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    Un monde plein de mystères,
    plein de magie et surtout plein d'aventures...

    Il est peuplé de créatures fantastiques. Certaines d'une beauté incomparable, d'autres aussi hideuses qu'inimaginables, beaucoup sont extrêmement dangereuses alors que quelques unes sont tout simplement adorables. La magie est omniprésente sur ces terres : des animaux pouvant contrôler la météo, des fleurs qui se téléportent, des humains contrôlant les éléments, des objets magiques permettant de flotter dans les airs...

    Dans ce monde, il y a le royaume d'Aryon. Situé à l’extrémité sud du continent, c'est un royaume prospère, coupé du monde. Il est peuplé d'hommes et de femmes possédant tous un gros potentiel magique, chacun vivant leurs propres aventures pour le meilleur comme pour le pire.

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    Innocence assassinée
    Mysora WeissCroque Chance
    Mysora Weiss
    Informations
    Innocence assassinée
    Jeu 5 Mar 2020 - 22:25 #
    Innocence assassinée Mysoco11


    « Feriseeeen... Mais, arrête ! dit-elle en rigolant, se mettant sur la pointe des pieds pour tenter d'atteindre l'objet qu'il vient de lui dérober.
    - Tu veux le récupérer ? Tu me donnes quoi en échange ? »

    Il sourit à son tour, le bras tendu au dessus de sa tête afin que sa main demeure inaccessible à la demoiselle. Il entend bien embêter sa camarade encore quelques instants, ce qui n'est pas pour déplaire à la jolie Ruth... Après plusieurs tentatives, celle-ci finit par abandonner l'idée de récupérer sa possession et décide, à la place, de chatouiller son ami. Surprit, le garçon baisse subitement les bras pour se défendre de cette attaque sournoise et, ce faisant, donne libre court à la fille de reprendre son bien.

    Toutefois, elle n'en fait rien. Elle se contente de continuer la torture, provoquant des rires incontrôlables et quelques supplications de la part de Ferisen. Elle-même ne peut s'empêcher d'afficher un grand sourire face à cette mignonne faiblesse, tant et si bien qu'elle finit par se laisser surprendre à son tour par une contre-attaque. Elle s'éloigne alors d'un bond et lève les mains en signe de capitulation.

    « D'accord d'accord, t'as gagné ! avoue-t-elle les joues rosies, rayonnante.
    - J'ai gagné quoi ? renchérit-il, tentant de paraître sûr de lui.
    - Le droit que je t'entraîne avant que l'on ne revoit Ombre.
    - C'est plutôt moi qui ait des choses à t'apprendre ! »

    Elle lui tire la langue.

    « Comment ça se fait que tu as l'air si confiant quand on est que tout les deux, et dés que l'on est avec un de nos maîtres on dirait que t'es effrayé ?
    - Sympa... répond-t-il en détournant le regard, visiblement affecté par ses paroles.  
    - Euh, je voulais pas le dire comme ça désolée. Excuse-moi. »

    Elle se rapproche de lui et le prend dans ses bras. La chose n'est pas déplaisante pour Ferisen, mais il préfère ne pas le montrer. Ruth est si jolie et si proche de lui. Il cache difficilement la petite excitation qui monte en lui pendant l'étreinte.

    Après plusieurs secondes, elle finit par s'écarter de lui et en affichant son plus beau sourire. Ils sont très bons amis, partagent les mêmes entraînements et mêmes souffrances depuis des mois et un lien particulier les unis. Elle pense qu'elle ne veut perdre cela pour rien au monde.

    Ferisen la regarde s'éloigner. Ils sont seuls au repère, tout les deux, et quelque chose lui dit que c'est le moment ou jamais de lui révéler combien il l'apprécie. Non, en vérité ce n'est pas juste qu'il l'apprécie : il aime être avec elle et partager des moments comme celui qu'ils viennent de vivre, il aime qu'elle soit si déterminée et assurée, il aime également sa façon de bouger, son visage, sa voix. Il souhaiterait être bien plus qu'un ami pour elle. Il prend son courage à deux mains et l'interpelle :

    « Attends Ruth, je... »

    La concernée entend un bruit sourd suivit d'un gémissement ; grâce aux apprentissages récents, elle devine rapidement que quelque chose se trame et se saisit d'une dague cachée dans ses vêtements. A peine se retourne-t-elle, confiante car persuadée d'être en pleine évaluation, qu'une main se pose sur la sienne et brise son poignet d'un geste sec et efficace, l'obligeant à lâcher son arme. Malgré la douleur, elle tente d'asséner un coup de poing à son ravisseur mais celui-ci la prend de vitesse. En l'espace de quelques secondes son visage se retrouvé criblé de coups et, avant qu'elle n'ait le temps de comprendre qu'il ne s'agit pas de l'un de ses maîtres, son adversaire recouvre sa bouche à l'aide de sa main et plaque brutalement sa tête contre le mur le plus proche. Elle sent alors une douleur atroce s'emparer d'elle sans qu'elle ne puisse hurler. Les deux combattants restent ainsi pendant d'interminables secondes avant qu'une commotion cérébrale n'ait finalement raison de la combativité de la jeune Ruth. Elle s'écroule lentement contre le mur, laissant une trainée de sang frais sur son passage.

    Professionnel, l'assassin détourne le regard pour apercevoir Ferisen, resté en retrait, tenter de fuir les lieux en rampant. Quel spectacle lamentable... Bien qu'insignifiante, sa camarade vient d'opposer une résistance honorable, même aux portes de l'inconscience. Les espions en sont-ils réduits à accepter des couards de ce genre dans leurs rangs ? Voilà qui donne envie de leur donner une bonne leçon. Il s'approche de lui et le soulève par le col sans trop d'efforts, le ramenant prêt de son amie malgré ses supplications. Il lui épargne un commentaire sur le fait qu'il vient de mouiller son pantalon et se contente de le lâcher devant Ruth, ensanglantée, dont seule la respiration atteste qu'elle est encore en vie. Alors qu'il tente de s'échapper une fois encore, son ravisseur écrase son pied et l'oblige à reprendre sa position précédente, à genoux devant sa partenaire.

    « Ne bouge pas. » lui dit-on alors qu'il distingue clairement une voix féminine derrière le masque de fer.

    La femme vient saisir la dague tombée au sol quelques instants plus tôt avant de revenir sur ses pas. Lentement, elle place la lame sous la nuque du garçon qui la supplie, à nouveau, de les laisser en vie. Etonnant ! Lui qui quelques instants plus tôt ne pensait qu'à sa propre survie demande maintenant la grâce de sa camarade également ? Un brin de vaillance qu'elle va s'empresser de faire taire à tout jamais.

    « Elle ou toi. Choisis. » se contente-t-elle de lui dire, sans bouger.

    En sanglots, il n'ose pas regarder le masque devant lui et se contente de rester muet. Plusieurs secondes s'écoulent ainsi dans le silence et la patience de l'assassine arrive rapidement à son terme.

    « J'en conclus que tu prends sa place. »

    Sans qu'il ne s'y attende, elle engouffre ses doigts dans sa bouche et le force à tirer la langue. Elle place alors l'arme sous celle-ci et entreprend de la lui couper, mais le jeune homme s'agite et hurle à s'en égosiller. Elle le relâche et le laisse prendre son souffle.

    « Elle ? » demande-t-elle à nouveau, désignant Ruth à l'aide de la dague.

    Ferisen pleure à nouveau et acquiesce d'un geste timide de la tête. Il n'en faut pas plus à la meurtrière pour se lever et s'approcher de sa cible, tirant la langue de celle-ci comme elle vient de le faire pour l'adolescent. Sa victime tente de l'en empêcher en posant sa main sur le bras de son bourreau, mais toutes ses forces l'ont quitté et elle se résigne bientôt. Le peu d'énergie qu'elle possède encore s'évapore après de nombreux tremblements. La femme se retourne finalement et, d'un geste nonchalant, lance le muscle sectionné prêt du jeune homme.

    « Un souvenir. »

    Celui-ci ne réagit déjà plus, probablement en état de choc. "Plus facile que prévu." pense l'assassine, relevant alors Ferisen et Ruth pour les embarquer avec elle dans le bureau du maître-espion. Elle abandonne le premier prêt de la porte et pose la seconde sur le bureau, sans prendre la peine de dégager ce qui s'y trouve.

    La jeune fille est livide, bouche ouverte, ne respire plus... Ce qu'elle vient de subir semble avoir eu raison d'elle : son corps vient de lui épargner une torture bien plus douloureuse. Il reste toutefois quelque chose à accomplir avant que le travail ici ne soit terminé.

    Elle s'équipe d'un long couteau et pose celui-ci sur la gorge de Ruth. Sans la moindre émotion, elle découpe la tête de sa pauvre victime et sectionne finalement celle-ci. L'empoignant par les cheveux, elle s'approche de la vitrine du maître espion et la brise grâce au manche du couteau, agrandit le trou qu'elle vient de créer et y dépose un nouveau trophée sanglant, bien plus lourd de sens que les autres.

    Enfin, elle sort une corde de sa besace sans fond et l'utilise pour attacher les pieds du cadavre. Elle balance celle-ci par delà une poutre horizontale, plus haut, et hisse la carcasse à un niveau satisfaisant avant de venir nouer la corde à un meuble lourd.
    Elle contemple son œuvre, satisfaite. Ses employeurs devraient l'être également...

    « Quoi qu'en disent tes proches, tu es le seul fautif. » adresse-t-elle à Ferisen, sans même un regard à son attention. « On se reverra. »

    Elle sort de la pièce sans se soucier d'être aperçue et rejoint, en marchant, l'une des ruelles proches du repère. Retournant vers l'hippodrome Veriano, elle espère bien y prendre un peu de repos mérité.
    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Dim 8 Mar 2020 - 22:40 #
    Il pleut des cordes sur la Capitale quand Zahria sort de la salle du portail de téléportation. Mais elle n'a qu'une seule chose en tête depuis la conversation cristallique avec Calixte, et rien ne peut l'arrêter. Elle ajuste la capuche de sa cape sur sa tête, et marche d'un pas vif sous la pluie battante en direction de la caserne. Il n'y a que de l'incompréhension dans sa tête, elle est incapable de savoir ce qu'elle ressent et ce qu'elle pense. Il faut juste qu'elle arrive, qu'elle constate, elle agira après. Calixte est en bas quand elle arrive devant le pôle espionnage, il s'est réfugié de la pluie sous le couvert d'une porte et ses yeux sont agrippés à elle. Zahria s'avance vers lui pour le prendre dans ses bras. Le jeune homme ne réagit presque pas à l'étreinte, il est comme paralysé par une flèche de foudre. Il finit par tapoter distraitement dans son dos, avant de l'embarquer à l'intérieur, qui est illuminé par de petites lampes magiques.

    Des frissons parcourent l'échine de la maître-espion, toujours recouverte par la main de Calixte qui la pousse à avancer. Le regard de son jeune apprenti est vide, il avance mécaniquement vers le bureau. Les traces de combat, de sang, laissent présager du pire. Et quand Zahria arrive enfin dans la pièce, elle est obligée de se recouvrir la bouche pour ne pas laisser un hoquet de surprise et de dégoût. Plus que le corps toujours accroché au plafond, c'est les yeux rivés sur elle, depuis la vitrine, qui frappent tout de suite Zahria. Ses jambes manquent de flancher, et elle doit se raccrocher au bras de Calixte pour ne pas s'effondrer. La brune ferme les yeux, incapable d'assister plus longtemps à ce spectacle. Elle connaît la mort, elle a l'habitude d'y faire face, mais là, il s'agit de Ruth. Et surtout, c'est sa faute.

    Quand elle réouvre ses yeux, après avoir légèrement détourné le visage, elle voit le terrarium, posé à côté de la fenêtre. Les trois Glooby sont collés les uns aux autres, tremblotant, dans un coin de leur maison de verre, le visage face au mur. Zahria s'approche, et le regard terrifié de Wendy vient la cueillir. Ils ont assisté à la scène. Et les Glooby ont, c'est connu, une mémoire énorme. Ils ne peuvent pas parler, mais leur peur est palpable. Ce qui a dû se passer ici a dû réellement être horrible. Une main se pose alors sur l'épaule de Zahria, et elle se retourne face à la blondeur de Fledric, son secrétaire, qui affiche une mine sincèrement désolée. Elle remarque que Calixte est sorti, certainement incapable de soutenir le regard de Ruth dans la vitrine. Les premiers mots sortent enfin de la bouche de la maître-espion, destinés à Fledric.

    « Quand... ?
    - Aujourd'hui.
    - Où est Ferisen ?
    - Avec Feuille, il n'a communiqué à personne sa position.
    - Bien.
    - A-t-il dit quelque chose ?
    - Rien de concret. Il a parlé d'un masque, de... torture...
    »

    La maître-espion a un nouveau hoquet, Fledric la retient.

    « Voulez-vous sortir, Maître ?
    - Oui, ce sera préférable.
    »

    Zahria ne sait pas trop comment ça arrive, mais quelques minutes plus tard, ils sont installés tous les trois dans la taverne en face du pôle espionnage. On les a placé à une table tranquille en périphérie, certainement grâce à Fledric et son tact. Zahria est placée face à la porte, et les deux hommes en face d'elles ne prononcent pas plus de mots qu'elle depuis leur arrivée. Calixte la fixe, comme s'il attendait quelque chose d'elle. Quelque chose qu'elle ne sait pas si elle est capable de lui donner. Quant à Fledric, il attend calmement, le regard sombre. La situation ne semble pas le réjouir, mais il garde le contrôle de ses émotions, comme un pilier pour les aider à se raccrocher. Quand son frère de coeur se lève, Zahria pense qu'il est sur le point de partir, mais il s'excuse juste pour aller se soulager. Elle se retrouve seule avec Fledric, qui pose sa main sur la sienne dans un geste amical.

    « Courage, maître. Il faut que vous preniez les choses en main, ils attendent tous vos directives, mais vous en êtes capable.
    - Comment le savoir, Fledric ?
    - Ils le savent, tous. Ils ont placé leur confiance en vous, et le précédent maître aussi. Ne vous laissez pas abattre.
    - Ils nous ont attaqué chez nous, tu ne comprends pas...
    - Il ne faut pas les laisser gagner votre peur. Relevez-vous et combattez-les.
    - On ne sait pas même de qui il s'agit, ça pourrait très bien être un acte isolé, pour ce qu'on en sait...
    - Vous allez tirer ça au clair.
    - Je...
    »

    Zahria s'interrompt alors que la porte s'ouvre sur un visage bien trop familier, désormais. Ses yeux irisés s'ancrent dans le regard noir d'un Vrenn ruisselant de gouttelettes de pluie, qui la voit tout de suite à travers la foule. Elle se lève immédiatement, alors que les souvenirs des derniers jours, et de ce qu'elle faisait avec lui juste avant de rentrer à la Capitale la submerge. La main de Fledric retombe sur la table alors qu'il voit lui aussi l'espion entrer et avancer vers eux. Zahria se lève, et rompt la distance avec Vrenn. Elle voudrait tomber dans ses bras, mais quelque chose l'en empêche. Elle pose sa main sur le bras de l'espion, qui ne fait pas le moindre geste et ne prononce pas la moindre parole. Qu'est-ce qu'elle voit dans son regard ? De la colère ?

    « Vrenn, je...
    - Je sais.
    - Je ne voulais pas...
    - Ça va, je sais.
    - Comment...
    - Je suis monté, t'étais pas là-haut, me suis douté que je vous trouverai pas loin.
    »

    Ce n'est pas la question. La seule façon pour qu'il soit arrivé si vite, c'est par les portails de téléportation, et aux dernières nouvelles, il n'avait pas le pass. Zahria voit Calixte revenir vers la table, et entraîne Vrenn derrière elle. Il prend une chaise et s'installe à droite de Zahria, laissant Calixte en face, et Fledric à sa gauche. Le Sbire est encore plus silencieux et raide que d'habitude. Lui en veut-elle ? Il aurait le droit de le faire, mais alors, pourquoi être venu ? La table est petite, la cuisse de Zahria se cogne contre celle de Vrenn sous la table, mais il n'enlève pas sa jambe, alors elle décide de maintenir le contact. Bizarrement, ça lui donne du courage.

    « Bon. Voilà ce qu'on va faire.
    - Maître, êtes-vous sûr de vouloir parler devant tout ce comité ? Nous ne savons pas comment l'assassin a eu les informations, mais il faut très certainement suspecter quelqu'un de notre entourage, quelqu'un qui savait que vous n'étiez pas là...
    - Toutes les personnes autour de cette table ont mon entière confiance, Fledric.
    »

    Le voix de Zahria est catégorique. Elle sent que le regard du blond glisse sur Vrenn, mais il ne dit plus rien.

    « La première chose à faire est de retrouver le... l'assassin. Je vous assure que je voudrais me lancer moi-même sur sa piste, mais mes nouvelles responsabilités m'en empêchent. Je vais devoir gérer d'autres choses. Alors je vais avoir besoin de vous, aujourd'hui plus que jamais. Calixte, tu vas t'occuper de l'enquête. Il te faut un médecin compétent et hors de la Garde, quelqu'un de confiance, pour t'aider à faire... à faire... l'autopsie. On va demander à Luz. Vrenn, tu vas seconder Calixte. Tu connais le milieu de l'ombre, et apparemment Ferisen aurait parlé d'un masque. Peut-être que ça te dit quelque chose, personnellement ça sonne familier à l'un de tes... anciens amis. »

    Elle appuie encore plus sa cuisse contre celle de Vrenn. Comme pour lui faire comprendre qu'elle a besoin de lui. Et parce que maintenir une telle confiance et parler de façon aussi détachée est un supplice. Zahria a envie de tout détruire, de mettre le feu à tout de qui l'entoure, elle est une véritable boule de nerfs, et seul ce contact sous la table l'aide à tenir. Vrenn peut lui en vouloir de l'avoir laissé en plan, mais là il est son ancre, et il faut espérer qu'il ne va pas la laisser tomber.

    « Calixte, ça va aller ?
    - Oui.
    »

    C'est le premier mot que celui qu'elle considère comme son frère prononce depuis que la communication cristallique a été interrompue. Sa voix a un ton éraillé, rauque, qu'elle ne lui connait pas. Arrivera-t-il seulement à tenir l'enquête ?

    « Je veux demander à Vaelin de le faire, si tu ne te sens pas. Ou Vrenn peut peut-être s'en occuper seul... ?
    - Non. Je prends.
    - Tu es sûr, Cal ?
    - Sûr. Ombre.
    - Je demanderai à Feuille de vous arranger un rendez-vous avec Ferisen, quand il sera prêt à répondre à vos questions.
    - D'accord. Où serez-vous ?
    - Dans une autre planque. On se retrouve ici demain, Fledric, je t'y mènerai. On ne communiquera que par oral. Je vous donnerai ma position de façon codée par cristal, ne la partagez avec personne.
    - ... autre chose ?
    - Ce sera tout pour l'instant, Damoiseau. Vous pouvez rompre.
    »

    Les trois hommes se lèvent, et Zahria sent ses forces la quitter. Il lui faut de longues secondes pour en faire de même, et ils sont déjà la porte. Elle passe au comptoir régler leurs consommations, et ils sont déjà partis tous les trois. Rester forte, il faut rester... Comment rentrer chez elle, maintenant ? Où habite-t-elle, déjà ? Quand elle passe la porte, Zahria pose d'abord le regard sur le ciel, qui semble toujours cracher toute sa verve sur la Capitale, puis sur une ombre à sa gauche, abritée sous le petit préau du bâtiment. Vrenn est là, une cigarette toute juste allumée sur le bec, et il est en train de finir d'en rouler une deuxième, qu'il vient poser délicatement sur les lèvres de Zahria, et qu'il allume à l'aide sa pierre de feu.

    « Tu vas encore faire des cauchemars, cette nuit ?
    - Non.
    »

    Zahria avale une bouffée, puis laisse la fumée se mêler à la buée de son souffle. Puis elle éclaircit sa pensée.

    « Je ne vais pas faire de cauchemars. Je ne vais pas dormir.
    - Hum.
    - Vrenn, je peux te poser une question ?
    - Essaye toujours.
    - Pourquoi tu es venu ?
    - Je suis ton... je suis le Sbire. Je me suis dit que tu aurais besoin de mes... talents.
    - Tu espérais que je te demande de le tuer ?
    - L'assassin ?
    - Oui.
    - Chais pas, peut-être.
    »

    Ils fument en silence quelques secondes.

    « Vrenn ?
    - Quoi ?
    - Je peux te demander encore un service ?
    - Je viens de te le dire... je suis le Sbire.
    - Vrenn... ne me laisse pas rentrer seule, ce soir.
    »

    Les yeux de Zahria s'accrochent à lui, et ils sont sans équivoque. En face, il ne répond pas.

    « Je suis désolée pour tout à l'heure, je voulais vraiment...
    - Ça va, t'as pas d'explications à donner.
    - Vrenn, s'il te plait...
    »

    Les yeux de Zahria se sont emplis de larmes, et ce n'est pas que parce que la fumée lui fait du mal.

    « S'il te plait, laisse moi passer la nuit avec toi... encore. »

    Elle passe son coude sur ses yeux, pour faire disparaître l'humidité sur son visage, et fait un pas vers lui. Calixte et Fledric ont disparu depuis longtemps dans la nuit, ils ne sont plus que tous les deux. Elle prend la cigarette de la bouche de Vrenn, vient la mettre dans la même main que la sienne, puis pose ses lèvres tendrement sur celles du Sbire. Elle ne voit pas d'autre solution, dans l'immédiat, pour cesser de souffrir.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Mar 10 Mar 2020 - 11:54 #
    Il pleuvait. Comme si le ciel, sensible au drame se jouant, avait décidé de déverser un torrent de larmes. Comme s’il leur envoyait de quoi nettoyer le sol rougi par l’infâmie. Comme s’il cherchait à noyer l’horreur de cette soirée. Les gouttes glissaient le long de ses vêtements, et de son visage mal abrité par sa simple capuche. Les gouttes du ciel. Et peut-être pas que. Il pleuvait.

    Instinctivement, son regard accrocha celui de Fledric lorsque leurs chemins se séparèrent. Les yeux clairs du secrétaire se découpaient dans la pénombre chagrine. Avec un mélange d’émotions et de contrôle que l’espion avait du mal à déchiffrer. En avait-il seulement envie ? L’homme avait été présent pour l’aider à gérer un Ferisen choqué, traumatisé par l’incident. Pour faire un premier état des lieux, rapide et concis, de la scène de crime. Pour vérifier la présence, ou l’absence, d’intru sur les lieux. Pour faire le tour des issues, et les condamner. Pour s’assurer qu’au-delà d’une vie, rien d’autre n’avait été subtilisé. Pour tout cela, Fledric l’avait aidé, soutenu. Pour tout cela, Calixte était repassé derrière lui. Il n’avait aucune confiance en ce secrétaire.

    Tout comme il n’en avait aucune en Vrenn. Observant la silhouette de l’homme blond s’éloignant pour se fondre dans les ténèbres ayant embrassé la Capitale, Calixte se serait presque réjoui de ne pas avoir – encore, ça viendrait – oublié le nom de son nouveau camarade espion. Presque. Si ça avait été un autre jour. Un jour, avant. Le livre mémoire avait le mérite de bien porter son nom, et le jeune homme aurait été un peu embarrassé d’avouer qu’il contenait principalement, voire exclusivement, des informations sur l’ancien aventurier. L’ancien hors-la-loi. Si ça n’était pas, justement, ce fameux livre mémoire, feuilleté avidement quotidiennement, qui lui rappelait l’existence de ce singulier individu. De son identité. De son apparence. De ses forfaits. De leur esquisse de relation. De son lien avec Zahria. Quel lien ?

    La nouvelle Maître-Espion lui avait confié d’élucider cette affaire. Ce meurtre. Cet affront cruel au cœur de leur groupe restreint et discret. De leur famille. De leur maison. Enquêter sur cette injure effroyable en compagnie de Vrenn. Dans le climat de suspicion déjà ambiant qu’elle leur avait mis en avant au moment de leur réunion quelques temps plus tôt. Parfait. Et peut-être était-ce une colère sourde qu’il sentait vrombir sous sa peau, qui brusquait son pas et accélérait sa respiration, mais il y avait là une ironie certaine qu’il avait bien du mal à apprécier. Ou peut-être était-ce la douleur. Quelle douleur ?

    Après son appel cristallique, Zahria n’avait pas tardé à revenir sur la Capitale. Pour découvrir, constater, décider. S’écrouler ? Et peut-être avait-il perçu son choc. Son effroi. Sa peine. Sa détresse. Ses doutes. Sa fureur. Et peut-être avait-il eu envie de prendre sa main dans la sienne pour ne pas la lâcher. Ni dans le bureau ensanglanté. Ni dans cette taverne où ils avaient trouvé refuge. Ni au terme de leur réunion de crise. Et peut-être n’avait-il jamais eu autant envie d’être là pour elle. Mais il avait surtout besoin qu’elle soit là pour lui. Pour eux. Non, peut-être bien pour lui. Pas comme Zahria, la mentore, l’amie et la sœur de cœur. Peut-être même pas comme simplement Ombre. Mais surtout en tant que Maître-Espion. Et avait-il encore confiance en son Maître-Espion ?

    Ses bottes claquaient contre les pavés ruisselants des ruelles de la Capitale. Il pleuvait.

    ~

    Une lumière tremblotante s’échappait encore de l’intérieur de la clinique malgré l’heure tardive. Visiblement, Luz ne lésinait pas sur ses heures de travail, pour le meilleur ou pour le pire. Passant la porte d’entrée, Calixte glissa son regard sur la salle d’attente. En dehors d’un vieil homme qui releva la tête à sa venue, la pièce était vide.

    - Eh bah vous avez vraiment une sale tête vous, l’accueillit-il avec franchise. Z’avez d’la chance j’attends juste mon épouse.

    L’espion s’avança davantage pour se caler dans un coin un peu plus discret, et un peu moins éclairé. Par habitude. Et pour s’éviter des questions embarrassantes de la part du vieil homme. Peut-être n’en aurait-il pas eu besoin car celui-ci semblait tout à fait heureux de poursuivre son monologue sur « encore des histoires de chiffons je parie » puis « j’y peux rien qu’des fois j’préfère aller voir la p’tite Susie » et « faut être un peu neuneu pour s’acheter des porte-jarretelles en laine de boucton » voire encore « maintenant ça lui gratte à des endroits innommables »… mais ça lui épargnait un peu les oreilles.

    Par la fenêtre, il pouvait encore observer la pluie persistant rageusement à tremper les reliefs de la Capitale. Il espérait que Luz avait de quoi affronter le temps morose, car ça n’était pas la scène macabre qui les attendait qui allait la réchauffer. Et peut-être Zahria ne pensait-elle pas à « ce soir » en lui indiquant de chercher son amie médecin, mais Calixte voyait mal pourquoi attendre. Pourquoi repousser la nécessité. D’autant plus qu’il y avait certainement plus d’évidences potentielles à trouver en s’y attelant rapidement. Et qu’avait-il d’autre à faire, honnêtement ? Aurait-il été capable de travailler sur autre chose, de se divertir, de dormir, tant qu’il aurait su le corps de Ruth suspendu dans le bureau ? Exposé dans la vitrine. Mutilé dans le couloir.

    En dépit de l’horreur de la scène, le coupable avait été d’une discrétion remarquable. Parfaitement professionnelle, ou extrêmement chanceuse. Probablement les deux. Le premier examen de Calixte ne lui avait pas permis de retrouver une quelconque trace – de pas, de main, ou du moindre petit élément notable – pour étayer ses recherches. La corde utilisée pour suspendre le corps inanimé ne s’était pas révélée de facture exceptionnelle, ni aisément traçable. La vitrine brisée n’avait rien arraché de probant à celui qui l’avait éclatée. Les longues traces de sang décrivaient sans fard le déroulé de l’effroyable meurtre, sans toutefois esquisser le moindre indice sur la main assassine. Les issues, visiblement non forcées, n’avaient pas été d’une aide plus grande. Et rien n’avait semblé avoir été subtilisé, ni dérangé, dans les affaires des espions. Ferisen, bouleversé, tremblant, pleurant, gémissant, s’accrochant désespérément à lui puis à Feuille comme à une bouée de sauvetage, n’avait eu pour eux que des propos incohérents. Ruth… Ruth serait la part de Luz. L’enseignement de Wendy ne lui avait pas permis de réaliser une analyse assez pertinente de ce genre de situation, et il n’était de toute façon pas certain de vouloir être celui qui se pencherait avec une attention méthodique sur le corps endommagé de la jeune fille.

    Son doigt engourdit récupéra une goutte d’eau perdue sur sa joue. Il pleuvait.

    ~

    Quelques secondes, quelques minutes, ou peut-être une éternité passa. Et puis, enfin, dans son dos de l’agitation. Il se retourna pour observer l’échange tumultueux entre la patiente sortant du bureau médical et son époux l’attendant dans la salle d’attente. Le ton était loin d’être retenu, et le silence de la pièce accueillait avec avidité l’ardeur des propos. Calixte n’en entendit rien, fixant au-delà des deux silhouettes la porte menant à la salle d’examen. Lorsque le couple s’éclipsa enfin dans un nuage de disputes, l’espion s’avança.

    Par habitude polie plus qu’autre chose, il frappa doucement à la porte encore entre-ouverte.

    - Luz ?

    Par où commencer ? « C’est la merde. » « On a besoin de ton aide dès que possible. » « Ruth a été assassinée. » « Pourrais-tu faire son autopsie. » « Genre maintenant, avant que ça nous rende fous de savoir la scène encore en l’état. » « Quoi que si tu as aussi un bon psychologue sous le coude… » « Et prends un manteau, il pleut. »

    Il passa une main sur son visage fatigué. Humide.

    - Il pleut.
    Luz WeissCroc de foudre
    Luz Weiss
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    Re: Innocence assassinée
    Dim 15 Mar 2020 - 21:35 #
    Elle ne vit pas son visage. Les prunelles baissées sur l’écriture laborieuse d’un dossier, Luz ne pouvait étudier sa silhouette, détailler ses traits, comprendre pleinement qui s’avançait jusqu’à elle dans la lumière artificielle de la pièce. Sa voix, pourtant, la heurta avec le ressac d’un haut fond sur la coque d’un navire. Il y avait dans ces deux syllabes et dans le simple appel de son nom, tout un monde en clair-obscur. La tonalité d’un déchirement atone, de celle qui vous rompt les os dans le silence du deuil. La voix d’un mort, peut-être. Un existant qui n’était tout du moins plus vivant. Celle de la voix d’un être aimé, le granulé d’un timbre si familier qu’elle l’aurait perçu à travers la foule, là-bas, tout là-bas, si ouverte à sa détresse que son corps se saisit d’une réaction presque animale. Sa dextre se figea à l’entournure d’une lettre, et c’est avec sursaut que son visage se releva vers la silhouette qui s’était échouée à ses pieds. Calixte. Homme et oiseau tout à fait, demi vivant et demi mort tout autant.

    Elle se leva. Souple et silencieuse détente dans la mélasse du silence. Elle contourna son bureau, sans mot dire à cet appel insidieusement formulé dans l’espace, jusqu’à franchir la distance qui les séparait encore. Il y avait là des morceaux de lui, égrenés à même le sol. Délavé par la pluie qui ne lui avait plus laissé aucune couleur, ses plumes d’ordinaire si belles si chatoyantes présentement retranchées dans une souffrance aigue. Brièvement, une multitude de questions franchirent les portes de son esprit pragmatique. Que s’était-il passé ? Qui l’avait mis dans cet état ? Où était Zahria ? Elle n’en formula bien entendu aucune. Il n’y avait pas louve plus sauvage et plus protectrice que Luz, et la détresse de Calixte résonnait dans l’infinité de son enveloppe charnelle avec un impérieux et absolu manque à combler. Il y avait là un vide tout en creux – elle était femme à y mettre les mains jusqu’à l’épaule, se noyer toute entière pour mieux l’attraper par le poignet et l’extraire comme une forcenée de l’obscurité dans laquelle il s’était engouffré.

