Putain, si j’ai pas accepté de rejoindre la Garde pour devenir un ripou en son sein, comme pas mal de mes collègues de l’époque, c’est bien pasque j’supporte pas les militaires, leurs règles à la con, leurs entraînements débiles, et leurs cerveaux atrophiés. Du coup, quand la patronne m’envoie faire mes classes militaires, histoire de pouvoir, je cite, me faire passer pour un garde à peu près convenable si la situation l’exige, et pas juste un truand tombé du bon côté de la barrière. J’dis pas que j’suis pas capable d’apprendre à être un vrai con de garde, mais franchement, j’préfèrerais apprendre à péter dans la soie comme les nobles, plutôt, ça serait plus intéressant comme entraînement…
Du coup, me v’là dans la Caserne, avec un bel uniforme, tout ce qu’il faut pour m’identifier, et surtout mes menottes anti-magie toutes les deux accrochées à mon propre poignet. C’est que ça la foutrait mal si, d’une journée à l’autre, mon instructeur m’oubliait. En plus, elle m’a choisi quelqu’un aux petits oignons, qui s’assurerait que j’apprenne l’essentiel et que j’ressemble à quelque chose.
Bref, Zahria m’a annoncé que j’allais probablement salement en baver.
Alors que franchement, mes compétences sont déjà parfaitement adaptées à mon nouveau boulot. Certes, je sais pas vraiment me servir d’une épée, ces espèces de gros couteaux surdimensionnés pour gens qu’ont des trucs à compenser, ou des lances, ses pics à apéritifs beaucoup trop gros et pas maniables, mais j’ai pas besoin de ça pour m’en sortir de façon tout à fait respectable quand y’a de la castagne.
Et y’a probablement d’autres trucs à apprendre, genre saluer les supérieurs quand on les croise dans les couloirs, s’enfoncer une plume dans le cul pour faire le beau dans les couloirs du palais, et lever la papatte quand un membre de la famille royale le demande, mais dans le genre compétences inutiles, ça se pose là.
En plus, cette saloperie de fourreau d’épée de prêt arrête pas de se foutre dans mes jambes. A se demander comment ils font pour courir. Et j’connais la réponse : les gros sergents de la régulière ne courent justement pas. Avant, je les méprisais. Maintenant, je les comprends.
C’est ça que Zahria voulait que j’apprenne ? Ha.
J’arrive enfin dans une des salles un peu à l’écart de la Caserne, celles où on peut s’entraîner tranquillement. J’crois que la théorie qu’Ombre avait vendu pour mon entraînement, c’est que j’suis le fils ou le cousin d’un marchand assez riche, qui fait pas mal de donations au royaume, et qu’a envie de voir ce que c’est, pour de vrai, la vie de Garde, dans le cadre d’un entraînement. Et que, pour faire plaisir à Papa, fallait s’assurer que j’ressorte avec quelques capacités ou quoi, hiistoire de frimer devant les copains lors des soirées mondaines.
Bref.
Y’a une nana déjà présente dans la salle.
« B’jour. C’est pour l’entraînement avec, euh… l’instructrice Grassim. Vous ? »
Est-ce que j’aurai dû me douter que ça me retomberait dessus ? Certainement… Maintenant que la gentille Garde Royale Aube a fait un passage à l’Académie en tant qu’Instructrice, elle peut bien assurer les sessions d’apprentissage pour les gosses de riches en manque de sensations… Arthorias espérait bien s’en sortir en me refilant cette “mission” à deux balles mais il a moins rit quand je me suis pointé, ce matin, dans son bureau avec les deux bébés et le nécessaire de soins. S’il me refile du boulot de merde, je lui refile la garde des bébés, c’est un bon arrangement je trouve. Libre à lui de les emmener faire une promenade au palais s’il doit aller voir la Reine ou la Commission, il se débrouille.
Installé dans la petite salle attenante à une des multiples cours d'entraînement de la Caserne, j’attend mon élève du jour. Un fils de marchand fortuné et généreux qui veut découvrir la vraie vie de la Garde… La Garde Royale est tombée bien bas si on nous refile ce boulot de merde. Est-ce qu’il va survivre à une journée au milieu des Gardes, j’en doute mais il va pas vraiment avoir le choix. Mon arme à changement de forme en main, je m’amuse à la faire changer de structure en attendant mon élève. Je hausse un sourcil lorsqu’un vieux entre dans la salle et m’interroge pour savoir si c’est bien ici que doit avoir lieu l'entraînement. Je saute du bureau sur lequel j’était assise et ramène la grand faux dans mon dos.
C’est bien ici, je suis la garde royale Aube Grassim. On m’a mandaté pour vous apprendre à être un bon garde en toute circonstance. Nous allons commencer tout de suite d’ailleurs, mettez-vous au garde à vous et déclinez votre identité.
Il ne sait surement même pas comment faire un vrai salut de la Garde mais il faut bien commencer par quelque chose, on apprend mieux en se trompant. Et puis, il est déjà bien assez âgé pour que je ne prenne pas de gants avec lui. Je le laisse se mettre en “position” tout en tournant autour de lui. Je transforme ma faux en un simple sabre plus classique et moins encombrant pour le moment. Je l’écoute déclamer son identité en grimaçant. On leur apprend quoi chez les nobles ? Certainement pas à se présenter comme il faut…
On va dire que c’est pas trop mal mais on va corriger ça pour commencer, histoire que tu présentes bien devant les gardes.
Quand même, ils vont tous se foutre de lui pour le plaisir après et c’est sur moi que ça va retomber. De la pointe de mon sabre, je pousse son genoux pour qu’il se mettent parfaitement droit.
Les jambes bien tendues, les pieds serrés.
Je passe dérrière lui en rengainant mon sabre. Je pose mes mains sur ses épaules et appuie dessus.
Les épaules doivent rester basse, la gorge bien visible.
Passant la main par-dessus son épaule, je lui fait relever le menton de quelques degrés. Je retourne face à lui pour regarder le résultat. C’est pas trop mal, avec une armure de cuir complète, on pourrait le prendre pour un garde de la régulière. Un garde pas très malin, mais un garde quand même. Reste sa main… Rarement vu une main aussi mal placée…
Pour finir, ta main… Autant dire que rien ne va.
Je prend les choses en main pour lui positionner. Un demi-centimètre plus haut, la paume plus exposée, deux centimètres plus à gauche pour effleurer sa tempe.
Là, c’est mieux mon cher. On dirait presque un vrai garde là, souviens-toi bien de la position de la main, tu en auras rapidement besoin. La tradition veut qu’on te donne un coup de bâton par salut mal exécuté alors fait le bien.
Je lui tourne le dos pour aller jusqu’à l’une des armoires de la salle. Je l’ouvre dévoilant toute une série d’épée posées sur un présentoir. Le matériel d'entraînement est bien rangé pour une fois, ça fait plaisir à voir. Délaissant les épées, je me contente de ramasser un bâton de bois mal taillé laissé à l’abandon en bas de l’armoire. Qu’est-ce que j’ai pu en prendre pendant mes années à l’Académie… Ces saloperies laissent des échardes en plus...
Première étape, le salut. Un truc capital pour tous les connards qui rejoignent la Garde, qui sert à montrer qu’on est des bons petits moutons et qu’on manque cruellement d’imagination, une des qualités premières du militaire moyen. Faut pouvoir saluer en toute circonstance, quand on croise un copain, quand on croise un supérieur, quand on croise un noble, quand on croise un ponte, quand on ouvre la porte, quand on la ferme, quand on passe à table, et probablement aussi quand on va aux chiottes.
