Tu parles d’une île paradis ! La joue étalée dans le sable blanc et fin, Luz commençait à sérieusement réenvisager ses choix de vie. Tout son corps lui paraissait avoir été passé à tabac et le goût poisseux et salé de l’eau promettait d’être gravé à tout jamais sur ses papilles… Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait bu la tasse, les lèvres présentement aussi craquelées de sel que l’entièreté de ce foutu océan. Elle dut produire un effort incommensurable pour se redresser sur ses coudes et accepter de jeter un regard aux alentours. La tête lui tournait encore et l’éclat du soleil lui roussissait la peau. A moins que cette souffrance n’ait été causée par les multiples rouleaux glacés qui avaient achevé de la projeter sur ce tapis de sable… ?
Elle marmonna une injure inintelligible et rauque et tâcha de passer à l’étape suivante : ramasser ses jambes sous elle pour débuter une tentative de position assise. Elle râla une nouvelle fois, passant le plat de sa main sur ses vêtements raides de sel et séché comme du poisson grillé. Dommage pour son costume, songea-t-elle, se remémorant la splendide soirée qui avait commencé un peu plus tôt… Ou le jour d’avant ? Impossible de s’en souvenir. Sa tenue de Cupidon, telle qu’elle lui avait été présentée par l’organisateur de la croisière, faisait à présent pâle figure. Les ailes pendaient rachitiques et à demi arrachées dans son dos, et sa toge de voile blanc peinait à paraître encore blanche et somptueuse. Elle haussa un vague sourcil surpris lorsqu’elle réalisa qu’elle tenait toujours depuis le désastre son arc et ses flèches, vague reproduction d’une véritable arme. Les flèches s’achevaient par un cœur, parfaitement inutiles à la chasse.
Félicitations Luz. La seule chose à laquelle tu choisis de t’attacher avec désespoir durant la tempête t’aidera uniquement à mieux mourir de faim. De toute façon, tout ce costume était stupide. Cupidon n’était qu’une invention du Capitaine qui devait être mort à présent sous des litres d’eau, persuadé qu’un petit homme nu et moribond s’enjaillait à envoyer des flèches pour former des couples…
Alors, Luz s’aperçut seulement de la forme sombre qui était étalée à sa périphérie. Et, bon sang, cela avait vraiment l’air humain ! Les prunelles écarquillées, elle eut pour premier réflexe de se relever brutalement sur ses jambes pour accourir aux côtés du deuxième rescapé. En réalité, ses jambes se contentèrent de refuser cette soudaine activité et elle acheva sa progression en rampant sur ses genoux. Ouh, wouah, est-ce qu’elle avait la même tête de déterrée que lui… ? Elle jeta un regard en tous sens et avisa la splendide ramure d’un palmier à proximité. Cela devrait faire l’affaire, en espérant qu’il ne soit pas dans un état pire que le sien…
Elle dut prendre de très longues minutes pour le trainer de quelques mètres à peine dans la chaleur du sable, glissant constamment à son tour dans la matière fluide. Alors, elle apposa l’une de ses mains sur le tronc de l’arbre et l’autre sur le torse de son compagnon d’infortune. Un halo ambré se mit à luire contre sa main, tâchant de maintenir le lien pour le rendre à une meilleure santé. Merci boucle d’oreille dont elle avait récemment fait l’achat ! Le pauvre palmier se ratatina pour sa part comme une plante morte et fut bientôt noirci lorsqu’elle acheva de s’approprier son énergie.
Un problème subsistait néanmoins, car il ne paraissait pas vouloir reprendre conscience. Alors, se rappelant quelques gestes fort utiles, elle commença par amorcer plusieurs pressions rythmées sur son torse, alternant avec un bouche à bouche concentré. A cet instant, le jeune homme toussa. Elle se redressa, soulagée, et s’arma de son plus beau sourire :
De là où ils se trouvaient, l’île semblait courir sur une bonne distance. Leur visibilité était malgré tout limitée par la broussaille tropicale et il était impossible de dire s’il s’agissait d’une île ou d’un continent civilisé…
Elle jeta un rapide regard sur la plage et ajouta :
Vint alors ce moment décisif qui scella toute la suite de l'histoire. Le ciel se couvrit de plus en plus. Les nuages s'étaient chargés jusqu'à ce qu'un bruit de tonnerre retentisse. Des orages, rien de plus banal. Cet orage n'avait pourtant rien d'équivalent pour la mémoire de notre brave voleur. Il chercha aussitôt à s'enfermer au chaud dans sa cabine le plus loin possible des vagues immenses qui parcouraient le pont. Tant pis pour l'autre passagère, il devait en priorité éviter de se faire projeter. L'eau s'infiltrait de plus en plus. Aucun lieu ne semblait sûr à présent qu'il avait de l'eau jusqu'aux chaussettes. Il regarda autour de lui en cherchant quelque chose à sauver. Il avait réalisé un dessin de cette jeune femme qu'il avait imaginé nue. Sa feuille de papier se gorgeait d'eau et ne valait plus grand chose si tenté que son dessin avait d'origine une quelconque valeur. Le temps n'était plus vraiment à sauver quelque chose mais à se sauver tout simplement. Même sa porte avait du mal à s'ouvrir. Il finit par y parvenir, mais se fit emporter par une vague jusqu'à la proue du bateau les bras écartés.