    Elle vint saisir sa main avec la douceur habituellement accordée aux objets fragiles et brisés. La retourna entre les siennes, vint faire courir ses doigts d’hirondelle dans sa paume, réchauffer, lisser les plis qui s’y trouvaient. Patiente et attentive bienveillance, ses mains remontèrent sur ses épaules, vinrent y chasser sa capuche, y égrener au loin la multitude de gouttelettes argentées prises dans la toile de ses vêtements. Oui, elle percevait les heurts et les meurtrissures qui s’agitaient sous sa peau, la posture échancrée de ses épaules, l’ombre derrière ses prunelles. Elle plongea les siennes sur son visage, et vint longer l’arrête de sa mâchoire de sa dextre, passant la pulpe duveteuse de son pouce sur sa joue. Elle y traça un sillon sur ses traits creusés, chassant l’eau, parce qu’il pleuvait toujours ici bas, loin dans cette obscurité qu’elle s’obstinait à déterrer avec l’aplomb profond et paisible d’un lac de forêt. Elle chassa tendrement les longues mèches blanches qui s’étaient collées à son visage, et d’une légère impulsion, se haussa sur la pointe des pieds pour venir déposer son front contre le sien. Sa voix ne fut qu’un murmure dans l’obscurité de la pièce, peut-être un pépiement d’oiseau – car si elle parlait son langage, peut-être lui répondrait-il… ?

    « Je suis là, Calixte. Je suis là… »

    Alors, la paume de ses mains en coupe contre ses joues et son front posé contre la froide pâleur du sien, ses doigts se parèrent d’une nuance chaude et mordoré. Son pouvoir de soin échouait à soigner les blessures qui n’étaient guère physiques et tangibles. Il lui disait que son corps était intact, qu’il n’y avait là ni lames ni plaies. Elle lui reversait pour autant sa propre énergie, une chaleur profondément bienveillante, la consistance d’un soutien inébranlable et la volonté sûre de ramasser pour lui les feuilles écornées qu’il avait laissées à ses pieds. Son contact intime était le fruit de sa propre âme, intact, qu’elle déversait en lui pour lui donner la force nécessaire. Celle de vivre, encore un peu, et d’affronter les cauchemars qui rôdaient sous le voile de ses paupières.

    « Montre-moi, lui dit-elle. »

    Le vert ombrageux de ses prunelles s’imprima d’une ténacité désarmante.

    Le temps de l’errance s’achevait désormais.

    ►◄

    Elle n’avait pas lâché sa main sur le dédale de leur trajet. Guère plus lorsqu’ils pénétrèrent dans une masure qui ressemblait à toutes les autres, dans un quartier que rien n’aurait distingué de ses voisins. L’endroit était silencieux, un mausolée intact, figé dans un espace-temps qui n’appartenait déjà plus à la réalité présente. L’odeur, tout d’abord, la prit à la gorge. Cette odeur doucereuse et aigre qui vous agrippait les viscères, vaste instinct animal pressentant la proximité d’un corps dont la chair était entrée dans un long cursus de putréfaction. Elle pressentit la sordidité de l’affaire avant que son regard ne glisse sur les éclats de sang séché répandus sur le sol. Sous la tenture de ses cils sombres, ses prunelles accrochèrent le visage de Calixte. Si elle-même se sentait extérieure à ce carnage, loin du drame qui s’était joué ici et habituée à fourrager les cadavres et les humeurs de ses patients, son homme oiseau d’ami l’inquiétait davantage. Elle comprit, intérieurement, qu’une tâche mécanique pourrait l’aider à passer au second plan de sa propre conscience. Sortant ses outils, appliquant ses gants, elle commença donc à lui donner des ordres doux mais fermes :

    « Tiens, voici une paire. Mets-les, et attends mes consignes. »

    Le couloir tout d’abord. Prémices de la lutte, éclaboussures projetées sur le sol. Des coups avaient été donnés. Des coups secs, adroits, précis. Sales, aussi. Ceux d’une mise à mort à l’arrière d’une ruelle, peut-être le sang d’un nez sous l’impact d’un poing ou d’un objet. Une flaque d’urine tâchait d’ailleurs le sol, constata-t-elle à l’odeur, accroupie à proximité des restes de l’altercation, son cadre magique dans les mains.

    « Raconte-moi tout. Depuis le début. Les sources et les témoignages que vous avez récupérés. »

    Le mur fragile de cette bicoque de quartier présentait un léger renflement marbré d’une sanglante traînée. Au vu de la hauteur… Vraisemblablement son crâne. Elle poursuivit son chemin, pista les gouttelettes grenats qui menaient au bureau de Zahria – elle devina la patte de sa colocataire et amie, et le désordre qui y régnait. Elle ne tarda guère à vérifier son hypothèse, passant ses doigts sur le crâne de la tête tronquée qui siégeait dans la vitrine. Sa langue demeurait pour sa part sur le sol, jetée négligemment dans la pièce.

    « Aide-moi à descendre le corps. »

    A elle seule, elle prenait le risque d’abimer celui-ci. Un cadavre n’était jamais aisé à manipuler à bout de bras, véritable poids mort qu’ils déposèrent par terre avec soin. Des mouches rôdaient déjà sur les lieux, première investigatrice de toutes scènes de crime... La rigidité cadavérique en était aux prémices de son forfait. La jeune fille était morte une poignée d’heures auparavant, peut-être trois, peut-être quatre. Un temps qui de toute façon ne changeait déjà plus rien pour elle.

    Luz se redressa, plusieurs longues et interminables minutes après avoir écumé la pièce. Elle ôta ses gants souillés, enleva le nœud qui retenait ses longs cheveux flammes sur sa nuque durant son auscultation. Ses prunelles revinrent alors s’amarrer au regard de Calixte et elle ne perdit nullement en fermeté lorsqu’elle l’enjoignit à sortir du bureau.

    « J’ai des informations à te transmettre. Mais nous irons d’abord nous asseoir quelque part ailleurs dans une pièce de cette maison, et tu devras boire le thé que je vais te préparer. »

    Elle leva aussitôt une main, anticipant une potentielle objection :

    « Je me fiche de savoir si tu es capable d’avaler quelque chose ou non. Tu vas le boire. Je n’y mettrai rien qui puisse affecter tes capacités de raisonnement et de réaction, bien au contraire. Tu as ma parole. Cela te soulagera et t’aidera à te concentrer. »

    Quelques quinze minutes plus tard, Luz déposait en face de son protégé une tasse de thé fumante. Elle haussa les épaules et expliqua, laconique :

    « Beodassa et phiatri. Associés à une pointe de tilleul. »

    Elle tira une chaise et vint s’y installer, ses propres mains en coupe autour d’une tasse similaire. A côté d’eux, plusieurs feuilles blanches avaient été réparties sur le bois de la table d’appoint et une scribouilleuse patientait magiquement, sa pointe trempée d’encre noire.

    « Votre tueur est soit un homme de moyenne à petite taille, soit une femme de grande taille. Très athlétique, s’il s’agit d’une femme. Il faut une force considérable pour soulever seule un corps amorphe, surtout après une lutte. Une force suffisante pour écraser le crâne de quelqu’un contre un mur. Je pense que votre tueur fait une taille similaire à la mienne, aux alentour d’1 mètre 72. Il maîtrise en tous cas son énergie et sa puissance à la perfection. Ce combat n’en était pas un -trop net et sans bavure, mais une exécution en terrain connu. Le meurtrier n'était pas pressé et savait qu'il ne serait pas inquiété.

    Car malgré la sauvagerie apparente de la scène, il ne s’agit nullement d’un meurtre passionnel perpétré de sang chaud. Le tueur a presque agi… Comme une autopsie. D’un regard froid et d’une indifférence assez manifestes. Rien dans les éclaboussures de sang ou dans les blessures ne témoigne d’une maladresse ou d’un semblant de tremblement : cette personne savait parfaitement ce qu’elle faisait aussi sûrement que je connais les os du corps humain. Peut-être un assassin professionnel enrôlé pour accomplir les basses besognes de quelqu’un d’autre. Ou une personne suffisamment détachée pour considérer cela comme un travail de secrétariat.
    »

    Elle porta sa tasse à ses lèvres, pris le temps de boire une gorgée chaude et rassérénante.

    « Cette mise en scène est un avertissement extrêmement recherché. Je ne sais pas dans quelle affaire vous avez trempé, mais l’instigateur du crime veut que vous sachiez qu’il peut vous atteindre n’importe quand, n’importe où, et choisir lui-même qui devra vivre ou mourir… Il y a également pas mal de narcissisme dans ce crime. Un côté théâtral et presque pédagogique. Votre criminel ou son commanditaire doit être quelqu’un d’extrêmement puissant qui ne tolère pas la moindre bévue et se pense inatteignable. Il vous explique une situation simple, exactement comme l’on apprendrait à un enfant handicapé à ne pas embêter les adultes. De manière imagée et définitive. C’est du moins l’interprétation que j’en fais. »

    Elle laissa filer un profond soupir, et vint poser sa dextre sur la main de Calixte.

    « Calixte… Qui que ce soit, Ruth n’a rien pu faire. Ses blessures expriment une surprise totale. Tu dois également savoir qu’elle n’a pas eu le temps de souffrir davantage que sa fracture au poignet et le premier choc de la confrontation. Sa fracture au crâne et la commotion cérébrale qu’elle a entrainée ont suffi à la plonger dans une torpeur mortelle. Elle a vaillamment lutté. Son évanouissement était sans retour et elle ne devait déjà plus sentir ce qui l’environnait lorsque son meurtrier l’a entrainée dans le bureau. »

    Ce que Luz n’exprimait pas tout haut et qui était pourtant compréhensible de tous, était qu’elle n’avait pas été décapitée vivante. Le résultat final était bien sûr le même, mais Luz préférait mille fois une mort cotonneuse et épuisée à l’horreur d’une gorge sectionnée.

    « J’ajouterais que la manière dont sa tête a été sectionnée corrobore l’hypothèse de l’assassin professionnel de très haut niveau… Les os et la configuration d’un corps rendent la décapitation par couteau extrêmement compliquée. Il faut une force et un doigté prodigieux, sans élan. La blessure est pourtant méthodique et professionnelle, faute d’être sans bavure. Il y a là, beaucoup, beaucoup d’argent en jeu si une telle personne a pris la peine de se déplacer pour s’occuper de votre cas. Ou du moins des relations très haut placées. »

    Après un silence, elle ajouta :

    « J’ai… Connaissance d’affaires similaires qui se sont produites auparavant. Une manière de tuer identique, pour l’exemple. Un homme d’affaires dans le sud de la Capitale, et un agriculteur dans les plaines. Et ce ne sont là que les cas dont j’ai connaissance. Je vous suggère de récupérer les dossiers classés auprès de la Garde. Tous étaient liés à d’étranges affaires répréhensibles dont nul n’a daigné m’informer à l’époque… Des têtes et des corps exhibés en guise d’avertissement, dans tous les cas. »
    Vrenn IndraniSbire
    Vrenn Indrani
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    Re: Innocence assassinée
    Mer 18 Mar 2020 - 19:17 #

    La soirée commençait si bien. On s’est jeté l’un sur l’autre comme des morts de faim qu’ont contemplé un mirage pendant des semaines dans le désert avant d’arriver enfin dans un restaurant luxueux. C’était luxurieux. Puis le cristal de communication a sonné. Une fois, rien à foutre. Deux fois, mieux à foutre. Trois fois. Plus rien à foutre, littéralement. J’ai regardé Zahria partir comme une furie en mettant ses vêtements à l’arrache, alors qu’elle les avait si bien arrachés, avec une expression bizarre sur le visage.

    Tétanisée dans un rictus paniqué, avec le recul, j’dirais.

    Encore haletant, le rouge aux joues, j’ai baissé les yeux mais la bosse était toujours là, comme moi, allongé sur le lit. J’me suis mordu l’intérieur de la joue. J’ai soupiré. J’ai roulé sur moi-même, dans un sens, puis dans l’autre. Y’a un bordel, sur la grande place, qu’a pignon sur rue. J’me suis levé rapidement, j’ai pris mes affaires, j’me suis rhabillé. Faut dire qu’il caille, toujours, dans le Nord.

    L’air frais aurait fait comme une baffe si j’avais pas eu aussi chaud. J’me dirige sans hésiter vers la grande place, et j’observe le manège des gens qui profitent encore de la soirée. J’ai encore soupiré. Même pas envie d’aller aux putes, là, comme ça. Chienne de vie. J’ai raqué comme un connard pour mon laissez-passer de téléportation, et j’suis rentré à la Capitale, quelques minutes après Zahria.

    ***

    La planque des espions. J’suis pas venu souvent, mais ça ressemblait pas à ça. Les portes sont pas aussi soigneusement fermées, c’est toujours vide, mais plus avec ce calme feutré des situations sous contrôle. Marrant, comme juste quelques taches de sang, et des éléments de décor qu’ont bougé, ça peut renvoyer une toute autre ambiance. Quand j’rentre dans le bureau d’Ombre, pas celui de Zahria, j’vois bien le corps accroché, et la tête posée dans la vitrine. Ouais, bon, la gamine des petits-déjeuners est morte. C’est bien ce que j’avais compris pendant la communication par cristal.

    N’empêche, elle aurait pu mourir demain, ou même quelques heures plus tard. Sans me vanter.

    Y’a pas grand-chose à tirer de la disposition de la scène. C’était les deux gamins en formation qu’étaient là, et ils ont beau avoir eu une formation de gardes, ça reste des adolescents. C’est pas souvent qu’on en voit qui sont capables d’étaler des assassins en confiance. Me demande s’ils étaient plusieurs. En tout cas, ils savaient où ils allaient. Et heureusement que j’avais un alibi. Le meilleur qui soit. Je hausse les épaules. On en verra d’autres, des trucs pareils.

    Quand j’ressors, j’remarque Zahria avec le blondinet, dans la taverne juste en face. Pas prudent. Pas discret. J’regarde tout autour, mais j’suis arrêté par l’expression du visage de ma chef. Y’a un temps pour tout. Alors j’rentre.

    ***

    C’était étrange. Pas comme j’ai l’habitude. Bon, pas que j’aie des bonnes habitudes non plus. Au début, c’était loufoque, à cause des circonstances. On a eu du mal à se remettre dedans. On s’est pas remis dedans comme avant non plus. C’était douloureux de voir la douleur dans ses yeux. Du coup, c’était plus lent. Plus tendre, aussi. Elle s’est endormie blottie contre moi, la tête sur mon épaule. D’une main, je l’ai tenue contre moi, et de l’autre, j’ai attrapé une cigarette déjà roulée pour la fumer en regardant le plafond.

    Au matin, elle émerge doucement, et j’vois les événements de la veille s’écrire quasiment dans l’ordre sur son visage. Culpabilité dans les yeux, colère aux sourcils, détresse, culpabilité à nouveau, pugnacité dans le pli de la bouche, culpabilité encore. J’me demande vaguement combien de ses émotions sont pour moi. Elle se redresse, écarte le drap, et je sens le sang circuler à nouveau librement dans mon bras.

    « Merci, Vrenn. »

    J’sais pas quoi répondre, alors j’balance un son inarticulé. Elle me regarde bien en face, et indique bien que ça lui suffit pas.

    « On va le retrouver, Zahria. Ou, les. Peu importe. »

    C’est pas ce qu’elle voulait dire, ce qu’elle voulait entendre. J’le vois. Mais j’ai rien d’autre. Alors j’me lève, j’ramasse mes vêtements qui traînent. Elle regarde par la fenêtre, et il pleut encore. Un peu penaud, un peu confus… mais de quoi ? J’ai l’impression de rien savoir, savoir faire, savoir être, putain… Je sors un truc de mon petit sac sans fond et j’le jette presque sur le matelas à côté d’elle.

    « Qu’est-ce que c’est ?
    - Euh, hm… C’est un collier jumeau. Ça permet de savoir quand l’autre est en danger, en insufflant un peu de magie dedans.
    - Je sais comment marche un collier jumeau.
    - J’me disais que ça serait bien d’avoir ça, vu les circonstances…
    - Hmm. »

    J’me passe la main dans les cheveux.

    « Si t’en veux pas, c’est pas grave, j’trouverai sûrement quelque chose à en…
    - Non, c’est bon. C’est une excellente idée. »

    Zahria le prend, le met autour de son cou. Il lui va bien. J’mets le mien aussi, en même temps.

    « Tu vas le trouver, hein ?
    - J’te le promets. »

    Elle hoche la tête, et j’comprends qu’il est temps de se mettre au boulot.

    C’était moins compliqué, les putes.

    ***

    Quand j’reviens dans la planque violée des espions, Weiss est déjà partie. Peut-être pas depuis longtemps, il reste une odeur différente de celle de la tisane que Damoiseau a bu. Il a pas l’air bien. Hanté, peut-être, mais décidé, aussi. La viande a été descendue et la pièce retournée, assez visiblement. C’est pas grave, pasqu’une fois les dossiers codés déménagés, on remettra plus les pieds ici. Faut juste que Zahria choisisse quelle sera sa prochaine planque.

    « Damoiseau, que j’appelle sans prendre de gants. »

    Il a le regard des gens qui me remettent doucement.

    « Livre-mémoire. Sbire.
    - Oui.
    - Ca a donné quoi, l’autopsie ? »

    Pendant qu’il m’annonce par le menu les résultats de l’investigation de Weiss, j’l’observe pour essayer de voir s’il est à un niveau de craquage ou pas. Hors de question de me trimballer avec quelqu’un qui risque de m’exploser dans les doigts pour une connerie. Mais j’sais pas si c’est l’hébétude, la fatigue, l’entraînement d’espion, ou un mélange des trois, mais j’arrive pas à me faire une opinion. On verra à l’usage, alors.

    « Du coup, on peut faire trois trucs. Interroger Faji…
    - Ferisen. »

    Regard accusateur. Hé, j’l’ai pas connu, ou presque pas, merde.

    « La recrue. Regarder les meurtres avec le même mode opératoire, des fois que. Et j’peux creuser de mon côté… D’un côté moins légal des choses, si des gens ont entendu des trucs, ont des p’tites idées, des choses à raconter.
    - Oui, on peut commencer comme ça.
    - Avec lequel ? »

    Il se secoue.

    « Avec Ferisen.
    - J’te suis. »

    Pas un mot de réponse.

    Grosse ambiance.

    Ça va, c’était qu’une gamine, putain.
    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Sam 21 Mar 2020 - 17:39 #
    Finalement, elle a dormi.

    Elle est sortie de chez lui deux minutes après, parce qu'ils allaient dans la même direction, et que ça aurait été étrange de faire le trajet ensemble après avoir abattu la barrière qu'ils ont abattu pendant la nuit. Et si dans sa tête c'est toujours le bordel, au moins son corps s'est apaisé, et elle arrive à respirer correctement. Pour combien de temps ?

    Quand elle arrive à la taverne de la veille, Fledric l'attend déjà. Il se lève dès qu'il l'aperçoit, et s'avance vers elle, pose une main bienveillante sur son épaule et lui fournit son sourire de soutien. Zahria est incapable de lui répondre, mais elle lui indique un chemin à prendre. Il lui fait un compte-rendu des événements. Calixte est allé chercher Luz dès son départ, la veille, et elle a fait son autopsie pendant une partie de la nuit. Fledric, arrivé tôt sur place, avait même pris la peine de leur proposer le petit-déjeuner. Luz est partie peu de temps après, si bien que Zahria vient de la rater. Le regard du blond coule sur les vêtements portés par Zahria, les mêmes que la veille, sans faire de commentaire. Qu'il se pose autant de question qu'il veut, elle ne lui répondra pas. Elle referme un peu plus sa cape sur elle, par froid plus que par pudeur, et il détourne le regard.

    Zahria lui donne une adresse à laquelle se rendre, celle d'une petite planque, une simple chambre de bonne, utilisée par les espions de temps à autre, en lui demandant de commencer à préparer les lieux pour qu'ils puissent s'y installer tous les deux. Quant à elle, elle doit retourner à son ancien bureau, récupérer le coffre-fort avec les documents confidentiels à l'intérieur, et sauver ce qui doit l'être. Ils se quittent en bas du pôle espionnage avec la promesse de se retrouver plus tard, et Zahria prend une grande inspiration avant de remonter. Ça ne fait pas pareil que la veille. Certainement parce qu'elle sait déjà ce qu'il y a à voir. Ce n'est pas plus facile pour autant, les odeurs retrouvant vite leur place dans ses souvenirs et son coeur se fermant à chaque pas franchi vers son bureau.

    Elle y trouve d'ailleurs Calixte et Vrenn, qui se tournent vers elle quand elle entre. Elle prend le temps de détailler son frère de coeur. Il a pleuré. Quelqu'un d'autre a dû sécher ses larmes, tout comme Vrenn l'a aidée à dormir. Ne peuvent-ils plus compter l'un sur l'autre ? Elle voudrait franchir la distance, le prendre dans ses bras comme la veille, le mettre à l'abri, lui dire que tout ira bien. Mais elle sait qu'elle ne peut pas, qu'il ne saurait même pas y répondre. Tout comme elle ne peut pas se raccrocher à la chaleur du corps de Vrenn devant Calixte sans éveiller encore plus de sentiments négatifs chez son ancien apprenti. Alors elle reste à distance raisonnable des deux hommes. Les yeux de Calixte sont fuyants, c'est elle qui fuit ceux de Vrenn. Beau trio qu'ils forment. C'est Vrenn qui rompt le silence en annonçant qu'ils étaient sur le point de l'appeler pour savoir où trouver Feuille et Ferisen.

    Elle revient dans l'instant présent, dans ce qu'elle est capable de faire, elle se raccroche à sa connaissance du métier, son sérieux. Heureusement, pendant les fameuses deux minutes qu'elle a pris pour sortir après Vrenn, ce matin, elle ne s'est pas tournée les pouces. C'était largement suffisant pour contacter Feuille par cristal et obtenir leur position, qu'elle indique à ses espions. Ils partent aussitôt, et le regard de Zahria s'accroche enfin à celui de Vrenn alors qu'il passe la porte. Comme une promesse, une complicité. Et le voilà parti. Reste à savoir si ce secret de plus qu'elle vient d'ajouter sur la pile va être une réelle libération ou un fardeau à se traîner comme un boulet au pied.

    Avec un soupir, en essayant d'éviter de regarder le corps de Ruth, posé à terre et recouvert d'un drap, elle se dirige vers son coffre-fort, sur lequel elle pose un pendentif plume, avant de le faire rentre dans son grand sac sans fond. Elle passe dans la pièce, récupérant dossiers et feuilles volantes, objets importants et babioles, en laissant en place ceux de la vitrine. L'échiquier est aussi embarqué dans le sac, avec toutes les pièces. Tout comme le terrarium, les Gloobies se réfugiant sous sa cape. Puis elle sort, sans se retourner, sans un mot.

    Il ne manquait rien dans le bureau.

    Ce n'était pas un cambriolage. C'était un avertissement.

    "On sait où vous êtes. Voilà de quoi on est capables."

    ~~~

    Les heures passent, et l'installation dans le nouveau bureau de fortune se fait non sans mal. Heureusement que Fledric est là, serviable et prêt à tout pour faciliter la tâche à Zahria. Elle reprend ses dossiers, se remet au travail. Le blond est là, à chaque étape, la guidant pour remettre le pied à l'étrier. Si ses connaissances des dossiers sont très limitées, Zahria gardant la plupart des informations confidentielles pour elle, il a une méthode de travail plutôt bonne et facile à appliquer, qui aide la maître-espion à se focaliser sur autre chose que la vision du cadavre de Ruth. En début d'après-midi, elle prend un moment pour aller voir Lichael et Ferisen. L'adolescent est alité, l'espion ne peut rien lui révéler de plus. Il semble profondément affecté, lui aussi, mais son énergie est concentrée sur le bien-être de Ferisen, et c'est grâce à ça qu'il tient. Il faut donc bien se raccrocher à quelque chose.

    Zahria comprend qu'elle ressentait de la culpabilité pour ce qu'elle a fait la veille. Ça la frappe, d'un coup, comme ça, en voyant Feuille si fidèle aux soins de Ferisen. Et elle comprend qu'elle ne fait rien de mal, tant que ça l'aide à tenir. Tant que ça ne vient pas parasiter le reste. Tant que ça lui donne le courage de continuer à se battre. Elle sent le collier jumeau contre sa poitrine, et comprend l'importance qu'il a dans cette situation. Après avoir déposé ses lèvres sur le front d'un Ferisen endormi, elle prend congé des deux hommes et avant de retourner à son bureau de fortune, fait un crochet chez son enchanteur.

    Celui-ci lui annonce qu'il a reçu la pierre qu'elle lui avait demandé. Un dispositif commandé il y a bien des semaines, permettant d'assurer la surveillance de son espion tout récemment arrivé, celui-là même qu'elle doit tenir à carreau pour garder son poste. Si elle n'est plus certaine de vouloir conserver ce fameux poste dans ces conditions, elle sait néanmoins enfin comment utiliser cette pierre de lien. Elle sort le collier jumeau, et le montre à l'enchanteur, qui comprend rapidement où elle veut en venir. Il lui demande de repasser dans quelques heures, en lui intimant de lui laisser le collier.

    Quand elle repasse le soir, après avoir fermé le bureau, son collier est prêt, la pierre de lien sertie en son centre, et l'enchanteur lui demande de lui ramener le deuxième collier le lendemain pour en faire de même. Il suffira d'échanger leurs pendentifs, et le système de surveillance vient de se transformer en source de courage.

    ~~~

    Si elle est convaincue qu'elle veut retourner vers Vrenn ce soir, pour lui donner sa pierre de lien, obtenir un résumé de leur enquête, et réussir à dormir, Zahria sait qu'elle doit passer par chez elle d'abord. Récupérer des affaires, et voir Luz. Affronter son regard, aussi, au passage. Son amie n'a certes pas dû beaucoup dormir si elle faisait l'autopsie pendant la nuit, mais elle a bien dû se rendre compte qu'elle avait découché.

    Quand elle arrive, la tisane est prête, comme si la rousse savait qu'elle arrivait. Elles s'assoient, toutes les deux, dans le petit salon, et ne se disent rien pendant quelques minutes. Dhim est ravi de la revoir, après ces quelques jours d'absence, et saute dans tous les sens autour de sa maîtresse, même s'il finit par comprendre que quelque chose ne va pas. Le Lumios envoie tout à coup une vague de sentiments chaleureux, d'amour et de tendresse, en plein dans le coeur de Zahria. C'est la première fois qu'il fait ça, et il se roule en boule et se couche sur ses genoux juste après, épuisé.

    Luz continue à fixer Zahria de son regard inquiet, et la brune lui fait une esquisse de sourire, avant de prononcer le premier mot qu'elle est capable de dire.

    « Merci. »

    Ses yeux s'emplissent de larmes, et elle craque, enfin, libérant le sanglot resté bloqué au fond de sa gorge depuis le début de la journée.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Innocence assassinée
    Mer 25 Mar 2020 - 22:07 #
    Il y avait maintenant six tâches sombres imparfaitement nettoyées sur la table, huit tasses séchant sur l’égouttoir, quinze baies de divinam englouties, dix-huit préparations pour thé sur l’étagère, trente-trois fleurs coupées séchées réparties en trois bouquets, cinq grosses poutres dotées d’un total de soixante-quatre nœuds, quatre-vingt-sept lattes de parquet, cent-treize fils soyeux d’araignée, et mille-huit-cent-quatre-vingt-deux imperfections sur le crépi recouvrant les murs, que Luz était partie. Une bagatelle, une éternité. Il avait encore en bouche le goût épicé du beodassa, dont les dernières notes métalliques rappelaient un peu trop l’odeur ferreuse de l’hémoglobine tapissant les parois de la planque. Depuis que ses lèvres avaient trempé dans le breuvage, la fatigue qu’il ressentait s’était peu à peu estompée. Mais pas les émotions. Vives, inhabituelles, pénibles. Ni les souvenirs. Inopinés, prenants, harassants. C’était dans cette pièce que Ruth venait leur préparer une collation après une mission soutenue. Qu’elle laissait le thé infuser lorsqu’ils prenaient le temps de se retrouver. Qu’ils avaient cuisiné le repas d’anniversaire de Vaelin, et qu’elle avait remplacé le sucre par le sel. Qu’elle venait râler lorsque Zahria les consignait à résidence tandis que les espions sortaient en assignation. Qu’elle avait affiché au mur son planning d’entrainement en dessinant des cœurs à côté du nom de Feuille, des étoiles à celui de Blood, des fouets à celui d’Ombre, et des plumes au sien. Qu’elle s’était empressée de faire sécher près de la fenêtre les fleurs récupérées lors d’un exercice avec Lichael pour pouvoir s’en servir comme décoration, ou base de préparation. Elle avait grommelé tout du long, affairée à la table de bois, les doigts malhabiles abîmant les fragiles pétales. Elle s’asseyait sur la chaise de gauche, celle qui avait un coussin aux motifs de gloot. Et Ferisen s’asseyait face à elle, sur la chaise bancale. Leurs pieds s’effleurant dans la proximité étroite de la salle. Le rire de Ruth rebondissant sur le silence timide de Ferisen, emplissant la pièce puis la demeure. Il pouvait l’entendre, encore. Le fantôme de son rire. Percevoir celui de sa voix. Contempler celui de sa silhouette. Observer celui de sa démarche. Il pouvait la sentir, encore, l’empreinte de sa chaleur. S’il fermait les yeux, est-ce que tout cela ne se révèlerait pas être un cauchemar ?

    Il posa sa tête entre ses mains, et laissa ses paupières se baisser le temps de quelques minutes. S’obligeant à faire un peu de tri dans les informations que Luz lui avait données. En plus d’un peu de temps, avant que la fatigue ne le rattrape. Le livre-mémoire qui ne le quittait plus n’avait rien perdu des propos de la médecin, mais il avait encore du mal à mettre du sens derrière les indices. Les suppositions. A leur donner une réalité. Et pourtant, rien de plus réel que le corps inanimé, mutilé, gisant à quelques mètres de là où il était assis. Le bruit étouffé de la porte d’entrée lui fit relever la tête et rouvrir les yeux. Un homme à la stature un peu plus haute que la sienne se tenait dans l’entrebâillement. Il avait des yeux noirs perçants, une barbe sombre soigneusement taillée mais dont l’entretien actuel laissait à désirer, et des traits relativement ordinaires. Il y avait quelque chose de calculateur et contrôlé dans sa posture. Qui tranchait avec ses vêtements froissés. Calixte ne le connaissait pas. Ou peut-être que si. Instinctivement ses doigts effleurèrent les pages écornées de son livre mémoire alors que l’homme lui rappelait sommairement son identité. Sbire. Il revint aux premières feuilles de son carnet et observa l’image figée lui renvoyant le même portrait. Vrenn. Alors plus emprunté dans ce bureau qu’il découvrait tout juste, le visage un peu plus éclairé aussi peut-être. Quelle part de cette affaire affectait vraiment le nouvel espion ? Tout, rien ? Distraitement, livrant à l’homme les informations recueillies par l’autopsie de Luz, Calixte nota l’éclat discret mais nouveau d’une chaîne au creux de son cou. Le livre-mémoire se chargea de la suite.

