"C'est à vous d'être sûr Monsieur Al Rakija, pas à nous."
"Vous me semblez bien confiants." sorti t-il du tac au tac avec le sourire aux lèvres.
"Je vous retourne le compliment."
Un temps. Silence.
Yuduar tend la main et attrape le papier qui se tient devant lui, précédemment posé sur la table par les hommes qui lui font face. Encore un boulot de merde au menu mais sacrément bien payé. Le tout en dehors de la juridiction de la Guilde donc il aurait carte blanche pour opérer à sa manière du début jusqu'à la fin sans qu'un éxaminateur vienne lui rabattre les oreilles avec l'art et la manière de faire les choses. Ces mecs peuvent pas piffrer l'inventivité de toute manière.
"Donc si je résume j'ai juste à l'emmener faire un tour en forêt?"
"Exactement, une simple balade."
"Ouis clairement "une simple balade" on peut dire ça comme ça."
"Le reste dépendra de vous."
"Le paiement aussi"
"Cela vas de soit j'imagine." sourit Yuduar une fois de plus.
Par Lucy que ces gars étaient pas loquaces en plus d'êtres cryptiques au possible. Eux aussi avaient bien l'air d'avoir le mauvais manche coincé au bon endroit. A coup sûr qu'ils se seraient entendus a merveille avec les huiles de la Guilde si leurs méthodes n'étaient pas si drastiquement opposées. *Dans quoi je me fourre moi encore* pensa t-il en lâchant un soupir tout en relisant une énième fois ce qu'on attendait de lui. Le boulot était simple en apparence: il avais juste à accompagner un petit gros avide de faire le mariole en forêt et de s'assurer que la faune locale en fasse son quatre heure. De là le reste serait soit-disant "nettoyé de tout soupçons" pour citer les gadjo qui se tenaient devant lui. Juste à revenir à la Capitale, pointer en amenant la preuve via cadre magique et le tour est dans le sac. Une belle bourse de cristaux à l'arrivée, de quoi suffire à couvrir ses besoins pour un moment. Qui plus est avec Aloun enceinte jusqu'aux yeux.
Faisant basculer sa chaise sur deux pieds, l'Aventurier pris une dernière inspiration et ramena les quatre fers de sa chaise sur le plancher des vaches. Décidé, il attrapa le papier et se releva pour finalement le froisser et le jeter dans l'âtre de la cheminée a côté d'eux.
"Demain à l'aube, porte Nord, j'y serais."
Sans répondre ils ne firent que sourire à la validation du contrat. Puis l'un d'eux joignit ses mains devant lui pour annoncer leur départ en terminant sur une phrase toujours aussi mystérieuse.
"Notre garantie vous attendra sur place. Pour le plus grand bien."
Ce que ça voulait dire? En vrai ça lui en touchait une sans lui faire bouger l'autre, qu'ils gèrent leur business comme ils l'entendent tant que lui se faisait pas doubler ou un autre plan à la con du même genre. Peut-être une sorte de mouchard à la mord moi le noeud ou un truc comme ça.
Sortant de la taverne d'où ils venaient de se rencontrer, Yuduar se laissa déambuler un instant, pensif, dans les rues de la Capitale. Il devait retrouver Kosei et Ahmon pour se jeter une paire de chope mais à l'instant présent il n'avait pas la tête à ça.
Le lendemain matin.
Arrivé avec de l'avance, Yuduar attendait patiemment assis sur une caisse de marchandise prêt de la Porte Nord. L'aube était douce et les premiers rayons du soleil avaient déjà bien caressés les pierres des hautes murailles de la Capitale pour réchauffer la ville. Les Gardes commençaient à passer en de multiples patrouilles, échangeant leurs emploi du temps pour les rondes de surveillance des environs. Une belle bande de branleur que voila, l'air hagard et le pif encore rouge de la veille, pas étonnant que des nobliauds avec trois grains de cervelles réussissent à doubler un pareil ramassis de traine-savate. Rigolant dans sa barbe courte des invectives qu'il lançait courageusement depuis ses pensées, il quitta sa position assise pour jeter un oeil autour de lui.
Sa cible ne devrait pas tarder à se pointer. Quant à la garantie donc les gars d'hier soir parlaient, toujours rien là-dessus. A moins qu'il se soit fait hameçonner les miches pendant la nuit sans qu'il s'en rende compte, ce qui serait pas improbable vue qu'il est rentré rond comme une queue de pelle après une soirée bien arrosée. Enfin bref. Encore un peu de patience et une fois que le grassouillet serais là il manquera plus que de passer le pied à l'étrier pour filer vers la Grande Forêt. La suite est d'avance cousue de fil blanc. Allé, retour, banco. Simple et efficace.
Les ressources humaines, finalement, ça fait bien partie des trucs les plus rigolos. Après tout, mes congénères sont passionnants, et j’pense être pas trop mauvais juge de caractères. Il est encore tôt, mais il fait bon, le ciel est bleu, les oiseaux chantent… Une journée parfaite pour aller faire un tour dans la Grande Forêt. Et une belle journée pour mourir, j’suppose, encore que le gars le sait pas encore. A moins que le turbin soit salopé, évidemment, mais ça m’étonnerait.
C’est que les autres aussi sont plutôt bons juges.
Quand j’arrive, mon nouveau collègue est déjà là. Jeune, j’dirais la vingtaine bien avancée, plus vieux que moi, quoi. Mais aventurier, lui, là où j’suis examinateur. Il observe les alentours, en attendant que sa cible arrive, et son chaperon, rôle que j’vais remplir glorieusement. Le p’tit gros est pas encore arrivé, mais il devrait pas tarder, encore qu’il fait preuve du retard propre à son rang. Arriver en avance, voire à l’heure, c’est bien un truc de plébéien, pas vrai ?
« Salut, Yuduar. J’suis Vrenn, examinateur de la Guilde. C’est tous les deux qu’on accompagne Eylohr Tardeev en forêt. Enchanté. »
Pas besoin d’expliquer que c’est moi, la garantie. Faut dire, c’est un p’tit groupe qui fonctionne bien, y’a pas mal de demande, dans le métier. Et j’profite de mes connaissances d’examinateurs, à regarder les dossiers de tous les aventuriers, pour trouver des prospects intéressants. L’avantage pour moi, c’est bien que j’risque pas grand-chose, d’ici à ce qu’il se souvienne… Et puis, qui mieux qu’un examinateur pour s’assurer que le dossier attirera pas l’attention, voire passe tranquillement au-delà de tout soupçon ?
Ouais, c’est une p’tite organisation qui fonctionne bien, y’a pas à dire. On est contacté pour régler des problèmes, arranger des accidents ou s’assurer que l’accident se déroule comme prévu, puis on retourne à la Guilde. Ça fait baisser les ratios de succès, mais on peut pas non plus s’attendre à être à cent pour cent, pas vrai ? Nan, c’est humainement pas possible.
Et on reçoit une belle bourse de cristaux pour prix de notre effort, que ce soit dans la paperasse ou sur le terrain.
Al Rakija est un bon élément. C’est un aventurier efficace, donc ça sera pas suspect, s’il se rate. A côté de ça, il est sur la pente descendante en terme de vie. Une femme, des enfants, et surtout beaucoup de dépenses. Au point de pas suivre le rythme avec ses missions, ce qui est drôlement dommage. Donc lui proposer un moyen de se remplir les fouilles sans faire grand-chose ? Facile. Facile, tentant, tenté. Mais ça, j’m’en assurerai. Au pire, j’interviendrai, dans n’importe quel sens nécessaire.
Eylohr arrive enfin. Comme annoncé par les commanditaires, c’est un p’tit gros, noble et bien sapé, richement fringué, même. Il s’est pomponné pour être beau sur les cadres magiques qu’il va envoyer à sa femme, celle que ses parents vont lui présenter quand il sera devant l’autel, histoire de toucher la dot, le domaine, tout ça. J’espère pour lui qu’elle est bien moche, pasque sinon, elle va être déçue par ce qu’elle aura tiré à la loterie de la vie. Surtout quand il faudra consommer, là, ça sera encore pire.
Il a beau être pas bien grand, il parvient quand même à nous regarder de haut, avec le nez levé et les yeux baissés. Il doit voir que dalle, mais ça lui suffit.
« C’est vous, l’escorte fournie par la Guilde ? Bon, arrangez-vous pour ne pas me traîner dans les pattes, contentez-vous de vous assurer du bien-être de ma personne. »
Putain, un cliché sur pattes, antipathique en prime.
« Bien sûr, monsieur, nous ferons tout notre possible pour qu’il ne vous arrive bien.
- Au prix où je vous paye, j’espère bien. »
J’ai toute la facturation de la quête en tête, et il nous paye une misère. C’est même pas la Guilde qui prélève son dû, la mission est vraiment juste mal payée de base. Mais bon, c’est rapide, pas très dangereux… Tu m’étonnes qu’on soit obligé de faire des à-côtés pour vivre. Pas vrai, Al Rakija ? Va être temps de mériter ton salaire.