J’ai l’impression qu’on essaie de me briser mentalement.
Le poids des menottes anti-magie –les miennes, en plus- à mon poignet me rappelle que j’dois faire ça sérieusement. Et j’dois d’autant plus m’appliquer que Grassim va chercher un bout de bois, le genre utilisé pour battre les gens, et leur faire rentrer dans le corps la manière de se comporter correctement. Alors j’me raidis, j’me grandis, j’montre mon cou comme un clébard devant son alpha, j’serre les fesses et j’bombe le torse.
Et j’prends un coup dans le genou droit.
Salope.
Heureusement, la tenue de simili-garde qu’on m’a refilée pour l’entraînement protège un petit peu, c’est juste un poil douleureux, surtout si ça se confirme. Elle juge ma posture en tournant autour, et fait finalement un hochement de tête à peu près satisfait. Elle doit pas être plus contente que moi d’être ici, après tout, à faire du social avec un fils de riche qui vient en touriste pour se faire ses sensations fortes et avoir quelque chose à raconter aux copains.
« Repos, Soldat.
- D’acc’. »
J’reprends un coup, cette fois dans les côtes, un peu plus douleureux. Elle reste impassible devant mon regard outré, alors j’le range et j’m’avachis en attendant la suite. Attends, repos, c’est pas une autre posture codifiée, quand même, par hasard ? J’regarde dans quelle position elle est, bras croisés dans le dos, jambes écartées à la largeur des épaules, dos bien droit. A tous les coups, putain…
Du coup, j’m’attache à reproduire.
J’écarte les jambes, je garde le menton levé, pasque ça a l’air d’être leur truc, même si j’sais pas bien si ele lève la tête juste pasque j’suis plus grand ou quoi… Mains croisées dans le dos, qu’est bien droit. Bordel, ce qu’on se fait chier. Si encore, j’apprenais à me battre à l’épée ou à différencier les grades des gens juste en regardant leur arrogance, ça irait… Mais j’sais déjà le faire, ça, en quelques sortes. Dans mon boulot précédent, c’était important de savoir différencier un capitaine d’un rond-de-cuir, ha.
Ça donne encore des p’tits coups de baton. Hé, j’y peux rien si c’est toi qu’as été dénoncée pour venir ici, c’est pas une raison pour être mesquine. Surtout pour me décaler d’un demi-millimètre dans un sens ou dans l’autre, j’pense que ça intéresse personne, de savoir faire ça. Du coup, pour la première fois depuis un moment, j’me dis que c’est p’tet le moment de prendre la parole.
« On va apprendre autre chose que le garde-à-vous et la position de repos ? Nan pasque… »
J’ai autre chose à foutre putain.
« … Pasque c’est pas trop ce que j’imaginais, en fait. »
Voilà, j’deviens un fin diplomate. Qu’Ombre vienne pas me chier dans les bottes.
En fait, je comprend pourquoi mes instructeur utilisaient autant le bâton, ça a un côté jouissif de martyriser l’autre. Un petit coup par-ci, un autre par-là, c’est amusant en fait ce boulot. Sympathique, je lui ordonne de se mettre au repos faisant de même face à lui. D’abord partis pour faire n’importe quoi, j’attend qu’il se rende compte que j’attend une chose bien précise. Au pire, j’ai un bâton. Mais il comprend quand même assez rapidement et imite ma position. C’est pas extraordinaire alors je distribue quelques coups sans trop insister, ce serait dommage de le casser maintenant, il pourra pas courir dans les rues après… Je hausse un sourcil circonspect lorsqu’il ouvre la bouche sans avoir été autorisé à prendre la parole. Monsieur est déçu de son premier apprentissage dans la Garde ? Je soupire avant de retourner jusqu’au bureau où je pose le bâton.
La Garde est une institution garantissant la paix du royaume et la sécurité à l’intérieur de ses frontières. Chaque garde est un maillon d’une entité conséquente. Contrairement aux aventuriers, les gardes combattent rarement en solitaire. De nombreuses actions se font le plus souvent par groupe de quatre voir en régiments entiers, la discipline dans les rangs est une garantie nécessaire pour que tout cela fonctionne correctement. Les postures codifiées ne sont qu’un moyen de garantir cette discipline.
Les manoeuvres en garnison sont particulièrement sensible à la discipline de chacun. Un garde ne suivant pas le rythme et les actions de ses proches voisins peut aisément conduire à une catastrophe au combat. Je tire mon sabre de son fourreau et le pointe vers l’homme.
Dégainez votre épée, voyons ce que vous avez appris avant d'atterrir ici.
Après tout, je n’ai pas spécialement à m’embêter à lui apprendre la discipline, dans quelques jours, il retournera à sa vie de riche héritier et se vantera auprès de ses amis. J’espère pour lui qu’il a un minimum de bases. Sans plus de cérémonies, je comble l’espace entre lui et moi en deux pas et tend le bras pour un coup d’estoc. D’humeur plus égale pour le moment, je cherche plus à jauger ses compétences et vise le côté de sa tête. S’il n’arrive à rien, je lui laisserai une jolie coupure à la joue en souvenir. Immédiatement, mon arme repart sur sa droite tandis que je tourne sur moi-même. La lame décrit un cercle complet avant de revenir par sa gauche, j’attend au moins qu’il arrive à parer ça.
Blabla la Garde c’est une famille, blablabla la cohésion est une de nos plus grandes valeurs, blablabla on compte les uns sur les autres en situation de danger, tralala-tsoin-tsoin ordre-discipline-obéissance-marche-et-crève. S’ils étaient bons individuellement, ils auraient p’tet pas besoin de se frotter les uns contre les autres à astiquer leurs épées dès qu’il s’agit d’aller faire une malheureuse patrouille dans les quartiers mal famés de la cité.
Je hoche la tête poliment en prenant l’air impressionné.
Puis c’est le moment d’apprendre un peu à se battre. Bon, normalement, j’suis pas trop un touriste à ça, même si j’ai moins à compenser, donc j’utilise des poignards au lieu d’une épée. M’enfin, le principe cardinal reste le même. La règle numéro une de toute arme blanche : enfonce le bout pointu dans le monsieur ou la madame ou la bestiole. Dans l’autre, quoi.
J’dégaine la lame standard qu’on m’a prêtée pour l’occasion. Quoique, en la sortant, j’me rends compte qu’elle est de belle facture, avec un symbole à la con à la base de l’arme, et le manche est encore assez neuf. Ouais, faut que ça colle à mon image de fils de riche marchand, j’suppose. Elle a l’air bien équilibrée, en tout cas, pour autant que j’puisse en juger avec ce que j’sais des surins.
Le premier estoc est assez élémentaire, alors j’me contente d’écarter la tête sur le côté en mettant mon épée en garde. Le coup latéral qui suit est téléphoné aussi. Faut pas tourner sur soi-même comme ça, merde. J’ai un spasme réflexe de la main gauche pour lancer le couteau qui devrait s’y trouver. Mais nan. Donc j’recule d’un pas pour sortir du rayon de Grassim et regarder l’épée passer sous mes yeux concentrés.
Bon, évidemment, d’habitude, j’ai un couteau en main, c’est petit, court, comme le prolongement d’un bas. Là, c’est une lame normale, et comme j’l’ai laissée en position de garde, elle se fait taper dedans par l’instructrice. J’avais rien raidi, donc mon poignet se casse, ça se baisse. Boah, rien de bien grave, c’est juste un peu plus gros et encombrant que…
Nouveau pas en arrière pour éviter une estocade.