    Glissant le doigt le long des contours de l’illustration, il arrêta sa phalange sur la tête de Vrenn qu’il écrasa d’un geste vengeur lorsque l’homme écorcha le prénom de Ferisen. Voilà qui répondait un peu à ses interrogations. Et qui alimentait des sentiments échauffés dont il n’était pas coutumier. Libéré temporairement de la sensation de fatigue par le breuvage concocté par Luz, il lui semblait avoir perdu l’anesthésie protectrice de la lassitude et être bien plus en proie aux émotions. Après la pluie venait la tempête. Il ferma le livre-mémoire d’un geste brusque et sortit son cristal de communication.

    - Seuls Ombre et Feuille savent où il se trouve, déclara-t-il succinctement.

    Et il n’avait pas particulièrement envie de joindre ni l’un ni l’autre. Zahria parce qu’il n’était pas certain des mots qui allaient franchir ses lèvres. Inquiets. Peinés. Hargneux. Accusateurs. Il n’y aurait probablement rien de professionnel dans son ton, ni dans ses propos, et il n’y avait pas besoin d’ajouter du tourment à la douleur. Il n’y avait rien de rationnel dans le maelstrom d’émotions qu’il avait envie de déverser auprès de Zahria, et qu’elle accepterait indéniablement de recevoir. Il savait qu’elle accueillerait à bras ouverts son chagrin et sa colère comme auparavant sa joie et sa complicité ; qu’elle le laisserait certainement la noyer sous les griefs de la responsabilité. Qu’elle prendrait sa souffrance pour en faire la sienne. Douce tentation. Lâche désir. Comme l’adversité mettait en exergue des vices qu’il ne se pensait pas, songea-t-il amèrement. Et Lichael… Il n’avait pas non plus envie. Parce qu’appeler Lichael ne lui rappellerait que trop qu’il n’avait pas su appeler Zahria. Il jeta un regard mauvais à son cristal de communication. Il allait joindre Lichael.

    Le bruit de pas dans le couloir d’entrée lui fit relever la tête et avorter son mouvement. Zahria apparut dans l’encadrement de la porte. Les cheveux en bataille, les traits tirés malgré la courte nuit qu’elle semblait tout de même avoir eue, les vêtements de la veille sur le dos. Il avait envie de la prendre dans ses bras et de lui crier dessus. De lui raconter sa longue agonie nocturne à observer le travail de Luz en essayant de ne pas voir. En essayant de ne pas imaginer. En essayant de ne pas ressentir. Les bouts de lui restés collés sous les gants experts de la médecin. Evitant soigneusement le regard de Zahria, il laissa glisser ses yeux le long de la chaînette descendant contre la gorge de l’Ombre. Finalement, ce fut Vrenn qui rompit le silence pour informer leur Maître-Espion de leur intention de se rendre auprès de Ferisen.

    L’adresse de la planque obtenue, ils ne s’attardèrent pas. Sur le pas de porte, son regard glissa à l’endroit où se tenait Ruth lorsqu’elle les regardait partir en assignation.

    ~

    Il pleuvait. Encore. Et un vent rageux rabattait violemment les gouttes de pluies contre les reliefs de la Capitale. Sous le préau du bâtiment où se trouvait la cachette de Feuille, Calixte observait d’un œil noir les arbres courbant l’échine sous les bourrasques.

    L’interrogatoire de Ferisen avait été un supplice. Aussi bien intellectuellement, professionnellement et émotionnellement. Bien que moins sous l’effet du traumatisme initial, et un peu apaisé par les concoctions avisées de Lichael, l’adolescent avait gardé un discours décousu, parasité de doutes, de peur et de culpabilité. D’omissions involontaires, mais pas que. Rendant l’entretien laborieux. Gênant même, par moments. Et Calixte n’avait pas imaginé le penser au terme de la matinée, mais il était reconnaissant de la présence de Vrenn. La distance évidente de ce dernier permettait à l’affaire de retrouver son souffle, et un peu de raison, lorsque les choses devenaient trop viscérales. Et il n’aurait probablement pas obtenu la moitié des informations que Ferisen avait fini par leur lâcher si le nouvel espion n’avait pas été présent. Ce qui aurait été un peu embêtant, vu que la jeune recrue ne leur avait pas donné grand-chose à se mettre sous la dent. Si ça n’était un mode opératoire allant dans le sens des hypothèses avancées par Luz. Et une identité a priori féminine derrière un masque de fer.  

    De la fumée chatouilla ses narines, et il poussa automatiquement plus loin la main qui tenait la cigarette. La main plus large que celle de Zahria. Ah. Laissant ses doigts en suspens, il hésita, puis les rangea brusquement dans la poche de son manteau.

    - Les affaires dont a parlé Luz ont dû être consignées aux archives de la Garde, annonça-t-il tout en suggestion.

    Un grognement lui apprit l’acquiescement – ou le désintérêt ? – de son collègue, et il tourna la tête pour l’observer. Le bout de la cigarette luisait d’une douce lueur dans la pénombre morose, et il nota comme il était curieux de se rappeler aussi nettement des dernières heures passées avec l’homme quasi constamment dans son champ de vision, alors qu’il n’avait presque aucun souvenir antérieur de lui. Le livre-mémoire aidait à entretenir sa mémoire, mais s’il ne prêtait pas attention à son talisman d’indépendance le prévenant lorsque le pouvoir de Vrenn commençait à franchement se rappeler à lui, il perdait rapidement notion de son existence. C’était intriguant. Perturbant de bien des manières. Et un peu triste. Regardant le mégot finir sa vie contre l’un des pavés humides, Calixte se remit en mouvement. S’il aurait volontiers passé ses bras autour de Zahria ou Vaelin pour dissiper le nœud tordant ses entrailles, effleurer l’idée de faire de même avec Vrenn signifiait qu’il était temps d’avancer.

    ~

    C’était une heure à laquelle il y avait du monde, à la Caserne. Ça partait et rentrait de patrouille, enchainait les entrainements, s’activait à l’entretien du site, gérait des soucis administratifs en courant d’un couloir à l’autre, faisait la queue pour se rendre au réfectoire. Était-ce déjà l’heure d’un quelconque repas ? Rien n’était moins sûr, avec les horaires décalés des uns et des autres, les cuisines étaient ouvertes presque h24. Ils traversèrent sans encombre le dédale des couloirs du fief militaire. Le visage du coursier était connu mais ses déambulations non exceptionnelles, et Vrenn n’attirait pas particulièrement les regards. Et si certain s’arrêtèrent sur la silhouette taciturne, ils l’oublièrent rapidement. Le pôle administratif les accueillit dans une indifférence affairée, et la soldate à l’accueil adressa un rapide signe de la main à Calixte avant de se désintéresser d’eux. Ils s’enfoncèrent davantage dans les méandres du bâtiment.

    L’accueil des archives se présenta bientôt à eux, et Calixte tira légèrement sur la veste de son collègue pour qu’il le suive. Vers les toilettes un peu plus loin. Lorsqu’ils eurent dépassé le comptoir, et qu’il fut certain que personne ne les regardait, il attrapa franchement le bras de Vrenn. Et récupéra à sa propre ceinture le globe de sa lampe magique.

    - On va passer par ce mur, lui murmura-t-il en guise d’avertissement.

    Et il les fit tous deux fusionner avec ledit mur, avant de ressortir une demie seconde plus tard de l’autre côté. Dans les archives. Après s’être assuré dans un silence attentif qu’ils étaient seuls, Calixte leva son globe pour éclairer les étagères alentours. Et elles étaient nombreuses.

    - Elles sont agencées de manière chronologique, indiqua-t-il à Vrenn en s’approchant de l’extrémité de l’une d’entre elles.

    Sur un pupitre en tête de celle-ci reposaient un lourd recueil et quelques crayons au bout sphérique semblant être de verre. Ouvrant le volume et indiquant du doigt le sommaire, il poursuivit :

    - Chaque étagère a son recueil. Chaque recueil a plusieurs classements proposés par : date du rapport, date de l’assignation, type de l’assignation, nom du soldat missionné, nom de la victime, nom du coupable. Il y a aussi un classement spécifique pour toute enquête, ou signalement, autour d’un décès. Avec le type de décès mentionné.

    Pas étonnant que les archivistes étaient toujours de sale humeur lorsqu’on les dérangeait, ils abattaient un travail colossal. Raison pour laquelle Calixte préférait largement leur livrer des pâtisseries plutôt que de leur demander un service. Et passer par un chemin détourné pour avoir accès aux archives. Et puis bon, lorsqu’il avait besoin des renseignements de celles-ci, c’était rarement pour des raisons très avouables. Heureusement, en journée les employés passaient plus de temps dans les bureaux adjacents à analyser les rapports reçus, qu’à faire du rangement à proprement parler. L’espion avait rarement été perturbé dans ses fouilles.

    - Lorsque l’une des références t’intéresse, tu la surlignes par le bout rond de l’un des crayons…

    Et un fils magique de lumière se tissa dudit crayon au dossier classé sur l’étagère.

    - Le contact du crayon avec sa cible, ou le fait de le tapoter ainsi trois fois, fait disparaitre le lien. Les classements les plus récent sont là-bas. Si Luz a eu vent de ces affaires similaires à… la nôtre, elles ne doivent pas être très vieilles.

    Ils se répartirent les tâches, et Calixte replongea dans un silence morose, gardant au coin de l’œil son collègue espion. Est-ce que Zahria avait récupéré les dossiers sensibles, ceux rangés dans son bureau ? Est-ce qu’elle avait commencé à déplacer ses affaires ? Leurs affaires ? Est-ce que les autres espions avaient été informés du drame ? Est-ce que le corps de Ruth avait été mis en bière, enfin ? Il se mordit la lèvre et ramena son doigt en haut de la colonne qu’il avait distraitement parcouru des yeux. Un temps pour tout. Choisissait-on seulement ?
    Luz WeissCroc de foudre
    Luz Weiss
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Dim 29 Mar 2020 - 19:44 #
    Bien sûr, leur appartement était désert. Nulle présence de Zahria depuis plusieurs jours. Luz ne s’en inquiéta guère. Elle avait dormi pour sa part, dormi de ce sommeil du juste, les traits fatigués par son dur labeur. Elle s’était levée dans la matinée, avait nettoyé l’appartement et rangé les affaires éparpillées dans le salon, témoignage de leur vie commune. Alors, aussi confiante que le soleil continuait sans cesse de se lever, elle avait préparé un mélange de plantes séchées et mit à bouillir l’eau destinée au thé. Ce jour-là, elle positionna deux tasses sur la petite table de bois. Elle chantonnait doucement dans l’irréalité de la lumière du jour, s’adonnant aux quelques tâches administratives qu’elle avait trop longtemps laissées en plan. Elle ne sursauta pas davantage lorsque la clenche de la porte d’entrée s’actionna une poignée de minutes plus tard. Le pas désormais si familier de Zahria retenti dans l’entrée et elle vit Dhim accourir avec la promptitude d’un animal en manque de sa maîtresse.

    Ils revenaient toujours à elle. Les yeux emplis d’une souffrance refoulée, marqués des blessures du jour. Le monde était en guerre silencieuse, et c’était à ce groupe d’espions d’en encaisser les défaillances et les corruptions. Dans quel état lui reviendraient-ils aujourd’hui, demain, après-demain ? Quelle essence perdurerait d’eux lorsqu’il ne leur resterait plus rien pour pleurer que leurs yeux et leurs mains ? Cela ne lui importait guère. Car elle serait là pour ramasser leurs morceaux, chaque jour, chaque heure, et reconstituer l’humanité qui leur permettrait de se relever à nouveau. Non, elle n’était pas inquiète. C’était le rôle qu’elle s’était choisi. La lumière de son phare ne cesserait jamais de les guider tant qu’elle se tiendrait droite et ferme, sa porte ouverte pour tous ceux qui daignaient la franchir, les uns après les autres. Elle avait fait de l’espace autour d’elle un asile. Une trêve officielle à l’égard du monde. Et ceux qui oseraient franchir ce cercle pour bouleverser cet ordre établi seraient proprement anéantis.

    Lorsque le masque de Zahria se fracassa à ses pieds, Luz se rapprocha d’elle et vint l’étreindre avec une douceur toute maternelle. La silhouette de sa flamboyante amie avait-elle toujours été aussi frêle… ? Sa peau était froide contre la sienne, si fine, si esseulée… Quelle largeur d’épaule fallait-il pour porter seule le poids d’une équipe en déshérence et la sécurité du royaume ? Enquêter sur des crimes atroces, ne jamais faillir à cacher ses sentiments personnels ? Sa chère, rude et impertinente Zahria... Qu’avaient-ils fait de son ton sarcastique, de ses taquineries, de sa volupté et de cette ardeur qu’elle mettait tant au travail ? Tout cela s’émiettaient présentement contre la poitrine de Luz en roulis de larmes. Elle frottait son dos au rythme de ses sanglots, accompagnant son geste d’un lent mouvement de bercement, la jeune femme lovée dans ses bras. Et ce contact presque similaire à une caresse redonnait un peu de chaleur à son univers.

    Elle ne lui posa aucune question. N’ajouta pas d’interminables conseils au poids que transportait déjà Zahria à la simple force de ses bras. Les tasses de thé fumantes et la conviction mue dans son étreinte disaient déjà à qui voulait bien tendre l’oreille Bienvenue chez toi.

    ►◄

    Longtemps après le départ de Zahria, une idée l’avait traversée. Elle prenait l’allure d’une esquisse et n’était guère complètement définie dans son esprit. Ce n’était pas là tout à fait une piste à vrai dire, mais plus un départ de feu et la volonté ferme de leur apporter son aide si cela s’avérait réalisable. Elle avait réuni rapidement ses affaires et s’était absentée de l’appartement dans une tenue civile badine au possible. La nuit était tombée et un courant d’air frais louvoyait dans les ruelles, traitreusement tactile. La Capitale ensommeillée était plutôt tranquille, car les rumeurs des bas-fonds ne s’étaient pas encore complètement ébrouées pour débuter leur vie nocturne. Les travailleurs rentraient à peine chez eux, fourbus de fatigue et l’on commençait à s’interpeller par-delà les carrefours pour s’inviter à prendre un verre, juste un, et l’on jurait ses grands dieux que ce serait là le seul de la soirée. Bien sûr, cette parole demeurerait lettre morte.

    Elle se heurta tout d’abord à quelques difficultés pour se remémorer le chemin emprunté la veille par Calixte. Fallait-il tourner ici ? Plutôt là peut-être ? La devanture d’une boutique lui permit toutefois de ne pas se perdre et ce fil d’Ariane mémoriel eut tôt fait de la ramener à la planque désormais désertée des espions. Qu’espérait-elle trouver dans ce périmètre nu et abandonné ? Elle ne le savait pas elle-même. Mais Luz était une créature d’instinct et de peu de logique. S’il y avait un moyen d’apporter sa contribution à cette enquête, il n’y avait pas de meilleure démarche que de revenir aux origines de l’affront. L’assassin savait qu’il ne trouverait personne pour lui porter préjudice à l’heure de son crime. Que nul adulte ne viendrait contrecarrer ses plans dans ce créneau uniquement destiné aux souris. Bien évidemment, quelqu’un pouvait lui avoir transmis ces informations. Les traitres n’étaient néanmoins pas du ressort de la praticienne, au contraire de la préparation d’expédition. L’individu avait peut-être jugé utile de repérer les environs de la bâtisse en premier lieu. Etablir un plan, vérifier les allées et venues. Il faudrait autrement disposer d’une chance considérable pour que rien ne vienne chagriner la fluidité de ces engrenages…

    Elle contemplait silencieusement l’ombre majestueuse du bâtiment lorsque son ventre se manifesta. Elle dont l’attention avait été accaparée par cette histoire, avait omis de se nourrir plus tôt dans la journée. Elle eut un soupir de déconvenue et revint sur ses pas. Dans la fraîcheur de la nuit, une petite boulangerie achevait son service de la journée. La lumière de la vitrine s’étendait loin sur le pavé comme une oasis dans le désert : quelques naufragés s’y pressaient encore dans l’espoir de rapporter une dernière baguette à leur famille. Ragaillardie par cette perspective, Luz poussa la porte de la boutique. Le tintement d’une cloche retentit et la boulangère releva les yeux vers sa nouvelle cliente. Alors, son visage se saisit de cette expression si caractéristique propre aux connaissances croisées dans une rue.

    « Oh vous êtes revenue ! Comment avez-vous trouvé mes croissants ? Ils étaient délicieux n’est-ce pas, je ne vous avais pas menti ! »

    Figée sur le pas de la porte, Luz vérifia en un quart de seconde que personne ne se tenait derrière elle.

    « Je… Pardon ? »

    La tenancière eut un profond rire de gorge et parut se méprendre sur l’intervention de sa cliente :

    « S’cusez, j’ai perdu l’habitude d’articuler… Je vous disais, j’espère que vous avez apprécié mes croissants ! Vous étiez si désireuse d’obtenir de bonnes viennoiseries la semaine dernière… C’est mon mari qui les pétrit à la main, si je puis me permettre de vous confier un secret. »

    Dans les tréfonds de sa mémoire, Luz sut qu’elle n’était jamais entrée dans cette boutique. Elle ne connaissait pas ce quartier avant que Calixte ne l’y conduise, et prêtait peu d’attention à la découverte de la ville… Cette bonne dame ne l’avait jamais croisée. Aucun croissant n’avait été acheté par ses soins. La fragrance doucereuse et sucrée de la pâtisserie lui monta à la gorge, un étau d’écaille qui se lova dans son ventre et vint y planter les crocs abrasifs de la réalisation. Elle savait. Elle sentit ses jambes trembler sous elle et le bloc sans fond de l’atterrement vint clouer ses entrailles au sol. Elle savait.

    Croque-Chance était venue ici. Croque-Chance avait acheté des croissants. Croque-Chance s’en était allée, de son sourire charmant, de ses prunelles vertes et de son crin flamme semblables aux siens. Croque-Chance avait jeté un coup d’œil à la volée à la demeure plus loin, l’air de ne pas y toucher, l’air d’être en balade sous son apparence de délicieuse jeune femme par une belle journée ensoleillée. Croque-Chance était revenue hier, et Croque-Chance avait décapité Ruth.

    Sa main trembla. Elle dut aspirer l’air à grandes goulées sous l’œil inquiet de la boulangère. Une terrible envie de vomir la prit. Elle articula pourtant, avec effort, presque à s’en arracher les cordes vocales tant sa volonté brûlait à vif dans le sens contraire :

    « Je… Ce n’est rien… Excusez-moi, j’ai marché vite, je fais parfois des malaises vagaux. »

    La petite dame avait jailli de derrière son comptoir et s’était empressée de la soutenir d’une main secourable.

    « Olàlà, ne nous affolons pas ! Qu’avez-vous fait de votre calèche ?! Vous savez quoi ? Je vais vous offrir un croissant supplémentaire gratuit si vous reprenez rapidement des couleurs ! Vous avez besoin de quelque chose ? Une boisson ? »

    Respirer. Réfléchir. Ne pas suffoquer. Elle passa sa main sur son visage, fit l’effort de sourire. Une plaie craquelée sur son visage. Sa propre voix lui avait-elle toujours paru aussi étrangère ?

    « Cela ira, ne vous inquiétez pas. Je vais vous prendre trois croissants, et un sandwich de votre cru. J’ai des invités ce soir. »

    Mensonge.

    « Merci à vous, vous êtes très aimable. Je reviendrai peut-être prochainement ! Vos croissants étaient délicieux la dernière fois. »

    Mensonge.

    « Soyez prudente sur le chemin du retour, les rues ne sont pas sûres à cette heure pour une jeune femme de votre âge ! »

    Elle ne risquait rien dans la nuit face au Croquemitaine. Car le Croquemitaine portait son visage. Ses rires. Son regard. Et l’utilisait contre autrui, pour dévaster les foules et dévorer l’innocence de l’enfance. L’étau qui broyait sa poitrine était d’une souffrance abominable. Elle dut s’affaler contre les briques rouges d’une ruelle lointaine et perdue pour mieux vomir, mieux faire taire les élancements qui la tuaient de répulsion et d’effroi. Ses spasmes lui arrachaient encore des hoquets fous de douleur lorsque la pleine conscience de ses actions lui jaillit au visage.

    Cette nuit, Luz s'était rendue coupable du même crime que Croque-Chance.

    Il n'y aurait plus jamais aucun juste sommeil.
    Vrenn IndraniSbire
    Vrenn Indrani
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    Re: Innocence assassinée
    Dim 5 Avr 2020 - 14:53 #

    Les archives de la Garde, c’est un lieu que j’aurais donné cher pour pouvoir parcourir à volonté à l’époque. Maintenant, ça m’évoque autant d’excitation que celles de la Guilde, à savoir des monceaux de papiers que j’peux parcourir à l’envie, à la nausée, pour y trouver des informations sur mes anciens collègues. Damoiseau explique vite fait le fonctionnement et les critères de tri des lieux, et se saisit du premier recueil. Bon, à moi le deuxième, alors.

    J’laisse tomber tous les classements contenant les assignations et les noms des Gardes qui y ont participé, je doute que ça soit intéressant. Si c’est un message, et que comme Weiss a dit, il est possible que ce ne soit pas la première fois qu’il soit envoyé, il y a peu de chances que l’émetteur se soit fait avoir, alors qu’un pauvre couillon qui passait par là aurait très bien pu tomber à la place, ou un exécutant peu compétent…

    Nan, faut regarder directement les décès dans l’ordre anti-chronologique.

    Une des premières lignes correspond ironiquement à la famille de Terranglae. J’tapote du bout du crayon, et j’ramasse le rapport lié. Coupable inconnu, pas de témoin, personne ne se souvient de rien. Marrant, j’aurais cru qu’ils les rempliraient pour garder une trace quelque part de mes activités. Mais j’suppose qu’ils laissent pas ça ici, là où le tout-venant pourrait tomber dessus. J’éprouve un élan de fierté à voir la qualité de mon travail, quand même.

    Coup d’œil vers Calixte, qui me regarde d’un air curieux.

    « Nan, rien, fausse piste. »

    Comme un gosse qui vient d’être pris la main dans le pot de confiture, j’repose le fruit de mon travail et j’m’y mets sérieusement. Au-delà de la mort de la gamine qui m’indiffère pas mal, si je pouvais éviter de canner avec les autres espions, ça serait encore le mieux. Et si Zahria meurt, j’me demande bien quelle serait mon statut ensuite… Est-ce qu’on m’expédierait pas en Exil, pour se débarrasser de moi, maintenant que mon chaperon est plus là ?

    J’me craque le cou, puis j’parcours les lignes arides mais bien écrites des archivistes.

    Rapidement, la température dans la salle monte à cause de notre présence, au fil des heures qui s’écoulent. On a tous les deux changé de recueil, depuis le début, mais il faut longtemps avant que j’tombe enfin sur une ligne prometteuse. C’est que la liste des maris qui tapent leur bourgeoise et des vols à l’arrachée, c’est pas passionnant ni intéressant. Mais là, meurtre violent, non-élucidé, à Grand-Port, il y a deux ans…

    Le rayon lumineux pointe vers une étagère, et j’m’y dirige sans entrain, mais avec l’espoir d’avoir enfin quelque chose. Damoiseau bûche toujours, derrière. J’boirais bien un café, tiens. J’retire le dossier du meuble, et j’feuillette rapidement la page de garde.

    Meurtre violent. Décapitation. Pas de témoins, pas de coupable. La tête posée en évidence à côté du corps pendu au milieu de la pièce. Ça semble coller pas mal. J’parcours rapidement la suite, et j’y vois la même chose que celui qu’a eu lieu chez nous. J’jette le dossier, léger, sur le bureau de mon collègue.

    « Tiens, ça semble pas mal. Par contre, Grand-Port… J’sais pas si on en tirera quoi que ce soit. J’connais pas grand-monde là-bas, personnellement. »

    Finalement, c’est Damoiseau qui trouve la piste la plus prometteuse : un assassinat répondant aux mêmes critères, à la Capitale, il y a cinq ans. On regarde tous les deux le trait de lumière qui se dirige vers le fond de la salle des archives, et on s’lève ensemble. J’m’étire pendant qu’il y va.

    Puis on entend des bruits dans le couloir, avec des éclats de voix.

    « … sûrs de trouver ce que vous cherchez là ? N’allez pas tout déranger.
    - Oui, euh, non, ne vous inquiétez pas, je veux juste… »

    Ça se rapproche salement de notre porte. J’referme brusquement les deux recueils, et j’les empile à la va-vite sur un des bureaux. Ils croiront bien que c’était mal rangé. Mais y’a encore le trait de lumière qui pointe plus loin.

    « Damoiseau ! Que j’souffle. »

    J’espère qu’il m’a entendu. La porte s’ouvre dans un craquement, et j’deviens invisible, pour regarder les deux hommes qui se dessinent dans l’embrasure. L’un est manifestement archiviste, avec des touffes de poils gris qui sortent des oreilles et d’imposantes lunettes qui le font ressembler à un hibou. L’autre est un garde, tout jeune, à peine de quoi avoir plus de quelques poils bruns au menton. Ils regardent dans la salle, et j’note avec soulagement que le trait lumineux a disparu. Damoiseau a dû mettre la main sur le bouquin recherché, et s’il sait que y’a des nouveaux venus, il a sans doute fusionné avec le mur.

    J’espère qu’ils vont pas rester longtemps, pasque ça serait la mort pour moi. J’hésite à me téléporter derrière eux pour sortir.

    « Non, monsieur, je cherche les dossiers sur les membres de la Garde, pas leurs actions. Enfin, pas encore…
    - Ah, mais il fallait le dire avant, jeune homme ! »

    Il referme la porte, et j’pousse un soupir de soulagement quand j’entends la clé tourner dans la serrure. Calixte revient à côté de moi, un dossier à la main, et l’ouvre sur le bureau. J’me mets debout à côté de lui, et on lit les lignes qui s’y trouvent. On y retrouve toutes les informations habituelles, et le détail de l’investigation fait apparaître des liens qui m’intéressent davantage à titre personnel : ce sont d’anciens collègues. Et je crois même que la majorité est encore en vie, et pas en prison.

    « On peut embarquer ce dossier, y’a de quoi travailler dessus. J’peux t’expliquer dehors, mais j’en connais quelques-uns sur la liste. »

    Le souci, évidemment, c’est qu’ils se rappelleront pas de moi. Mais j’saurai les convaincre.

    Après tout, c’est une promesse.
    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
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    Re: Innocence assassinée
    Dim 12 Avr 2020 - 23:40 #
    Halètement.

    Zahria se réveille en sursaut. Où est-elle, déjà ?

    Sueur.

    Elle se passe la main sur le front. On dirait qu'elle a de la fièvre. Quelle heure est-il ?

    Palpitations.

    Quand elle redescend sa main, celle-ci ne peut s'empêcher de trembler. Ça bouge, à côté. Mais qui... ?

    Nausée.

    Elle s'assoit sur le lit, sa main toujours tremblotante sur la bouche, l'autre sur le thorax pour empêcher l'intégralité de son corps de ressortir.

    Est-elle en train de mourir ?

    Est-elle en train de sombrer dans la folie ?

    Une main se pose sur son épaule, elle sursaute. Elle se retourne, lentement, mécaniquement. Vrenn la fixe, inquiet. Il la tire vers lui, elle se laisse faire, se blottit dans son cou. Mais elle ne se rendort pas. Elle fixe le mur, toute la nuit, incapable de faire un seul mouvement. Elle sent son corps à lui bouger, au rythme de ses respirations, mais elle a l'impression que le sien n'est même plus capable de ça, comme si elle avait oublier comment faire rentrer de l'air dans son organisme. Les premières lueurs du soleil pointent, et elle n'a toujours pas trouvé la solution.

    C'est peu connu, mais la deuxième nuit est pire que la première.

    ~~~

    Une profonde inspiration. Trois coups secs. Et puis la porte s'ouvre.

    Elle lui ressemble. Les mêmes cheveux cendrés, la même lueur dans le regard. Cette lueur que Zahria s'apprête à éteindre. Plus que jamais, son pouvoir semble être une métaphore de sa vie. Elle est surprise, mais elle l'invite à entrer. Un mari, deux fils en bas âge. Une famille qu'elle est sur le point de faire exploser. Zahria demande à parler aux parents, les enfants sont consignés à l'étage.

    Elle a vu Höls, le matin même. Il lui a dit quoi dire, quels mots utiliser. Mais là, rien ne sort. Les mots restent bloqués. Alors que la lueur dans les yeux de la mère s'éteint d'elle-même, parce qu'elle comprend. Il paraît que les mères sentent, ce genre de chose. Ce n'est pas Zahria qui pourrait répondre, elle n'en a jamais eu. Peut-être aurait-elle su quoi dire, sinon, quand elle s'est effondrée. Peut-être aurait-elle su expliquer, éviter les sujets compliqués, se concentrer sur les faits.

    Votre fille est dans un cercueil, non, vous ne pouvez pas la voir, parce qu'elle est en morceaux, oui, c'est ma faute, non, on ne sait pas qui est le responsable, mais oui, c'est un peu moi quand même, même si je n'avais pas l'arme dans ma main.

    Les yeux de Zahria s'emplissent de larmes, elle se lève, va à la fenêtre, se reprend. Derrière, les questions fusent. Elle essaye d'expliquer, en vain. Elle sert le poing, son visage se ferme. Elle les affronte, comme il se doit.

    Apparemment, le deuxième jour aussi, est plus difficile.

    ~~~

    Il la prend dans ses bras, l'instant d'une seconde, et le contact de sa poitrine contre son torse lui rend la capacité de respirer, pendant cette seconde. Puis Lichael la lâche, alors que Ferisen apparaît dans l’entrebâillement de la chambre. Puis elle se rend compte, qu'en réalité, c'était elle qui prenait Feuille dans ses bras, c'était elle qui le consolait. Leurs regards sont noirs, leurs mâchoires serrées, leurs visages impassibles. Ils sont le miroir l'un de l'autre. Et ils se doivent d'être un roc, pour ceux qui restent. Lui pour Ferisen, elle pour tous les autres.

    Elle sert leurs mains, puis elle s'éloigne. Elle ne peut rester trop longtemps au même endroit, à moins de risquer de s'effondrer. Il faut rester en mouvement, toujours, ne jamais s'arrêter.

    ~~~

    Il pose le café devant elle, s'éloigne, puis se ravise et revient. Sa main vient se poser sur l'avant-bras de la jeune femme, et il parle d'une voix douce, proférant des mots d'encouragement, des paroles de soutien. Elle lui sourit, remercie d'un hochement de tête, puis recule, rompant le contact. Une fois la tasse finie, elle sort de la pièce, sous le regard inquiet de Fledric, impuissant, qui reste sur place.

    Rester en mouvement. Ne rien démontrer. Continuer à avancer.

    ~~~

    Trop petit, ce cercueil. Trop jeune, l'enfant qui y repose. Il a été scellé, personne ne peut constater l'ignominie dont elle a été la victime. Personne ne peut constater le crime du Maître-Espion.

    Et il pleut, évidemment.

    Le bois est humide, il tarde à prendre feu, le bûcher fume, c'est pitoyable.

    Elle glisse sa main dans celle de Calixte, vient entrelacer ses doigts aux siens. A sa gauche, Lichael et Ferisen, dont le visage est mort. A la droite de Calixte, Luz, qui le tient sous le bras. Et un peu partout, les espions, les instructeurs, la famille. La mère. Ce regard. Elle frissonne. Ne peut le soutenir.

    Vrenn est appuyé contre un arbre, en retrait. Leurs regards se croisent. Il n'y a rien à dire.

