RAPHAËL VOSSEN

Les Premiers Jours.

Le jour 10 de la Première Lune Chaude 962 fut le théâtre de deux événements au sein de la Forteresse. Le premier fut l'arrivée d'un gros contingent d'aventuriers bien décidés à s'aventurer par delà les montagnes dans la Zone Inconnue afin d'en explorer les mystères. Cette arrivée fut fêté mais aussi crainte car l'on savait d'expérience ici qu'aucun ne revenait vivant de la Zone Inconnue. Pourtant il y avait parmi eux des aventuriers chevronnées et légendaires dont on comptait les exploits à travers le Royaume. Pour une fois, certains espéraient voir dans cette expédition une chance de réussite. L'autre événement, bien mineur en comparaison, fut la naissance de Raphaël Vossen. Son père était Irahil Vossen, un jeune Capitaine de la Garde et sa mère était Afalda Vossen, née Tormur. Lui était un enfant de la garde, ayant suivi le parcours classique de celle ci et n'ayant quasiment jamais quitté les Montagnes. Elle était la fille d'un forgeron renommé de la Forteresse s'étant installé ici lorsqu'elle était adolescente. Ces deux là s'aimèrent rapidement et s'unirent avant de finalement mettre au monde un fils, Raphaël.

Deux événements n'ayant rien à voir entre eux et pourtant liés. Le soir même de la naissance de Raphaël, Irahil quitta la Forteresse en compagnie des aventuriers pour la Frontière. Il faisait parti du corps de Garde supposé les escorter jusque là et même un peu au delà, dans un tout petit campement installé à l'entrée de la Zone Inconnue. Personne ne sut ce qui se passa, comme souvent avec la Zone Inconnue, mais aucun ne revint. Seul un cheval revint s'aventurer, par instinct à la Frontière, sa robe couverte de sang coagulé qui n'était pas le sien. Sans la venue de ces aventuriers et la promesse d'une expédition enfin réussie, Raphaël aurait grandi avec un père.

Veuve, Afalda retourna s'installer chez ses parents. Elle reprit son ancienne activité de couturière aux cotés de sa mère mais n'hésitait pas à manier le marteau et l'enclume afin d'aider son père dans les tâches les plus simples. Raphaël grandit avec beaucoup d'amour, bien plus qu'aucun autre enfant. Son grand père, Sven lui enseigna très tôt l'art de la ferronnerie. Le petit, déjà très curieux, appréciait tout autant manier le marteau et manquer de se brûler avec le métal en fusion qu'il aimait apprendre à lire, écrire et compter. Beoris, sa grand mère, appréciant la curiosité de son petit fils prit le temps de lui enseigner la couture bien que ce n'était pas commun pour un jeune garçon. Sa mère elle, lui enseigna tout ce qu'elle savait et lui donna l'éducation d'une mère tout en lui rappelant chaque jour quel genre d'homme était son père. Les histoires et les récits sur son père furent si nombreux que Raphaël n'eut jamais l'impression qu'il avait vraiment disparu.

Au delà des temps scolaires et familiaux, Raphaël aimait traîner du coté de la caserne où la plupart des soldats l’accueillait avec plaisir. Son père avait été l'un de leur compagnon et un Capitaine des plus fiables. Très vite, de par ce souvenir, Raphaël devint l'enfant ou le petit frère de presque tous les soldats de la Caserne. Il grandit en voyant des hommes s'entraîner et se battre et manifesta très tôt l'envie d'en faire de même. Ainsi il trouvait toujours quelqu'un d'assez motivé pour lui mettre une épée en bois dans les mains et lui enseigner quelques passes d'armes. Un autre lui apprit à grimper à cheval. Un autre à se battre au corps à corps, un autre à utiliser des projectiles en tout genre, etc.

C'est à ses 7 ans que son pouvoir se manifesta soudainement. En pleine journée de la saison journée de la saison douce il fut prit d'une peur violente alors qu'il manqua de tomber du dos d'un cheval particulièrement hargneux. A sa grande surprise lorsqu'il rouvrit les yeux tout autour de lui était devenu noir et blanc. Il discernait très bien ce qu'il y avait autour de lui. Le cheval qui se cabrait violemment non loin de lui, le soldat tentant de calmer le canasson, une troupe effarée tout autour. Il comprit très rapidement à entendre les cris des soldats qu'aucun d'eux ne le voyait, apparemment tout était noir.