Cette fois, j’décide de me servir de mon épée. J’assène un coup de haut en bas. C’est pas très discret, mais j’crois pas que ce soit le but, avec une arme pareille, de toute façon. J’foutrais bien un coup de pied dans le genou, au passage… Mais bon, on va jouer réglo pour le moment. Ensuite, j’en mets un deuxième, parce que pourquoi pas.
Puis j’me recule à nouveau pour jauger si on hausse le niveau ou pas.
Mon premier assaut n’a pas spécialement pour vocation à se montrer dangereux juste voir s’il a quand même quelques réflexes de combattant et un peu de muscle pour tenir le choc. Ce que j’en tire est plutôt rassurant, il n’a pas l’air d’un des ces gosses de riches à peine capable de se servir de leur couteau pour couper leur viande le midi. Il faut juste qu’il apprenne à utiliser une épée correctement… Je souris même lorsqu’il tente une réplique. C’est ça que je veux voir, il ne lui manque que l’ardeur du guerrier pour qu’on puisse en faire quelque chose. L’attaque est des plus basique avec un simple fauchage de haut en bas. Je pourrais simplement éviter en faisant un pas de côté mais ce ne serait pas amusant. Forte sur mes appuis, je ramène mon arme au-dessus de moi. Les mains à droite et juste au-dessus de ma tête, la pointe de mon sabre se dirige vers le sol à ma gauche. Pour ne pas abîmer le tranchant de l’arme, je présente le plat de la lame. Le choc n’est pas des plus brutal. La position de mon arme dévie la sienne qui s’écarte sans mal de moi. J’intercepte un peu de la même façon sa seconde attaque.
Après un nouveau choc du métal, chacun recul un peu pour prendre de la distance. Je n’aurai certainement pas le temps de lui apprendre à utiliser une épée aussi bien qu’un jeune sortit de l’Académie mais on devrait réussir à en faire quelque chose. Il va déjà devoir apprendre quand il doit renforcer sa prise pour subir un impact et quand être souple. Je ramène ma lame face à moi pour la prendre à deux mains avant d’avancer un pied.
Le combat à l’épée peut se résumer en deux phases assez simple. Pour commencer, la garde.
Poussant sur mes appuis, je m’élance vers lui. Intentionnellement, j’attaque de taille à hauteur de poitraille. Je n’y met pas toute mes forces mais suffisamment pour aller taillader son plastron de cuir s’il ne se protège pas grâce à son arme. Sans prendre le temp de le laisser souffler, j’enchaine avec le même coup mais venant de la gauche. Avec moins d’élan, le coup sera moins puissant. Pas le temps de souffler pour lui, je compte bien frapper et frapper encore jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il doit utiliser ses muscles pour maintenir son arme en place et bloquer la mienne. Je reste dans un schéma gauche-droite jusqu’à enfin commencer à sentir qu’il affermit sa prise sur son arme. Pas encore satisfaite, je donne un dernier assaut de biais cette fois allant d’en bas à droite vers le haut à gauche puis recul d’un petit bond.
Je place mon épée face à moi, lame pointé vers le ciel prête à accueillir ses assauts à mon tour.
Bon, mes attaques ont pas marché, mais en même temps, l’inverse m’aurait étonné. Etonné, déçu, choqué, pour être tout à fait franc. J’dois dire que même un faucheur de bourses un peu ralenti du bulbe rachidien est capable d’esquiver un truc pareil, sauf en cas d’utilisation de pouvoir un peu rigolo. Mais comme j’ai pas le droit à mon pouvoir, on s’amuse vachement moins, tout d’un coup. Enfin, comme le but c’est d’apprendre, cela dit, c’est pas plus mal…
La garde, donc. J’suppose que le but, c’est d’encaisser dans son épée comme Grassim vient de faire. J’ai vu qu’elle avait incliné l’arme. Le principe est le même avec des gros couteaux de parade, même si ce qu’est demandé au niveau des poignets est assez différent, j’pense. Enfin, j’vais avoir l’occasion de tester ça proprement dans quelque frac…
Maintenant.
Franchement, en temps normal, j’me serais baissé, mais bon, la pédagogie… Des deux mains, j’mets ma lame en opposition, sur le plat. Elle tremble salement mais fait le boulot, pour bloquer. Et ça repart dans l’autre sens. Dans la vraie vie, je lui serais rentré dedans. Respecter l’exercice, c’est l’jeu. J’bloque à nouveau, mais l’angle est moins bon, et j’sens que ça mort un peu dans le fil de la lame. Elle se dégage, et rebelotte de l’autre côté.
Bon, j’perçois bien le côté instruction, là, comme ça.
Donc j’m’attache à faire le geste correct, et à suivre le rythme, surtout en sachant où l’attaque va tomber. Ça devient purement technique, de placer les jambes, d’orienter le bassin, le poignet, de bien verrouiller… Sans déconner, au bout de quelques minutes, j’prends le coup de main, et c’est effectivement un peu différent d’un couteau, parce que ça tape plus loin de la main sur toute la longueur de la lame, que le poids derrière l’attaque est pas le même…
Le dernier assaut varie un peu, et alors que j’étais dans une forme de passivité assez irréfléchie, j’ai pas le temps de dresser mon arme au bon endroit. Elle se fait écarter aussi facilement qu’on enlèverait une sucette à un enfant, je le sais, je l’ai déjà fait pour voir, et s’enfonce dans le plastron en cuir qu’on m’a donné. Ça coupe pas jusqu’à la peau, heureusement et encore heureux, mais j’pense que ça va laisser un sale bleu.
Ma faute, j’avais qu’à faire gaffe, aussi. J’sais que les Gardes sont tous des p’tites putes teigneuses, pourtant, depuis toutes ces années.
Elle reprend son souffle, moi le mien. J’suppose que c’est mon tour de montrer que j’suis quand même pas qu’un bûcheron qui tape comme un sourd au même endroit jusqu’à ce que ça marche. Vrai que d’habitude, c’est pas trop ma stratégie.
J’avance d’un grand pas, et j’donne un coup de taille comme elle a fait plus tôt. C’est pas discret, mais c’est différent. Puis j’ramène mon épée, et j’la pousse vers l’avant dans une estocade tout à fait respectable. J’enchaîne avec un coup de pied sur le bas de la cuisse, pour casser la posture et la garde, sans casser le genou pasque j’suis quand même pas un monstre. Et un coup d’en bas à droite vers le haut à gauche, pasque j’aime l’ironie dramatique.
Juste pour ça.
J’recule avec l’épée levée, et j’fronce les sourcils pour retirer la sueur qui commence à me tomber dans les yeux. J’dois bien peser dix ou quinze kilos de plus, en prime, alors en terme de puissance brute, j’essaie de pas abuser…
Bien, coups après coups, il commence à comprendre comment il doit faire travailler son corps. Cela reste redondant comme assauts mais tant qu’il n’a pas pris le coup, je ne peux pas le pousser plus loin. Mais c’est bien, il apprend assez vite. Pour finir, je me permet de faire une petite variante. Variante qui a au moins le mérite de faire apparaître le fait qu’il n’a pas vraiment appris mais juste réagit passivement. La pointe de ma lame taille dans le vif sans grandes difficultés. J’ai calculé mon coup pour ne pas le blesser mais lui laisser un petit souvenir de la leçon tout de même. Reculant, je lui laisse un peu de temps pour se remettre de ses émotions et passer à l’attaque à son tour.