    Elle prend Calixte dans ses bras. Plus de larmes. Pas le moment, pas la force. Tout ce qui lui reste, il faut qu'elle leur donne, à eux, qui ont accepté de se battre pour elle. A eux, qu'elle a trahi. Fledric pose une main amicale sur son épaule. Sourire de circonstances. Vrenn a disparu.

    Elle le retrouve, un peu plus loin, quand tout ceci est achevé. Elle lui tend le collier, serti, fini. Lui passe autour du cou, et l'attache. Il la regarde, ne dit rien. C'est un jour sans mots, de toutes façons. Elle laisse tomber sa tête sur son épaule, brièvement. Prend une grande inspiration. Puis repart.

    Rester en mouvement. Continuer à marcher, à avancer.

    Pour ne pas s'effondrer.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Innocence assassinée
    Mar 14 Avr 2020 - 15:38 #
    Ils avaient passé plusieurs longues heures à faire patiemment et minutieusement défiler sous leurs yeux les classements des registres des archives. Avant de trouver quelques pistes. Avant de trouver une piste exploitable. Une seule malheureuse petite piste exploitable. Les dossiers étaient filiformes, et encore plus maigres les rapports. Eplucher les lieux dans leur majeure partie leur avait finalement coûté la journée – et deux pauses thé/café hors des murs des archives car l’odeur risquait d’être un peu suspecte, déjà qu’ils avaient dû esquiver les archivistes par trois fois ; l’affaire aurait pu être cocasse en d’autres circonstances –, pour mettre en évidence quatre meurtres similaires à celui de Ruth. Deux qui avaient relevé de l’anecdote et dont rien de plus que l’acte de décès n’avait été consigné, rendant impossiblement complexe toute investigation. Un juste un peu plus étoffé, mais situé au Grand Port. Pas inexploitable, mais presque. Et enfin un dernier, plus prometteur pour leur enquête, remontant à il y avait cinq années de cela à la Capitale. Dont Vrenn avait reconnu certains noms notés dans le compte-rendu.

    Lorsqu’ils avaient enfin quitté la Caserne, leur maigre trésor sous le bras, les ténèbres avaient commencé à s’immiscer entre les reliefs de la ville. Une pause clope sous un préau, et Vrenn lui avait donné quelques renseignements supplémentaires sur ce que lui évoquait l’ancien meurtre de la Capitale, et surtout sur les noms annotés en rapport. Deux cigarettes plus tard, et ils s’étaient retrouvés perchés dans un recoin discret pour observer silencieusement l’un des quartiers peu fréquentables où leurs déductions les avaient amenés. L’affaire avait été taciturne, l’un et l’autre avares de mots. Les minutes étaient passées, puis les heures. Le ballet des allées-venues dévoilant peu à peu les prudentes habitudes, les vices évidents et ceux plus insidieux, les habiles écarts au passage des patrouilles, les mains baladeuses et celles pugnaces, les regards calculateurs et ceux miséreux, les bouches marchandes et celles résolument closes. La violence physique, verbale, et psychologique des sombres ruelles éloignées des dorures du Palais Royal. Ils avaient pu repérer leurs cibles, aussi. Et leurs yeux scrutateurs n’avaient rien manqué de leur routine, de leurs manières, de leurs relations. Mais leurs oreilles n’avaient rien pu percevoir de remarquable. Ils s’étaient alors discrètement approchés du bâtiment concentrant leurs intérêts, pour encore mieux en appréhender le fonctionnement. Lorsque que la nuit avait commencé à s’étirer, et que Calixte avait enfin remarqué la certaine impatience du Sbire, ils avaient mis un terme à leur surveillance et leurs chemins s’étaient séparés.

    Enfin, Vrenn était allé vaquer à ce qui demandait visiblement son attention pour la nuit, et le Damoiseau était resté à observer les lieux. Pendant un temps, ou deux, il avait caressé l’idée de s’aventurer seul. De pousser un peu plus loin l’enquête. Son peigne magique lui avait permis de changer légèrement son apparence, et son pouvoir de fusion pouvait lui accorder de faire un rapide tour du propriétaire. Enfin, aurait pu. En d’autres circonstances. Les effets de la tisane préparée par Luz s’étaient depuis longtemps estompés, et n’étaient resté en lui qu’une langueur morose enlacée d’une volonté amère. Et si c’était cette dernière qui l’avait probablement fait tenir jusque-là, elle lui aurait sûrement été piètre compagne pour une activité plus délicate que de l’observation. Dans un soupir, Calixte s’était résigné à se tenir à distance de la tentation. Lorsqu’enfin le noir d’encre de la nuit s’était dilué dans le jaune orangé des tous premiers rayons de l’aube, il avait imité la fréquentation malfamée du quartier, et quitté celui-ci.

    Ses pas l’avaient ramené au dortoir de la Caserne. Et il aurait certainement été de bon ton de céder à l’appel du sommeil. Mais l’appel du devoir était encore plus grand. Si ça n’était celui de la culpabilité. Il avait trouvé sa chambre déserte. Ça n’avait pas été un hasard. Il connaissait les plannings de ses colocataires. Ses draps l’avaient invité de leur douceur, il ne leur avait accordé pas plus qu’un regard. Automatiquement, inconsciemment, il avait saisit son sac-à-dos garni de son grand sac sans fond, et y avait jeté un mélange d’affaires. Aussi rapidement que possible, il avait quitté la petite chambre où il devenait difficile de respirer, puis il avait laissé ses pas le mener par habitude jusqu’à celle de Vaelin. Sa main s’était levée pour toquer, lorsqu’il s’était souvenu que son camarade était en mission. Le geste suspendu, il était resté quelques minutes à observer bêtement la porte close, en se demandant quoi faire à présent. Et puis, instinctivement, ses pieds avaient repris leur chemin.

    Il n’avait pas eu de but défini, pas de plan particulier pour appréhender le repos qu’il lui faudrait prendre, le sommeil qu’il lui faudrait affronter. Et avec le désespoir de l’oiseau cherchant refuge en pleine mer, il avait finalement fait naufrage sur le perron de Naëry. Comme une évidence. Il n’aurait su dire si ça avait été sa misère apparente, la prévention de Luz, ou les bribes de leur relation se retissant solidement, qui avaient convaincu l’aventurier de le repécher, mais il avait été reconnaissant de la main secourable au cœur de la tempête. Ils avaient noué un hamac dans le logement spartiate, pour que l’espion puisse y dormir. Il n’avait pas dormi. Dans l’abri calfeutré, il avait parlé, un peu. Peut-être plus que prévu. Peut-être plus que ce dont il se souvenait vraiment. Les mots s’écoulant librement dans le silence ouaté comme l’eau s’échappant enfin d’un barrage. Et peut-être que, si la tasse de thé posée entre ses mains lui avait apporté une certaine chaleur et laissé sur son palais un parfum différent de l’amertume devenant coutumière, son niveau n’avait pas désempli. Dans l’atmosphère humide de cette nouvelle journée pluvieuse, Naëry avait écouté. Et pas que.

    L’appel cristallique était venu avec la fausse surprise mais la vraie appréhension de la tempête après le calme. Et l’heure suivante, il avait retrouvé le groupe réuni sous les caprices du ciel, pour le lugubre évènement. Y avait-il plus misérable que la crémation du cercueil scellé d’un enfant ? Plus intense que la douleur des parents perdant leur fille ? Plus pitoyable que l’échec des espions se rassemblant pour faire leurs adieux au cadavre de leur nouvelle recrue ? Il n’avait pas été de trop, le bras de Luz sous le sien. Ils avaient été salvateurs, les doigts de Zahria contre les siens. Puis elle avait approché son ombre contre la sienne, passant ses bras autour de son corps, glissant son visage dans le creux de son cou, le laissant respirer le parfum de ses boucles foncées, le parfum familier et rassurant de la tendresse, doux regain de souffle dans l’adversité. Et sous les larmes du ciel, chagrines mais purifiantes, ils avaient laissé s’enlacer leur souffrance, pour mieux recoller les éclats de leur âme. L’étreinte qu’elle lui avait enfin offerte, avait résonné comme une permission.  

    ~

    L’azur de l’océan, filtrant les rayons de soleil parcourant Aryon, projetait d’étranges halos contre les parois toutes en courbes de la salle. Adossée contre la voûte de la bulle magique entourant et protégeant la Ville Aquatique, elle offrait un panorama grandiose aux clients du palace, venus en quête d’un verre, de divertissement feutré, ou de repos. Rien n’avait changé, depuis la dernière fois où il y avait mis les pieds pour une assignation avec Zahria. Avec Ombre. A ceci près. A ceci près que, assis au magnifique piano à queue sur la petite estrade légèrement en retrait, dans un costume inhabituellement élégant à queue de pie, Naëry faisait courir ses doigts sur les touches blanches et noires. Sur un tabouret haut, à quelques pas de l’aventurier, tirée à quatre épingles, Luz faisait virevolter en rythme le liquide de sa coupe. Elle chantonnait d’une voix lente, un peu décalée par rapport à l’air original, « j’ai perdu la tête, depuis que j’ai vu Suzette, je perds la raison, chaque fois que j’vois Suzon ». A ses pieds, quelques gloobys se trémoussaient. De l’autre côté de la salle, assise au bar, Ruth le regardait.

    Elle portait la tunique verte de la première fois où elle s’était présentée à lui. Ce qui était étonnant, car le vêtement aurait dû être un peu trop court pour elle à présent. Mais c’était toujours moins étonnant que sa tête, fixée à l’envers. Le corps accoudé au comptoir, le chef monté à 180 degrés, elle le fixait résolument de ses yeux mornes. Des trainées sanguinolentes descendaient de la ligne nette scindant son cou en deux parties, et tâchaient peu à peu le dallage en mosaïque de la pièce. Lichael, derrière le bar, ne semblait pas s’en préoccuper. Affairé à concocter des mélanges qu’il tendait ensuite à Ferisen, il observait d’un œil attentif Zahria. Zahria qui s’était hissée sur l’une des tables, un dossier à la main. Elle était en robe de plage. Celle qu’elle portait lorsqu’ils avaient fait un détour « professionnel » au retour de la mission à la Ville Aquatique. Elle brandissait un parapluie, aussi. Et il n’était pas certain de vouloir se souvenir d’où sortait celui-ci. Assis à l’un des fauteuils de sa table, un homme à la barbe travaillée, au regard calculateur, la regardait tournoyer. Un inconnu ? Instinctivement, sa main chercha son livre mémoire. Qui n’était pas là. Il fronça les sourcils. Crème ? Reine ? Traine ? Benne ? Frêne ? Laine ? Debout à quelques pas du duo, Fledric, dans une sobre tenue de prêtre, prenait des notes dans un carnet.

    Par-dessus la mélodie étrangement accordée du couple Luz-Naëry, un son lointain attira son attention, et il leva les yeux. Perché tout en haut des vastes étagères de liqueurs, habillé en shalupin, Vaelin s’agitait en hurlant quelque chose. Quelque chose d’inaudible. Juste au-dessus de la tête de celui-ci, la voûte transparente commença à se fissurer.

    - Je sais qu’il y a un lien, lui fit Zahria avec urgence.

    Elle l’avait rejoint et lui montrait avec insistance son dossier. Plus loin, Draine observait avec intérêt le reste des espions qui festoyait innocemment. Plus loin encore, Ruth le regardait toujours avec sa tête anormalement agencée.

    - C’est la base des échecs. Tous les hauts gradés mangent des pâtisseries, ça passe comme il faut avec leurs litres de thé. Ou d’alcool. Des éclairs au chocolat pour le Maître-Espion, des feuilletés pour la Capitaine du Blizzard, des biscuits pour le Commandant, des glands pour…

    Dans un craquement lugubre et impérieux, la voûte se fendit. Des perles d’eau, puis des cascades de moins en moins timides, s’écoulèrent en pluie de larmes assumées pour rencontrer la mosaïque scintillante sous ses pieds. Ses doigts trouvèrent instinctivement ceux de Zahria, et il serra sa main dans la sienne. Echo d’un geste récent. De l’autre côté de la pièce, Ruth ferma les yeux. Le vermeil de son sang se mélangeait avec l’onde de l’eau montante. Il tourna la tête, une question sur les lèvres. Mais Zahria n’était plus là. A sa place, dans la robe de plage, se tenait l’homme calculateur. Vrenn.

    - Sale histoire, hé ?

    Il lâcha les doigts familièrement étrangers, et la voûte se brisa dans le grondement du tonnerre, déversant les flots tumultueux qui s’empressèrent de les dévorer. Il ferma les yeux et se noya.

    ~

    Il ouvrit les yeux. Grogna. Et jeta son coussin de rêve par terre. Qui lui revint. S’asseyant dans un bâillement, il remercia automatiquement Naëry tout en jetant un regard noir à l’objet. Lorsqu’il était passé récupérer quelques affaires au dortoir de la Caserne, il n’avait pas fait tellement attention à celles-ci. Les gestes avaient été automatiques, distraits, et pressés de quitter les lieux. Un regard par la fenêtre lui apprit que l’heure du rendez-vous avec – il jeta automatiquement un œil à sa main – Vrenn se profilait. Démêlant ses jambes pour aider Naëry à préparer un encas, il finit par s’asseoir sagement sous le regard perçant de l’homme après avoir confondu celui de Loupiac avec le leur. Feuilletant son livre mémoire une énième fois pour être certain de garder en tête un maximum d’informations, il la releva au bruit sourd sur la table. Une tasse fumante venait d’être posée devant lui et il l’observa un temps, songeur. Luz avait utilisé du boedassa et du phiatri dans la décoction qu’elle lui avait préparée. Ça l’avait plutôt pas mal tenu en éveil. En avait-il ? Il en avait. Fouillant dans sa ceinture d’espion, il récupéra les tubes métalliques contenant les plantes sous forme de poudre. C’étaient là des échantillons de ses stocks. Si l’affaire devait se prolonger, il lui faudrait repasser par le dortoir pour en récupérer. D’une main distraite, il versa un peu de phiatri. Et beaucoup de boedassa. Les doigts de Naëry stoppèrent son élan, et il regarda avec chagrin la poudre restant au fond du flacon. Il aurait pu en mettre encore un peu, non ? Son regard croisa celui désapprobateur de l’aventurier. Bon, peut-être pas.

    Après avoir avalé sa mixture et s’être un peu cramé les papilles dans son impatience, il utilisa à nouveau son peigne magique pour reprendre son apparence de la veille – parce que si Vrenn pouvait se faire oublier des milieux malfamés et pas que, lui non – et prit la route du quartier d’intérêt. La soirée débutait doucement, et les affaires douteuses allaient bientôt reprendre leur train. Le pas rapide car il n’était pas en avance, à moins que ça n’était sa décoction qui prenait rapidement le pas sur son malheureux couple d’heures de sommeil, il trouva Vrenn à leur point de rendez-vous, et ils poursuivirent leur chemin. Il faisait un temps étrange. Mi-figue, mi-raisin. Mi-beodassa, mi-phiatri. Ça crachouillait un peu de manière aléatoire, le vent s’engouffrait là où il pouvait dans un sifflement grincheux, et le ciel gris souris virait au noir inégal. Lorsqu’ils s’engouffrèrent dans les ruelles sordides de la Capitale, il sembla encore s’obscurcir. Moins discrets que la veille, bien que d’allure pas ostentatoire pour un cristal, comme toutes les nouvelles têtes ils furent rapidement la cible de diverses attentions. Généralement peu bienveillantes, si l’on omettait les jeunes femmes en tenue légère qui leur faisaient de l’œil en leur promettant une nuit délicieuse. Evitant les doigts chapardeurs et les mains aguicheuses jusqu’à une certaine maison close où ils firent mine de s’intéresser aux tarifs proposés, ils profitèrent d’un moment d’inattention des racoleuses pour s’infiltrer dans la bâtisse adjacente. Ils auraient pu, aussi, choisir de faire le circuit des clients qu’ils avaient observés, et passer par le revendeur de produits exotiques, puis par le bar lugubre du Rouge Désir, et enfin récupérer leur laisser-passer au négociateur du marché noir un peu plus loin. Mais la perspective d’y perdre du temps, de l’énergie et des cristaux n’avait enchanté aucun des deux espions. Les issues secondaires ça marchait toujours bien, à condition d’un peu de discrétion et de timing calculé.  

    Ils arrivèrent dans un cagibi. Rien de remarquable jusque-là, en dehors du fait que les propriétaires des lieux avaient des soucis avec le rangement. Profitant du pouvoir de fusion pour vérifier les environs avant de progresser davantage, ils poursuivirent leur chemin jusqu’à un petit vestibule donnant sur trois pièces. Le long du mur, des fauteuil rapiécés, sommairement dissimulés par quelques paravents donnant l’illusion d’une certaine intimité, permettaient visiblement d’attendre à son aise. Il n’y avait personne, et ça n’était pas un hasard. Ils savaient les périodes d’affluence. Sur le mur opposé, en lettres lumineuses, brillait « divination pour toutes vos interrogations : des professionnels pour tous vos soucis personnels ». Juste dessous, une liste sommaire indiquait les fameux professionnels. Ou tout du moins, leurs surnoms. De ce que leurs heures de surveillance avaient pu leur apprendre, en dehors du fait qu’au moins une de leurs cibles venait toujours en ce lieu, les deux espions savaient qu’il n’y était certainement pas qu’affaire de voyance. Indiquant les portes closes comprenant chacune un écriteau présentant « yvérion », « orochi » et « tanhiwa », Calixte posa un regard interrogateur sur Sbire, prêt à suivre son impulsion, quelle qu’elle fût.
    Luz WeissCroc de foudre
    Luz Weiss
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Mar 14 Avr 2020 - 20:54 #
    Le liquide dans son verre accrocha sa peau d’un éclat vermeille. Un pour un tour… Deux pour distiller les fragrances florales du millésime. Son mouvement du poignet était lent, cadencé. Des rondes et des rondes, trois tours à présent… Le vin n’émettait déjà plus qu’un long froissement, étiolé par le grain craquelé de la musique qui retentissait par instant dans la masure. Le violon grinçait, comme ses dents et ce vin, et le crin de l’archet râpait et râpait les cordes limées… Ses prunelles accrochèrent les rumeurs de la nuit. Un vert sombre, orageux, marbré d’un éclat métallique. Electrique. L’alcool avait le goût de l’hémoglobine, peu importe les bouteilles dont elle avait arraché le goulot, briser le fond sur un coin de muret pour observer fascinée le liquide rouge et âpre se répandre dans l’herbe du jardin par bouillons mousseux. Le regard incertain de Basile l’avait saisie là, sur le portique. Cloutée au carreau avec ses grandes ailes maladroites de phalène, arrimée aux écoulements du vin comme quelques lumières trop vives et enjôleuses. Elle était rentrée. Elle ne se souvenait pas des bribes qu’ils avaient échangées, ni du silence qui en avait résulté. Il s’était enfermé dans ses quartiers et s’était emparé de cet outil qui donnait seul à ses oreilles toute absolution de ses péchés. Un air de musique pour les noyer tous, un air de musique pour nettoyer les doigts carmins de la maîtresse de maison.

    Elle s’était resservie. Elle croyait peu en la musique, de toute façon. L’alcool était bien moins doucereux, et beaucoup plus fidèle. Assise dans la grande bibliothèque familiale, elle songea qu’il lui faudrait prochainement retourner à la confortable bâtisse qu’elle partageait avec Zahria. Il n’était pas rare que l’une et l’autre s’absente. Zahria n’y était peut-être pas. A lire son mot, un prétexte, des affaires à régler à la demeure familiale des Weiss. Ce papier prendrait peut-être la poussière. Tant mieux. La pulpe de son pouce glissa sur le cristal du verre. Son esprit commençait à percer les brumes de la couche d’anesthésiant qu’elle s’était méticuleusement composée depuis l’enterrement. Un 15%, un sandwich et trois croissants. Un soupçon de défiance et un zeste d’apathie.

    Elle était prête.

    ►◄

    Un pour un tour… Deux soirs infructueux. Il n’y avait ici que des regards peu amènes. Aucune étincelle au fond des yeux, aucun surnom murmuré au coin des lèvres ni cristaux échangés sous le manteau. Elle se glissa dans une ruelle adjacente, le pas félin, léger. Ne pas heurter la dalle, s’y fondre, faire sien cet environnement… La combinaison qui recouvrait intégralement son corps d’un cuir épais et sombre barrait sa poitrine d’un linceul oppressant. Nul ne pouvait distinguer son sexe, et plus avant son identité. Ses cheveux ramassés sur sa nuque en un chignon serré étaient recouverts d’une étroite capuche et ses traits masqués d’un bandeau ne laissaient dévoiler que ses prunelles. Elle reprit le chemin tracé par elle six ans auparavant. Une brique légèrement déboitée des autres à cet angle, ici les tuiles rouges d’un toit et là l’auvent délabré d’un ancien marchand… Tourner à gauche, revenir sur ses pas. Recroiser le pauvre hère dont la main tremblait en tenant son écuelle.

    Il gratta sa barbe. Fit rouler les muscles savamment cachés sous ses frusques pour désigner la ruelle attenante. Elle jeta d’un tir ajusté deux cristaux noirs dans sa gamelle et s’avança dans la rue présente. Une odeur avinée la saisit à la gorge –plus imbibée qu’elle. Une vieille taverne oubliée des âges traînait ses fondations dans les parages, attirant un lot étrange d’habitants dépenaillés et de racoleuses exubérantes. Aucun ne s’approcha. Luz s’installa, ni trop en retrait, ni trop en évidence, sur un coin de muret. Elle ne commanda pas, ne mangea pas. Seule dansait entre ses doigts une pièce en or, appât trompeur. Un reflet fauve. Electrique.

    Un pour un tour… Six soirs infructueux. Elle le savait, c’était une valse à contre temps. Elle ne pourrait se permettre de faire plus longuement durer cette mascarade, à moins d’espacer ses visites, de les tronquer en séquences hasardeuses. Marcher trop longuement dans cet accoutrement au bonheur des rues n’était pas non plus une solution. Des espions courraient dans ces ruelles, y cherchaient peut-être un assassin… D’expérience, les bonnes personnes ne se présentaient à vous qu’au huitième ou neuvième jour. Pour tester votre patience. Estimer votre argent. Oh, elle se souvenait encore du goût mâtiné de la mauvaise bière, de ces sons de voix qui n’avaient pas changé depuis toutes ces années… Et à l’écho de son ancienne requête d’assassinat, ferme et décidée, répondait le silence provocateur dans lequel elle s’était désormais plongée. Elle songea qu’elle ne trouverait rien aujourd’hui non plus et voulut se redresser. Les intonations calmes et indifférentes manquèrent lui échapper dans le brouhaha ambiant.

    « Ramène-toi Faye, y a une commande pour toi. »

    L’homme tourna immédiatement les talons, sans même lui jeter un seul regard. Plus grand qu’elle, mieux vêtu que le commun des habitants de ces allées. Coquet ? Le col savamment plié d’une chemise grisâtre témoignait d’un brin d’aisance. Elle le suivit bien sûr, s’échinant à masquer la tension qui se saisissait de ses membres, le pas dégagé, la silhouette naturelle dans l’obscurité de la Capitale. Ils ne parlèrent pas, ou peu, mais au troisième tournant le type lui coula un regard un brin embrumé et s’avisa du nouvel aspect de sa tenue :

    « T’as changé d’masque. J’espère que t’es pas moche comme un pou là-dessous. »

    Alors, Luz marqua un temps d’hésitation, léger, trois secondes à peine calcula-t-elle. Elle sut immédiatement qu’elle venait de réaliser une erreur irrattrapable. La question, sciemment posée, donna toute l’ampleur d’une réponse à son propriétaire. Cette silhouette n’était pas Faye. Trop disciplinée, avec un truc trop policé dans sa démarche qu’il ne remettait pas, sa verve d’ordinaire si acérée et délicieusement insupportable close dans un silence de sainte abstinence.

    Sa main se porta à la lame qui ceignait ses hanches. Et son nez produisit un craquement sinistre lorsque le poing de Luz vint percuter son visage dans un brouillon sanglant. Le tranchant de sa dextre s’abattit sur son poignet, et la lame vint rouler dans un tintement sur le dallage mal entretenu de la rue. Elle balaya ses jambes, le laissa s’écraser durement sur les pavés. Il voulut lutter, entraîné par les années passées dans les rues et chercha à se tordre comme quelques carpes luttant pour sa survie à la lisière de la rive. La paume de Luz vint s’emparer avec flegme de son visage et y décharger une pleine dose d’électricité. Son corps tressauta violemment, et du sang goutta de ses lèvres lorsqu’il s’entailla spasmodiquement la langue. Elle jura lorsqu’il trempa le pavé et le traîna par le col jusqu’au muret pour l’y positionner assis. Le mur s’effondrait par endroit, grignoté par la végétation hasardeuse qui vivait confortablement sur le terrain abandonné attenant. Un chahut de ronces, de chardons et de lierre épais.

    Parfait.

    Il reprit conscience lorsque le pouvoir de soin de la praticienne acheva de le revigorer, environné d’un lierre désormais mourant et pourrissant dont il avait accaparé l’énergie. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites. Cherchèrent immédiatement une opportunité avec la rapidité exquise d’un malfrat dans son milieu naturel. Luz avait enfoncé son genou gauche dans son estomac, son poids entrainant la pointe osseuse de sa jambe pour faire obstruction à toute velléité de mouvements. Enlacés comme deux amants dans la terre souple et molle, elle prononça son invitation presque du bout des lèvres contre son souffle contraint :

    « Qui est Faye ? Où puis-je la trouver ? »

    « J’y gagne quoi ? »

    Un demi rire l’étouffa, s’acheva en quinte de toux. S’étrangla dans un hoquet lorsqu’une décharge le secoua une nouvelle fois. Elle le laissa glisser au sol, brisa sa mâchoire d’un coup sec du talon. Semelle cloutée. Cette fois-ci, il hurla. Un borborygme étranglé d’hémoglobine tandis qu’il tentait de parcourir son visage de ses doigts hagards. Alors, de ces tendres mains qui avaient soutenu les plumes harassées de Calixte, Luz prit à son tour ce visage effondré et vint y déverser son pouvoir de soin. Les dents déchaussés ne repoussèrent guère, mais les ligaments cherchèrent à grimper, se solidifier autour de l’attache désarticulée. Il demeura sur le pavé, les plaies effacées, le visage étrangement de biais. Sain et sans souffrance.

    « Qui est Faye ? Où puis-je la trouver ? »

    « J’sais pas…
    parvint-il à péniblement articuler. »

    Sa main gauche claqua à son tour dans l’eau sale qui suintait entre les dalles du sol. Les os brisés, consciencieusement. Il frémit à peine lorsqu’elle le frôla d’une caresse, sacrifia la belle pousse d’un arbre en devenir pour lui ressouder les articulations en d’étroites bandes de chaire boudinées et désaxées.

    « Je peux trancher, aussi. »

    Leurs regards à tous deux filèrent en direction du couteau qui avait glissé à quelques pas de là. Remontèrent le long du mur d’une masure et s’arrimèrent à la silhouette d’un homme qui les observait en silence. Il les dévisagea. Plongé dans l’ombre. Elle, penchée sur lui, accroupie à la manière d’une sainte, englobant de son étreinte maternelle la fragile ossature de son poignet droit. Lui, ramassé sur lui-même, poupin difforme qui maintenait ses excroissances disharmonieuses serrées contre lui.

    « Que… »

    La ruelle s’effondra brutalement sous elle. Un raz-de-marée moite et spongieux d’obscurité qui lui empêtra les jambes, accrocha ses mains tandis qu’elle cherchait à extraire son corps de cette irrésistible lame de fond. Elle suffoqua, brûla son énergie à libérer un bras, racla les dalles de pierre, lutta pour se maintenir à flot dans un grognement animal. Son électricité claqua en vin sur la terre. Nulle prise ne vint au secours de ses doigts.

    Elle ferma les yeux, et se noya.
    Vrenn IndraniSbire
    Vrenn Indrani
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Ven 1 Mai 2020 - 11:38 #

    C’est pas possible de connaître tout le monde.

    Ce postulat assez basique est aggravé par le fait que le milieu du crime est illégal, donc que tout le monde se cache plus ou moins. Y’a qu’à partir d’un niveau de puissance considérable qu’on peut se montrer, un peu, et en étant diablement malin. Ç’a été le cas de certains nobles, ou de gros marchands, qu’ont évidemment été anoblis par la suite pour leurs services rendus. Comprendre par là d’importantes donations aux caisses de la Couronne, et probablement à une tripotée d’intermédiaires qui ont été arrosés avec générosité.

    Du coup, tout comme un bel hôtel aura un ou plusieurs concierges, ou un noble aura des majordomes, les criminels ont leurs propres annuaires. C’est des gens qui commercent une des choses les plus précieuses, tous les revendeurs vous le diront : l’information. Ils achètent, essaient de piffer le sens du vent, et revendent, en se faisant une marge appréciable. Et comme toutes les activités hautement spéculatives, certaines informations, du jour au lendemain, valent que dalle.

    Par exemple, combien vaudrait le faire de savoir qui est le chef du redouté gang des gloutovors, où se trouve leur quartier général et leurs activités principales ? Ben, personne, depuis qu’ils se sont fait exterminés en l’espace d’une nuit, et qu’on n’a même pas retrouvé les corps. Et pourtant, y’avait de quoi intéresser des gens, là-dessus. Les groupes rivaux, déjà, qui se sont subitement tous fait extrêmement discrets, et qui ont marché sur la pointe des pieds pendant quelques mois.

    Sur les vieilles informations, c’est un peu plus compliqué. Faut leur laisser le temps de faire des recherches, de consulter leurs petits papiers. J’jauge les trois portes, et j’me décide finalement pour celle du tanhiwa. J’tape un code au battant, et j’pousse la porte, accompagné de Damoiseau. J’lui souffle deux mots pendant qu’on entre.

    « Parle pas trop, reste silencieux, d’accord ? Sinon, ça risque de pas mal compliquer les choses. »

    Il hoche la tête. Zahria me l’a vendu comme un garçon adorable, toujours prêt à discuter. Mais j’suppose que c’est les circonstances qui font qu’il est comme ça. Ou alors il peut pas me piffer. Ça serait ni le premier, ni le dernier. Tant qu’on fait notre boulot, personne aura de souci, hein ?

    Y’a trois chaises en face d’une table, puis un fauteuil de l’autre côté. Tout le mobilier est simple, pour ne pas dire simpliste, mais j’sais que y’a un certain nombre de sécurités pour empêcher les clients de trop embêter les vendeurs. Pas que ça arrive fréquemment, avec la réputation du coin, mais on sait jamais. On s’assied, et on attend deux minutes qu’un individu de taille moyenne prenne place en face de nous.

    Il ou elle est costumé de la tête au pied dans une tenue large, et le visage est caché par un masque représentant conceptuellement l’animal gravé sur la porte, le tanhiwa. Il nous jauge quelques instants, puis fait un signe de la main pour qu’on pose nos questions. Bon, pas la peine de tourner autour du pot, hé.

    « On cherche le meurtrier d’une amie. »

    Il hoche la tête. Lève un doigt. J’compte cent cristaux.

    « Elle a été décapitée. »

    Demi-doigt. Cinquante, donc.

    « Puis pendue au-dessus du sol. »

    Il incline la tête, tambourine sur la table. Deux doigts. Trois cent cinquante, déjà.

    « Il y a eu un autre meurtre du même style, il y a cinq ans, à la Capitale. »

    Il se frotte le menton en signe de réflexion. Secoue la tête. Pas d’idée.