« Allez, en selle. »
Ouais, j’me doutais bien qu’on irait pas à pinces. J’monte sur le cheval avec un grognement de haine, et il tourne la tête pour essayer de me mordre. Enculé. Ce sera ton nom, maintenant, pendant cette difficile période qu’on passera ensemble. J’vais avoir mal au cul pendant trois jours encore. Ça sera horrible, sur ma chaise d’examinateur. Vais p’tet demander à repartir en balade, pour éviter ça…
L'attente terminée, Yuduar voit enfin ses partenaires du jour pointer le bout de leur nez. Un examinateur de la Guilde? Ici et maintenant? C'est quoi ce merdier au juste. Sa tête lui disait vaguement quelque chose mais impossible de coller le doigt dessus. Peut-être le genre de mec qu'il a croisé dans un couloir un jour où lors d'une soirée beuverie un peu trop arrosée, allez savoir. Une tête de monsieur tout-le-monde, sapé comme un marchand qui fait du porte à porte, le genre de silhouette qui sort pas du lot. Un air blasé sur le visage, le regard lourd de sens, à coup sûr que c'est lui la garantie dont les péteux de la veille avaient fait mention. Un examinateur dans ce genre de contrat, pas étonnant qu'ils se sentent couverts sans avoir même à avoir a y penser.
Gardant un air perplexe sur le visage, Yuduar salua simplement en silence, après s'être présenté en bonne et due forme, sans avoir à oraliser des choses qui de toute manières devaient rester secrètes. Puis après une attente supplémentaire passée dans le silence des plus complets, le "client" débarque enfin. Fidèle à la description, petit, grassouillet, une tête à claque vêtue de soie de pied en cape. Avec une petite voix de trou du cul un peu nasillarde et un air éternellement supérieur pour couronner le tout. Si l'aventurier aurait pus avoir des remords quant à ses activités a venir, la cible avait de quoi balayer toutes formes d'humanités pour arriver à la conclusion que quelque part il allait surement rendre service à la nation.
Vrenn et Eylohr échanges quelques commodités, pendant ce temps là Yuduar passe le pied à l'étrier en tâchant de retrouver son sourire communicatif et détendu de nature. Devant les réponses aussi acerbes que désagréable de la part du Noble, les deux membres de la Guilde ne purent s'empêcher d'échanger un regard des plus entendus. Entre levé de sourcil et soupir non-dissimulé, tout le monde était visiblement d'accord pour qualifier le nobliaud de véritable tête de con.
"Je vous laisse mener Monsieur Tardeev." invita Yuduar d'un geste de la main pour que le Noble prenne le devant de leur formation.
"J'en attendais pas moins. Suivez moi, allez du nerf."
Comment un mec pouvait-il être aussi suffisant sans se rendre compte d'être en réalité l'une des pires baltringues de la Capitale avec juste une cuillère en argent dans le bec? Les mystères de la noblesse probablement. Mais lui a coup sûr que vue le gratin de connerie qu'il a dans le crâne, il doit être né de l'alliance entre son père et sa mère qui doit être aussi sa cousine et sa tante. Ou un truc du genre. Yuduar rigola dans sa barbe, leva les yeux au ciel et emboita le pas au noble qui avançait en tête avec toute la fierté du monde sur ses rondouillardes épaules.
Ils n'avaient pas bien long à parcourir avant d'arriver à bon port pour dire vrai. Peut-être une heure ou deux de canasson suite de quoi ils passeraient à pied pour démarrer cette petite "partie de chasse". Pour la suite... Il en ferait son affaire. Se retournant vers Vrenn, il lui adressa un sourire franc en espérant recevoir un peu de chaleur de sa part en retour. Il ne s'attendait pas à le voir lui donner un coup de main en particulier si ce n'est celui de rester là pour s'assurer que le travail est bien fait. Mais bon, quitte à se salir les pognes autant le faire dans la meilleure ambiance possible. Certains trouveraient ça sordide vu le programme mais Yuduar à toujours été du genre à voir la vie du meilleur côté possible. C'est d'ailleurs en sifflotant un air léger de rengaine de taverne qu'il avançait calmement dans le sillon de sieur Tardeev.
"Examinateur donc?" lâcha t-il en alignant le trot de sa monture sur celle de Vrenn "Je pensais pas mériter de telles attentions pour une simple escorte en journée de chasse, ahah!" devant eux, Eylohr tiqua et pesta en entendant le rire de l'aventurier "Vous allez nous aider à chasser le gibier vous aussi ou juste vérifier que nos techniques sont les bonnes afin de fournir le meilleur rapport?"
La question était ouvertement à double-sens, tout comme sa précédente boutade à vrai dire. Mais con comme il était, Tardeev allait être à des années de faire un possible lien entre le véritable objectif de la journée et le théâtre qu'était cette sortie en forêt. Sans compter que le ton léger et innocent de Yuduar ne laissait rien deviner de plus grave que prévu.
Ils allaient avoir encore un petit moment à cheval avant d'arriver donc autant utiliser ce temps à meilleur escient pour éclaircir d'avance quelques points obscurs si possible. En espérant que Vrenn se montrera un peu moins cryptique que les clients de l'ombre rencontrés hier soir.
La journée commençait bien : une mission un peu bateau avec un détail carrément amusant, la joie d’assister à la mort d’un p’tit merdeux puis le plaisir de trafiquer des preuves histoire de donner l’impression que tout ça n’était qu’un banal accident de chasse comme il s’en produit tant, puis rentrer chez soi avec le sentiment du devoir accompli et une bourse de cristaux, le tout sous un temps superbe.
Tout aurait été parfait si on n’avait pas dû faire une balade à cheval, finalement.
Enfin, ça fait partie du, des métiers. Donc j’prends mon mal en patience. Le mieux, pour faire passer la pilule, ou le suppositoire dans ce cas, c’est de discuter tranquillement. Et il se trouve que, conformément aux informations dont j’disposais déjà, Yuduar Al-Rakija est un joyeux luron bien prêt à s’amuser quand il peut. S’il pouvait être professionnel et muet comme une tombe en dehors du turbin ça serait parfait pour mes petits camarades et mes fins de mois.
« Ouais, Examinateur. Juste aventurier, toi, non ? M’semble avoir eu ton dossier entre les pattes y’a pas longtemps. »
Typiquement, quand je cherchais des gens à recruter pour notre petit arrangement, par exemple. Mais d’autres rapports de mission, aussi. C’était clairement pas les mieux écrits que j’aie pu voir, cela dit, mais du coup ils se distinguent pas de la merde que les aventuriers nous tartinent habituellement sur des bouts de parchemins moisis qu’ont, la plupart du temps, pris la flotte ou les entrailles. Ils rédigent comme des sagouins avec une écriture immonde et des fautes partout. Et après on s’étonne que Gégé soit déjà alcoolique à son âge, franchement…
J’suppose que c’est une façon de détourner l’attention du fond, en la mettant sur la forme. Manque de bol, ça a plutôt l’effet inverse.
Eylohr se tourne vers nous à cause du rire un brin expansif de Yuduar.
« Oui, un Examinateur, pour s’assurer que tout se passe dans les meilleures conditions pour… Monsieur Tardeev.
- Et j’espère bien que le service sera à la hauteur.
- Je n’en doute pas une seule seconde, que j’réponds avec un regard en coin vers mon voisin. »
Sa question a un double-sens assez drôle. J’sais pas si c’était voulu, mais j’vais rentrer dans le jeu, pasque y’a pas de raison. Puis ça fait de quoi cogiter en attendant de bazarder les mules histoire de se déplacer comme des humains normaux, à savoir à pattes.
« Oh, nan, j’vais pas intervenir, sauf en cas d’extrême urgence. Si un danger que… quelque chose se passe mal, par exemple. Mais effectivement, l’idée était davantage d’être en retrait pour fournir aux autorités compétentes le rapport le plus circonstancié et détaillé possible sur tout ce qui aurait pu se passer. »
Ouais, si Eylohr en venait par le plus grand des hasards à s’en sortir, j’serai là pour lui faire un croche-patte au moment fatidique. Ça serait pas bien bon pour le recrutement d’Al-Rakija, faut pas se mentir, sauf circonstances particulières. Le but, c’est d’être certain qu’il est capable de faire le boulot qu’on lui file, net et sans bavure, et j’viens non seulement pour vérifier ça, mais aussi pour être sûr qu’un examinateur moyen qui viendra touiller la merde fera pas remonter à la surface des trucs douteux qui nous mettraient en péril.
« On peut se tutoyer, hein. On fait tous les deux partie de la même grande institution de notre royaume qu’est la Guilde, tout ça, tout ça. Puis j’vouvoie déjà les chefs, alors c’est bon, hein. »
On arrive enfin dans une clairière à partir de laquelle le terrain sera bien moins défriché. On descend de cheval, et j’en profite pour me faire craquer le dos d’un bon étirement. Pendant ce temps, Tardeev sort de ses sacs de selle une énorme arbalète, le genre dernier cri, soigneusement polie, huilée, et pour pas dire quasi-neuve. J’suppose que c’est pour tester son engin qu’il a fait appel à la Guilde, en prime. Et ramener un cadeau à sa bourgeoise, se faire mousser, et plus si elle est d’humeur. Sinon, y’aura bien une domestique qui passera dans le coin au bon moment.
« Allons-y, ordonne le noble. »
‘Sûr. J’suis pas pisteur, ni forestier, mais si on va dans une direction au pif, on va p’tet bien tomber sur quelque chose, on sait jamais. Puis on n’a pas tant besoin de croiser quelque chose que de s’assurer que Tardeev croisera plus jamais rien que les vers, six pieds sous terre. J’me demande comment Al-Rakija compte gérer le bouzin, c’est son boulot, ce coup-ci.