Déjà prête à accueillir son assaut, je pare sans l’ombre d’une hésitation le coup de taille. Il a beau être un gosse de riche, il a quand même assez de force pour taper fort. Mon arme vibre un peu entre mes mains, elle n’est pas faite pour ce genre d’exercice mais j’ai l’habitude. Anticipant mes consignes, il change de type d’assaut par une simple estocade. J’écarte la lame en faisant pivoter la mienne. Sa lame continuant son chemin, il avance un peu plus vers moi. Je me prépare à l’accueillir d’un coup de coude dans la mâchoire, juste pour le plaisir. Mais je ne m’attendais pas à prendre un coup dans le genou. Je plie le genou par réflexe pour éviter une blessure grave. Mais cela me vaut un déséquilibre que ce sale mioche s’empresse de mettre à profit. Fichu pour fichu, je me laisse aller dans le mouvement partant en arrière. L’épée frôle le métal de mon armure légère grinçant légèrement à mes oreilles tandis que je pars en une souplesse arrière. Tendant la jambe, je tape volontairement sur son bras d’arme. Me redressant, je remet mon arme au fourreau. Cette pirouette a été sacrément douloureuse, j’ai vachement perdue en souplesse depuis ma grossesse. Toute ma colonne craque maintenant à chaque mouvement. J’ai encore pas mal de travail pour récupérer toutes mes capacités physiques…
Je vois que je n’ai pas besoin de continuer la leçon de combat. Il me semble que vous savez déjà qu’un combat est rarement un affrontement à la régulière. A l’extérieur de cette Caserne, il est même rare de se battre épée contre épée. Une chose que vous ne devez pas oublier, là où un garde va se battre pour capturer vivant, ses adversaires vont se battre pour tuer. Nous compensons par une parfaite maîtrise des arts de combats à l’épée mais aussi à mains nues.
Je me rapproche du mur de l’autre côté du bureau où attendent de multiples affiches parlant de la Garde. Je pose mon sabre et son fourreau sur le bureau au passage. Je pointe une affiche avant de commencer la présentation des corps de la Garde.
La Garde du Royaume est divisée en deux entités, vous pouvez me les citer ?
Je le laisse répondre à ma question. La Garde Civile et la Garde Royale sont largement assez connus pour qu’un gosse de riche en ait entendu parler. La subdivision est assez claire, la Civile protège le peuple, la Royale protège la famille royale.
Je ne vais pas m'appesantir sur la royale. La Garde civile se divise ensuite en deux subdivisions : la garde régulière et les régiments d’interventions. Aujourd’hui, on va aller en patrouille pour la Garde Régulière pour que vous découvriez le travail quotidien d’un garde.
Je m’étire un coup faisant craquer une bonne partie de mes articulations. Une bonne balade dans les rues de la Capitale, rien de mieux pour se remettre en forme en douceur. Je m’avance jusqu’aux placards. J’en ouvre un contenant des plastrons métalliques d’entrainements. Ca remplacera son plastron de cuir que j’ai attaqué le temps de la patrouille.
Aller, changez de plastron et on se met en route.
Je quitte la grande pièce pour l’attendre à l’extérieur. Je m’inquiéte un peu pour les petits mais Arthorias doit bien s’en occuper… Enfin, j’espère pour lui. Et Geki m’aurait prévenue s’il y avait un souci, la Chiraki prend son rôle de protectrice des bébés très au sérieux.
Mine de rien, elle a un peu de répondant, l’instructrice. C’est pas tout de faire les marmots puis de les garder au four pendant neuf mois et enfin de les sortir pour s’en occuper pendant les quinze années qui suivent, faut aussi avoir du boulot à côté, et pas canner dedans quand on fait un truc un tout petit peu dangereux, comme Garde par exemple. Bon, j’suis pas sûr que Garde Royal soit hyper dangereux, on est quand même planqué dans un palais où personne à part soi n’a un pouvoir, donc ça doit pas être le risque de mort tous les jours, à moins de tomber dans les escaliers, mais…
Quand elle pose la question sur la Garde, j’ai envie de répondre garde régulière et bataillons, juste pour l’emmerder, ou alors hésiter dix plombes, mais ça serait pas sérieux, et ma vie est en probation, alors j’range mon mauvais esprit et j’fais mon élève modèle.
« La Garde Royale, l’élite du Royaume qui protège la Royauté, et la Garde Régulière, qui protège le Peuple. »
L’histoire d’élite, c’était sur une publicité du capitaine Hekmatyar, ça m’avait bien fait marrer. On avait créé un groupe d’élite de l’élite des aventuriers examinateurs d’élite de l’élite de la Guilde, pour leur rendre hommage. Mais faut croire qu’une agence de communication est passée par là, parce que c’est moins flagrant, maintenant. Enfin, ça va p’tet la brosser dans le sens du poil, de s’entendre décrire comme élite.
Comme Grassim s’étire et pose ses affaires, j’fais de même, à côté des siennes. J’tâte doucement là où elle m’a sanctionné, au côté, mais ça va. A part un gros bleu qui commence déjà à se manifester, j’m’en suis sorti sans casse. Normal, faut dire, j’suis juste censé vivre une mise en situation pour mettre du plomb dans ma cervelle de sale gosse de riche. Encore que j’dois être plus vieux qu’elle. Mais j’ai l’air juvénile, on m’le dit souvent, hé.
Mais bon, les gardes, je les connais bien : c’est des gens qui se promènent dans les rues, touchent des bakchichs, et refusent de courir. Difficile de l’expliquer à voix haute dans ce contexte, cela dit…
J’vire mon plastron en cuir, couvert de sueur maintenant, et avec une brisure, puis j’mets celui métallique qu’elle m’indique du doigt. J’en trouve un à ma taille, j’le sangle, j’remue un peu dedans. Une vraie saloperie, le genre dont j’ai pas l’habitude. Si j’avais le sens de l’humour, j’le bazarderais à la première occasion pour le remplacer par l’apparence du plastron mise par mon déguisement magique, mais si elle me tape la poitrine, j’aurai l’air bien con… Puis pour saluer, aussi, faut taper du poing contre le cœur, sûrement.
C’est un peu une Secte, la Garde, finalement, ha.
Une fois mon beau plastron lustré enfilé, j’emboîte le pas à l’instructrice. J’me demande si elle a prévu qu’on soit juste tous les deux, pour pas déranger les collègues, ou si on se couler dans une vraie patrouille, tiens. J’aurais dû faire ce stage quand j’étais encore criminel, j’aurais p’tet appris davantage sur la manière dont ils bossent, pour les éviter.
Et éviter les espionnes.
Okay, il a vraiment des manières de noble… On a dû lui dire que j’était de la royale pour qu’il essaye de me vendre mon régiment comme ça. Sans déconner, elle est belle l’élite que j’ai retrouvé en revenant de ma grossesse. Un ramassis de boulet en armure intégrale plutôt… Le Capitaine fait des réformes, c’est pas des mauvaises réformes en plus mais il faudrait peut-être qu’il regarde si ses troupes sont aptes au combat dans les conditions imposées. Parce que la majorité ont pas porter d’armure intégrale depuis des plombes et ressemblent plus à des boîtes de conserve qu’autre choses là. Mais bon, ça va être à moi de me débrouiller avec ça. Je félicite mon apprentis du jour avant d'enchaîner avec une rapide explication de l’organisation de la garde Civile. Pour l’explication des missions de la Civile, on va attendre d’être en patrouille. Mon petit laïus terminé, je l’invite à changer son plastron entaillé par un matériel plus résistant mais qui fasse moins gosse de riche… Sortant à l’extérieur de la pièce pour le laisser se débrouiller un peu comme le vieux débris homme qu’il est. Je ferais bien un petit saut par le bureau du Capitaine pour voir comment vont Aurore et Crépuscule mais ce ne serait pas très professionnel de faire ça maintenant… Il doit bien réussir à s’en sortir. Lorsqu’enfin il sort, je me permet une bonne claque dans le dos. Avec un vrai plastron et le blason de la Garde, on dirait presque un vrai combattant au service du royaume.