    « Un meurtre qui s’est passé exactement de la même façon. Corps décapité, puis pendu, dans un endroit sûr, et aucune trace du meurtrier. »

    Ça hausse les épaules.

    « Les autres seront peut-être ?
    - Peut-être, répond une voix rauque qui pourrait être masculine comme féminine.
    - Bon, allons voir, alors. »

    J’me lève, et ça tapote la table.

    « Il faut payer.
    - Y’a pas eu d’information, que j’dis en levant un sourcil.
    - Pas d’information, c’est déjà une information. »

    Il a pas tort. Mais, surtout, le but, c’est de pas avoir d’emmerde. J’sais que Zahria va rembourser sans sourciller, alors j’allonge. Il hoche la tête, se lève, et sort par la petite porte à l’arrière de son bureau.

    Et je vais toquer mon rythme à une autre porte. Elle s’ouvre immédiatement, et un vieil homme s’y trouve déjà. Tiens, tiens, c’est le patron du coin, si j’dis pas de conneries. C’est bien le seul à faire affaire à visage découvert, parce qu’il se sait intouchable. Trop de gens lui sont redevables, et trop d’histoires courent sur ceux qui ont essayé de l’avoir. Il nous examine tous les deux, que ce soit pour nous reconnaître ou nous graver dans sa mémoire importe peu pour nous. Il se rappellera pas de moi.

    Alors qu’on prend place sur les deux chaises face à lui, il prend la parole en lissant sa longue barbichette blanche.

    « Qu’est-ce qui vous amène en ce lieu avec un code vieux de plusieurs mois ? »

    Ouais, bon, les codes changent régulièrement, pour éviter les problèmes, mais faut croire que le mien a suffisamment attisé sa curiosité pour qu’il ouvre la porte et nous reçoive. Il doit bien avoir six ou dix mois, effectivement… C’est un coup à recevoir un carreau d’arbalète dans les côtes, et un coup d’œil à mon sceau magique, qui brille gentiment, me confirme qu’on est bien surveillé. Pas le moment de faire un geste de traviole, donc.

    « On cherche des informations.
    - Je m’en doute.
    - Un meurtre vieux de quelques années, un corps décapité puis pendu, le coupable jamais trouvé.
    - Combien d’années ?
    - Cinq.
    - Laissez-moi réfléchir. »

    Il ferme les yeux, et son souffle se ralentit. Un pouvoir en rapport avec la mémoire, ou le voyage dans les souvenirs ? Mon talisman d’indépendance m’indique que rien ne cloche, et qu’il ne vient pas trifouiller nos bocaux, ce qu’est déjà une bonne nouvelle.

    Au bout de quelques minutes, il grimace, ses yeux s’agitent sous ses paupières, puis son visage redevient impénétrable et il ouvre les mirettes.

    « Je suis désolé, nous n’avons pas l’information demandée. Ça fera cinq cent cristaux supplémentaires.
    - Pas d’information est une information, mais nous avons déjà payé pour savoir ça.
    - Vous avez payé pour que mon employée vous dise qu’elle ne savait pas. Maintenant, vous payez pour que ce soit moi. »

    J’regarde autour, et en particulier le petit trou sur le côté par lequel va sûrement poindre une arme ou un pouvoir si on fait du désordre. Le vieux a l’air serein, beaucoup trop serein. Il se rappelle pas, mais j’suis déjà venu plusieurs fois. Comme il nous reconnaît pas, et qu’on n’a pas l’air de criminels, il doit se dire qu’il va prendre les cristaux et se barrer tranquille. Mais ça n’explique pas son expression de surprise, alors que je lui ai demandé des trucs beaucoup plus méchants l’autre fois. J’cligne des yeux.

    « On paye quatre cent.
    - Quoi ? Fait Calixte. »

    J’fais un signe de la main pour qu’il la boucle.

    « Quatre cent cinquante.
    - Quatre cent et personne ne saura que la Maison des Chuchoteurs ne sait pas. »

    C’est leur nom, dans certains milieux. Il incline la tête sur le côté, m’examine des pieds à la tête, puis acquiesce finalement. Merde, y’a des limites au point auquel on accepte de se faire tondre, même si c’est la Couronne qui régale.

    « Je vous laisse trouver la sortie seuls.
    - ‘Sûr. »

    Quelques instants plus tard, on est dehors. Il pleut encore. Putain, j’déteste ce temps, j’ai l’impression que même mes os sont humides.

    « Ca n’a servi à rien, lâche Damoiseau.
    - Mais si, mais si.
    - Savoir qu’ils ne savent pas ?
    - Savoir qu’ils savent et veulent pas nous dire. Le vioque a mal réagi pendant sa trance. D’habitude, il s’en fout de ce qu’il trouve.
    - Il fallait le faire parler, alors !
    - A l’intérieur, avec les gardes et les protections ? Pas envie de canner comme un con. La Maison des Chuchoteurs, c’est une institution sérieuse, pas le moulin de René le Meunier, putain ! Nan, par contre, on va le faire parler quand même… »

    Notre marche, semble-t-il aléatoire, nous amène à une petite ruelle qui longe le bâtiment dans lequel nous nous trouvions. J’attends au coin, et c’est un homme encapuchonné qui le passe quelques secondes après nous. Pas le temps d’écouter une explication. Mon poing s’écrase dans sa mâchoire, puis mon genou dans son ventre. Quelques tatanes de plus l’étendent pour le compte, et j’regrette de pas avoir pu jouer du couteau. Ça nous aurait évité des emmerdes, mais c’est les nouvelles règles du jeu.

    Et avec les nouvelles règles, la Maison des Chuchoteurs n’est plus intouchable.

    Calixte nous fait fusionner avec le mur, puis passer de l’autre côté, et on s’retrouve dans la pénombre d’un boudoir confortable. Plus un son maintenant, si ce n’est ceux des pas dans le couloir.

    « … pars pour la soirée. En cas de question compliquée, dis de repasser la semaine prochaine.
    - Oui, Maître.
    - Et prends un demi-paiement d’avance, ça ne nous fera pas de mal.
    - A vos ordres. »

    Le vieux et son… assistante, semble-t-il, discutent, puis il rentre dans le boudoir pour prendre quelques autres affaires, j’présume. Le pâté de maison est un vrai gruyère, qui doit être blindé de sorties secrètes. Pour ça qu’il valait mieux le chopper directement avant qu’il sorte par on ne savait où. Il passe la porte, et on est tapi de part et d’autre. On la referme doucement derrière lui, et il se fige quand il sent la pointe d’un couteau contre ses côtes.

    « Bien le bonsoir, Maître. Ça fait longtemps, hein ? »

    Il nous reconnaît instantanément.

    « Vous savez qui nous sommes. Vous savez que vous n’allez pas vous en sortir comme ça. Relâchez-moi immédiatement et je peux oublier cette affaire.
    - M’étonnerait, t’oublies rarement grand-chose, pas vrai ? »

    J’trace une fine estafilade, pendant que Calixte surveille que personne se pointe.

    « Qu’est-ce que vous voulez ? Récupérer vos cristaux ?
    - Ouais, ça fera un bon début. Mais on veut surtout les informations pour lesquelles on est venu.
    - Je vous ai dit qu’il n’y avait pas d’information.
    - Ahah. Mais nous, on a vu ta tronche quand t’as fouillé avec ton pouvoir. Et on en a déduit que y’avait un truc. »

    Je trace une deuxième ligne, plus profonde.

    « Franchement, on a les moyens de te faire parler, mais ça serait pénible, et assez douleureux pour toi.
    - Vous ne savez pas dans quoi vous mettez les pieds.
    - Tu parles de Chuchoteurs ? Ou des meurtriers ?
    - Les deux, crache-t-il. »

    Damoiseau reste à l’orée de son champ de vision, pour ne pas être trop reconnu. Il a raison, moi, j’aurai pas ce problème.

    « Les Chuchoteurs, ça ira, puis ils seront moins dangereux si t’es mort, Arkhem.
    - Quoi ? Comment connaissez…
    - Shh, shh. »

    Ligne perpendiculaire, qui coupe les deux autres cette fois. Il pousse un râle de douleur.

    « Les meurtriers, nous disions donc ?
    - Si je parle, ils me tueront.
    - Si tu parles pas, on te tuera. Ça t’avancera à quoi, d’être vengé ? »

    Calixte fait un signe de la main, et j’plaque ma pogne sur le visage du Maître. Le bruit des pas dans le couloir se rapproche, puis s’éloigne avec le claquement d’une porte.

    « Être vengé, c’est bien joli, mais le prestige des Chuchoteurs, ça sert à rien si t’es refroidi, on le sait tous les deux. Si tu nous dis ce que tu sais, t’auras une chance de t’en sortir. P’tet qu’on mourra avant de dire d’où vient la fuite, ou qu’on s’en sortira ? »

    Il a un rire bref.

    « Vous en sortir ? Je demande à voir.
    - Parle, et tu verras.
    - Si je parle, vous me laissez la vie sauve ?
    - Oui.
    - Qu’est-ce qui me prouve que c’est vrai, si vous pensez que je vais tout faire pour vous retrouver et m’assurer que la fuite ne conduira à rien ?
    - Oh, mais c’est très simple. Y’a une rumeur qui dit que y’a des tâches, des petits boulots, des missions, parfois sacrément dangereuses, qui sont accomplies sans que personne sache qui s’en est chargé, si ce n’est que le boulot est fait et qu’aucun coupable n’est jamais trouvé. Les gens n’ont d’abord qu’un souvenir vague, puis tout sombre dans l’oubli, en quelques heures.
    - Quoi ? Mais ça fait des mois que…
    - Des mois, comme le code frappé à la porte ? »

    Il déglutit. C’est que j’avais une certaine réputation, et que j’suscitais une forte curiosité auprès des divers informateurs. Puis son corps se détend, et il soupire.

    « Il existe une organisation qui s’appelle la Cabale. Ces meurtres sont son signe distinctif, quand on empiète sur ses plates-bandes. Vous avez parlé d’un cadavre vieux de cinq ans, mais il y en a eu d’autres, dans les autres villes.
    - Grand-Port ?
    - Par exemple, mais ici aussi à la Capitale. Juste, les accidents ne sont pas déclarés à la Garde, juste mis sous le tapis et plus personne n’y touche.
    - C’est tout ce que t’as ?
    - Je peux vous donner le nom d’un membre de la Cabale. Je l’ai trouvé par accident. Je ne connais ni son grade, ni leur organisation. Mais il avait le tatouage caractéristique, le crâne et le livre.
    - Balance.
    - Cystus Aselia. Je n’ai fait aucune recherche supplémentaire pour ne pas attirer l’attention.
    - C’est bon, on s’démerdera. »

    J’trace une autre ligne, plus ou moins par principe, et il se raidit. Il croit sa dernière heure arrivée, p’tet. Mais c’est le manche de mon surin qui s’écrase contre sa tempe à trois reprises, et il tombe au sol, inanimé. Le temps qu’il se réveille, on devrait être assez flou dans sa mémoire, ça devrait aller.

    « On file, que j’souffle. »

    Calixte nous fait sortir à nouveau. Drôlement pratique, comme pouvoir.

    Cystus Aselia, donc.

    M’est avis qu’il va pas passer des bons moments, quand on l’aura trouvé.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Ven 8 Mai 2020 - 23:31 #
    Et enfin, un indice. Une piste. Un nom. La Cabale. Le dossier épais comme un poil de cul que leur avait exposé Zahria, le jour où elle leur avait officiellement présenté Vrenn. La Cabale. Ombre intrigante qui s’était dessinée peu à peu sur l’horizon de leur tableau d’espionnage. Doucement, insidieusement, fatalement. Avec, semblait-il, toujours un pas d’avance sur eux. Un seul ? Des milliers ; à contempler la portée sinistrement étendue de son champ d’action. Comment avaient-ils pu être aussi aveugles ? Comment avaient-ils pu la laisser si longtemps agir à sa guise ? Sans avoir la moindre idée de son existence. De son pouvoir. De sa dangerosité. Comment avaient-ils pu aussi sottement mettre en lumière l’infime trace qu’ils avaient d’elle sans plus de préparation. De prudence. D’organisation. Avec la naïveté béate d’un enfant, ils avaient brutalement plongé la main dans le lac et perturbé les eaux troubles, sans en comprendre les répercutions. Et ils l’avaient payé. Ruth, l’avait payé. Le prix de l’innocence.

    Le Chuchoteur – Arkhem – n’avait pas lâché que le nom de l’organisation, il leur avait aussi servi celui de l’un de ses membres. Cystus Aselia. Et Calixte n’avait aucune idée du type de personne sur lequel ils tomberaient en poursuivant leur enquête. Il savait juste que celle-ci allait parler. Il n’était pas soldat à être enclin à la violence, même si le Commandant Höls avait tenté de l’y verser. Mais si Vrenn lui avait demandé de participer à son interrogatoire musclé, il n’aurait pas hésité. Une colère sourde vrombissait sous sa peau, un peu plus à chaque battement peiné de son cœur, avide de réponses. D’exutoires. Cystus Aselia. Une interrogation. Une piste. Une promesse.

    La nuit était encore jeune lorsqu’ils regagnèrent la rue, laissant derrière eux la Maison des Chuchoteurs et ses précieux murmures. La pluie n’avait pas cessé, déterminée à imprégner de son humidité froide le moindre millimètre carré de la Capitale et de ses habitants. Ils s’éloignèrent du cœur des sombres quartiers pour retrouver l’air moins vicié des rues plus cossues, et firent une halte sous un préau à l’abri des oreilles indiscrètes, à proximité de l’un des bras de la Rivière Luisante. Tandis que Vrenn se grillait une cigarette probablement méritée, Calixte observait en silence les lignes de la Capitale, rendues austères par la grisaille. Et par le contexte, aussi sûrement. La ville qu’il avait jusqu’à présent considérée comme son terrain de jeu, même dans ses assignations les plus sinistres, se révélait finalement être bien traitresse. Concisément, ils convinrent rapidement de commencer par les registres officiels à la recherche de leur cible, avant d’aller taper dans la fourmilière riche, mais peu discrète, des filières officieuses en cas d’impasse. Après un bref appel cristallique à Zahria pour la tenir au courant de leur avancée, ils reprirent leur chemin.

    Le contraste entre les bâtiments de l’île Royale et ceux des quartiers Est, pauvres, était assez saisissant pour quiconque passait rapidement des uns aux autres. Mais les deux espions ne s’attardèrent pas à la contemplation architecturale qui, pourtant, valait la peine d’être notée, et se faufilèrent jusqu’aux larges bâtisses ministérielles de l’une des extrémités de l’îlot, sièges de l’administration. Contrairement aux quartiers plus populaires, ceux-ci paraissaient être le terrain de prédilection des patrouilles de leurs collègues de la Garde, et ils durent redoubler de vigilance pour échapper à leur attention. Soit les lieux demandaient une surveillance toute particulière, soit les militaires rechignaient à mettre le pied dans les ruelles plus malfamées et plus dangereuses de la Capitale. Peut-être un peu des deux. Indiquant au Sbire qu’il ne lui restait pour la soirée qu’une seule possibilité d’utiliser sa Fusion accompagnée, ils s’infiltrèrent à l’ancienne dans l’un des bâtiments administratifs. Un silence tranquille avait saisi les lieux. Et Calixte savait qu’ils ne seraient pas dérangés. Les équipes de ménage avaient depuis longtemps fini leur travail, et les rares veilleurs ne viendraient pas leur chercher des noises avant plusieurs heures. Si leur planning de ronde n’avait pas changé depuis la dernière fois où le Damoiseau s’y était glissé. Quand aux fonctionnaires… Cela faisait longtemps qu’ils avaient regagné leurs pénates.

    Avec l’aisance de l’habitué des lieux, il les mena vers les bureaux de la branche d’étude statistique et économique de la population. Celle qui tenait les recensements. Les actes de naissance, de mariage et de décès, lorsqu’ils existaient. Les données démographiques les plus récentes et celles remontant aux prémices de l’administration. Une parente des archives de la Garde, en bien plus colossale. En plus bordélique, aussi. Car si les militaires avaient au moins le mérite de tenir leurs dossiers avec une organisation rigide mais efficace, autant ne pouvait pas être dit pour les documents du ministère. Après s’être prudemment assuré que la pièce était bien déserte, Calixte fit pénétrer Vrenn dans la large salle contenant les recueils des divers recensements en tous genres. En plus des actes civils, diverses listes d’activités et faits notables divers étaient aussi recensés. Et les listes étaient bien plus hasardeuses que celles utilisées par la Garde. Même si le Damoiseau savait qu’il y avait aussi un registre unique listant l’identité de toute personne ayant un jour été mentionnée pour une raison ou une autre dans les différents recueils de l’administration – ainsi que ceux des instances officielles comme la Garde ou la Guilde – il n’avait jamais pu mettre la main dessus pour des raisons techniques, et s’était toujours armé de patience et de détermination pour trouver les informations qu’il cherchait dans le bordel organisationnel de la pièce. En effet, l’objet se trouvait dans un petit coffre solidement encastré dans le mur, et dont la serrure changeait trop régulièrement et rapidement pour lui permettre de la crocheter. Affiliée à une clef enchantée portée constamment par l’un des ministres, elle se modifiait magiquement toutes les dix minutes, et à toute tentative d’intrusion non fructueuse durant plus de cinq secondes. Et sa structure alambiquée n’avait jamais permis à l’espion d’achever sa tâche en moins de cinq secondes. Ecourtant son laïus sur l’objet de convoitise inatteignable et indiquant à Vrenn de s’armer de patience, il fut étonné lorsque ce dernier le retint en sortant de sa poche un rossignol noir. Et, pour la première fois depuis la mort de Ruth, Calixte retrouva l’ombre de sa curiosité candide en observant son collègue ouvrir sans difficulté le coffre contenant le registre unique.

    Ce dernier était étonnamment de faible volume, et de poids léger. Il était évident qu’une magie adroite le régissait, au vu des données plus que nombreuses qu’il contenait. Avec une anticipation palpable, les deux espions ouvrirent le registre et feuilletèrent les innombrables pages à la lettre « A ». Qui ne leur offrit rien. Puis jusqu’à la lettre « C », qui ne les combla pas davantage. Tout haut, le Sbire lâcha le juron que le Damoiseau songeait tout bas. Prenant de très longues minutes – presque deux heures – pour parcourir toute la liste des « A » et des « C », ils arrivèrent cependant à une amère conclusion : Cystus Aselia était inconnu(e) au royaume d’Aryon.

    - Les registres de la Garde ?
    - S’il y était, même uniquement là-bas, il serait mentionné ici…
    - Pareil la Guilde, donc.
    - Oui.
    - Merde.
    - … oui.

    Ça sentait un nouvel aller-retour dans les quartiers Est de la ville. Mais où ? La Maison des Chuchoteurs avait visiblement livré tous ses murmures. Pendant quelques minutes, ils observèrent la pièce comme si la réponse allait finir par leur apparaitre. Puis, se rendant à l’évidence que non, Vrenn replaça le registre unique dans son coffre, et ils s’éclipsèrent des lieux. Comme la nuit précédente, il semblait que le Sbire avait des obligations ailleurs, et le Damoiseau accusait peu à peu son retard de sommeil. Sans un mot, leurs chemins se séparèrent dans les ténèbres humides de la Capitale.

    ~

    Le voile de dentelles cascadait sur ses épaules et jusqu’au creux de ses reins, ses motifs en arabesques rappelant ceux de la robe satinée qu’il enveloppait de sa nacre. Zahria repoussa avec douceur le tissu, afin d’accéder aux cheveux clairs sous-jacents. Droit comme un i dans son écrin de blancheur, Vaelin se laissait faire sans mot dire. Son regard sévèrement planté sur la tête de Ruth. La tête de Ruth, présentée face à lui, sur un plateau tenu par Vrenn. L’homme était assis sur le dos d’une statue de glooby en pierre, et observait la Maitre-Espion réarranger la tenue de Blood. Calixte n’aurait su dire qui intéressait le plus le sombre regard calculateur. Lui-même était bien plus fasciné par les trainées sanguinolentes s’échappant du plateau et dessinant des motifs abstraits sur le sol à leurs pieds. Y aurait-il un jour, une nuit, où il arrêterait d’avoir cette image d’elle comme souvenir automatique ? Où il cesserait d’y revenir ?

    - Tellement de possibilités, soupira Zahria.

    Et il tourna le regard vers Vaelin. Qui n’était plus Vaelin.

    - Est-ce que ça valait le coup ? Janus, lui demanda Ruth, en repoussant de la main le voile de dentelles lui tombant devant les yeux.

    La Ville Aquatique, encore. Janus. Rencontre inattendue. Volage. Coupable.
    Non, bien sûr que non.

    Derrière elle, Lichael avait pris la place de la Maître-Espion, et réajustait avec tristesse la robe de femme sur les épaules de la jeune fille. Où était Zahria ? Son regard repivota, et même s’il savait que tout cela n’était qu’un rêve – un cauchemar – il ne put empêcher ses doigts de se crisper, et son cœur d’accélérer la cadence. Assis à la place de Vrenn, Fledric tenait à présent le plateau. Il ne lui adressa pas un regard, obnubilé par la nouvelle tête sur le support. Le souffle court, pris dans l’étau de la culpabilité, il tendit la main vers les boucles brunes imprégnées de sang.

    ~


    Il ouvrit les yeux, les doigts tendus vers le plafond. Le silence répondit à sa respiration saccadée, et il s’assit dans un mouvement brusque, pour chasser les réminiscences de son rêve. Loupiac lui adressa une mélodie chaleureuse, et se posa sur sa couverture. Caressant le chantelune d’une main, Calixte jeta un coup d’œil à la ronde. Naëry s’était visiblement éclipsé, et l’espion se souvenait effectivement vaguement du bruit de clefs perturbant son sommeil déjà agité. Un repas froid l’attendait sagement sur la petite table du studio, ainsi qu’une note écrite rapidement. Qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Peut-être était-il encore un peu vaseux. Peut-être que l’aventurier écrivait comme un pied. Peut-être un peu des deux. Transférant Loupiac sur son épaule, saisissant son livre mémoire ne le quittant quasiment plus, il s’extirpa de son hamac et partit à la recherche de son cristal de communication. Il n’avait aucune idée de combien de temps il avait dormi, mais les rayons du soleil baignant la petite pièce en disaient long sur l’avancée de la journée. Il espérait que Vrenn avait mieux profité de son sommeil que lui, et surtout qu’il avait d’autres idées pour mettre la main sur leur cible.

    La pluie s’était calmée, mais de lourds nuages occultaient encore le ciel d’Aryon lorsqu’il quitta le domicile de Naëry en début d’après-midi. L’aventurier n’était pas réapparu pendant la quarantaine de minutes qu’il avait passées éveillé au studio, et l’espion s’était demandé distraitement si son ami avait rejoint sa douce, ou s’il avait gagné les murs de la Guilde en quête d’aventure. Il était étrange qu’il ait laissé Loupiac derrière lui, mais ça n’aurait pas non plus été la première fois. La note qu’il avait partiellement déchiffrée avec son cerveau encore un peu embrumé ne lui avait pas appris grand-chose en dehors de ce qu’il avait déjà déduit tout seul, à savoir que son colocataire était sorti. Le manque général de sommeil lui pesait encore, et il s’était à nouveau confectionné le breuvage que Luz lui avait fait au décours de l’autopsie. Enfin. Le sucre magique qu’il avait mis dans sa gourde s’était occupé de le confectionner. Et finalement, ils étaient bien pratiques ces petits sucres.

    Lorsqu’il gagna le point de rendez-vous avec Vrenn dans l’alcôve d’un bar quelconque sans prétention, les effets thérapeutiques de sa boisson prenaient enfin leur quart, éclaircissant davantage son esprit.

    - Salut.
    - ‘Lut.

    Il sentit un poids familier mais inattendu rouler sur son épaule.

    - Ouuh t’as changé de style de rencard ! Tu m’diras : la barbe buissonnante c’est tendance dernièrement.

    Fermant brièvement les yeux en espérant que lorsqu’il les rouvrirait il se rendrait compte que ça n’était que la fatigue, combattue artificiellement, qui le faisait halluciner, il soupira. Mais la voix joyeuse de la bavarde Apolline lui attestait que non, vraiment, il n’hallucinait pas. Craquant finalement alors que l’âme artificielle se lançait dans son activité favorite, à savoir flirter avec tout ce qui se présentait à elle et donc présentement avec le Sbire, il attrapa la trousse de cuir entre ses mains et l’enferma sous une tasse vide. Le rire cristallin, bien qu’étouffé, de l’âme artificielle lui parvint, et il eut soudainement l’impression que cela faisait une éternité qu’il n’avait pas entendu de rire aussi franc. Aussi naïf. Aussi innocent. Ruth avait bien aimé la compagnie de l’insolente trousse de cuir, au contraire de Ferisen qui évitait toujours de se retrouver sous le feu de ses remarques. Il n’entendrait plus jamais le rire de l’adolescente, mêlé à celui de l’âme artificielle. Doucement, Calixte retira la tasse enfermant Apolline, et celle-ci se calma.

    - C’est quoi l’programme ?
    - On cherche une personne qui ne semble pas exister, soupira le Damoiseau en observant les autres clients du bar.
    - Je t’avais dit que tes amis imaginaires étaient, justement, imaginaires.
    - Un certain Cystus Aselia, grommela-t-il en adressant un regard mauvais à la trousse après s’être assuré de l’absence d’oreilles fouineuses.
    - Ah, celle-ci, acquiesça Apolline en s’approchant du verre de Vrenn avec intérêt. Elle est certainement pas facile à trouver lorsqu’elle le veut.

    Les deux espions échangèrent un regard.

    - Elle ?
    - Suis un peu, ma belle barbichette. Laseliane. Féminin.
    - Laseliane ?
    - Ouais, un prénom à coucher dehors. Tu m’étonnes qu’elle aille par le diminutif d’Aselia. Asel, parfois même. Quoi que son nom de famille est pas mal non plus : Orcystus. Normal d’avoir envie d’élaguer tout ça.

    Incrédule, Calixte regardait la trousse artificielle en se demandant jusqu’où s’étendaient en réalité les connaissances de celle-ci. Elle avait, après tout, passé de longues années dans le bureau du précédent Maitre-Espion – et plus globalement dans la planque des espions – à l’écoute de tout ce qu’il avait pu s’y dire.

    - Et la Cabale ? lâcha-t-il en cédant à la curiosité.
    - La quoi ?

    Il haussa les épaules au regard de Vrenn. Elle aurait peut-être pu être au courant. Mais il semblait que l’intérêt des espions pour l’organisation n’avait commencé qu’avec Zahria. Et les rétributions en découlant aussi.

    - Donc, Laseliane Orcystus ? insista le Sbire en essayant de ne pas s’étrangler sur le nom à la mords-moi le nœud.
    - Une nana qui passait de temps en temps des appels cristalliques au Vieux. Il me l’avait montrée sur une photo de famille sur l’un de ses cadres magiques. Cousine du bel-oncle de sa sœur par alliance au dixième degré en partant de l’étoile de Spica, ou un truc du genre. Un beau brin de fille, à l’époque. De sacrés biceps, par contre. Elle devait y aller franco sur la mastu…
    - Apolline.
    - Eh quoi ? D’autres infos ? Ben rien. Il la trouvait un peu fourbe et s’en méfiait visiblement comme de la peste. S’il pouvait éviter ses appels cristalliques, il s’en donnait à cœur joie !

    Alors que la trousse de cuir continuait son laïus sur les techniques d’évitement de l’ancien Maitre-Espion, les deux collègues échangèrent un regard décidé. C’était reparti pour les bureaux de la branche d’étude statistique et économique de la population.

    ~

    A nouveau, afin d’éviter l’agitation bouillonnante et imprévisible des lieux en journée, ils avaient attendu la nuit pour s’infiltrer dans les bâtiments du ministère. Le temps de latence entre celui de l’action et leurs révélations au bar avait été occupé par une improbable discussion entre les deux collègues et l’âme artificielle. Discussion sur laquelle Calixte ne souhaitait pas revenir – et ça tombait plutôt bien, car il en oublierait certainement rapidement la teneur exacte – et il avait été soulagé de voir les bras de la nuit se saisir peu à peu de la Capitale, annonçant la reprise de leur travail de recherches. Les gestes affûtés par la répétition, ils s’infiltrèrent sans difficulté dans la bâtisse de l’administration. Dans leur hâte, ils croisèrent néanmoins un travailleur retardataire – comme quoi – et faillirent se faire surprendre. Profitant de son pouvoir réinitialisé, Calixte les fit fusionner avec le papier-peint du couloir le temps que l’homme ne s’éloigne dans l’ignorance. Puis ils reprirent leur chemin.

    Dans la salle des recueils, ils ne perdirent pas davantage de temps, et Vrenn récupéra à nouveau le registre unique. Avec appréhension, ils firent défiler les pages jusqu’à la lettre « L », où ils ne trouvèrent rien. Puis jusqu’à la « O ». Qui leur offrit, enfin : « Orcystus Laseliane, épouse Seers. Mention(s) : Etat civil, Actes notariés, Recensement (dernière année 995), Requêtes Guilde. ». Suivant les indications du recueil, ils se séparèrent brièvement pour récupérer les divers documents informatifs notifiés – sauf ceux de la Guilde – puis s’installèrent à la lumière d’une lampe magique pour en étudier les éléments. Et il se dégagea bientôt deux choses aux yeux des espions : le dossier de leur cible était à la fois très propre, et remarquablement vide. Le strict minimum avait été inscrit dans les documents officiels, et il y avait dans les – pourtant nombreux – actes notariés une avarice de mots laissant le lecteur dans l’inconnu. Recouper les maigres données sur leur cible avec celles de son entourage présumé au vu de son Etat civil leur demanda encore quelques heures de recherches, et ils contemplèrent avec appréhension le vide qu’il semblait s’être formé autour de Laseliane Orcystus. Soit elle avait fait du tri dans sa famille, soit les membres de celle-ci avaient la fâcheuse tendance à disparaitre, soit ils avaient joué de malheur. Dans tous les cas, les choses s’étaient passées trop discrètement pour que quiconque ne s’y soit intéressé de près. Jusqu’à eux. Qu’allait donc leur coûter leur enquête cette fois-ci ? Car dès lors que l’on se rendrait compte de leurs recherches persistantes, par quel moyen leur ferait-on payer ? La simple ouverture du dossier sur la Cabale leur avait pris Ruth. Si le champ d’action de l’organisation était aussi vaste que ce que semblait suggérer l’atteinte de leur planque principale et les bribes d’informations qu’ils avaient réussi à glaner jusqu’ici, quel allait être le prix pour leur persévérance ? Leur entêtement ? L’avait-il su, le Vieux ? Avait-il sciemment évité ces routes tortueuses, pénibles, mortelles ? Payaient-ils à présent le désintérêt et l’inaction des générations passées ? Ou au contraire l’ambition de la leur ?

    Ayant eu le temps de récupérer correctement les données sur lesquelles ils étaient tombés – Apolline les avait aidés en dictant à sa scribouilleuse tous les éléments notables – ils replacèrent méticuleusement les divers documents qu’ils avaient utilisés. Il semblait que Laseliane Orcystus était Noble, ou d’origine Noble. Avait bénéficié de plusieurs accords commerciaux, fait diverses donations, entretenu des rapports avec toutes sortes d’institutions de la Capitale et de la Forteresse. S’était mariée, n’avait pas déclaré d’enfant, devait bientôt toucher la cinquantaine. Des informations banales, superficielles. Et un vide remarquable sur les cinq dernières années. Un vide remarquable, aussi, autour d’elle. Voulu ? Subit ? Qu’importait. Ils avaient trois adresses. Anciennes, mais peut-être exploitables. Deux à la Capitale, une à la Forteresse.