Il est marrant ce mec pour un examinateur, pas le genre de rabat-joie que Yuduar avait eu l'habitude de côtoyer par le passé. Bon après le boulot n'est pas non plus du même acabit que les annonces qu'il prenait normalement sur le tableau de la Guilde, ceci devait expliquer cela. Enfin sa tête semblait lui dire quelque chose mais une fois de plus impossible de remettre le doigts sur le souvenir précis et pourtant c'est pas la mémoire qui lui manquait en temps normal. Bah, pas besoin de se monter la tête avec ça de toute manière, au pire il lui posera la question à un moment ou un autre.
Mais dans l'immédiat, face aux réponses du brun, Yuduar n'en fit qu'agrandir son sourire déjà présent, ayant remarqué que le col-blanc se prêtait volontiers au jeu des facettes qu'il avait amorcé avec ses questions. Marrant, un brin blasé et pas con de surcroit, sommes toutes le profil parfait pour faire l'inspecteur des travaux finis pour les richots qui l'avaient démarché.
La chevauchée dura encore une bonne poignée de minutes durant lesquelles le noble escorté ne manqua pas de se rappeler à leurs mauvais souvenirs à plus d'une occasion. Dès que Yuduar était trop léger, trop riard ou globalement trop bruyant, Eylohr tiquait immédiatement non sans rajouter une petite pique de sa voix criarde de porcin né avec une cuillère d'argent dans le bec. L'aventurier n'était pas du genre à souhaiter du mal des gens mais lui il méritait un bon coup de pompe dans les miches. Enfin, dans le fond il allait subir une bien pire journée que ça même si pour le moment il n'était que le dindon de la farce de toute cette mascarade.
"Alors? On a quoi au menu Monsieur Tardeev?" questionna Yuduar en posant pied à terre pour ensuite s'armer des rennes de sa monture en vue de les attacher autour d'un tronc "J'imagine qu'on est pas là juste pour tirer trois moineaux et deux belettes non?"
"Vous vous moquez de moi?" rétorqua le petit gros en s'arrêtant de lustrer son arbalète pour mieux toiser le barbu.
"Ah mais pas du tout!" se défendit immédiatement l'aventurier "Je sais pas si vous avez déjà un plan ou si vous voulez que je vous guide ou quoi moi!"
"Tss, ces incapables de la Guilde, ils m'ont envoyés un bleu en plus."
A deux doigts de riposter par le premier nom d'oiseau à portée de lèvres, Yuduar se ravisa à la dernière seconde en croisant le regard de Vrenn qui s'était aussi posé sur lui. Mieux valait ne pas faire de vague, ravaler sa salive -et son égo- pour le moment et attendre le moment propice pour enfin pousser un soupire de soulagement. Autant dire pleins d'activités qui n'étaient pas dans ses moeurs habituels.
"Excusez moi, j'ai possiblement survolé l'ordre de mission Monsieur Tardeev." confessa t-il tout en attachant fermement son cheval "Quelle sera votre cible du jour?" poli, souriant, c'est limite si il ne s'était pas un tantinet incliné en posant la question pour marquer son respect.
"Un Coeurl!"
Souriant, fier de lui, torse bombé, le noble venait d'annonce ça comme si il ne s'agissait que d'un simple menu fretin. Yuduar en resta les yeux comme deux soucoupes, interdit par une telle démonstration de connerie lâchée comme ça sans l'ombre d'un doute. Profitant du fait que le Tardeev lui tournait le dos, il regarda Vrenn et pointa un index sur sa tempe pour le faire tourner en rond, signe universel d'un gars qui n'as absolument rien d'actif dans le ciboulot. Un coeurl? Lui? Avec sa machine à manivelle qu'il vas mettre des plombes à recharger? Mais ce débile lui mâche le boulot à ce stade, c'est pas possible.
"Un coeurl donc? Très bien, très bien, bien bien bien..."
"Qu'est-ce qu'il y à encore cette fois? Vous avez peur?!"
"Non non, pas du tout! J'étais entrain d'me demander quel serait le meilleur coin pour mettre la mai sur l'un d'eux." en vrai il avait plus qu'envie de lui dire que la cible était à la fois trop dangereuse et lui mal préparé pour s'attenter à pareille chasse. Son instinct d'aventurier, son grand coeur un peu trop bon et surtout trop con, tout le poussait dans ce sens là. Mais dans le cadre de la journée a venir, l'objectif était une véritable aubaine "Il y a un plateau rocailleux pas loin d'ici, si on remonte nord-est pas loin de la bordure de la forêt. En laissant les chevaux là et en gardant profil bas y'a ptét moyen de s'approcher pour un bon angle sans risquer de leur mettre la puce à l'oreille."
"Vous êtes sûrs de vous Monsieur l'Aventurier?" toujours aussi détestable, pédant et répondu au tac au tac.
"C'est pas une science exacte, 'fin vous devez le savoir vu que vous êtes chasseur vous-même hein. Mais c'est un bon terrain de chasse, éloigné des routes principales, vue pas trop mal dégagée donc parfait pour votre arme..."
Il arrêta net ses explications, laissant le tout en suspend comme si il venait de se perdre dans ses pensées. Intérieurement, il se mordit la joue pour arrêter de prodiguer de trop bons conseils. Mais quel abruti finit il faisait, par Lucy! L'objectif était de faire foirer la chasse, pas de l'installer pour être sûr que tout allait bien se dérouler! Fermant les yeux l'espace de quelques secondes, Yuduar soupira discrètement pour se reconcentrer. Tout cela était contre-naturel pour lui et il devait perpétuellement se rappeler les véritables attentes de cette mission.
"Ouais voila hein, un bon coin, en gros, comme j'disais." conclu t-il en tâchant de sourire a nouveau pour se redonner contenance. Il ne voulait pas que Vrenn commence à douter et que sa prime s'envole aussi rapidement, son besoin de cristaux était trop grand pour s'asseoir sur de l'argent aussi facile "Hmhm, et bien si vous êtes prêts je vous propose de me suivre, promis ce sera pas trop long ahah!"
Rien de mieux que de se marrer un peu pour détendre l'atmosphère. Il ne savait vraiment pas sur quel pied danser actuellement. Machinalement il vérifia l'attache de ses deux fourreaux, celle de sa longue épée courbe et l'autre plus modeste de sa dague longue; épaula son sac de voyage et toucha le bandeau sur son front comme pour se donner un peu plus du courage. Tout allait bien se passer, Tardeev allait canner, Vrenn pourra en attester et les cristaux seront versés. Rien de mieux qu'un plan qui se passe sans accrocs.
Al-Rakija a déjà l’air d’avoir une idée d’où aller. J’sais pas ce qu’il nous a prévu ensuite, si y’a vraiment un coeurl à aller buter pour cette saloperie de nobliau avec son arbalète dernier cri dont il sait probablement pas tellement se servir, mais j’espère que oui, et pas une saloperie plus dangereuse qui risque de nous foutre dedans. Mais vu son long discours sur l’avantage du plateau rocheau pour notre copain Eylohr, en tout cas, il a un peu préparé le bouzin. Faudrait juste qu’il arrête de vendre le truc, par contre, pasque si faut y aller au schlass, ça sera pas joli-joli.
Quelques heures à pied à se taper. Ça tombe bien, j’en avais déjà marre, de ma carne, et c’est avec soulagement que j’la laisse attachée à un arbre. Elle essaie quand même de me mordre, la salope. Mais j’l’avais vu venir, les animaux sont tous les mêmes avec moi. J’avais déjà éloigné ma main quand j’avais vu l’éclat vicieux de son regard, la haine qui s’y lisait aussi clairement que dans un livre ouvert.
J’lui flanque une tape sur la joue. J’me suis pas retenu, mais vu la taille des canassons, ça leur fait rien, de toute façon… Puis faudra remonter dessus tout à l’heure, après tout.
On marche dans la direction indiquée par Yuduar, le plateau rocheux, qu’on voit poindre régulièrement entre les arbres. Au début, l’aventurier marchait devant, pour guider, mais rapidement Tardeev a dû décider qu’en tant que grand chasseur, c’était à lui de mener la troupe. On le laisse faire avec un haussement d’épaule, et on le regarde choisir des chemins merdiques. Le pire, c’est quand il nous fait passer sous des arbres ou des lianes. Comme c’est un nabot, il a pas besoin de se baisser, mais nous si.
J’ai fait l’effort de sortir les mains de mes poches, histoire de. Les bois sont jamais totalement sûrs, et si on essaie de le faire canner contre des monstres, on sait jamais sur quoi on peut tomber, après tout.
Il continue à faire un temps superbe, en tout cas, et ça, c’est vraiment la bonne nouvelle. Sous la canopée, il fait un peu plus frais, pas encore étouffant, et y’a un p’tit vent frais qui court entre les feuilles, donc la sueur a même pas le temps de poindre qu’elle est déjà séchée. J’me penche sur un arbuste proche, et j’en retire trois fraises bien rouges qui poussaient ma foi fort innocemment. L’innocence, hé, ce fardeau des naïfs, que j’me dis en fixant Tardeev.
« Alors, Al-Rakija, c’est quoi le programme, après la mission ? »
C’est que c’est bien de se renseigner de première main sur les motivations des gens, de pas juste utiliser ce qu’on apprend par d’autres biais, en lisant des dossiers et en discutant avec les collègues.
« Aller se jeter un p’tit godet, ou p’tet retrouver Madame et lui faire un joli cadeau ? Félicitations, au fait, j’ai appris la nouvelle récemment. »
C’est bien, de faire de l’humain, c’est passionnant. Puis c’est aussi l’occasion d’échanger en toute amitié et bienveillance avec ses confrères, collègues, amis, de nouer des liens plus forts, et de tracer certaines limites.