Aux cotés de ces mêmes soldats il apprit à manier son pouvoir mais ce fut surtout Sven, son grand père, qui lui donna les meilleurs conseils. Sven depuis toujours maniait son propre pouvoir à la perfection, capable de porter, sans usage de feu, toute matière à son point de fusion. Ce grand père, un peu bourru, devint comme un vieux sage aux yeux de Raphaël tellement il semblait versé dans l'art des pouvoirs de ce monde. Seul bémol, lui qui jusque là avait de somptueux yeux bleus, fut déçu de les voir virer au rouge.

Les Jours de Formation.

A douze ans, sur lettre de recommandation du Capitaine de la Caserne, Raphaël fut recruté à la Capitale afin d'y commencer sa formation en temps que recrue. Les adieux avec la Forteresse furent difficiles car il savait qu'il ne rentrerait pas chez lui de si tôt. Il débarqua dans la Capitale avec des lumières dans les yeux, jamais il n'avait vu ville si grande et si somptueuse. Mais le plaisir touristique ne fut que de courte durée car la formation commença très rapidement.

Malgré ses années de jeunesse passées à s'entraîner avec les soldats de la Forteresse, Raphaël comprit très vite qu'il n'était qu'un enfant qui avait besoin d'apprendre. Il se montra rapidement doué dans certaines disciplines mais très mauvais dans d'autres. Très tôt dans sa formation il se rendit compte qu'il n'avait rien d'un leader. Il avait l'esprit d'équipe et suivait des ordres à la perfection mais ne savait mener un groupe. Ses tentatives dans ce domaine furent désordonnées et vouées à l'échec. Quelque chose se brisa en lui à cette époque, lui qui caressait depuis longtemps le rêve de devenir Capitaine pour se rapprocher un peu de ce père à la fois si connu et pourtant terriblement absent.

Très vite, Raphaël réalisa que son pouvoir était pour beaucoup dans son comportement. Jouant sur sa personnalité même, Tenebris, comme l'avait nommé son grand père, semblait modifier les années tandis qu'ils grandissaient ensemble. Il était devenu plus solitaire, moins causant et certainement moins sociable qu'avant. Tant et si bien qu'à 15 ans il pensa ne jamais pouvoir faire vraiment parti de la garde. De plus en plus il refusait le travail en équipe, ou tout du moins cela ne l'intéressait plus. Beaucoup de ses camarades le prirent en grippe, la garde devant être un corps parfaitement uni.

A la fin de sa formation il restait parmi les très bonnes recrues de sa promotion mais lui même craignait l'avenir et de décevoir ses supérieurs et ses camarades dès la première mission. Ce qu'il ne savait pas c'est que déjà, dans l'ombre, quelqu'un l'observait avec beaucoup d'attention.

Les Jours de la Garde.

Membre de la Garde, Raphaël fut assigné à un corps expéditionnaire chargé essentiellement de la protection et la surveillance des routes de commerce entre la Capitale et le Grand Port. Dans ce groupe, leur Capitaine, Olaf, un grand guerrier aussi doué à la hache qu'à boire des chopines. Le second, Joçya, une femme bourrue mais au grand cœur. Les jumeaux Azog et Herzog, tout deux très sérieux et parfaits quand il se battaient ensemble. Marconis qui quand il ne transperçait pas ses ennemis armés de sa lance aimait chanter des épopées en s'accompagnant à la mandoline. Enfin Titus, issu de la même promotion que Raphaël et ami de celui ci depuis plusieurs années.

Le quotidien du groupe fut assez simple pendant les deux années ou Raphaël en fit parti. La plupart des trajets se faisaient sans encombres à l'exception de quelques tentatives de groupes de voleurs. Le jeune homme profitait de ses rares permissions afin de rendre visite à sa famille afin de leur compter ses aventures. C'est à cette époque que mourut Beoris, pour qui il avait au moins autant d'amour que sa mère. Ce fut un coup dur mais son groupe sut très vite lui faire remonter la pente.

Au cours de ses années, Raphaël, bien que très bien intégré, restait toujours le plus distant et parlait peu. Avec beaucoup d'humeur Olaf le surnomma un jour Tête Froide, surnom qui lui colla à la peau un bon moment. Mais dans le même temps, il excellait au combat et Olaf sut en tirer parti. Raphaël était un bon membre de la garde quand il agissait à l'unisson avec les autres, mais se révélait redoutable quand il était seul. C'est lui qu'on envoyait, à la faveur de la nuit, son pouvoir à ses cotés, inspecter les campements de voleurs, de commerçants du marché noir et autres nids de bêtes dangereuses. Il devint avec eux un redoutable pisteur et un excellent éclaireur. Il lui arriva même d'arriver à occire des petits groupe de voleur à lui seul en profitant de l'obscurité.