Zoran avait l'impression de voler dans un chaos le plus total jusqu'à percuter le bord du bateau. L'espace d'un instant, il se crut sauver. Ses mains avaient eu comme réflexe d'agripper cette rampe de fortune. Le bateau s'enfonçait de plus en plus. Les vagues parvenaient à submerger le pont. Bientôt, il allait apprendre à nager... il doutait que cette eau soit à la bonne température. Zoran ferma les yeux en se concentrant sur son pouvoir pour s'extirper de cet endroit. La tempête était d'une telle puissance que son pouvoir était perturbé. Sa trajectoire dévia pour l'envoyer contre une planche qui s'était détachée du bateau. A peine conscient, il se cramponna jusqu'à peu à peu se résigner. Le courant le fit dériver jusqu'à une plage digne des meilleurs moments de détente. Du sable fin à perte de vue. Il aurait hurlé de joie d'être en vie s'il n'avait pas été dans un état profondément léthargique. Il rêvait à ce bateau comme si la tempête n'était jamais arrivée. Il aurait montré son dessin à cette femme, il lui aurait sorti le grand jeu, aurait prétendu être un de ces artistes qu'elle aurait adoré. Cette proue aurait été le lieu d'un superbe moment où son corps contre le sien, ils auraient crier à qui pouvait bien les entendre qu'ils étaient les rois du monde.. et là ils auraient trouvé une île pleine d'or... et avec du rhum... des fûts entiers. Et là elle l'aurait embrassé comme une folle devant sa beauté d'Apollon. Il pouvait presque sentir la douceur et la chaleur de ses lèvres. Elle était là la belle inconnue, il la sentait près de lui. C'était du flan tout ce qu'il avait vu.. quelle déception, mais cette vue c'était genre... la perfection.
Zoran se mit à tousser, cracher tout cet épisode de noyade, mieux valait oublier ce bain forcé. Il mit sa tête de côté jusqu'à se calmer afin d'offrir un radieux sourire malgré tout affaibli à sa bienfaitrice. Qui sait il allait peut-être avoir droit à un second baiser pour se redresser ! Il espérait bien, il était si faible ; ce serait indécent de se lever aussitôt. Sa main cherchait à palper doucement celle de cette belle créature. Il fallait qu'elle devine sa faiblesse et la nécessité de l'aider à se redresser. De tous les scénarios qu'il aurait pu imaginer, il aurait adoré lui sauver la vie, mais qu'importe il lui était redevable. Pour le moment, il allait chercher à se faire chouchouter de cet épisode traumatisant.
"Luz.... je te dois la vie... quel beau naufrage... mais aussi... quel beau réveil... " murmura t-il d'une voix semblant revenir de loin.
Si à chaque catastrophe il était possible de se réveiller sous un beau soleil avec une femme avec de tels yeux verts, Zoran n'était pas contre. Il serra doucement sa taille pour se relever doucement. C'était fou mais elle semblait si sérieuse alors qu'il lui faisait déjà les yeux de biche... Il n'avait plus rien pour dessiner, pour l'épater mais il avait toujours son jeu de séducteur. Déjà dans sa tête, il se disait qu'il se devait de se montrer l'exemple. L'impressionner pour mieux la séduire ! Il se leva en lui faisant un clin d'oeil. Ses jambes acceptèrent mollement l'effort avant de se stabiliser. Sa tenue était très désagréable. Le sable collait à son pantalon qui lui collait la peau.
" Déjà moi je dis... on ouvre ces caisses, on pique les planches et tu verras que notre abri sera la meilleure auberge du coin. Ajoute à ça des feuilles de... ces palmiers" faisait il en désignant ce palmier rabougri à côté duquel ils se trouvaient. " Bon pas lui, un autre. Mais je pourrais te porter à l'intérieur d'ici ce soir, te fais pas de bile" Je suis l'homme de la situation, un vrai bonhomme se répétait-il en disant ces mots comme s'il faisait un de ces rôles sur les planches. " Alors, on y va ? ... allez ! " Sans se faire prier, il lui prit la main pour l'entraîner avec lui sauf que le sable le fit tomber. Il eut la présence d'esprit de ne pas lui lâcher la main. Pour le côté assurant, il perdait des points, mais il en gagnait sur d'autres plans. " Je crois que je ne suis pas prêt... " rit-il en se redressant. " Moi qui voulais te motiver... on bronzera plus tard... " Dans toutes les pièces romantiques, le gars qui parvenait à faire rire la fille finissait avec un baiser. C'était un fait avéré, il n'y avait plus qu'à l'appliquer. Il s'appliqua pour se relever et lui tendre la main. Cette fois, il voulait l'aider à se relever fièrement, le jeu allait vraiment pouvoir débuter. Voyons voir ce que réservaient ces caisses. Certaines étaient éventrées en laissant voir un contenu varié composé d'algues, de filets, de coquillages... de rien d'exploitable en somme. Heureusement que son poignard était bien accroché, c'était bien peu de chose pour ouvrir des caisses de cette envergure, mais c'était bien suffisant pour faire sauter les clous de certaines.