    Calixte leva un regard déterminé sur la silhouette familièrement inconnue de son collègue. Il était temps d’aller tester ces pistes. Peut-être qu’ils le payeraient à un moment ou un autre. Certainement même. Mais à la différence d’auparavant, ils n’étaient plus naïfs du pouvoir impitoyablement létal de la Cabale. Cette innocence-là avait été assassinée. Alors en tout état de cause, qu’avaient-ils vraiment à perdre, sinon à gagner ?
    Luz WeissCroc de foudre
    Luz Weiss
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Ven 29 Mai 2020 - 17:39 #
    Un rythme lancinant. Un sentiment d’urgence. Sa bouche s’assèche, elle marmonne quelque chose dans son sommeil.

    Il y a quelque chose dont elle doit se souvenir… Un agacement fugace à la frontière de ses rêves, un filament qui s’écharpe à son contact… Des doigts caressent sa peau, effleurent son épaule nue et se perdent dans ses cheveux dénoués. Elle sent l’obscurité de la pièce, inspire les fragrances épicées familières, mêlées de l’arôme plus chamarré du thé froid. Le monde est divisé à ses sens, sa main cherche les contours de leur couche sans jamais les trouver, les prunelles renversées de toute cette lumière tamisée qui inonde sa conscience de flashs troubles et inquiétants. « C’est moi », lui murmure-t-il de sa voix grave. « C’est moi ». Réconfortant. Présent. Le pouls qu’elle sent battre dans ses veines s’apaise, une réponse instinctive à la présence de cet autre qui d’une caresse chasse les mauvais rêves de ses paupières.

    Naëry.

    « Naëry », répète-t-elle, circonspecte, et sa conscience jaillit enfin comme un cri sur ses lèvres tandis qu’elle se redresse sur le lit. Ses jambes se sont entremêlées dans le drap froissé. Il la regarde. Inquiet, à présent. D’abord décontenancée, elle jette un regard à la pièce, glisse et dérive sur les restes du repas de la veille, la tasse de thé autrefois fumante dont les ridules se sont tues il y a plusieurs heures déjà. La pièce est plongée dans une lueur de point du jour, et le regard pleinement réveillé de Naëry interroge ses propres prunelles papillonnantes. Un souffle d’air la saisit, soulève sa poitrine.

    « J’ai fait un mauvais rêve, tout va bien. Excuse-moi de t’avoir réveillé. »

    Elle lui sourit. Son visage est fatigué. Elle se penche vers lui, effleure sa joue de ses doigts et dépose un baiser sur son épaule nue.

    « Rendors-toi. Je vais sortir, j’ai quelqu’un à voir. »

    Elle grimace lorsque ses muscles s’insurgent contre le mouvement qu’elle leur demande. Elle se redresse pour autant, passe un long coup d’eau fraiche sur son visage et s’habille. Son cœur, désormais, recommence à battre. Elle se trouve la peau plus rosée et s’estime soulagée de reprendre des couleurs. De quoi es-tu inquiète ? Pourquoi te presses-tu ? Elle secoue la tête, et les longues mèches flammes de sa chevelure s’étiolent autour de ses épaules en amples boucles souples. Il dort. Tout va bien. La pièce paisible lui renvoie le propre miroir de son silence intérieur.

    Le soleil pointe à l’horizon lorsqu’elle sort enfin. Elle consulte rapidement le dossier qu’elle tient toujours sous le bras et estime approximativement la direction à prendre. C’est que certains de ses patients sont abîmés par les années, les articulations par trop sciées pour se déplacer ou rongés par quelques maladies incurables contre lesquelles ils ne gagneront jamais. A ceux-là, elle ne peut demander un temps d’attente d’approximativement vingt minutes et trente-six secondes, temps moyen de ses entre-deux consultations. Elle se déplace alors, armée des ressources de la science et d’une simple valisette. Ces consultations sont intéressantes, un peu touchantes. Il y a là une douceur contenue en ces personnes, la cristallisation d’un univers renfermé lorsqu’elle vient les trouver retranchés dans leur couche…

    Oui. Elle consulte rapidement le dossier qu’elle tient toujours sous son bras. Que doit-elle faire déjà… ? Elle fronce les sourcils, un mince pli suggestif qui zèbre son front, crée une fissure dans sa mémoire. Elle vacille. C’est un écho très long qui se répercute entre les murs de la ruelle, car son talon a claqué sur le dallage avant de se prendre dans les crevasses du pavé. Son pied est coincé. Son souffle s’accélère. Un sentiment d’urgence, une peur animal qui remonte de ses entrailles, coule ses anneaux dans sa colonne, investit sa nuque. Elle est presque accroupie à présent. Tassée sur elle-même, haletante, agrippée à sa cheville figée comme une ancre en pleine mer désaxée. Elle…

    « Luz ? Tout va bien ? »

    Elle sursaute, manque de tomber tout à fait à la renverse. Un homme la regarde d’un air inquiet, constate ses airs affolés et s’empare d’un fragment de sourire un peu contrit. Il se justifie.

    « Excusez-moi, c’est que je vous ai vue passer devant la maison et poursuivre votre route… J’étais curieux alors je vous ai suivie… Vous vous souvenez que nous avons rendez-vous, non ? Pour mon père ? »

    Elle hoche la tête, lentement. Ses traits s’illuminent, elle penche doucement la tête de côté et choisit de se réfugier dans l’humour :

    « Oui, excusez-moi Salaran, j’avais quelque chose à faire avant de vous rejoindre. Mais vous allez trouver cela bête : mon talon s’est coincé entre les pavés. Si vous pouviez me prêter une main secourable… ? »

    Elle lui sourit pleinement, les prunelles amusées de sa propre situation saugrenue. Il rit doucement avec elle et lui propose son aide. Elle s’époussette. Elle ne sait pas pourquoi, mais les plis de sa jupe l’agacent. Elle lève les yeux, rajuste la lanière de sa sacoche sur son épaule et emboite le pas au fils de son patient du jour. La ruelle est sale, elle observe le clapotis de l’eau stagnante qu’ils longent, le petit muret à demi effondré, troué de ronces, les jeux de lumière dans les broussailles du terrain vague…

    Elle s’arrête tout à fait. Sa sacoche produit un son mat en heurtant les pavés. Le tissu s’imbibe d’eau et elle ne fait rien. Rien que de regarder ce terrain. Le muret. Le pavé. A son oreille, son talisman d’indépendance chauffe. Une morsure violente, stridente, dont elle peine à prendre conscience. Elle ravale le souffle qui s’apprête à jaillir de ses lèvres, et ses prunelles s’ouvrent, s’ouvrent sur ce décor qui n’en finit plus d’être immobile.

    « Tu n’aurais pas dû revenir ici. »

    Une migraine l’assaille, elle plaque une main sur son visage, retient un gémissement de douleur aigüe.

    « Tu n’aurais pas dû revenir ici, comme tous les autres jours. »

    Elle titube, recule, essaye de se battre, de l’éloigner. Il ne bouge pas. C’est qu’il s’est tourné lentement vers elle et la regarde avec toute la pitié que l’on accorde à un enfant récalcitrant.

    « Combien de fois dois-je t’apprendre cette leçon ? Je ne ferai pas cela toutes les semaines tu sais. Tu t’obstines, c’est idiot, et mon pouvoir n’est pas conçu pour les esprits qui regimbent. Six fois en dix jours, tu dois commencer à t’épuiser. »

    La boucle d’oreille chauffe et chauffe sur sa peau…

    ►◄

    Il y a quelque chose dont elle doit se souvenir… Elle se fige, s’ébroue comme une louve gênée par quelques vrombissements insidieux, ce pressentiment qu’elle ne parvient pas à saisir tout à fait et qui irise ses sens.

    Naëry dépose sur la table basse l’une des pièces en cuir de sa tenue de voyage, et ausculte le matériau abimé de ses prunelles d’un doré attentif si particulier. La pression disparait. S’égare et s’étiole. Ses épaules se détendent, et elle reprend sa lecture.

    Elle tourne le document annoté de pattes de mouche, se masse les tempes tandis qu’elle tâche de s’en remémorer le contenu. Une lettre de l’académie, une proposition d’enseignements à l’égard de jeunes médecins en devenir que l’expérience d’une aînée pourrait servir. Elle n’aime pas réellement enseigner, ni fréquenter les jeunes âmes enflammées d’étudiants tout désireux d’avaler ses mots comme une véritable panacée miraculeuse. Peut-être qu’en l’occurrence répondre favorablement à cette requête lui ferait du bien, l’aiderait à diversifier ses activités… Ces temps derniers, son énergie semble fuir plus vite que l’eau d’une gourde percée. Depuis que…

    Elle passe ses doigts sur son lobe d’oreille avec un agacement consumé. Développe-t-elle une allergie ? Le métal ne cesse de la faire souffrir depuis plusieurs jours, et elle sent poindre un début d’irritation. Oh, elle pourrait aisément l’enlever, la reléguer dans les rets sombres d’un tiroir et ne plus en parler. Mais l’idée… La répugne. Bloque dans sa poitrine avec la pesanteur d’un absolu refus. Une… Nécessité presque vitale ? Elle se redresse, soudainement étonnée. Allons Luz, fais un effort, tu as pensé à cela juste l’autre jour… Ta mémoire est occupée ces derniers temps, mais tu peux bien te souvenir de ce point de détail !

    Oui, voilà, c’est cela, se remémore-t-elle. Cette boucle d’oreille est vraisemblablement un cadeau de son grand-père, et l’on ne jette pas aux oublis les présents d’un être cher. Elle se détend, rassérénée. Les pièces de son esprit ont retrouvé une place raisonnable.

    « Tu sais, tu devrais l’enlever, lui dit Naëry qui constate son malaise. »

    Sa voix est douce, mais son regard est observateur et soucieux. Sa belle s’amenuise et s’épuise malgré ses tentatives pour l’atteindre, là, juste sous ses yeux et pourtant si loin. Il ne sait comment l’aider avec ses pensées tortueuses, elle le voit bien. Ses nuits sont hantées, et elle se désole de le réveiller à chaque foutu cri nocturne. Elle laisse filer un soupir, se relève et vient s’égarer à ses côtés sur le canapé.

    « Je suis désolée d’être si dure à vivre en ce moment. Je crois que la surcharge de travail ne me réussit pas et peut-être que mon corps essaye de me le faire sentir… C’est étrange, cela ne m’était jamais arrivé auparavant. »

    Il l’attire à lui dans ses bras, chaud, présent.

    « Je suis là pour toi si tu en ressens le besoin. Toujours. »

    Elle sourit dans l’obscurité de son embrassade, se dégage avec une lueur taquine dans les yeux.

    « Je sais, Naë. »

    Puisqu’elle porte de nouveau sa main à son oreille et ne peut retenir cette fois-ci une légère grimace de souffrance, il fronce tout à fait les sourcils et attrape délicatement son poignet.

    « Tu devrais vraiment l’enlever, cela ne me plaît guère de te voir dans cet état. »

    Alors, elle s’immobilise. Quelque chose coince. Quelque chose ne va pas. La scène se répète comme une boucle rayée, divergente de sa route. Que fait-elle là… ? Et ses souvenirs, si éparpillés contre cet autre… La tête lui tourne. Une souffrance nait dans sa poitrine, celle d’un fauve en crise, une débâcle carnassière qui la roue de rage. « Enlève-la, Luz » supplie cet autre qu’elle ne reconnait plus tout à coup, lambeaux d’être humain aux paroles doucereuses. Douteuses. Mensongères. Elle halète, l’éloigne d’une main, se débat. Son souffle se ramasse dans sa gorge. Abrasif.

    Leur regard se croise, mi allongés mi redressés, et elle constate qu’il sait, qu’il sait qu’elle a compris.

    Vive comme une couleuvre son bras jailli vers l’un des poignards de son équipement, toujours posé sur la table basse. Elle abat sa main sur sa poitrine pour le plaquer contre le revêtement du sofa, bondit sur lui et lève haut son arme de fortune...

    « … Luz… ? fait la voix de Naëry, une voix blanche, terrible. Sa voix à lui. »

    Son bras se suspend en l'air. Ce n'est qu'une infime, fatale hésitation. L'obscurité se referme sur elle.

    Et puis... Il fait nuit à nouveau.

    ►◄

    Contourner l’angle. Prendre la première à gauche. Déboucher sur l’avenue, longer le muret. Elle s’arrête devant le terrain vague, les paupières semi closes, statue éphémère de sel aux couleurs vivaces. Lorsqu’elle se retourne vers lui, ses prunelles ont l’éclat du métal. Ils se jaugent et se contemplent un long moment, et le silence de la rue est tout à fait paisible à présent.

    « Cela ne fonctionnera plus. »

    « Je sais. »

    Une pause. Nouveau silence. Elle est calme, et ses longs cheveux flammes s’enroulent un instant dans la brise du soir. A son oreille gauche, la marque d’une profonde brûlure se laisse dévoiler sous le crin de sa chevelure. Elle n’a plus de migraine.

    « Elle t’attend. »

    « Où ? »

    « Tu la trouveras Aux Trois Pilliers. »

    Elle baisse le visage, contemple les pavés, pensive. Elle ressent le besoin de demander pourquoi, mais quelque chose en elle le sait déjà. Une main sur sa hanche, il penche un brin la tête de côté, un air espiègle sur ses traits. Ils se tiennent respectivement à trois pas de distance.

    « L’homme coquet ? »

    « On l’a récupéré. Personne ne s’en souciera plus. »

    Elle se détourne du terrain vague, s’avance jusqu’à lui et le contourne. De là, son épaule frôle presque la sienne tandis qu’elle s’arrête à ses côtés. Elle sourit. Un long sourire très lent, tout de dents, une rétractation des lèvres sur ses crocs avides. Elle se penche sensiblement dans une envolée de mèches flammes qui glissent d’une épaule, et ses prunelles s’ancrent aux siennes. Un vert d’un gris métallique, luminescence que la tenture de ses longs cils sombres recouvre d’une faim ombrageuse et vorace. Ses lèvres rouges comme un fruit se distordent dans une parodie de murmure amoureux.

    « La prochaine fois que tu effleures Naëry, je te tue. »

    Une compréhension avisée passe dans les iris de son interlocuteur.

    « Cela n'arrivera pas. La Famille ne s’en prend pas aux proches de ses frères et sœurs. »

    Il a cette moue faussement aimable et sibylline des magiciens sur scène. C’est qu’il connait, lui, l’entièreté des éléments de l’énigme. Mais elle n’en a cure. Elle reprend sa route, le regard droit et lointain déjà porté dans la direction de la taverne des Trois Pilliers.

    Là où se trouve Faye.

    Là où se trouvent ses véritables réponses.
    Vrenn IndraniSbire
    Vrenn Indrani
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Lun 1 Juin 2020 - 10:45 #

    Marrant, cette âme artificielle qu’il a, que j’me dis en marchant dans les rues de la Capitale. On s’est mis d’accord pour se retrouver le lendemain et commencer à enquêter sur les trois résidences, à défaut d’avoir trouvé quoi que ce soit d’intéressant. Damoiseau a fait son rapport par cristal rapidement à Ombre. De toute façon, si elle a besoin d’informations supplémentaires, elle tardera pas à me les demander, comme chaque jour depuis le début de l’enquête.

    J’ai plus de ressort dans ma démarche, et j’me prends même à sourire à deux ivrognes que j’croise à l’heure tardive. L’un d’eux m’propose une gorgée de sa bouteille, que j’refuse gentiment. Hm. Normalement, je les aurais bousculé pour faire tomber la bouteille, puis j’serais parti. Bah, il fait pas trop moche et la vie suit son cours, plutôt bien au demeurant.

    Quand j’arrive devant ma porte, j’recompose mon expression. Plus taciturne, sérieuse, concentrée en surface. Un poil d’anxiété en-dessous, pour être honnête. J’fourre ma clef dans la serrure et j’rentre pour voir Zahria déjà attablée, avec une pile de dossiers et des cernes énormes. Au moins, elle est pas en train de pleurer. Plus depuis quelques jours.

    J’sors deux cigarettes que j’ai roulées pendant la marche, et elle pointe les deux qui sont déjà posées sur la table, devant elle. Petits sourires. J’l’embrasse sur le haut du front puis les lèvres.

    « Ca va ?
    - Oui, je remonte la pile de dossiers que le Vieux a laissé.
    - Beaucoup de retard ?
    - Non, mais je ne vais aussi vite. Pas encore, en tout cas. »

    Je hausse les épaules en lui allumant sa clope avec la pierre feu.

    « Normal, il avait des années d’entraînement. »

    Elle grogne.

    « Le rapport de Damoiseau allait ? Besoin d’informations supplémentaires ?
    - Non, c’est bon, pas pour le moment. Tu me laisses finir ce passage ?
    - Ouais, vas-y. »

    J’m’assieds en face d’elle en fumant tranquillement. Dehors, la grisaille a été remplacée par une p’tite pluie insistantes qui frappe doucement aux carreaux de la fenêtre, comme pour rentrer. Comme c’est fermé, y’a rapidement un p’tit nuage, gris aussi, qui flotte au-dessus de nous. Pleins de trucs bizarres, quand même, dans ce qu’on vient d’apprendre. Puis Zahria repose sa plume, se frotte les yeux et se recoiffe les cheveux en arrière. Dans cinq secondes, ils retomberont comme auparavant, que j’me dis. Et j’me trompe. Ça tient que deux.

    « T’en penses quoi, Vrenn ?
    - C’est louche. On pourrait ne rien trouver sur elle, Laseliane, que ce serait juste pasque l’ancien Maître-Espion a fait le ménage dans les données accessibles sur sa famille.
    - C’est vrai.
    - On pourrait n’avoir rien trouvé sur la Cabale tout ce temps pasque c’était le Maître-Espion qui s’arrangeait pour que personne y touche. Et quand il a passé la main, il a établi les limites de ce que t’as le droit de fouiller.
    - Tu crois ?
    - C’est pas moi qui le connaissais. »

    Elle s’enfonce dans un silence contemplatif.

    « Ca m’étonnerait du Vieux, quand même.
    - C’est toi qui disais que vous saviez rien sur lui.
    - Oui.
    - On pourrait l’interroger.
    - Hm. »

    Ses ongles cliquètent sur le bois de la table pendant qu’elle cendre distraitement.

    « Pas pour le moment. On continue sur Laseliane.
    - C’toi l’chef, chef. »

    Puis elle se lève, m’attrape la main, et m’tire vers la chambre.

    ***

    On n’a pas pris énormément de repos. Faut profiter des premières heures diurnes, y’a souvent la possibilité de discuter, de se promener, avant que les rues deviennent aussi pleines qu’elles peuvent l’être plus tard dans la journée. Mais j’me sens requinqué, et j’ai l’habitude des nuits courtes. J’pense que Damoiseau aussi, mais qu’actuellement, elles doivent être moins reposantes que par le passé.

    « On commence par l’hôtel particulier ? »

    C’est une grande bâtisse en brique en centre-ville, la plus proche de là où on s’est retrouvé. Trois étages, on dirait bien, avec des fenêtres aux balcons ouvragés, le genre qui respire une certaine forme d’aisance financière. En même temps, noble, de la famille du maître-espion, des contrats dans tous les sens de ce qu’on a vu, si on avait débarqué devant une masure j’aurais pas bien saisi.

    « Tu veux entrer ? Demande Calixte.
    - Pas spécialement, juste savoir si elle est là.
    - Sans rentrer ?
    - Ouais. Suffit de faire une offre qu’ils pourront pas refuser. »

    D’une pensée, mes vêtements passe-partout sont remplacés par l’apparence d’un Héraut de la Couronne, le genre un peu sérieux, mais dont le boulot se résume, finalement, à porter les messages et les nouvelles. Un facteur glorifié, quoi. Mais ça a la classe quand ça se promène dans les rues, même huppées, de la Capitale, alors quand j’toque à la porte, quelques badauds s’arrêtent pour regarder.

    Elle s’ouvre sur une bonniche en uniforme blanc et noir, d’âge moyen indéfinissable, un peu en surpoids, le genre qui touche un peu à la cuisine, au service et au ménage. Elle avise ma belle armure d’illusion, et se tient distinctement un peu plus droite. D’un air sérieux et impénétrable, je hoche la tête en la regardant un peu de haut.

    « J’ai une lettre de la Couronne à destination de Dame Laseliane Orcystus. »

    Bordel, j’ai failli cafouiller sur son nom de merde.

    « A lui remettre en mains propres. »

    J’précise, quand même, ça serait dommage qu’elle me prenne mon papier inexistant sans répondre à la question qu’on se pose.

    « Ma Dame n’est pas présente actuellement.
    - Où se trouve-t-elle ? Que j’demande impérieusement.
    - Dame Laseliane se trouve soit encore dans sa propriété en périphérie, soit est déjà partie dans son manoir de la Forteresse. Elle devait y aller hier ou aujourd’hui. »

    Ah ben bravo. Ça nous aide pas du tout.

    « Je vous remercie pour votre aide.
    - Souhaitez-vous boire quelque chose ?
    - Les ordres de la Couronne n’attendent pas. »

    Et j’tourne les talons tandis qu’elle mate avec application mon bel uniforme. Puis j’tourne un coin de rue, puis une ruelle, pour redevenir personne, et rejoindre Damoiseau qui me regarde d’un air interrogateur.

    « Ben on sait pas. Elle doit aller à la Forteresse, cela dit. On pourrait prendre un coup d’avance et y aller avant elle, si elle y est pas déjà. Ça permettrait probablement aussi de repérer les lieux.
    - Bonne idée. »

    ***

    La Forteresse, comme au début de cette histoire. On a prévenu Ombre qu’on risquait d’être absents quelques jours. Elle s’est tue quelques instants, puis nous a souhaité bonne chance. Damoiseau a un pass pour les portails de téléportation aussi, donc on gagne pas mal de temps. J’regrette presque de pas en avoir acheté toutes ces années, mais d’un autre côté, parfois, c’est le voyage qui vaut le coup, et pas la destination. Puis ça m’a permis de lambiner un paquet de fois alors que j’partais en mission d’examinateur à l’autre bout du monde. Et de prendre des petits boulots en chemin, pour rendre service.

    Quand on arrive, la petite pluie persistante et démoralisante de la Capitale est remplacée par des flocons de neige. C’est encore la saison froide, et on le sent bien dans la montagne. J’ressers mes sapes autour de moi, et j’remonte mon col de fourrure. Mes affaires de solstice rendent bien service, en tout cas, et Damoiseau est tout aussi équipé.

    Sans un mot, pasqu’il est pas très bavard, qu’on sait pas quoi dire, qu’il n’y a rien à dire, on se dirige vers la localisation du manoir d’Orcystus.

    « Il est proche de celui utilisé par les espions, lâche finalement Calixte.
    - Ah ? Proche comment ?
    - Sur le versant voisin.
    - J’suis pas montagnard, c’est combien de temps ?
    - Trois bonnes heures de marche dans de bonnes conditions, je dirais.
    - Hm. »

    Toujours cette proximité avec le Maître-Espion qui revient. M’étonne, que Zahria ait pas voulu fouiller par là. Elle a p’tet encore des scrupules vis-à-vis de son mentor. J’l’ai vu qu’une fois, au procès, mais il m’a donné l’impression d’un type chaffouin, surtout quand on en a reparlé. Son licenciement ressemble vachement à un coup de poker qu’il aurait gagné tranquillement. Et si la patronne a raison et qu’il est les pieds dans l’eau avec un cocktail, il aura bon sur tous les tableaux, m’est avis.

    « Et les deux manoirs se voient ?
    - Non, c’est de l’autre côté de la montagne. Puis les arbres ont poussé de sorte à ce que le manoir qui sert de planque aux espions soit invisible.
    - D’acc’. »

    J’éternue.

    Clairement, il serait pas parti se geler les couilles ici. Elles seraient plutôt plantées profondément dans le sable.

    On est deux formes qui avancent dans la neige et le froid, et on croise pas grand-monde. La plupart des gens sont à l’abri, et la route est vide à part deux charrettes qui viennent vendre leur cargaison en ville, et probablement rester la nuit, avant de reprendre la route le lendemain. On leur adresse un simple signe de la main avant de continuer vers le manoir.

    Au moins, on met pas trois plombes. Ça, c’était la durée en passant par la montagne, avec la forêt, les gouffres, et tout. Par la route, c’est longuet mais supportable. Quand on arrive, c’est du standard : y’a des grands murs qui font le tour de la propriété, pour éloigner les bestioles plutôt que les humains, à deux mètres et demi ou trois. Rien qui nous empêchera de rentrer. Y’a pas de pics en haut, en plus, c’est dire.

    A l’intérieur, c’est grande pelouse, ou jardin. Pour le moment, c’est un peu gelé, un peu enneigé. On laissera des traces, si on se balade, mais c’est pas vraiment gênant, pasqu’on voit personne. Y’a juste une petite lumière près de l’entrée. Elle est soit pas encore levée, encore qu’on est vers le milieu de la matinée, soit pas encore arrivée. Par contre, les cheminées fument.

    « Le personnel doit être en train de réchauffer les murs, propose Calixte.
    - Probable. Tu veux faire quoi ?
    - Comment ça ?
    - On peut tous les assommer et ligoter, sauter sur la noble quand elle arrive et lui soutirer les informations. Ou alors la laisser arriver et improviser. »

    Il réfléchit.

    « Explorons le coin, d’abord.
    - ‘Sûr. »

    La baraque est cossue, exactement ce qu’on attendrait d’une noble qu’a deux autres piaules à la Capitale. En circulant dans les jardins, on se rend compte que tout est organisé autour d’une pièce centrale, probablement un gros salon, avec trois cheminées. Ensuite, la chaleur doit être répartie par des tuyaux dans les pièces autour, avec salle d’eau, chambres, et cuisine. Globalement, le système est bien fait pour éviter de se promener recouvert de quinze couches de vêtements à l’intérieur.

    Et y’a pas grand-monde en terme de petit personnel. On a vu passer quelques formes qui s’affairaient à épousseter et ranger, mais on devrait facilement pouvoir faire une razzia. A partir de là, faudra voir comment on procèdera. Faudra le temps de lui tirer les vers du nez, après tout. Ou de la ramener à la Capitale pour lui administrer une potion de vérité, p’tet. Encore que vu la merde que ça semble être pour en avoir rien qu’une… Putain. Au pire, j’demanderai à mon pote le Haut-Juge, ha.

    On repasse de l’autre côté du mur, puis on reprend la route vers la ville. On y arrive en fin d’après-midi, sans croiser personne, ce coup-ci. Une piaule à l’auberge, un casse-dalle dans la salle commune.

    « T’veux faire quoi ?
    - Bonne question. Laseliane devait arriver aujourd’hui ou demain.
    - Avec un peu de bol, elle est passionnée de balades solitaires en forêt. »

    On se regarde avec l’air désabusé de ceux qui savent que la chance va rarement jusque-là.

    « thermes… »

    Damoiseau sort Apolline de ses affaires, et elle prend la parole avec la voix douce qu’on lui connaît. La moitié de la taverne l’entend donc.

    « Vous devriez aller faire un tour aux thermes, on y fait de belles rencontres, puis ce sera l’occasion de vous parler. Et notre amie parlait souvent d’y aller. Cette chère La… »

    Calixte la fourre directement au fond de son sac pour éviter d’avertir tout le quartier, et on avale fissa ce qui reste dans nos assiettes. Y’a pas trop le choix, puis si on arrive à la croiser…

    Une petite demi-heure, et on est dans l’eau, dans le bassin mixte, en petite tenue, à inspecter tous les gens qui passent. Avec la chaleur des sources chaudes, j’ai les paupières qui se font lourdes, et j’appuie la tête sur le rebord du bain public. A côté, Calixte a l’air remonté comme un ressort, à inspecter suspicieusement chaque femme qui passe. Et comme Laseliane est plus toute jeune, il donne surtout l’air de mater les vieilles.

    « T’sais, les gens vont se poser des questions sur tes goûts, Damoiseau, hein ? Enfin, pas que je critique, hein, mais… »

    Mais c’est qu’on voit débarquer une dame au port altier, accompagnée d’une jeune fille à l’air subservient, qui tape pile dans notre cible.

    « Dame Laseliane, il y a de la place par là-bas. »

    J’me tourne vers mon collègue.

    « C’est le moment où tu joues le grand séducteur, ou tu préfères mater de loin ? »
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Sam 6 Juin 2020 - 16:03 #
    Les hublots de la navette laissaient s’aventurer les rayons du soleil qui, filtrés par les eaux, dessinaient de chatoyantes lueurs contre les bancs de bois, le long des petites pièces d’échec, et faisaient scintiller le vermeil s’écoulant des mains de Zahria. Assise face à lui, elle lui présentait un petit bloc de bois clair, à la silhouette à peine entamée, fendu net en deux. A leurs pieds, les pièces d’échec amoncelées s’écoulaient en nappes sur le sol de la navette. Il n’y avait là pas que celles des espions. Elles étaient bien trop nombreuses. Et il pouvait effectivement apercevoir un peu plus loin celle de Wendy, comme celle de Carciphona. D’autres moins familières, voire inconnues. Entre ses jambes et celles de son Ombre, le petit tas des espions. Percé d’une lame sanguinolente. Probablement la même qui avait violemment tranché la statuette en construction de Ruth. Dans son sillage, elle avait abimé les autres pièces. Il pouvait contempler la sienne, entaillée sur tout le flanc. Serait-il possible de les réparer un jour ? Entre eux deux, aussi, l’échiquier des espions. Vide, en dehors de deux tasses fumantes, dégageant de doux arômes fruités. Et de deux statuettes, vigiles. Celle de Luz, près de la tasse de Zahria, celle de Naëry, en miroir, près de la sienne. Il passa le doigt sur la sienne, ébréchée.

    Sur le banc derrière Zahria, l’ancien Maitre-Espion était assis à son aise, observant la scène par le filtre de ses lunettes fumées. Il portait un chapeau de paille, une chemise à motifs ensoleillés, et Calixte pouvait même apercevoir le bout de claquettes roses. Apolline, perchée sur la large épaule de son ancien propriétaire, se tenait étrangement muette. Comme, elle-aussi, attentive à l’acte se jouant devant eux.

    L’Ombre se pencha vers lui. Des perles transparentes roulaient sur ses joues, mais l’éclat de ses yeux irisés était déterminé. De la même détermination que lorsqu’elle avait traqué son Sbire, la motivation légèrement différente. Elle lui tendit la petite statuette scindée en deux, et il hésita. Il ne pourrait pas la réparer. Et il n’était pas certain de pouvoir en prendre soin, de ce qu’il en restait. Mais des mains de son Ombre, il aurait probablement tout accepté. Alors il recueillit le petit bloc en deux parties, beignant dans son glaçage vermeil.

    - Je… Tu me fais confiance ?

    Son regard se leva de la silhouette de la statue de Ruth et se posa automatiquement sur celle de son Maitre-Espion. Son ancien Maitre-Espion.

    ~

    Etrange contraste que celui des salles moites des thermes, et de la froideur enneigée des montagnes au dehors. Etrange situation, aussi, que celle de leur trempette assumée au beau milieu d’une affaire sensible. Mais, après tout, c’était pour la bonne cause. Sûrement. Peut-être. A quel point les informations d’Apolline étaient-elles fiables ? A quel point ses spéculations étaient-elles entendables ? Elle leur avait permis d’avancer davantage sur leur enquête, mais il y avait dans la suggestion de retrouver leur cible sur un coup de poker aux thermes quelque chose d’un peu ridiculement optimiste. Et pourtant. Les yeux de Calixte qui s’étaient baladés de silhouettes en silhouettes, avec l’attention de l’habitude, bifurquèrent immédiatement au terme de quelques minutes – une demi-heure ? – d’exercice lorsque le nom de leur cible résonna comme par miracle dans l’atmosphère étouffée de la pièce. Dans les méandres d’une funèbre affaire, soudain une chance insolente. Sous sa peau, l’espion pouvait sentir le frémissement de l’anticipation. A moins que ça n’était simplement l’action, a priori bénéfique, de l’eau thermale.