Puis un jour Olaf fut promu à un rang supérieur et quasiment dans le même temps Jorçya devint à son tour Capitaine d'une autre unité. On leur affecta un nouveau chef, Batler, aussi amical que compétent, mais quelque chose avait changé et une certaine lassitude s'installa chez Raphaël. C'est alors qu'un jour, venant tout juste d'atteindre 18 ans quelqu'un vint lui rendre visite à la caserne.

C'était un homme tout drapé de noir, affublé d'une capuche lui couvrant la moitié du visage. Un homme d'une bonne quarantaine d'années, une barbe grisonnante et hirsute, des yeux d'un vert émeraude, répondant au nom de Belias. Ce dernier fit à Raphaël une proposition qu'il ne put refuser...curieux à l'idée de ce nouveau chemin qu'on lui proposait d'emprunter.

Les Jours de l'Espion en Herbe.

Belias était le Maître Espion du Royaume, un homme aussi célèbre qu'il était mystérieux. Il expliqua à Raphaël qu'il l'avait reconnu tout jeune comme ayant les compétences nécessaires pour faire un bon espion mais qu'il devait encore « fleurir ». Très vite, le monde de l'espionnage fascina Raphaël autant qu'il l'effraya. Jamais il n'aurait imaginé qu'il puisse y avoir autant d'intrigues, de secrets et de mystères dans un royaume pourtant en paix. C'est pourtant très volontaire que Raphaël se mit au travail, trouvant dans cette nouvelle profession un épanouissement sans commune mesure avec tout ce qu'il avait connu auparavant.

Belias lui enseigna l'art de se dissimuler, de s'infiltrer, de savoir recueillir le maximum d'informations en utilisant le moins de temps possible. Il lui apprit à se déguiser, voir à se travestir. Au début réticent à l'idée de porter des robes et de se grimer en femme il fut le premier surpris lorsque, lors d'un exercice, un jeune noble vint lui faire la cour. Convaincu de l'efficacité du stratagème il ne le critiqua plus. Au delà du travail d'espion Raphaël du réapprendre à se battre. Agir seul il savait le faire depuis longtemps, mais il avait toujours su jusque là que son groupe n'était pas loin et pouvait agir en cas de problème. Là, il devait devenir parfaitement auto-suffisant, capable de s'adapter à tout malgré le fait qu'il soit seul.

Si certaines périodes d'entraînements en tant que recrue furent difficiles, celui pour devenir espion l'était encore plus et Belias n'était pas genre à perdre son temps. L'homme ne se montra jamais violent mais très dur. Cependant, pour toutes les paroles, souvent dures, parfois blessantes, du Maitre Espion, il se rachetait toujours en éloge, encouragement et tendresse lorsque son élève progressait. Tout deux furent bientôt inséparables, maitre et élève, mais aux yeux de Raphaël, quasiment père et fils.

Les Jours de Pratique.

A 24 ans, après six longues années de formation, Belias officialisa les choses en donnant le rang de simple Espion à Raphaël. La route avait été longue mais le résultat était là. Raphaël était presque un autre homme, ce qui choqua sa mère. Elle se rassura en voyant qu'après d'elle, il savait resté le petit garçon d'autrefois. Sa mère étant peut-être la seule personne pour qui, malgré son pouvoir, il n'eut jamais aucun problème de contact. Sven, alors très vieux, fut ravi de voir l'évolution de son petit fils.

A cette époque, Belias commença à faire participer activement Raphaël à ses missions, lui donnant, aux cours des années, des rôles de plus en plus importants. Ces années là furent particulièrement bonnes pour le jeune homme. Auprès de son mentor et véritablement plonger dans l'action, il évolua encore, prenant parfois même des initiatives auquel Belias n'avait pas pensé. Ils connurent ensemble beaucoup de succès mais firent parfois choux blancs. Rares furent les fois où leurs vies étaient en danger tellement le duo s'arrangeait à merveille pour ses sortir indemnes des situations les plus inextricables.

Arrivé à ses 30 ans, Raphaël se mit à partir plus souvent en mission seul. Belias approchait les 55 ans environ, bien que celui ci n'ait jamais avoué son âge véritable et il lui devint plus difficile d'enchaîner les expéditions. Seul sur le terrain, comme il en avait toujours été, Raphaël se montra encore plus efficace. Son travail étant secret on ne chantait pas ses exploits comme les aventuriers de son enfance, on ne lui donnait pas de récompense lors de grandes cérémonies comme les grands gradés de la garde, mais il savait combien son travail était utile.