" C'est quoi que tu voudrais trouver... moi ce qui te ferait plaisir... bien sûr..."
Ses pensées lui dictaient de lui montrer qu'il ne voulait que son bonheur, que son confort et en même temps il se disait que s'il n'y avait pas d'alcool dans ces cageots ce serait horrible. Un bon vieux rhum ... Enfin il leur fallait des matériaux pour leur abri, c'était une opération sérieuse. Très sérieuse....
Organiser un bivouac en pleine nature sauvage, équipée de pieds en tête d’outils et nourriture séchée, était bien différent d’un survivalisme à la dure, perdus au beau milieu de l’océan. Ils avaient pour autant une chance dans leur misère : ils étaient deux. A deux, tout paraissait plus facile et moins terrifiant. Autrement, à qui aurait-elle pu poser ses quarante mille questions dérangeantes… ?
Ils achevèrent péniblement les derniers mètres qui les séparaient encore des quelques caisses qui ceignaient la plage et Luz s’accroupit pour passer sa main sur le bois vermoulu. Celui-ci était imbibé d’eau et ne devrait guère être compliqué à briser avec un peu d’entrain. Ils y parvinrent laborieusement au bout de quelques minutes, le contenu se déversant bientôt à leurs pieds. Luz ne put pour sa part retenir une exclamation enjouée, se baissant immédiatement pour récupérer le tout et le brandir victorieusement sous les yeux de son partenaire d’aventure :
Elle rit, ravie de ce petit tour du destin en leur faveur. Ce n’était certes pas de l’eau fraiche et des denrées non périssables, mais voilà qui contenterait leur bonne humeur – celle-ci était aussi essentielle qu’un corps en bonne santé lorsqu’il s’agissait de survivre. Ils ramenèrent tour à tour les trois caisses concernées à l’endroit qu’ils déterminèrent comme leur futur maisonnée, puis passèrent à la seconde partie du plan. Luz le laissa s’afférer à la confection d’un abri – en tant qu’homme viril et puissamment bâti – pour vagabonder dans les environs à la recherche d’aliments connus et d’eau fraiche. Fort heureusement pour eux, elle perçut le ruissellement si caractéristique de l’eau et enjamba quelques buissons proéminents pour mieux tomber sur un étang naturel. Il s’achevait en un léger ruisseau qui disparaissait sous terre, et n’était pas d’une taille très conséquente. Elle pouvait en faire le tour en dix minutes à peine… Toutefois, c’était là de l’eau douce et donc une ressource inespérée pour eux ! Fière de sa trouvaille et détentrice d’une poignée de baies qu’elle savait inoffensives ainsi que de deux larges noix de coco, elle revint à leur campement improvisé.
Le soleil disparaissait à présent derrière l’horizon, inondant la plage de feux rougeoyants et d’une pointe de mordoré saisissante sur l’infini de l’océan. Un instant interdite devant ce spectacle, elle déposa ses trouvailles sur les larges feuilles préparées par Zoran et lui retourna un sourire :
Ils s’installèrent pour tâcher de déguster leur repas qui ma foi, avait toutes les saveurs d’un corps bien en vie après une catastrophe désastreuse. Elle ouvrit d’un coup de poignet habitué l’une des bouteilles de champagne et la tendit à son partenaire, tout en même temps qu’une boite de chocolat délicieusement ornée de motifs. Le soleil couchant se prenait dans le verre assombri de la bouteille et dessinait sur le sol autour d’eux des ombres dansantes.
Ils trinquèrent à cœur heureux et Luz s’accorda une première rasade salvatrice. Bien, allumer un feu à présent. Toute cette végétation tropicale n’avait pas été aisée à trier, mais quelques bois morts trônaient néanmoins sur le sol à l’orée de la plage… Elle s’était alors servie de la pointe métallique de ses flèches en forme de cœur pour y appliquer quelques étincelles électriques et provoquer un maigre départ de flammes. Le pauvre feu de bois était plus que pâlichon, mais il leur suffirait dans un premier temps pour manger et se dévisager longuement.
Présentement quelque peu ivre après leur déconvenue de la journée et la fatigue ambiante, Luz ne s’amusait que trop à prendre une pause théâtrale pour mieux taquiner le jeune homme d’une tirade à demi facétieuse :
Elle lui fit un clin d’œil goguenard et piocha à son tour dans la boite de chocolat.
