autant de papillons voletant vers la lumière, et il ne put s’empêcher un sourire de contentement. Et d’affection.
Se relevant, il partit en quête de ses vêtements. Qui, put-il constater avec joie, avaient eu le bon goût de sécher pendant la nuit. Dans l’attente que la belle endormie s’éveille à son tour, il entreprit de mettre un peu d’ordre dans le désordre qu’ils avaient occasionné. Parce qu’il était un peu maniaque. Et que les souvenirs soulevés en même temps que les objets éparpillés n’étaient pas désagréables, poussant peu à peu son léger mal de tête. Sa curiosité, non plus, n’était pas en reste.
Peut-être apprendrait-il davantage de l’aventurière sur le trajet du retour vers la Forteresse ?
- N’oublions pas le livre d’or, on leur doit bien ça.
"Page rencontre rose". Les mots du jeune homme ayant préparé leur chambre résonnèrent dans l’esprit de Danae qui écrivit en première un mot sur ledit livre d’or avant de laisser la place au garde. Reprenant enfin la route, Danae ne manqua pas de remercier l’aubergiste et son fils pour l’attention portée et s’en alla en compagnie du garde vers la forteresse, le taquina sur son sens de l’orientation. Calixte n’avait pas changé depuis la veille, il était toujours aussi curieux aussi lui et Danae discutèrent le long du trajet sur la forteresse. Tant que les questions n’étaient pas trop privées, la rousse y répondait sans problème. Évitant cependant comme toujours de parler de ce qui lui était personnel.
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