C’est déjà un peu mieux maintenant ! Exceptionnellement, on va patrouiller juste tout les deux. Demain, on t’assignera à une unité classique pour la journée pour te mettre dans le vrai bain.
Vu qu’une sortie en ville était au programme, j’ai pas revêtue ma nouvelle armure de Garde Royale, juste mon ancienne tenue d’avant ma grossesse. J’ai beau avoir bien repris physiquement, le corset de cuir me sert pas mal au niveau de la poitrine. Pas très agréable mais j’y survivrai pour aujourd’hui. Proposant à mon élève de commencer à nous diriger vers notre zone de patrouille, je commence les explications du travail de la Garde Civile.
La Garde Civile régulière intervient sur l’ensemble du royaume, elle intervient en temps que force armée maintenant l’ordre. Cela inclut la recherche et la capture de criminels recherchés, les crimes mineurs en tout genre et tout simplement pour maintenir le calme dans les villes.
Et c’est l’activité principale de la Garde Civile régulière à la Capitale. Botter les fesses des fauteurs de trouble à tout instant de la journée. Quittant la Caserne, je guide notre duo vers un quartier réputé “noble”. Les rapports rapportent que de nombreux nobles se rassemblent pour parler affaire ces derniers jours. Et pendant que les riches parlent boulot, les autres boivent et perturbent l’ordre public. Avec un peu de chance, il pourra passer les menottes à un imbécile devant son père. Sûr que papa sera fier de son gosse.
Les régiments de la Garde Civile interviennent sur des actions nécessitant une organisation et un nombre de soldats important. Cela permet de ne pas diminuer la couverture de protection du royaume pour intervenir sur un camp de brigand par exemple. A la Capitale, le régiment en place est le Myrmidon du Solstice. Ils gèrent également l’ensemble du trafic maritime traversant la Capitale.
Pour nous rendre dans notre zone de patrouille, on doit traverser le quartier où j’habite alors pas mal de monde me salue même s’ils savent que je suis en service si mes bébés ne m’accompagnent pas.
Donc aujourd’hui, nous allons mener une opération de patrouille visant à maintenir l’ordre dans un secteur de douze rues carré. C’est à dire qu’on va avancer et croiser douze rues dans ce sens et la même chose dans ce sens.
J’illustre mon propos en lui indiquant les directions.
Néanmoins, en cas de besoin, les unités adjacentes peuvent nous appeler en renfort. Pour cela, ils sont équipés de sifflet comme celui-ci. Bien utilisé, il porte sur une vingtaine de rues. Chaque unité qui l’entend prend alors la direction du signal pour prêter main-forte à l’unité appelante. Chaque unité comptant minimum cinq gardes, c’est potentiellement une quarantaine de gardes qui peuvent rappliquer.
Je lui montre le sifflet qui est pendu à ma ceinture. Je n’aime pas l’utiliser, il est tellement strident que mes oreilles sifflent pendant des heures après… Je lui tend le sifflet en l’intimant de l’utiliser s’il se sent en danger lors de notre patrouille. Sait-on jamais, une bande d’idiots alcoolisés est imprévisible.
Ces derniers jours, de nombreux incidents ont été remonté à la Garde, du coup, on a intensifié les patrouilles en envoyant deux unités par zone au lieu d’une. D’après nos informations, cela serait lié à un rassemblement de noble venu faire du commerce.
Même si généralement, ils sont plus calme, il est parfois utile de rappeler les règles à ces imbéciles pété de thune…
Le premier jour, c’est tutoriel, on se balade juste en binôme pour s’occuper de mes amis nobles ou marchands qui doivent être en train d’essayer de faire des affaires dans les quartiers huppés de la Capitale. J’espère que ça sera pas trop gênant quand personne me reconnaîtra, pasque j’existe pas vraiment, en réalité. Enfin, j’trouverai une excuse, m’étonnerait que Grassim cherche à tout prix à élucider le mystère de mon existence. Déjà qu’il m’intéresse pas des masses, moi…
Elle doit vivre la situation actuelle comme une punition, au même titre que moi, en réalité. Et encore, moi j’vais y apprendre quelque chose, plus ou moins, elle peut pas en dire autant. Genre les épées, ça doit bien être pratique, au-delà de la règle numéro qui consiste à mettre le bout pointu dans le gars d’en face.
J’écoute d’une oreille distraite le laïus sur les attributions de la Garde. Ça doit faire bien pour les enfants entre cinq et vingt ans qui viennent faire un stage découverte, mais pour un trentenaire qu’a eu maille à partir avec eux, bon, j’ai envie de dire que c’est un peu superflu. L’explication est interminable, mais j’pense qu’il faut bien meubler le silence, et j’me vois pas lui raconter le dernier cheval que Papa m’a acheté, ou les deux cent cinquante mille cristaux clairs que j’ai perdu hier à la table de jeu. Encore que ça pourrait être rigolo de voir sa réaction. J’y repenserai si j’m’ennuie ou que j’ai envie de la chahuter.
En tout cas, c’est une vraie célébrité locale, les gens lui disent bonjour, lui demandent comment elle va. Ça doit être sympa, que les gens se souviennent de toi, j’suppose. Cela dit, avec les menottes anti-magie que j’me suis moi-même mises au poignet, finalement, j’suis dans la même situation. Et j’me sens bizarrement nu, sans la couverture de mon pouvoir.
« D’accord, donc le travail consiste à marcher dans les rues du quadrillage dans un certain ordre jusqu’à la fin du temps de patrouille ? »
Tu m’étonnes que c’est pas les couteaux les plus affûtés du tiroir qui font ce métier. Tu marches, tu regardes les gens d’un air méchant, et si y’a un problème, tu sors ton beau sifflet, et tu craches tes poumons dedans. Puis tes copains arrivent et tu passes à tabac les contrevenants, avant éventuellement de les coller au trou pour un jour ou deux. Un boulot qui demande peu d’imagination et de prise d’initiative, en somme.
« Je m’en sers quand j’me sens en danger, c’est ça ? »
J’ai une compulsion à l’utiliser à tort et à travers. Genre si un chien me fonce dessus, ou si j’manque de trébucher, ou dès que quelqu’un me parlera mal. Ça collerait bien à l’image de gosse de riche qui connaît rien à la vie. Mais j’ai passé l’âge, et après, elle me parlerait à nouveau pendant des plombes de l’importance d’utiliser le matériel à bon escient, et tout…
« Des nobles venus faire du commerce ? J’espère que je ne vais pas tomber sur des amis, encore que ce serait cocasse… »
Ça risque pas, j’suis pas noble et mon pouvoir s’assurerait dans tous les cas de ne pas avoir de problème. Mais avoir une occasion de leur taper dessus, pour être franc, jamais j’refuse. Uniquement pour séparer les belligérants, évidemment, jamais j’abuserais de mes prérogatives de garde provisoire. N’est-ce pas ?
Si, bien sûr que si.
On marche d’un bon pas dans les rue de la Capitale, et ça devient rapidement extrêmement morne et répétitif. On est en fin de matinée, donc y’a que les vrais bûcheurs qui sont en train de négocier. La plupart des nobles qui auront tendance à foutre le bordel dorment encore du sommeil du riche, et ce sera qu’avec l’aprèm’ qu’ils vont vraiment sortir et se promener, et picoler et se battre. Enfin, je suppose.