Luz qu'il allait appeler Luzzie tant elle brillait par sa débrouillardise et son charme partit pour chercher des ressources pendant qu'il s'attela à ériger un nid douillet. Zoran entreprit de chercher quelques cailloux pointus pour faire une hache ou du moins un objet plus robuste pour tailler des branches. aiguisa la roche de son mieux avant de la fixer sur son axe. Ilos détenaient une hache tout à fait respectable pour entreprendre des travaux. Redressant les manches, Zoran se mit à s'en prendre aux troncs de palmier à la fois robustes et peu épais. Il alterna avec des branchages pour laisser le moins d'interstice possibles tout en resserrant avec des lianes trouvées en s'enfonçant un peu plus haut. Le temps manqué, la hutte ne serait pas haute mais confortable. Il n'en pouvait plus et s'allongea quelques temps contre le sable jusqu'à entendre la voix de Lux. C'était fou mais il devenait de plus en plus convaincu qu'ils étaient les seuls sur cette île et l'idée le ravissait. La nouvelle d'eau potable le ravit, le motiva aussi à finir le toit dont tous les éléments étaient à ses côtés. Le sol avait été aménagé avec des petits copeaux et des longues feuilles empilées les unes sur les autres. La hutte était finie, l'estomac était creux ; il était temps de rectifier le tir.
" Pense à te pencher quand tu entres dans notre chez nous... "
La petite taille de Zoran faisait aussi un avantage finalement même dans un nid pour écureuil, il aurait su faire son trou. Le soir tombait déjà, il n'y avait que du chocolat et du champagne, oh il n'était pas contre un repas succinct pourvu qu'il puisse boire, mais il réussit tout de même à sortir une branche finement taillée pour harponner deux poissons. Pour leur première nuit, c'était pas le niveau maximum, mais c'était un bon début. Même sa petite mise en scène lui donnait envie de continuer de surjouer. Dès qu'elle déboucha les bouteilles, il se mit à ses pieds et sortit sa belle bague toujours présente dans sa poche.
" Me ferez-vous cet honneur de la porter, milady ? "
Zoran se trouvait acrouppit, ne quittant pas des yeux la personne qui partageait sa nuit. Il lui prit doucement la main en la baisant doucement avant de mettre à... n'importe quel doigt cette bague. Qu'importe pourvu qu'elle lui aille et ce fut fort heureusement le cas. Il ne se voyait pas utiliser les outils trouvés dans cette caisse au risque de la briser. Le champagne moussait, l'humeur était au beau fixe. Elle avait en plus une manière ravissante d'allumer le feu. La lumière si faible soit-elle donnait à son visage des ombres des plus charmantes. Les poissons pêchés pourraient ainsi griller... lentement mais ils seraient déjà bien plus digestes. andis que l'odeur de poisson se faisait de plus en plus forte sur leur grill de fortune, Zoran se positionna tout près de cette source de chaleur et de Liz par la même occasion. Jamais encore il n'avait eu de cadre aussi parfait. Ils étaient là tous les deux juste à attendre leur repas côte à côte. Le fumer montait aux narines doucement, mais c'était bien ainsi. Ils avaient le temps de savourer ce coucher de soleil en buvant ce champagne salutaire.
" Ohhh je te vois si apprêtée à me dire une sérénade toi qui saurais enchanter même les oiseaux les plus aguerris. Ta voix est mélodique, inspirante, je t'ai attendu pour finir cette hutte. Elle te ressemble accueillante et agréable. Je me réjouis de ta présence à mes côtés en cette belle nuit"
Le théâtre était vraiment une bonne chose pour improviser, il surjouait aussi l'amant alangui même s'il ne serait pas vu solitaire sur cette île. Le destin pouvait être un sacré farceur.
" Juste trois mots... c'est là fort peu, on pourait dire bien davantage sur moi. Je suis un aventurier libre comme l'air, je suis comédien, j'adore le spectacle et ... ben je prends ce que je trouve pour survivre... mais chhuuuuut" fit elle en mettant ses doigts sur la bouche de Luz. Le champagne lui tournait la tête. Normalement, il avait une bonne descente, mais là il était capable de tout cracher sur lui, tout absolument tout. " Et toi alors je suis sûre que t'es .. archéologue ou je sais pas écrivaine... ou comme tiens, j'aime bien ton jeu" Zoran se colla contre son épaule en riant. Il pencha la tête en se disant que sa taille lui donnait toujours l'avantage d'une bonne assise. Il la fixa dans les yeux avant de dire. " T'es si pétillante que tu dois avoir plus d'une étoile dans les yeux... j'en vois au moins une dizaine, mais il doit en avoir bien plus... Le soir venu, il l'invita à le suivre dans cet abri un peu étriqué pour le moment, il révisera cela demain en y ajoutant un peu plus d'espace. Comme ils n'avaient pas de couverture, ils se tenaient chaud. Au matin, Zoran demanda à Luz si elle avait aperçu des arbres fruitiers ou une autre plante qui pourrait se cultiver pour périniser leurs installations. Comme elle était partie d'office en exploration, il devina que sans doute ces quelques leçons de survie n'étaient pas du bluff et ajouta que cette fois, il irait bien piquer une tête avec elle dans le point d'eau pour une soirée " identique à celle d'hier" ajouta-t-il. Il voulait varier les plaisirs. De son côté, il essaierait d'installer un lieu pour faire la cuisine un peu plus élaborer pour pouvoir couper des légumes et aussi une douche avec un collecteur d'eau... comment faire ce collecteur ? Aucune idée.
