Une douce brise marine caressait le visage des passants. Juste au-dessus de leurs têtes, le cri des mouettes résonnait dans les grandes rues de la ville. Des bateaux accostaient. D'autres repartaient. Les marchands négociaient des prix, des hommes et des femmes chargeaient les navires de lourdes caisses ou, au contraire, venaient les poser sur les quais, le front en sueur après un tel effort physique. Quelques nuages parsemaient le ciel, et ils venaient, ça et là, cacher la douce lumière du soleil qui inondait la totalité de ce port. Rien à déclarer. La journée s'annonçait calme, sans événement majeur, ce qui ne déplaisait pas aux soldats de La Garde qui là, assis sur des tonneaux, jouaient aux cartes et riaient de bon cœur. Ils n'avaient rien de particulier à faire, comme beaucoup d'autres personnes. Un nuage fit à nouveau de l'ombre, les empêchant de pouvoir jouer correctement. Ils soupirent de mécontentement et l'un d'eux tourna la tête vers le ciel. Il se leva, brusquement, le visage inquiet. Son partenaire, ne comprit nullement la situation. Il ne voyait pas ce qui... Il se leva tout aussi brusquement. le visage tout aussi empreint d'inquiétude.
" C'est donc ainsi que vous occupez vos heures messieurs ? Nous avons du travail je vous rappelle, même en cette journée. Allez donc plutôt patrouiller vous. Quant à vous, j'aurai besoin de votre aide pour un simple tâche, suivez-moi s'il vous plaît. "
Le visage froid, Emeor Calyx tourna le pas. Certes, ces hommes cherchaient à passer du bon temps. Néanmoins, ils avaient bien autre chose à faire. Après tout, le travail consciencieux et acharné, n'est-ce pas là une des valeurs de leur régiment ? Rares étaient les tires-aux-flancs - à vrai dire, Emeor veillait au grain lors du recrutement pour les écarter - qui pouvaient passer une journée entière à flâner dans les rues du Grand Port. Le Capitaine lui-même préconisait un travail soigné et bien mené à une journée gaspillée. Le Lieutenant marchait, le dos droit, la tête haute, l'armure légère n'entravait en rien ses mouvements - et faisait, soi disant passant, beaucoup moins de bruits que les armures lourdes d'autres régiments -, un parchemin scellé à la main. Le soldat - qui était en réalité plus âgé que son supérieur hiérarchique - se contentait de suivre Emeor l'air tout aussi inquiet. Les membres du régiment n'avait pas peur de ce lieutenant, ce qui serait bien démotivant pour le troupes, mais, son regard froid - certains parlaient même du regard de la justice en personne - en tétanisait plus d'un. Quelques rues passèrent, les hommes finirent par arriver au bâtiment affecté au régiment. D'un geste vif et contrôlé, Emeor ouvrit la porte et, sans plus attendre, entra d'un pas toujours aussi décidé. Il avait la carrure, la posture, l'aura d'un militaire. Celui que l'on respecte et celui qui respecte ses supérieurs. Celui qui obéit puis, seulement et seulement après, donne des ordres. Le soldat suivit, sans rien dire - il faut se taire, attendre les ordres puis les exécuter -, son lieutenant.
" Attendez-moi ici."
Le jeune homme poussa la lourde porte en bois où trônait une large inscription portant son nom et son grade. Lieutenant chargé de la Logistique. Mais, bien plus officieusement. Emeor ressortit, et tendit deux parchemins au soldat. En deux phrases rapides, il lui dit de les apporter à des messagers. L'un n'avait rien d'important. Le second l'était un peu plus. Le Lieutenant ferma la porte et fit quelques pas dans son bureau - rempli de livres, avec un bureau bien ordonné où étaient soigneusement posées des piles de parchemins mais aussi un encrier, une plume, un sceau, une bougie, sur un bureau en bois noir avec une chaise assortie, sobre, sans rembourrage, juste fonctionnelle telle qu'Emeor le désirait, et, à quelques mètres derrière, une large fenêtre donnant sur des rues de la ville où l'on voyait les bateaux et par endroit des bouts d'océan. D'un air grave, il regarda par la fenêtre. Cela faisait quelques temps qu'il était en charge du régiment - du moins des soldats qui étaient restés - du Capitaine Al Rakija. Ce poste ne dérangeait pas le moins du monde Emeor qui se sentait bien à son aise. Il avait appris à travailler en collaboration avec son supérieur, avec bien des difficultés certes, mais tout se passait pour le mieux. La situation était entièrement sous contrôle ici, au Grand-Port. Pouvait-on en dire autant pour cette expédition ? Emeor ne pouvait le dire. Là était tout l'objet du second parchemin, celui qu'il avait gardé dans son bureau. Des nouvelles de cette expédition, d'une partie de son régiment. Il ne savait dire s'il se sentait responsable de ces hommes. Peut-être. Après tout, plus le temps passait et plus son influence grandissait. Jamais il n'avait ressenti ce poids de la responsabilité. Jusqu'à présent. A quel point Emeor Calyx, simple Lieutenant logistique du Régiment Al Rakija, devait-il être responsable et se sentir comme tel envers tous les soldats ? Au fond, quel rôle devait-il jouer ? Le soleil déclinait déjà. Emeor finit par se tourner. On toquait à sa porte. L'heure n'était pas aux questions. Ses actes forgeront son rôle. Il devait assumer ses responsabilités. Il se dirigea vers la porte de son habituel pas décidé. Et l'ouvrit, le visage grave.