« Le logement sera assez grand ? De mémoire, dans ce quartier, ça risque d’être un petit peu étroit, non ? Vous comptez déménager ? »
Traduction, je sais où vous habitez, les employeurs le savent aussi, filez droit.
« Bon, bien, sûr, si tout se passe bien, y’a pas de raison de se sentir à l’étroit, hein ? Faut juste être suffisamment à l’aise et sûr de son coup pour pas avoir l’impression d’être pris au piège, avec les murs qui se referment sur soi, tout ça. »
C’est complètement menaçant, à lire entre les lignes, mais faut qu’il intègre qu’il joue pas avec des gentils, là. On est tous ici pour le pognon, les affaires, et on prend pas les nazes et les incompétents. J’lui adresse un large sourire.
« Bien sûr, si tout se passe bien, y’a pas de raison qu’il se passe quoi que ce soit de mal, n’est-ce pas ? Une question de causalité, j’pense. Quand tout se passe bien, tout se passe pour le mieux, en quelques sortes. Faut juste éviter que la roue tourne dans l’autre sens. »
Les arbres commencent à se raréfier, pour laisser la place à des trucs moins luxuriants, moins feuillus, davantage noueux, et la terre est petit à petit remplacée par des cailloux, et des plus gros rochers qui affleurent. Le parfum des feuilles et autres plantes est aussi supplanté par une odeur plus minérale. On entend le glougloutement d’une source un peu plus loin, également. Et ça devient pentu. J’espère que le p’tit gros va assumer et réussir à monter, pasque moi, j’le porte pas.
Ce serait à Al-Rakija de le faire, et j’crois que ça me ferait salement marrer.
Mais j’ai été langue de pute. Tardeev tient remarquablement le coup, à remuer sa graisse. C’est son côté en forme de boule, il peut rouler par-dessus le paysage accidenté, en mode tout-terrain, là où nous on doit presqu’escalader. Enfin on arrive enfin aux parties intéressantes, et il reste à déterminer comment mon nouveau collègue va procéder pour s’occuper du client, et maquiller les preuves, vu qu’enquête il y a aura sûrement.
Donnant les directives quant au chemin à prendre pour arriver au lieu qu'il avait dans l'idée de rejoindre, Yuduar entama la marche à la tête du convoi jusqu'au moment où Tardeev se déclara suffisamment en confiance pour prendre les devants en personne. Le tout bien entendu saupoudrer de remarques acerbes, comme si il avait nul besoin de guide alors qu'à la base c'était lui qui avait posté une demande d'escorte pour la Guilde. Son incohérence n'est a n'y rien comprendre. Mais décidé à ne pas chercher la petite bête, Yuduar céda sa place sans encombre pour se laissé couler en seconde position non loin de Vrenn. L'examinateur n'était pas très loquace et il avait l'air de plus s'emmerder qu'autre chose à perdre sa journée a gambader dans les bois. Ou peut-être qu'il avait juste un perpétuel air blasé sur le visage, allez savoir. C'est au plus grand étonnement de l'Aventurier qu'il se fit approcher par son collègue d'infortune qui initia de lui-même la conversation.
"Le plan? Ma foi ça vas être de rentrer en premier lieu et la suite j'aviserais en chemin ahah!" répondit-il le plus naturellement du monde, sourcil levés par la surprise et sourire au visage comme à son habitude "Merci en tout cas, j'essaye justement d'économiser suffisamment pour nourrir trois bouches, vas falloir que je freine sur la taverne pour assurer les cordons de la bourse!" Yuduar pensais que la discussion allait s'arrêter là et que Vrenn ne faisait qu'échanger de simples banalités pour tuer le temps. Mais non, l'examinateur continua, comme si l'inflation de l'immobilier à la Capitale était un sujet qui lui tenait vraiment à coeur. Devant tant d'insistance, le grand brun commença à froncer les sourcils d'incompréhensions, un petit rictus ridant son nez comme si des points d’interrogations dansaient autour de lui.
"Euh ouais, non on compte pas déménager. Enfin pas pour le moment, c'est pas dans les plans quoi. Le petit dormira avec nous pour les premiers mois et on a une pièce qui me sert principalement de débarras que j'aménagerais en chambre plus tard. 'Fin je devais le faire avant la naissance mais les contrats se sont enchainés donc j'ai pas vraiment eu le temps de jouer le père de famille assigné à résidence, v'voyez le genre." qu'est-ce qu'il avais avec ses murs qui se referment sur lui au juste? Il pensais peut-être que Yuduar vivait dans un clapier gros comme rien dans une sous-cave de taverne ça se trouve, la belle affaire. En plus de sa conversation, son regard fixe et presque oppressant rendait le tout presque désagréable. Et un brin menaçant à mieux y réfléchir. Surtout son histoire de roue qui tourne là. Mais Yuduar ne laissa pas désemparer tout autant et pris appui sur les étranges propos de son compère pour ramener son humour plus léger et naturel "Ahah, j'ai déjà pris mes précautions si jamais une mission s'avère à mal tourner, j'suis pas quelqu'un qui à tendance à respecter toutes les règles du jeux sans en tirer mes avantages en premier lieu. Mais bon j'imagine que c'est pour ça que vous êtes là non?" rigolant de bon coeur, il se laissa aller à une petite tape amicale sur l'épaule de Vrenn "Puis dans ce métier, on a tous un bon copain qui travail dans la Garde au cas où, j'me trompe?" conclut-il avec un petit clin d'oeil amusé. Un temps, une pause, les regards s'échangent, une tension monte légèrement, Yuduar ne démord pas de son grand sourire farceur et de l'éclat de malice dans ses prunelles " 'Fin moi c'est pas mon cas, je peux pas le piffrer ces glandus en armure, mais vous êtes surement mieux préparés que moi. Je préfère rester simple!" et c'est en riant qu'il commença à entamer son ascension pour rejoindre Eylohr en hauteur.
Le Noble avait le souffle court une fois arrivé, une main sur ses hanches surement pour calmer un point de côté qui devait le lancer plus méchamment que prévu. Yuduar s'enquit de son état mais c'est sans grande surprise qu'il se fit rabrouer plus qu'autre chose. Très vite Vrenn les rejoignit.
"Et voila, c'est en contre-bas là, je dirais à encore cinq-cent bons mètres pour qu'on soient parfaits. Mais bon, de là où on est on peut commencer à avancer mollo et à garder l'oreille ouverte pour chaque craquement, avec un peu de bol l'occasion se présentera plus tôt que prévu." un clin d'oeil, cette fois a l'intention de Messire Tardeev. L'impatience pouvait se lire sur son visage bouffi, comme un gamin rongé par la hâte d'essayer ses nouveaux jouets.
Si un coeurl venait à pointer le bout de son museau plus tôt que prévu, l'offre ne serait pas de refus dans tout les cas. Yuduar comptait fauter si tel cas se présentait, créant un peu trop d'attention sur leur position actuelle. Cela devrait suffire à soit faire fuir la bête soit à l'asticoter suffisamment pour qu'elle se décide que la meilleure défense serait l'attaque. A coup sûr que Tardeev vas rater ses premiers tirs, à moins qu'il cache un véritable don de visée. Plus le fauve sera acculé et plus le moment fatidique vas naturellement arriver. Le soucis sera de gérer le Coeurl après qu'il se soit fait un quatre heure sur le grassouillet. Soit il sera affaibli par quelques flèches bien placées au préalable. Soit Yuduar allait devoir se préparer à danser un brin avec ses épées. Le tout en espérant que Vrenn n'en profites pas pour lui léguer une dague entre les deux homoplates. Dans tout les cas, inutile de faire trop de plans sur la comète pour le moment. Ils allaient devoir s'adapter avec ce que la nature pourrait leurs offrir.
Au début, j’ai l’impression qu’il passe totalement à côté des sous-entendus, et j’me dis que j’ai salement merdé sur mon prospect. Si le gars est pas capable de comprendre des trucs évidents, finalement, fallait p’tet pas le choisir, surtout que j’avais une autre possibilité… Puis après, faut faire le ménage, c’est vachement pénible, j’en ai déjà la flemme. Pasqu’autant il se souviendra pas de moi, autant il se souviendra des collègues qui lui auront demandé un p’tit service.
Mais ça percute enfin. C’est le souci des gens qui sont trop longtemps aventuriers, ça, à force de prendre des mauvais coups, y’a plus personne là-haut, plus la lumière à tous les étages. Faut changer l’eau du bocal, quoi. Et, menace pour menace, au moins, on s’entend correctement. Cela dit, s’il croit qu’il pourra me dénoncer à la garde, il risque d’être déçu. Quoiqu’il s’en rappellera même pas, finalement, alors nan, il ressentira rien… C’en est presque tragique, de pas pouvoir narguer un peu les gens.
On avance en tout cas sous ses instructions.
« Oui, c’est exactement là que je comptais me mettre, assure Tardeev. »
Ouais, bien sûr, c’est pour ça qu’il était tourné dans une autre direction avec qu’Al-Rakija ne pointe du doigt. En voilà un qui manquera probablement à personne, tiens. Quoique, p’tet sa femme ou ses gamins l’adorent, on sait jamais, sur un malentendu, si t’as jamais connu mieux… Ca paraît improbable, mais on a déjà vu pire.