" Ma chère compagne de fortune, Lizzie, aurais-tu une idée pour faire un collecteur d'eau, ainsi nous l'aurions plus à disposition... Tu as une idée ?
Elle se leva, le corps endolori malgré les soins de la veille. Elle fut tentée de se laisser aller à une once de désespoir, n’ayant pour toute vision que le lointain océan à perte de vue. Reverrait-elle un jour la civilisation ? Que devenait Naëry ? Et Zahria ? Et Calixte ? Et… Elle se gifla intérieurement, jugeant que ce film nostalgique ne l’aiderait en rien dans la situation présente, mis à part zapper les quelques élans de folie qu’elle possédait encore. Ce fut la voix de son partenaire qui la tira de ses sombres élucubrations, et elle lui retourna tout d’abord un regard plutôt surpris. Comment pouvait-il être guilleret à l’idée d’agoniser à l’autre bout du monde, esseulé et sans possibilité de retours sur le véritable plancher des vaches ? Si son enthousiasme la surprit en premier lieu, un sourire vint bientôt à son tour ourler ses traits. Le jeune homme était contagieux et il était terriblement rassurant d’être aux côtés d’une telle personnalité. S’il n’avait aucune crainte et qu’il se conduisait comme s’il s’agissait de vacances, quelles raisons avait-elle de perdre la tête… ?
Elle s’ébroua pour se reprendre, les sourcils froncés sur une infinie volonté. Bon, procéder par ordre. Elle vint tapoter son menton de deux doigts songeurs, réfléchissant au problème qui lui avait été soumis.
Ils débattirent durant quelques instants, se prêtant bientôt à un jeu tout à fait drôle de mimiques d’architecte en pleine réflexion sur la conception d’un édifice digne du palais royal. Une fois leur forfait fait et leur estomac agrémenté de quelques menues denrées, Luz lui proposa de tenter une première excursion au travers de ce morceau de terre. Elle ne lui en fit guère part, mais elle espérait intérieurement se tromper sur la nature de cette plage… Peut-être qu’un village de pêcheurs se tenait à peine à quelques heures d’ici… ? Ils s’engagèrent ainsi dans une marche qui avait tous les airs d’une promenade guillerette. Sociable et toujours désireuse de connaître les personnes qui l’entouraient, Luz ne tarissait plus de questions à son sujet.
Elle lui offrit un charmant sourire en coin renarde et vint le tapoter gentiment du coude. Autour d’eux, la forêt progressait sans évoluer d’un chouïa. Toujours les mêmes arbres, toujours les mêmes plantes. Pour tromper son ennui, elle s’arrêta donc en face d’une flopée impressionnante de fleurs multicolores telles qu’elle n’en avait jamais vues et lui désigna du doigt :
Elle en préleva une dizaine d’un coup de poignet adroit et les porta à son odorat, bientôt ravie par la délicieuse odeur de vanille qui s’en dégageait. Elle fit alors volte-face, et, mimant une gracieuse révérence théâtrale, lui tendit son bouquet improvisé :
Malheureusement, leur joie et leurs taquineries furent de courte durée. Car bientôt les arbres laissèrent place à une armature de bois qu’ils ne connaissaient que trop bien… Moins d’une heure plus tard, leurs pas venaient de les ramener tout droit à leur campement de fortune. Une sacrée foutue petite île. Le juron que Luz ne manqua pas de sortir résonna quelques instants sur le ressac des vagues. Ses épaules s’affaissèrent sensiblement et elle tâcha de réfléchir tant que faire se peut à une sortie secrète à laquelle elle n’aurait guère pensé… Comment diable allaient-ils sauver leur peau ?!
Une nouvelle fois, ce fut son partenaire d’aventure qui la retint à l’aspect positif de la réalité en prenant sa main dans la sienne. Elle leva sur lui un regard interrogateur lorsqu’il réitéra sa proposition de baignade. Elle haussa les épaules et puis un joli sourire vint gagner ses lèvres.