    A côté de lui, Vrenn semblait davantage apprécier l’indolence des lieux. Les vapeurs s’enroulaient autour de sa silhouette en volutes serrées, rendant son existence encore plus intangible. Tout comme le Damoiseau avait gardé son talisman d’indépendance autour de son cou, le Sbire avait aussi gardé quelques attributs. Et qui pouvait donc être cette personne attentionnée qui lui avait glissé contre le cœur un collier jumeau serti d’une pierre de lien ? Qui donc se souciait suffisamment de l’oubli pour l’enrichir de tant de bienveillance ? A moins que ce ne fut que Vrenn, qui prit soin de la personne portant le pendentif jumeau de celui-ci ? Il y avait là une douce attention inattendue, que Calixte aurait souhaité interroger. Mais ils n’étaient pas là pour ça. Et l’occasion venue, il l’oublierait.

    - Y a certainement bien meilleur séducteur que moi, répondit-il distraitement en observant du coin de l’œil la cinquantenaire avisant l’espace indiqué par sa servante. Et mater peut être pas mal comme première approche.

    Dans un effort de retenue, ils se lancèrent ainsi dans l’observation discrète de la fameuse Laseliane Orcystus. Elle portait la cinquantaine comme une reine porte sa couronne. Son maintien était droit, sa posture altière, et même dans l’atmosphère de décontraction des thermes, ses mouvements étaient vifs et ses yeux perçants. Il y avait dans ses gestes tout un tableau de noblesse en clair-obscur, se dévoilant juste assez pour retenir l’attention respectueuse des regards curieux. Peut-être connaissait-elle d’autres personnes parmi les clients de l’institution, mais rien dans son attitude ne le montra. Aucun coup d’œil appuyé, aucun éclat de reconnaissance. Et si elle semblât encline aux échanges courtois, elle ne s’attarda auprès de personne pour élaborer une quelconque discussion. Entre les mains serviables et le regard avisé de sa servante, elle se laissa aller à la caresse de l’eau, à la moiteur de la brume, et aux installations bienfaitrices, sans se soucier davantage de son entourage, comme s’il s’agissait d’un voisinage imposé mais insignifiant. Et c’est ainsi que, pour des raisons purement professionnelles, les deux espions firent le tour des divers jets massant, cascades d’eau, et autres curiosités proposées par l’institution.

    - Et maintenant ?

    Après une bonne heure et demi d’observation, ils étaient revenus à l’un des recoins du bassin mixte, Laseliane Orcystus adossée au rebord opposé, à quelques mètres d’eux. La soirée avait bien avancé, et nuls doutes que la Noble ne s’y éterniserait pas beaucoup plus longtemps. Pas sans compagnie autre que celle de sa servante, aussi dévouée et remarquable fut-elle.

    - Il est toujours temps pour le jeu de séduction, fit remarquer le Sbire, la tête calée contre le rebord et le regard effleurant avec langueur le plafond de faïence décorée.

    Probablement. Et Calixte commençait vraiment à réfléchir à un moyen d’approche – après tout dame Thylone n’avait pas été sa première cinquantenaire et ne serait certainement pas sa dernière non plus – lorsqu’un rire familièrement graveleux attira son attention, et son regard se posa sur l’ombre sphérique roulant allègrement vers les halos bleutés de l’un des autres bassins. Il posa la main sur le bras de Vrenn. Ça n’était pas le bras de Vrenn. Il retira ses doigts aussitôt.

    - Oh pardon… je… heu…
    - C’est pas tellement c’que j’avais en tête.
    - Je vais à la fontaine à eau, je reviens, grimaça Calixte en s’éclipsant dans son embarras.

    Ladite fontaine à eau mise à disposition de la clientèle n’était pas très loin, et la fraicheur du breuvage éclaircit un peu ses pensées noyées dans la brume léthargique de la pièce. Son regard reparcouru les reliefs de celle-ci, à la recherche d’Apolline. Mais dans le paysage presque monochrome des lieux, il ne rencontra que des silhouettes résolument humaines. Du mouvement à la périphérie de son champ de vision réattira son attention.

    - Il semblerait que je sois dans le passage, excusez-moi. Mais peut-être puis-je vous servir ?
    - Merci, mais je préfère le faire moi-même, lui répondit la servante de Laseliane Orcystus.

    Dommage. Mais puisque Lucy lui donnait là l’occasion d’approcher le duo, il n’allait pas s’en priver. Réfléchissant à ses propos suivants, il recula pour laisser la place à la jeune femme. Glissa sur le carrelage humide. Renversa la servante – qui poussa une exclamation surprise – dans son élan. Fusionna et dé-fusionna par instinct avec la serviette de celle-ci en voulant la rattraper. S’explosa les genoux contre le sol mais réussit à retenir la tête de la jeune femme avant qu’elle ne se la fracassât. Alors, ça n’était pas vraiment le plan d’origine, mais pourquoi pas. Son regard ambré quitta le lierre décoratif montant contre le mur face à lui, pour se poser sur les yeux écarquillés de la servante. Lâchant doucement la tête reposant au creux de sa main, il laissa ses doigts courir d’une caresse le long de sa mâchoire avant de les retirer tout à fait.

    - Désolé, commença-t-il avant de se rendre compte que la jeune femme détournait les yeux vers le bassin.

    Laseliane Orcystus les observait avec intérêt. Et un sourire carnassier sur les lèvres.

    - Que…

    Le dallage s’effondra brutalement sous lui. Un raz-de-marée moite et spongieux d’obscurité qui lui empêtra les jambes et accrocha ses mains. Il ferma les yeux, et se noya.

    ~

    - Il est toujours temps pour le jeu de séduction.

    Calixte retint un sursaut, grimaçant à la douleur imprévue dans ses genoux, et porta la main à son talisman d’indépendance. Il chauffait doucement, attisant son étrange sentiment d’urgence. Mais ça n’était peut-être que le pouvoir de Vrenn qui se rappelait à lui, car il avait effectivement l’impression qu’il y avait quelque chose dont il devait se souvenir. Dans l’atmosphère moite des termes, les vapeurs s’enroulaient autour de sa silhouette en volutes serrées, rendant l’existence du Sbire encore plus intangible. Un rire, une ombre familière déboulant des reflets bleutés d’un bassin avoisinant. Un agacement fugace à la frontière du rêve, un filament qui s’écharpait à son contact. Il posa la main sur le bras de Vrenn. Ça n’était pas le bras de Vrenn. Il retira ses doigts aussitôt.

    - Oh pardon… je… heu…

    Son camarade ouvrit la bouche pour rétorquer, mais fronça finalement les sourcils comme s’il mettait soudain le doigt sur quelque chose d’incongru.

    - Je sors de l’eau, j’ai quelqu’un à voir. Je reviens, grimaça Calixte en s’éclipsant.

    Il fit un détour par la fontaine à eau mise à disposition de la clientèle et passa un long coup d’eau fraiche sur son visage. Où était donc Apolline ? Il allait bien sûr falloir s’occuper aussi de leur cible, mais pourquoi ce sentiment particulier ? De quoi était-il inquiet ? Pourquoi se pressait-il ? Par les fenêtres en hauteur de la pièce, il pouvait observer malgré la buée que la soirée avançait inexorablement. Était-il déjà si tard ?

    - Tout va bien ?

    Il sursauta, et son regard tomba sur celui semblant inquiet de la servante de Laseliane Orcystus.

    - Oui, oui, excusez-moi. Allez-y, fit-il avec un sourire de façade, se déplaçant légèrement pour laisser la place à la jeune femme.

    Il passa la main sur son visage, chassant l’ombre derrière ses paupières, le doute de son esprit. L’atmosphère lourde de la pièce avait dû endormir ses pensées. S’apprêtant à réaborder la servante – car après tout c’était l’occasion d’approcher leur cible – son regard glissa le long des murs avant de remonter vers la silhouette féminine. Il accrocha au passage le lierre décoratif grimpant jusqu’au plafond de faïence, et s’arrêta tout à fait. Le mur. Le carrelage. A son cou, son talisman d’indépendance chauffait. Ses yeux finirent finalement leur course, rencontrant ceux de la servante de dame Orcystus. Un sourire amusé étirait ses lèvres qui, en d’autres circonstances, auraient été fort désirables.

    - Vous n’auriez pas dû venir.

    Son regard dépassa la silhouette de la jeune femme, et croisa celui calculateur de Laseliane Orcystus. Son talisman en pendentif chauffait et chauffait sur sa peau.

    ~

    - Il est toujours temps pour le jeu de séduction.

    Calixte se figea, notant distraitement la douleur incongrue dans ses genoux. Il y avait quelque chose dont il devait se souvenir. Vrenn ? Il était à côté de lui. Alors quoi ? Il passa ses doigts à son talisman d’indépendance avec un agacement consumé. On les avait prévenus que garder tout bijou à l’intérieur des thermes risquait de les dégrader, ou de provoquer une réaction. Développait-il une allergie en conséquence ? Un rire, une ombre familière s’élançant à la conquête d’autres bassins adjacents.

    - Damoiseau ?

    Il y avait comme un doute dans la voix grave du Sbire. Déboussolé, il posa la main sur le bras de Vrenn. Ça n’était pas le bras de Vrenn. Il retira ses doigts aussitôt.

    - Pardon… je…

    Son camarade ne rétorqua pas, semblant perdu dans d’autres considérations. Calixte se redressa, essayant de chasser le doute de ses pensées. Visiblement, la brume ambiante s’était infiltrée jusqu’à chacune de ses méninges et jusqu’au plus profond de ses os. Mais c’était l’occasion ou jamais d’approcher leur cible. Les lieux s’étaient un peu vidés depuis leur arrivée, et la nuit se profilait déjà par les fenêtres embuées de la salle. Avaient-ils donc passé tant de temps que ça dans l’atmosphère moite des termes ? Pas étonnant que leur esprit et leur corps se fussent enlisés.

    - Je reviens, annonça-t-il en sortant du bassin et en avisant la servante de dame Orcystus qui se dirigeait vers la fontaine à eau.

    Il n’y avait que quelques pas à faire sur le carrelage humide pour atteindre celle-ci, et il ne fut pas surpris lorsqu’elle se tourna vers lui. Après tout, le clapotis de ses pieds contre le sol n’était pas très discret. Il fut en revanche intrigué par son sourire suffisant, et il s’arrêta à deux pas d’elle. Son talisman chauffait.

    - Tu sais, tu devrais l’enlever, finit-elle par dire en tendant la main vers son pendentif. Ils prévenaient à l’entrée que l’eau des thermes peut les altérer.

    Une ombre passa soudain au coin de son champ de vision, bien trop emmitouflée pour être cliente des lieux. Un doute de plus en plus pressant s’installa dans son esprit.

    - Enlève-le, lui intima la jeune femme d’un sourire à la fois séducteur et amusé.

    Il jeta un coup d’œil au bassin. Sbire s’avançait avec détermination vers Laseliane Orcystus qui le regardait avec défiance. Instinctivement, il chercha les armes qu’il n’avait pas.
    Et puis, il fit nuit à nouveau.

    ~

    - Il est toujours temps pour le jeu de séduction.

    La douleur incongrue, sous le talisman et aux genoux. Le rire et la silhouette d’Apolline. Le bras qui n’en était pas un.

    La fontaine à eau. La servante. Parfois l’ombre. Laseliane Orcystus.

    ~

    Vrenn se tût et attrapa sa main avant qu’il ne commît d’impaire.

    ~

    L’idée de s’approcher de la fontaine à eau lui paraissait soudainement aussi avenante que de se jeter du haut d’une des falaises montagnardes. Il tourna la tête, et se lança à la conquête des eaux les séparant de Laseliane Orcystus.

    ~

    Le rire et la silhouette d’Apolline avaient disparu. Ainsi que les murmures environnants. La nuit avait bien avancé. Et si les thermes restaient ouverts, aucune âme ne remplaçait celles qui le quittaient peu à peu.

    ~

    - Ca ne fonctionnera plus.

    Et Calixte songea que son collègue avait raison. Il ne savait exactement combien de fois ils avaient rejoué la scène tandis que le monde tournait autour d’eux, mais peu à peu le doute s’était fait une place dans le lit de la répétition, et les souvenirs s’étaient consolidés à sa suite. Sur son torse, il sentait encore la morsure persistante du talisman d’indépendance. A quelques mètres d’eux, toujours contre le rebord face au leur, Laseliane Orcystus profitait encore de l’eau aux propriétés thérapeutiques. Peut-être trouvait-elle là sa force. Ou alors attendait-elle qu’il se passât quelque chose de plus intéressant. Ou n’était-elle pressée de rien. Derrière elle se tenait la silhouette servile de sa servante, et à quelques pas dans l’obscurité se tenait une ombre. En dehors d’eux cinq, la pièce était à présent déserte.

    - Combien de fois tu crois qu’on a été pris dedans ? On dirait que la nuit s’est bien installée au dehors.
    - Beaucoup trop. J’ai des parties qui s’en souviennent beaucoup trop.
    - Oh. Désolé.

    Une série d’ondes humides vint s’éclater contre leur torse, et ils levèrent le regard vers Laseliane Orcystus qui s’était levée et se déplaçait. Pour s’installer confortablement pile en face d’eux. S’ils se souvenaient correctement – et ils se souvenaient correctement – c’était la première fois. Les bras courant le long du rebord, le port altier, elle les toisa sans fard de son trône d’eau et de faïence. Il y avait dans son maintien royal une tolérance hautaine, et dans son regard perçant une ambition souveraine.

    Ils étaient venus aux thermes pour appréhender leur cible, ils étaient devenus la sienne.
    Vrenn IndraniSbire
    Vrenn Indrani
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    Re: Innocence assassinée
    Dim 21 Juin 2020 - 9:21 #

    Faut qu’on se casse.

    C’est la pensée qui tourne en boucle dans ma tête depuis qu’on a compris qu’on était dans une boucle, celle d’Orcystus. Si on se barre, elle va commencer à m’oublier, et j’aurai les mains libres pour agir, retourner la situation à notre avantage, revenir dans quelques heures ou quelques jours, mais plus tard, quand je ne serai plus qu’un lointain souvenir qui s’évapore comme la vapeur d’eau des termes et…

    Et, putain, est-ce qu’on a vraiment agi toutes ces scènes ou est-ce qu’on est dans une illusion ? Est-ce que c’est arrivé vraiment, ou est-ce qu’on est resté assis, immobiles, à vivre par procuration ce que la vieille voulait nous faire voir ? Dame qu’est maintenant assise en face de nous, en donnant l’impression qu’elle maîtrise parfaitement la situation. C’est probablement le cas.

    Si ça fait des heures, il faudra d’autant plus de temps pour me faire oublier. Ça veut aussi dire qu’elle a eu ce temps pour se préparer alors qu’on rejouait les mêmes événements sans s’arrêter. Et qu’elle se considère pas en danger. La servante, et l’ombre derrière ? Des gens autour des bains, prêts à nous ramasser à la sortie ?

    Est-ce qu’ils savent même qui j’suis, au-delà d’un possible énième espion inconnu ?

    Ils se sont bien pointés au Quartier Général pour buter la gamine, mais mon arrivée est plus récente, les circonstances particulières... J’suis interrompu par la chasseuse. Elle a la voix doucement impérieuse de la personne qui a l’habitude d’être obéie, et qui ne conçoit pas que l’inverse soit possible. C’est comme certains barons de la pègre.

    « Vous n’avez rien à faire ici. »

    Silence. J’jette un œil vers Damoiseau. Il doit aussi être en train de jauger ce qu’il vaut mieux faire. J’suis pas certain qu’on puisse lui casser la gueule, avec la servante, pouvoir inconnu, et probablement un autre garde derrière, tout en se débattant dans les illusions. Elle reprend.

    « Le message était normalement plutôt clair. Mais s’il faut le donner à nouveau, nous recommencerons, autant de fois qu’il sera nécessaire. Transmettez cela au maître-espion. Et si les espions ne suffisent pas, nous nous occuperons des familles, puis des amis, ou dans l’ordre inverse. »

    Elle hausse les épaules, parce que ça lui est bien égal. A moi aussi, pour être à peu près honnête.

    « Vous ne voulez pas de ce combat. Retournez surveiller des marchands véreux et des bandits. Vous êtes hors de votre élément, totalement dépassés. Acceptez-le. »

    Sous l’eau, j’pose la main sur la jambe… la jambe ? De Damoiseau pour ne pas qu’il réagisse, puis j’cligne des yeux. Laseliane est à nouveau à l’autre bout du bassin, dans l’eau. Elle nous adresse un signe de tête royal. Encore. Je croyais que ça ne marcherait plus. Est-ce qu’elle l’a fait exprès ? Probablement. Est-ce que c’est des illusions, ou des visions de réalité ? Bordel, je capte rien à son pouvoir, ça me rend nerveux.

    « Faut qu’on s’tire.
    - Faut qu’on agisse. »

    On a parlé en même temps. J’regarde vers les vestiaires, la porte surmontée d’une petite vitre un peu obscurcie par la vapeur d’eau, là où y’a le reste de nos affaires, moins nos objets de pouvoir.

    « Elle m’oubliera si on disparaît un peu. On pourra agir de là.
    - Ou alors nous sommes encore dans une illusion, et elle sait tout ce que nous disons.
    - J’vois pas en quoi faire un truc directement résoudrait quoi que ce soit, dans ce cas. Puis faire quoi, merde ? »

    On se fait tous les deux, on la surveille du coin de l’œil alors qu’elle sort du bassin pour aller dans un bain à bulles, toujours suivie de sa servante docile. Les ombres mouvantes bougent quelques instants pour dévoiler un homme appuyé contre un mur, non loin, qui nous surveille. Un maître-nageur ? Peu probable, vu qu’il est davantage habillé que nous.

    « C’était juste une reconnaissance. Elle s’attend à ce qu’on parte la queue entre les jambes pour contacter Ombre.
    - Elle s’attend probablement à ce qu’on revienne plus tard aussi, souligne Damoiseau.
    - Toi, ouais. Moi, elle m’aura sans doute oublié.
    - Tu es sûr ?
    - … Presque. J’ai passé des années, gamin puis adolescent, à chercher à contourner mon pouvoir. J’ai jamais réussi. Si eux ont déjà une solution clé en main, j’vais mal le vivre.
    - Tu supposes que tu vas vivre.
    - J’évite de tabler sur le contraire.
    - Hm. »

    J’commence à avoir la peau toute fripée. Même à des fins de loisirs, j’serais jamais resté aussi longtemps. Mais j’ose pas trop bouger non plus.

    « Et s’ils ne nous laissent pas partir ? Questionne Calixte.
    - Ca n’aurait pas de sens avec l’avertissement qu’elle vient de nous donner. Ils auraient pu nous tuer, là, tout de suite. Ou à la sortie, sur le chemin du manoir.
    - Oui. Ça ferait désordre, deux espions qui meurent coup sur coup. Peut-être suffisamment pour attirer l’attention du Commandant, ou du couple royal. Et ils veulent juste continuer leurs petites affaires, visiblement. Les cadavres décapités, ce ne sont que des avertissements, tu as entendu.
    - On y va, alors. »

    On s’lève, dégoulinants d’eau, et on marche tranquillement vers les vestiaires. La noble ne nous adresse pas un regard, la servante est concentrée sur sa maîtresse. Seul l’homme continue de nous observer. C’est le seul qui pourra nous suivre, et c’est d’ailleurs ce qu’il commence à faire quand j’ouvre la porte. L’air frais fait du bien sur la peau trop chaude. Et on n’a pas besoin de se concerter pour savoir qu’il faut aller vite. Quand l’inconnu pousse la porte, on est déjà habillé, parti, sorti, à grand renfort d’aide magique.

    Il caille vraiment dehors, mais c’est agréable, et ça fait sauter un peu la langueur des termes.

    « Elle va rentrer directement chez elle, j’suppose.
    - Tu crois ?
    - La logique voudrait qu’on discute avec Ombre de la suite, et à partir de là, soit c’est l’épreuve de force, soit on se rassemble. Donc on pourrait lui tomber dessus avec une escouade si elle traîne trop. Donc elle va vouloir rentrer rapidement à son manoir pour ne pas être prise au dépourvu, malgré les illusions ou quel que soit son pouvoir qu’elle lâche. »

    Enfin, c’est ma théorie.

    « Mais du coup, elle court un risque pour rien, là.
    - C’est son boulot dans la Cabale. De briser les gens qui viennent se mêler de ce qui les regarde pas. La servante et le type sont probablement des genres de gardes du corps un peu plus physiques. Et elle va nous faire miroiter la possibilité d’agir pour nous écraser une seconde fois. Enfin, c’est ce que j’ferais, et que les gangs font habituellement quand ils veulent pas y aller trop fort.
    - Comment ça ?
    - On va essayer de l’attaquer à nouveau, sur un autre terrain. Elle va gagner quand même, et probablement tuer l’un d’entre nous comme avertissement. Ou un membre de nos familles, quelque chose du genre, j’dirais.
    - Ah.
    - Quoi ? Tu veux abandonner ? »

    Il me regarde d’un air outré. Bon, voilà qui répond à ma question, alors.

    « Donc le plan, c’est ?
    - On n’appelle pas la patronne, et on ramasse direct Orcystus. Seuls. On peut pas faire confiance aux gardes ou quoi du coin.
    - A ce point ? Pourtant, Elina von Andrasil est…
    - Elina est ce qu’elle veut, le glaçon de la Forteresse, mais plus on mêle de gens, moins on contrôle. »

    Y’a un silence qui s’étend un peu pendant qu’on considère tous les deux les possibilités, du coup j’reprends sans lui laisser le temps de penser trop.

    « Si tu veux pas, j’y vais tout seul.
    - Je n’ai pas dit que je n’voulais pas.
    - Pourtant, on aurait vachement cru, que j’rétorque d’un ton cassant.
    - Je… c’est quoi ton problème ?
    - J’ai pas d’problème. Mais t’en as un apparemment.
    - … pas qu’un, et t’es dans la liste.
    - Si c’est la mission…
    - Non. Oui. ‘fin ça m’aide pas que t’aies quand même un sacré bagage Sbire, il est un peu difficile à oublier. Ironiquement.
    - J’suis blanchi et repenti, hein.
    - Ouais. Sur le papier.
    - J’ai rien à te prouver. »

    On s’affronte, yeux dans les yeux, quelques secondes.

    « Allez, fais-le pour Roth. »

    J’ai écorché le nom à dessein, mais j’m’attendais pas au coup de poing dans le bras. J’recule d’un pas sous le choc, plus par surprise qu’autre chose. Il a l’air d’avoir agi sans réfléchir, donc l’attaque était pas très menaçante. Il est même celui qu’a l’air le plus étonné, tiens.

    « Ruth.
    - C’est bon, on peut travailler, maintenant ?
    - T’es vraiment une raclure.
    - T’oublieras vite. »

    Il secoue la tête en se frottant les phalanges. Et on grimpe un toit proche pour observer la sortie des termes. Il faut effectivement pas bien longtemps, p’tet une dizaine de minutes supplémentaires, pour qu’Orcystus sorte avec ses deux gardes du corps. Elle ne regarde pas autour d’elle, c’est leur boulot à eux, et se dirige vers un genre de carrosse qui la ramènera chez elle. Y’a un cocher, en plus de l’homme qui s’assied à côté de lui et de la servante qui monte avec. Puis les bêtes de trait se mettent en route, pesamment, dans la neige.

    « Allez, faut les chopper sur le trajet, sinon dans sa baraque, ça sera la mort. »

    Enfin, ça sera la mort quand même, là.

    Calixte se coule dans un bouton que j’ramasse, et j’me téléporte sur le toit de l’engin de locomotion. Par la trappe qui sert à communiquer avec le cocher, j’le balance à l’intérieur, et il défusionne, menottes à la main, et en claque une immédiatement autour du poignet de la noble surprise. Voilà qui devrait calmer ses pouvoirs. J’utilise pas les miennes. C’est plutôt mon surin qui s’plante directement dans l’épaule de l’inconnu des bains, tandis que le manche d’un autre s’écrase sur la tempe du conducteur, qui tombe dans la neige dans un son mat et croustillant à la fois.

    J’plonge sur le chaperon et on roule dans la blanche, en ahanant, et son corps commence à bouger bizarrement. J’enfonce ma deuxième lame dans son bide, et j’me redresse juste à temps pour prendre un coup de pied du cocher, qu’a aussi un genre de gourdin en main. J’trébuche dans la poudreuse, tombe à quatre pattes. Alors qu’il approche, j’donne un coup sec du poignet pour tirer mon gantelet d’assassinat. Il a un air vaguement surpris quand l’aiguille se plante dans sa gorge, et y porte la pogne. J’lui fauche les jambes, et j’menotte les deux hommes ensemble. Deux blessés, deux demi-pouvoirs, ça devrait aller pour…

    La porte du carrosse s’ouvre brutalement et la servante en chute, rapidement suivi du Damoiseau, qui lui tombe dessus. Son numéro de charme a enfin marché, faut croire, hé ? Elle saigne pas mal, nez cassé visiblement. J’lui fous un coup de tatane dans la gueule, qui la sonne suffisamment longtemps pour que des liens en corde la ficellent sérieusement. A l’intérieur, Laseliane fulmine, les deux poignets liés par les menottes anti-magie.

    « Vous faites une grave erreur.
    - Ta gueule.
    - Même si vous…
    - J’ai dit ta gueule. »

    Avec mon revers de la main, sa tête tape brutalement contre l’arrière de son siège, et elle se drape dans une dignité bafouée. Bah, tant qu’elle la boucle… On charge les corps avec elle, et ils sont diablement à l’étroit, là-dedans. J’me demande s’ils vont tous survivre. M’étonnerait, pour les deux miens. Mais Zahria devrait pas me chier dans les bottes pour ça.

    D’un coup de rênes, j’remets les bêtes en route, vers le manoir des espions, cette fois.

    Elle a sûrement pleins de trucs à nous raconter, après tout.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: Innocence assassinée
    Jeu 25 Juin 2020 - 22:39 #
    Le repère des espions les accueillit de sa majestueuse et glaciale façade. C’était un bâtiment rendu trivial par sa noblesse dans le quartier huppé alentours. Le voisinage était distant de plusieurs centaines de mètres, et le bon goût local était à la discrétion. Chose qui arrangeait les espions, et ce d’autant plus pour cette soirée particulière. Calixte indiqua à Vrenn une bifurcation discrète à travers le couvert et, après en avoir désactivé la sécurité, ils passèrent les grilles gardant le manoir par une issue davantage dissimulée. Les flocons voletaient furieusement autours d’eux, saupoudrant les reliefs d’un glaçage immaculé et recouvrant les traces qu’ils auraient pu laisser derrière eux. Sbire amena le carrosse sous le porche de la porte donnant sur les pièces à l’arrière de la bâtisse et le Damoiseau sauta de nouveau à terre pour ouvrir l’issue sans danger. Dans le manoir, une obscurité froide l’accueillit. Pleine de fantômes du passé. S’il s’avançait, nuls doutes qu’il pourrait sentir le parfum de cigarette froide mal dissimulé de Zahria, apercevoir la silhouette endimanchée de Vaelin, savourer les tisanes fruitées de Lichael, percevoir le silence timide de Ferisen. Entendre l’écho de l’impatience de Ruth. De sa frustration. De sa détermination. De sa joie. De sa vie. Frissonnant, Calixte passa la main sur le cristal de lumière à proximité, et laissa les lueurs naissantes chasser l’ombre des temps révolus.  

    Ils déchargèrent leurs hôtes involontaires avec une coordination d’une rigueur aussi glaciale que le temps. Vrenn avait mis le doigt sur un aspect de leur relation sur lequel il n’avait jusque-là pas souhaité s’attarder. Mais le mettre en mots avait donné une réalité à cette méfiance, et au-delà de celle pour l’homme au passé trouble, c’était celle pour sa Maître-Espion actuelle qui s’exprimait là. Il aimait Zahria de tout son cœur, et l’aurait suivie jusqu’au bout d’Aryon. Mais sa Maître-Espion ? Qui avait amené dans leurs rangs un ancien criminel dont le pouvoir ne l’assujettissait qu’à sa supérieure, qui avait ouvert le dossier de la Cabale sans plus de précautions, qui avait mis entre ses mains l’enquête concernant le meurtre de Ruth… Cette Maître-Espion, lui faisait-il encore confiance ? Pleinement ? Sereinement ? Celle pour laquelle il avait accepté sans sourciller la présence particulière de Vrenn, l’apparition de cette nouvelle organisation sur leur terrain de chasse, et le feutre tapissé de souffrance faisant le lit de cette mission… Cette Maître-Espion là, lui faisait-il encore confiance ?

    - Il est mort, fit-il remarquer à son camarade en se forçant à se refocaliser sur leur tâche.

    Le cocher, qui avait reçu une blessure cervicale, était probablement décédé peu de temps après leur mainmise sur le carrosse. Le corps était encore souple, mais aidée par la température ambiante, une froideur définitive et livide avait commencé à s’installer doucement mais sûrement jusqu’à son cœur. Ils poussèrent le cadavre dans un coin, et laissèrent la servante et l’homme blessé au ventre attaché chacun à un anneau métallique contre le mur. Le manoir des espions à la Forteresse n’était pas seulement l’une de leurs plus grandes cachettes, mais aussi celle qui recelait des plus grandes possibilités. Pour la préparation des missions. Les entraînements. Le recueil d’informations en tous genres. De toutes les manières. Menant Vrenn à travers les couloirs obscurs de la bâtisse, il lui ouvrit une salle à la décoration minimaliste et au matériel laissant imaginer un passé lugubre. Le Sbire installa dame Orcystus sans ménagement sur la chaise inconfortable au centre de la pièce, et son regard aussi sombre que l’atmosphère avisa rapidement le mobilier fonctionnel. Et ses outils primitifs. Ça n’était pas une salle qui servait beaucoup. Il était même exceptionnel qu’elle fût ouverte. Car si aucun espion n’ignorait ses possibilités comme le maniement de ses ressources, ils obtenaient usuellement leurs renseignements de manière moins brutale.

    - J’te la laisse, j’vais interroger les deux autres, indiqua Calixte à Vrenn.

    Le regard que lui coula l’homme en disait long, mais la présence de Laseliane Orcystus les dissuada l’un et l’autre de tout éclat. Ils pouvaient avoir leurs différents, mais pas devant leur cible. Tournant les talons, il quitta la pièce aux relents de supplice, et remonta à la rencontre de leurs autres prisonniers. Un rapide coup d’œil aux silhouettes avachies contre le mur lui apprit que s’il voulait obtenir des renseignements de l’homme, il allait lui falloir se dépêcher. De grosses perles de sueurs courraient contre son front, tout son corps était agité de soubresauts, et une flaque de sang se constituait inexorablement sur le sol sous ses jambes. Une odeur peu engageante, cocktail de fer, de sel et de souffre, émanait de sa pitoyable forme. Ecartant les vêtements imbibés de rouge, les doigts de l’espion trouvèrent la plaie abdominale. Et il se dit que si Vrenn avait voulu avoir main plus efficace en visant cette zone, il n’aurait probablement pas pu faire mieux. La blessure n’était pas nécessairement impressionnante en elle-même, mais l’œil avisé pouvait deviner aux écoulements variés l’atteinte de la vessie et des viscères sur le trajet de la lame. Mélange explosif hémorragique et septique. Le regard de Calixte croisa celui fiévreux de l’homme, et il sût une seconde avant l’arrivée de celui-ci, que le dernier souffle se profilait.