On s’approche tout doucement du point indiqué par notre professionnel, avec toute la discrétion dont nous sommes capables. Et c’est peu dire qu’on n’est pas très bon. Entre le gros qu’accroche tous les buissons et toutes les branches mortes, et moi qui fout le panard sur chaque bout de bois par terre, j’ai l’impression qu’on fait un véritable concert. Mais avec les oiseaux qui piaillent, et tous les bruits habituels de la forêt, est-ce qu’on tranche vraiment ? J’saurais pas dire, c’est pas mon cœur de métier, j’fais plutôt dans l’urbain, d’habitude.
Yuduar est, lui, plus silencieux, mais il lui arrive parfois de casser un machin de taille plus importante, en déclenchant un gros craquement, presque négligemment. Encore un peu et je croirais qu’il le fait exprès, comme la lueur dans son regard le laisserait à penser, mais j’le connais pas assez pour ça, évidemment. Et j’sais pas si le bruit va pas plutôt contribuer à éloigner le casse-dalle plutôt qu’à l’attirer.
On s’arrête finalement près d’un petit plan d’eau, genre étang. Y’a l’air d’y avoir des sentes qui y mènent, qui en repartent, donc j’déduis que les bestioles du coin s’y désaltèrent. Ce qui doit en faire un lieu de chasse privilégié ? P’tet. Faudrait que j’me renseigne au moins un peu sur la question, ne serait-ce que pour avoir un vernis superficiel. M’éviterait d’avoir l’air totalement idiot, accessoirement.
Puis on se met en planque. Y’a un tronc d’abre renversé à côté de deux grosses pierres qui semble constituer l’endroit parfait derrière lequel se blottir en attendant de voir s’il se passe quelque chose. Eylohr pointe son engin sur l’étang, et ses yeux furètent un peu partout à la recherche d’une bestiole à buter, pendant que j’jauge un peu les éventuelles avenues de fuite pour un humain. Le coeurl monte dans les arbres ou pas ? Enfin c’est pas tant mon souci, tant que Tardeev canne et pas nous, maintenant que j’y pense.
Le calme tout relatif des lieux semble peser sur le moral du noble. Les dix premières minutes, il est aux aguets, attentif, silencieux, mais ensuite ça commence à lui peser. Il remue sur place comme un enfant qu’a envie d’aller pisser, soupire, fronce les sourcils et le nez, gigote. Visiblement, il a cru que le monstre arriverait cinq minutes après lui, comme s’il avait pris rendez-vous, j’sais pas.
« Shh, que j’souffle.
- Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, hein ? »
J’réponds pas. Déjà, j’y connais pas grand-chose, mais en plus, discuter fera que retarder l’éventuelle venue d’une proie, et ça serait bien qu’on n’y passe pas trois jours, j’ai autre chose à foutre que de glander en pleine nature.
De l’autre côté, à p’tet vingt mètres, un arbuste se met à bouger. J’écarte par réflexe une mouche qui vole autour de moi, et on voit un genre d’herbivore se pointer et boire de l’eau, une gorgée à la fois, en relevant la tête à chaque pour examiner autour de lui. Le doigt de Tardeev s’aventure du côté de la détente, et il envisage de charger sa belle arme neuve.
« C’est pas un coeurl qu’on cherchait ? »
Il hoche la tête, attristée. Il va devoir garder sa demi-molle sous contrôle à l’idée de tuer une bête sans défense, faut croire. Le carnivore devrait être un peu plus coriace, cela dit, de quoi l’intéresser davantage. Enfin, s’il tient jusque-là, pasque pour le moment, c’est pas gagné. Ça serait pratique si on avait un bidule pour l’appâter. En plus, j’sais même pas tous les combien de jours ça bouffe, le coeurl, ni même si c’est diurne ou nocturne. J’espère qu’Al-Rakija a prévu le coup.
J’étouffe un baillement.
Les minutes s’égrènent doucement, et la tension initiale est remplacée par une attente lasse, en tout cas chez moi. La petite barrique est toujours excitée comme une puce, et l’aventurier examine soigneusement les alentours. Ça serait bien qu’il se passe, ou qu’on fasse quelque chose, l’air de rien, avant qu’il nous fasse un infarctus. Encore que le contrat serait rempli, si ça arrivait, ce qui serait pas un mal non plus.
Hé, c’est p’tet ça le plan, finalement.
Avançant doucement mais surement, le trio de chasse trouva enfin un coin propice à la longue attente qui se profilait devant eux. Vrenn et Yuduar échangeaient par intermittence quelques regards entendus, tant à l'attention de Eylhor qu'en catimini entres eux. L'Aventurier ne savait pas vraiment si il pouvait compter l'Examinateur comme un allié ou non. Sa flegme, ses manières cryptiques et son ton blasé ne rendait pas la lecture de se personne particulièrement aisée. Mais bon, lui devait surement le considérer comme un idiot parmi tant d'autres, une fonction qui allait plutôt bien à un Yuduar qui ne souciait que peu de l'image qu'il pouvait renvoyer à autrui au final. Pour l'un comme pour l'autre, l'essentiel était de voir le travail mené à bien et récolter les doux cristaux derrière tout ça. Leur coopération, amicale, sombre ou floutée, n'était qu'un détail.
Au milieu d'eux, le Noble, toujours aussi impatient et insupportable. Désormais installé derrière le tronc couché, arbalète en main, ses yeux porcins à l'affut du moindre mouvement pour surgir et faire parler sa supériorité de chasseur émérite. Ou pas. Dès que Tardeev furetait à droite, Yuduar en faisait de même à gauche, s'assurant de couvrir tout les angles possibles dans l'attente qu'un Coeurl daigne apparaitre pour étancher sa soif. A aucun moment le petit gros ne mentionna l'idée de disposer un appât et l'Aventurier se garda bien de proposer ses réserves personnel pour combler à ce manque évident. Puis les minutes commencèrent à lentement glisser vers l'heure entière, grignotant la patience de chacun à son rythme. A un moment, un Lumios pointa le bout de son nez, Tardeev se releva, Vrenn rappela l'objectif, Yuduar se garda de sourire en coin devant l'échange. Le Noble se ravisa, l'examinateur soupira, l'aventurier continua de garder l'oeil ouvert.
Nouvelles minutes, nouvelle attente. Puis au bout d'un moment:
"Dites voir, vous auriez pas un appât ou quelque chose de ce genre sur vous?" demanda Yuduar en chuchotant à l'attention du Noble.
"C'est vous le professionnel non? Faite votre travail!" répondit le Noble agacé, bien trop fort pour un homme sensé rester discret et surtout sans répondre à la question précédemment posée.
"Quand ça vous arrange, pour sûr." marmonna l'aventurier dans sa barbe.
"Je vous demande pardon?"
"Rien, rien, j'y vais."
Soupirant de dégout, une fois de plus, Yuduar roula des yeux en regardant Vrenn. Il aurait bien chopé le col de Eylhor pour lui coller le nez contre le tronc d'arbre d'un coup sec, en soit ça aurait suffit à remplir le contrat. Mais ça aurait été plus difficile à couvrir derrière. Ainsi soit-il, il se releva avec douceur et tâcha d'ouvrir son sac sans fond pour y fouiller le temps de dégainer une petite sacoche de cuir hermétiquement fermée.
"Je sais pas si ça sera suffisant pour attirer un Coeurl mais ça devrait créer plus de mouvement, gardez l'oeil ouvert pendant que je vais poser ça."
Restant alerte, Yuduar s'avança avec en main un petit ballot entouré de tissu graissé. A l'intérieur, plusieurs morceaux de viande conservés dans un jus fait maison pour leur donner un fumet puissant de quoi attirer les carnivores en manque de nourriture. Quelques pas de plus, le voila arrivé prêt de l'étang qu'ils avaient en vue depuis tout ce temps, toujours aucun mouvement à l'horizon. Méticuleux, il se positionna à genoux pour ensuite ouvrir le paquetage et disposer l'appât à quelques centimètres seulement de l'étendu d'eau. Jetant un coup d'oeil pour jauger de l'angle qui séparait son installation de leur position initiale derrière le tronc d'arbre, il estima le tout suffisamment avantageux pour être laissé ainsi. Peut-être même un peu trop avantageux en reconsidérant l'idée que le but était de faire échouer Tardeev sur sa grande chasse. Il tiqua, se maudissant à nouveau de son ingénuité naturelle. Vrenn le remarquerait surement, le nobliaud n'y verrait que du feu.
Une fois son travail rondement mené, Yuduar chiffonna ce qui restait du tissu pour le remettre dans sa sacoche d'origine qu'il rangea ensuite dans sa besace sans fond. Mais alors qu'il allait se relever pour retourner à leur petit point d'observation, un bruissement se fit entendre dans les feuillages à quelque mètres de lui sur sa gauche. Très vite suivit d'un grognement, grave et lourd de sens, comme un roulement de tonnerre porté par de malheureux nuages. Immédiatement l'aventurier se retourna vers la source du bruit, restant accroupi comme prêt à bondir et posa sa main sur la garde de sa lame courbe à sa ceinture. Pas de gestes brusques pour le moment, une tension palpable sur leur zone de chasse, Yuduar se redressa avec lenteur sans jamais quitter l'emplacement supposé du prédateur des yeux.
"Tardeev, j'espère que vous êtes prêt..." se murmura t-il plus pour lui même qu'a l'attention de ses soit-disant alliés.