Elle tira sa main, puis son bras à elle, et son corps désormais proche du sien, elle déposa un baiser sur sa joue en signe de remerciement et de chaleur humaine. Elle pivota alors sans mot dire, mutine et joueuse, et marcha sous le couvert des arbres pour atteindre le large empan d’eau qui ceignait l’île. Elle égrena ses vêtements sur le sol, ne freinant en rien sa progression, bientôt aussi dénudée qu’au premier jour sans en paraître le moins du monde gênée. L’absolu manque de pudeur était une seconde nature chez elle et une situation aussi catastrophique qu’un naufrage lui semblait une justification raisonnable pour savourer la chaleur du soleil et de l’eau sur sa peau nue ! La flasque d’eau était pure et saine, alimentée par une source souterraine ainsi que par les pluies qui ne devaient pas manquer de se produire. La température de l’eau était étonnement douce et elle y entra d’une simple détente dans un plongeon silencieux. Oh, la profondeur n’excédait pas deux mètres à un bout du bassin, mais cela suffisait pour se rafraîchir ! Rieuse et espiègle, elle chassa les gouttelettes d'eau prises dans sa longue chevelure de flamme et fit signe à Zoran de la rejoindre.
" Tu crois qu'on pourra faire une machine volante pour rentrer ? Je me sens d'humeur à tout construire avec toi... franchement regarde... tout ce que tu dis tient la route.. On fait une bonne équipe partenaire ! " fit-il en voulant claquer sa main contre la sienne.
Rien ne valait une bonne balade pour se changer les idées. Comme disait Luz, il y avait peut-être une petite peuplade dans le coin perdu. " Tu crois qu'on pourra leur chourer une petite pinte ? Le champagne me manque bien... " rit-il d'un air guilleret. Au lieu de se lamenter, il se répandait en joie de vivre. Au moins, ils étaient loin des leçons de natation qu'ils avaient eu précédemment. " Dis.. si je coule, tu me ranimeras toujours, hein... j'aime beaucoup les sauveteuses aux petits soins" Il voyait dans sa tête une scène épique où Luz courait vers lui au ralentis avec détermination pour le ramener à la vie et l'idée le ravissait. Il en souriait même béatement et ne s'en cachait pas. Il eut même à ce moment-ci ses mains qui tentèrent une approche autour de sa taille. " Ne tombe pas... la route n'est pas très droite, je saurai te rattraper au pire.. sinon oui tombe". Le jeune homme en faisait presque un jeu d'essayer de la pousser pour provoquer quelque chose. La jeune femme était trop pleine de vigueur pour tomber dans le panneau. C'était peine perdue. Dommage.
" Oh oui des aventures de toute sorte si tu savais.. on se sent vivant. J'ai été dans les bras d'hommes ou de femmes... Et je me sentais toujours plus vivant, c'est ça la vie ! Et toi alors je suis sûr que t'as dû en faire tomber des coeurs. T'es juste excellente, je t'aurais vue dans la rue, j'aurais tenté... et je t'aurais offert un... " Il finit par la retenir de tomber sans qu'il l'ait poussé. Peut-être avait-elle fait trop attention à ses paroles. " Je te fais .. Tourner la tête... " chanta t-il en sautant par dessus les buttes de terre.
" Pas du tout... " Zoran était intrigué par cette fleur complètement irisée, elle était magnifique. Il lui fit un petit regard en coin " Je vais l'appeler la Luziel, elle est aussi belle que tes yeux avec les douces couleurs de l'arc-en-ciel... mince je croyais que ça sonnait mieux dans ma tête.... " Le jeune homme se dit que il aurait pu trouver un meilleur surnom, lui qui était pourtant imbattable en la matière. Zoran prit une épine sur une fleur pour agrafer cette fleur sur lui, il lui présenta son nouvel ornement avec fierté. Sa fierté fut de courte durée... Ils étaient revenus à leur point de départ. Non seulement l'île était petite, mais ils étaient seuls échoués sur l'île. Zoran n'avait pas le caractère à se laisser abattre. Ils n'étaient pas enfermés sous terre, ils avaient construit leur petit abri et avaient commencé à organiser une vie. Elle lui dit en plus des mots qui firent battre son petit coeur. Malgré tout, malgré ses airs confiants, oui il était heureux que ce soit tombé sur quelqu'un tout comme lui qui ne se laissait pas faire. Sinon très clairement, il aurait laissé la personne se débrouiller. Sans remords. Il tenait sa main comme quelque chose de précieux. Sa main caressait la sienne. Son baiser sur sa joue laissait une chaleur agréable qu'il prolongea par un doux câlin. Zoran raffolait des embrassades, sans doute trop vu qu'il les avait multipliées...
" Tu es un vrai cadeau dans ma vie de Robinson. Tu t'imagines sinon avec qui on aurait parlé... même cette noix de coco nous aurait semblé humaine dans la pire des folies... A choisir on va la partager la folie.... " Son front s'était progressivement rapproché du sien, il se frottait doucement en lui caressant la joue. Arrivé non loin du point d'eau, il veilla à toujours garder pieds comme il n'avait aucune notion de natation. Avec cette chaleur c'était cependant si agréable. A la différence Luz semblait agile comme un vrai poisson. Zoran avança avec confiance vers elle, il n'allait pas se débiner devant elle. De toute façon, il n'y avait pas de vague ici, donc pas de raison de stresser le moins du monde.
