Nana Eboshi

En passant un torchon humide sur la petite table de bois près de ton lit, tu tombes sur un petit médaillon. Tu souris puis le pose dans le creux de ta main. Comment as-tu pu oublier de le remettre ? Tu abandonnes le bout de tissu sale pour pouvoir remettre le pendentif autour de ton cou. Ce médaillon appartenait à ton père. Il te l'a donné à ta naissance. C'était un homme bon et gentil. Il prenait soin de toi et de ta mère. Tu te souviens de la dernière fois où tu lui as dit au revoir, comme si c'était hier.

« Nana, dépêches-toi, ton père va partir. » te criait ta mère.

Tu as glissé le long de l'échelle qui donne accès à ta chambre le plus rapidement possible avant de traverser la ferme familiale en courant pour sauter dans les bras de ton père qui, comme tout les mois, partait pendant plusieurs jours pour vendre vos produits dans la capitale. Tu le vois encore s'éloigner dans sa charrette tirée par l'énorme équidé dont tu aimais tant t'occuper.

« Je serai bientôt de retour, ne t'en fais pas. Prends bien soin de maman. »

Ce furent ses derniers mots. Tu lui as fait la promesse de veiller sur ta mère jusqu'à son retour et tu l'as tenu. Mais il n'est jamais revenu. Tu te souviens encore de la douceur du baiser qu'il a déposé sur ton front. Après une semaine, toujours pas de nouvelle. Ta mère commençait à s'inquiéter. Tu n'étais qu'une enfant, tu ne comprenais pas vraiment. Puis elle t'a demandé d'utiliser ton pouvoir. Tu ne le maîtrisais pas encore à l'époque, c'était difficile pour toi. Tu n'arrivais à l'activer que sur tes parents. Tu t'es assise par terre, en demandant à ce qu'il n'y ait aucun bruit. Ta mère s'est assise sur une chaise, t'observant sans faire de bruit. Tu as fermé les yeux en prenant une grande inspiration. Et là, tu l'as cherché. Encore et encore. Mais en vain. Tout ce que tu voyais, c'était du noir. Tu finis par rouvrir les yeux, en pleurs. Tu as mal à la tête, tu as peur. Ta mère, voyant ton état, a compris. Toi, à ce moment, tu ne savais pas. Ton père était mort. Où ? Quand ? Comment ? Tu n'en avais aucune idée et ta mère non plus. Ce n'est que plusieurs jours après que vous avez enfin eu les réponses à vos questions lorsque des hommes ont débarqué à la ferme pour informer ta mère : il a été retrouvé sur la route menant à la capitale, déjà mort. Aucune blessure, rien. Son cœur avait tout bonnement arrêté de battre.

Ta mère ne s'en est jamais vraiment remise. C'était pourtant une femme forte, avec un certain caractère. Tu l'as toujours admiré pour son courage et sa détermination. Elle a dû vendre la ferme, votre cheval, tout. Vous êtes allé vivre dans un petit village, non loin de là, partageant une maison avec une vieille femme qui a accepté de vous accueillir. Mais ta mère n'a pas supporté bien longtemps de vivre sans l'amour de sa vie, te laissant finalement seule avec celle qui allait devenir plus tard ton mentor. Sally. Contre son hospitalité, tu faisais le ménage, la cuisine, tu faisais vivre sa maison. Cette vieille dame que tout le monde pensait folle passait ses journées à observer les feuilles de thé au fond de sa tasse, à s'amuser avec des cartes, à collectionner des cailloux et à regarder les mains des personnes qui lui rendaient visite. Enfin, c'est ce que tu pensais avant qu'elle ne t'explique. C'est une voyante, une divinatrice, appelez ça comme vous voulez. Une pratique occulte pour découvrir l'avenir, le passé, les maladies, les secrets. Cela lui permettait de gagner sa vie. Tu t'y es intéressé de très près, passant toutes tes journées et tes nuits avec cette drôle de dame. Elle t'a enseigné absolument tout ce qu'elle savait : la divination par les rêves, par l'eau et les pierres ou les plantes, par les esprits, par les runes, par les cartes, par les étoiles. Elle t'a transmis son savoir jusqu'à son dernier souffle.

Aujourd'hui te voilà, logeant dans un taudis dans un coin de la capitale où tu possèdes ta propre petite boutique où chaque jour tu vois défiler des hommes et des femmes en quête de connaître ce qu'ils ignorent. Des personnes qui, parfois, ne viennent pas pour ton étrange magie mais uniquement pour toi. Pour quelques sous, tu acceptes leurs avances. Tu justifies cela par de la nécessité lorsque la vie devient trop chère, elle n'est pas aussi simple que tu ne le pensais étant enfant. Tu as appris à te débrouiller seule.

Tu reprends ton torchon pour continuer d'entretenir la pièce dans laquelle tu vis. Tu te diriges vers la petite étagère où se trouvent toutes sortes de babioles que Sally t'a léguées après sa mort. Objets étranges, pierres que tu connais par cœur. Mais tu es tiré de tes pensées par un petit miaulement. Tu te retournes et aperçois le petit chat noir que tu as recueilli à ton arrivée. Tu t'avances vers lui et lui grattouille le dessus du crâne. Tu l'as trouvé dehors, affamé et blessé. Tu l'as soigné et nourri. Depuis, il est ton plus fidèle compagnon et t'accompagne partout où tu vas.

« Oui, qui a-t-il Gigi ? »

Le petit chat grimpe le long de ton bras pour se glisser dans ton cou. Tu souris. Heureusement que ce petit être est là pour toi. Tu préfères sa compagnie à celle des humains. Mais voilà, la petite clochette retentit, quelqu'un est entré. Tu poses ton chiffon et passes le rideau qui sépare ta petite boutique de ta pièce de vie. Les affaires reprennent, le ménage, c'est pour plus tard.