Puis le moment arriva. Tête basse, dos rond, pas mesuré, un Coeurl pointa le bout de son museau d'entre deux fougères épaisses. Ses longues vibrisses flottantes pleines de menaces autour de sa gueule, son regard félin posé directement sur Yuduar toujours immobile dans son attente. Par rapport à son idée de plan initial, c'était là le pire scénario possible. Comment rediriger la bête vers le Noble désormais? La tuer trop rapidement serait un échec immédiat du véritable but de leur sortie mais à trop jouer avec le feu ça allait être lui qui allait finir par manger les pissenlits par la racine. Et Vrenn là-dedans? Impossible de savoir ce qu'il allait faire de son côté.
Il allait être temps d'improviser.
Au bout d’un moment, y’a quand même de la lumière qui s’fait dans le bocal défaillant de Tardeev, et il se dit qu’à moins de vouloir attendre ici des heures, voire des jours, qu’un coeurl arrive, si rien ne se passe, on n’est pas sorti du sable. Et on n’est pas trop équipé pour attendre des jours : j’suis venu avec juste les sapes que j’ai sur le dos, et j’pense que les autres, c’est pareil. Quoique, Al-Rakija est p’tet mieux équipé, c’est lui l’aventurier sur lequel la mission repose, après tout. Mais Eylohr et moi-même, par contre, c’est zéro. Et autant mes fringues, on s’en fout un peu, elles sont confortables, autant les siennes, j’en dirais pas tant, vu comment elles le boudinent.
Bon, cela dit, enroulé dans une toile de tente, il serait boudiné tout pareil, donc, hein.
Yuduar se prépare à aller poser un appât, et on espère tous que ça va attirer le monstre qu’on cherche, et pas un gévaudan qui passerait dans le coin, ou juste un vieux renard malin. Mais normalement, c’est le coeurl qui devrait diriger l’écosystème de la zone et se tailler la part du lion, vu comme on est proche de la Capitale, alors peu de chances de trouver plus coriace. En tout cas, j’espère que malgré son achat, Tardeev aura pas à nouveau un dilemme de savoir s’il doit tirer ou pas, parce qu’il est pas sûr de réussir à se retenir, ce coup-ci.
J’ai presque des regrets à avoir accepté ce petit boulot, vu comme on se fait chier. D’un autre côté, c’est bien de sortir de sa zone de confort.
Al-Rakija vient à peine de poser son appât, que la bête qu’on attendait se pointe. Ça, c’est quand même pas de bol. Ça s’trouve, dix minutes de plus, il se radinait tout seul, sans qu’on ait besoin de rien faire, abrités tranquillement derrière nos troncs d’arbres, pour que Tardeev l’aligne. J’lui jette d’ailleurs un regard. De la sueur commence à poindre le long de sa tempe, et il vérifie tous les réglages de son arme. Il a l’air en pleine hésitation, le pauvre.
C’est là que j’ai un choix à faire. Si Tardeev le tue d’un coup, on aura l’air con, faudra se taper le travail manuel. Enfin, Yuduar devra, moi, j’examine, ha. Mais s’il rate, c’est l’aventurier qui risque de servir de casse-croûte impromptu. Si, humainement, j’en aurais rien à foutre, ça voudrait dire que mon recrutement était daubé, et les cristaux nous passeront… me passeront sous le nez. Et l’échec, je digère pas ça bien.
« Allez, Tardeev, faut tirer.
- J’ajuste… mon… tir…
- Soufflez et appuyez sur la détente, putain, il va se faire croquer ! »
Pour le moment, Al-Rakija joue la temporisation, et le coeurl le jauge comme un adversaire pour le bout de barbaque qui traîne à côté. J’pourrais déranger Tardeev dans son tir, des fois qu’il soit un viseur légendaire ou que l’arbalète ajuste le tir toute seule, on sait jamais avec les objets magiques dernier cri des nobles. Mais ça risquerait d’aller taper dans le collègue, et le boulot deviendrait vraiment… pas compliqué, mais salissant.
Le premier carreau vole au-dessus de la bête, un bon mètre au moins, et le noble se met à recharger frénétiquement son arme, j’ai l’impression en faisant un boucan de tous les diables. Y’a un risque qu’il s’enfuit ? Genre, s’il a peur ? J’y connais rien en coeurls, ça se trouve, il a tellement la dalle qu’il va vouloir nous croquer quand même.
Eylohr fait tomber son carreau de recharge par terre, et j’le ramasse pour lui, pour lui tendre. Le coeurl a été surpris par le sifflement du premier tir, et reste sur place, en feulant, les yeux fixés sur l’aventurier qui constitue finalement un appât correct. C’est toujours ça de pris.
« Balance la viande ici ! »
Une proposition comme une autre, s’il est là d’abord pour ça. Ça se tente, en tout cas. Mon éclat de voix fait tourner la tête au monstre, et il a les oreilles et le poil dressé, aux aguets. Ses longues moustaches frétillent doucement, et Tardeev réussit enfin à charger son arme. Visiblement, en tout cas, ma suggestion séduit Yuduar, qui lance du revers, comme un frisbee, son appât dans notre direction, et le monstre suit le projectile du regard.
« Mais que faites-v… »
Le noble a pas le temps de finir sa phrase, interrompu qu’il est pas le coeurl qui court après la viande, et prévoit sans doute de s’enfuir derrière. Ça doit sentir vachement bon pour lui, ou alors il a des bébés à nourrir, j’sais pas. En tout cas, ça marche plutôt bien, et ça, j’vais pas m’en plaindre, c’est certain.
La spéciale Al-Rakija atterrit entre le noble et moi, et maintenant, le coeurl nous court dessus. Tardeev ajuste son tir, et il me semble bien qu’il va toucher. Ça serait dommage, non ? D’un mouvement du pouce, j’lance le caillou que j’ai en main sur son arbalète, pour la dévier légèrement, et le carreau vole complètement à droite, au moins de s’enfoncer dans un tronc d’arbre proche.
« Quoi ?! Mais… »
Puis du bout du pied, j’éjecte la viande sur le noble, où elle fait une belle trace brune sur son doublet avant de retomber au sol. D’un bond, le coeurl est entre nous deux, et j’recule prudemment.
« Que faites-vous, Indrani ?
- Désolé, j’ai glissé. Al-Rakija, ramène-toi vite pour… sauver Monsieur Tardeev. »
Franchement, si le coeurl en fait pas son quatre heures, là, j’saurais pas quoi dire. Mais d’un autre côté, j’ai jamais rien jacté aux animaux, alors…
C'est qu'elle commençais à sérieusement sentir le roussi cette affaire. Appât en main, bras levés au dessus de lui pour tenter de grossir sa silhouette, Yuduar et le Coeurl se jaugeait l'un l'autre sans esquisser de mouvement trop vif. Au moins il ne comptait pas lui sauter dessus sans crier gare, ce qui était une victoire en soit. L'aventurier aurait aimé jeter un regard pressant au duo encore sous le couvert des arbres mais quitter le félin des yeux rimerait avec assaut immédiat.
Finalement le son claquant d'un carreau d'arbalète vint percer l'air pour siffler au-dessus du Coeurl. Au moins Tardeev était aussi mauvais que prévu, une autre victoire dans un certain sens. Suivant ce premier échec des plus cuisants, les bruits pressés s'enchainèrent du côté de Vrenn et du Noble mais aucun second carreau ne vint pointer le bout de son nez. Quant au Coeurl il ne comptait visiblement pas quitter le basané des yeux, trop hypnotisé par les fragrances relevées de l'appât qu'il tenait toujours en main.
Le reste s'enchaina bien plus rapidement que prévu. D'un éclat de voix l'examinateur convia son partenaire de crime à balancer la viande directement vers eux. L'idée ne fit qu'un tour dans l'esprit de Yuduar qui se plia à cet ingénieux plan de dernière minute. Puis d'un geste leste lança l'appât droit sur Vrenn et Eylohr, tentant tant bien que mal de viser directement sur le Noble de préférence. Ne sachant où donner de la tête au milieu de ces divers éclats de voix, la bête opta pour rester focaliser sur l'alléchant paquetage désormais entrain de planer vers les arbres. Alors qu'elle était déjà entrain de courir, prête à sauter le tronc et à tomber nez à nez avec les deux autres loupiots, un autre carreau se fit entendre, signée Tardeev à n'en point douter. Mais un carreau encore plus mauvais que le précédent, incroyable mais vrai! Eclat de voix indigné de la part du petit gros, très vite remplacé par un cri effrayé aux tonalités aigües digne d'une jouvencelle.
Se sentant désormais en sécurité, l'aventurier dégaina son épée longue et se mis à courir dans le sillon de l'animal. Du coin de l'oeil il remarqua la silhouette de Vrenn entrain de prendre le large et très vite l'examinateur l'intima cette fois à "venir en aide au Noble". Qu'avait-il pus bien faire derrière ce tronc au juste? Surement ajuster la finalité du premier lancé de Yuduar pour s'assurer que l'appât et Tardeev ne fassent plus qu'un aux yeux affamés du Coeurl. Les cris du Noble se firent de plus en plus perçant et très vite se mêlèrent aux feulements et aux rugissements impérieux du Coeurl visiblement entrain de batailler pour son bien.
"Iiiiiiih, aidez moi! A moi! A l'aide! Rakija! Indrani! Aaaah"
Mouvements désordonnés, bruits de coups incertains, hurlements de douleur, sons des vêtements déchirés, arrachés, triste cacophonie d'un Noble dans un face à face inégale avec un Coeurl. Ni une ni deux Yuduar pris appui sur le tronc et s'élança de l'autre côté, sa magie entrain de faire battre ses tempes à un rythme effréné, gonflant sa cage thoracique comme un trop de plein de joie inexpliqué dans la situation donnée. Encore en suspend dans son mouvement, ce qu'il découvrit de l'autre côté n'était pas beau à voir.