Avec tout ça, c’est l’heure du déjeuner, c’est qu’on s’est levé tôt.
« Y’a un déjeuner de prévu ? »
Ouais, j’m’ennuie, alors j’ai faim.
J’explique tranquillement les missions de la Garde Civile à mon stagiaire du jour puis la mission du jour. Rien de bien compliqué, patrouiller dans les rues et éventuellement interrompre une ou deux bagarres. Et si on tire le gros lot, il aura le droit à la prise d’un petit poisson qui ira tout droit à la case cellule ! Cela pourrait bien arriver en plus avec ces imbéciles qui boivent beaucoup trop. Au moins, il a l’air d’avoir un minimum compris le boulot attendu.
Oui, marcher et intervenir si besoin. C’est aussi simple que cela. A la fin de la patrouille, il faudra ensuite rédiger le rapport de patrouille pour le sergent lié à l’unité.
Même s’il ne se passe rien durant la patrouille, il faut quand même rendre des comptes. Je m’attarde un instant sur le sifflet, instrument nécessaire pour appeler des renforts. Je soupire lorsqu’il semble avoir trop bien compris que je lui demande de l’utiliser s’il se sent en danger. J’oublie que je suis avec un gosse de riche…
En vrai danger, pas pour des broutilles. Cela risque d’irriter les collègues si tu en abuses.
Dans les rues de la Capitale, la population est encore relativement calme. Il n’y a que les gens normaux pour être debout à cette heure. Ou certaines personnes avisées pour se rendre compte qu’il est plus facile de discuter calmement le matin. En circulant tranquillement dans les rues, il ne se passe pas forcément grand chose. Parfois, il faut indiquer le chemin à des passants, d'autres fois, rappeler la politesse à de petits groupes qui ont commencé à boire. Je ris lorsque mon apprentis m’interroge sur le repas de midi.
A la fin de notre patrouille. Une patrouille dure six heures à la Capitale, vu que nous avons pris un peu de temps pour te préparer, une autre unité à un peu allongée sa patrouille. La nôtre devrait finir un peu après le zénith.
Une patrouille constitue une bonne partie du travail journalier d’un garde civile, le reste est consacré aux rapports et entraînements obligatoires. Assénant un coup sur l’épaule de l’homme, je me moque de lui.
Déjà affamé ? Il va falloir s'endurcir pour devenir un bon garde, les petits fours et le thé ne nourrissent pas assez. Rien ne vaut un bon steak de boucton !
Je m’en amuse beaucoup. Il va certainement souffrir de la faim demain. Mais cela ne lui apprendra que mieux la dureté du travail de garde. Avisant la devanture d’une auberge, je l’invite à aller demander un petit quelque chose à grignoter, j’aimerai quand même éviter qu’il tombe comme une feuille. Ils sont fragile les nobles.
Et profites-en pour vérifier que les clients ne se chamaille pas trop.
Autant qu’il fasse quelque chose d’utile.
Les p’tits fours et le thé, ben tiens. Plutôt le ragoût et la bière, dans mon milieu, on va pas se mentir. Encore que mon alimentation a pris un jour meilleur depuis que j’ai rejoint les espions. Avant, y’a eu une période sombre, la taule, où c’était la soupe, le pain sec et la flotte. Rien qui cale vraiment, mais qu’est-ce que ça faisait pisser, putain. Enfin, c’est pas comme si j’avais eu quoi que ce soit d’autre à foutre, remarque, et entre être assis sur le plumard ou assis sur les chiottes, la différence était pas forcément énorme. J’me demande ce qu’elle dirait, Grassim, si elle savait. Enfin, ça les étouffe pas, ils ont bien nommé Al-Rakija capichef, après tout.
Mais j’ai le droit de grailler un truc, et c’est un prétexte pour m’assurer que c’est pas la merde à l’intérieur. Grassim s’accoude au chambranle de la porte pendant que j’rentre, et j’me dirige directement vers le tavernier et son zinc en bois. Il avise mon uniforme de la garde, et se redresse perceptiblement avec un sourire aimable sur la gueule. Bah alors, on aime pas les contrôles ?
« Un tranchoir avec du fromage ou de la barbaque.
- Sûr. »
J’lâche les cristaux sur le comptoir, et j’regarde ce qui se passe dans la salle. Globalement, ça ressemble à des artisans bien lottis qui profitent du milieu de la matinée pour faire une pause, et aller discuter avec les collègues autour d’un verre rapide, avec un casse-dalle, surtout pour ceux qui sont à pied d’œuvre depuis les premières lueurs. Un peu comme moi, donc finalement j’le mérite.
Dans un coin, y’a des éclats de voix, et le tavernier est toujours pas venu rétablir l’ordre. Finalement, c’est un peu mon boulot, non ? J’leur mettrais bien une impression de déjà-vu, mais c’est pas possible avec la menotte que j’ai au poignet pour que Grassim se rappelle de moi. Donc j’vais plutôt faire ça poliment. J’décale vers leur table, et j’vois trois nobles d’une quarantaine ou cinquantaine d’années qui sont levés, et agitent le poing, tandis que y’en a un qui attrape l’autre par le col de son doublon brodé de fil d’or.
« Messieurs, messieurs, du calme s’il vous plaît. »
Ils se tournent vers moi, regarde mon bel uniforme moche de Garde et ma bouille sympathique avec un sourire calme dessus.
« Mêle-toi de tes affaires, nous négocions, le rond-de-cuir.
- Votre négociation semble évoluer vers euh…
- Oui ? »
Pénible, tout le monde se met contre les condés.
« De la menace physique en vue d’obtenir un avantage indu. Voilà. »
Le gars retire son poing du col de son collègue, et le remet bien.
« Ce n’était qu’un menu désaccord, vous pouvez circuler. »
Attends, c’est pas moi qui dois dire aux gens qu’ils peuvent circuler, normalement ?
Mais c’est le tavernier qui se matérialise à côté de moi avec mon tranchoir bourré jusqu’à la gueule de viande.
« Merci pour votre aide, soldat, mes clients vont maintenant rester calmes, je n’en doute pas. Vous pouvez reprendre votre patrouille. »
Hé, quoi, ma présence est pas bonne pour les affaires ?
« Pas de quoi, Tavernier, toujours un plaisir de faire mon devoir. »
J’exécute un salut complètement salopé pour l’occasion, et j’rejoins Grassim dehors. Même pas une chance de leur coller un poing dans la tronche, tiens.
On m’a bien dit de le rendre entier à son père à la fin de la journée, ça inclut certainement qu’il doit pas être affamé. Ces petits nobles sont tellements fragiles qu’ils risquent de s’écrouler comme des slimes à la moindre petite faim. Je l’envoie se chercher un peu à manger dans la première taverne qu’on croise lui intimant également de vérifier si les clients ne se chamaillent pas trop à l’intérieur. Cela ne fait pas de mal que des Gardes entrent même si tout va bien, ça montre qu’on est pas loin et qu’au besoin, on peut distribuer les réprimandes nécessaire. Le laissant faire, je m’accoude à la porte pour le regarder prendre ses marques. J’espère qu’il se prendra la rouste que je n’ai pas le droit de lui administrer, ça lui fera pas de mal. Sans intervenir, je le laisse se rapprocher d’un groupe en pleine “négociation musclée”, peut-être ma chance de me faire une bonne bagarre depuis mon retour en service actif. Instinctivement, je porte la main à la tsuka de mon arme prête à mettre fin à une bagarre, je doit quand même le ramener dans un état correct. Un cocard, ça devrait passer mais on va éviter de le ramener avec un guérisseur de la Garde… Je réprime un rire lorsque les nobles l’envoie chier royalement. En théorie, faudrait les remettre à leur place avec une petite amende bien sentie pour outrage à l’ordre public en présence des forces de la Garde mais bon, on va laisser couler pour cette fois. Et puis, je ne doute pas qu’ils auront un problème avec la prochaine patrouille vu comment la journée à commencée pour eux. Je fait signe au tavernier dans le dos de mon élève, pendant qu’il fait un salut dégueulasse, pour lui signifier qu’il n’a pas à essayer de jeter dehors un Garde qui fait son travail. Il sera bien heureux de nous trouver lorsque sa taverne se fera ravager par une bagarre généralisée. Je quitte mon poste d’observation pour retourner à l’extérieur. Lorsqu’il me rejoint, je reprend ma marche, même s’il mange, on a une mission à exécuter.