    Se dégageant du second macchabée, le Damoiseau avisa la servante qui l’observait d’un œil morne. D’un œil morne, et d’une rougeur toute anormale malgré le coup qu’il lui avait asséné. En un bond, il fut sur elle, relevant le visage entre ses mains. L’écoulement de son nez cassé reprenait de plus belle, des bulles vermeilles se rassemblaient aux coins de sa bouche, et des plaques rubis s’étendaient peu à peu sur sa peau pâle. Entrouvrant la bouche de la jeune femme, il allait passer un doigt à l’intérieure de celle-ci quand les énormes dépôts de poudre suspendirent son geste. Probablement de la phume en dentelle, en quantité beaucoup trop importante.

    - C’est trop tard, gargouilla la servante d’un ton à la fois amusé et résigné. Pensiez-vous qu’elle prendrait le risque que nous parlions ?
    - Vous auriez pu tenter de la libérer. Que savez-vous de la Cabale ? En faites-vous partie ?

    Elle rit et son regard roula derrière ses larmes de sang.

    - Nous ne sommes que des pions. Et vous peut-être plus que moi.

    Le souffle de la servante se fit plus laborieux et, comme pour l’homme précédemment, il sut qu’ils touchaient au terme de leur échange. Aussi ridicule fut-il.  

    - Ne la sous-estimez pas, haleta-t-elle finalement.

    Reculant légèrement pour s’assoir contre le sol froid de la pièce, il observa le corps s’immobiliser dans un dernier râle embourbé d’hémoglobine. Passant ses doigts dans ses cheveux rendus foncés par le peigne magique, il poussa un long soupir. Et maintenant ?

    ~

    Il tendit la tasse de café à Vrenn et s’accrocha à celle de son thé. Les minutes avaient tourné et la nuit s’était avancée avec son lot de complications et de déplaisirs. Apparemment Laseliane Orcystus n’avait pas été particulièrement loquace, et maintenant que leurs trois autres prisonniers avaient passé l’arme à gauche…
    Après leur trépas successif, Calixte avait fouillé les corps et retiré leurs affaires en quête d’informations lisibles sur les chairs et dans les poches. Mais ses doigts comme ses yeux n’avaient rien effleuré d’intéressant, pas même une quelconque marque de la Cabale. Y avaient-ils eux aussi appartenu, ou n’avaient-il été que les pions de leur employeuse ? L’image de l’échiquier des espions s’imposa à lui, et il se brûla la langue avec son breuvage pour se changer les idées.  

    - T’veux faire quoi ?

    Il y avait un écho assez récent à ces propos.

    - Faut qu’elle parle.

    Parce qu’elle était leur unique piste. Leur unique fragile petite piste. Ils pourraient bien fouiller ses demeures, et le feraient assurément. Mais si celles-ci étaient tenues avec la même discrétion que le dossier officiel de Laseliane Orcystus, cela ne leur apporterait pas grand-chose. Si ce n’était rien.

    - Ouais. Mais elle est pas hyper bavarde.
    - Mm.
    - Y a pas moyen d’récupérer un philtre de vérité j’imagine.
    - Non…
    - T’auras p’tet une meilleure touche.

    Son regard se perdit dans le fond de sa tasse. Il y avait une colère sourde et une frustration indignée qui vrombissaient sous sa peau, que la présence de Vrenn ne faisait qu’accentuer. Mais il y avait aussi une peine plus grande, une fatigue coupable qui prenaient le pas sur le reste. Et qui, ironiquement, trouvaient répit en la présence du Sbire. Un bel homme dirait que l’on vit de sentiments, que l’on réagit à travers ses sens ; mais en cet instant Calixte aurait aimé connaitre l’anesthésie des émotions. Zahria avait placé l’enquête entre ses mains, mais celles-ci étaient abîmées de doutes, paralysées de conflits, et lourdes de souffrances. Bien incapables du discernement qu’aurait dû requérir cette mission.  

    - Si tu veux pas, j’y retourne tout seul.

    La tasse claqua contre la table, et il plongea son regard résolu dans celui de Vrenn. L’homme était certainement meilleur que lui sur ce terrain, et d’une objectivité plus appropriée. Mais il y avait là une responsabilité à partager, si ça n’était à prendre. Dans l’immoralité du choix et les conséquences de celui-ci, qu’elles fussent profitables ou non. Et pour toute son appréhension, alimentée par tout un tas de raisons, il n’était pas juste qu’il s’en déchargeât complètement sur son collègue.

    - Non. J’y vais, trancha-t-il.

    Il abandonna sa tasse de thé et emprunta le passage menant à la pièce retenant leur prisonnière. Il ne fit pas attention si le Sbire le suivait ; c’était à présent son affaire. Ou, tout du moins, une affaire entre Laseliane Orcystus et lui-même.

    Le métal du sang et l’acide de la sueur. Parfums particuliers de la soirée, de la nuit. Reviendrait-il un jour au manoir sans en sentir leur souvenir ? Calixte poussa doucement la porte, et elle s’ouvrit dans un silence tout en tourment. Dans la lumière tamisée de la salle, il pouvait observer le corps balafré de Laseliane Orcystus, zébré d’un camaïeu de bordeaux. Malgré la douleur évidente, il persistait dans le maintien de ses épaules, l’ancrage de ses jambes, une fierté souveraine encore tout assumée. Ses bras maintenus par les menottes anti-magie étaient passés aux barres du dossier sommaire de la chaise, et ses chevilles avaient été liées aux pieds de celle-ci pour sécuriser son assise. On devinait qu’elle avait tenté de se défaire de ses liens pendant l’absence des espions mais, aux mouvements intéressés de sa tête, elle cherchait actuellement d’autres moyens de leur échapper. Un temps, il l’observa en silence. Par où commencer ? Pas où s’y prendre ? Non. Etaient-ce vraiment ses interrogations, où ne faisait-il encore que fuir ? Dans le délai imparti, en telle compagnie, il savait déjà le chemin à emprunter. Mais était-il seulement prêt à s’y aventurer ? Peut-être pas Calixte. Pas l’être curieux et attentif. Pas celui aux émotions portées du bout des doigts jusqu’au creux du cœur. Pas celui qui s’était rendu compte, un soir de fameuse soirée, qu’il ne pouvait tuer méthodiquement sans s’avilir. Alors où en était-il cet être, empêtré dans ses choix et ses illusions ? Que restait-il de lui cette nuit ?

    Il avança vers Laseliane Orcystus, et un calme olympien le saisit. S’infiltrant de l’extrémité de ses ongles, entre chacune de ses cellules, vers l’épicentre battant de son corps. A chaque pulsation le froid insidieux, à chaque respiration l’indifférence souveraine. Déliant les émois pour ne plus laisser que le fonctionnel. Que reste-t-il, lorsque l’on retire l’essence de soi ? Sinon l’infinie vacuité des possibles.

    Sentant sa présence, ou percevant le bruit de ses pas, la posture de la Noble se raidit imperceptiblement. Et elle leva le menton avec suffisance.

    - Faites de votre mieux. Mais vous savez que cela ne sert à rien.

    Restant dans son dos, il glissa ses doigts au contact de son cou, caressant les angles délicats de la mâchoire.

    - Partons en promenade, vous et moi. Cela nous donnera l’occasion de nous connaitre.

    ~

    Il est des chemins plus ardus que les autres, plus complexes à emprunter. Où le sentier s’efface parfois dans des broussailles imprévues, obligeant au retour sur ses pas, pour mieux appréhender le trajet vers l’objectif lointain. Car à trop s’obstiner dans une direction donnée, sans prendre de recul face à ces complications, l’on risque de se perdre. Perdre du temps. De l’énergie. De la confiance. Aussi, posséder une bonne notion des routes balisées ne suffit parfois pas, et garder un œil attentif à l’évolution des reliefs peut être salvateur. Au détour du lit unguéal il faut ainsi faire preuve de prudence. Du fait de son agencement particulier il émeut aisément, mais à trop harasser ses sentiers, l’on peut rapidement y perdre le contrôle. L’âme se perd dans des conjectures troublées, s’agitant, s’extasiant de passion, pour finalement s’échapper aux bras d’une amie plus douce : l’inconscience. Or quitte à faire ce chemin à deux, peau contre peau, jusqu’à ce que les esprits se mêlent dans ce partage imposé à la limite de la folie, autant profiter du paysage.

    Et peut-être que, au-delà de la vue que l’on considère trop comme acquise, il est intéressant de laisser place aux autres sens. Si l’inflexion des phalanges dénudées de leur carapace ne suffit à lier les âmes dans leur promenade sur ce chemin tortueux, alors faut-il reconsidérer l’abolition de ce regard si neutre. Si extérieur. Si détaché qu’il permet beaucoup trop aisément d’oublier le merveilleux des sensations, de l’anticipation, du rêve. Du cauchemar. Pour toute sa préséance, investi de tant d’orgueil, l’œil est pourtant fragile. La ouate avinée suffit à le faire taire, consumant son commandement vaniteux. Etonnant comme alors l’on se recentre sur soi-même. Comme pour combler les ténèbres alentours on réinvestit les paysages intérieurs. Comme les émotions, les sensations et l’incertitude emplissent l’obscurité. Comme il est alors plus difficile de ne pas se laisser aller au maelstrom affolé de la déconstruction dans la quête d’un nouvel équilibre utopique.

    Alors si l’expérience est un peu trop prenante pour poursuivre la route du même pas, du même rythme, il faut prendre le temps de redéfinir celle-ci. Le temps s’écoule, mais il n’a que la valeur qui lui est octroyée. Et dans ce moment de perdition douloureuse imprévue, on lui octroiera celui de l’identification. Car après tout, c’est à deux que le cheminement se fait. Et peut-être est-ce un peu contradictoire. Et peut-être est-ce un peu naïf. Surtout pour deux adultes qui pensent connaître l’ombre et ses us. Mais ne sommes-nous pas tous, avant tout, des enfants ? Dans un univers de ténèbres chaotiques ne prendras-tu pas cette main ? Celle-ci. Celle qui s’est sciemment tendue vers toi, malgré sa traitrise. Il y aura tout d’abord le refus. Fier, courroucé. Puis le doute. Subtile, turpide. Puis la peur. Insidieuse, pesante. Et l’on appréhendera chacun au rythme de son évolution. Par les mots, par le toucher, par la présence. Car dans l’adversité à fleur de peau, il n’y a rien de plus tangible que l’autre à ses côtés. Entourant, protégeant, emprisonnant. Rassurant et avilissant. Et pourquoi pas ? Lorsque la frontière entre l’un et l’autre n’est plus si évidente, qui peut juger de ces affaires ?    

    D’ailleurs il y a maintenant là une douleur insoutenable dans le soubresaut de ce corps abîmé, pour laquelle il semble être adéquat de proposer une alternative. Bien sûr, que cela réduira ta souffrance. Bien sûr, qu’il n’y a aucun intérêt à ce que tu souffres. Le chemin risque d’être encore long encore, et même si l’un peut soutenir l’autre, quel intérêt à promener un mort ? Le goût de la poudre est un peu prononcé, mais l’inconfort sera rapidement un souvenir. Et puisqu’à chaque respiration plus lente, et plus profonde, le produit pénètre un peu plus pour effacer ces souffrances, alors l’union ne s’en trouve que plus complice. Où commence la chaleur d’un corps et où se finit celle de l’autre ? Où se trouve la démarcation entre ces âmes rendues consubstantielles par ce chemin tortueux ? Il y a là un partenariat fusionnel tout en immoralité ; mais qui sait ? qui juge ? En sécurité dans cette douleur partagée, ici et maintenant, qui d’autre compte vraiment ?

    Il y a un peu de brume, sur le reste du trajet. Et des obstacles visiblement disposés pour en empêcher l’accès. Il y a là-bas quelque chose de bien gardé, une vue à couper le souffle. Un secret de merveilles. Les reliefs accidentés sont anciens, difficiles à franchir. Mais à deux il est plus facile de ne pas perdre le cap, et puis la poudre rend l’objectif conjoint plus clair, plus évident. Alors enfin, la cime se dévoile peu à peu aux âmes persévérantes, et le rideau se lève pour en marquer le prélude. Ton souffle le célèbre d’une ivresse aux sonorités de comptine.


    Au-delà des relations infertiles,
    Si tu sais l’habit discret,
    Alors parle.
    Au-delà des histoires serviles,
    Si tu sais les choses vraies,
    Alors écris.
    Au-delà des inconscients hostiles,
    Si tu sais le grain mauvais,
    Alors moissonne.
    Va enfant nomade, marche.
    De l’instruction de tes paires,
    Vers l’apprentissage de tes aînés.
    Marche, marche, marche…


    Le rideau est levé. Et pour l’union élaborée des deux êtres il n’y a plus de doutes. Il faut plus qu’une harmonie nouvelle pour venir à bout de mécanismes anciens, rodés par le travail et la ruse. Le piège se déclenche. Pour ne laisser qu’« un souvenir ».

    ~

    Il y avait du sang sur ses mains, encore. Automatiquement ses doigts se posèrent sur la carotide pour en palper le pouls. Absent. Une cascade de sang avait jailli, et ce davantage à chaque pulsation, de la bouche de Laseliane Orcystus lorsqu’elle s’était violemment mordue la langue. Leur état second lui avait facilité la tâche, abolissant tout réflexe de conservation. Exsangue, elle gisait sur la chaise sommaire, observant de ses yeux aveugles la voûte obscure du plafond. Sa main quitta le cou encore chaud et, pris d’une pulsion impérieuse, il tourna les talons. Il parcourut d’un pas mécanique le sombre couloir jusqu’à la deuxième porte sur sa gauche, et il pénétra dans la salle de commodités de dépannage. L’eau chassa peu à peu le vermeille sur sa peau, et il profita de la fraicheur pour revivifier son visage. Une douce lueur, contrastant avec l’austérité glaciale des lieux, attira son regard. Par la petite lucarne en hauteur, faisant fi des flocons virevoltant autour d’eux, de matinaux rayons s’infiltraient. S’approchant de la lumière faiblarde mais volontaire, il se laissa étreindre par sa clarté paisible. Il laissa l’ombre quitter ses paupières, les ténèbres se défaire de sa peau. Il laissa les horreurs de la nuit se détacher de lui, petit à petit, en nappes capricieuses, pour ne plus profiter que du jour s’installant dans son innocence confiante.  

    - Calixte ?

    L’espion tourna la tête vers le sol carrelé, et son regard tomba sur la petite silhouette d’Apolline.

    - Tu reviens ?

    Il cligna des yeux, chassant un dernier songe nébuleux.

    - Oui, bien sûr.

    Il se pencha pour se saisir de l’âme artificielle et la posa, à son habitude, sur son épaule. Inhabituellement, elle était silencieuse. Mais distrait, il ne s’en formalisa pas. Il y avait une pensée tout en jeux d’ombres qui commandait son attention tout en lui échappant inéluctablement. Caressant la frontière du rêve comme celle de la curiosité. De la logique. De la conscience. Secouant la tête, abandonnant cette chasse dont son instinct lui soufflait qu’elle allait être pénible, Calixte se refocalisa sur le couloir toujours obscur et fit attention à ne pas trébucher de maladresse. Poussant finalement la porte de la salle d’interrogation, il avisa la petite table où Apolline avait visiblement pris des notes de sa scribouilleuse, et son regard tomba sur la silhouette de Vrenn. Rejoignant celui-ci, il jeta un coup d’œil par-dessus le bras de l’homme. Les mots tracés n’avaient pas vraiment de sens. Ils évoquaient juste un poème. Un étrange poème. Sans signification évidente.

    Son regard retraversa la pièce pour se poser sur le corps inanimé de Laseliane Orcystus, et il fronça les sourcils. Les contours de la Noble se dessinaient en zébrures de rouge et de bleu, ses mains étaient abîmées à n’être presque plus que de la charpie, ses yeux fixés vers le plafond portaient des traces de brûlure jusqu’à la cécité. Quelque chose de sanguinolant reposait sur les genoux de la femme, et s’il se basait sur la bouche grande ouverte – sur un dernier cri ? – de celle-ci il s’agissait de sa langue salement sectionnée.
    Il s’était passé là des choses terribles.
    Zahria AhlyshOmbre
    Zahria Ahlysh
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    Re: Innocence assassinée
    Jeu 16 Juil 2020 - 20:12 #


    Les couloirs vides du manoir renvoient l'écho de ses propres pas sur le marbre, comme s'il y avait là des dizaines de personnes avec elle. Les pas furtifs d'Aisleen, le maintien droit de Vaelin, la démarche traînante de Lichael, l'allure banale de Vrenn, l'approche maladroite de Calixte, la course de Ruth et Ferisen, poursuivis par une Ashelia chancelante... Tant de mouvement autour d'elle, à chaque clignement d'oeil, tant de solitude pourtant dans cette promenade silencieuse. Les traces de sang ont été parfaitement nettoyées, mais l'oeil expert de la jeune maître-espion ne laisse pas passer cette goutte de sueur sur la poussière, cet éclat de peinture écaillé suite à un coup violent, cette bavure noirâtre et poisseuse sur la chaise, cette cicatrice provoquée par une lame effilée sur le meuble non loin.

    Et l'odeur... Impossible de faire disparaître l'odeur du sang et de la souffrance. L'odeur de la mort. Retroussant les narines, fronçant les sourcils, Zahria laisse échapper un long soupir en sentant les muscles de sa senestre tressauter intempestivement. Trois jours, qu'elle s'agite ainsi sans raison, sans remède. Elle marque l'heure de sa clope, son verre de rhum ou son quart d'heure de détente dans les bras de Vrenn, en général. Et alors qu'elle cherche sa tabatière, le cristal de communication tinte mélodieusement. Etonnant, comme ce son plein de vie peut rompre l'ambiance morbide du lieu. Zahria décroche, c'est Höls. L'heure de rendre les comptes.

    L'air est frais à l'extérieur du manoir, et la lumière vient rater sur les rétines des yeux irisés habitués à l'obscurité du salon. Le commandant n'a pas grand chose à dire, et laisse rapidement la parole à son maître-espion, qui soupire une nouvelle fois avant de commencer à parler.

    « Tout a été effacé correctement, ils ne pourront retenir aucune preuve contre le Damoiseau.
    - J'ai réussi à contenir la Commission, de toutes façons, ils ne viennent plus pour vous rencontrer.
    - J'ai envie de vous remercier, mais je pense que vous le faites un peu pour vous aussi.
    - Si la Commission commence à mettre son nez dans les affaires des espions, il n'y aura plus personne pour vous assurer votre liberté de travail. Mais évitez de nous ramener autant de cadavres d'un coup, ça fait jaser. Surtout quand il y a des nobles impliqués.
    - Vous saviez qu'elle était de la famille du Vieux ?
    - Oui.
    - Vous avez encore contact, avec lui ?
    - Pas depuis quelques jours. Mais Maître, je vous assure qu'il n'a rien à voir avec ça.
    - Höls, ça fait pas beaucoup plus longtemps que moi que vous êtes à ce poste, comment pouvez-vous être certain que cet homme n'a rien fait d'horrible pendant les dix ans qu'il a passé à mon poste ?
    - Oh, mais je suis certain qu'il a fait des choses horribles.
    - ...
    - Je préférerais juste penser qu'il n'a pas baigné dans leurs affaires.
    - Moi aussi, mais c'est la seule piste que nous ayons, pour l'instant. L'interrogatoire n'a rien donné, selon les dires du Sbire et du Damoiseau.
    - Dans ce cas, laissez-moi la suivre. S'il est vraiment impliqué, il se doutera de quelque chose si ça vient de vous.
    - Et je fais quoi, en attendant ?
    - Profil bas.
    - Mais... !
    - Maître. Vous ne pouvez pas vous mettre plus en danger. Ils savent qui vous êtes, où vous êtes, qui sont vos hommes. Faites vous toute petite, pendant un temps. Faites leur croire que vous les avez oublié. Ce n'est pas une enquête que vous résoudrez en une semaine.
    - A ce rythme, je ne la résoudrai pas en une vie.
    - Ç'aura été une vie bien remplie, alors.
    - Höls !
    - Maître ?
    - Vous avez vu le mémo que je vous ai laissé ?
    - Sur la demande de mutation du Damoiseau ?
    - Oui.
    - Je l'ai vu.
    - Et ?
    - C'est votre décision, pas la mienne. Je tamponnerai en bas de la feuille, quoi que vous décidiez. C'est vous qui placez vos troupes où vous pensez qu'elles sont le plus utiles pour le Royaume.
    - Je ne suis pas certaine que...
    - Réfléchissez bien, avant de finir cette phrase. Le Damoiseau, le Sbire, la Feuille... tous autant qu'ils sont, ils sont entraînés, et doivent être au meilleur de leur forme pour assurer leur mission. C'est à vous de vous assurer que c'est le cas, Maître. Vous n'êtes plus toute seule, maintenant. Vous devez les soutenir plus qu'ils ne doivent vous soutenir vous. Et vos désirs passent en dernier, dans cette histoire.
    - Je sais.
    - Bien. Sur ces bonnes paroles, je vous laisse. Je vous ai réservé un créneau pour le retour à la Capitale, vu que nos amis de la Commission ont décidé de ne pas venir vous rendre visite.
    - Merci. A plus tard.
    - C'est cela.
    »

    Le cristal grésille puis la conversation s'interrompt. Deux semaines que les espions tournent en rond, à la recherche d'une piste, d'un fil sur lequel tirer, mais rien. Et Höls qui lui ferme les seules portes encore existantes... Et Calixte qui veut être envoyé au Grand-Port, soudainement... Et Ferisen qui a annoncé qu'il retournait travailler à l'atelier de son père... Et Lichael désemparé, qui enchaîne les missions... Et Vaelin, qui est enfin rentré de la sienne, et s'est effondré en apprenant la nouvelle... Le monde des espions s'écroule, et il n'y a rien à faire pour le retenir. Tout ça pour une simple recrue, une gamine. Elle voit bien le dédain dans les yeux de Vrenn, bien qu'il essaye de le cacher. Pourra-t-il jamais comprendre ce qui les lie les uns aux autres ? Ce qui fend le coeur de Zahria, à l'heure d'accepter la mutation de Calixte ?

    Quand elle pénètre dans le portail de téléportation, elle ne s'attend pas à voir Fledric de l'autre côté, en train de l'attendre. Il a des dossiers dans les mains, et a visiblement été mis au courant de son arrivée par Höls. Doux Fledric, toujours au bon moment, au bon endroit. Au bon moment... au bon endroit ? Les yeux de Zahria se fixent sur la silhouette proprette de son secrétaire, alors qu'un doute l'assaille. Se pourrait-il que... ? Sa réflexion est interrompue quand il vient couper court à ces pensées intempestives.

    « Maître ?
    - Oui, désolée, allons-y, je suis fatiguée je crois.
    - Je vous ai racheté du café.
    - En voilà, une bonne nouvelle.
    - Il faut vous préparer pour votre entrevue avec la Première Ministre, aussi, c'est bientôt.
    - C'est vrai...
    »

    Voilà sa main gauche qui se remet à trembler avec violence, et elle laisse Fledric parler sans l'écouter, son regard faisant des allers et retours sur les gens autour d'eux. Qui ? Qui est un traître, parmi les passants ? Qui serait capable de s'en prendre à deux enfants innocents, à leur couper la langue et la tête ? Qui, déguisé sous les atours d'un pauvre citoyen, est un horrible assassin, un terroriste en puissance, une menace pour la population ? Qui la surveille, qui sait tout de ses faits et gestes, de ses allers et venues, qui a toujours un pas d'avance, ou dix, ou mille ?

    La colère de Zahria gronde, et même une fois arrivée dans la petite chambre de bonne leur servant de planque temporaire, même une fois le nez enfoncé dans le travail, la tête occupée par des assignations en pagaille à distribuer, même une fois ses deux litres de café engloutis et sa tabatière vidée, sa main ne cesse de tressauter. La lune est haute quand elle relève le nez, et Fledric est parti depuis plusieurs heures. Non loin, des cris de joie résonnent près de l'Arène, où l'on se bat toute la nuit. La dextre s'élève vers le cristal de communication.

    « Naëry, tu es disponible, ce soir ? ... J'ai besoin de me faire casser la gueule. »

    ~~~

    Plus tard cette nuit-là, après être rentrée de l'Arène avec Naëry, s'être fait rafistolés par Luz et avoir rejoint Vrenn chez lui, Zahria se réveille en sueur, une fois de plus. La main de son amant la ramène dans le lit, et les va-et-viens dans son dos finissent par la calmer, mais elle ne retrouve pas le sommeil. Alors quand elle sent Vrenn s'assoupir, sa respiration à lui se calmant, elle se fait toute petite pour se lever du lit et prendre ses affaires. Une fois dehors, elle allume une cigarette et commence à marcher un peu dans le quartier de Vrenn, bien calme à ces heures de la nuit. Elle se saisit de son cristal, et la voix d'Elina ne tarde pas à résonner de l'autre côté.

    « Tu ne dors pas ?
    - Toi non plus.
    - Qu'est-ce qu'il y a, il fait encore trop froid, à la Forteresse ?
    - Qu'est-ce qu'il y a, t'as encore fait un cauchemar ?
    - Ouais, si on veut.
    - C'était Ruth ?
    - Non. Thomas.
    - Oh...
    - Tu sais, Eli, toute cette histoire, ça va nous ramener à lui, je pense.
    - Peut-être bien, oui.
    - Elina...
    - Oui ?
    - S'il m'arrive quelque chose... quelque chose de grave... tu poursuivras l'enquête ?
    - Oui. Pareil si c'est moi à qui il arrive quelque chose.
    - Pareil. Mais il ne t'arrivera rien.
    - Vends pas la peau du grognours... Et fais attention, de ton côté. C'est pas parce que tu m'as comme garantie que tu peux te permettre de faire n'importe quoi.
    - Ouais, t'as raison.
    - Allez, Zah, retourne te coucher maintenant. Je t'entends plus fumer, t'as fini ta clope.
    - D'accord, j'y retourne. Bonne nuit, Eli.
    - Bonne nuit.
    »

    De retour dans l'appartement de Vrenn, se faisant toute petite pour ne pas le réveiller, Zahria s'assoit à table et sort le Savoir des Anciens, pour le parcourir pour la millième fois. Rien sur la Cabale, nulle part. Ça semble improbable. Aucun maître-espion ne les a jamais affronté, alors qu'ils semblaient si renseignés sur eux ? Ou l'un d'entre eux a-t-il effacé des preuves ? Mettre en doute la droiture de ses aînés ne fait pas plaisir à Zahria, mais sa soif de vengeance continue à gronder, et elle se raccroche à n'importe quelle théorie loufoque qui lui passe par la tête. Sur le lit, Vrenn remue, et quand il se tourne vers elle, il a les yeux ouverts. Elle vient s'asseoir à côté de lui, l'embrasse sur les lèvres et passe une main sur sa joue.

    « Tu reviens dormir ?
    - Oui, j'arrive.
    - Zahria...
    - Je t'écoute ?
    - J'ai pas tenu ma promesse.
    »

    Sa bouche s'ouvre, mais rien ne sort. Est-ce de la culpabilité qu'elle lit dans ses yeux ? Etonnant, en serait-il capable ? Ou la fierté, sinon, bafouée ? En tout cas, quelque chose le tracasse, c'est certain. Non, il n'a pas tenu sa promesse. Peut-elle lui en vouloir, pour autant ? Qu'a dit Höls, déjà ? "Les soutenir plus qu'ils ne la soutiennent, elle" ? Comment les soutenir, alors qu'elle est en mille morceaux, incapable de savoir si elle est capable de diriger ce bateau correctement, incapable de se soutenir elle-même ?

    « ... il... il n'y pas de date de péremption à ta promesse.
    - Quoi ?
    - Tu as toute ta vie pour la tenir.
    - Je... hein ?
    - Vrenn, tu trouveras le responsable, même si ce n'est pas demain. Ce n'est pas un échec. Si ça doit nous prendre une vie complète de mettre la main sur ces connards, on le fera.
    - Euh... d'accord. De toutes façons j'ai pas trop le choix, je crois, si je veux pas aller faire coucou aux Fenrir. Mais du coup, ça veut dire que je dois rester sur cette enquête ?
    - On reste tous dessus, en fond. On attend leur prochaine erreur.
    - Je pane rien à ce que tu dis, viens dormir.
    »

    Et pourtant la lueur d'inquiétude qu'elle lisait dans son regard s'est éteinte. Loin d'être prête à diriger des troupes et à les soutenir comme il se doit, Zahria peut déjà compter sur sa pugnacité. Et sur les trois heures de sommeil qui lui restent.

    ~~~

    « Bon, et bien... bonne chance, là-bas. »

    Calixte émet un grognement, et traverse le portail de téléportation, son paquetage sur le dos. Les adieux ont été froids et distants avec elle, alors qu'il prenait Vaelin dans ses bras quelques secondes plus tôt. Peut-elle vraiment lui reprocher de lui en vouloir, alors qu'elle s'en veut elle-même ? En apparence, les espions ont abandonné l'enquête sur la mort de Ruth, et passent à autre chose. La vie continue, a explicité Zahria plus d'une fois. Mais elle a démontré des failles, les premières. Et Calixte la voit enfin pour ce qu'elle est, cessant de l'idéaliser comme il le faisait avant. Son coeur ne peut qu'en saigner encore plus, mais cela ne dévie pas Zahria de l'objectif fixé.

    Elle tourne le dos au portail, et met de la distance avec l'odeur fébrile de son frère. Dans sa poitrine, son palpitant menace de sortir de sa cage thoracique, mais elle doit aller de l'avant, un pas de plus, et encore un autre. Devenir le roc qu'elle se doit d'être pour eux. Pour que la prochaine fois, elle puisse dévier la dague qui visera sa famille. Pour qu'il n'y ait pas de prochaine fois.

    Elle fait les derniers pas qui la mènent à un joli petit manoir de ville. Levant le nez vers le ciel, elle calcule qu'elle est légèrement en avance, pour une fois. Croyant apercevoir la rousseur de Luz dans la foule, elle va pour l’interpeller quand la douce Weiss fait son apparition au bout de la rue. L'autre rousse, qui l'espace d'instant lui est apparu identique à son amie, disparaît, mais la médecin vient déjà cueillir ses mains pour la faire entrer dans le manoir qu'elles sont là pour visiter.

    Avec sa deuxième entrée frontale donnant sur un petit commerce qui sera facilement transformé en cabinet et ses chambres bien trop nombreuses, les deux femmes tombent immédiatement amoureuses de la demeure. Et quand elles posent leurs yeux sur l'immense jardin face au fleuve, elles se tombent dans les bras. Zahria doute un instant de pouvoir assumer le prix de la bâtisse quand le propriétaire, un nobliau au costume rapiécé, ayant investi et perdu toute sa fortune dans l'élevage de Tanhiwa, vient leur annoncer le prix dérisoire auquel il est prêt à vendre sa demeure. Aussitôt le contrat est signé, et Zahria devient, pour la première fois de sa vie, propriétaire d'un bien. Co-propriétaire, s'empresse de lui rappeler Luz en lui expliquant toutes ses idées de décoration pour l'intérieur.

    Et dans un sourire, le premier depuis des lustres, Zahria ne peut s'empêcher d'imaginer ici le refuge qui rassemblera sa famille autour d'elle. La famille qu'elle s'est choisie. La famille qu'elle protégera.

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