"Allez casse toi de là toi!" s'écria t-il en assénant un violent coup de botte droit sur le flanc du Coeurl, ce qui eut pour effet de le décaler du corps du Noble, non sans un feulement haineux "T'en redemande c'est ça?" en pleine discussion avec un animal bien loin d'être doté de parole Yuduar sabra l'air devant lui de son épée courbe, tenant le félin en respect. Étrangement, sur son visage, un grand sourire se dessinait, simple logique dût à sa magie qui le rendait un tantinet trop euphorique. De sa main libre il ramassa ce qui restait de l'appât pour le lancer entre les pattes du Coeurl puis, profitant de cette diversion, dégaina l'une de ses dagues pour la lancer sur l'animal le tout en un geste presque réflexe. La lame ne fit qu'entailler une patte avant sans grand résultat si ce n'est de se montrer dominant face au Coeurl. Pour finir il... feula à son tour. De manière humaine cela vas sans dire, donc un brin ridicule selon comment on perçoit la scène vue de l'extérieur. Subissant son propre zèle il s'avança d'un bon pas pour continuer d'agiter son épée devant son ennemi afin de pousser son hésitation. Il sentit au même moment une main s'agripper au revers d'une de ses bottes.
Sans même s'en rendre compte, Yuduar décrocha son regard pour le porter sur la main suppliante de Tardeev encore au sol. Il n'eut même pas le temps de s'auto-insulter que le Coeurl profita immédiatement de l'ouverture pour se mettre en mouvement. Mais au plus grand plaisir de l'aventurier, la bête attrapa l'appât dans sa gueule et rebroussa chemin sans demander son reste, cavalant droit dans les profondeurs du bois.
"Reviens donc par ici toi! C'est pas fini!" hein? quoi? Yuduar tenta de s'avancer pour courir après le Coeurl mais sa raison lui souffla que ce n'était clairement pas le sujet du moment. Il crus entendre un murmure de pitié derrière lui, ce qui eut pour effet de le tirer de sa transe de chasseur temporaire. Merde, Tardeev! La mission! Dur retour à la réalité, son crâne le cogna d'un coup, comme pour le morigéner de son manque de contrôle vis à vis de son don.
" 'chier... ça vas vous?" un râle en guise de réponse, le Noble avait pas l'air dans son assiette. Aidez moi, qu'il semblais dire. "Vrenn?! Oh, Indrani? Vous êtes là?"
"... des soins... pitié..."
Que faire? Le soigner serait contre l'idée de la mission, clairement. Mais le pauvre bougre agonisais. Sauf que l'achever pour de bon d'un coup de couteau ce serais un coup à se faire cramer par philtre de vérité. Genre on lui demanderait "vous avez déjà tué quelqu'un" il serais dans de beaux draps. Alors que là bon, c'est la nature qui fait son chemin non? Ouais, ça devrait passer normalement.
Le pauvre bougre avait les larmes aux yeux, le tout entrain de se mélanger avec le sang au niveau de sa gorge. Dégueulasse comme scène. Après il le savais en partant: il n'avais pas signé pour exécuter un travail très propre aujourd'hui.
Putain mais il fout quoi, Al-Rakija ? Déjà que j’ai dû mettre la main à la pâte, ce qui arrive et n’est pas dramatique, mais là… Non content de s’arranger pour que Tardeev court pas le moindre risque pendant toute l’expédition, alors qu’on aurait pu longer un ravin par exemple, il vient même lui sauver la vie, lame au clair. Enfin, pendant tout ça, j’recule prudemment. Faudrait pas que j’prenne un mauvais coup, après tout.
Nan, nan, jette pas l’appât au coeurl, laisse-le sur le nobliaud… Et arrête de lui faire peur, on veut qu’il l’achève… Mais, arrête ça… J’secoue la tête. L’important, c’est la finalité, et il a p’tet une idée en tête. En tout cas, j’espère, même si là c’est un peu confus, pour le moment, j’dois dire.
Quand la bestiole s’enfuit finalement avec son morceau de barbaque et une méchante coupure à la patte avant, j’pousse un soupir de soulagement. C’est que j’comptais pas défendre ma vie ce jour-là, et si au pire faut y aller de son couteau, Yuduar le fera bien. Après tout, il est payé pour, il aurait mauvaise grâce de refuser maintenant. Qui vole un œuf, après tout, vole un bœuf, hé ?
« Il a pas l’air bien, Tardeev, hein ? »
C’est que la grosse blessure à la gorge, les supplications par ce qu’il lui reste de cordes vocales, l’entrejambe tachée et les larmes, ça fait un tableau qui dénoterait pas, y compris dans les bas-fonds de la Capitale. Bon, p’tet un peu avec une arbalète dernier cri à portée de main et des vêtements qu’un ouvrier mettrait sans doute une vie à se payer, mais c’est l’jeu, ma pauv’ Lucette, comme on dit.
On échange un regard, et Eylohr, aussi paniqué soit-il, doit bien se rendre compte qu’il y a anguille sous roche. Faut dire que j’ai pas été particulièrement discret, à lui jeter l’appât à la gueule, avec le caillou.
« Mais… aidez… moi… »
J’regarde Yuduar, mais il a l’air très occupé. Personnellement, j’suis en train de me curer les ongles avec mon couteau, et on peut pas tout faire, puis faut bien prioriser, pas vrai ? On va attendre encore quelques secondes avant de salir des fringues en foutant du sang dessus pour faire croire qu’on a essayé de le sauver. N’empêche, ç’aurait été plus propre s’il avait davantage encouragé le coeurl à finir le boulot, plutôt qu’on se retrouve à l’aider comme ça.
N’empêche, comme on fait rien pour l’aider, la lumière se fait donc difficilement dans son cerveau embrumé par la douleur, la perspective prochaine de la mort, et des générations de mariages arrangés entre cousins.
« Donc… c’est une trahison…
- Bof. Encore aurait-il fallu qu’on ait été dans le même camp un jour, que j’lâche. »
Puis j’me tourne vers le collègue que j’examine plus sérieusement que la mission. J’sais pas, il a pas l’air hyper convaincu par ce qu’on fait. C’est pas le moment d’avoir des remords, hé ? Ou alors faudra que j’disparaisse fissa quelques heures, quelques jours, le temps que les souvenirs se tassent.
« Tu veux abréger ses souffrances, ou laisse le coeurl finir ? »
Avant qu’il ait le temps de répondre, y’a comme un gargouillis du côté de Tardeev, avec un toussotement faible. Ah, le sang qui coule dans les poumons, c’est plutôt mauvais signe. Mais y’a pire comme manière de canner : les blessures au ventre, c’est les pires, il paraît. Moins, depuis que les potions magiques sont relativement accessibles. Après tout, j’suis encore en vie, et j’en ai pris, des mauvais coups.
Il s’agite de plus en plus faiblement, jusqu’à enfin s’arrêter, sous mon regard qui oscille entre la cible et l’exécutant, à essayer d’évaluer s’il va me faire un coup de jarnac ou pas. Mais il a l’air de se contenter d’attendre en pensant à d’autres trucs. C’est fou, comme parfois, ça met du temps à mourir, une personne, hein ? Ca fait tout drôle. Le pire, c’est l’asphyxie. Interminable, comme méthode.
« Bon, y’a plus qu’à arranger la scène, hein, Al-Rakija ? Comme t’es meilleur aventurier, j’te laisse faire, j’me contenterai du regard extérieur des examinateurs qui se pointeront immanquablement pour vérifier la véracité. Après, on va pas se mentir, une cagade en mission, ça arrive. La faute à pas d’bol. »
Allez, qu’on en finisse et qu’on aille s’en descendre une, j’ai une soif d’enfer, là.
Alors que Vrenn était entrain de revenir vers eux, Yuduar se laissa choir séant sur le tronc d'arbre derrière lequel ils se planquaient quelques instants auparavant. Devant lui Tardeev était encore à l'agonie et ses petits yeux se balançaient de manière incertaine entre l'aventurier et le prétendu éxaminateur. La peur pouvait se lire facilement au fur et à mesure où il commençait à comprendre la situation. Lorsqu'il fit mention de trahison Yuduar ne pus retenir une petite moue presque désolé. C'est pas qu'il le portait cher à son coeur non plus mais voir quelqu'un de crever de la sorte sous ses yeux était quelque chose d'assez particulier. Vrenn de son côté par contre semblait totalement dans son élément, détendu, la blague facile et le pique encore plus vif qu'a l'accoutumé. Quand il demanda à l'aventurier si il tenait à abréger les souffrances du Noble la réponse ne fut qu'une maigre haussement d'épaule et un soupir lourd de sens.
"Tu parles, dans quelques minutes c'est bouclé vue le sang qu'il perd."
Ce n'était pas le premier cadavre qu'il voyait se vider de son sang devant lui. Le premier par contre qu'il laissait crever la gueule ouverte sans rien tenter pour l'aider. Quel con aussi de s'être laissé embarqué par son don et de l'avoir un peu trop défendu face au Coeurl. Il aurait fait preuve de moins de zèle avant qu'il aurais pas besoin de s'infliger ça maintenant. Mais hélas contrôler son Ivresse s'avérait par moment difficile, surtout quand les pics de magies se faisaient violent dans son torse, l'amenant à braver tout et n'importe quoi avec l'amusement à la commissure des lèvres.