C'est lui qui, enquêtant à la guilde des aventuriers, révéla l'identité d'un tueur se cachant sous un faux nom parmi eux. C'est lui qui, infiltrant les politiciens du palais, fournit aux Conseiller, les preuves d'un trafic illicites de cristaux magiques. C'est lui qui, se faisant passer pour un commerçant, démantela un réseau de trafic de créatures magiques dans le Grand Port. C'est lui qui permit, en infiltrant un groupe de rebelle de la Grande Foret et en récupérant leurs plans de bataille, la victoire de la garde lors d'une bataille. Bref, de nombreux exploits jamais comptés, mais toujours importants pour le Royaume.

Le Jour de la Fin.

Sven mourut quand Raphaël eut 33 ans, son chagrin fut entier, perdant ainsi celui qui lui avait tant appris sur l'art des pouvoirs et de la magie en ce monde. Et de l'autre coté, Belias montrait des signes de vieillesse avancé, prit d'un mal inconnu le rendant souvent confus et prit de tremblement. Mais Raphaël n'avait pas encore l'âge de le remplacer. C'est pourquoi, lors d'une mission particulièrement délicate, Belias retourna sur le terrain aux cotés de son élève.

La mission en soit était simple, il fallait infiltrer le château d'un noble. Ce dernier était très proche de la famille Royale, mais des rumeurs laissait entendre toute la haine qu'il éprouvait pour elle. La Royauté ne voulait pas de rumeur, mais des preuves. Pourtant en aucun cas ne devait on savoir que des espions avait été envoyé. Quels visages pouvaient afficher le Roi et la Reine si l'on apprenait qu'ils ne faisaient pas confiance à leurs sujets. Le Phénix et la Déesse avaient parlés, personne ne devait savoir.

La mission était simple, se faire passer pour des voleurs, entrer, prendre des papiers et partir. Rien de plus simple...

Jusqu'à ce que Belias soit pris d'une crise dans le bureau du Noble en question. Tombant à la renverse et bousculant au passage une statue ornementale qui se brisa au sol avec grand fracas...réveillant probablement la moitié du château. Les parchemins recherchés en main, Raphaël attrapa Belias de l'autre et le traîna hors de la salle. On cria bientôt « Aux voleurs. » et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire les deux hommes se retrouvèrent encerclés. On leur envoya une volée de flèches, Raphaël fut touché à la cuisse.

Sans issue il usa de son pouvoir, une technique qu'il n'avait découvert que récemment, lui permettant de se déplacer dans un monde de ténèbres semblable au nôtre. Il disparut du château, emportant avec lui les preuves d'un complot, quelques richesses faisant croire à un simple larcin et Belias sur son épaule. Pendant le trajet dans la Zone Noire, Belias ne prononça pas un mot ce que Raphaël attribua à la retombée de la crise. Pourtant lorsqu'il quitta cette autre dimension, revenant dans une prairie aux abords du château, sa terreur fut totale.

Belias était là, le souffle presque coupé, le visage défiguré dans une expression de terreur infâme. Des mots très doux passaient ses lèvres, répétant sans cesse, « Ils sont là, ils sont là... ». Peut-être à cause du choc, de l'âge, de sa crise ou peut-être à cause de ce qu'il avait vu dans la Zone Noire, Belias mourut cette même nuit. Raphaël n'en parla jamais mais il était persuadé qu'il existait quelque chose dans la Zone Noire. Quelque chose de si terrible qu'elle avait littéralement fait mourir de peur son mentor.

Cette nuit là, bien qu'accomplissant sa mission, Raphaël perdit un autre père et sa tristesse n'en fut que décuplé car celui ci, il avait eu le temps de le connaître.

Le Jour du Maître Espion.

Des espions, il y en avait d'autres. Tous très doués, tous pouvant potentiellement prendre le titre. Mais aucun d'entre eux n'avait été formé d'un bout à l'autre par Belias. Aucun d'entre eux ne possédait le savoir encyclopédique de l'ancien maître. Aucun d'eux n'avait été seul à verser des larmes sur son corps sans vie dans une prairie sans nom au milieu de la nuit. C'est pourquoi, en l'an 999, alors âgé de 37 ans, Raphaël demanda à obtenir ce poste.

Il n'était pas du genre arrogant et avait depuis longtemps oublié ses rêves de gravir les échelons. Pourtant...pourtant, il n'aurait jamais laissé personne d'autre prendre le rang de Maître Espion. Au fond de lui il pensait qu'après tout, c'était certainement à ça que Belias l'avait préparé pendant toute ces années.