" Oh ... tu m'intéresses... non mais on peut s'arranger" fit-il en la rejoignant. L'eau était parvenue jusqu'à la moitié de son torse." Qu'est ce qu'elle est bonne, on est pas bien ici. C'est mon paradis, tu es mon paradis" Ses yeux envoyaient tout un charme. Il savait que se baigner c'était être sûr d'avoir le ticket à la fin. Même s'il était petit, un gringalet, il savait tirer parti de d'autres atouts. Tout au long de leur baignade, il fit son baratineur en disant qu'il lui était arrivé de se battre devant des monstres puissants seuls, qu'il avait déjà éprouvé un grand public.... Soudain, il vit un crabe non loin de Luz " Lizzie !!! Fais gaffe" Zoran la poussa pour lui éviter d'être pincé, sauf qu'il en fut la première victime. Le crabe surpris ne le loupa pas. Le jeune aventurier sentit les larmes lui monter. Il se saisit du fautif qui voulut entreprendre de lui serrer la pince sans mauvais jeu de mots. Il le balança sur la berge puis monta vite sur le rivage pour le bloquer. Que faisait ainsi ce crabe aussi éloigné de la plage ? De tout façon, il finirait cuit ce soir. Alors qu'il voulait se vanter d'avoir terrassé ce monstre pour sa princesse, quelque chose le rappela à l'ordre son pied. Il fit le cri le moins viril au monde, il chouina en se pliant en deux. " T'es pas médecin ou un truc .. comme ça... ma sauveteuse... à l'aideee ça fait mal... ah le batard... " C'était comme si son pied s'était réveillé après cette victoire. Tout le long, il s'était motivé d'éviter que Luz soit blessée et ensuite du diner qui suivrait.. la douleur avait suivi.
" ... Je meurs" compléta t-il en se couchant sur le côté... Autant en faire des caisses, ça la ferait rire car à présent il avait un peu honte.
C’est qu’elle avait très précisément conservé en mémoire les planches de bois qui dépassaient encore du sable à plusieurs empans de leur campement de fortune. D’autres caisses s’étaient échouées durant la nuit, rapidement suivies par des restes de navire. Elle sortit donc de l’eau d’un souple mouvement et s’attacha de longue minute à s’essorer joyeusement juste au-dessus de lui, riant de ses protestations faussement catastrophées tandis qu’elle l’arrosait d’une longue torsion de ses cheveux. Ils se chamaillèrent ainsi durant près d’une heure sous la douce caresse du soleil, à l’abri de sa morsure sous le couvert des arbres. Elle prit le soin durant ce laps de temps de brosser tant bien que mal leurs vêtements dans l’eau douce, tâchant de rendre un semblant de fraicheur à leurs maigres frusques. Si leur séjour devait s’éternisait, vivraient-ils bientôt aussi nus que des vers sur cette île… ? Etait-il d’improviser des vêtements aussi aisément avec pour seul matériau des feuilles et des branches ? Elle regretta de n’être que médecin, et non styliste ou mercenaire… Peut-être aurait-elle eu l’heur de connaître une ou deux techniques de survie utiles.
Ils regagnèrent ainsi leur campement rasséréné et séché, aussi propre que des rois pourraient l’être sans civilisation au bout du monde. Le reste de l’après-midi fut dédié à des travaux supplémentaires visant à faire progresser leur maisonnée au statut d’hôtel particulier : Zoran semblait se montrer particulièrement compétent et inventif en la matière. Voilà qu’il avait même improvisé une décoration fine et subtile, agrémentant la toiture de végétation florissante ! Elle ne manqua guère de se moquer gentiment de ses talents, pressée de bénéficier bientôt d’une salle d’eau entièrement équipée. Après tout, s’il était capable de ces miracles…
Ils s’endormirent dans la fraicheur de la nuit, collés l’un à l’autre. Zoran avait le mérite d’être plus confortable que le sol, et sa proximité lui procurait une chaleur indéniable. Quelle étrange histoire au demeurant… Elle qui n’avait guère peur de mourir, se souciait d’être oubliée et de s’étioler par-delà le monde. Au cœur de l’obscurité, écoutant la respiration ample et profonde de son compagnon contre elle, Luz prit la résolution de les sortir de cet enfer. Oh, cet enfer comportait ces avantages. Néanmoins, ceux-ci ne dureraient pas… Comment survivraient-ils sur un aussi maigre espace, pour se nourrir, vieillir, survivre ? Et si le climat virait à la tempête, au déluge, qu’un animal marin décidait de venir s’en prendre à eux ? Si l’eau douce se tarissait ? Bref, aucune de leurs sécurités présentes n’étaient assurées de durer, quand bien même Zoran s’exhortait à faire passer cela pour de merveilleuses vacances. Et Luz, peut-être plus âgée, ne pouvait ignorer le rabâchage permanent de son esprit logique. Si Zoran était l’inventivité, elle était logistique…
D’un coup de poignet habile, Luz traça un sillon sur la pierre. Dix-sept jours, à présent. Le champagne s’était épuisé depuis bien longtemps déjà, hormis une unique et dernière bouteille que Luz avait insisté pour préserver… Elle le taquinait sans cesse, Nous la boirons quand nous serons rentrés à la Capitale, lui disait-elle. Fêter ainsi leur victoire sur la vie. Elle s’étira comme un chat dans la pâleur du jour, baillant à s’en décrocher la mâchoire, un maigre empan de tissu sur les hanches et la poitrine. C’était plus pratique et hygiénique de cette manière, et la puissance psychologique de ce rebu de civilisation lui permettait de tenir. Elle vérifia l’installation en noix de coco que constituait à présent leur récupérateur d’eau, ravie qu’une pluie fine ait rempli leurs réserves durant la nuit. Zoran s’affairait déjà à dorer à feu doux deux poissons soigneusement pêchés, une vraie réussie pour la journée. Par Lucy, que ce garçon était débrouillard… Lui n’avait rien perdu de sa superbe !