Le pire là-dedans c'est que Eylohr fait bien durer. Il s'accroche le salaud, il chouine, il griffe le sol de ses mains, il supplie. A en devenir presque énervant, de quoi mériter un dernier coup de botte dans le menton pour lui rabattre une dernière fois le caquet. Même pour ce qui est de clamser il finissait par trouver le moyen de faire chier le monde autour de lui. Vraiment doué en la matière on pouvait pas lui retirer ça au petit bonhomme. Mais quoiqu'il en fasse ce qui devait arriver arriva: d'un ultime soupir, un dernier soubresaut de la cage, un hoquet étranglé, Tardeev finit enfin par rendre sa dernière révérence. Main collé à la tempe dans une posture de patience mise à rude épreuve, la mort du Noble fut accompagné par un nouveau soupir tout aussi fatigué que le précédent mais aux notes plus soulagées malgré tout.
"Putain il à pris son temps." lâcha Yuduar en se relevant tandis que Vrenn était déjà entrain de lui dérouler la suite du menu "Ouais je m'occupe de la suite, de quoi salir mes fringues et compagnie. Quel con j'ai été de l'avoir défendu comme ça aussi, je suis sûr que je vais fermer l'oeil ce soir avec encore le son de petite voix plaintive dans le crâne. Enfin bref, c'est comme ça comme tu dis." joignant le geste à la parole, il posa le genoux au sol devant le corps de feu seigneur Tardeev et commença a arracher ses vêtements au niveau des principale blessures. Il pompa deux trois coups sur son torse de quoi faire bouillonner l'hémoglobine, ce qui ne manqua pas de tâcher chichement ses frusques au passage. D'une main encore à peu prêt propre il chopa un linge dans sa sacoche qu'il pressa contre le gorge ouverte du cadavre. Tant qu'a faire semblant autant faire sa bien. Yuduar eu juste à penser à ce qu'il aurais fait si il avait dut essayer de réellement sauver le noble, à la différence qu'au lieu de le faire de son vivant il le faisait en post-mortem.
"Bon, ça commence à ressembler à quelque chose. T'en dis quoi?" salopé de sang un peu partout, il se retourna vers Vrenn qui -sait-on jamais- aurait peut-être une dernière idée à mettre en scène avant de rentrer au bercail "Je pouvais pas me permettre de le terminer sinon le marque de lame aurait fait louche dans le tableau, sans parler du fait que si le bordel pousse au Philtre de Vérité je me serais fait pincer. Non pas que j'ai pas confiance en vos petites opérations mais on est jamais trop sûr dans la vie." la voix de Yuduar était un peu plus sombre que lors de leur départ plus tôt dans la journée. Ce qu'il avait fait aujourd'hui ne l'enchantait guère, sans pour autant dire qu'il allait être rongé par les remords des jours durant. Au moins la paye en valait la chandelle et il allait pouvoir passer l'hiver au chaud avec les siens, il valait mieux voir ça comme dans le fond.
"Si ça te vas on peut dégager et retrouver les montures. De ce que j'ai compris c'est toi qui t'occupes de signaler le bordel aux "bons gardes" à partir de là et après c'est direction la Guilde pour que je me prenne une danse par les patrons." parlant à Vrenn tout en lui tournant le dos, Yuduar immortalisa la scène grâce au cadre magique que lui avaient fourni les deux hommes qu'il avais rencontré la veille. Chose faite il lança le dit cadre à son acolyte qui se chargera probablement de livrer le tout à qui de droit, suite de quoi la coquette somme promise à l'aventurier lui sera envoyée.
"Et si c'est pas indiscret, tu fait souvent ce genre de boulot?" curiosité mal placée, il se retourna vers le barbu avec le sourcil interrogateur. Peut-être qu'il allait l'envoyer chier mais la question était partie toute seule. Vrenn avait la tête la voix et la tenue d'un mec blasé par la vie alors qu'il devait être d'un âge assez similaire à celui de Yuduar. Puis qui sais, ils allaient peut-être se retrouver au détour d'un autre job donc autant briser la glace maintenant.
Bon, il met du temps à canner, mais au bout d’un moment, c’est fait. A ce stade, j’étais davantage inquiet de la possibilité que mon collègue du jour ait des remords et décide que finalement, le jeu en valait pas la chandelle. Il venait d’utiliser son pouvoir, mais même comme ça, j’étais pas sûr de le fumer. Puis ça aurait voulu dire qu’il fallait que j’cours dans la forêt, puis que j’me fasse oublier, que j’m’arrange que Yuduar rentre pas trop vite… Un gros paquet d’emmerdes, finalement.
Mais j’avais vu juste, et s’il a pas l’air totalement serein du gars qui fait ça habituellement, il le laisse clamser tranquillement, et se met ensuite au boulot. J’l’observe faire ses petits trucs de sauveteur raté, de pisteur, salir les sapes, les alentours, modifier certaines traces mais pas d’autres. Bon, l’important, c’est qu’il comprenne ce qu’il fait. Il me fait même me déplacer d’une certaine façon pour brouiller davantage, ou mettre en avant des trucs. Bon, hé, pourquoi pas, hein. La logique qu’il explique m’fait dire qu’il va pas me balancer.
Il a l’air d’avoir un peu trop bon fond pour ce métier, en fait. Comme quand il a aidé au début au lieu de laisser notre noble mourir dans son coin. Mais un boulot fait est un boulot exécuté.
« Ouais, le tableau final est pas mal, j’pense. Les employeurs seront contents, et le rapport devrait bien se passer. J’vais parler d’Eylohr et de son caractère, y’aura pas de menteries, là, ça montrera bien qu’on aura fait ce qu’on a pu. Pour la Garde, ouais, t’inquiète pas non plus. »
Et, clairement, c’est la Guilde qui va tirer la tronche et payer les pots cassés. Il faut bien que quelqu’un s’y colle, après tout. Ça fera mauvaise presse, et les p’tites missions safari de chasse prendront p’tet une flèche dans le genou, comme on dit, mais le principe était débile de toute façon. C’était bien le moins sécurisé, d’envoyer des débiles avec des experts pour qu’ils aient le plaisir de tuer eux-mêmes un monstre pour se faire mousser devant les copains.
« J’gère le reste, en tout cas. Tu devrais trouver le paiement sous le pot à droite de ta porte d’entrée d’ici deux ou trois jours, le temps de s’assurer que y’a pas d’anicroches. On évite les boîtes aux lettres, elles sont parfois relevées par d’autres gens, genre ta femme. »
J’réceptionne le cadre magique, j’vérifie le contenu, et j’le range soigneusement. C’est notre preuve de boulot bien fait, après tout, et qu’on n’a pas délégué. Faut juste s’assurer que ça tombe pas entre de mauvaises mains… enfin, bonnes, plutôt, c’est nous les mauvaises, j’présume.
Et ça part sur les questions personnelles. J’espère qu’il a pas des scrupules, tout à coup, ou qu’il creuse pour avoir des informations et les refiler ensuite, ça serait ballot… pasque ça marchera pas avec moi. Ça dénoterait juste d’une attitude un peu embêtante.
« Bof, pas si souvent, non. C’est l’occasion qui fait le larron, après tout. Mais faut bien vivre, hein. Quand ça tombe, j’essaie, et si ça tombe pas, j’me contente de mon salaire habituel. Après, c’est rarement aussi violent que là. Y’a pas mal d’actions un peu plus… subtiles et discrètes, et moins salissantes, si tu vois c’que je veux dire. Déplacer des trucs, faucher des bidules, effacer des machins… Bref, tu vas pas perdre des gens en forêt toutes les semaines, quoi. Bon allez, on va pas s’éterniser là. L’est temps de se faire taper sur les doigts et d’encaisser la monnaie. »
Et, putain, ça les a pas fait rire, les patrons de la Guilde. Faut dire, un noble qui part faire une mission bidon et qui meurt contre un coeurl, ça la fout mal, surtout avec un aventurier chevronné et un examinateur. M’est avis qu’on va plus m’envoyer sur ce genre de trucs de sitôt, c’qu’est pas un mal, j’dirais. On prend l’air triste et contrit, on est désolé, puis ça se tasse. C’est le boulot de la Guilde de nous protéger de ce genre de trucs, après tout, et j’me ferai vite oublier.
Par contre, sale mention dans le dossier d’Al-Rakija. Heureusement qu’il envoie du pâté sur le reste, ça évite qu’il soit trop mis à l’écart des boulots intéressants.
J’achève mon petit tour chez la Garde, chez un gros sergent à la coupe en brosse, mon contact.
« Bon, tu sais quoi trouver ?
- T’inquiète, gars, je sais très bien quand ne rien trouver d’intéressant.
- Impec’.
- Et j’préviens les tauliers. Les cristaux seront livrés au point habituel pour toi, et comme on a dit chez Al-Rakija.
- Cool.
- Tu le sens comment, l’aventurier ?
- Le doigt dans l’engrenage. Il a mis la main sur l’argent facile une fois, il y reviendra. Plus malin qu’il en donne l’impression, par contre. Et bon fond, mais on doit pouvoir en tirer parti.
- Donc on évite les affaires trop… douteuses ?
- Pour le moment, j’dirais, ouais. Devrait y avoir moyen de le faire glisser petit à petit.
- Comme les autres, oui. »
Il se fait songeur.
« Pour le plus grand bien, hein ? »
Ouais.
Le nôtre.