C’était pas trop mal. Tu t’en es sortie sans prendre une châtaigne donc on va dire que c’est une réussite. Un garde classique aurait certainement pas laissé ces hommes leur parler comme ça, mais il vaut mieux éviter les bagarres pour toi.
Je lui tapote l’épaule compatissante. ça doit pas avoir été facile de fermer sa grande gueule de noble face à ces hommes. Les rues sont plutôt calmes encore, certainement l’effet du renforcement des patrouilles. Les gens ont tendances à être plus prudents quand le nombre de Garde augmente dans les rues. Un instinct de préservation peut-être… Mais le calme est brutalement interrompus par la sortie mouvementée de deux hommes roulant par-terre en essayant mutuellement de s’étrangler. ça y est, ça commence à se battre… Avec un soupire, je prend deux paires de menottes simple à ma ceinture avant de les tendre à mon coéquipier.
Tu t’occupes de ces deux là, je vais à l’intérieur. Si possible, essayes de ne pas les amocher, ça fait tâche sur les rapport quand il faut expliquer pourquoi les prisonniers se plaignent de violence de la Garde…
Tirant mon sabre, je prend illico la direction de la porte d’où ces fauteurs de trouble sortent. C’est une simple auberge… Les gens abusent vraiment. Dans la salle de repas, tout est relativement calme mais à l’étage, certainement les chambres, j’entends du grabuge et des éclats de voix. Je lâche un regard noir à l’aubergiste lorsqu’il débarque de sa cuisine avec un gros rouleau.
Rangez-moi ça avant que je vous embarque avec ces imbéciles… On s’occupe de calmer tout ce beau monde. Allez plutôt préparer la notes de ces braves gens sans oublier les dégâts.
Je remet mon sabre dans son fourreau, vu les éclats de voix, je ne devrais pas avoir besoin d’en arriver jusque là. ça à l’air d’être deux femmes qui se crêpent le chignon. Je monte les marches quatre à quatre pour débarquer à l’étage. Je m’immobilise à peine arrivée à l’étage et soupire. Qui m’a donné des idiotes pareilles… Les deux belligérantes sont là par-terre à littéralement se tirer les cheveux dans leurs jolies robes… Je me racle la gorge pour attirer leur attention.
Mesdames, je vous donne cinq secondes pour vous relever et présenter un poignet chacune.
Leurs têtes se tournent vers moi à l’unisson. Je leur montre ma dernière paire de menottes. De l’autre main, je tiens tout de même la tsuka de mon sabre prête à dégainer si besoin. Mais elles se montrent raisonnable. Dommage pour elles, je vais devoir les attacher l’une à l’autre. Sans un mot, je leur passe les menottes avant de les entraîner en bas jusqu’au comptoir de l’aubergiste. Je laisse l’homme se charger de réclamer son dû à ses clientes avant qu’on les embarque vers les cellules qui vont bien. Je prend tout de même un instant pour pousser la porte et vérifier que mon élève est en pas trop mauvaise posture.
Hé, mais c’est que la Grassim est fière de moi. C’est dommage, cela dit, j’attendais qu’une chose, c’est que l’un d’eux essaie de m’en coller une pour lui montrer ce qu’on apprend dans les bas-fonds. Et c’est pas la cérémonie du thé ni à faire le beau dans le Palais, ça, c’est certain. Mais ils se débinent, probablement pasque même la menace physique ne faisait partie que tu théâtre élaboré qu’ils se font pour négocier les prix et comment enculer le petit peuple après sur leurs marges. Quelle bande de parasites, putain, j’les envie.
Vrai quoi, si j’avais été noble, j’aurais été pépouze chez moi au lieu de me lever tous les matins pour trimer.
J’sais pas ce qui se passe dans le quartier, si c’est toujours aussi animé, mais on tombe rapidement sur une autre échaffourée, avec deux hommes qui roulent au sol en se collant des châtaignes. Grassim me les laisse et va rétablir l’ordre à l’intérieur. Dès qu’elle s’éloigne, j’approche en faisant des gestes autoritaires.
« Je vous ordonne de vous arrêter ! »
Evidemment, on sait tous comment ça se passe : quand on se bat, on a la vision qui se rétrécit considérablement, et c’est compliqué de percevoir quoi que ce soit au-delà de son adversaire immédiat, surtout quand on lutte au sol d’égal à égal. Donc j’sais pertinemment qu’ils m’ont pas entendu.
« Vous ne me laissez pas le choix ! »
Je dis ça très fort, pour les témoins. Puis j’attrape ma matraque, et j’leur tombe dessus comme la misère sur le pauvre monde : brutalement, rapidement, et sans pitié ni remords. Pour séparer des belligérants, de toute façon, c’est le mieux : faut cogner fort, partout et sur tout le monde. Ça choque et ça permet de passer à autre chose. Donc j’y vais comme un sourd.
J’y mets aussi un ou deux coups de tatane, pour le plaisir.
Au bout d’un moment, les deux hommes se séparent, et veulent me calmer sèchement avant de revenir à leurs affaires, mais ils s’arrêtent vite quand ils voient mon beau plastron de la garde, avec le sifflet, la matraque, l’épée dont j’sais à peine me servir mais ça, ils le savent pas. Ils ont l’air mal à l’aise.
« Messieurs, je vous prie de me présenter vos poignets. »
Je montre les menottes tout en faisant tourner la matraque dans mon autre main.
« C’est des violences indues ! »
Ah ben voilà que ça parle mieux que quand ça traitait l’autre de fils de pute, hein.
« Quelles violences ? Je vous ai juste séparés, vous vous êtes blessés en vous battant. »
En tout cas, ce sera la théorie officielle.
« Si vous avez la moindre réclamation, je vous invite à en faire part à mes supérieurs hiérarchiques, elle est partie calmer les autres à l’intérieur, que j’fais en pointant du pouce. »
Ils se laissent mettre les menottes sans trop discuter, pasque la foule regarde d’un air beaucoup trop intéressé, et j’remarque quelques personnes en beau pourpoint de velour qui ricanent méchamment. A tous les coups, les quelques heures perdues par ces nobles marchands ne le seront pas pour les autres négociateurs, qui en profiteront pour accentuer la pression là où ils le pourront.
Puis c’est Aube qui ressort avec deux femmes menottées ensembles, et qui jettent des regards boudeurs à leurs hommes. Enfin, j’présume.
« Voilà, c’est ma chef. Mais, franchement, après, on devra faire un appel à témoins pour savoir si c’est vous qui vous battiez, d’où viennent les bleus et tout, ça vous fera passer davantage de temps dans la caserne. M’est avis que ça arrangerait pas trop vos affaires. »
Les deux hommes regardent autour d’eux, et ne se reconnaissent pas beaucoup d’amis chez les badauds. L’un d’eux crache dans la plus belle tradition des gens du commun un glaviot sanguinolent, et les deux se renferment dans une dignité injustement blessée.