Elle le contourna, passant sur son chemin sa main dans ses cheveux, s’amusant à débroussailler sa tignasse en guise de salutations matinales.
Elle lui fit un clin d’œil, volontairement sibylline et tendancieuse. Honnêtement, leurs petits jeux participaient pour beaucoup à sa bonne santé mentale… Ils avaient l’insigne honneur d’être dans un état de propreté aussi désastreux l’un que l’autre, quoi de mieux pour partager quelques embrassades ?
Il la rejoignit très bientôt à leur place rituelle. Un long morceau de plage de sable blanc et cristallin sous les pieds. Et l’étendue de l’océan pour toute visibilité. Quelques jours après leur naufrage, Zoran avait commencé à retrouver des bouts de tissus, probablement le reste d’une voile. La majeure partie de celle-ci s’était échouée sur leur plage trois jours après cette première découverte, d’un beau rouge rongé par le sel. Ils avaient passé du temps à la faire sécher, puis à l’étendre droite et vive sur deux troncons de bois verticaux. Luz avait jugé judicieux d’agrémenter ce premier édifice par une multitude de petits autres – là étaient passés tous les bouts de tissus qu’ils avaient été en mesure de trouver. Hormis peut-être une couverture spongieuse qu’ils avaient merveilleusement recyclée pour leur confort personnel !
Luz recula et porta un regard oblique sur leur œuvre d’art. Le tout était coloré et devait être visible de loin du fait des nuances hétéroclites. Cela manquait toutefois de mouvements… Aussi Zoran avait-il très vite proposé de faire la démonstration de ses étonnantes capacités. Luz tenait un bout du plus grand morceau de voile tandis qu’il y projetait des rafales de vent successives. Le tissu montait alors haut dans le ciel, claquant rapidement en mouvements secs et vifs.
Ce jour-là, ce dix-septième jour après le désastre, Luz eut à peine le temps de poser un pied en avant. Son œil accrocha une ombre étrange au ras de l’eau, troublée par la courbe fumeuse de l’horizon. Elle sursauta, vint attraper le bras de Zoran pour attirer son attention, l’aider à vérifier qu’il ne s’agissait guère d’une illusion. Car un navire passait dans ces eaux, à des kilomètres d’eux. Paisible et indifférent à leur sort. Un point noir sans détail dans cette vaste mare d’huile.
Ils s’agitèrent soudainement comme jamais jusqu’alors. Coururent d’un bout à l’autre de la plage pour détacher leur œuvre, jeter haut, très haut, leurs morceaux de couleurs en hurlant à plein poumon. Oubliant toute décence humaine, Luz se sentit les ailes d’improviser tout un florilège de spectaculaires gesticulations….
Le Capitaine de ce navire riait présentement d’une blague connue de lui seul. Il semblait trouver tout à fait drôle d’avoir récupéré les deux hurluberlus à moitié nus qui erraient désormais sur son bateau comme des âmes en peine.
Luz se retint de lui mettre son poing au visage. Cela n’aurait pas été très respectueux envers leur sauveur. Hé, tant que ce foutu navire ne coulait pas à son tour, il pouvait bien se permettre toutes les blagues douteuses qu’il voulait… Elle lui retourna donc un charmant sourire, une tasse chaude et fumante entre les mains. Ce rafiot n’était pas de tout confort, équipé pour affronter les rudesses de l’océan et la pêche – sous leurs corps abimés, la banquette de leurs cabines leur paraissait posséder tous les atours d’une grande suite royale.
Elle lui pinça doucement la joue, en réalité une pointe de légère tristesse infiltrée dans son euphorie latente. Voilà qui témoignait de la fin du voyage. Un retour à leurs vies respectives, et à ce quotidien au sein duquel ils ne se seraient probablement jamais rencontrés.
Plus tard cette nuit-là, bien avant que leur navire ne parvienne à les ramener sur le continent, Luz se glissa dans la couchette de Zoran. Le deuil d’une belle amitié et d’un étrange moment partagé, méritait bien la proximité de sa peau sur la sienne…