« J’ai géré, chef ? »
Hé, j’fais des efforts, hein : aucun n’est mort.
Passant la truffe par la porte, j’observe un peu comment se débrouille mon petit apprenti du jour. Ils ont l’air d’être en pleine discussion et ça se passe plutôt calmement on dirait. C’est bien, il se sera pas fait démonter par ces hommes. Je quitte la scène lorsqu’il commence à leur passer les menottes pour vérifier que mes deux prisonnières réglent bien leur note à l’aubergiste. Les cristaux passent sans difficultés d’une main à une autre sous mon regard. Une dette doit être remboursée, et il vaut mieux pour eux de payer maintenant qu’après une plainte déposée auprès de la Garde. Nos juges ont la mains lourdes quand il s’agit d’ordonner le remboursement de dégâts.
Aller, en route mesdames.
J’attrape le chaîne reliant les menottes pour les traîner avec moi à l’extérieur. Vrenn est en attente avec ses deux prisonniers. Je l’entends leur expliquer qu’il ont peut-être avantages à ne pas se montrer trop chiant une fois en cellule. Il est vrai qu’ils en ressortiront plus vite s’il n’y a pas besoin de gérer des témoignages et autres… Je me rapproche du petit groupe avec mes prisonnières. Le petit nobliaux est fière de sa prestation. Je lui souris tandis que les deux hommes se jettent dans une tentative pour se faire libérer.
Madame la Garde, ce n’est qu’un malentendu, cela n’était qu’un empoignade purement amicale. Votre collègue nous est tombé dessus et nous a roué de coups. Nous éviterons ce genre d’effusion d’affection à l’avenir, ça faisait longtemps qu’on s’était pas vu tout les deux…
Je soupire. Ces dames ont payés les dégâts et leur nuits dans l’auberge, ils n’auront pas de plainte de sa part. Par contre, se battre comme des chiffonniers dans la rue, ça mérite quelques heures de cellules.
C’est bien, tu as bien travaillé. La patrouille suivante ne devrait pas tarder à prendre le relais, on va les emmener au bastion du Myrmidon pour être mis en cellules histoire qu’ils reprennent leurs calme.
Je tapote le noble sur l’épaule en signe de félicitations.
Quant à vous quatre, vous êtes en état d’arrestations pour vous être battus sur la place publique.
Je ne rajoute rien de plus, ce n’est pas nécessaire. J’empoigne les hommes par l’épaule et les poussent devant moi. Direction le bastion du régiment de la Capitale, ils pourront les garder au frais pendant quelques heures sans difficultés puis les libérerons ce soir. Cela ne leur fera pas de mal. Pendant la marche, les quatre nobles ne cessent d’essayer d’argumenter pour essayer de nous convaincre de les libérer. C’est long et ennuyant, une fois débarrassé d’eux, la relève aura déjà prit son tour. Avec quatre prisonniers, c’est compliqué de discuter correctement. De notre position, le bastion n’est pas très loin. Sur le pont qui permet d’accéder au bastion, je donne quelques explications à mon apprenti.
Nous avons des postes de garde doté de cellules pour les cas comme ceux-là. Il y en a un peu partout dans la Capitale. Et à ces petits centres pénitentiaires de courte durée s’ajoute la prison de la Caserne et du bastion des Myrmidons. Généralement, les petites délits comme ça conduisent dans les petits centres mais comme le bastion est le plus proche…
Et parfois, ça ne fait pas de mal de mettre certains vraiment au frais. A l’entrée du bastion, je salue les gardes en faction avant de leur indiquer que nous avons des prisonniers à mettre en cellule pour quelques heures.
Hé, j’étais pas sûr que Grassim allait me soutenir. Vrai que les témoins vont dans mon sens, enfin, plutôt dans le leur, mais elle aurait pu se plaindre que j’aie abîmé le contribuable, après tout. P’tet qu’elle attend qu’on soit que tous les deux pour m’engueuler, cela dit. Ça éviterait de déprécier l’autorité de la Garde en public, et montre qu’on fait corps pour capturer les criminels de droit commun. Important, l’image de l’institution. Ils ont que ça, après tout, au-delà des patrouilles incessantes, les pauvres.
On escorte donc nos loulous vers le bastion, de belles cellules au frais pour se décompresser le cervelet. Et j’comprends qu’on va arrêter là la patrouille, pour laisser des professionnels prendre la suite. J’suppose qu’une journée de garde doit pas être loin de la fin, à ce stade, avec le lever super tôt. C’est l’heure de la sieste ? J’ai signé pour quelques jours de formation, mais ça sera p’tet écourté : après tout, j’suis un élément d’élite, alors on a sûrement des tâches importantes à me faire faire.
Putain, j’pensais pas que j’voudrais plutôt partir en mission d’espionnage que d’aller faire le rond-de-cuir avec les pedzouilles de la Garde. Encore, là, c’est Grassim, mais rien que penser devoir côtoyer les autres connards, j’ai des poussées d’urticaire. Ça fait malheureusement partie du turbin, d’être capable de s’glisser dans la garde. Mais ces missions-là vont plutôt tomber chez les autres espions, de ce que j’ai compris : ils ont eu une vraie formation militaire, alors que j’fais un meilleur civil ou aventurier qu’eux. J’maîtrise mieux ces rouages-là, quoi.
Et j’parle même pas de la noblesse. J’sais pas tenir une tasse de thé avec le petit doigt levé, par exemple, donc mes chances d’infiltration là sont quasi-nulles. Puis faut parler correctement, aussi, trop de risque que j’balance une connerie par accident.
Bref, on suit les couloirs jusqu’à arriver dans les souterrains du bastion. Ça me rappelle un peu trop tristement le temps, les semaines que j’ai moi-même passé à l’ombre, et c’était pas vraiment la période la plus heureuse de ma vie. Entre l’ennui abyssal, et la perspective de crever de l’autre côté de la Frontière, j’peux pas dire que les perspectives étaient parfaitement jouasses.
Mais là où j’ai passé un temps long, eux, c’est juste l’affaire de quelques heures avant qu’ils puissent retourner vivre leurs vies de nobles ou de riches marchands. Alors que moi, j’trime pour un salaire de misère. Ah ça, le crime payait davantage, y’a pas photo… Une fois débarrassés de nos encombrants colis, Grassim se tourne vers moi, et m’fait comprendre que j’y suis peut-êre allé un peu fort, et que ça outrepassait possiblement les attributions de la Garde.
« Peut-être, mais quand il y a plusieurs belligérants, pour les séparer, il vaut mieux y aller brutalement et d’un coup, ça évite qu’ils se retournent contre l’intervenant et empêche que l’échaffourée dure trop longtemps. Parce que c’est là qu’il y a risque de mauvais coups. »
J’m’arrête quelques secondes.
« Enfin, c’est ce que mon instructeur disait toujours. »
Ouais, j’ai une image à tenir.
Quelques minutes plus tard, j’suis dans un coin des cuisines en train de peler des patates. La connasse. Pour me faire apprendre les vertus du calme et de la patience, soi-disant, et me montrer ce qui se passe quand un Garde fait une petite bêtise. Rien que des conneries, j’suis sûr, c’est juste que y’avait personne pour s’en occuper, donc ils se sont dits qu’ils allaient bien rigoler aux dépends du nobliau venu visiter le boulot. Les bâtards. Alors que j’viens moins de la haute qu’eux en vrai.
Au moins, on n’a pas ces conneries chez les espions.